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Avis juridique important

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61994C0080

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 31 mai 1995. - G. H. E. J. Wielockx contre Inspecteur der directe belastingen. - Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof 's-Hertogenbosch - Pays-Bas. - Article 52 du traité CE - Obligation d'égalité de traitement - Imposition sur le revenu des non-résidents. - Affaire C-80/94.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-02493


Conclusions de l'avocat général


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1 La liste des arrêts de votre Cour examinant la compatibilité des réglementations internes portant sur la fiscalité directe avec le principe de libre circulation des personnes est déjà longue (1). La chambre fiscale du Gerechtshof te 's-Hertogenbosch vous demande aujourd'hui d'interpréter l'article 52 du traité CE au regard du régime néerlandais de réserve-vieillesse («oudedagsreserve»).

2 La loi néerlandaise relative à l'impôt sur les revenus du 16 décembre 1964 (2) définit, à son article 1er, les «contribuables nationaux» comme étant les personnes physiques résidant dans le royaume par opposition aux «contribuables étrangers» qui sont les personnes physiques qui, sans résider aux Pays-Bas, y perçoivent toutefois des revenus.

3 Par la loi du 16 novembre 1972 (3), complétant la loi de 1964, le législateur néerlandais a institué au profit des travailleurs non salariés (4) un régime volontaire de réserve-vieillesse fiscale qui leur permet de «réserver» une partie du bénéfice de leur entreprise pour constituer une réserve-vieillesse - qui n'exclut d'ailleurs pas l'adhésion à un régime de pension collectif. La réserve-vieillesse présente l'avantage que les sommes épargnées restent dans l'entreprise. Elle se caractérise par un régime fiscal très favorable.

4 En vertu de l'article 3, troisième alinéa, de la loi de 1964, les sommes «réservées» chaque année sont déductibles du bénéfice imposable (5). La réserve-vieillesse doit être supprimée lorsque le contribuable atteint l'âge de 65 ans (6). La réserve constituée est alors qualifiée de «revenu» et soumise à la perception de l'impôt soit en une fois sur le capital, soit sur les rentes versées périodiquement (lorsque le capital est converti en rentes). Les sommes «réservées» sont donc soumises à un impôt différé.

5 Aux termes des articles 48 et 49 de la loi de 1964, les contribuables étrangers sont imposés exclusivement sur le «revenu national imposable» constitué de l'ensemble des revenus acquis sur le territoire des Pays-Bas pendant une année civile diminué des pertes. D'après l'article 48, paragraphe 3, ce revenu peut faire l'objet de certaines déductions au nombre desquelles ne figure pas la réserve-vieillesse.

6 Il résulte, par conséquent, de la comparaison des articles 3, paragraphe 3, et 48, paragraphe 3, de la loi de 1964 que les contribuables nationaux bénéficient d'un avantage (la possibilité de constituer une assurance vieillesse déductible) dont sont privés les étrangers.

7 Ceux-ci sont privés d'un certain nombre d'avantages et notamment de la possibilité de déduire des engagements personnels et des charges extraordinaires (7) parce qu'il est présumé que ces éléments seront pris en compte par l'administration fiscale de l'État de résidence. Une circulaire ministérielle a toutefois prévu un correctif lorsque 90 % au moins des revenus mondiaux du contribuable non résident sont soumis à l'impôt sur le revenu aux Pays-Bas (8): les déductions sont alors possibles. La réserve-vieillesse n'est toutefois pas visée par ce texte.

8 C'est dans ce cadre juridique que s'inscrivent les questions préjudicielles posées par le juge national.

9 Ressortissant belge demeurant en Belgique, M. Wielockx exerce, à titre de travailleur indépendant associé, la profession de physiothérapeute à Venlo, aux Pays-Bas. Il n'exerce pas d'autre activité et ne perçoit pas d'autres revenus, notamment en Belgique.

10 En vertu de la convention contre les doubles impositions conclue entre la Belgique et les Pays-Bas (9), M. Wielockx est imposable aux Pays-Bas (10).

11 Il conteste son avis d'imposition pour l'année 1987.

12 L'intéressé entend déduire de son revenu imposable pour cet exercice (73 912 HFL réduits à 65 643 HFL par l'administration fiscale) la somme de 5 145 HFL au titre de la réserve-vieillesse, ce que les services fiscaux refusent. M. Wielockx saisit la chambre fiscale du Gerechtshof te 's-Hertogenbosch qui vous pose trois questions préjudicielles qui peuvent être résumées ainsi:

1) L'article 52 du traité s'oppose-t-il à ce qu'un État membre refuse le droit de constituer une réserve-vieillesse déductible aux contribuables non résidents?

2) Si une discrimination peut être identifiée, celle-ci est-elle justifiée par le fait que la déductibilité des montants ajoutés à la réserve-vieillesse ne pourrait être, en ce qui concerne les contribuables non résidents, compensée par le caractère imposable des montants retirés?

3) Le point de savoir si le contribuable étranger a perçu tous ses revenus, ou presque tous ses revenus, dans l'État d'emploi a-t-il une incidence?

13 Nous examinerons ensemble les première et troisième questions.

Sur les première et troisième questions

14 Il va de soi que l'on est, ici, dans le champ d'application de l'article 52 du traité: M. Wielockx a fait usage de la liberté de circuler dans la Communauté pour s'établir comme travailleur indépendant aux Pays-Bas.

15 Il n'est pas davantage discuté que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, «... il n'en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire...» (11). Vous en avez déduit que l'article 48 du traité était «... susceptible de limiter le droit pour un État membre de prévoir les conditions d'assujettissement et les modalités d'imposition des revenus perçus sur son territoire par un ressortissant d'un autre État membre, dans la mesure où cet article, en matière de perception des impôts directs, ne permet pas à un État membre de traiter un ressortissant d'un autre État membre qui, ayant fait usage de son droit de libre circulation, exerce une activité salariée sur le territoire du premier État, de façon moins favorable qu'un ressortissant national se trouvant dans la même situation» (12).

16 Pour le même motif, nous tirons la même conclusion en ce qui concerne l'article 52 du traité dont vous avez d'ailleurs déjà fait application à la matière de la fiscalité directe dans les arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France («avoir fiscal») (13), du 13 juillet 1993, Commerzbank (14), et du 12 avril 1994, Halliburton Services (15).

17 Jusqu'à présent, vous avez toujours considéré que l'article 52 du traité, appliqué à la matière fiscale, suppose - tout comme l'article 48 - la preuve d'une discrimination - ostensible ou déguisée. On notera toutefois, en passant, que des mesures indistinctement applicables pourraient avoir sur la libre circulation des personnes ou sur la liberté d'établissement un effet tout aussi restrictif qu'une discrimination (16).

18 Peut-on identifier dans le critère de la résidence une discrimination déguisée fondée sur la nationalité?

19 En vertu de votre jurisprudence constante (17) une distinction fondée sur la résidence, bien qu'indistinctement applicable aux nationaux et aux non-nationaux, peut masquer une distinction fondée sur la nationalité. Le refus d'accorder «... aux non-résidents certains avantages en matière d'imposition accordés, en revanche, aux résidents sur le territoire national, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres États membres. En effet, les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux» (18).

20 Y a-t-il pour autant, dans une hypothèse telle que celle qui vous est soumise, discrimination, à savoir application de règles différentes à des situations comparables?

21 Le critère de la résidence tel qu'il est utilisé par le droit fiscal international n'est pas, en soi, contraire au droit communautaire. Nous nous permettons de renvoyer, sur ce point, à nos conclusions sous l'arrêt Schumacker (19) et à cet arrêt lui-même, dans lequel vous avez explicité la logique de la distinction entre résidents et non-résidents:

«... en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables.

Le revenu perçu sur le territoire d'un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu'une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence. Par ailleurs, la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l'ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s'apprécier le plus aisément à l'endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux. Ce lieu correspond en général à la résidence habituelle de la personne concernée. Aussi le droit fiscal international, et notamment le modèle de convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de double imposition, admet-il que c'est en principe à l'État de résidence qu'il incombe d'imposer le contribuable de manière globale, en prenant en considération les éléments inhérents à la situation personnelle et familiale de celui-ci.

La situation du résident est différente, dans la mesure où l'essentiel de ses revenus est normalement centralisé dans l'État de résidence. Par ailleurs, cet État dispose généralement de toutes les informations nécessaires pour apprécier la capacité contributive globale du contribuable, compte tenu de sa situation personnelle et familiale» (20).

22 Il en résulte que les résidents et les non-résidents n'étant pas objectivement dans la même situation, la différence de traitement faite entre ces deux catégories de contribuables ne peut être qualifiée de discrimination au sens du traité.

23 En revanche, le travailleur non résident qui ne perçoit des revenus que dans l'État d'emploi est placé, objectivement, dans la même situation fiscale que le résident de cet État qui y occupe le même emploi. Il présente la même base imposable: l'assiette de l'impôt est la même. Pourtant, il ne verra sa situation personnelle et familiale prise en compte ni par l'administration fiscale de cet État (parce qu'il n'y réside pas) ni par l'administration fiscale de l'État de résidence (parce qu'il n'y perçoit aucun revenu et qu'il n'y est donc pas imposable). Vous y avez vu une discrimination (21).

24 Aux Pays-Bas, les règles applicables à l'impôt des résidents sont, pour le calcul des revenus de source néerlandaise, généralement applicables par analogie aux non-résidents (22). Toutefois, les non-résidents ne bénéficient pas des mêmes possibilités de déduction que les résidents (23).

25 Dans notre hypothèse, le résident dans un État membre pourra déduire de son revenu imposable la part qu'il vire sur son compte réserve-vieillesse. Le non-résident qui perçoit la totalité de ses revenus dans cet État - et qui se trouve donc dans la même situation fiscale que le résident - n'aura pas le droit de constituer une telle réserve (24). Si le travailleur indépendant résident a la possibilité de se constituer une réserve-vieillesse, et donc de bénéficier d'un avantage fiscal, cette possibilité est refusée au travailleur indépendant non résident. Si celui-ci envisage de se constituer une retraite, il ne bénéficie pas d'un choix aussi élargi que le résident, car il n'a pas accès à la réserve-vieillesse.

26 Nous y voyons une discrimination qui n'affecte toutefois que le travailleur indépendant non résident qui perçoit la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l'État d'emploi. Ce n'est qu'à cette condition qu'il est dans une situation fiscale comparable à celle du travailleur indépendant résident. Il est imposé par le seul État d'emploi comme le résident de cet État. En revanche, il n'est pas exclu que, si le travailleur non-résident perçoit des revenus dans l'État de sa résidence et qu'il y est imposable, il bénéficie d'un certain nombre d'avantages et notamment de la déduction de telle ou telle somme constituée en épargne. En tout état de cause, ce contribuable n'est pas dans la même situation fiscale que le national.

27 Il s'ensuit que, pour répondre d'emblée à la troisième question, le point de savoir si l'intéressé perçoit ou non la totalité de ses revenus dans l'État d'emploi est déterminant. Ce n'est que dans l'hypothèse où il perçoit la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l'État d'emploi qu'il doit être considéré comme discriminé.

28 Nous en déduisons que l'article 52 du traité s'oppose à l'application de la réglementation d'un État membre, telle que celle des Pays-Bas en matière de réserve-vieillesse fiscale qui octroie un abattement fiscal ayant pour effet de réduire le revenu imposable des travailleurs indépendants résidents mais en prive les travailleurs indépendants non résidents lorsque ceux-ci perçoivent la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus dans cet État.

29 La discrimination étant établie, examinons si elle est justifiée.

Sur la deuxième question

30 La question de la justification et de l'éventuelle applicabilité du principe de la cohérence fiscale tel que vous l'avez énoncé dans les arrêts Bachmann (25), et du 28 janvier 1992, Commission/Belgique (26), est extrêmement délicate.

31 On sait que, depuis ces deux arrêts, vous admettez que, en matière fiscale, des réglementations nationales discriminatoires peuvent être justifiées pour des raisons impérieuses d'intérêt général, autres que celles figurant au traité, et notamment au nom de la cohérence du système fiscal (27).

32 L'affaire Bachmann est née dans le contexte suivant: ressortissant allemand employé en Belgique après avoir travaillé en Allemagne, M. Bachmann s'oppose au refus du directeur des contributions directes de Bruxelles d'admettre la déduction de cotisations versées en Allemagne, au titre de contrats d'assurance contre la maladie et l'invalidité ainsi qu'au titre d'un contrat d'assurance vie conclus en Allemagne avant son entrée en Belgique, du total de ses revenus professionnels perçus dans ce dernier État.

33 Le directeur des contributions s'appuyait sur l'article 54 du code des impôts sur les revenus belge dont il résulte que les cotisations d'assurance contre la maladie et l'invalidité ou contre la vieillesse et le décès ne sont déductibles des revenus professionnels que si elles sont versées en Belgique.

34 En réponse à des questions préjudicielles posées par la Cour de cassation belge, vous avez identifié dans cette disposition une discrimination au détriment des travailleurs migrants non résidents incompatible avec l'article 48 du traité (28). Cette discrimination vous est apparue justifiée compte tenu de la corrélation existant, dans le système fiscal belge, entre la déductibilité des cotisations et la taxation, à l'échéance du contrat d'assurance contre la vieillesse et le décès, du capital assuré ou de la rente versée par la compagnie d'assurances (29) (inversement, les souscripteurs de tels contrats qui n'ont pas bénéficié de la déduction ne sont pas imposables sur les capitaux, pensions ou rentes versés en exécution de ces contrats (30)). «La cohérence d'un tel régime fiscal ... suppose donc que, dans le cas où cet État serait obligé d'accepter la déduction des cotisations d'assurance vie versées dans un autre État membre, il puisse percevoir l'impôt sur les sommes dues par les assureurs» (31).

35 Par conséquent, l'administration fiscale belge était fondée à refuser la déductibilité des primes versées à des compagnies non établies en Belgique dès lors qu'elle n'était pas certaine de pouvoir imposer le capital ou les rentes versées en contrepartie. Celles-ci ne pouvaient être imposées ni à la source (la compagnie d'assurance débitrice de ces rentes est établie dans un autre État membre) ni auprès du bénéficiaire (résident dans un autre État membre).

36 Procédant à un test de proportionnalité, vous vous êtes assurés que cette cohérence ne pouvait pas être sauvegardée par d'autres mesures ayant un effet moins restrictif sur la libre circulation des personnes, tel un engagement de l'assureur de payer l'impôt ou la possibilité prévue par une convention bilatérale de déduire les cotisations versées dans un autre État que celui qui prévoit la déduction (32).

37 Plusieurs commentateurs de cet arrêt ont soutenu, de manière convaincante selon nous, qu'une réglementation nationale plus respectueuse du principe de libre circulation des personnes et de la liberté d'établissement aurait pu permettre à l'État belge de parvenir au même résultat (33). Nous n'entrerons pas dans ce débat.

38 L'intérêt de l'arrêt Bachmann, précité, réside dans la démarche que vous avez adoptée: les États membres - seuls compétents en l'état actuel du droit communautaire pour concevoir leur système fiscal (34) et pour décider, par exemple, de favoriser l'épargne par un régime fiscal incitatif ou d'aligner le régime fiscal des retraites des travailleurs indépendants sur celui des retraites des salariés - peuvent adopter des mesures discriminatoires si celles-ci sont justifiées par des raisons d'intérêt général et indispensables pour parvenir à l'objectif qu'ils se sont fixé. Un contrôle de proportionnalité - que nous estimons devoir être strict lorsqu'on est en présence d'une mesure discriminatoire - doit permettre de vérifier que celle-ci était nécessaire à la réalisation de l'objectif poursuivi.

39 La mise en oeuvre d'un système fiscal cohérent est un objectif légitime au sens du droit communautaire (35), en ce sens qu'il peut justifier, dans certains cas précis, des entraves à la libre circulation des personnes et même des mesures discriminatoires.

40 Si les discriminations identifiées dans les arrêts Commission/France («avoir fiscal»), précité, Biehl (36) ou Commerzbank, précité, n'étaient en rien indispensables pour sauvegarder la cohérence du système fiscal en cause, il ressort au contraire de l'arrêt Bachmann, précité, que, pour mettre en oeuvre une politique fiscale consistant à favoriser la constitution de l'épargne privée à des fins de prévoyance, un État membre peut, à bon droit, imposer que la déductibilité des cotisations d'assurance versées sur son territoire soit compensée par l'imposition dans cet État du capital ou des rentes versées en contrepartie. Il peut écarter les non-résidents du bénéfice de cette déductibilité s'il ne peut imposer les rentes qu'ils perçoivent à l'étranger.

41 Appliquons ce test de proportionnalité à notre hypothèse.

42 Le régime de la réserve-vieillesse est-il comparable aux contrats d'assurance vie et aux contrats d'assurance contre la vieillesse évoqués dans l'arrêt Bachmann, précité? Le raisonnement suivi dans cet arrêt est-il transposable ici?

43 La réserve-vieillesse vise à permettre aux travailleurs indépendants de bénéficier d'un régime de retraite comparable à celui dont disposent les travailleurs salariés.

44 La réserve-vieillesse est une alternative à d'autres formes de pension. Ainsi, la dotation maximale d'une réserve-vieillesse pendant une année civile est diminuée du montant de la prime payée en raison d'une participation obligatoire à un fonds de retraite d'entreprise (37).

45 La lecture des travaux préparatoires de la loi de 1972 instituant la réserve-vieillesse montre que celle-ci présente toutefois une particularité extrêmement importante. A la différence des cotisations versées à un fonds de retraite, la part des bénéfices affectée à la réserve-vieillesse reste dans le patrimoine de l'entreprise et peut être utilisée par celle-ci: «... materieel houdt dit in dat de belastingheffing over een deel van de winst wordt uitgesteld, opdat:

- vermogen voor de oudedag kan worden gespaard, en - het aldus gespaarde vermogen kan worden aangewend in de onderneming» (38).

46 Nous voyons là un motif supplémentaire pour l'État membre d'imposer une corrélation entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des pensions. La réserve-vieillesse procure à l'entreprise un avantage exceptionnel que n'offrirait pas un système d'assurance vie ou de rente viagère. Elle permet en effet au travailleur indépendant de constituer pour lui-même une retraite sur les bénéfices de l'entreprise sans pour autant diminuer le patrimoine de celle-ci, tout en prévoyant que les sommes réservées sont déductibles du revenu imposable. Cet avantage doit pouvoir être compensé par une imposition corrélative du capital ou des rentes périodiques versées pendant la retraite de l'entrepreneur.

47 On le sait depuis l'arrêt Bachmann, précité, au nom du principe de cohérence du système fiscal, un État membre est libre de fonder le régime fiscal d'un certain type de pensions sur un principe de corrélation entre la déductibilité des cotisations (accordée pour des raisons sociales ou pour favoriser le financement des entreprises) et l'imposition des pensions (nécessaire pour des raisons budgétaires) (39).

48 Cette cohérence justifie-t-elle une discrimination au détriment des non-résidents?

49 La justification de la discrimination par la cohérence du système fiscal nous paraît devoir être écartée pour la raison suivante: il n'est pas certain que l'État concerné fonde la cohérence de son système fiscal sur le principe de corrélation entre déductibilité des cotisations et imposition des pensions de retraite (et entre déductibilité des sommes «réservées» et imposition des rentes versées au titre de la réserve-vieillesse).

50 En effet:

51 Un État peut fonder la cohérence de son système fiscal sur un principe de corrélation entre déductibilité des cotisations et imposition des pensions. Il peut aussi renoncer à ce principe.

52 Aux termes de l'article 18, paragraphe 1, de la convention type de l'OCDE (40), «sous réserve des dispositions du deuxième paragraphe de l'article 19 (concernant les pensions versées par l'État à ses fonctionnaires), les pensions et autres rémunérations similaires, payées à un résident d'un État contractant au titre d'un emploi antérieur, ne sont imposables que dans cet État».

53 C'est ainsi que, dans la Communauté, les États membres conviennent très généralement, conformément à la convention type de l'OCDE, de rendre le paiement des cotisations déductible et d'imposer les rentes périodiques versées en contrepartie dans l'État de résidence. Par exemple le bénéficiaire d'un contrat d'assurance vieillesse qui cotise aux Pays-Bas et qui passe sa retraite en Belgique sera imposé sur ses pensions de retraite dans ce dernier État et échappera au paiement de l'impôt aux Pays-Bas (41).

54 Par l'effet des conventions contre les doubles impositions qui font partie intégrante du droit fiscal national et qui priment sur les normes fiscales internes, la cohérence se situe alors un autre niveau: l'État impose toutes les pensions perçues par les résidents sur son territoire quel que soit l'État où les cotisations ont été payées. Inversement, il renonce à percevoir l'impôt sur les pensions perçues à l'étranger même si elles ont pour origine et pour contrepartie des cotisations versées sur son territoire et qu'il a considérées comme déductibles (42).

55 Tel est le contenu de la convention contre les doubles impositions applicable au litige pendant devant le juge a quo. Il en résulte un système de pension institué pour les travailleurs indépendants qui n'exige pas, pour que sa cohérence soit assurée, une corrélation rigoureuse entre déductibilité des cotisations et imposition des pensions.

56 Vous pourriez toutefois considérer, ainsi que vous l'avez fait dans l'arrêt Bachmann (43), précité, que les conventions bilatérales doivent être interprétées avec prudence et que l'on ne peut pas déduire de celle en cause un renoncement par l'État d'emploi au principe de corrélation entre déduction des sommes «réservées» et imposition des rentes versées au titre de la réserve-vieillesse.

57 C'est pourquoi nous ferons, à titre subsidiaire, l'observation suivante:

58 Nous ne pensons pas que la cohérence invoquée par le gouvernement néerlandais justifie une discrimination au détriment des non-résidents.

59 La situation qui vous est soumise se distingue de celle qui a donné lieu à l'arrêt Bachmann, précité, sur un point clé:

60 Nous l'avons dit (44), dans cette dernière affaire, l'État belge ne pouvait imposer les rentes ou les prestations versées ni à la source ni auprès de leur bénéficiaire.

61 Ici la situation est tout autre: jusqu'à sa liquidation, la réserve-vieillesse ne quitte jamais le patrimoine de l'entreprise et est ensuite liquidée par celle-ci soit sous forme de capital, soit sous forme de rentes dont le débiteur est l'entreprise elle-même et dont le créancier est le bénéficiaire de la réserve-vieillesse.

62 Certes l'impôt ne peut être prélevé sur ce dernier: il est non-résident.

63 En revanche, il peut être prélevé à la source auprès de l'entreprise qui est - par définition - établie aux Pays-Bas.

64 Dans l'arrêt Bachmann, précité, vous aviez considéré qu'un engagement de l'assureur tabli dans un autre État membre de payer ledit impôt ne saurait constituer une garantie suffisante (45).

65 Ici le débiteur des pensions - l'entreprise - demeure tabli aux Pays-Bas: un engagement de sa part de payer l'impôt sur les pensions constituerait une garantie suffisante.

66 On aurait pu soutenir que le principal obstacle à un tel régime réside dans la convention contre les doubles impositions conclue entre la Belgique et les Pays-Bas qui prévoit l'imposition dans l'État de résidence. Il en résulte qu'il est interdit à l'État d'emploi d'imposer les pensions versées au non-résident.

67 Vous avez déjà jugé dans l'arrêt Commission/France («avoir fiscal»), précité, qu'une convention bilatérale ne saurait justifier ou fonder une violation du droit communautaire:

«... les droits découlant pour les bénéficiaires de l'article 52 du traité sont inconditionnels et un État membre ne saurait faire dépendre leur respect du contenu d'une convention conclue avec un autre État membre» (46).

68 Par conséquent, la réglementation discriminatoire sous examen ne résiste pas au test de proportionnalité défini par l'arrêt Bachmann, précité.

69 Nous concluons, par conséquent, à ce que vous disiez pour droit:

«L'article 52 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application de la réglementation d'un État membre, telle que celle applicable aux Pays-Bas en matière de réserve-vieillesse fiscale, qui octroie un abattement fiscal, ayant pour effet de réduire le revenu imposable des travailleurs indépendants résidents mais en prive les travailleurs indépendants non résidents lorsque ceux-ci perçoivent la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus dans l'État d'emploi.»

(1) - Voir le point 1 de nos conclusions sous l'arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, non encore publié au Recueil).

(2) - Nederlandse wet op de inkomstenbelasting 1964, Staatsblad 519 (ci-après la «loi de 1964»).

(3) - Staatsblad 612.

(4) - Article 44 d, paragraphe 1.

(5) - Aux termes de l'article 3, paragraphe 3, «Le revenu est le revenu brut: a) diminué des montants ajoutés et augmenté des montants déduits de la réserve-vieillesse...»

(6) - Article 44 f, paragraphe 1, sous e).

(7) - Article 48, paragraphe 3, de la loi de 1964.

(8) - Circulaire ministérielle («resolutie») n_ DB 91/481.

(9) - Article 7, paragraphe 1, de la convention du 19 octobre 1970, Tractatenblad, 1970, n_ 192.

(10) - Même si le point de savoir s'il relève de l'article 7 ou de l'article 14 est discuté entre le juge a quo et la Commission (voir le point 18 des observations de celle-ci).

(11) - Point 21 de l'arrêt Schumacker, précité note 1.

(12) - Ibidem, point 24.

(13) - 270/83, Rec. p. 273.

(14) - C-330/91, Rec. p. I-4017.

(15) - C-1/93, Rec. p. I-1137.

(16) - Farmer P. et Lyal R., EC Tax Law, Clarendon Press - Oxford, 1994, p. 331.

(17) - Point 14 de l'arrêt du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779); point 9 de l'arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249); point 14 de l'arrêt Commerzbank, précité, et point 26 de l'arrêt Schumacker, précité note 1.

(18) - Point 28 de l'arrêt Schumacker, précité note 1.

(19) - Précité note 1, points 35 à 38. Voir également les points 37 à 39 des conclusions de l'avocat général M. Darmon sous l'arrêt Commerzbank, précité.

(20) - Points 31 à 33.

(21) - Point 38 de l'arrêt Schumacker, précité.

(22) - Article 48, paragraphe 4, de la loi de 1964.

(23) - Ibidem, paragraphe 3.

(24) - La résolution n_ DB 91/481 - qui permet, rappelons-le, d'assimiler le non-résident au résident quand il perçoit dans l'État d'emploi au moins 90 % de ses revenus - ne s'applique pas à la réserve-vieillesse.

(25) - Précité note 17.

(26) - C-300/90, Rec. p. I-305.

(27) - Voir nos conclusions sous l'arrêt Schumacker, précité, points 47 et 48. Voir également Fosselard, D.: «L'obstacle fiscal à la réalisation du marché intérieur», Cahiers de droit européen, 1993, p. 472, 482; Farmer P. et Lyal R., op. cit.: «The judgment in Bachmann indicates that covertly discriminatory tax rules can sometimes be justified by imperative requirements», p. 330.

(28) - Point 9 de l'arrêt Bachmann, précité, et point 7 de l'arrêt Commission/Belgique, précité.

(29) - Points 21 à 23 de l'arrêt Bachmann, précité, et points 14 à 16 de l'arrêt Commission/Belgique, précité.

(30) - Article 32 bis du code de l'impôt sur le revenu belge.

(31) - Point 23 de l'arrêt Bachmann, précité.

(32) - Voir les points 24 à 27 de l'arrêt Bachmann, précité; les points 17 à 20 de l'arrêt Commission/Belgique, précité, et le point 21 de l'arrêt Schumacker, précité.

(33) - Farmer et Lyal, op. cit., p. 333; Roth W.-H., CMLR, 1993, p. 387, 395; Hinnekens L. et Schelpe D., (1992) 1 EC Tax Review, p. 58.

(34) - Voir le point 23 de l'arrêt Bachmann, précité, et le point 16 de l'arrêt Commission/Belgique, précité.

(35) - «... the `Bachmann' cases are no more than a recognition by the Court that Member States, in devising a coherent national tax regime, pursue a goal which is justified under Community law» (Wouters, J.: «The Case-Law of the European Court of Justice on Direct Taxes: Variations upon a Theme», Maastricht Journal of European and Comparative Law, volume 1, n_ 2, 1994, p. 179, 203).

(36) - Précité note 17.

(37) - Voir les observations de la Commission, point 13.

(38) - Voir Memorie van Toelichting, n_ 3, Zitting 1971-1972, 11818.

(39) - Voir Wouters J., op. cit., p. 203.

(40) - Modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune, rapport du comité des affaires fiscales de l'OCDE, 1977.

(41) - Par application de l'article 18 de la convention du 19 octobre 1970 entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et à régler certaines autres questions en matière fiscale (Moniteur belge du 25.9.1971, code Larcier, tome IV, 1990, p. 704) qui reprend mot pour mot l'article 18, paragraphe 1, de la convention type de l'OCDE. Voir également l'article 22 de la convention bilatérale belgo-néerlandaise: «Les éléments du revenu d'un résident de l'un des États, auxquels les articles précédents de la présente convention ne s'appliquent pas, ne sont imposables que dans cet État.»

(42) - Sur ce point, voir Hinnekens L. et Schelpe D., op. cit., p. 62.

(43) - Point 26.

(44) - Voir ci-dessus, point 35.

(45) - Point 24.

(46) - Point 26, souligné par nous.