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Avis juridique important

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61995C0018

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 30 avril 1998. - F.C. Terhoeve contre Inspecteur van de Belastingdienst Particulieren/Ondernemingen buitenland. - Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof 's-Hertogenbosch - Pays-Bas. - Libre circulation des travailleurs - Imposition combinée comprenant l'impôt sur le revenu et les cotisations d'assurances sociales - Non-application aux travailleurs qui transfèrent leur résidence d'un État membre à l'autre d'un plafond de cotisations sociales applicable aux travailleurs n'ayant pas exercé leur droit de libre circulation - Compensation éventuelle par des avantages en matière d'impôt sur le revenu - Incompatibilité éventuelle avec le droit communautaire - Conséquences. - Affaire C-18/95.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-00345


Conclusions de l'avocat général


1 Les questions préjudicielles sur lesquelles la Cour de justice a été invitée à se prononcer dans cette affaire lui ont été posées par le Gerechtshof de Bois-Le-Duc aux Pays-Bas (ci-après le «Gerechtshof»). Ces questions se sont posées dans le cadre d'un recours en appel que M. Terhoeve a interjeté contre une décision du chef de l'unité particuliers/entreprises (section «Étranger») du Rijksbelastingdienst (service des contributions), décision relative à l'imposition combinée comprenant l'impôt sur le revenu et les cotisations au régime général des assurances sociales dont le requérant avait fait l'objet pour la période de l'exercice 1990 au cours de laquelle il avait la qualité de contribuable non-résident aux Pays-Bas.

I - Les faits du litige au principal

2 Comme on peut le lire dans les pièces du dossier, M. Terhoeve, partie requérante au principal, est un citoyen néerlandais, qui, entre le 1er janvier et le 6 novembre 1990, a résidé et travaillé au Royaume-Uni parce que son employeur, qui est établi aux Pays-Bas, l'y avait envoyé. A partir du 7 novembre de la même année et jusqu'à la fin de celle-ci, il a résidé et travaillé aux Pays-Bas.

3 Conformément à la convention bilatérale que ces États membres ont conclue afin d'éviter la double imposition, les revenus que M. Terhoeve a obtenus pour son travail au Royaume-Uni n'étaient pas soumis à l'impôt sur le revenu aux Pays-Bas. Néanmoins, ces revenus ont été pris en compte lorsqu'il s'est agi de déterminer la base imposable à utiliser pour calculer le montant des cotisations au régime général des assurances sociales qu'il devait acquitter pour la période au cours de laquelle il avait travaillé au Royaume-Uni, période pendant laquelle il avait continué à être assujetti à la législation de la sécurité sociale des Pays-Bas.

Pendant qu'il travaillait à l'étranger, il avait aux Pays-Bas la qualité de contribuable non-résident. C'est pourquoi les revenus qu'il y percevait demeuraient soumis à l'impôt dans cet État membre. A partir du 7 novembre 1990, il a retrouvé la qualité de contribuable résident aux Pays-Bas.

4 Conformément à l'article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans la version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (1) (ci-après, le «règlement n_ 1408/71»), M. Terhoeve est resté, pendant tout l'exercice 1990, obligatoirement soumis à la législation néerlandaise de la sécurité sociale bien qu'il eût travaillé au Royaume-Uni durant la majeure partie de cette période.

5 Le 29 avril 1992, M. Terhoeve s'est vu adresser aux Pays-Bas un avis d'imposition combinée comprenant l'impôt sur le revenu et les cotisations au régime général des assurances sociales pour la période comprise entre le 7 novembre et le 31 décembre 1990, période pendant laquelle il avait possédé la qualité de contribuable résident. Les revenus imposables qu'il avait obtenus au cours de cette période s'élevaient à 15 658 HFL, dont il faut déduire une réduction de 9 136 HFL qui lui était applicable à l'époque, le solde donnant une base imposable de 6 522 HFL.

Après application à celle-ci d'un taux d'imposition de 13 % pour l'impôt sur le revenu et d'un taux de 22,1 % pour ses cotisations au régime général des assurances sociales, l'administration lui réclamait un montant global de 2 288 HFL résultant de la somme de 847 HFL au titre de l'impôt sur le revenu et de 1 441 HFL au titre des cotisations sociales. Dans son ordonnance de renvoi, le Gerechtshof signale que M. Terhoeve avait, dans un premier temps, introduit une réclamation contre cet avis d'imposition, mais qu'il l'avait retirée ensuite, de sorte que cet avis était devenu définitif.

6 Le litige qui est pendant devant le Gerechtshof trouve son origine dans l'avis d'imposition combinée comprenant l'impôt sur le revenu et les cotisations au régime général des assurances sociales que l'administration des impôts a adressé à M. Terhoeve le 30 juin 1992 pour la période du 1er janvier au 6 novembre 1990, période durant laquelle il avait la qualité de contribuable non-résident.

7 L'impôt sur le revenu réclamé à M. Terhoeve avait été calculé sur une base imposable de 16 201 HFL représentant exclusivement les revenus qu'il avait obtenus aux Pays-Bas durant la période en cause, à savoir les revenus de son travail personnel et les revenus de son capital immobilier.

En revanche, pour liquider ses cotisations au régime général des assurances sociales, l'administration avait pris en compte, en plus de ces revenus, les salaires que M. Terhoeve avait perçus au Royaume-Uni. Elle était ainsi arrivée à une base imposable, à ce titre, de 98 201 HFL. Étant donné que le taux de cotisation de 22,1 % s'applique uniquement à la première tranche de revenus, laquelle s'élevait à 42 123 HFL pour cette période, le montant que l'administration réclamait à ce titre s'élevait à 9 309 HFL, montant qui, pour l'exercice 1990, était le plafond de cotisation.

8 Il résulte des observations qui ont été présentées en l'espèce que l'existence d'un plafond de cotisation dans le régime général des assurances sociales s'explique par le fait que le montant des prestations que les organismes de gestion de la sécurité sociale peuvent être amenés à verser est indépendant des cotisations acquittées par l'intéressé. En fixant un tel plafond, le législateur néerlandais a voulu éviter qu'une personne qui perçoit des revenus très élevés se voie obligée de payer de cotisations considérables calculées en pourcentage de ses revenus globaux sans pouvoir bénéficier, en contrepartie, de prestations proportionnelles à ces cotisations.

9 Les parties litigantes au principal sont divisées sur la manière de calculer les cotisations sociales pour la période du 1er janvier au 6 novembre 1990. Le juge national est appelé, en premier lieu, à trancher la question de savoir si, en considérant les revenus issus de l'exercice d'une activité salariée au Royaume-Uni comme des revenus au titre desquels des cotisations devaient être versées pour cette période, l'administration fiscale avait agi d'une manière conforme au droit. S'il répond affirmativement à cette première question, il devra ensuite décider si le taux de 22,1 % doit être appliqué au montant de 42 123 HFL, ce qui signifierait que M. Terhoeve devrait payer le plafond de cotisation, c'est-à-dire 9 309 HFL, ou bien si, comme le veut la thèse défendue par l'intéressé, cette quantité doit être réduite en proportion du nombre de jours de l'exercice 1990 sur lesquels porte l'avis d'imposition.

10 M. Terhoeve fait valoir que, pour l'exercice 1990, il n'a pas perçu la totalité ni même la quasi-totalité de ses revenus aux Pays-Bas et il considère qu'il est victime d'une discrimination indirecte fondée sur sa nationalité, discrimination prohibée par l'article 48 du traité CE. Dans la requête qu'il a présentée en appel, il demande que l'avis d'imposition querellé soit annulé et que la base imposable qui a été utilisée pour le calcul de ses cotisations sociales soit réduite à 16 201 HFL, montant qui correspond aux revenus qu'il a acquis aux Pays-Bas au cours de la période en cause ou, à titre subsidiaire, qu'elle soit réduite à 35 804 HFL, montant qui résulte de la réduction proportionnelle de la base imposable maximum, qui s'élevait cette année-là à 42 123 HFL, en fonction du nombre de jours de l'exercice 1990 sur lequel porte l'avis d'imposition, à savoir le nombre de jours compris entre le 1er janvier et le 6 novembre.

II - La législation nationale

11 Dans son ordonnance de renvoi, le Gerechtshof expose qu'en 1990, le système de perception de l'impôt sur les revenus et des cotisations du régime général des assurances sociales a été radicalement modifié dans le but de le simplifier. A partir de cette année-là, aussi bien l'impôt sur le revenu que les cotisations sociales sont perçus conjointement sur la base d'une liquidation combinée. En règle générale, la base d'imposition sur laquelle les cotisations sont calculées coïncide avec celle de l'impôt sur le revenu, le recouvrement des unes et le recouvrement de l'autre étant étroitement liés puisque les cotisations ne sont perçues que sur la première tranche des revenus qui servent de base à l'impôt sur le revenu.

12 L'article 62 de la Wet op de inkomstenbelasting (loi relative à l'impôt sur le revenu) dispose que, lorsqu'un contribuable a possédé successivement la qualité de contribuable résident et de contribuable non-résident au cours d'une année civile, il fait l'objet de deux liquidations fiscales distinctes au titre de cet impôt, la première portant sur la totalité des revenus qu'il a obtenus pendant qu'il était contribuable résident et l'autre sur les revenus qu'il a acquis aux Pays-Bas au cours de la période pendant laquelle il a été contribuable non-résident. Si, pendant toute cette année, le contribuable est demeuré soumis à la législation de la sécurité sociale des Pays-Bas, il fait également l'objet de deux liquidations distinctes pour ses cotisations au régime général des assurances sociales. La loi ne prévoit aucune réduction, au prorata de la période d'imposition, de la première tranche des revenus sur lesquels porte l'impôt sur le revenu, première tranche qui est la base imposable sur laquelle les cotisations sociales sont calculées.

13 Le recouvrement des cotisations au régime général des assurances sociales est régi par la Wet financiering volksverzekeringen (loi sur le financement du régime général des assurances sociales). Conformément aux dispositions de l'article 8 de cette loi, les revenus au titre desquels des cotisations doivent être acquittées coïncident avec l'ensemble des revenus imposables ou, le cas échéant, avec les revenus imposables obtenus aux Pays-Bas. Cet article n'énonce aucune règle concernant le recouvrement des cotisations sociales dans l'hypothèse où une personne affiliée à une assurance obligatoire perçoit des revenus qui ne sont pas imposables aux Pays-Bas. Néanmoins, l'article 6 de l'Uitvoeringsregeling premieheffing volksverzekeringen de 1990, qui est l'arrêté d'exécution de cette loi, élargit la notion de revenus au titre desquels des cotisations doivent être acquittées en ce qu'il dispose que la personne assurée en raison d'activités dont les revenus ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu sera considérée, aux fins du recouvrement des cotisations, comme étant soumise à l'impôt sur le revenu au titre de ces revenus également. Les revenus nets que ces personnes tirent d'activités au titre desquelles elles sont assurées sont ajoutés, pour le calcul des cotisations, aux revenus d'origine interne qui sont soumis à l'impôt sur le revenu.

14 Dans la pratique, cette réglementation a pour conséquence que toute personne qui, au cours d'une année civile, a été soumise à l'impôt sur le revenu aux Pays-Bas, successivement en qualité de contribuable résident et de contribuable non-résident, ou vice versa, fait l'objet de deux liquidations combinées. Pour les contribuables qui demeurent assurés au titre du régime général des assurances sociales au cours de toute l'année, chacune de ces deux liquidations se fera sur le pied de la base d'imposition maximum sur laquelle les cotisations sont calculées. En fonction des circonstances propres à chaque cas d'espèce, ce régime peut avoir pour conséquence que le montant total que le contribuable est tenu de payer à titre de cotisations sociales excède le montant maximum que l'on obtiendrait si l'on appliquait le pourcentage de cotisation à la première tranche de revenus. L'exemple de M. Terhoeve illustre bien ces effets pervers: pour l'exercice 1990, il doit verser, à titre de cotisations pour la période au cours de laquelle il était contribuable non-résident, la somme de 9 309 HFL, montant qui représente le plafond que pouvaient atteindre les cotisations d'une année entière et qui résulte de l'application du taux de 22,1 % à la première tranche des revenus, qui, pour cette année-là, avait été fixée à 42 123 HFL, et, pour la période au cours de laquelle il avait la qualité de contribuable résident, il doit verser des cotisations pour une somme additionnelle de 1 441 HFL. Or, si M. Terhoeve avait, pendant toute cette année-là, possédé la qualité de contribuable résident soumis à ce même régime de sécurité sociale néerlandais, le montant maximum qu'il aurait dû verser à titre de cotisations aurait été ce même plafond de 9 309 HFL. Il est vrai que cet inconvénient peut être compensé, selon les circonstances, par le fait que les revenus afférents à chaque période sont soumis séparément à l'impôt sur le revenu, ce qui peut avoir pour résultat qu'ils sont soumis à des taux d'imposition moins élevés.

III - Les questions préjudicielles

15 Afin de pouvoir résoudre le litige dont il a été saisi, le Gerechtshof a soumis les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1) Les dispositions du droit communautaire en matière de libre circulation des travailleurs s'appliquent-elles à une personne qui possède la nationalité d'un État membre, transfère en cours d'année sa résidence d'un autre État membre dans celui dont elle est ressortissante et exerce pendant cette année une activité salariée successivement dans chacun de ces États membres, et dont le revenu n'a par ailleurs pas été acquis pendant cette année en grande partie dans un seul des deux États membres?

2) a) Résulte-t-il des règles du droit communautaire, et en particulier des articles 7 et 48, paragraphe 2, du traité CEE et de l'article 7, paragraphe 2, du règlement 1612/68 [(2)], que, lorsqu'on applique une législation qui défavorise les émigrants et les immigrants en ce qui concerne les cotisations d'assurances sociales, il faut présumer que ce traitement plus défavorable affecte principalement des ressortissants d'autres États?

b) En cas de réponse affirmative à la question sous a), s'agit-il alors d'une présomption réfragable ou irréfragable?

c) S'il s'agit d'une présomption réfragable, les possibilités de renversement de cette présomption sont-elles régies uniquement par les règles de procédure nationales, et en particulier par les règles de droit de la preuve de l'État membre concerné, ou le droit communautaire soumet-il également un tel renversement à des conditions?

d) Si le droit communautaire soumet le renversement de cette présomption à des conditions, quelle est alors la portée qui revient dans la présente affaire aux circonstances suivantes:

- l'administration défenderesse a affirmé que la catégorie - beaucoup plus large - des contribuables résidant à l'étranger était composée, pour près de la moitié, de ressortissants de son propre État, sans verser au dossier de la procédure les données sur lesquelles cette affirmation repose;

- l'intéressé, qui a invoqué une discrimination indirecte selon la nationalité, n'a pas contredit l'exactitude de cette affirmation de l'administration; et

- l'administration défenderesse est sensiblement mieux à même que l'intéressé de rassembler des données susceptibles de renverser éventuellement la présomption en question?

3) Existe-t-il une règle de droit communautaire qui, indépendamment de la question de l'existence d'une discrimination (indirecte) selon la nationalité, s'oppose à ce qu'un État membre impose, pendant l'année du transfert de résidence, à un travailleur qui, au cours d'une année civile, transfère sa résidence de cet État membre dans un autre ou inversement, une charge de cotisations d'assurances sociales plus lourde qu'à un travailleur qui, dans des circonstances par ailleurs identiques, conserve pendant toute cette année sa résidence dans un seul État membre?

4) Si une charge de cotisations plus lourde, au sens de la question précédente, est en principe contraire à l'article 7 ou à l'article 48, paragraphe 2, du traité CEE, ou à toute autre règle de droit communautaire, cette mesure peut-elle alors être justifiée par une ou plusieurs des circonstances suivantes, examinées séparément ou de manière combinée:

- la mesure résulte d'une législation qui, dans un but de simplification de la perception, vise à faire coïncider à un haut degré, même si ce n'est pas de manière complète, la perception de l'impôt sur les revenus et des cotisations au régime général des assurances sociales;

- les solutions qui, tout en conservant ce lien, s'opposent à cette charge de cotisations plus lourde, donnent lieu à des problèmes de technique d'exécution ou à une possibilité de compensation excessive;

- dans certaines situations, même si ce n'est pas le cas en l'espèce, la pression conjointe de l'impôt sur les revenus et des cotisations au régime général des assurances sociales est moins élevée pour les immigrants et les émigrants pendant l'année du transfert de résidence que pour des personnes qui, dans des circonstances par ailleurs identiques, conservent toute l'année la même résidence?

5) a) Si une charge de cotisations plus lourde, au sens de la question 3, est contraire à l'article 7 ou à l'article 48, paragraphe 2, du traité CEE, ou à toute autre règle de droit communautaire, faut-il alors, pour apprécier si, dans un cas concret, on est effectivement en présence d'une charge plus lourde, tenir compte uniquement des revenus du travail, ou également d'autres revenus de l'intéressé, tels que des revenus immobiliers?

b) Si les revenus autres que la rémunération du travail doivent être laissés de côté, comment faut-il alors calculer si, et dans quelle mesure, les cotisations sur les revenus du travail entraînent un désavantage pour le travailleur migrant concerné?

6) a) S'il y a dans le cas présent une violation d'une règle de droit communautaire, la juridiction nationale est-elle alors tenue d'éliminer cette violation, même si cela nécessite un choix entre différentes options présentant chacune des avantages et des inconvénients?

b) Si la juridiction nationale élimine dans ce cas effectivement une violation du droit communautaire, ce dernier donne-t-il alors des indications quant au choix qu'elle doit faire à cet effet entre les différentes solutions concevables?»

IV - La législation communautaire

16 L'article 7 du traité CEE, qui est devenu l'article 6 du traité CE (3), dispose, dans son premier alinéa, que:

«Dans le domaine d'application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

L'article 48, paragraphe 2, du traité dispose que:

«2. [La libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté] implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.»

17 Le titre II du règlement n_ 1408/71 contient un système complet de règles de conflit permettant de déterminer la législation applicable aux personnes relevant de son champ d'application. Conformément à l'article 13 du règlement:

«1. Sous réserve de l'article 14 quater, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2. Sous réserve des articles 14 à 17:

a) La personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre;

...»

L'article 14 du règlement, qui énonce les règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée, dispose, en ce qui concerne cette affaire, que:

«La règle énoncée à l'article 13, paragraphe 2, sous a), est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes:

1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre au service d'une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d'un autre État membre afin d'y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n'excède pas douze mois et qu'elle ne soit pas envoyée en remplacement d'une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement;

b) si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient à excéder douze mois, la législation du premier État membre demeure applicable jusqu'à l'achèvement de ce travail, à condition que l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel l'intéressé est détaché ou l'organisme désigné par cette autorité ait donné son accord; cet accord doit être sollicité avant la fin de la période initiale de douze mois. Toutefois, cet accord ne peut être donné pour une période excédant douze mois;

...»

18 Par ailleurs, l'article 7 du règlement n_ 1612/68 dispose que:

«1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

...»

V - Examen des questions préjudicielles

19 Ont présenté des observations écrites la partie requérante au principal, le gouvernement néerlandais et la Commission. L'administration défenderesse au principal a fait savoir à la Cour qu'elle renonçait à présenter des observations et qu'elle faisait siennes les observations présentées par son gouvernement. Ont comparu à l'audience, le 17 mars 1998, les représentants de la partie requérante au principal, du gouvernement néerlandais et de la Commission.

Sur la première question

20 Je déduis de l'exposé des motifs de l'ordonnance de renvoi que la première question a pour objet d'amener la Cour à préciser au Gerechtshof si un travailleur peut opposer les dispositions du droit communautaire relatives à la libre circulation à l'État membre dont il est le ressortissant lorsque l'entreprise qui l'emploie, et qui est établie dans cet État membre, l'a envoyé en mission dans un autre État membre pour une période inférieure à un an. Le Gerechtshof ajoute que les revenus que ce travailleur a acquis au cours de la période considérée ne l'ont pas été en majeure partie dans un seul de ces deux États membres.

21 Le requérant au principal affirme que les citoyens d'un État membre peuvent opposer les dispositions du droit communautaire à leur propre État lorsqu'ils exercent ou ont exercé des activités économiques dans un autre État membre. Tel est précisément son cas dès lors que, citoyen néerlandais, il a résidé et travaillé au Royaume-Uni.

22 Le gouvernement néerlandais propose de répondre affirmativement à la première question, ajoutant que la remarque par laquelle le juge de renvoi a précisé qu'en 1990, l'intéressé n'avait pas acquis la majeure partie de ses revenus dans un des deux États membres concernés est dénuée de pertinence à l'égard de la réponse à donner à cette question.

23 La Commission estime qu'une situation telle que celle de M. Terhoeve présente des points de rattachement suffisants avec le droit communautaire. Lorsqu'il s'est transporté sur le territoire du Royaume-Uni pour y résider et y travailler, l'intéressé a exercé son droit de libre circulation et cela même suffit à différencier sa situation de celle d'autres ressortissants communautaires qui n'ont jamais fait usage de ce droit.

24 Je partage le point de vue de la Commission. La Cour a d'ailleurs reconnu dans de nombreux arrêts que le ressortissant d'un État membre qui avait exercé une des libertés que lui confère le traité pouvait se prévaloir des dispositions du droit communautaire à l'encontre de son propre État. C'est ainsi que dans l'arrêt Knoors (4), qui portait sur la situation d'un citoyen néerlandais qui souhaitait s'établir aux Pays-Bas en se prévalant de la qualification professionnelle qu'il avait acquise en Belgique, la Cour a déjà déclaré que, s'il est vrai que les dispositions du traité en matière d'établissement et de prestations de services ne sauraient être appliquées à des situations purement internes à un État membre, il n'en reste pas moins que la référence que l'article 52 fait aux «ressortissants d'un État membre» désireux de s'établir «dans le territoire d'un autre État membre» ne saurait être interprétée de manière à exclure du bénéfice du droit communautaire les propres ressortissants d'un État membre déterminé lorsque ceux-ci, par le fait d'avoir résidé régulièrement sur le territoire d'un autre État membre et d'y avoir acquis une qualification professionnelle reconnue par les dispositions du droit communautaire, se trouvent, à l'égard de leur État d'origine, dans une situation assimilable à celle de tous les autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité.

La Cour a confirmé ce point de vue dans l'arrêt Bouchoucha (5); elle l'a répété dans l'arrêt Kraus (6), dans lequel elle a ajouté qu'il y avait lieu de tenir le même raisonnement à propos de l'article 48 du traité; elle l'a repris dans l'arrêt Scholz (7), dans lequel elle a confirmé que tout ressortissant communautaire, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un autre État membre, relève du champ d'application de l'article 48 du traité. Dans l'arrêt Asscher (8), enfin, la Cour a dit pour droit que cette jurisprudence est applicable à un ressortissant d'un État membre qui exerce une activité non salariée dans un autre État membre, dans lequel il réside, de sorte qu'il peut opposer l'article 52 du traité à son État membre d'origine, sur le territoire duquel il exerce une autre activité non salariée.

25 La Cour a statué dans le même sens dans son arrêt Broekmeulen (9), déclarant que la libre circulation des personnes, la liberté d'établissement et la libre prestation des services, libertés fondamentales dans le système de la Communauté, qui sont garanties par l'article 3, sous c), et par les articles 48, 52 et 59 du traité, ne seraient pas pleinement réalisées si les États membres pouvaient refuser le bénéfice des dispositions du droit communautaire à ceux de leurs ressortissants qui ont fait usage des facilités existant en matière de circulation et d'établissement.

26 La situation de M. Terhoeve est totalement différente de celle de M. Werner, citoyen allemand, qui avait obtenu tous ses diplômes et sa qualification professionnelle en Allemagne, pays où il avait toujours travaillé. Dans le cas de M. Werner, le seul élément d'extranéité résultait de sa résidence aux Pays-Bas, raison pour laquelle la Cour a dit pour droit qu'il s'agissait d'une situation purement interne à laquelle l'article 52 du traité ne s'appliquait pas (10). Dans la présente affaire, en revanche, M. Terhoeve, qui possède la nationalité néerlandaise, a exercé le droit à la libre circulation que lui reconnaît le traité dès l'instant où il s'est transporté au Royaume-Uni pour y travailler, entre le 1er janvier et le 6 novembre 1990, pour le compte de son entreprise, établie aux Pays-Bas, pays où il est ensuite retourné pour continuer à y exercer une activité salariée.

27 C'est pourquoi je considère que M. Terhoeve peut se prévaloir des dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs à l'encontre de son État d'origine, le fait qu'il ait ou non acquis la majeure partie de ses revenus dans un seul de ces deux États membres au cours de la période considérée étant dépourvu de pertinence à cet égard.

Sur la deuxième question

28 Par cette question, le juge national cherche à savoir, en substance, si la législation néerlandaise controversée produit une discrimination indirecte fondée sur la nationalité du fait qu'elle affecte principalement des ressortissants d'autres États membres. Cette législation prévoit qu'un travailleur qui se trouve dans la situation qui était celle de M. Terhoeve en 1990 fera l'objet d'une liquidation combinée au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations au régime général des assurances sociales pour la période pendant laquelle il avait la qualité de contribuable résident et d'une autre liquidation combinée, aux mêmes titres, pour la période au cours de laquelle il était contribuable non-résident, système qui peut avoir pour effet que le montant des cotisations qu'il devra acquitter pour cette année-là sera supérieur au plafond des cotisations qu'il aurait dû verser s'il avait eu la qualité de contribuable résident pendant toute cette année.

29 Le requérant au principal soutient que cette législation, qui s'applique indépendamment de la nationalité mais qui établit une distinction en fonction de la résidence, est discriminatoire. Il affirme que l'obligation de verser, pour toute une année, au titre des cotisations au régime général des assurances sociales, un montant supérieur au plafond annuel lui est imposée du fait de son changement de domicile, lequel entraîne une modification de son statut fiscal puisqu'il cesse d'être contribuable résident et devient contribuable non-résident, ou vice versa. Ce changement ne devrait avoir aucune incidence sur les cotisations puisque, pendant toute l'année, il a été obligatoirement affilié au régime général des assurances sociales néerlandaises. Malgré cela, pour avoir été contribuable résident et non-résident au cours de la même année, pour laquelle il a dû verser 1 441 HFL et 9 309 HFL à titre de cotisations, il s'est vu réserver un traitement moins avantageux qu'un contribuable qui aurait conservé la qualité de résident pendant toute l'année puisque le maximum que l'on pourrait exiger de celui-ci serait de 9 309 HFL, montant qui était le plafond de cotisation pour l'exercice 1990.

Selon lui, la législation controversée s'applique principalement aux travailleurs migrants, catégorie qui se compose en majorité de ressortissants d'autres États membres, et ce sont ces mêmes travailleurs migrants qui devront verser au régime général des assurances sociales des cotisations supérieures au plafond annuel.

30 Le gouvernement néerlandais expose que les travailleurs migrants ne font l'objet d'un traitement défavorable que lorsque certaines circonstances déterminées sont réunies et que le recouvrement des cotisations au régime général des assurances sociales doit être examiné dans son contexte. Pour cela, il faut tenir compte conjointement du recouvrement de l'impôt sur le revenu et du recouvrement des cotisations. Contrairement à ce qui se passe avec les cotisations au régime des assurances sociales des travailleurs salariés, les cotisations au régime général des assurances sociales sont basées sur le principe de solidarité et présentent certaines similitudes avec les impôts. C'est ainsi qu'elles sont perçues conjointement avec l'impôt sur le revenu et que la base d'imposition est la même dans les deux cas; celle-ci ne se limite pas aux salaires ou traitements, mais comprend tous les types de revenus.

Le gouvernement néerlandais observe ensuite que ce qui est en jeu en l'espèce, c'est la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal, dont font partie les dispositions qui régissent le recouvrement des fonds destinés au régime général des assurances sociales. Il ajoute qu'en fonction de nombreuses circonstances individuelles, le système peut avoir des conséquences favorables ou défavorables. Par exemple, il s'avérera favorable lorsque la progressivité de l'impôt sur le revenu se trouvera atténuée du fait que deux liquidations ont été opérées en un an. Le gouvernement conclut en affirmant que rien ne démontre, et il s'en faut de beaucoup, que les inconvénients de ce système de recouvrement affectent principalement les ressortissants d'autres États membres et qu'en réalité les personnes touchées sont en majorité des citoyens néerlandais.

31 La Commission estime que la législation néerlandaise controversée ne crée aucune discrimination en raison de la nationalité.

32 Je puis, quant à moi, déclarer d'emblée que je suis d'accord avec la Commission lorsqu'elle affirme que la législation néerlandaise litigieuse ne produit aucune discrimination indirecte en raison de la nationalité.

33 Je voudrais rappeler à titre préliminaire que, conformément à la jurisprudence réitérée de la Cour, l'article 6 du traité, qui institue le principe général interdisant toute discrimination exercée en raison de la nationalité, n'est destiné à s'appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit aucune règle spécifique de non-discrimination (11). Or, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, le principe de l'égalité de traitement a été appliqué et précisé par le paragraphe 2 de l'article 48 du traité, qui prévoit l'abolition de toute discrimination en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

Il n'est dès lors pas nécessaire, en l'espèce, de s'en remettre à l'article 6 du traité pour répondre aux questions préjudicielles que le Gerechtshof a posées.

34 Selon moi, il n'est pas davantage nécessaire d'avoir recours à l'article 7, paragraphe 2, du règlement n_ 1612/68, auquel la juridiction de renvoi s'est également référée. En effet, cette disposition fait aux États membres l'obligation d'accorder aux travailleurs ressortissants d'autres États membres les mêmes avantages sociaux et fiscaux que ceux qu'ils accordent à leurs propres ressortissants. La discussion qui est au centre de la présente affaire porte cependant sur le montant que M. Terhoeve doit payer au titre des cotisations au régime général des assurances sociales des Pays-Bas. S'il est vrai que ce montant est calculé sur la première tranche de la base d'imposition qui est retenue aux fins de l'impôt sur le revenu, ce montant n'en cesse pas pour autant d'être une cotisation à un régime de sécurité sociale d'un des États membres. C'est pourquoi, dans l'hypothèse où, pour répondre aux questions du Gerechtshof, il faudrait recourir à une disposition autre que l'article 48 du traité, je pense qu'il serait plus pertinent de se fonder sur l'article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71, qui formule le principe fondamental de la non-discrimination en matière de sécurité sociale.

35 Ainsi qu'il résulte également de la jurisprudence de la Cour, les règles d'égalité de traitement du traité prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat. Il n'est donc pas exclu que des critères tels que le lieu d'origine ou le domicile d'un travailleur puissent, selon les circonstances, constituer, dans leur effet pratique, l'équivalent d'une discrimination de nationalité prohibée par le traité (12).

36 Dans les affaires dans lesquelles la Cour s'est prononcée sur l'existence d'une discrimination indirecte exercée en raison de la nationalité, c'est souvent le critère de la résidence qui a été à l'origine d'une discrimination, dès lors qu'il s'agit d'une condition que les ressortissants nationaux remplissent normalement avec plus de facilité que les travailleurs migrants ressortissants d'autres États membres (13). C'est ce même critère qui sous-tend les réflexions que le juge national fait dans son ordonnance de renvoi et dans les observations que le requérant au principal a présentées sur cette question.

37 J'observe néanmoins que, pour que l'application de la législation néerlandaise controversée porte préjudice à un travailleur qui a fait usage de son droit à la libre circulation, il faut que deux conditions soient remplies, à savoir que ce travailleur ait, au cours d'une même année civile, possédé la qualité de contribuable résident et qu'ensuite il ait été contribuable non-résident aux Pays-Bas, ou vice versa, et que, last but not least, il soit demeuré soumis au régime général des assurances sociales aux Pays-Bas bien que travaillant et résidant dans un autre État membre.

38 La règle générale qui permet de déterminer la législation de sécurité sociale applicable à un travailleur migrant est énoncée à l'article 13, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 1408/71. Aux termes de celui-ci, le travailleur qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumis à la législation de cet État, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre.

39 Conformément à cette règle générale, le travailleur migrant est soumis à la législation de la sécurité sociale de l'État membre dans lequel il travaille. J'en déduis que les ressortissants d'autres États membres qui travaillent aux Pays-Bas pendant une partie de l'année et qui vont ensuite travailler dans un autre État membre n'auront à subir aucun préjudice du fait de l'application de la législation controversée puisqu'ils cesseront d'être soumis à la législation de la sécurité sociale néerlandaise dès l'instant où ils commenceront à travailler dans cet autre État membre et ne devront verser des cotisations que pour la période pendant laquelle ils auront été soumis à cette législation. Il en ira de même des travailleurs qui viendront travailler aux Pays-Bas après avoir travaillé une partie de l'année dans un autre État membre. Ce sont là les cas les plus typiques de travailleurs migrants, qui seront, en majorité, des ressortissants d'autres États membres.

40 L'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 prévoit expressément une exception à cette règle générale pour la situation du ressortissant d'un État membre qui est détaché par son entreprise dans les conditions dans lesquelles M. Terhoeve l'a été. Il résulte du troisième considérant de la décision n_ 162 de la Commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (14) que cette exception vise «... à éviter, tant aux travailleurs qu'aux employeurs et aux institutions de sécurité sociale, les complications administratives qui résulteraient de l'application de la règle générale posée par l'article 13, paragraphe 2, sous a) ou c), dudit règlement lorsqu'il s'agit de périodes d'occupation de courte durée dans un État membre ... autre que celui où l'entreprise a son siège ou un établissement».

41 Selon moi, les travailleurs migrants qui pourront se trouver lésés par l'application de la législation néerlandaise controversée seront en majorité des travailleurs salariés employés sur le territoire des Pays-Bas par une entreprise établie dans cet État et qui sont détachés par celle-ci pour une mission à durée limitée et relativement brève sur le territoire d'un autre État membre.

En pareille hypothèse, ces travailleurs détachés demeureront, conformément à l'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71, soumis à la législation de la sécurité sociale néerlandaise durant la période au cours de laquelle ils travaillent dans un autre État membre, ce qui aura pour conséquence qu'en application de la législation qui est en vigueur depuis 1990, ils feront l'objet de deux liquidations conjointes au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations au régime général des assurances sociales et qu'ils pourront se trouver contraints, comme l'a été M. Terhoeve, de payer des cotisations dont le montant dépasse le plafond auquel ils auraient été soumis au même titre s'ils n'avaient pas fait usage de leur droit à la libre circulation.

42 J'ai le pressentiment qu'en règle générale ce seront des travailleurs de nationalité néerlandaise qui se trouveront dans une telle situation. Quoiqu'il en soit, rien ne permet de penser qu'il s'agit en l'espèce d'une disposition de droit national susceptible de porter préjudice, fût-ce de manière potentielle, principalement à des travailleurs ressortissants d'autres États membres. C'est pourquoi on ne peut prétendre qu'elle institue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

43 Un État membre peut-il cependant obliger un travailleur qui se trouve dans la situation de M. Terhoeve à verser des cotisations à son régime de sécurité sociale dont le montant excède le plafond auquel il aurait été soumis si, au cours de la période considérée, il n'avait pas fait usage de son droit à la libre circulation? Tel est précisément l'objet de la troisième question.

Sur la troisième question

44 Par cette troisième question, le juge national cherche à savoir si le droit communautaire fait obstacle à ce qu'un État membre impose à un ressortissant communautaire qui a fait usage de son droit à la libre circulation, fût-il un de ses propres citoyens, de verser à un régime de sécurité sociale des cotisations dont le montant dépasse le plafond qui s'applique aux travailleurs qui n'ont pas fait usage de ce droit.

45 Le requérant au principal considère qu'augmenter les charges financières de ceux qui font usage du droit à la libre circulation peut constituer un obstacle à l'exercice de celui-ci.

46 Le gouvernement néerlandais prétend que les cotisations que le travailleur hypothétique dont le cas est visé par la question préjudicielle doit verser lorsqu'il transfère sa résidence dans un autre État membre ne sont pas plus élevées dans tous les cas et que, même s'il en était ainsi, les effets défavorables ne sont pas permanents puisqu'ils se produisent uniquement pour l'exercice fiscal concernant l'année pendant laquelle le travailleur a résidé temporairement à l'étranger.

47 La Commission estime, quant à elle, que la législation néerlandaise controversée, ou, du moins, la manière dont elle est appliquée, a pour effet, à l'égard des travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation au cours de l'année civile concernée, de supprimer un avantage de sécurité sociale, à savoir le droit, dont bénéficie un travailleur qui a travaillé aux Pays-Bas pendant toute l'année, de ne pas verser au régime général des assurances sociales des cotisations dont le montant dépasse le plafond prévu pour la période concernée. Elle conclut en affirmant que cette situation peut avoir pour effet d'empêcher un travailleur d'exercer son droit à la libre circulation et que la législation néerlandaise, ou la manière dont elle est appliquée, constitue un obstacle à la libre circulation des travailleurs, obstacle incompatible avec les dispositions qui figurent aux articles 48 à 51 inclus du traité.

48 Je partage l'opinion de la Commission sur ce point également. Conformément à une jurisprudence constante, la libre circulation des travailleurs est un des principes fondamentaux de la Communauté et les dispositions du traité qui garantissent cette liberté ont un effet direct depuis l'expiration de la période transitoire (15). La Cour a aussi considéré que l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur l'ensemble du territoire de la Communauté et s'oppose à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d'un seul État membre (16).

49 Il existe une jurisprudence tout aussi constante et qui va dans le même sens en matière de sécurité sociale des travailleurs migrants également. C'est ainsi que, dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire Masgio (17), la Cour a dit pour droit que l'article 48, paragraphe 2, du traité et l'article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71, qui instituent le principe de l'égalité de traitement dans le champ d'application de ce règlement, «... doivent être interprétés... à la lumière de leur objectif, qui est de contribuer, notamment en matière de sécurité sociale, à l'établissement d'une liberté aussi complète que possible de la circulation des travailleurs migrants, principe qui s'inscrit parmi les fondements de la Communauté» et que «... les articles 48 à 51 du traité, ainsi que les actes communautaires pris pour leur mise en oeuvre, et notamment le règlement n_ 1408/71 ... ont pour objet d'éviter qu'un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a occupé des emplois dans plus d'un État membre soit traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre».

50 Dans le même arrêt Masgio, la Cour a ajouté à ce propos que «... le but des articles 48 à 51 du traité ne serait pas atteint si, par suite de l'exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d'un État membre [(18)]. En effet, une telle conséquence pourrait dissuader le travailleur communautaire d'exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté» (19).

51 L'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 veut qu'un travailleur employé aux Pays-Bas qui fait usage de son droit à la libre circulation le jour où son entreprise l'envoie dans un autre État membre pour une mission à durée limitée et relativement brève et qui revient travailler aux Pays-Bas au cours de la même année ou, au plus tard, l'année suivante demeure soumis à la législation de la sécurité sociale néerlandaise. Il résulte des pièces du dossier que, par application de la législation nationale controversée, si le détachement dans un autre État membre et le retour dans l'État membre d'origine se situent au cours d'une même année civile, ce travailleur pourra faire l'objet de deux liquidations conjointes pour l'impôt sur le revenu et pour les cotisations au régime général des assurances sociales, à savoir une liquidation pour la période au cours de laquelle il avait la qualité de contribuable résident et une autre pour la période au cours de laquelle il avait la qualité de contribuable non-résident, alors que, si le détachement dans un autre État membre chevauche deux années civiles, il pourra faire l'objet de quatre liquidations aux mêmes titres. M. Terhoeve relève de la première hypothèse. Comme je l'ai déjà dit, il est sommé de payer, à titre de cotisations, un montant plus élevé que le plafond qui aurait pu être exigé de lui s'il avait été un contribuable résident pendant toute l'année, c'est-à-dire s'il n'avait pas fait usage de son droit à la libre circulation. Dans la seconde hypothèse, le travailleur peut se voir obligé de payer, au titre des mêmes cotisations, un montant plus élevé que ce plafond pendant deux années consécutives. Une telle surcharge parafiscale ne lui garantit cependant nullement une protection sociale plus généreuse.

52 Étant donné que cette conséquence se reproduira, selon moi, chaque fois qu'un travailleur sera détaché par son entreprise dans les circonstances que j'ai décrites plus haut, il est difficile de croire que ce travailleur acceptera d'aller travailler dans un autre État membre de son plein gré. En tout état de cause, je ne crois pas qu'il puisse souhaiter être détaché plus d'une fois au cours de sa carrière professionnelle lorsqu'il aura constaté les conséquences économiques négatives qu'un tel détachement entraîne pour lui.

53 A la lumière de ces considérations, j'estime que la législation néerlandaise controversée, qui s'applique indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés, porte préjudice, en matière de sécurité sociale, aux travailleurs qui font usage de leur droit à la libre circulation dans les conditions prévues par l'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 puisque cette législation leur réserve un traitement moins favorable que celui dont bénéficient ceux qui ne font pas usage de ce droit. J'estime, en conséquence, qu'elle peut faire obstacle à la libre circulation des travailleurs. En effet, la perspective pour un travailleur d'avoir à verser des cotisations de sécurité sociale plus élevées s'il est détaché par son entreprise dans un autre État membre que s'il continue à travailler aux Pays-Bas est susceptible de le dissuader d'exercer son droit à la libre circulation.

Sur la quatrième question

54 Par cette question, le juge national cherche à savoir si, en cas de réponse affirmative à la question précédente, l'obligation de verser des cotisations d'un montant plus élevé peut être justifiée par une ou plusieurs des circonstances qu'il énonce: la volonté du législateur de simplifier le recouvrement de l'impôt et des cotisations, les problèmes techniques d'application qui résulteraient des solutions susceptibles de compenser ce surcroît de cotisations ou, enfin, le fait que, dans certaines circonstances, l'application de cette législation peut avoir pour résultat que la charge financière résultant de l'impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale peut s'avérer moindre pour les travailleurs qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation que pour les travailleurs sédentaires. Le gouvernement néerlandais estime, quant à lui, que cette législation est justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal.

55 La Commission observe, fort pertinemment, à ce propos, que, dans la jurisprudence qu'elle a consacrée à la libre circulation des travailleurs en général et à la coordination des régimes de sécurité sociale en particulier, la Cour a appliqué des critères différents pour apprécier la légitimité des diverses justifications qui lui étaient proposées. C'est ainsi que, dans son arrêt Masgio (20), elle adopte une position très restrictive et déclare que «... l'article 48, paragraphe 3, du traité n'admet à l'exercice du droit de libre circulation des travailleurs d'autres limitations que celles pouvant être justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Dès lors, en dehors de ces hypothèses expressément prévues par le traité, aucune entrave à la libre circulation des travailleurs ne saurait trouver de justification». Compte tenu de l'étroite marge de manoeuvre que le texte de la directive 64/221/CEE (21) laisse aux États membres, il est évident qu'aucun des motifs de justification évoqués par le juge national ni celui que défend le gouvernement néerlandais ne remplissent les conditions énoncées dans cette jurisprudence.

56 Dans d'autres arrêts plus récents, néanmoins, la Cour a utilisé, pour déterminer s'il existait ou non une justification à un obstacle à la libre circulation des travailleurs, la jurisprudence qu'elle avait dégagée en matière de libre prestation des services. C'est ainsi que dans son arrêt Kraus (22) elle déclare que «... les articles 48 et 52 s'opposent à toute mesure nationale ... qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants communautaires, y compris ceux de l'État membre auteur de la mesure, des libertés fondamentales garanties par le traité. Il n'en irait autrement que si une telle mesure poursuivait un objectif légitime compatible avec le traité et se justifiait par des raisons impérieuses d'intérêt général ... Mais encore faudrait-il, en pareil cas, que l'application de la réglementation nationale en cause soit propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif» (23).

La Cour aligne donc l'approche qu'elle utilise pour l'article 48 du traité sur celle qu'elle avait déjà utilisée pour l'article 59. Il en résulte que, si, d'une part, l'interdiction s'étend à toute mesure qui, quand bien même elle serait applicable indépendamment de la nationalité, n'en constitue pas moins un obstacle à la libre circulation, d'autre part, le nombre des motifs de justification augmente et vient grossir le nombre de ceux qui étaient déjà prévus par l'article 48, paragraphe 3, du traité.

57 Je crois que les motifs de justification que le juge national a évoqués ne remplissent pas davantage les conditions qui figurent dans cette jurisprudence moins restrictive.

58 En premier lieu, si rien dans le traité ne s'oppose à la volonté du législateur de simplifier le recouvrement de l'impôt et des cotisations, rien ne permet, cependant, d'affirmer que cette volonté de simplification est fondée sur des raisons impérieuses d'intérêt général.

59 En deuxième lieu, pour ce qui est des problèmes techniques d'application que comportent les solutions permettant d'éviter un surcroît de cotisation, il est clair que, dans le cadre du droit communautaire, des problèmes de type administratif ou des difficultés d'exécution ne peuvent justifier le fait que les travailleurs qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation reçoivent un traitement plus désavantageux que les travailleurs sédentaires. La Cour a déclaré, en effet, que, «s'il est vrai que l'application de ces dispositions peut donner lieu à des difficultés d'ordre pratique, cette circonstance ... ne saurait porter préjudice aux droits que les particuliers tirent des principes de la législation sociale de la Communauté» (24).

60 Enfin, pour ce qui est des avantages fiscaux que le travailleur migrant peut obtenir et qui sont susceptibles de compenser le préjudice qui résulte pour lui de l'obligation de verser des cotisations plus élevées en cas de détachement dans un autre État membre, il suffit de dire que ce n'est pas là l'objectif poursuivi par la législation controversée et que ces avantages, lorsqu'ils existent, dépendent des circonstances concrètes de chaque cas d'espèce. A cet égard, la Cour a déjà dit pour droit que la discrimination opérée par une disposition qui réserve un traitement défavorable à certains travailleurs migrants ne peut être ni effacée ni compensée par la circonstance que d'autres travailleurs migrants, placés dans d'autres situations, peuvent se trouver avantagés par le critère que cette disposition contient (25).

61 J'estime que la réglementation litigieuse, dont l'application produit les effets que j'ai exposés, n'est pas davantage justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal.

62 Dans deux arrêts de 1992 (26), la Cour a dit pour droit que la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal constituait un motif de justification d'une réglementation belge applicable en matière d'assurances qui, à défaut d'une telle nécessité, aurait été incompatible avec l'article 48 du traité. Cette réglementation subordonnait la possibilité de déduire certaines primes d'assurances de la somme des revenus professionnels à la condition que ces primes aient été versées en Belgique.

La Cour a estimé que cette réglementation établit un lien entre le caractère déductible des primes d'assurance-vie et le caractère imposable des sommes versées par les assureurs en exécution des contrats d'assurances contre la vieillesse et le décès dès lors que les pensions, rentes, capitaux ou valeurs de rachat des contrats d'assurance-vie sont exonérés de l'impôt lorsque les primes versées n'étaient pas déductibles. Dans un régime fiscal qui présente ces caractéristiques, la perte de recettes fiscales qui résulte pour l'État de la déduction des primes d'assurance-vie de l'ensemble des revenus imposables est compensée par l'imposition des pensions, rentes ou capitaux servies ou payés par les assureurs. En revanche, lorsque ces primes ne peuvent pas être déduites des revenus globaux, les sommes versées par l'assureur en exécution des contrats sont exonérées de l'impôt.

La cohérence de ce régime exigeait que, si l'on obligeait un État membre à accepter la déduction des primes d'assurance-vie versées dans un autre État membre, le premier soit autorisé à percevoir l'impôt sur les sommes dues par les assureurs. Étant donné qu'à l'époque, le droit communautaire ne permettait pas de garantir le maintien de la cohérence de ce régime au moyen de mesures moins restrictives que celles que la législation belge imposait, à savoir que, pour avoir droit à la déduction des primes, celles-ci devaient avoir été payées en Belgique, la Cour a abouti à la conclusion que cette mesure était justifiée.

63 En revanche, dans un arrêt qu'elle a rendu en 1995 (27), la Cour rejeté l'argument que le gouvernement luxembourgeois avait articulé dans le même sens afin de justifier le fait que l'octroi d'une bonification d'intérêts à titre d'aide sociale était soumis à la condition que les prêts destinés à financer la construction, l'acquisition ou l'amélioration d'un logement aient été souscrits auprès d'un organisme de crédit agréé au grand-duché de Luxembourg, ce qui impliquait que cet organisme fût établi dans cet État. La Cour a estimé, à cette occasion, qu'il n'existait pas de lien direct entre l'octroi de la bonification d'intérêts aux emprunteurs et le financement de celle-ci par le biais de l'impôt qui grève les bénéfices des organismes financiers.

64 Au point 21 de ses observations écrites, le gouvernement néerlandais invoque la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal pour justifier la législation controversée, qui énonce les règles qui gouvernent le recouvrement des fonds destinés au financement du régime général des assurances sociales. Il ne fournit cependant pas de plus amples explications à l'appui de son argument. Je n'ai pas davantage trouvé dans les pièces du dossier un élément quelconque susceptible de m'éclairer sur les raisons pour lesquelles la cohérence du régime fiscal néerlandais exige que le travailleur qui a fait usage de son droit à la libre circulation soit contraint de verser des cotisations à la sécurité sociale plus élevées que les cotisations dues par le travailleur sédentaire.

Sur la cinquième question

65 Dans l'éventualité où la Cour dirait pour droit que les règles du droit communautaire interdisent d'exiger des travailleurs qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation des cotisations de sécurité sociale plus élevées que celles que doivent verser les travailleurs sédentaires, le Gerechtshof demande si, pour déterminer si le niveau des cotisations est plus élevé, il faut tenir compte uniquement des revenus professionnels ou s'il faut également prendre en compte les autres revenus de l'intéressé, comme, par exemple, les revenus de son capital immobilier. Dans l'hypothèse où il faudrait faire abstraction des autres revenus, le juge de renvoi voudrait savoir également comment il faut calculer si, et dans quelle mesure, les cotisations prélevées sur les revenus du travail entraînent un désavantage pour le travailleur migrant concerné.

66 Nul n'ignore que l'article 51 du traité prévoit une coordination des législations des États membres, et non leur harmonisation, et qu'il laisse subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale des États membres et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent (28). Mettant cet article en oeuvre, le Conseil a adopté le règlement n_ 1408/71 et le règlement (CEE) n_ 574/72, qui fixe les modalités d'application du précédent (29). Ces deux règlements ont pour objectif principal de coordonner les différentes législations nationales applicables en la matière de manière à garantir que la libre circulation des travailleurs ne se traduise pas par un désavantage pour les travailleurs qui s'en prévalent par rapport à ceux qui exercent leur activité dans un seul État membre (30).

67 En l'état actuel du droit communautaire, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale (31). J'estime néanmoins que, lorsqu'ils exercent cette compétence, les États membres doivent non seulement respecter le principe de l'égalité de traitement et prévoir que les règles qu'ils énoncent s'appliquent sans discrimination à leurs propres ressortissants et à ceux des autres États membres, mais qu'ils doivent en outre s'assurer que leurs dispositions nationales en matière de sécurité sociale ne constituent pas un obstacle à l'exercice effectif de la liberté fondamentale que garantit l'article 48 du traité.

68 A l'exception de l'article 14 quinquies du règlement n_ 1408/71, qui contient diverses dispositions très spécifiques qui ne s'appliquent pas en l'espèce, le droit communautaire qui gouverne la libre circulation des travailleurs n'énonce aucune règle quant à la composition de la base de calcul des cotisations aux régimes nationaux de sécurité sociale.

69 J'estime que, comme c'est le cas lorsqu'il s'agit de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche de pareil régime, c'est à chaque État membre de préciser, en l'absence de dispositions communautaires applicables, les éléments qui doivent entrer dans la base de calcul des cotisations à ses régimes de sécurité sociale, pourvu que sa législation ne fasse pas, à cet égard, de discrimination entre nationaux et ressortissants des autres États membres et pourvu que le travailleur qui a fait usage de son droit à la libre circulation ne se trouve pas lésé par rapport aux travailleurs sédentaires.

Sur la sixième question

70 Par la dernière des questions qu'il a posées, le juge de renvoi cherche à savoir ce qu'il doit faire s'il aboutit à la conclusion qu'il se trouve en présence d'une violation du droit communautaire dès lors que la violation dont il s'agirait résulte de l'application combinée de différentes règles légales et qu'il existe plusieurs solutions de rechange pour y remédier sans qu'aucune de celles-ci lui paraisse totalement satisfaisante.

Ce n'est pas la première fois qu'un juge national se trouve confronté à un tel dilemme et la Cour s'est prononcée à plusieurs reprises sur cette matière.

71 Comme je l'ai indiqué dans les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire C-358/95, Morellato (32), la Cour a déjà consacré une jurisprudence claire à la solution des conflits entre les règles de droit interne et les règles communautaires. L'exemple le plus représentatif de cette jurisprudence demeure aujourd'hui encore l'arrêt Simmenthal (33), dans lequel la Cour a dit pour droit qu'en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante. La Cour a ajouté dans le même arrêt que serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d'un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l'efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires, cet obstacle fût-il temporaire (34). La Cour a conclu que le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (35).

72 Par ailleurs, la Cour avait déjà déclaré dans l'arrêt Van Duyn (36) que l'article 48 du traité, qui consacre le principe de la libre circulation des travailleurs et qui impose aux États membres une obligation précise, laquelle ne nécessite l'intervention d'aucun acte des institutions de la Communauté ou des États membres et ne laisse à ces derniers aucune faculté d'appréciation pour son exécution, est directement applicable et confère aux particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir en justice et que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

73 La jurisprudence de la Cour précise en outre que c'est aux juridictions nationales qu'il incombe, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité CE, d'assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l'effet direct des dispositions du droit communautaire (37).

74 Eu égard aux réponses que je propose de donner aux questions précédentes et à la jurisprudence que je viens de citer, je crois qu'il faut répondre à la sixième question du Gerechtshof que le juge national chargé d'appliquer le droit communautaire au litige dont il est saisi a l'obligation de le résoudre en garantissant la pleine efficacité des articles 48 à 51 du traité, en sorte que le travailleur qui a fait usage de son droit à la libre circulation ne se voie pas privé d'un avantage de sécurité sociale et ne doive pas, par exemple, verser des cotisations d'un montant supérieur au plafond appliqué aux travailleurs sédentaires, évitant ainsi que le travailleur se trouve dissuadé d'exercer son droit à la libre circulation.

VI - Conclusion

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles que le Gerechtshof de Bois-Le-Duc lui a déférées:

«1) Un ressortissant d'un État membre peut opposer les dispositions du droit communautaire en matière de libre circulation des travailleurs à l'État membre dont il est le ressortissant lorsque l'entreprise qui l'emploie, et qui est établie dans cet État membre, l'a envoyé en mission dans un autre État membre pour une période inférieure à un an. Le fait que les revenus que ce travailleur a acquis au cours de la période considérée l'aient ou ne l'aient pas été en majeure partie dans un seul de ces deux États membres est dénué de pertinence à cet égard.

2) La législation néerlandaise controversée n'entraîne aucune discrimination fondée sur la nationalité.

3) Les articles 48 à 51 du traité font obstacle à ce qu'un État membre impose à un ressortissant communautaire qui a fait usage de son droit à la libre circulation, fût-il un de ses propres citoyens, de verser à son régime général des assurances sociales des cotisations dont le montant dépasse le plafond auquel sont soumis les travailleurs qui n'ont pas fait usage de ce droit.

4) La législation néerlandaise controversée, dans la mesure où elle crée un obstacle à la libre circulation des travailleurs, ne peut être justifiée par aucune des circonstances évoquées par le juge national, à savoir la volonté du législateur de simplifier le recouvrement de l'impôt et des cotisations, les problèmes techniques d'application qui résulteraient des solutions susceptibles de compenser ce surcroît de cotisations ou le fait que, dans certaines circonstances, l'application de cette législation peut avoir pour résultat que la charge financière résultant de l'impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale peut s'avérer moindre pour les travailleurs qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation que pour les travailleurs sédentaires.

5) A défaut de disposition communautaire applicable, c'est à chaque État membre qu'il appartient de préciser dans sa législation les éléments qui doivent entrer dans la base de calcul des cotisations à ses régimes de sécurité sociale, pourvu que sa législation ne fasse pas, à cet égard, de discrimination entre nationaux et ressortissants des autres États membres et pourvu que le travailleur qui a fait usage de son droit à la libre circulation ne se trouve pas lésé par rapport aux travailleurs sédentaires.

6) Le juge national chargé d'appliquer le droit communautaire au litige dont il est saisi a l'obligation de le résoudre en garantissant la pleine efficacité des articles 48 à 51 du traité, en sorte que le travailleur qui a fait usage de son droit à la libre circulation ne se voie pas privé d'un avantage de sécurité sociale et ne doive pas, par exemple, verser des cotisations d'un montant supérieur au plafond appliqué aux travailleurs sédentaires, évitant ainsi que le travailleur se trouve dissuadé d'exercer son droit à la libre circulation.»

(1) - JO L 230, p. 6.

(2) - Règlement (CEE) n_ 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

(3) - Modifié par l'article G, point 8, du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 (JO C 191, p. 1).

(4) - Arrêt du 7 février 1979 (115/78, Rec. p. 399, point 24).

(5) - Arrêt du 3 octobre 1990 (C-61/89, Rec. p. I-3551, point 13).

(6) - Arrêt du 31 mars 1993 (C-19/92, Rec. p. I-1663, points 15 et 16).

(7) - Arrêt du 23 février 1994 (C-419/92, Rec. p. I-505, point 9).

(8) - Arrêt du 27 juin 1996 (C-107/94, Rec. p. I-3089).

(9) - Arrêt du 6 octobre 1981 (246/80, Rec. p. 2311, point 20).

(10) - Arrêt du 26 janvier 1993, Werner (C-112/91, Rec. p. I-429).

(11) - Arrêts Scholz, déjà cité à la note 7, point 6); du 17 mai 1994, Corsica Ferries (C-18/93, Rec. p. I-1783, point 19) et du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos (C-193/94, Rec. p. I-929, point 20).

(12) - Arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11).

(13) - Arrêts du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1); du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779); du 10 novembre 1992, Commission/Belgique (C-326/90, Rec. p. I-5517); du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg (C-111/91, Rec. p. I-817); du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225); du 12 juin 1997, García (C-266/95, Rec. p. I-3279), et du 27 novembre 1997, Meints (C-57/96, Rec. p. I-6689).

(14) - Décision du 31 mai 1996, concernant l'interprétation de l'article 14, paragraphe 1, et de l'article 14 ter, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 du Conseil relatif à la législation applicable aux travailleurs détachés (JO L 241, p. 28).

(15) - Arrêts du 7 juillet 1976, Watson et Belmann (118/75, Rec. p. 1185, point 16); du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, Rec. p. 4097, point 8); du 16 juin 1992, Commission/Luxembourg (C-351/90, Rec. p. I-3945, point 18); du 7 juillet 1992, Singh (C-370/90, Rec. p. I-4265, point 15), et du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 93).

(16) - Arrêts du 7 juillet 1988, Stanton (143/87, Rec. p. 3877, point 13), Wolf e.a. (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897, point 13), et Singh et Bosman, déjà cités à la note 15, points 16 et 94, respectivement.

(17) - Arrêt du 7 mars 1991 (C-10/90, Rec. p. I-1119, points 16 et 17). Voir en outre les arrêts du 12 octobre 1978, Belbouab (10/78, Rec. p. 1915, point 5); du 25 février 1986, Spruyt (284/84, Rec. p. 685, point 18), et du 2 mai 1990, Winter-Lutzins (C-293/88, Rec. p. I-1623, point 13).

(18) - Ibidem, point 18. Cette affirmation figure également dans les arrêts du 21 octobre 1975, Petroni (24/75, Rec. p. 1149, point 13); du 9 juillet 1980, Gravina (807/79, Rec. p. 2205, point 6), et dans les arrêts Spruyt et Winter-Lutzins, déjà cités à la note 17, points 19 et 14, respectivement.

(19) - Ibidem, point 18, suite. Voir également les arrêts du 22 février 1990, Bronzino (C-228/88, Rec. p. I-531, point 12), et Gatto (C-12/89, Rec. p. I-557, point 12). Cette jurisprudence a été confirmée plus récemment dans l'arrêt du 9 décembre 1993, Lepore et Scamuffa (C-45/92 et C-46/92, Rec. p. I-6497, point 21).

(20) - Déjà cité à la note 17, point 24.

(21) - Directive du Conseil du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850).

(22) - Déjà cité à la note 6, point 32.

(23) - Cette jurisprudence a été confirmée dans l'arrêt Bosman, déjà cité à la note 15, point 104.

(24) - Arrêt du 12 juillet 1990, Commission/France (C-236/88, Rec. p. I-3163, point 17).

(25) - Arrêt du 7 juin 1988, Roviello (20/85, Rec. p. 2805, point 16).

(26) - Arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249), et Commission/Belgique (C-300/90, Rec. p. I-305).

(27) - Arrêt du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (C-484/93, Rec. p. I-3955).

(28) - Arrêts Pinna, déjà cité à la note 13, point 20); du 7 février 1991, Rönfeldt (C-227/89, Rec. p. I-323, point 12), et du 5 octobre 1994, Van Munster (C-165/91, Rec. p. I-4661, point 18).

(29) - Règlement du Conseil, du 21 mars 1972 dans la version modifiée et mise à jour par le règlement n_ 2001/83 (voir note 1).

(30) - Arrêt du 20 septembre 1994, Drake (C-12/93, Rec. p. I-4337, point 12).

(31) - Arrêts du 18 mai 1989, Hartmann Troiani (368/87, Rec. p. 1333, point 21); du 21 février 1991, Daalmeijer (C-245/88, Rec. p. I-555, point 15), et du 20 octobre 1993, Baglieri (C-297/92, Rec. p. I-5211, point 13).

(32) - Arrêt du 13 mars 1997 (C-358/95, Rec. p. I-1431 et suiv., et en particulier p. I-1441 et I-1442).

(33) - Arrêt du 9 mars 1978 (106/77, Rec. p. 629, point 17).

(34) - Ibidem, points 22 et 23. La Cour a confirmé cette jurisprudence dans son arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C-213/89, Rec. p. I-2433, points 18 et 20).

(35) - Ibidem, point 24. Cette jurisprudence a été confirmée récemment dans les arrêts du 11 juillet 1989, Ford España (170/88, Rec. p. 2305); du 4 juin 1992, Debus (C-13/91 et C-113/91, Rec. p. I-3617, point 32); du 9 juin 1992, Simba e.a. (C-228/90 à 234/90, C-339/90 et C-353/90, Rec. p. I-3713, point 27), et Morellato, déjà cité à la note 32, point 18.

(36) - Arrêt du 4 décembre 1974 (41/74, Rec. p. 1337, points 4 à 8).

(37) - Arrêt Factortame e.a., déjà cité à la note 34, point 19. Voir également les arrêts du 10 juillet 1980, Ariete (811/79, Rec. p. 2545), et MIRECO (826/79, Rec. p. 2559).