Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Avis juridique important

|

61995C0045

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 10 décembre 1996. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - TVA - Exonération à l'intérieur du pays - Livraisons de biens qui étaient exclusivement affectés à une activité exonérée ou qui étaient exclus du droit à déduction. - Affaire C-45/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-03605


Conclusions de l'avocat général


1 Dans le cadre du présent recours, la Commission reproche à la République italienne d'avoir manqué à son obligation d'adapter une partie de son droit fiscal à la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (1) (ci-après la «sixième directive» et la «TVA»).

2 La Commission demande à la Cour de constater que, «en instituant et en maintenant en vigueur une réglementation en matière de taxe sur la valeur ajoutée qui n'exonère pas les livraisons de biens qui étaient affectés exclusivement à une activité exonérée ou de toute façon exclus du droit à déduction, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13, point B, sous c), de la directive 77/388/CEE (sixième directive TVA)».

La procédure

3 La Commission a engagé la procédure prévue à l'article 169 du traité CE par une lettre de mise en demeure du 24 novembre 1992, invitant la République italienne à présenter ses observations sur le manquement qui lui était reproché. Cette demande n'a pas fait l'objet d'une réponse dans le délai réglementaire.

4 Le gouvernement italien n'en a pas moins remis à la Commission un courrier du 31 mars 1993 reconnaissant, quant à la première partie du grief que «la disposition communautaire [mentionnée n'avait] été que partiellement transposée dans la législation nationale»; quant à la seconde partie du grief, le gouvernement italien a admis qu'elle était fondée et il a ajouté: «l'administration fiscale italienne a l'intention de procéder, dans les meilleurs délais ... à l'élaboration des règles nécessaires pour insérer l'exonération en question dans le régime institué par la sixième directive».

5 Face à la persistance du manquement, la Commission a envoyé au gouvernement italien, le 19 juillet 1994, un avis motivé, qui est resté sans réponse.

6 Le recours devant la Cour a été présenté le 13 février 1995. Dans son mémoire en défense, le gouvernement italien s'est opposé aux conclusions du recours.

7 Dans sa réplique, la Commission a mis en exergue, notamment, le contenu du document du 31 mars 1993, émanant du gouvernement italien lui-même, et qui reconnaissait l'existence du manquement. Le gouvernement italien n'a toutefois pas répondu à ces allégations, car il n'a pas présenté de duplique.

Les règles litigieuses

8 L'article 13, point B, de la sixième directive, dont le point c) aurait été, selon la Commission, incorrectement transposé par le législateur italien, dispose ce qui suit:

«Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

...

c) les livraisons de biens qui étaient affectés exclusivement (2) à une activité exonérée en vertu du présent article ou en vertu de l'article 28 paragraphe 3 sous b), si ces biens n'ont pas fait l'objet d'un droit à déduction, ainsi que les livraisons de biens dont l'acquisition ou l'affectation avait fait l'objet de l'exclusion du droit à déduction conformément à l'article 17 paragraphe 6;

...»

9 L'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive dispose pour sa part:

«Au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive.» (3)

10 L'article 10 du décret n_ 633 du président de la République italienne du 26 octobre 1972 (ci-après le «décret présidentiel») (4) sur la TVA ne prévoit pas, parmi les opérations exonérées, les livraisons de biens visées par les règles communautaires reproduites ci-dessus.

11 Conformément à l'article 2, troisième alinéa, sous h), du décret présidentiel, ne sont pas considérées comme des livraisons de biens «... les livraisons portant sur des biens acquis ou importés par le vendeur sans droit à déduction en vertu du deuxième alinéa de l'article 19».

12 De son côté, l'article 19 du décret présidentiel régit le droit à la déduction: l'assujetti peut déduire du montant de la taxe due pour les opérations qu'il a effectuées le montant qu'il a supporté, pour l'acquisition de biens ou de services, dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise ou de l'exercice d'un art ou d'une profession.

13 Le deuxième alinéa de cet article exclut du droit à la déduction, dans les termes que j'analyserai ci-après, le montant de la TVA versé par le redevable sur l'acquisition de certaines catégories de biens tels que voitures, autres véhicules automobiles, bateaux de plaisance.

L'exonération des livraisons de biens préalablement affectés à une activité exonérée

14 Dans la dynamique de la TVA, la déduction réglementée à l'article 17 de la sixième directive devient l'une des pièces maîtresses du sytème. Ce sont les modalités de sa réglementation qui permettent que la taxe acquittée par les entreprises n'entraîne pour elles aucune charge fiscale et que soit de ce fait respecté le principe de neutralité, qui est à la base de la TVA, taxe qui frappe la consommation finale et non les phases économiques préalables. En l'absence du droit à déduction de la taxe acquittée, celle-ci se transforme, pour les entreprises, en un coût fiscal supplémentaire contraire au principe de neutralité.

15 La taxe acquittée peut être déduite dans la mesure où les biens ou les services correspondants (c'est-à-dire ceux dont l'acquisition ou l'affectation détermine le droit à la déduction) sont acquis et utilisés par l'assujetti afin de réaliser, à son tour, des opérations relevant de son activité économique.

16 Cette affirmation doit être nuancée lorsque l'assujetti acquiert et utilise ces biens ou ces services pour des opérations exonérées, car il n'y a alors pas naissance du droit à déduction et cet assujetti devient en quelque sorte le «consommateur final», sans possibilité de déduire la charge fiscale.

17 Dans ce cas, l'assujetti doit donc supporter l'intégralité de la TVA que les opérateurs économiques en amont (c'est-à-dire ceux qui lui ont livré les produits ou les services) ont répercuté sur lui et, en termes strictement juridiques (5), il ne peut pas la déduire. Il se trouve dès lors dans la même situation que les consommateurs finals, véritables redevables de la TVA.

18 Il peut arriver, toutefois, qu'un assujetti fasse l'acquisition d'un bien déterminé dans de telles conditions (c'est-à-dire en ayant supporté la taxe sans pouvoir la déduire ultérieurement) et décide ensuite de transmettre le bien.

19 Une telle hypothèse donnerait lieu à un phénomène de double imposition si la sixième directive n'avait pas prévu, pour l'éviter, l'exonération visée à l'article 13, point B, sous c), dans sa première partie: les États membres doivent exonérer les livraisons de biens qui étaient affectés exclusivement à une activité exonérée «si ces biens n'ont pas fait l'objet d'un droit à déduction».

20 La raison d'être de cette exonération est purement technique. On évite par là la double charge fiscale qui se produirait si l'on imposait la transmission effectuée par un opérateur économique qui revend les biens pour l'acquisition desquels il a déjà payé la TVA de manière définitive, sans avoir eu à l'époque la possibilité de déduire le montant acquitté (6).

21 Le gouvernement italien a omis d'introduire cette exonération dans sa législation fiscale. Cela suffit en soi pour constituer le manquement à l'obligation que lui impose l'article 13 de la sixième directive, puisque cette disposition exige précisément que les États membres mettent en place une «exonération» fiscale selon les modalités qui viennent d'être analysées.

22 La façon dont l'administration fiscale italienne explique un tel comportement présente des nuances différentes selon qu'on lit le document envoyé à la Commission le 31 mars 1993 (7) ou le mémoire en défense.

23 D'après le premier document, le législateur italien a estimé qu'il n'était pas nécessaire d'établir l'exonération pour les livraisons de biens destinés exclusivement à une activité exonérée, en raison des difficultés existant en matière de vérification: les assujettis qui exercent de telles activités exonérées ont l'habitude de réaliser simultanément des opérations taxées et cela leur permet de récupérer, selon le mécanisme du prorata, une partie de la TVA acquittée pour les acquisitions de tels biens. En toute hypothèse, selon ce document, la réglementation italienne n'engendre pas de double imposition, «sinon de manière marginale».

24 L'optique change dans le mémoire en défense, où l'on tente de justifier l'absence d'exonération en alléguant à présent que l'article 2, troisième alinéa, du décret présidentiel italien a préféré à cette solution la déclaration que ces modalités de livraisons de biens se trouvaient en dehors du champ d'application de la TVA, ce qui, selon le gouvernement italien, aboutirait au même résultat que celui voulu par la sixième directive.

25 Cependant, de manière quelque peu confuse, le mémoire en défense en vient à admettre que la livraison ultérieure de biens, lorsqu'on n'a pas pu déduire préalablement le montant payé (parce que les biens ont été acquis ou utilisés pour des opérations exonérées) «doit être considérée comme taxée». Le gouvernement italien ajoute que ces livraisons doivent être considérées comme «hypothétiques, car, normalement, la personne exonérée acquiert le bien pour son propre usage et non pas en vue d'une cession immédiate». Il en déduit, en conséquence, que le montant de la double perception de la taxe est forcément limité, étant donné la différence de valeur entre les biens achetés au prix du marché et les biens vendus d'occasion.

26 Ces arguments ne me paraissent pas convaincants. J'estime au contraire que c'est à juste titre que la Commission demande que le gouvernement italien respecte purement et simplement l'obligation que lui impose l'article 13 de la sixième directive. Le contenu d'une telle obligation est bien précis: il s'agit d'accorder une exonération et non pas d'exclure une opération déterminée du champ d'application de la taxe (8).

27 En outre, la législation italienne enfreint sur ce point la jurisprudence de la Cour de justice où il est affirmé: «... l'objectif de la directive, à savoir fonder le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée sur une définition uniforme des opérations taxables, serait compromis si la constatation d'une livraison de biens, qui est l'une des trois opérations taxables, était soumise à la réalisation de conditions qui varient d'un État membre à l'autre (arrêt du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285)» (9).

28 Les deux explications (d'ailleurs contradictoires) données par les autorités italiennes s'avèrent, l'une et l'autre, insuffisantes:

- la première (difficulté pour vérifier la destination réelle des biens), parce qu'elle fausse le système fiscal de la TVA et engendre des cas de double imposition.

- La deuxième (qui consiste à considérer comme «non-livraisons de biens» des opérations qui, selon la sixième directive, sont juridiquement des «livraisons de biens», mais qui sont exonérées), parce qu'elle implique que la règle italienne s'écarte de la définition uniforme que le législateur communautaire a voulu donner aux opérations soumises à la taxe.

29 De tels motifs suffiraient à eux seuls pour accueillir favorablement le recours de la Commission sur ce premier point. De surcroît, il n'est pas certain que les conséquences juridiques et économiques de la règle italienne (qui qualifie de cas de non-assujettissement ce qui devrait être un cas d'exonération) sont les mêmes que celles qui découlent d'une transposition correcte de la sixième directive.

30 C'est à juste titre que la Commission souligne dans sa réplique que, dès lors que le gouvernement italien a admis l'existence d'une double imposition comme effet dérivé de la législation italienne en la matière, peu importe que la portée économique de ce phénomène soit plus ou moins «faible» comme cela est littéralement affirmé dans le mémoire en défense (sans d'ailleurs que de quelconques données chiffrées soient fournies à titre de preuve).

31 Même si l'on part de l'hypothèse que les répercussions économiques seraient modestes, la règle de minimis ne s'applique pas dans le domaine des manquements d'État. L'élément déterminant est que la double imposition est incompatible avec la logique du système de la TVA, et c'est précisément pour cette raison que l'article 13 de la sixième directive contient l'obligation d'exonérer les livraisons de biens affectés à des activités elles-mêmes totalement exonérées.

L'exonération des livraisons de biens dont l'acquisition ou l'affectation n'a pas donné droit à déduction

32 Le second moyen du recours concerne la partie finale de l'article 13, point B, sous c). Comme on l'a vu ci-dessus, il est imposé aux États membres d'exonérer de la TVA les livraisons ultérieures de biens «dont l'acquisition ou l'affectation [par l'assujetti] avait fait l'objet de l'exclusion du droit à déduction conformément à l'article 17 paragraphe 6».

33 Cette disposition concerne certains biens décrits, en termes généraux, comme de luxe, de divertissement ou de représentation (10), n'ayant pas, en principe, un caractère strictement professionnel, dont l'acquisition par l'assujetti n'a pas engendré de droit à la déduction de la TVA répercutée. Comme dans le cas visé par le premier grief, l'assujetti qui acquiert de tels biens joue à leur égard le rôle de consommateur final, véritable contribuable.

34 Comme pour le premier grief, la contrepartie de cette restriction au droit de déduction doit être l'exonération de la TVA lorsque l'assujetti revend - ou, de manière générale, transmet - ce type de biens. Si tel n'était pas le cas, il y aurait une fois de plus un phénomène de double imposition contraire aux principes de la sixième directive, que l'article 13 de cette directive essaie d'éviter au moyen de l'exonération litigieuse.

35 Au contraire, le décret présidentiel italien, après avoir exclu de manière générale la possibilité de déduire la TVA pour l'acquisition de tels biens (avec les nuances que j'exposerai ci-après), n'accorde pas l'exonération pour leur transmission ultérieure.

36 L'article 19, paragraphe 2, du décret présidentiel réglemente la réduction de la TVA en cas d'acquisition de biens de cette nature, qu'il s'agisse d'avions ou de véhicules automobiles mentionnés sous e) et dans le tableau B, quelle que soit leur cylindrée (11), ou qu'il s'agisse «des autres biens énumérés au tableau B précité, les bateaux et embarcations de plaisance» (12). La déduction est instituée dans les termes suivants:

a) L'acquisition de tels biens ne donne droit à déduction que lorsqu'ils font l'objet de l'activité propre à l'entreprise. S'il s'agit d'avions et de véhicules, la déduction est également possible lorsqu'ils sont destinés à être utilisés en tant qu'instruments de l'activité propre à l'entreprise (13).

b) La déduction reste exclue dans tous les autres cas d'acquisition de tels biens et «en toute hypothèse, pour ceux qui exercent un art (14) ou une profession».

37 Dans ces derniers cas d'exclusion du droit de déduction, la transmission ultérieure des biens acquis n'est pas exonérée, contrairement à ce qu'exige la sixième directive. Au lieu d'accorder l'exonération, le législateur italien a prévu, à l'article 2, troisième alinéa, sous a), du décret présidentiel, que de telles transmissions ne seraient pas considérées comme des livraisons de biens (c'est-à-dire qu'elles ne seraient pas considérées comme assujetties à la TVA).

38 Pour justifier ce choix, le gouvernement italien affirme que la qualification des opérations comme non assujetties est «cohérente avec la présomption que l'achat [de ce type de biens] n'a pas de rapport avec le déroulement d'une activité professionnelle»; il cite à cet effet aussi bien l'article 17, paragraphe 3, de la sixième directive que l'article 11, paragraphe 2, de la deuxième directive TVA (deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, JO 1967, 71, p. 1303).

39 Je ne suis pas convaincu par cet argument qui concerne beaucoup plus un autre problème. La Commission ne dénonce pas, dans son recours, un manquement à l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive consistant dans le fait que les règles italiennes précitées excluent en toute hypothèse le droit à déduction pour les personnes exerçant une profession ou un art qui acquièrent les biens en question. On pourrait discuter de la question de savoir si cette exclusion générale respecte ou non les prescriptions de la sixième directive (15).

40 Le manquement dénoncé ici par la Commission concerne au contraire le fait que la République italienne n'a pas considéré comme exonérées les ventes ou livraisons ultérieures de biens dont l'acquisition n'avait pas engendré le droit de déduire les montants de la TVA, bien qu'il s'agisse de personnes exerçant une profession ou un art, ou de tout autre opérateur économique assujetti à la taxe.

41 Est-il possible de remplacer l'exonération par un non-assujettissement? A première vue, il pourrait sembler que l'effet pratique des deux formules (non-assujettissement ou exonération) est le même. Dans son mémoire en défense, le gouvernement italien prétend que la solution du non-assujettissement réalise une «impossibilité objective de déduction», alors que la formule de l'exonération implique une «impossibilité subjective de déduction ... dépendant du calcul du prorata» (16).

42 Il n'y a toutefois pas une correspondance totale entre les effets juridiques des deux formules. C'est précisément dans leur incidence sur le calcul du prorata (17) qu'apparaissent les conséquences de la règle italienne et les différences de résultat selon qu'on a choisi l'une ou l'autre formule.

43 Si la livraison des biens en cause échappe au champ d'application de la TVA, comme dans le cadre du décret présidentiel, le montant du volume total des opérations de l'assujetti entrant dans le calcul du prorata se trouve réduit (18). La réduction de ce montant - qui est le dénominateur de la fraction - augmente le résultat final, à savoir le pourcentage sur la base duquel se calcule le prorata.

44 En augmentant ainsi le pourcentage du prorata, on augmente également, de manière injustifiée et contraire aux dispositions de la sixième directive, le montant de la TVA supportée que peut déduire un assujetti qui se consacre indistinctement à des opérations avec et sans droit à déduction.

45 Même indépendamment de l'effet sur la règle du prorata, j'estime que le régime juridique appliqué par le décret présidentiel aux livraisons de biens est contraire à la sixième directive.

46 Quelle que soit l'ampleur de l'«espace juridique du pouvoir discrétionnaire des États dans la réception de cette directive» auquel se réfère le gouvernement défendeur, j'estime que l'obligation d'exonérer la livraison ultérieure des biens litigieux est claire, précise et inconditionnelle: il n'est pas possible en conséquence de remplacer l'exonération par une formule différente. C'est encore plus vrai lorsque les conséquences juridiques et pratiques sont différentes, selon qu'on choisit l'une ou l'autre option.

47 Il importe de répéter, sur ce point, ce que j'ai déjà exposé en ce qui concerne la définition, dans la sixième directive, des opérations assujetties à la TVA. Si l'on veut préserver l'uniformité de l'application de la taxe, cette définition ne permet pas de convertir, par décision du législateur national, une «livraison de biens» en une «non-livraison de biens».

48 En outre, ce même point de vue a été défendu par les autorités italiennes dans le document remis à la Commission, auquel j'ai déjà fait allusion. L'agent du gouvernement italien n'a offert, ni à l'audience ni ailleurs, le moindre argument justifiant le changement introduit dans le mémoire en défense par rapport à la thèse officielle précédente.

49 Je me prononce donc pour que le recours soit accueilli dans sa totalité. Il incombe à la partie défenderesse de payer les dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

Conclusions

50 En conséquence, je propose à la Cour de faire droit au recours de la Commission, c'est-à-dire:

1) de déclarer que, en instituant et en maintenant en vigueur une réglementation en matière de taxe sur la valeur ajoutée qui n'exonère pas les livraisons de biens exclusivement affectés à une activité exonérée ni les livraisons d'autres biens exclus du droit à déduction, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13, point B, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme;

2) de condamner la République italienne aux dépens.

(1) - JO L 145, p. 1.

(2) - La traduction espagnole de ce point de la sixième directive, telle qu'elle a été publiée à l'édition spéciale du Journal officiel, ne comporte pas l'adverbe «exclusivement» qui se trouve dans les autres versions linguistiques. Il convient donc de l'ajouter, pour respecter l'uniformité de ces versions.

(3) - La Commission a présenté au Conseil, le 25 janvier 1983, une proposition de douzième directive en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (JO C 37, p. 8), modifiée par la suite par une autre proposition du 20 février 1984 (JO C 56, p. 7). Cette proposition n'a pas obtenu l'unanimité nécessaire pour pouvoir être approuvée par le Conseil.

(4) - Le décret présidentiel constitue le texte qui réglemente le régime juridique de la TVA, adopté sur la base d'une délégation législative préalable. Il a été publié à la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana (GURI) n_ 292 du 11 novembre 1972 et son contenu a fait l'objet de nombreuses modifications ultérieures.

(5) - Ce cas est différent de celui où, en augmentant ses prix, l'entreprise ou le titulaire d'une profession qui se consacre à des opérations exonérées (par exemple, une compagnie d'assurance en ce qui concerne la majorité de ses services, un médecin en ce qui concerne certains services sanitaires fournis à ses patients) déplace la pression fiscale sur ses clients.

(6) - On aboutit à cette même conclusion dans l'arrêt du 27 juin 1989, Kuehne (50/88, Rec. p. 1925), dans une affaire présentant une certaine analogie avec celle qui nous occupe: en effet, la possibilité de taxer «un bien d'entreprise qui n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe résiduelle» y est niée au motif que cela «engendrerait une double imposition contraire au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et dans lequel s'insère la sixième directive». Dans le cas tranché par cet arrêt, l'assujetti n'avait pas pu déduire la taxe résiduelle, car il avait acquis le bien, d'occasion, auprès d'un non-assujetti.

(7) - Remis par la représentation permanente de l'Italie auprès des Communautés européennes (document n_ 2868). Je m'y suis référé dans le cadre de la description de la procédure préalable à la formation du recours.

(8) - On ne peut parler à juste titre d'exonération fiscale qu'en présence d'un fait antérieurement assujetti à l'impôt. En tant que notion, l'exonération présuppose une obligation initiale de payer l'impôt, à l'égard de laquelle le législateur accorde, pour différentes raisons, une dispense de paiement. Il s'agit donc d'un bénéfice qui doit obligatoirement être expressément prévu dans la loi pour aboutir à la dispense du devoir de payer l'impôt. Avant de vérifier si une opération déterminée satisfait aux conditions pour bénéficier de l'exonération, il convient de vérifier qu'elle entre dans le champ d'application de l'impôt.

(9) - Arrêt du 4 octobre 1995, Armbrecht (C-291/92, Rec. p. I-2775, point 13).

(10) - Le Conseil aurait dû les concrétiser ou les énumérer en détail mais, comme je l'ai signalé dans la note 3, les tentatives successives à cette fin n'ont pas abouti.

(11) - Il y est fait référence à la lettre a) du deuxième alinéa de l'article 19 qui étend ce régime, non seulement à l'acquisition ou à l'importation, mais également à la prestation de services et à l'entretien des biens cités.

(12) - Ces derniers sont visés à la lettre b) de l'article 19, deuxième alinéa, du décret présidentiel.

(13) - Il est logique qu'une entreprise, dont l'activité consiste à fournir un service de formation de conducteurs ou de pilotes, puisse déduire la TVA supportée pour l'acquisition des véhicules ou avions exclusivement destinés à cet objectif.

(14) - Le terme «art» semble employé dans son sens de métier qui exige une aptitude et des connaissances spéciales pour les personnes qui l'exercent (artisanat). La règle italienne parle à cet égard de «gli essercenti arti o professioni».

(15) - Au point 3 du dispositif de l'arrêt du 11 juillet 1991, Lennartz (C-97/90, Rec. p. I-3795), la Cour a déclaré: «Une règle ou une pratique administrative imposant une restriction générale du droit à déduction en cas d'utilisation professionnelle limitée, mais néanmoins effective, constitue une dérogation à l'article 17 de la sixième directive et n'est valide que s'il est satisfait aux exigences de l'article 27, paragraphe 1, ou de l'article 27, paragraphe 5, de la sixième directive.»

(16) - Selon P. Filippi, dans Le cessioni di beni nell'imposta sul valore aggiunto, (Padova, 1984), la législation italienne relative à la TVA comporte une certaine confusion entre le non-assujettissement et l'exonération: certains cas qualifiés d'exonération doivent être considérés comme une absence d'assujettissement et vice versa; le nombre excessif d'exonérations ne permet pas, selon cet auteur, de comprendre facilement quels ont été les critères sur la base desquels on a opté pour une formule ou pour l'autre.

(17) - Ce calcul est réglementé à l'article 19 de la sixième directive. Le prorata entre en jeu lorsque l'assujetti réalise à la fois des opérations qui donnent droit à déduction et des opérations qui ne permettent pas de déduction. Il est nécessaire, dans de tels cas, de déterminer le degré d'utilisation des biens et services acquis en relation avec les deux catégories d'opérations effectuées, en établissant le pourcentage des opérations qui, parmi celles effectuées par le sujet passif, ouvrent pour lui un droit à déduction. A l'article 17, paragraphe 5, la sixième directive permet aux États membres de choisir une alternative à la règle du prorata. En ce qui concerne l'Italie, la règle du prorata figure à l'article 19, troisième alinéa, du décret présidentiel précité.

(18) - Pour calculer le prorata, il faut déterminer le pourcentage représenté, par rapport au volume total, par les opérations donnant droit à déduction. Le pourcentage qui détermine le prorata est précisément le résultat de la multiplication par cent du volume des opérations donnant droit à déduction, puis de la division du nombre obtenu par le volume total des opérations assujetties.