Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Avis juridique important

|

61995C0347

Conclusions jointes de l'avocat général Tesauro présentées le 23 janvier 1997. - Fazenda Pública contre União das Cooperativas Abastecedoras de Leite de Lisboa, UCRL (UCAL). - Demande de décision préjudicielle: Supremo Tribunal Administrativo - Portugal. - Affaire C-347/95. - Fazenda Pública contre Fricarnes SA. - Demande de décision préjudicielle: Supremo Tribunal Administrativo - Portugal. - Affaire C-28/96. - Taxes nationales de commercialisation sur les produits laitiers et les viandes - Taxe d'effet équivalent - Imposition intérieure - Taxe sur le chiffre d'affaires.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-04911


Conclusions de l'avocat général


1 Les présentes procédures préjudicielles soumettent une nouvelle fois à l'attention de la Cour la problématique, désormais connue, de la compatibilité avec le droit communautaire de taxes grevant indistinctement les produits nationaux et importés, dont le produit est destiné à financer les activités institutionnelles d'un organisme public.

Pour mieux comprendre la portée des questions soumises à la Cour, il convient de procéder, à titre préliminaire, à une description de la nature des taxes litigieuses, des textes normatifs qui les ont instaurées et des compétences des différents organes destinataires du produit desdites taxes (1).

2 Dans l'affaire C-347/95, il s'agit d'une taxe perçue sur les produits laitiers lors de leur commercialisation sur le marché portugais. Cette taxe, instaurée à une date (non précisée) antérieure à 1974, a été par la suite modifiée à plusieurs reprises (2).

L'affaire C-28/96 concerne trois taxes également perçues lors de la commercialisation des produits en cause sur le marché portugais: une taxe sur les viandes, les abats et les oeufs; une taxe sur les viandes bovine, ovine et caprine, spécifiquement destinée à combattre les maladies des ruminants, et une taxe sur la viande porcine, spécifiquement destinée à la lutte contre la peste porcine. Ces taxes, en vigueur depuis une date antérieure à 1949, ont elles aussi fait l'objet de plusieurs modifications successives (3).

3 Le produit des taxes décrites ci-dessus à l'origine destiné à financer un organisme de coordination économique créé en 1939 et dénommé Junta Nacional dos Produtos Pecuários (JNPP). A la suite de l'adhésion de la République portugaise à la Communauté européenne, tous les droits et toutes les compétences de cet organisme avaient été transférés, par décret-loi n_ 15/87 du 9 janvier 1987, à un organisme public nouvellement créé, l'Instituto Regulador e Orientador dos Mercados Agrícolas (ci-après l'«IROMA»), qui devint en outre destinataire du produit des taxes en cause.

En vertu de l'article 3, paragraphe 4, du décret-loi précité, l'IROMA, organisme doté de la personnalité juridique et de l'autonomie patrimoniale et administrative, s'est vu confier la gestion et la coordination des marchés des produits agricoles et de l'élevage. Plus précisément, il accomplissait les tâches suivantes: la constitution de garanties institutionnelles prévues par les systèmes nationaux et communautaires d'intervention, des prix et d'attribution de primes, aides et subventions pour ces produits; la gestion des mécanismes financiers prévus au niveau national ou communautaire pour soutenir les actions d'intervention, de régularisation, d'orientation et d'organisation des marchés en cause; le suivi de l'évolution et du fonctionnement des marchés agricoles et de l'élevage au Portugal et dans les autres États membres; la réglementation et la régularisation du commerce extérieur des produits agricoles et des produits de l'élevage; la participation nationale à la gestion des marchés communautaires de ces produits; la collaboration avec l'administration nationale et avec les services compétents de la Commission, notamment pour la collecte et la diffusion d'informations sur le fonctionnement de ces marchés; la collaboration avec les organismes représentatifs des opérateurs intéressés au fonctionnement des marchés en cause; l'information et la formation des producteurs, industriels, commerçants et consommateurs du secteur; l'initiative législative en matière de régularisation, d'orientation et d'organisation des marchés concernés; enfin, la gestion des abattoirs.

4 En 1988, avec l'adoption du décret-loi n_ 282/88 du 12 août, l'IROMA a été flanqué d'un nouvel organisme, l'Instituto Nacional de Intervenção e Garantia Agrícola (ci-après l'«INGA»). C'est à ce dernier qu'ont été transférées toutes les compétences jusqu'alors exercées par l'IROMA, sauf la gestion des abattoirs.

L'IROMA continuait toutefois de percevoir un pourcentage égal à 50 % du produit des taxes faisant l'objet de la présente procédure, alors que les 50 % restants étaient attribués à l'INGA.

5 Le décret-loi n_ 56/90 du 13 février 1990 a ensuite institué une nouvelle direction spécialisée auprès du ministère de l'Agriculture, la Direcção-Geral dos Mercados Agrícolas e da Indústria Agro-Alimentar (ci-après la «DGMAIAA»). Par ce même décret, toutes les compétences précédemment attribuées à l'IROMA et à l'INGA, ainsi que de nombreuses autres compétences spécifiques dans la gestion et la régularisation des marchés des produits agricoles et de l'élevage (4), ont été transférées à la DGMAIAA.

Avec l'entrée en vigueur, ultérieure, d'un autre décret-loi en la matière (n_ 284/91, du 9 août 1991), une partie du produit des taxes en question a été affectée, à hauteur de 15 %, à la DGMAIAA. Le produit global des taxes litigieuses a donc, à partir de cette année-là, été réparti entre la DGMAIAA, l'INGA et l'IROMA.

6 Les faits à l'origine des présentes procédures remontent à 1991 pour ce qui concerne l'affaire C-347/95 et à 1992, pour ce qui est de l'affaire C-28/96. C'est précisément en raison du non-paiement des taxes ci-avant décrites, dues pour ces années-là, que la Fazenda Pública a en effet émis deux injonctions d'exécution à l'encontre de l'União das Cooperativas Abastecedoras de Leite de Lisboa (ci-après l' «UCAL») et de la société Fricarnes SA (ci-après la «Fricarnes»), en vue de la récupération des sommes non perçues.

L'UCAL et la Fricarnes ont fait opposition auxdites injonctions devant le Tribunal Tributario de Lisboa, en arguant de l'inconstitutionnalité des taxes litigieuses. Le juge de première instance a fait droit aux recours formés par les opposants, mais en déclarant que les taxes en question étaient incompatibles avec le droit communautaire, plus précisément avec les articles 9 et 12 du traité.

7 La Fazenda Pública (ci-après la «requérante») a fait appel de ces deux décisions de première instance devant le Supremo Tribunal Administrativo, qui a décidé de suspendre les deux procédures et de saisir à chaque fois la Cour à titre préjudiciel, en demandant à celle-ci de se prononcer sur l'interprétation des dispositions communautaires pertinentes.

Les trois questions du juge de renvoi, telles qu'elles résultent des ordonnances des 11 août 1994 et 11 octobre 1995, sont formulées en termes analogues et ont trait à la compatibilité des taxes litigieuses avec l'article 95 du traité, avec les articles 9 et 12 de celui-ci, ainsi qu'avec l'article 33 de la sixième directive TVA 77/388/CEE (5).

En ce qui concerne les première et deuxième questions

8 Les première et deuxième questions, qui ont trait à la compatibilité des taxes en cause avec les articles 9 et 12, d'une part, et 95, d'autre part, sont étroitement connexes, de sorte qu'il y a lieu de les examiner conjointement.

A cet égard, nous estimons tout d'abord qu'il convient de rappeler, même brièvement, les principes développés par la Cour dans sa jurisprudence en la matière, que nous n'hésitons pas à définir comme particulièrement exhaustive et bien établie.

9 En premier lieu, la Cour a précisé à plusieurs reprises que les dispositions du traité en matière de taxes d'effet équivalent et l'article 95, relatif aux impositions intérieures discriminatoires, ne peuvent être appliqués cumulativement; partant, la légalité de régimes fiscaux (ou parafiscaux) nationaux rentrant dans le champ d'application des premières ne saurait simultanément être appréciée par rapport au second (6).

La Cour a en outre précisé que, aux fins de la qualification et de l'appréciation juridique des taxes grevant indistinctement les produits nationaux et les produits importés, il est nécessaire de tenir compte de l'affectation des recettes y afférentes. Certaines taxes, en effet, bien que perçues de manière uniforme sur les produits nationaux et les produits importés, peuvent, précisément en raison de leur affectation, exercer une incidence substantiellement différente sur les deux produits, de sorte qu'il y a lieu de les considérer, en fonction des circonstances, soit comme des taxes d'effet équivalent, soit comme des impositions intérieures discriminatoires. En effet, selon une jurisprudence bien établie, même des charges fiscales formellement non discriminatoires, lorsqu'elles sont destinées à financer des activités au bénéfice spécifique des produits nationaux taxés, se traduisent, pour le produit national, par une charge compensée en substance par les avantages reçus, alors que, pour le produit importé, ces charges fiscales représentent une charge pécuniaire nette, ne trouvant aucune compensation dans l'octroi d'autres avantages ou subventions (7).

10 En pareille hypothèse, ainsi que l'a précisé en dernier lieu l'arrêt Scharbatke (8), il importe donc de vérifier dans quelle mesure la taxe perçue sur le produit national est compensée par des avantages reçus. Au cas où la compensation est intégrale, on devra considérer que la charge grève en réalité exclusivement le produit importé et constitue dès lors une taxe d'effet équivalent; au cas où la compensation est partielle, on devra constater que la charge qui pèse sur le produit national est de toute façon inférieure à celle qui pèse sur le produit importé, de sorte que l'on se trouve en présence d'une imposition discriminatoire au sens de l'article 95 du traité.

Il est constant, d'autre part, qu'une telle vérification appartient au juge national, qui est le seul à disposer de l'ensemble des éléments, y compris de fait, nécessaires pour procéder aux appréciations nécessaires (9).

11 Il ressort en outre de la même jurisprudence de la Cour que l'application du principe de la compensation présuppose qu'il y ait identité entre le produit taxé et le produit national bénéficiaire (10). En effet, pour pouvoir vérifier s'il y a eu ou non une compensation de la charge fiscale supportée, il est évidemment nécessaire que les recettes provenant des taxes bénéficient, au moins en partie, au produit national taxé et non exclusivement aux autres produits. Dans ces conditions, il est évident que la question de la compensation ne se pose absolument pas lorsqu'une taxe, perçue par exemple sur la commercialisation de viandes, est ensuite utilisée pour financer des mesures d'incitation uniquement à l'avantage d'autres secteurs, par exemple la production de lait et de produits laitiers.

12 L'arrêt Celbi fournit en outre des indications utiles en ce qui concerne les critères sur lesquels le juge national doit se baser pour vérifier si la compensation dont bénéficie le produit national est totale ou partielle. A cet égard, la Cour a précisé qu'il était nécessaire de vérifier, au cours d'une période de référence, l'équivalence pécuniaire entre les montants globalement perçus sur les produits nationaux et les avantages dont ces produits ont bénéficié à titre exclusif. Tout autre paramètre, comme la nature, l'importance ou le caractère indispensable desdits avantages, ne fournirait pas une base suffisamment objective pour évaluer la compatibilité d'une mesure fiscale nationale avec les dispositions du traité (11).

13 Pour ce qui est, enfin, des conséquences que le juge national devra tirer de la qualification juridique de la contribution au sens de l'une ou l'autre catégorie de normes, elles résultent déjà de l'arrêt IGAV: dans l'hypothèse où les avantages pour la production nationale compensent en totalité (ou même excèdent) la charge supportée par elle, la taxe perçue sur le produit devra, en tant que taxe d'effet équivalant à un droit de douane, être considérée comme illégale dans son intégralité; dans l'hypothèse où, au contraire, les avantages compensent en partie la charge grevant la production nationale, la taxe perçue sur le produit importé, en principe légale, devra simplement faire l'objet d'une réduction proportionnelle (12).

14 En l'occurrence, il appartiendra donc au juge national, en application des principes qui viennent d'être rappelés, de vérifier si, et le cas échéant dans quelle mesure, les produits importés soumis à la taxe tirent également avantage des multiples activités déployées dans le cadre institutionnel par les organismes (envisagés tour à tour) destinataires des taxes litigieuses.

Cette prémisse étant posée, nous n'estimons toutefois pas qu'une réponse de la Cour qui se bornerait à répéter les principes qui se dégagent de sa jurisprudence bien établie soit de nature à permettre au juge de résoudre les litiges dont il est saisi. Si tel était le cas, en effet, ce dernier n'aurait pas suspendu les procédures et saisi la Cour pour solliciter des éclaircissements sur ce point (13). En réalité, la circonstance même que le juge ait soulevé les questions qui nous occupent aujourd'hui témoigne, à notre sens, des difficultés indéniables d'application de cette jurisprudence, pourtant claire dans ses grandes lignes, au cas d'espèce.

15 Nous tenterons donc de formuler quelques observations complémentaires concernant les taxes litigieuses, afin de fournir au juge de renvoi le plus grand nombre d'éléments utiles aux fins de la détermination de leur qualification juridique; cela, bien entendu, dans la limite des informations figurant au dossier (tel que complété par les informations fournies par les parties), et tout en respectant la compétence dudit juge, auquel il appartient, rappelons-le, de statuer à titre définitif sur ce point.

Les taxes litigieuses sont, ainsi qu'il a été indiqué, des contributions grevant indistinctement les produits nationaux et les produits importés, tant en ce qui concerne les taux applicables que les modalités de leur perception (14). A l'époque des faits, leur produit était réparti, suivant une clef de répartition différenciée, entre trois organismes publics, dont l'un (la DGMAIAA) était légalement compétent pour organiser et coordonner, dans les conditions ci-avant précisées, le marché des produits agricoles et de l'élevage (15).

16 C'est précisément à partir de l'examen des tâches confiées à de tels organismes que la requérante, ainsi que le gouvernement portugais et la Commission, tout en reconnaissant au juge national la compétence de statuer à titre définitif sur ce point, tirent la conclusion que les taxes en question ne sembleraient constituer ni des taxes d'effet équivalant à des droits de douane ni des impositions discriminatoires au sens de la jurisprudence de la Cour précitée; et cela, essentiellement, parce que les organismes destinataires du produit de la taxe déployaient (ou avaient déployé) leurs activités de gestion et de coordination du marché concerné en faveur de l'ensemble des opérateurs du secteur, qu'ils soient nationaux ou étrangers.

Ces arguments toutefois ne sont pas en eux-mêmes décisifs. Ils n'excluent pas, en effet, que, indépendamment du caractère formellement non pertinent de la différence entre produits nationaux et produits importés, la production nationale finisse par tirer, de facto, un profit exclusif ou prédominant des prestations de ces organismes, de sorte que l'on ne peut exclure que la charge supportée par les produits nationaux a été complètement (ou partiellement) compensée par ce profit.

17 A preuve, par exemple, les contributions spécifiquement destinées à combattre les maladies des ruminants et la peste porcine. Il est évident que ce sont les animaux élevés sur le territoire national (16) qui pouvaient vraisemblablement bénéficier, pour la plus grande part, sinon de façon exclusive, du produit de ces contributions, destinées au financement des mesures tendant à la prévention et au traitement des maladies du bétail.

A preuve encore le rôle joué par l'IROMA (aujourd'hui par la DGMAIAA) dans le cadre de la discipline et de la régularisation du commerce extérieur des produits agricoles et du bétail (17). A l'évidence, si l'expression «commerce extérieur» se réfère non seulement au commerce des produits concernés avec les pays tiers, mais également au commerce intracommunautaire, il en résulte que, de façon quasi certaine, seuls les producteurs (et donc les produits) nationaux étaient destinés à bénéficier d'une telle activité spécifique.

18 Dans une perspective diamétralement opposée, le gouvernement portugais voit au contraire une preuve supplémentaire de la compatibilité des taxes en cause avec les dispositions communautaires dans la circonstance que, à l'époque des faits des deux affaires en cause, la DGMAIAA assumait seule des compétences organisationnelles dans le secteur concerné, alors que l'INGA et l'IROMA, bien que demeurant destinataires d'une bonne partie du produit (environ 85 %), ne jouaient plus aucun rôle significatif dans le secteur, ce qui exclurait a priori, selon le gouvernement portugais, toute possibilité de compenser la charge supportée par les produits nationaux par des avantages provenant des activités de ces derniers organismes.

Nous avouons que cet argument non plus ne nous paraît pas convaincant. Au contraire, il soulève à notre avis le problème opposé: il reste en effet justement à vérifier - et la Cour ne dispose pas d'informations précises sur ce point - à quel type d'activités se consacraient l'IROMA et l'INGA qui, après avoir été «dépouillées» des compétences d'organisation du marché transférées à la DGMAIAA, sont restées en tout état de cause destinataires d'un pourcentage substantiel des recettes provenant des taxes litigieuses, et quelle incidence de telles activités revêtaient sur l'éventuelle compensation de la charge grevant respectivement les produits nationaux et importés.

19 La Commission observe en outre, quant à elle, que, dans le cas d'espèce, une autre condition, parmi celles établies par la jurisprudence de la Cour, ferait défaut pour que l'on puisse tenir compte de l'éventuelle compensation des charges, à savoir l'identité entre le produit taxé et le produit national éventuellement favorisé, en ce que les organismes destinataires des taxes étaient investis de compétences généralisées aux fins de l'organisation de l'ensemble du marché des produits agricoles et de l'élevage, alors que les contributions en question frappaient exclusivement certains produits.

Il est évident, toutefois, que cette argumentation est basée sur une lecture imprécise de la jurisprudence de la Cour. Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, au point 11, elle doit être correctement entendue en ce sens que la question de la compensation n'a pas de raison d'être lorsqu'une contribution perçue sur un produit déterminé est ensuite utilisée pour financer des mesures incitatives au seul bénéfice d'autres produits; il en va différemment lorsque la même imposition est utilisée pour financer les activités d'une organisation entière de marché, dont relève par définition galement le produit en cause.

20 En définitive, compte tenu des difficultés auxquelles est manifestement confronté le juge de renvoi quant à l'application des principes développés dans la jurisprudence de la Cour, il serait opportun que cette dernière lui fournisse le plus grand nombre d'indications utiles pour la solution du litige, cela afin d'amoindrir le risque, que nous avons d'ailleurs signalé dans nos conclusions sous l'arrêt Lornoy e.a., à savoir que les orientations prises par différents juges, éventuellement appelés à se prononcer par rapport à une même imposition, finissent par être divergentes (18).

En ce qui concerne la troisième question

21 Il nous suffira d'une très brève observation pour fournir au juge une réponse en ce qui concerne la troisième question qui a trait, rappelons-le, à la compatibilité des impositions en question avec l'article 33 de la sixième directive TVA. Cette disposition, on le sait, interdit aux États membres de maintenir ou d'introduire dans leurs législations des impôts, droits et taxes ayant le caractère d'une taxe sur le chiffre d'affaires.

Or, l'examen des impositions en question fait apparaître, nous semble-t-il, à l'évidence, que celles-ci ont des caractéristiques différentes d'une taxe sur la valeur ajoutée, telles que définies avec précision par la jurisprudence constante de la Cour (19). Ces contributions, en effet, contrairement à la TVA, ne s'appliquent pas de manière générale et concernent au contraire uniquement certains produits; elles ne sont pas (du moins apparemment) proportionnelles au prix de ces produits; elles ne sont pas perçues à chaque stade du processus de production et de distribution; enfin, elles ne s'appliquent pas sur la valeur ajoutée des produits, ce qui fait que la partie d'imposition payée lors de la transaction en amont n'est pas déductible.

Aucun problème de compatibilité des contributions en question avec la disposition précitée de la sixième directive ne nous semble donc se poser en l'espèce.

22 A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre aux questions déférées par le Supremo Tribunal Administrativo comme suit:

«1) Une taxe perçue indistinctement sur les produits nationaux et sur les produits importés, dont le produit est destiné à financer des activités dont bénéficient les seuls produits nationaux, de sorte que les avantages qui en découlent compensent intégralement la charge qui pèse sur eux, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, interdite par les articles 9 et 12 du traité. Lorsque ces avantages compensent uniquement une partie de la charge grevant les produits nationaux, la taxe constitue au contraire une imposition intérieure discriminatoire, interdite par l'article 95 du traité.

Il appartient au juge national de vérifier s'il existe une équivalence pécuniaire entre les montants globalement perçus sur les produits nationaux au titre de l'imposition et les avantages dont ces produits bénéficient à titre exclusif. Dans le cadre de cette vérification, le juge national devra tenir compte de la circonstance que le produit de la taxe est spécifiquement destiné à combattre les maladies du bétail élevé sur le territoire national et/ou à régulariser le commerce, avec les autres États membres, des produits frappés par la taxe.

2) L'article 33 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, n'empêche pas les États membres d'introduire ou de maintenir en vigueur des taxes ne présentant pas les caractéristiques d'une taxe sur le chiffre d'affaires; une taxe perçue uniquement sur certains produits, qui n'est pas proportionnelle au prix desdits produits, qui n'est pas perçue à chaque stade du processus de production et de distribution et qui ne s'applique pas sur la valeur ajoutée des produits ne présente pas les caractéristiques d'une taxe sur le chiffre d'affaires.»

(1) - Les deux ordonnances de renvoi sont à vrai dire aussi laconiques l'une que l'autre à cet égard, étant donné qu'elles se limitent en fait à formuler les questions préjudicielles soumises à la Cour. Nous considérons toutefois comme suffisants les éléments de fait et de droit qui ont été en tout état de cause acquis au dossier, en particulier à travers les éclaircissements fournis par la requérante, le gouvernement portugais et la Commission, en réponse à des questions spécifiques posées par écrit par la Cour. Eu égard également au caractère essentiel que l'on doit selon nous conserver à la coopération entre le juge communautaire et les juges nationaux, nous ne nous aventurerons donc pas à approfondir la question de l'adéquation formelle des ordonnances de renvoi au regard des possibilités pour la Cour de prendre connaissance des éléments pertinents.

(2) - Le décret-loi n_ 309/86 du 23 septembre 1986 fixe en son article 1er le taux applicable à l'époque des faits de la cause.

(3) - Les taux applicables pour chacune desdites taxes à l'époque des faits avaient été fixés, respectivement, par le décret-loi n_ 343/86 du 9 octobre 1986, par le décret-loi n_ 240/82 du 22 juin 1982 et par le décret-loi n_ 44158 du 17 janvier 1962. Les trois taxes ont été par la suite supprimées par le décret-loi n_ 365/93 du 22 octobre 1993. Ainsi qu'il résulte des observations de la Commission, elles avaient toutes fait l'objet de procédures d'infraction pour violation des obligations imposées par l'article 95 du traité, procédures qui ont été ultérieurement classées pour des raisons différentes: pour ce qui est de la première taxe, en vertu de l'absence constatée d'effets discriminatoires; pour ce qui est des deux autres taxes, par suite de leur suppression.

(4) - Voir notamment les articles 2 et 6, paragraphe 1, du décret-loi n_ 56/90.

(5) - Directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).

(6) - Voir, parmi les décisions les plus récentes, l'arrêt du 2 août 1993, Celbi (C-266/91, Rec. p. I-4337, point 9). Mais le principe se trouve déjà dans les arrêts du 8 juillet 1965, Deutschmann (10/65, Rec. p. 601), et du 16 juin 1966, Lütticke (57/65, Rec. p. 293).

(7) - La jurisprudence sur ce point est abondante; voir, par exemple, les arrêts déjà anciens du 19 juin 1973, Capolongo (77/72, Rec. p. 611); du 18 juin 1975, IGAV (94/74, Rec. p. 699), et du 25 mai 1977, Cucchi (77/76, Rec. p. 987), ou, plus récemment, l'arrêt du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l'Ouest e.a. (C-78/90 à C-83/90, Rec. p. I-1847).

(8) - Arrêt du 27 octobre 1993 (C-72/92, Rec. p. I-5509, point 10).

(9) - Voir, par exemple, arrêts Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., précité (note 7), point 28, ainsi que du 16 décembre 1992, Lornoy e.a. (C-17/91, Rec. p. I-6523, point 22).

(10) - Voir arrêts Cucchi, précité (note 7), ainsi que du 25 mai 1977, Interzuccheri (105/76, Rec. p. 1029).

(11) - Arrêt Celbi précité (note 6), point 18.

(12) - Arrêt IGAV, précité (note 7), point 13, ainsi que, plus récemment, arrêt Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., également précité (note 7), point 27.

(13) - Il y a lieu par ailleurs de rappeler que le juge qui a soulevé les questions qui nous occupent aujourd'hui est précisément celui qui avait saisi la Cour dans l'affaire Celbi, en sollicitant de celle-ci une interprétation en ce qui concerne les mêmes dispositions. Il en résulte qu'à l'évidence ledit juge est parfaitement conscient des principes contenus dans la jurisprudence de la Cour en la matière.

(14) - Sur ce point, on notera également que la question du fait générateur des taxes litigieuses, à l'époque des faits, n'a toujours pas été clarifiée. En effet, alors que le dossier fait apparaître qu'il s'agissait de taxes perçues lors de la commercialisation des produits en cause, certaines déclarations de l'agent du gouvernement portugais à l'audience donneraient à penser que pour les produits importés les contributions en cause étaient perçues lors de l'importation. Il appartiendra donc, également sur ce point, au juge national de procéder aux vérifications nécessaires et d'en tirer les conséquences qui s'imposent.

(15) - Voir ci-dessus, points 3 à 5.

(16) - Cette circonstance a d'ailleurs été en substance admise par le gouvernement portugais à l'audience.

(17) - Voir ci-dessus, point 3.

(18) - Conclusions du 25 juin 1992, sous l'arrêt Lornoy e.a., précité (note 9), sous a).

(19) - Voir, par exemple, arrêt du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading (C-200/90, Rec. p. I-2217, point 11).