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Avis juridique important

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61995C0384

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 25 septembre 1997. - Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG contre Finanzamt Calau. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht des Landes Brandenburg - Allemagne. - TVA - Notion de prestation de services - Indemnité nationale à l'extensification de la production de pommes de terre. - Affaire C-384/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-07387


Conclusions de l'avocat général


1 Le problème en cause dans la présente demande déférée à la Cour par le Finanzgericht des Landes Brandenburg concerne le point de savoir si, en réduisant sa production de pommes de terre en échange d'une aide nationale, un exploitant agricole fournit un service à titre onéreux au sens de la sixième directive TVA (1).

Les dispositions communautaires en cause

2 L'article 2, point 1, de la sixième directive dispose que:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

3 L'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive stipule que:

«Est considérée comme `prestation de services' toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5.

Cette opération peut consister entre autres:

...

- en une obligation de ne pas faire ou de tolérer un acte ou une situation,

- en l'exécution d'un service en vertu d'une réquisition faite par l'autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi.»

4 A l'époque des faits, c'est-à-dire en 1990, l'article 12, paragraphe 3, de la sixième directive était libellé comme suit:

«Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d'imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services.»

5 L'article 12, paragraphe 3, a été modifié par la directive 92/77/CEE du Conseil (2), que les États étaient tenus de mettre en oeuvre au plus tard le 31 décembre 1992. Pour ce qui nous concerne, l'article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive stipule que:

«A partir du 1er janvier 1993, les États membres appliquent un taux normal qui, jusqu'au 31 décembre 1996, ne peut être inférieur à 15 %.

...

Les États membres peuvent également appliquer soit un, soit deux taux réduits. Les taux réduits ne peuvent être inférieurs à 5 % et s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et prestations de services des catégories visées à l'annexe H.»

6 L'annexe H, insérée par la directive 92/77, inclut:

«Les denrées alimentaires (y compris les boissons, à l'exclusion, toutefois, des boissons alcooliques) destinées à la consommation humaine et animale; les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires; les produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer des denrées alimentaires.»

Les faits et les questions de la juridiction nationale

7 Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG (ci-après «Landboden»), la partie demanderesse au principal, a pris la succession juridique de la Landwirtschaftliche Produktionsgenossenschaft (P) Bronkow (ci-après «Bronkow»). En 1990, Bronkow avait perçu une indemnité de la Kreisverwaltung Calau (services administratifs du cercle Calau), Amt für Ernährung, Landwirtschaft und Forsten (office de l'alimentation, de l'agriculture et des forêts), au titre de l'arrêté du 13 juillet 1990 visant à favoriser l'extensification (3) de la production agricole. L'indemnité, à savoir 348 660 DM au total, était accordée en échange d'une réduction de 20 % de la production annuelle de pommes de terre de Bronkow. Lors de la déclaration fiscale du chiffre d'affaires pour l'année 1990, Bronkow n'a pas inclus l'aide dans le chiffre d'affaires imposable, ce qui a eu pour résultat une restitution au titre de la taxe sur le chiffre d'affaires pour cette année-là. Après une enquête, les autorités fiscales ont conclu que l'indemnité aurait dû être incluse dans le chiffre d'affaires imposable de Bronkow et elles ont émis un avis d'imposition modifié.

8 Au cours de la procédure qui a suivi, le Finanzgericht a décidé de demander une décision à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1) Un exploitant agricole assujetti qui, en 1990, a, dans le land Brandenburg de la République fédérale d'Allemagne, limité sa production de pommes de terre en s'abstenant de récolter au moins 20 % des pommes de terre cultivées fournit-il, à un bénéficiaire déterminé, une prestation de services au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - 77/388/CEE - (ci-après `sixième directive')?

2) L'aide versée, conformément à l'arrêté du 13 juillet 1990 visant à favoriser l'extensification de la production agricole, pour l'extensification de la production de pommes de terre constitue-t-elle une prestation en argent imposable en vertu de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive?

3) En cas de réponse positive à la question 1):

convient-il d'appliquer à la prestation de services effectuée le taux réduit prévu par les dispositions combinées de l'article 12, paragraphe 3, sous a), quatrième phrase, et de l'annexe H de la sixième directive?»

L'arrêt rendu dans l'affaire Mohr

9 Au cours du déroulement de la procédure dans la présente espèce, la Cour a rendu un arrêt dans l'affaire Mohr (4), dans lequel elle a jugé que l'engagement pris par un exploitant agricole d'abandonner la production laitière conformément à un règlement communautaire ne constituait pas une prestation de services. C'est pourquoi l'indemnité perçue par l'exploitant agricole conformément au règlement n'était pas soumise à la TVA. La Cour est arrivée à cette conclusion pour les motifs suivants:

«... en indemnisant les exploitants agricoles qui s'engagent à cesser leur production laitière, la Communauté n'acquiert ni biens ni services pour son propre usage, mais agit dans l'intérêt général qui est de favoriser le fonctionnement régulier du marché communautaire du lait.

Dans ces circonstances, l'engagement de l'exploitant agricole d'abandonner sa production laitière n'apporte ni à la Communauté ni aux autorités nationales compétentes d'avantages de nature à permettre de les considérer comme les consommateurs d'un service. L'engagement en cause ne constitue donc pas une prestation de services au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la directive.»

10 La Commission considère que le raisonnement de la Cour tel qu'il apparaît dans l'arrêt Mohr est également applicable à la subvention en cause dans la présente espèce, c'est-à-dire à l'indemnité octroyée par les autorités publiques en échange d'une réduction de la production dans le cadre d'un régime national d'intervention. Nous partageons ce point de vue.

11 Cependant, comme nous allons l'expliquer ci-dessous, le Finanzamt et le gouvernement allemand critiquent la solution adoptée dans l'affaire Mohr et estiment que la Cour ne devrait pas l'étendre à la présente espèce.

Analyse des problèmes soulevés

12 On pourrait, à juste titre, considérer que soumettre les aides à la TVA ne présente que peu d'intérêt, voire aucun. En agissant de la sorte, l'autorité publique récupère tout simplement de l'argent qui a été octroyé par elle-même ou par une autre autorité publique; dans ce dernier cas, l'imposition des aides constitue une manière plutôt laborieuse - et onéreuse - de redistribuer les recettes entre les autorités publiques. L'imposition, au niveau national, d'aides communautaires ne serait, par exemple, rien d'autre qu'un détournement de ressources du budget communautaire vers celui d'un État membre (à l'exception, bien entendu, de la partie de la TVA qui fait partie des ressources propres de la Communauté et qui devrait être reversée à la Communauté).

13 En outre, à moins d'une compensation du montant récupéré sous forme de taxe par une augmentation équivalente du montant de l'aide, la taxation réduira les effets économiques que l'aide est supposée produire. Lorsque le bénéficiaire a le choix entre vendre sa production et accepter une aide en échange de la non-commercialisation de celle-ci, la taxation de l'aide rendra celle-ci moins attrayante.

14 La sixième directive ne prévoit qu'une taxation limitée pour les aides. L'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), inclut dans la base d'imposition les «subventions directement liées au prix» des opérations. Ainsi, une subvention fera partie de la base d'imposition si son versement est soumis à la condition que le bénéficiaire fournisse des biens ou des services. A titre d'exemple, une mesure de soutien au titre de laquelle un exploitant agricole perçoit une certaine somme pour chaque produit vendu fait partie de la rémunération de la livraison. En revanche, les aides qui concernent moins des fournitures concrètes et qui visent, de manière plus générale, à améliorer la situation économique de l'entreprise ne font pas partie de la base d'imposition. Parmi les exemples de telles subventions, on peut citer les subventions en vue de l'acquisition d'éléments d'actifs, de la couverture de pertes et de la restructuration d'une entreprise.

15 La distinction faite par la sixième directive n'est pas exempte de difficultés. Comme la Commission l'a noté dans son premier rapport (5):

«L'article 11 - A par. 1 litt. a) de la directive stipule que les subventions reçues par un assujetti et qui sont `directement liées au prix' des opérations effectuées par cet assujetti sont à inclure dans la base d'imposition, au titre d'éléments du prix payés par des tiers. S'il est relativement facile de considérer, en première analyse, comme `directement liées au prix' les subventions dont le montant est déterminé soit par rapport au prix de vente des biens ou des services fournis, soit en fonction des quantités vendues, soit encore en fonction du coût de biens ou de services offerts gratuitement au public, le plus grand doute subsiste en ce qui concerne d'autres types de subventions, telles que les subventions dites d'équilibre ou les subventions dites de fonctionnement, dont le versement vise à assainir la situation économique d'une entreprise et qui sont octroyées sans référence explicite à quelque prix que ce soit. L'absence de différence substantielle entre ces types de subventions (celles qui sont `directement liées au prix' ayant également un but d'assainissement dans la plupart des cas), ainsi que la possibilité pour un État membre de transformer une subvention du premier type en une subvention du second type, montrent le caractère précaire de la distinction, basée sur des éléments purement formels (la manière dont la subvention est octroyée) et donc l'insuffisance du libellé de la directive.»

16 La manière dont les subventions sont traitées dans la sixième directive peut néanmoins être considérée comme conforme à la règle générale selon laquelle il doit y avoir un lien direct entre la fourniture et la contrepartie (6). On pourrait également la justifier par la circonstance que les subventions octroyées par rapport à des fournitures spécifiques sont susceptibles d'avoir un impact plus direct sur la concurrence. D'un point de vue superficiel du moins, les arguments allant dans le sens d'un traitement de ces subventions comme faisant partie du prix payé par le consommateur (ou pour son compte) semblent prévaloir.

17 Quels que soient les mérites de la condition posée par la sixième directive, il semble clair qu'elle n'est pas remplie par la subvention en cause dans la présente espèce.

18 Il semble tout d'abord clair que la subvention n'est pas directement liée à la livraison de produits aux consommateurs. Elle ne fait par conséquent pas partie de la contrepartie d'une livraison de biens au sens de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive. Au contraire, son objectif est de stabiliser les marchés en limitant la livraison de produits. Elle vise à améliorer la situation de l'exploitant agricole, d'une part, en lui donnant une compensation pour la production perdue et, d'autre part, en entraînant une augmentation du prix des produits vendus aux consommateurs. C'est pourquoi la subvention peut être distinguée d'une subvention visant à soutenir les prix, comme celle décrite ci-dessus, qui cherche à améliorer la situation financière de l'exploitant agricole en subventionnant des livraisons de produits déterminées.

19 Cependant, le Finanzamt et le gouvernement allemand, tout en admettant que la subvention en cause dans la présente espèce ne saurait être considérée comme faisant partie de la contrepartie d'une livraison de biens relevant de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), estiment qu'elle relève de la sixième directive en tant que contrepartie de la prestation d'un service. Le fait, pour l'exploitant agricole, de limiter sa production ou de s'abstenir de commercialiser certains produits est un service à part, distinct de la livraison de produits aux consommateurs et comportant sa propre contrepartie. Il a été soutenu que, en exigeant que l'autorité publique reçoive une fourniture pour son propre usage, la Cour a ajouté une condition qui n'était pas prévue par la sixième directive. Le gouvernement allemand étaye cette conclusion par l'exemple - plutôt exotique - d'un particulier qui achète une île des mers du sud; la vente de l'île constituerait une livraison de biens au sens de la sixième directive, indépendamment de la question de savoir si la personne utilise effectivement l'île. Le gouvernement allemand ajoute qu'une subvention peut constituer la contrepartie d'une prestation de services même si elle est versée dans l'intérêt général.

20 Le gouvernement allemand estime que la solution adoptée par la Cour dans l'affaire Mohr aboutit à une distorsion de la concurrence. Il cite l'exemple d'un exploitant agricole qui cultive certains produits pour un coût s'élevant à 100 DM. Les conditions du marché sont cependant telles qu'il ne pourrait vendre sa production que pour 1 DM. Pour compenser la perte, il perçoit 99 DM de la Communauté. Aux termes de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), le montant imposable serait de 100 DM. Si, en revanche, la Communauté avait acheté la production pour 100 DM afin de stabiliser le marché, la subvention ne serait, selon le gouvernement allemand, pas soumise à la TVA en raison de l'arrêt rendu dans l'affaire Mohr. Il souligne que l'assujetti agit de la même manière et perçoit le même revenu; il n'empêche que dans l'une de ces hypothèses il effectue une livraison soumise à la TVA, ce qui n'est pas le cas dans la seconde hypothèse.

21 L'exemple du gouvernement allemand n'est pas tout à fait pertinent, car, comme nous allons le démontrer, il nous semble que, dans la seconde hypothèse, on serait en présence d'une livraison de biens au sens de la sixième directive. L'argument du gouvernement allemand comporte cependant un défaut plus fondamental: il omet de reconnaître que la TVA n'est pas une taxe sur le revenu, mais une taxe sur la consommation. Le revenu d'un assujetti n'est concerné par la TVA que s'il constitue la contrepartie de biens ou de services fournis à un consommateur. En l'absence de consommation, il ne devrait donc pas y avoir de TVA.

22 A cet égard, il est nécessaire de distinguer entre les livraisons de biens et les prestations de services. Comme le gouvernement allemand l'a illustré avec son exemple de l'île des mers du sud, la livraison de biens par un assujetti entraîne toujours une consommation, indépendamment de l'utilisation - si utilisation il y a - qui est faite de ces biens. Sous l'angle de la TVA, la consommation ne signifie pas une utilisation effective, mais seulement l'acquisition du droit de disposer des biens en tant que propriétaire. Lorsque les biens passent par la chaîne commerciale, ils doivent être soumis à la TVA - la mission des autorités fiscales serait impossible si elles étaient obligées de s'interroger sur la question de savoir si les biens font l'objet d'une jouissance effective.

23 Ainsi, si une autorité publique acquiert un terrain en vue de la construction d'une autoroute, mais que, en définitive, elle n'en fait rien, il y a cependant toujours une livraison de biens. En outre, la circonstance que l'acquisition a été faite dans l'intérêt public, dans le cadre d'une politique fondée en matière de transports n'a pas pour effet de l'exclure du champ d'application de la TVA. Comme nous l'avons déjà indiqué, il ne fait aucun doute que, dans l'exemple, cité par le gouvernement allemand, de l'achat de biens par la Commission ou par un organisme d'intervention, on est en présence d'une livraison de biens.

24 La situation est cependant plus complexe pour ce qui concerne les services. Les services sont définis de manière résiduelle dans la sixième directive comme «toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien». L'acquisition d'un service est plus difficile à constater que l'acquisition d'un bien. Tout paiement, sauf peut-être un don, sera subordonné à des conditions dont l'accomplissement pourrait, par extension sémantique, être qualifié de service.

25 Pour déterminer si un service a été fourni au sens de la sixième directive, il est nécessaire toutefois d'examiner l'opération à la lumière des objectifs et des caractéristiques du système commun de TVA. L'article 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, 71, p. 1301) stipule que:

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition.

A chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

...»

26 L'opération intervenue dans la présente espèce ne correspond pas à cette définition. Il n'y a pas de consommation. L'exploitant agricole ne fournit pas des biens à un consommateur, il ne fournit pas des services à un consommateur identifiable et il ne fournit aucun avantage susceptible d'être un élément constitutif du coût de l'activité d'une autre personne dans la chaîne commerciale.

27 Dans l'ordonnance de renvoi intervenue dans la présente espèce, rendue avant le prononcé, par la Cour, de l'arrêt Mohr, la juridiction nationale a abouti à une conclusion similaire pour ce qui concerne la législation allemande:

«... il convient de se demander qui est censé être le bénéficiaire de la prestation potentielle. L'article premier, paragraphe 1, première phrase, point 1, de l'Umsatzsteuergesetz (loi sur le chiffre d'affaires, ci-après `UStG') (RDA et République fédérale d'Allemagne) n'indique certes pas de manière expresse que la prestation doit être fournie à un destinataire concret. Cette exigence découle cependant d'une part de la nature même de l'affaire et des caractéristiques de la taxe sur le chiffre d'affaires qui constitue une taxe sur la consommation, ainsi que, d'autre part, de nombreuses autres dispositions de l'UStG pour lesquelles cette condition s'impose de manière évidente (par exemple, articles 3, paragraphe 1, 6, paragraphe 2, 7, 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 2, de l'UStG/RDA et République fédérale d'Allemagne). S'agissant d'aides publiques, un tel bénéficiaire concret des prestations fait souvent défaut. Il est vrai que, dans la mesure où le comportement auquel l'assujetti est incité relève de l'intérêt public, on pourrait considérer que la collectivité est le bénéficiaire de la prestation. La collectivité n'est cependant, du point de vue de la juridiction de renvoi, pas un bénéficiaire concret de prestations tel qu'exigé pour que l'on soit en présence d'une opération soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires. L'autorité qui verse l'aide ne saurait, elle non plus, être considérée comme le bénéficiaire de la prestation. L'assujetti ne lui fournit pas une prestation concrète. Il ne limite pas la production agricole pour l'autorité qui accorde l'aide...»

28 La situation de la présente espèce peut être opposée à celle dans laquelle le concurrent d'un assujetti conclut un accord (peut-être anticoncurrentiel) visant à limiter la production de l'assujetti. En payant l'assujetti pour qu'il agisse en ce sens, le concurrent espère augmenter le prix de ses marchandises. Le service acheté auprès de l'assujetti est manifestement un élément constitutif du prix de vente du concurrent, au même titre que le coût de la matière première ou de la main- d'oeuvre. Le concurrent est un consommateur identifiable du service fourni par l'assujetti, qui consiste dans la limitation de la production ou dans l'abandon de la commercialisation.

29 Dans la présente espèce, cependant, en supposant que l'on est en présence d'un service soumis à la TVA, le Finanzamt contourne en fait la règle selon laquelle seules des subventions liées au prix font partie de la base d'imposition. En outre, s'agissant d'une subvention comme celle dont il s'agit en l'espèce, le Finanzamt pourrait imposer non seulement l'augmentation du prix de vente de la production résultant de la diminution des livraisons (une augmentation qui risque d'être plus importante que le montant de la subvention octroyée), mais également la subvention.

30 On peut également noter que les dispositions combinées de l'article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive et de l'annexe H prévoient des taux réduits uniquement pour les livraisons de denrées alimentaires et non pas pour des services consistant dans la limitation de la production ou la non-commercialisation de denrées alimentaires. A notre avis, le gouvernement allemand a raison de suggérer - en réponse à la partie 3) des questions posées par la juridiction nationale - que la prestation de tels services ne peut pas bénéficier du taux réduit. Ainsi, le point de vue du gouvernement allemand aboutit à un résultat aberrant, à savoir qu'il conviendrait d'imposer au taux normal l'indemnité versée pour la non-livraison de denrées alimentaires aux consommateurs, alors que les denrées alimentaires elles-mêmes auraient, si elles avaient été vendues, pu bénéficier d'un taux réduit conformément à l'option offerte aux États membres par les dispositions précitées.

31 D'autre part, contrairement au gouvernement allemand, nous ne pensons pas que le fait qu'un exploitant agricole, en acceptant la subvention, évite de payer la TVA constitue une aberration. Rappelons à cet égard que la TVA n'est pas une taxe sur le revenu, mais une taxe sur la consommation.

Conclusion

32 En conséquence, nous sommes d'avis qu'il convient de répondre comme suit aux questions déférées par le Finanzgericht des Landes Brandenburg:

«Une aide nationale versée à un exploitant agricole pour l'extensification de la production de pommes de terre ne constitue pas la contrepartie d'une livraison de biens ou d'une prestation de services au sens de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme.»

(1) - Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

(2) - Directive du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388 (rapprochement des taux de TVA) (JO L 316, p. 1).

(3) - Ce terme quelque peu trompeur, qui n'apparaît pas dans le Petit Robert, se trouve dans la législation communautaire et désigne une réduction de la production agricole: voir, par exemple, règlement (CEE) n_ 797/85 du Conseil, du 12 mars 1985, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture (JO L 93, p. 1), et règlement (CEE) n_ 1760/87 du Conseil, du 15 juin 1987, modifiant les règlements n_ 797/85, (CEE) n_ 270/79, (CEE) n_ 1360/78 et (CEE) n_ 355/77 en ce qui concerne les structures agricoles et l'adaptation de l'agriculture à la nouvelle situation des marchés et le maintien de l'espèce rural (JO L 167, p. 1). Selon The Times du 23 janvier 1989, «l'extensification, dans le jargon communautaire, désigne une méthode de culture moins intensive, qui compense des rendements moindres par des économies sur les dépenses de fourrage, d'engrais et de pesticides». Source: Oxford English Dictionary Word and Language Service (OWLS), Oxford University Press.

(4) - Arrêt du 29 février 1996 (C-215/94, Rec. p. I-959).

(5) - Premier rapport de la Commission au Conseil sur le fonctionnement du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée présenté conformément à l'article 34 de la sixième directive (77/388/CEE) du 17 mai 1977, COM(83) 426 final, 14 septembre 1983, p. 37.

(6) - Voir, parmi les arrêts les plus récents, ceux rendus par la Cour le 24 octobre 1996, Argos Distributors (C-288/94, Rec. p. I-5311), et Elida Gibbs (C-317/94, Rec. p. I-5339).