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Avis juridique important

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61996C0063

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 27 février 1997. - Finanzamt Bergisch Gladbach contre Werner Skripalle. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Dispositions fiscales - Sixième directive TVA - Base d'imposition - Relations personnelles entre le fournisseur et le bénéficiaire des prestations. - Affaire C-63/96.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-02847


Conclusions de l'avocat général


1 Lorsqu'un propriétaire d'immeubles les donne en location à une société proche moyennant un loyer qui ne couvre pas, en réalité, les dépenses exposées pour l'acquisition et l'entretien des immeubles, mais qui correspond aux loyers courants sur le marché pour ce type de biens immobiliers, un État membre peut-il néanmoins considérer le montant de ces dépenses comme constituant la base d'imposition d'une telle opération locative, aux fins de la TVA? Pour répondre à cette question posée par le Bundesfinanzhof, la Cour doit essentiellement interpréter l'article 27 de la sixième directive du Conseil et examiner, en particulier, la proportionnalité d'une mesure adoptée en application de cet article (1).

I - Les faits et le contexte juridique

Les dispositions juridiques applicables

i) La sixième directive

2 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la directive «... les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel» sont soumises à la TVA. L'article 6, paragraphe 1, définit la «prestation de services» comme «toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5». La «base d'imposition» des opérations soumises à la TVA est définie à l'article 11 de la sixième directive. Pour les opérations effectuées à l'intérieur du territoire d'un État membre, l'article 11, lettre A, énonce la règle générale suivante:

«1. La base d'imposition est constituée:

a) pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous ... c) ... par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations.

...

c) pour les opérations visées à l'article 6, paragraphe 2, par le montant des dépenses engagées par l'assujetti pour l'exécution de la prestation de services.

...»

3 La règle dite du «montant des dépenses» pour déterminer la «base d'imposition» s'applique aux cas particuliers de consommation privée visés à l'article 6, paragraphe 2, qui prévoit ce qui suit:

«Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence».

4 L'article 27 de la sixième directive constitue l'unique disposition du titre XV, intitulé «Mesures de simplification». Il permet aux États membres, sous les conditions qu'il énonce, de déroger à d'autres dispositions de la directive. L'article 27, paragraphe 5, concerne le maintien en vigueur de mesures de droit interne existantes qui peuvent ne pas être compatibles avec la sixième directive. L'article 27, paragraphes 1 à 4, concerne les nouvelles mesures dérogatoires et est libellé comme suit:

«1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe dû au stade de la consommation finale.

2. L'État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation.

3. La Commission en informe les autres États membres dans un délai d'un mois.

4. La décision du Conseil sera réputée acquise si, dans un délai de deux mois à compter de l'information visée au paragraphe 3, ni la Commission ni un État membre n'ont demandé l'évocation de l'affaire par le Conseil».

ii) La législation allemande

5 En Allemagne, l'Umsatzsteuergesetz 1980 (loi sur la taxe sur le chiffre d'affaires de 1980, ci-après l'«UStG») a mis le droit allemand en conformité avec la sixième directive (2). En ce qui concerne la base d'imposition dans le cadre de la TVA, l'article 10, paragraphe 1, de l'UStG définit de manière générale la «rémunération» comme «tout ce que le preneur de services débourse pour obtenir la prestation, déduction faite toutefois de la taxe sur le chiffre d'affaires».

6 En cas de consommation privée, l'article 10, paragraphe 4, déroge à ce principe général. La base d'imposition est constituée, en application du sous-paragraphe 2, par les «coûts afférents à l'exécution de ces opérations» (3).

7 En application de l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG, la base d'imposition prévue en cas de consommation propre s'applique également aux prestations effectuées à titre onéreux entre personnes proches. Le paragraphe 5 est ainsi rédigé:

«Le paragraphe 4 est applicable mutatis mutandis:

1) aux livraisons et autres prestations effectuées par des sociétés de personnes au sens de l'article 1er, paragraphe 1, points 1 à 5, de la loi relative à l'impôt sur les sociétés, par les associations de personnes non dotées de la personnalité juridique ainsi que par les communautés dans le cadre de leur entreprise, en faveur de leurs actionnaires, sociétaires, membres, associés ou proches de ceux-ci ainsi que par des entrepreneurs individuels en faveur de leurs proches

...

lorsque la base d'imposition au sens du paragraphe 4 est supérieure à la rémunération au sens du paragraphe 1».

La procédure devant la juridiction nationale

8 La partie demanderesse et intimée au principal (ci-après le «demandeur») est propriétaire d'un immeuble de rapport qu'elle a fait construire elle-même et de divers appartements. Elle a donné ces biens en location à une société à responsabilité limitée (ci-après le «locataire») dont les associés étaient constitués de son épouse et de son fils majeur. Chacun des associés détenait 50 % des parts, mais son épouse était le gérant de la société locataire, seule habilitée à la représenter. Les parties au principal ont admis que les loyers convenus entre le demandeur et le locataire correspondaient aux loyers normaux du marché pour les biens immobiliers comparables du même secteur.

9 Un litige est né concernant le montant de la TVA dû par le demandeur sur ces loyers, dans la mesure où le loyer convenu était inférieur à ce que l'on appelle la «base minimale d'imposition» (Mindestbemessungsgrundlage) applicable en vertu des dispositions combinées de l'article 10, paragraphe 5, point 1, et de l'article 10, paragraphe 4, point 2, de l'UStG, précités. Le demandeur a été imposé, à la suite d'un contrôle spécifique afférent à la TVA, par le Finanzamt (services fiscaux) Bergisch Gladbach conformément à cette base d'imposition.

10 Après avoir exercé sans succès un recours administratif, le demandeur a saisi le Finanzgericht (tribunal du contentieux fiscal) qui a fait droit à sa demande. Bien qu'il ait en réalité estimé que le locataire n'était pas un proche du demandeur au sens de l'article 10, paragraphe 5, point 1, de l'UStG, le Finanzgericht a également jugé que l'article 10, paragraphe 5, point 1, était d'interprétation stricte et était donc inapplicable lorsque la rémunération convenue pour les prestations fournies correspond aux prix du marché pour de telles prestations. Se référant en particulier à l'exposé des motifs fourni par le gouvernement allemand, lors de la présentation au parlement, en 1978, du projet de loi qui devait devenir l'UStG, le Finanzgericht a jugé que la base minimale d'imposition prévue à l'article 10, paragraphe 5, doit s'appliquer lorsque l'entrepreneur fournit un bien ou une prestation «pour une rémunération anormalement basse» (zu unangemessen niedrigen Entgelten) afin d'exclure des utilisations qui échapperaient partiellement à l'impôt (4). Cependant, il a estimé que cette disposition n'était pas destinée à s'appliquer aux prestations effectuées entre des personnes proches moyennant une rémunération conforme au marché, car de telles opérations ne se distinguent pas, selon le Finanzgericht, de celles effectuées entre des personnes non proches.

11 Le Finanzamt a introduit un recours contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof (cour financière fédérale, ci-après la «juridiction nationale»). La juridiction nationale constate que l'application de la base minimale d'imposition a pour conséquence - dans la mesure où elle est supérieure à la rémunération convenue - de faire supporter au prestataire le supplément de TVA, puisqu'il ne s'agit pas d'une taxe sur la rémunération susceptible d'être répercutée sur le bénéficiaire des prestations. La juridiction nationale a admis que les loyers convenus correspondaient au taux du marché, tout en étant inférieurs aux «dépenses engagées» (Kostenmiete) déterminées sur la base des frais exposés hors taxe, et a également admis, à la différence du Finanzgericht, que le locataire était une personne proche du demandeur au sens de l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG. Le juge a quo s'est ensuite demandé si cette disposition était applicable ou si, au contraire, le demandeur pouvait se prévaloir du principe général en matière de base d'imposition, énoncé à l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive. Il a par conséquent décidé de saisir la Cour à titre préjudiciel, en application de l'article 177 du traité, des questions suivantes:

«1) Une autorisation délivrée par le Conseil, en vue de l'introduction d'une mesure particulière dérogatoire à la directive 77/388/CEE, mesure qui prévoit, afin d'éviter certaines fraudes fiscales, qu'en cas de fourniture de prestations à titre onéreux entre proches il y a lieu de prendre pour base minimale d'imposition le montant des dépenses tel que défini à l'article 11, A, paragraphe 1, sous c), de la directive 77/388/CEE, est-elle également couverte par l'article 27 de la directive 77/388/CEE lorsque la rémunération convenue est conforme à celle pratiquée sur le marché mais inférieure à la base d'imposition minimale et que l'on n'est par conséquent pas en présence d'un cas d'évasion fiscale?

2) Un État membre peut-il opposer à un assujetti des dispositions fiscales constituées par des mesures particulières dérogatoires au sens de l'article 27 de la directive 77/388/CEE, lorsque la décision d'autorisation délivrée par le Conseil n'a pas été publiée au Journal officiel des Communautés européennes, et qu'il n'y a pas non plus eu communication de la procédure d'autorisation telle que prévue par l'article 27, paragraphes 2 à 4, de la directive 77/388/CEE - après qu'elle a été mise en oeuvre - dans les publications officielles de l'État membre concerné?»

L'analyse de la juridiction nationale

i) Sur la première question

12 La juridiction nationale constate que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG a été introduit en tant que mesure particulière au sens de l'article 27 de la sixième directive, dérogeant à l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a). Le projet de loi du gouvernement allemand du 15 mars 1978 avait été accompagné d'un exposé des motifs concernant l'adoption de l'article 10, paragraphe 5, selon lequel «cette règle est couverte par l'article 27, paragraphe 1, de la sixième directive» (5). C'est cette disposition qui a été invoquée le 12 mai 1978, lorsque le gouvernement allemand a avisé la Commission de son intention de mettre en oeuvre la mesure particulière. Il a prétendu que, dans les opérations pour lesquelles la rémunération convenue était anormalement basse, il était nécessaire, afin d'éviter les fraudes ou évasions fiscales, de s'assurer qu'une base d'imposition plus élevée puisse être appliquée. La règle des dépenses prévue à l'article 10, paragraphe 4, de l'UStG devait constituer la base d'imposition chaque fois que la rémunération effectivement payée pour les biens ou services concernés est inférieure à cette valeur. La juridiction nationale note que l'introduction de cette base minimale d'imposition garantit que les prestations effectuées moyennant une rémunération insuffisante seront imposées comme des prestations à titre gratuit, et qu'il est ainsi exclu que la consommation au stade du consommateur final ne soit pas imposée.

13 La Commission a informé la République fédérale d'Allemagne, par lettre du 15 septembre 1978, qu'elle avait ouvert la procédure prévue à l'article 27, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive en informant les autres États membres, par lettre du 12 juin 1978, de la notification effectuée par la République fédérale d'Allemagne. Ni la Commission ni aucun État membre n'ont demandé l'évocation de l'affaire par le Conseil. Une fois expiré le délai visé à l'article 27, paragraphe 4, de la directive (6), le Conseil est réputé avoir autorisé la République fédérale d'Allemagne à adopter les mesures (7).

14 La juridiction nationale émet des doutes sur la conformité de l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG au principe de droit communautaire selon lequel les «mesures particulières» adoptées en vertu de l'article 27 de la sixième directive visant à éviter les fraudes ou évasions fiscales ne peuvent, en principe, déroger à l'article 11 de la directive que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif (8). Elle observe que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG ne permet pas de tenir compte de l'éventualité dans laquelle la rémunération conforme au marché convenue entre deux personnes proches est, certes, inférieure aux frais engagés, mais sans être anormalement basse. La base minimale d'imposition doit s'appliquer même lorsqu'il n'est pas question d'évasion fiscale. L'autorisation tacite du Conseil, en vertu de l'article 27, n'était fondée que sur l'objectif d'éviter l'évasion fiscale qui avait été assigné à la mesure allemande envisagée dans la notification à la Commission effectuée par lettre du 12 mai 1978. Son prétendu rôle de mesure de simplification n'a pas été porté à la connaissance de la Commission lors de la procédure d'autorisation.

ii) Sur la deuxième question

15 La juridiction nationale se réfère à la jurisprudence Internationale Crediet- en Handelsvereniging Rotterdam et Cooeperatieve Suikerfabriek en Raffinaderij Puttershoek (9) et relève que le défaut de publication de mesures dont la publication n'est pas exigée par le traité - telle l'autorisation accordée par le Conseil dans le présent cas d'espèce - ne peut avoir d'effet sur la validité ou l'efficacité de la mesure. Cependant, la juridiction nationale n'a pas accueilli l'argument du Bundesfinanzministerium (ministère fédéral des Finances, ci-après le «ministère»), soulevé dans le cadre de la procédure au principal, selon lequel la déclaration effectuée par le gouvernement fédéral lors de la présentation, en 1978, de son projet de loi devait être interprétée comme constituant une publication effective de son intention de déroger à l'article 11 de la sixième directive. Selon le juge a quo, la publication «dans des sources accessibles à un large public» est nécessaire pour permettre aux assujettis de comprendre qu'une dérogation à la sixième directive a été autorisée et qu'ils ne peuvent donc pas invoquer l'application directe de règles de cette directive qui leur sont plus favorables.

II - Observations présentées à la Cour

16 Des observations écrites ont été déposées par la République fédérale d'Allemagne, la République française et la Commission. Des observations orales ont été présentées par le demandeur, la République fédérale d'Allemagne, la République française, la Commission et le royaume des Pays-Bas. La République française a limité ses observations écrites et orales à la seconde question. Étant donné la concordance des vues exprimées, dans les observations écrites, sur la deuxième question, la République fédérale d'Allemagne a limité ses observations orales à la première question. Le demandeur et la Commission ont également concentré leurs observations orales sur la première question. Le royaume des Pays-Bas, bien qu'exprimant un intérêt particulier pour la seconde question, a néanmoins présenté quelques observations sur la première question.

III - Analyse

Sur la première question

17 A titre préliminaire, il convient de définir la nature de la dérogation en cause. Ni le ministère, dans le cadre de la procédure au principal, ni le gouvernement fédéral, dans ses observations devant la cour de céans, n'ont contesté que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG était incompatible avec l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive. Les prestations de services fournies «à titre gratuit» en cas de «consommation privée» visées à l'article 6, paragraphe 2, sous b), doivent se voir imposées sur la base du montant des dépenses, en application de l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous c). La mesure particulière qui consiste à étendre cette règle à tout le moins aux opérations pour lesquelles une rémunération conforme au marché a été convenue est incompatible avec l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a). Il s'ensuit qu'elle ne peut être appliquée que si elle entre dans le champ d'une autorisation régulièrement accordée en application de l'article 27.

18 Par sa première question, la juridiction nationale cherche pour l'essentiel à savoir si l'autorisation accordée par le Conseil peut, conformément à l'article 27 de la sixième directive, être utilisée par la République fédérale d'Allemagne dans des hypothèses où il n'existe pas de preuves d'évasion ni de fraude fiscales. Cependant, dans la mesure où la République fédérale d'Allemagne prétend dans ses observations écrites, à titre subsidiaire par rapport à son argumentation principale - à savoir que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG est conforme à l'article 27 en tant que mesure visant à éviter l'évasion fiscale -, que la mesure particulière peut être considérée, en réalité, comme une mesure de simplification, nous commencerons par examiner cette affirmation.

i) La règle nationale serait une mesure de simplification

19 Le titre XV de la sixième directive concerne les «Mesures de simplification». L'article 27, paragraphe 1, prévoit expressément que les demandes d'autorisation de dérogation aux dispositions de la sixième directive peuvent concerner des mesures considérées comme nécessaires soit «... afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales» (10). En outre, la dernière phrase de l'article 27, paragraphe 1, comporte une disposition spécifique aux demandes de mesures de simplification, qui ne s'applique pas aux mesures anti-évasion, et qui est la condition suivante: «les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe dû au stade de la consommation finale». Il est donc clair que le législateur communautaire a eu l'intention d'opérer une distinction entre les deux types de mesures.

20 L'importance de cette distinction a été soulignée par la Cour et l'avocat général dans l'affaire Commission/Belgique (11). Il en résulte que, en application de l'article 27 de la sixième directive, les États membres doivent précisément identifier tant le contenu que la nature des mesures dérogatoires dont ils demandent l'autorisation. Dans l'affaire Direct Cosmetics I (12), où le Royaume-Uni avait introduit une nouvelle réglementation des années après avoir obtenu du Conseil une autorisation, en application de l'article 27, pour une mesure visée dans sa demande à la Commission, la Cour a jugé que la notification initiale avait épuisé son effet à partir du moment où la mesure notifiée avait été remplacée par une disposition nouvelle, «... à moins qu'il soit établi que la disposition nouvelle peut être considérée comme substantiellement la même que la disposition ancienne» (13). Plus récemment, dans l'affaire BP Soupergaz (14), la République hellénique invoquait l'article 27 alors qu'elle s'était contentée de notifier à la Commission l'intégralité d'un projet de loi. La Cour a jugé que, dans une notification effectuée en application de l'article 27, l'État membre requérant doit non seulement se référer «de manière expresse à l'article 27, paragraphe 2» mais doit également informer précisément la Commission des mesures spéciales qu'il envisage d'adopter par dérogation à la sixième directive (15).

21 Nous estimons que l'obligation faite aux États membres, en application de l'article 27 de la sixième directive, de préciser la nature des mesures dérogatoires envisagées inclut la nécessité d'exposer les motifs pour lesquels leur adoption est envisagée. On ne peut pas demander à la Commission, au Conseil et aux autres États membres d'examiner de telles mesures dans le bref délai imparti s'ils n'ont pas connaissance de l'objectif dont elles se réclament. La nécessité d'une interprétation stricte de l'article 27, en tant que disposition permettant d'autoriser des dérogations à la sixième directive, exige qu'un État membre forme une nouvelle demande chaque fois qu'il perçoit une nouvelle nécessité de demander une dérogation. La juridiction nationale a relevé que la République fédérale d'Allemagne avait été autorisée par le Conseil à appliquer des mesures particulières destinées à combattre l'évasion fiscale en matière de TVA. La thèse de la juridiction nationale, selon laquelle la République fédérale d'Allemagne ne peut pas, à présent, tenter de reformuler le fondement de la notification qu'elle avait faite en 1978, en prétendant que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG peut également jouer le rôle d'une mesure de simplification dans les opérations impliquant des personnes proches, est, à l'évidence, juste (16).

ii) La règle nationale en tant que mesure visant à éviter la fraude ou l'évasion fiscale

a) Introduction et observations

22 La Cour a constamment jugé que les dérogations aux dispositions générales de la sixième directive devaient être interprétées strictement. Dès lors que l'article 27, paragraphes 1 à 4, prévoit que les dérogations nationales individuelles à la sixième directive doivent être autorisées, ainsi que la Cour l'a souvent énoncé, elles sont d'interprétation stricte (17). Sur la portée des mesures autorisées en vue d'éviter la fraude ou l'évasion fiscale, la Commission se réfère à juste titre au principe énoncé par la Cour dans l'arrêt Commission/Belgique, selon lequel de telles mesures «doivent être de nature à éviter des fraudes ou évasions fiscales, mais [qu'elles] ne peuvent déroger en principe au respect de la base d'imposition de la TVA visée par l'article 11 que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif» (18). En outre, la Commission fait valoir que, dès lors qu'une rémunération conforme au marché est payée, rien ne peut justifier que l'on autorise à déroger à la base normale d'imposition prévue à l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), qui se réfère à «la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ... de l'acheteur». A l'audience, la Commission a rappelé, en l'approuvant, la pratique actuelle du Conseil qui consiste à vérifier que ces mesures particulières approuvées au titre de l'article 27 se limitent au strict minimum nécessaire pour atteindre leur objectif (19). Le demandeur a insisté sur le caractère potentiellement arbitraire d'une base d'imposition constituée par les dépenses, alors que, dans le secteur du bâtiment, de telles dépenses sont souvent surévaluées. Dans le présent cas d'espèce, le demandeur a fait construire l'immeuble à ses propres frais mais le loyer du marché se trouve être inférieur à celui qui serait fondé sur ces frais.

23 La République fédérale d'Allemagne conteste le caractère disproportionné de sa mesure particulière. Elle indique qu'il est normal d'exiger, en règle générale, qu'un prestataire de services reçoive une rémunération égale, au minimum, aux frais exposés pour fournir la prestation en question. Elle affirme que les cas dans lesquels la rémunération habituelle sur le marché ne correspond pas à ces dépenses minimales sont exceptionnels et prétend que les conséquences de l'application de l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG à ces hypothèses respectent le principe de proportionnalité; toute réglementation juridique se doit de présenter une certaine abstraction et, par conséquent, une mesure en vue d'éviter l'évasion fiscale peut légitimement être rédigée par référence aux circonstances de fait qui se rencontrent habituellement dans les affaires d'évasion en matière de TVA. Invoquant le point 30 de l'arrêt Commission/Belgique (20), la République fédérale d'Allemagne prétend que les mesures en vue d'éviter l'évasion fiscale peuvent, conformément à l'article 27 de la sixième directive, englober, le cas échéant, également des éléments forfaitaires. Elle compare la relative rareté des hypothèses dans lesquelles l'application de l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG aboutira à faire usage d'une base d'imposition supérieure à la rémunération du marché, au caractère général des mesures belges jugées disproportionnées par la Cour dans l'arrêt Commission/Belgique (21). Dans cette affaire, le prix de catalogue en vigueur pour une voiture neuve, notifié aux autorités compétentes, était présumé correspondre à la rémunération reçue par le vendeur de véhicules, sans tenir compte des nombreuses remises et autres ristournes sur les prix qui sont fréquemment convenues dans la pratique. La République fédérale d'Allemagne souligne, en outre, que la mesure particulière applique une base d'imposition dont l'utilisation est expressément envisagée par l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive en cas de consommation privée. Dans la mesure où cette hypothèse est assimilable aux opérations effectuées à titre onéreux entre des personnes proches, la mesure particulière, bien que fondée sur une dérogation, reproduit le raisonnement de la directive.

24 Le royaume des Pays-Bas a fait plaider qu'une juridiction nationale ne peut pas remettre en cause le caractère proportionnel d'une autorisation accordée par le Conseil en vertu de l'article 27, paragraphes 1 à 4, car dans le cas contraire la validité de la décision du Conseil approuvant la mesure serait, en réalité, soumise au contrôle de la juridiction nationale. L'agent du royaume des Pays-Bas a affirmé que la question de la conformité de la décision au principe de proportionnalité ne pouvait être soulevée que dans le cas où la validité de la décision était également expressément contestée.

b) Prise de position

25 L'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive met à la charge des États membres une obligation claire et non conditionnelle lorsqu'il s'agit de fixer la base imposable d'une opération. La Cour a déjà jugé que «les dispositions de l'article 11, sous A, paragraphe 1 ... confèrent aux particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir devant le juge national» (22). Un État membre qui se prévaut d'une dérogation accordée par le Conseil au titre de l'article 27 en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale en matière de TVA, autorisant l'application d'une base d'imposition autre que celle prévue à l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), doit justifier du champ d'application et de la mise en oeuvre des mesures adoptées. Dans la mesure où elles ne sont pas strictement nécessaires pour atteindre cet objectif, elles ne peuvent être appliquées au détriment de l'assujetti (23).

26 Nous ne pouvons accueillir l'objection du royaume des Pays-Bas selon laquelle la première question déférée par la juridiction nationale remet en cause la validité de l'autorisation du Conseil. La juridiction nationale a choisi de demander si cette décision couvre l'application des mesures allemandes dans les cas où il n'y a pas d'évasion fiscale et où une rémunération conforme au marché a été convenue. Cela pose une question d'interprétation et non pas de validité. La Cour doit fournir au juge a quo des critères pour décider si la dérogation invoquée par la République fédérale d'Allemagne pour défendre l'applicabilité de ces mesures particulières aux circonstances en cause dans le litige au principal, qui serait, à défaut, manifestement contraire à l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), est autorisée au titre de la dérogation accordée en vertu de l'article 27 de la sixième directive. La question de droit communautaire qui se pose à la Cour concerne par conséquent le champ d'application et non pas la validité de la dérogation autorisée par le Conseil.

27 Le simple fait que l'application de mesures nationales puisse être en règle générale justifiée par l'intérêt qu'il y a à éviter que la consommation finale échappe à l'impôt dans les opérations impliquant des personnes proches ne saurait justifier, en soi, l'application de ces mêmes mesures à des cas où une rémunération conforme au marché a été convenue. Il convient de rappeler ici un certain nombre d'observations faites par la juridiction nationale. Tout d'abord, elle indique que les hypothèses telles que le présent cas d'espèce, où le loyer est bien insuffisant pour couvrir les dépenses, même si elles ne sont pas «si fréquentes et [qu'elles] n'ont pas de conséquences financières si importantes qu'elles aient pour conséquence des distorsions de concurrence ... ne sont tout de même pas limitées à quelques exceptions négligeables». Cette affirmation de la juridiction nationale doit être retenue par préférence à l'affirmation contraire de la République fédérale d'Allemagne, dont l'agent, d'ailleurs, a reconnu à l'audience que ce cas de figure est davantage susceptible de se rencontrer en matière de location immobilière. En outre, le principe de proportionnalité qui régit la mise en oeuvre par les États membres de mesures visant à éviter l'évasion fiscale dans le cadre d'autorisations délivrées par le Conseil en application de l'article 27 exige qu'elles se limitent aux cas où elles sont strictement nécessaires. La juridiction nationale indique, ensuite, que «l'impôt sur le chiffre d'affaires qui doit être versé sur la différence entre la base minimale d'imposition et la rémunération convenue ne peut être répercuté sur le bénéficiaire de la prestation». Cela pourrait peut-être se justifier, à première vue, si l'on considère que le prestataire de services, qui doit payer la TVA sur la contrepartie déclarée supérieure, pourra déduire la TVA payée en amont à due concurrence et ne subira, ainsi, aucune perte. Cependant, cela nous paraît heurter le principe de neutralité du système de la TVA. Dans son arrêt récent Elida Gibbs, la Cour a jugé que (24): «Le principe de base réside dans le fait que le système de la TVA vise à grever uniquement le consommateur final. Par conséquent, la base d'imposition de la TVA à percevoir par les autorités fiscales ne peut pas être supérieure à la contrepartie effectivement payée par le consommateur final et sur laquelle a été calculée la TVA qui pèse en définitive sur ce consommateur.»

Par ailleurs, dans les cas ordinaires de vente à perte, il n'est pas question d'imposer l'opération sur un prix de vente artificiellement augmenté afin d'uniformiser la taxe en amont et en aval. En troisième lieu, et sur un plan beaucoup plus fondamental, la juridiction nationale considère que le recours à la base minimale d'imposition est disproportionné lorsque la rémunération correspond au taux du marché et qu'il n'y a pas d'évasion fiscale. Elle relève, en des termes auxquels nous souscrivons, que rien ne s'opposait à ce que l'on utilise la valeur normale comme base d'imposition, dans le cadre d'une mesure particulière dérogatoire. Autrement dit, elle estime que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG va au-delà de l'objectif de la dérogation.

28 Nous approuvons la thèse de la juridiction nationale. Il n'y a pas lieu de remettre en cause la validité de la dérogation. Il aurait été très facile de prévoir les hypothèses, telles que le présent cas d'espèce, dans lesquelles la rémunération reçue en contrepartie de la prestation correspond à la valeur normale du marché. Dans la mesure où l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG ne contient pas une telle disposition, il va au-delà de son objectif déclaré et est incompatible avec l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive.

Sur la deuxième question

i) Introduction

29 Par la deuxième question, la juridiction nationale vise à savoir si le défaut de publication aux niveaux communautaire et national peut affecter la validité ou l'efficacité d'une mesure dérogatoire, par ailleurs valablement autorisée par le Conseil en application de l'article 27 de la sixième directive. Contrairement à la position adoptée par la juridiction nationale et le demandeur, la République française, la République fédérale d'Allemagne, le royaume des Pays-Bas et la Commission sont unanimes sur le fait qu'une telle dérogation ne dépend pas, quant à sa validité ou à son applicabilité, d'une quelconque publication ou notification qui, selon eux, n'est pas requise par quelque disposition ou principe de droit communautaire que ce soit. Cette question, dans la mesure où elle est susceptible de soulever le problème général de l'efficacité des décisions non publiées des institutions communautaires à l'égard des parties autres que leurs destinataires, devrait être examinée attentivement par la Cour dans sa formation plénière. Dans la mesure où la Cour peut, si elle suit notre recommandation quant à la première question déférée, décider qu'il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième question, c'est avec quelques réserves que, dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle, nous nous estimons tenus d'examiner la deuxième question. Cependant, il convient de noter la spécificité de cette question: telle que formulée par la juridiction nationale, elle ne concerne que le droit des États membres à se prévaloir de «mesures particulières dérogatoires au sens de l'article 27» en l'absence de publication de la décision correspondante du Conseil à la fois dans le Journal officiel des Communautés européennes et dans celui de l'État membre destinataire. C'est par conséquent eu égard à cette question particulière, exclusivement, qu'il faut comprendre les commentaires suivants.

ii) Prise de position

30 L'article 191 du traité exige que certains actes de droit communautaire soient publiés au Journal officiel des Communautés européennes. Il prévoit ce qui suit, en ce qui nous intéresse dans la présente affaire:

«2. Les règlements du Conseil et de la Commission, ainsi que les directives de ces institutions qui sont adressées à tous les États membres, sont publiés dans le Journal officiel de la Communauté. Ils entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le vingtième jour suivant leur publication.

3. Les autres directives, ainsi que les décisions, sont notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification.»

La décision réputée acquise du Conseil d'autoriser une dérogation en application de l'article 27 de la sixième directive constitue une «décision», au sens de l'article 191, paragraphe 3, du traité, dont la publication n'est pas requise (25). En effet, comme la République française l'a fait valoir, dès lors qu'elle prend effet lors de sa notification (en l'espèce à l'État membre requérant), sa validité ne peut dépendre de quelque obligation - même implicite - de publication au Journal officiel. Cette interprétation a été confirmée par la Cour dans l'arrêt Internationale Crediet- en Handelsvereniging Rotterdam (26). Tout en soulignant que, même s'il apparaît souhaitable que les décisions de nature dérogatoire - il s'agissait des décisions adoptées par la Commission en vertu de l'article 226, paragraphe 2, du traité - «ne demeurent pas privées d'une publicité», la Cour a observé que «l'article 191 ne prescrit pour les décisions que leur notification aux destinataires» (27).

31 La République française et la République fédérale d'Allemagne relèvent que la pratique qui consiste à inclure les décisions du Conseil adoptées en vertu de l'article 27 de la directive dans la section de la série «L» du Journal officiel qui est intitulée «Actes dont la publication n'est pas une condition de leur applicabilité» n'a vu le jour que dans les années 80 et que plusieurs décisions du Conseil non publiées avant cette date seraient privées d'effet par l'argument du demandeur. Par ailleurs, il serait curieux que le droit communautaire impose au Conseil une obligation de faire publier une décision autorisant une dérogation à une directive, alors que celle-ci n'est elle-même publiée qu'à titre d'information.

32 L'article 27 de la sixième directive n'impose pas davantage, dans son libellé, d'obligation de publier une autorisation accordée dans ce cadre. La République française insiste particulièrement sur les énonciations de l'arrêt BP Soupergaz selon lesquelles «les dérogations à la directive ne sont conformes au droit communautaire qu'à la condition, d'une part, qu'elles se maintiennent à l'intérieur du cadre des objectifs visés par l'article 27, paragraphe 1, et, d'autre part, qu'elles aient fait l'objet d'une notification à la Commission et d'une autorisation du Conseil, tacite ou expresse, acquise dans les conditions précitées par les paragraphes 1 à 4 du même article» (28). Même si la Cour n'était pas saisie de cette question dans l'affaire BP Soupergaz, les termes de cet extrait de l'arrêt permettent de déduire implicitement qu'il n'existe pas d'obligation de publication en droit communautaire. Nous partageons l'avis de la juridiction nationale sur le fait que le défaut de publication de l'autorisation au Journal officiel n'affecte pas sa validité.

33 Cependant, la seconde question porte également sur le point de savoir si l'efficacité au niveau national d'une autorisation régulièrement accordée par le Conseil peut être affectée par la non-publication dans l'organe de publication officiel de l'État membre destinataire. La juridiction nationale relève que la Commission avait indiqué, dans les observations qu'elle avait présentées dans l'affaire Boesenberg (29), que, en l'absence de publication de la procédure d'autorisation relative à l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG, la mesure particulière allemande ne pourrait pas être appliquée au préjudice d'un assujetti qui, par ailleurs, serait en droit de se prévaloir des dispositions plus favorables et directement applicables de la sixième directive. Dans les observations présentées à la Cour de céans, la République fédérale d'Allemagne défend les arguments avancés par le ministère dans le cadre de la procédure au principal. Elle s'appuie sur la déclaration explicite de l'exposé des motifs joint au projet de loi du 15 mars 1978, selon laquelle la disposition qui allait devenir l'article 10, paragraphe 5, était destinée à entrer dans le cadre d'une dérogation au titre de l'article 27 de la sixième directive. Cette déclaration a, selon elle, avisé les assujettis du fait que le gouvernement allemand avait déjà obtenu ou était sur le point d'obtenir l'autorisation nécessaire du Conseil. Bien entendu, un assujetti est libre de contester la compatibilité de toute autorisation finalement accordée avec la sixième directive. Dans ces conditions, la juridiction nationale peut, toujours selon le gouvernement fédéral, demander aux autorités allemandes de lui fournir toute information utile sur l'autorisation conforme à l'article 35 de la Grundgesetz (Constitution allemande).

34 A notre avis, la question à se poser est celle de savoir si l'absence de publication de la mesure dérogatoire porte atteinte à la sécurité juridique ou à l'efficacité du contrôle judiciaire qui doit être à la disposition des assujettis qui souhaitent en contester l'application. Ainsi, par exemple, dans l'affaire Gondrand et Garancini, la Cour a jugé que «le principe de sécurité juridique exige qu'une réglementation imposant des charges au contribuable soit claire et précise, afin qu'il puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre des dispositions en conséquence» (30). Qui plus est, dans l'arrêt Heylens e.a. (31), la Cour a décrit le droit à disposer d'un contrôle juridictionnel efficace sur la légalité de décisions portant atteinte à l'exercice de droits fondamentaux conférés par le traité (en l'espèce l'article 48 du traité) comme devant permettre aux intéressés de défendre leur «droit dans les meilleures conditions possibles et se [voir] reconnaître la faculté de décider, en pleine connaissance de cause, s'il est utile pour eux de saisir la juridiction» (32). Nous ne pensons pas que l'absence de publication au niveau national d'une décision du Conseil telle que celle qui est en cause dans la présente affaire porte atteinte, autrement qu'à un niveau purement formel, peut-être, à la sécurité juridique et à l'efficacité du contrôle juridictionnel ou administratif ouvert aux assujettis auxquels la décision fait grief.

35 Dans des cas tels que celui du demandeur, l'assujetti a accès, puisqu'il s'agit de textes publiés, tout d'abord au texte de la sixième directive qui l'informe expressément du fait que des dérogations peuvent être autorisées implicitement par le Conseil en application de l'article 27 et, en second lieu, à la teneur du droit interne qui (dans le présent cas d'espèce) met en oeuvre tout à la fois cette directive et la disposition litigieuse dérogatoire à la directive qui lui est opposée. A première vue, par conséquent, un contrôle judiciaire lui est ouvert dans la mesure où il peut, par une simple contestation, même au cours d'une première phase administrative, exiger de l'État membre concerné qu'il explique la divergence existant entre le texte des dispositions de droit national mettant en oeuvre la sixième directive et celui de la directive elle-même. En outre, à moins que l'État membre ne puisse prouver l'existence d'une dérogation régulière, l'assujetti a le droit d'invoquer directement les dispositions concernées de la sixième directive. C'est sur l'État membre que pèse, par conséquent, la charge de la preuve et c'est lui qui doit, si nécessaire, apporter la preuve, devant la juridiction nationale, du respect des conditions de l'article 27, comme la Cour l'a expliqué dans l'arrêt BP Soupergaz (voir point 32 ci-dessus). Dans de tels litiges, sans préjudice des droits conférés par le droit interne, le droit communautaire exige que l'assujetti se voie accorder, en toute clarté, toute possibilité de contester et de mettre en cause cette conformité. Il faut supposer que la juridiction nationale lui accordera, conformément aux règles procédurales de droit interne, l'accès à toute information utile, ainsi que les délais et l'assistance appropriés en matière de frais judiciaires; à l'effet d'un procès équitable (33). Toutefois, nous ne voyons pas en quoi le défaut de publication de la mesure dérogatoire pourrait, en soi, affecter le droit d'un État membre de s'en prévaloir. Cela vaut, en particulier, lorsque la mesure dérogatoire autorisée limite le champ d'application d'une directive qui a été mise en oeuvre dans les délais et de manière appropriée par l'État membre concerné, conformément à l'article 189 du traité, et qui prévoit apparemment de façon expresse l'autorisation de telles mesures dérogatoires.

IV - Conclusion

36 C'est pourquoi nous sommes d'avis que la première question déférée par la juridiction nationale devrait recevoir la réponse suivante:

«Une autorisation accordée par le Conseil au profit d'un État membre, en vertu de l'article 27 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, autorisant l'introduction de mesures particulières en vue d'éviter l'évasion fiscale en matière de TVA, n'inclut pas dans son champ une réglementation nationale qui, en cas de prestations à titre onéreux effectuées entre des personnes proches, prend pour base minimale d'imposition le montant des dépenses engagées par l'assujetti au sens de l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous c), de la directive 77/388, y compris lorsque la rémunération convenue correspond au prix du marché tout en étant inférieure à la base minimale d'imposition.»

Si la Cour ne devait pas suivre nos recommandations sur la réponse à apporter à la première question, il conviendrait selon nous de répondre de la manière suivante à la deuxième question:

«Un État membre peut opposer à un assujetti une réglementation nationale qui met en oeuvre une autorisation implicite par le Conseil de mesures dérogatoires accordée au titre de l'article 27, paragraphe 1, de la directive 77/388, satisfaisant à la fois aux conditions de fond et de forme quant à sa validité, telles que celles-ci résultent de l'article 27, paragraphes 1 à 4, de la directive 77/388, nonobstant le fait, d'une part, que la décision du Conseil autorisant ces mesures n'a pas été publiée au Journal officiel des Communautés européennes et, d'autre part, que la procédure d'autorisation au titre de l'article 27, paragraphes 2 à 4, de la directive 77/388 n'a pas été publiée - après sa mise en oeuvre - au Journal officiel de l'État membre.»

(1) - Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive») (JO L 145, p. 1).

(2) - BGBl. I, p. 1953.

(3) - La taxe sur le chiffre d'affaires ne fait cependant pas partie de la base d'imposition.

(4) - BRDrucks 145/78, 38.

(5) - BTDrucks, 8/1779.

(6) - Puisque l'article 27, paragraphe 4, fixe un délai de deux mois, le délai doit être considéré comme ayant expiré, comme l'indique la République fédérale d'Allemagne dans ses observations écrites, le 13 août 1978.

(7) - Dans ses observations écrites, la République fédérale d'Allemagne informe la Cour que l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG est entré en vigueur le 1er janvier 1980. Il est indiqué à la Cour que le texte de cette disposition n'a pas été amendé au cours du processus législatif national.

(8) - Sur ce principe, elle cite les arrêts du 12 juillet 1988, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs (138/86 et 139/86, Rec. p. 3937) (Direct Cosmetics II); du 13 février 1985, Direct Cosmetics (5/84, Rec. p. 617) (Direct Cosmetics I), et du 10 avril 1984, Commission/Belgique (324/82, Rec. p. 1861).

(9) - Arrêt du 18 février 1964 (73/63 et 74/63, Rec. p. 1).

(10) - C'est nous qui soulignons.

(11) - Citée dans la note 8 ci-dessus; voir, en particulier, le point 24 de l'arrêt et la troisième partie des conclusions de l'avocat général M. VerLoren van Themaat.

(12) - Arrêt cité dans la note 8 ci-dessus.

(13) - Il convient de noter que, dans ses conclusions sous l'arrêt Direct Cosmetics I, l'avocat général M. VerLoren van Themaat a comparé le remplacement par un État membre d'une mesure notifiée (et approuvée) en application de l'article 27 avec la situation dans laquelle une telle mesure «s'avère a posteriori avoir un contenu différent de celui communiqué par l'État membre intéressé lors de la notification et est ensuite remplacée par une mesure formulée différemment» (Rec. 1985, p. 627).

(14) - Arrêt du 6 juillet 1995, BP Soupergaz (C-62/93, Rec. p. I-1883).

(15) - Point 23 de l'arrêt. La raison d'être de ces exigences est expliquée par l'avocat général M. Jacobs dans ses conclusions. Se référant à la brièveté du délai d'approbation tacite des mesures, dans le cadre de l'article 27, et à la nécessité de vérifier la proportionnalité de ces mesures, il indique que: «il est donc essentiel que les États membres et, en particulier, la Commission aient véritablement l'occasion d'examiner les mesures envisagées afin de vérifier le respect de ces exigences. Eu égard aux délais imposés par l'article 27, cette appréciation n'est possible que si la Commission est saisie spécifiquement des mesures envisagées»; voir point 36 des conclusions.

(16) - En effet, l'avocat général M. VerLoren van Themaat, dans ses conclusions sous l'arrêt Commission/Belgique, se référant à la pratique juridique de la Commission et du Conseil relativement à l'application de l'article 27, paragraphe 1, observe que: «En effet, l'annexe IV de la réplique de la Commission fait apparaître que, pour le moins dans un cas, le Conseil et la Commission ont accepté la fixation d'une base d'imposition minimale pour éviter la fraude (article 10, paragraphe 5, de la loi allemande sur la taxe sur le chiffre d'affaires)» (c'est nous qui soulignons). Pour autoriser une telle base en tant que mesure de simplification, il faudrait que le Conseil vérifie si le projet est conforme aux exigences de la dernière phrase de l'article 27, paragraphe 1. On ne peut pas admettre qu'une mesure notifiée en tant que mesure visant à éviter l'évasion fiscale invite ou autorise à procéder à un tel examen.

(17) - Voir, par exemple, concernant les exonérations visées par l'article 13 de la sixième directive, l'arrêt du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties (C-348/87, Rec. p. 1737, point 13), et l'arrêt du 11 août 1995, Bulthuis-Griffioen (C-453/93, Rec. p. 2341, point 19).

(18) - Point 29 de l'arrêt.

(19) - L'agent de la Commission a cité une décision récente dans laquelle le Conseil autorisait le royaume des Pays-Bas à déroger à l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), et à appliquer la valeur normale comme base d'imposition pour la constitution de certains droits réels à deux conditions, dont la première traduit clairement le souci du Conseil d'assurer le respect du principe de proportionnalité par les mesures néerlandaises en question. Cette décision dispose (article 1er, premier tiret) que la base d'imposition résultant de l'article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a), doit être «anormalement basse par rapport au prix pouvant être obtenu pour le bien visé dans des conditions de pleine concurrence entre des parties indépendantes»: voir la décision 96/432/CE du Conseil, du 8 juillet 1996, autorisant les Pays-bas à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 11 de la directive 77/388 (JO L 179, p. 51).

(20) - Précité dans la note 8 ci-dessus.

(21) - Précité; voir points 2 à 7 de l'arrêt où les mesures belges en question sont décrites en détail.

(22) - Voir l'arrêt BP Soupergaz, cité dans la note 14 ci-dessus, point 36.

(23) - Voir l'arrêt Commission/Belgique, cité dans la note 8, point 29 de l'arrêt.

(24) - Arrêt du 24 octobre 1996, C-317/94, non encore publié au Recueil, point 19.

(25) - A l'époque, il s'agissait de l'article 191, paragraphe 2, du traité CEE. En effet, comme la République française l'observe à bon droit, en application de ce paragraphe qui était applicable lors de l'adoption de la sixième directive, la publication de cette directive au Journal officiel n'a eu lieu qu'à titre d'information. Ce n'est que la nouvelle version de l'article 191, paragraphe 2, du traité CE, tel que modifié par l'article G(63) du traité sur l'Union européenne qui exige que la publication de telles directives du Conseil et de la Commission soit adressée à l'ensemble des États membres.

(26) - Cité dans la note 9 ci-dessus.

(27) - Rec. 1964, p. 7.

(28) - Voir point 22 de l'arrêt.

(29) - Affaire Finanzamt Mainz/Boesenberg, C-340/92. Cette affaire préjudicielle concernait également l'article 10, paragraphe 5, de l'UStG mais a fait l'objet d'une radiation par ordonnance du président de la Cour du 6 octobre 1993.

(30) - Arrêt du 9 juillet 1981, 169/80, p. 1931, point 17.

(31) - Arrêt du 15 octobre 1987, 222/86, p. 4097.

(32) - Arrêt précité, point 15 de l'arrêt.

(33) - Voir, par exemple, en ce qui concerne le droit irlandais, State (Healy)/Donoghue [1976] IR 325.