Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Avis juridique important

|

61997C0136

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 16 juillet 1998. - Norbury Developments Ltd contre Commissioners of Customs & Excise. - Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, Manchester - Royaume-Uni. - TVA - Sixième directive - Dispositions transitoires - Maintien d'exonérations - Livraison d'un terrain à bâtir. - Affaire C-136/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-02491


Conclusions de l'avocat général


1 La présente demande de décision préjudicielle concerne la portée des exonérations transitoires de l'obligation d'acquitter la TVA que les États membres ont été autorisés à appliquer conformément à l'article 28, paragraphe 3, sous b), et à l'annexe F de la sixième directive TVA (1). La Cour est interrogée sur la possibilité pour un État membre de continuer à se prévaloir de telles exonérations lorsqu'il a réduit la portée des règles nationales pertinentes préexistantes par le biais d'une intervention législative ultérieure.

I - Contexte juridique et factuel

A - Le droit communautaire

2 Les dispositions pertinentes de la sixième directive sont celles qui concernent la livraison d'un «terrain à bâtir». En premier lieu, on relèvera que l'article 13, B, sous h), prévoit une exonération de TVA obligatoire pour les «livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l'article 4, paragraphe 3, sous b)». Aux termes de l'article 4, paragraphe 3, sous b), «sont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels par les États membres». Il convient également de relever que, en vertu de l'article 13, B, sous g), lu conjointement avec l'article 4, paragraphe 3, sous a), la livraison de bâtiments et du sol y attenant, autres que les bâtiments neufs, est également obligatoirement exonérée de la TVA.

3 L'article 28 de la sixième directive concerne les «[d]ispositions [t]ransitoires». Il dispose, en son paragraphe 3, sous b), que les États membres peuvent, titre transitoire, «continuer à exonérer les opérations énumérées à l'annexe F dans les conditions existantes dans l'État membre». Le point 16 de l'annexe F vise «les livraisons de bâtiments et de terrains visés à l'article 4 paragraphe 3». Cette exonération transitoire a donc pour effet d'autoriser les États membres, nonobstant les exceptions aux exonérations de TVA accordées par l'article 13, B, sous g) et h), à conserver les exonérations nationales à la TVA; en d'autres termes, ils peuvent décider de ne pas mettre en oeuvre l'exception qui voudrait que les «terrains à bâtir» soient imposés.

4 Les dispositions relatives aux options permettant de renoncer aux deux exonérations obligatoires et transitoires mentionnées ci-dessus présentent également quelque intérêt en l'espèce. Premièrement, s'agissant notamment des «opérations visées» à l'article 13, B, sous g) et h), l'article 13, C, autorise les États membres à «accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation». Deuxièmement, pour ce qui est des exonérations transitoires, l'article 28, paragraphe 3, sous c), permet aux États membres d'«accorder aux assujettis la faculté d'opter pour la taxation ... dans les conditions fixées à l'annexe G». Le point 1, sous b), de l'annexe G dispose que, «s'il s'agit d'opérations visées à l'annexe F, les États membres qui maintiennent à titre transitoire l'exonération peuvent accorder à leurs assujettis le droit d'option pour la taxation». Ainsi, l'octroi d'une option de taxation pour les deux exonérations obligatoires et transitoires est expressément autorisé.

B - Le litige au principal

5 Les faits non contestés, tels qu'exposés dans l'ordonnance de renvoi, sont relativement simples. Le 29 avril 1994, Norbury Developments Ltd, la demanderesse au principal (ci-après «Norbury»), a exécuté un contrat antérieur ayant pour objet l'achat de certains terrains situés à Chesterton au Royaume-Uni vendus par Rivermead Homes Ltd, après avoir obtenu, très peu de temps auparavant, un permis pour y construire un ensemble immobilier. Le même jour, Norbury a vendu le terrain en question à un acquéreur, John Kottler Ltd. Rivermead Homes a renoncé à l'exonération de TVA applicable au Royaume-Uni et a facturé la TVA sur la vente à Norbury. Cependant, cette dernière a omis de facturer la TVA sur la vente ultérieure à John Kottler et a par la suite reçu une évaluation administrative en vue de l'acquittement de la TVA portant sur un montant de 12 443 UKL, à la suite de l'exclusion par les Commissioners of Customs & Excise, partie défenderesse au principal (ci-après les «Commissioners»), de la TVA en amont demandée par Norbury pour la TVA versée sur le prix d'achat.

6 Dans le cadre de son recours contre cette évaluation devant le Value Added Tax Tribunal, Manchester (ci-après le «Tribunal»), Norbury a fait valoir que les dispositions pertinentes de la législation britannique en matière de TVA étaient incompatibles avec la sixième directive et que la vente du terrain à John Kottler aurait dû être considérée comme imposable. Selon Norbury, en vertu de l'article 28, paragraphe 3, sous b), et du point 16 de l'annexe F de la sixième directive, les États membres étaient seulement autorisés à continuer à appliquer précisément les mêmes exonérations que celles en vigueur à la date d'adoption de la sixième directive, soit le 17 mai 1977, sans aucune modification. Cependant, le Royaume-Uni ayant modifié les règles nationales pertinentes, l'exonération transitoire n'était plus applicable.

7 Les Commissioners ont soutenu que, même si les terrains litigieux constituaient des terrains à bâtir, ils étaient exonérés par le jeu de l'article 28, paragraphe 3, sous b), et du point 16 de l'annexe F de la sixième directive; l'exonération transitoire prévue par ces dispositions avait été maintenue en vigueur par la dix-huitième directive (2). Aucune modification fondamentale n'était intervenue dans les règles nationales pertinentes; les Commissioners étaient en droit d'invoquer cette exonération puisqu'ils ne cherchaient pas à invoquer une nouvelle exonération de TVA à l'encontre de Norbury.

8 Le Tribunal a estimé que le terrain litigieux, lequel «a été vendu spécifiquement avec un permis à bâtir et faisait partie d'un nouveau projet immobilier», ne pouvait «être considéré comme autre chose qu'un terrain à bâtir» et que, par conséquent, une définition détaillée du terrain à bâtir n'était pas nécessaire. En comparant l'exonération en vigueur à la date de l'adoption de la sixième directive (c'est-à-dire, celle qui ressort de l'annexe 5, catégorie 1, du Finance Act 1972) avec celle en vigueur à la date de la livraison litigieuse (soit celle qui ressort de l'annexe 6, catégorie 1, du Value Added Tax Act 1983), le Tribunal a affirmé: «On n'a pas étendu le domaine de l'exonération, mais on l'a, au contraire, réduit, en introduisant un plus grand nombre d'exceptions». Estimant que l'interprétation du libellé de l'article 28, paragraphe 3, sous b), n'était pas «exempte de doute» et qu'il pouvait être interprété en ce sens qu'il autorisait les États membres à réduire la portée de l'exonération, mais non à l'étendre, le Tribunal a décidé de saisir la Cour de la question suivante:

«S'agissant de la livraison d'un terrain non bâti, mais sur lequel, à l'époque de la livraison, la construction d'édifices était légalement autorisée en vertu d'un permis accordé conformément aux lois de l'État membre et dont le tribunal a jugé qu'il constituait un terrain à bâtir, le Royaume-Uni est-il en droit d'exonérer cette livraison au titre de l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive? Et ce, nonobstant le fait que:

a) le régime d'imposition des livraisons de terrains, y compris celles portant sur des terrains qui sont incontestablement des terrains à bâtir, a connu des modifications depuis que le Royaume-Uni a consenti à l'adoption de la sixième directive, le 17 mai 1977, en particulier depuis la promulgation du Finance Act 1989 qui a introduit la faculté de renoncer à l'exonération de la TVA pour certaines de ces livraisons; et

b) le régime d'imposition des livraisons de terrains qui constituent incontestablement des terrains à bâtir a connu des modifications depuis que le Royaume-Uni a consenti à l'adoption de la sixième directive, le 17 mai 1977, en particulier depuis la promulgation du Finance Act 1989 qui a exigé que certaines de ces livraisons, auparavant exonérées, soient imposées au taux normal en tant qu'ouvrages d'ingénierie civile,

étant précisé que:

si elle avait eu lieu avant le 17 mai 1977, la livraison aurait été exonérée au titre du point 1, première catégorie, de l'annexe 5 du Finance Act 1972.»

II - Observations

9 La Commission et le Royaume-Uni ont présenté des observations écrites et orales; Norbury a présenté des observations uniquement orales.

III - Analyse

A - La définition du terrain à bâtir

10 Le Tribunal a décidé que le terrain litigieux constitue un terrain à bâtir et soumet une question qui concerne exclusivement le droit du Royaume-Uni de continuer à exonérer de la TVA la livraison de ce type de terrain. Dans l'arrêt Gemeente Emmen (3), la Cour a jugé que «l'article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive renvoie expressément aux définitions des terrains à bâtir des États membres» et que, par conséquent, «il appartient à ceux-ci de définir les terrains qui sont à considérer comme des terrains à bâtir, tant pour l'application de cette disposition que pour celle de l'article 13, B, sous h)...» (4). La Cour a également relevé que les États membres devraient «respecter l'objectif poursuivi par l'article 13, B, sous h), de la sixième directive, qui vise à n'exonérer de la taxe que les seules livraisons de terrains non bâtis qui ne sont pas destinés à supporter un édifice» (5). Cependant, la Cour a simplement conclu «qu'il revient aux États membres de définir la notion de `terrain à bâtir' au sens des dispositions combinées des articles 13, B, sous h), et 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive», et qu'«il n'appartient pas en conséquence à la Cour de préciser quel degré d'aménagement devrait présenter un terrain non bâti pour être qualifié de terrain à bâtir...» (6).

11 La Commission a fait remarquer l'absence de toute définition du «terrain à bâtir» dans la législation du Royaume-Uni en matière de TVA. La Commission observe que, bien que l'arrêt Gemeente Emmen ait laissé toute latitude aux États membres pour définir la notion de terrain à bâtir, l'absence de définition applicable erga omnes pourrait être contraire au principe de sécurité juridique (7). La Commission laisse néanmoins entendre que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque, premièrement, aucune question relative à l'absence de définition de ce type de terrain au Royaume-Uni n'a été posée et, deuxièmement, parce que la seule conséquence de l'absence de cette définition serait que tout terrain qui répondrait à cette définition serait, sous réserve du droit d'opter pour la taxation, automatiquement exonéré en vertu de l'article 13, B, sous h).

12 Il suffit, pour les fins qui nous occupent actuellement, de relever que la Cour n'a été saisie d'aucune question à ce sujet. Il est constant que le terrain litigieux au principal est un terrain à bâtir sur la base de n'importe quelle définition possible. Pour autant que les points précités de l'arrêt Gemeente Emmen aient laissé d'éventuelles questions non résolues, elles ne se posent pas en l'espèce. En tout état de cause, nous convenons avec le Royaume-Uni qu'une définition du terrain à bâtir serait inutile, sa livraison étant visée par une exonération qui n'a pas changé, sur le fond, depuis le début de 1973.

B - L'application de l'exonération transitoire

13 Nous passons maintenant à la question de l'exonération transitoire. Il s'agit de savoir si le Royaume-Uni a perdu le droit de se prévaloir de l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive en modifiant les termes de l'exonération applicable aux «livraisons de bâtiments et de terrains visés à l'article 4 paragraphe 3», de telle sorte qu'il n'a pas continué à accorder cette exonération, comme cela est exigé, «dans les conditions existantes» en 1977.

14 Lors de l'audience, Norbury a soulevé deux points. Le premier concerne l'introduction au Royaume-Uni, par le Finance Act 1989, de la possibilité de renoncer à l'exonération pour les terrains à bâtir. Il n'est pas nécessaire d'examiner si une telle modification constitue, comme l'a laissé entendre Norbury, une modification des conditions dans lesquelles l'exonération est maintenue. L'article 28, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive, comme l'a relevé à juste titre la Commission lors de l'audience, permet aux États membres d'«accorder aux assujettis la faculté d'opter pour la taxation des opérations exonérées dans les conditions énoncées à l'annexe G». Selon l'annexe G, dans le cas des opérations mentionnées à l'annexe F, «les États membres qui maintiennent à titre transitoire l'exonération peuvent accorder à leurs assujettis le droit d'option pour la taxation» (souligné par nous). Le droit d'«accorder» - le verbe est utilisé à trois reprises dans la disposition pertinente - s'oppose au droit de «continuer», terme utilisé à l'article 28, paragraphe 3, sous b). Ce droit a permis l'introduction de l'option accordée par le Royaume-Uni en 1989. Pour son malheur, Norbury n'a pas profité de cette option.

15 En outre, il ressort d'une lecture attentive de l'article 13 de la sixième directive qu'il n'y a rien de problématique dans le fait d'autoriser la coexistence d'une telle option et du maintien de l'exonération. Ainsi, bien que les livraisons de bâtiments et de biens immeubles autres que les terrains à bâtir soient en principe exonérées de la TVA au titre de l'article 13, B, sous g) et h), l'article 13, C, permet néanmoins aux États membres d'accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation des opérations impliquant de telles livraisons. Par conséquent, nous sommes convaincu que le fait d'accorder le droit d'opter pour la taxation en matière de livraison de terrain à bâtir, livraison exonérée dans un État membre conformément à une exonération transitoire au titre de l'article 28, paragraphe 3, sous b), lu conjointement avec le point 16 de l'annexe F, de la sixième directive, n'a pas pour effet de porter atteinte à cette exonération.

16 Le deuxième argument présenté par Norbury est loin d'être aussi facile à réfuter. Cet argument est tiré du fait, non contesté, relevé dans la formule de la question posée par le Tribunal, en ce sens que «le régime d'imposition des livraisons de terrains ... qui sont incontestablement des terrains à bâtir a connu des modifications depuis que le Royaume-Uni a consenti à l'adoption de la sixième directive, le 17 mai 1977...». Norbury soutient que, pour continuer à invoquer une exonération transitoire, les États membres doivent maintenir une situation juridique identique à celle en vigueur à la date de l'adoption de la sixième directive. Elle soutient également que toute modification fondamentale du régime général de la TVA relatif aux livraisons de terrains à bâtir s'oppose à ce que les États membres continuent à invoquer l'exonération transitoire. Selon Norbury, la législation du Royaume-Uni a fondamentalement modifié les conditions applicables à l'exonération dans ce pays. A l'appui de ces deux propositions, elle invoque l'arrêt Commission/Allemagne (8).

17 Lors de l'audience, l'agent du Royaume-Uni a soutenu qu'il convenait d'opérer une distinction entre les «terrains bâtis» et les «terrains à bâtir». S'agissant des livraisons de terrains à bâtir, qu'il a admis comme constituant le type de terrain litigieux en l'espèce, l'agent du Royaume-Uni a soutenu que l'exonération applicable actuellement au Royaume-Uni est identique à celle qui s'appliquait avant l'adoption de la sixième directive. Par conséquent, il a conclu que la question déférée en l'espèce pouvait recevoir une réponse en ce sens qu'aucune modification substantielle, aux fins de l'exigence de continuité de l'article 28, paragraphe 3, sous b), n'était intervenue.

18 Le Royaume-Uni, soutenu par la Commission, affirme également que les modifications apportées à la législation britannique (autres que l'introduction de l'option permettant de renoncer à l'exonération qui, pour les raisons que nous avons précédemment énoncées, ne pose aucun problème à cet égard) ont pour seule finalité de réduire la portée de l'exonération. Selon eux, comme l'a affirmé l'agent de la Commission lors de l'audience, l'exonération d'une catégorie plus large inclut l'exonération d'une catégorie moindre. A l'appui de cette affirmation, l'arrêt de la Cour dans l'affaire Kerrutt est invoqué (9). De plus, une interprétation de l'article 28, paragraphe 3, sous b), lu conjointement avec l'annexe F, qui ne permettrait pas aux États membres de réduire la portée d'exonérations autorisées à titre transitoire sans perdre le droit de les conserver intégralement ne serait guère favorable à l'objectif des arrangements transitoires, dont la justification est d'encourager les États membres à éliminer les exceptions nationales au système commun de TVA.

19 Bien que nous restions du même avis que celui que nous avons exprimé dans nos conclusions sous l'arrêt Gemeente Emmen en ce sens que la portée des exonérations transitoires visées par l'article 28, paragraphe 3, sous b), «doit être interprétée de manière restrictive à la lumière de l'objectif premier de la sixième directive qui est de créer une assiette uniforme pour un système commun intégré de la TVA», nous ne pouvons souscrire à la thèse de Norbury en ce sens que les États membres sont tenus de conserver la même situation juridique que celle qu'ils appliquaient à la date d'adoption de la sixième directive (10). L'article 28, paragraphe 3, sous b), n'est pas une disposition de «gel» comme l'a laissé entendre l'agent de Norbury. Selon nous, les auteurs de cette disposition n'ont pas entendu assigner les États membres à la législation qu'ils appliquaient en 1977. Au contraire, ces derniers devraient au moins être libres de modifier les dispositions légales régissant une exonération visée par cette disposition dès lors que la portée de l'exonération pertinente reste inchangée. Ainsi, il doit être possible à un État membre de codifier ou de clarifier ses règles applicables en matière de TVA par le biais d'une nouvelle législation. Selon nous, il ne saurait être question d'une violation du principe de sécurité juridique en pareilles hypothèses.

20 En l'espèce toutefois, le Royaume-Uni a proposé de résoudre le présent renvoi préjudiciel sur la base étroite de l'absence de modification substantielle de l'exonération nationale concernant les terrains à bâtir. Il est ainsi suggéré que, puisque l'exonération n'a été supprimée que pour les livraisons de ce que l'agent du Royaume-Uni a qualifié de terrains bâtis, l'exonération initiale concernant les terrains à bâtir devrait être considérée comme inchangée. Le Royaume-Uni a vraisemblablement à l'esprit le fait que le point 16 de l'annexe F de la sixième directive non seulement vise effectivement les livraisons de terrains à bâtir, mais également les livraisons de bâtiments nouveaux ou non encore occupés. Cependant, Norbury a contesté la pertinence, en l'espèce, de la distinction ainsi proposée entre les terrains bâtis et les terrains à bâtir; cette dernière a évoqué la circonstance que, en vertu des règles nationales en vigueur depuis 1977, les travaux de génie civil, qui peuvent viser des terrains nus avec canalisations, sont désormais assujettis à la TVA. Puisque ces terrains pourraient, à la lumière de l'arrêt Gemeente Emmen, être définis par les États membres comme des terrains à bâtir, il ne serait pas approprié, selon nous, de rejeter l'allégation de Norbury en ce sens que le Royaume-Uni n'est plus en mesure d'invoquer le point 16 de l'annexe F au motif qu'il n'y a pas eu, dans cet État membre, d'éventuelles réductions de l'exonération antérieure à 1977 s'agissant des livraisons de terrains à bâtir.

21 Nous convenons avec le Royaume-Uni et la Commission que le principe énoncé par la Cour dans l'arrêt Kerrutt nous est utile en l'espèce (11). Dans cet arrêt, la Cour a examiné un «schéma» de construction en copropriété connu sous le nom de Bauherrenmodell, en vertu duquel un enchaînement d'opérations - essentiellement l'acquisition du terrain et la construction de logements - ayant pour résultat que les copropriétaires participants recevaient chacun un nouveau logement était effectué en leur nom par un même mandataire. Ce schéma avait pour objectif de réduire les coûts et de fournir des dépenses déductibles de l'impôt sur le revenu. Le litige concernait toutefois la TVA. Comme l'a relevé l'avocat général M. Darmon, tandis que la livraison de terrains à bâtir avait toujours été exonérée en Allemagne, les livraisons de biens et de services utilisés dans le processus de construction de ce qui deviendrait plus tard la livraison d'un bâtiment nouveau n'avaient jamais été exemptées (12). La Cour a estimé que la livraison de tels biens et services et la livraison d'une construction nouvelle, y compris le sol y attenant, étaient des opérations légalement distinctes. C'est dans ce contexte qu'il convient d'interpréter l'affirmation de la Cour selon laquelle les termes «continuer à exonérer» utilisés à l'article 28, paragraphe 3, sous b), s'opposent «à l'introduction de nouvelles exonérations ou à l'extension de la portée d'exonérations existantes postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la directive» (13). Ainsi, même si la partie de la transaction ayant pour objet le terrain avait pu bénéficier de l'exonération transitoire au titre de l'article 28, paragraphe 3, sous b), lu conjointement avec le point 16 de l'annexe F, l'assujettissement à la TVA des livraisons de biens et services en amont utilisés dans le processus de construction ne pouvait «avoir une incidence sur la portée de l'exonération de la taxe sur le chiffre d'affaires» (14). Aucun élément dans cette affaire ne laisse à penser que, si la portée de l'exonération transitoire initiale concernant les terrains à bâtir avait été réduite, le bénéfice de cette exonération aurait été totalement perdu. Cependant, cela ne suffit pas à réfuter l'argument de Norbury, en l'espèce, qui consiste à dire, sur la base notamment de l'arrêt Commission/Allemagne (15), que la réduction, postérieure à 1977, de la portée de l'exonération concernant les livraisons de terrains à bâtir a pour effet d'empêcher le maintien de l'exonération transitoire de telles livraisons au Royaume-Uni.

22 Pour résoudre cette question, nous proposons d'examiner les modifications intervenues dans la législation du Royaume-Uni à la lumière de l'arrêt de la Cour Commission/Allemagne.

23 La législation pertinente est résumée dans l'ordonnance de renvoi. Elle n'est pas excessivement complexe et les parties ne contestent pas qu'il convient de comparer les listes des exceptions aux exonérations qui ressortent respectivement des annexes du Finance Act 1972 (ci-après la «loi de 1972») et du Value Added Tax Act 1983 (ci-après la «loi de 1983»). La loi de 1972 a exonéré une liste d'actes susceptibles de constituer une livraison de terrains. Les exceptions à cette liste se trouvant à l'annexe 5 concernaient exclusivement des domaines plus ou moins liés à l'activité de vacances ou de loisirs tels que la fourniture d'hébergement hôtelier ou la concession de droits de chasse et de pêche. La structure des dispositions comparables de la loi de 1983 est identique, bien que le contenu ait fait l'objet de modifications. Les exceptions existantes sont énumérées plus en détail, mais il n'y a pas, selon nous, de modification essentielle. Nul n'a laissé entendre que ces modifications impliquent une extension de l'exonération. Plus précisément, les exceptions comprennent désormais ce que nous présenterons en paraphrasant comme consistant essentiellement dans la «cession de la propriété» (titre général de pleine propriété) relative aux immeubles achevés ou non achevés qui ne sont pas destinés à accueillir des logements ainsi que les ouvrages de génie civil achevés ou non encore achevés et les livraisons effectuées en application d'une location, d'un bail ou d'une autorisation de jouissance dans un projet d'aménagement.

24 Il nous faut ensuite examiner si Norbury invoque à juste titre l'arrêt Commission/Allemagne, qui constitue une affaire plutôt plus complexe que la présente. Non seulement cette affaire concernait deux points différents de l'annexe F (points 17 et 27), mais ceux-ci devaient être examinés dans le contexte de la mise en oeuvre, par la République fédérale d'Allemagne, du régime spécial dérogatoire applicable aux services des agences de voyages, régime établi par l'article 26 de la sixième directive.

25 La caractéristique essentielle de ce régime spécifique est que les agences de voyages ne sont pas taxées sur le prix brut de leurs services, mais uniquement sur leur «marge», laquelle est définie comme «la différence entre le montant total à payer par le voyageur hors taxe à la valeur ajoutée et le coût effectif supporté par l'agence de voyages pour les livraisons et prestations de services d'autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement aux voyageurs» (article 26, paragraphe 2). Ces services (que nous appellerons «services en amont») consisteront typiquement dans l'hébergement et le transport. L'agence de voyages ne peut déduire la TVA qu'elle doit verser aux fournisseurs de ces services en amont (article 26, paragraphe 4).

26 Cependant, le coeur de cette affaire concernait ce qui était considéré comme une transposition incorrecte de l'article 26, paragraphe 3, par la République fédérale d'Allemagne. Cette disposition prévoit tout d'abord l'exonération de TVA des services d'agences de voyages lorsque les services en amont sont exécutés par des assujettis en dehors de la Communauté et, deuxièmement, que, «si ces opérations sont effectuées tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté, seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l'agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de la Communauté». La réglementation allemande issue d'une loi de 1980 assurant la mise en oeuvre de cette disposition allait plus loin et faisait application de l'exonération dès lors que les services de l'agence de voyages étaient fournis en dehors de l'Allemagne. Ainsi, selon la Commission, cette exonération pouvait même s'appliquer aux services de transport fournis à l'intérieur de la Communauté.

27 En réponse, la République fédérale d'Allemagne a invoqué l'exonération existante au titre du point 17 de l'annexe F pour les services de transports aérien et maritime. En fait, le transport maritime n'avait jamais été soumis au régime allemand de la TVA, tandis que le transport aérien avait bénéficié d'une ordonnance ministérielle d'exonération. Il semble que l'avocat général au moins ait admis que les modifications juridiques apportées par la République fédérale d'Allemagne dans sa loi de 1980 n'entraînaient pas de modification matérielle du traitement fiscal de ces services de transport. D'un autre côté, à la date de l'adoption de la sixième directive, la République fédérale d'Allemagne n'avait pas d'exonération existante pour les services d'agences de voyages: ceux-ci faisaient l'objet d'une taxation normale.

28 L'arrêt de la Cour s'est concentré sur la disposition de l'article 26, paragraphe 2, qui dispose que «les opérations effectuées par l'agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l'agence de voyages au voyageur». Sous le point 16, la Cour, ayant attiré l'attention sur cette disposition, a évoqué «la seule exception expressément prévue concernant les opérations effectuées en dehors de la Communauté pour lesquelles la prestation de services ou partie de la prestation de services de l'agence est exonérée de la taxe». Elle a ensuite signalé l'exonération autorisée par le point 27 de l'annexe F concernant «les prestations de services des agences de voyages visées à l'article 26» et a jugé que cette exonération ne peut viser que «la prestation unique de l'agence de voyages normalement soumise à imposition et non l'une ou l'autre des opérations qui, constitutives de cette prestation unique, étaient antérieurement soumises à un autre régime d'imposition». Ce dernier passage rappelle vraisemblablement le régime allemand préexistant qui exonérait les services de transport, mais, ce qui est significatif, pas celui des agences de voyages (16). Toutefois, il est clair que la méthode du service unique appliquée aux agences de voyages et aux services de transport qui ressort du point 17 de l'annexe F n'est pas reprise pour les livraisons visées par le point 16. En conséquence, ce qui constitue le coeur du raisonnement de la Cour dans cet arrêt ne saurait avoir d'incidence sur la présente affaire.

29 Toutefois, Norbury invoque l'arrêt Commission/Allemagne dans le but d'établir l'existence du principe selon lequel toute modification fondamentale des conditions d'une exonération transitoire de TVA la prive de son effet. Norbury renvoie en particulier aux points 18 à 21 des conclusions de l'avocat général M. Gulmann sous cet arrêt, et tente de les rapprocher des points 16 et 17 de l'arrêt. L'avocat général a conclu que, même si, en substance, la législation allemande exonérant les services de transport n'avait pas été modifiée par la loi de 1980, la nécessité d'assurer qu'une disposition provisoire ne soit pas utilisée pour créer des exonérations nouvelles impliquait que l'«on doit pouvoir [le] constater sans difficulté». Eu égard aux modifications ayant affecté la base légale de l'exonération, les dispositions antérieures et postérieures à 1980 n'étaient pas juridiquement identiques. Leur base légale de même que leur structure avaient été modifiées. Bien que ce raisonnement n'ait pas été repris dans l'arrêt, il n'a pas été rejeté. La dernière phrase du point 16 de l'arrêt, que nous avons citée sous le point précédent, vise les opérations qui «étaient antérieurement soumises à un autre régime d'imposition».

30 Il ne nous semble pas néanmoins que les modifications litigieuses en l'espèce apportées aux dispositions légales nationales soient analogues à celles examinées par la Cour dans cet arrêt. Comme nous l'avons déjà mentionné (voir le point 23 ci-dessus), la structure juridique de l'exonération, telle qu'elle ressort des lois de 1972 et de 1983, est inchangée. Pour autant qu'une modification ait été apportée par la loi de 1983, elle consiste en l'introduction d'un certain nombre d'ajouts importants à la liste des exceptions de façon à limiter la portée de l'exonération au profit de la livraison de terrains. Il ne nous semble pas qu'il soit difficile d'identifier les modifications intervenues. De plus, nul n'a laissé entendre que ces modifications impliquent, ce qui serait contraire au principe posé dans l'arrêt Kerrutt, une extension déguisée de l'exonération.

31 Malgré tout, Norbury soutient que de telles modifications, qu'elle qualifie de «fragmentaires», ne sont pas admissibles. En d'autres termes, un État membre, bien que pouvant prétendre à maintenir une exonération existante, ne saurait la supprimer en partie. Nous estimons que les conclusions de l'avocat général M. Gulmann sous l'arrêt Commission/Allemagne vont dans la direction opposée. Il n'a pas souscrit à l'idée d'une exigence absolue qui voudrait que les exonérations, envisagées dans leur forme initiale, soient appliquées soit totalement soit pas du tout. Faisant écho à l'argument d'ordre politique soulevé par le Royaume-Uni et par la Commission en l'espèce, il estimait qu'«une interprétation restrictive de la disposition transitoire peut avoir des effets néfastes pour l'application uniforme de la directive...»; un État membre peut se trouver dans l'obligation «de maintenir l'ensemble du régime juridique existant, même si l'on estime à la fois possible, approprié et souhaitable, par ailleurs, de mettre en oeuvre le régime prévu par la directive dans ce domaine» (17). Selon nous, ce raisonnement s'applique par analogie à la présente affaire dans laquelle la portée de l'exonération a été réduite au fil du temps. L'exclusion, affirmée par la Cour sous le point 17 de son arrêt, du «maintien d'exonérations partielles» visait les termes spécifiques de l'article 26 et du point 27 de l'annexe F de la sixième directive (18).

32 En résumé, il nous semble que ni les dispositions combinées de l'article 28 et du point 16 de l'annexe F ni l'économie et la finalité de la sixième directive ne font apparaître d'éléments susceptibles de s'opposer à ce qu'un État membre modifie les termes d'une exonération existante avec pour seule conséquence d'en réduire la portée matérielle. Il convient de ne pas décourager les États membres de procéder par étapes à l'élimination d'exonérations de TVA autorisées à titre transitoire. En tout état de cause, toutes ambiguïtés qui ressortiraient de la législation nationale adoptée après 1977 au titre des exonérations transitoires devraient, selon nous, être résolues par les juridictions nationales conformément au principe selon lequel toute réduction de la portée d'une exonération préexistante doit être interprétée largement; de telles règles sont, après tout, assimilables en fait à une exception à l'une des exonérations obligatoires prévues par le titre X de la sixième directive.

IV - Conclusion

33 En conséquence, nous recommandons à la Cour d'apporter la réponse suivante à la question déférée par le Value Added Tax Tribunal, Manchester:

«S'agissant de la livraison d'un terrain qui a été jugé comme constituant un terrain à bâtir, un État membre est en droit d'exonérer la livraison au titre de l'article 28, paragraphe 3, sous b), lu conjointement avec le point 16 de l'annexe F, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, nonobstant le fait que cet État a, premièrement, introduit depuis l'adoption de la sixième directive la possibilité de renoncer à l'exonération de TVA au titre de telles livraisons et, deuxièmement, réduit la portée matérielle de l'exonération qu'il applique pour de telles livraisons de telle sorte que certaines livraisons antérieurement exonérées sont désormais assujetties à la TVA.»

(1) - Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1) (ci-après la «sixième directive»).

(2) - Dix-huitième directive 89/465/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Suppression de certaines dérogations prévues à l'article 28, paragraphe 3, de la sixième directive 77/388 (JO L 226, p. 21). Diverses exonérations transitoires initialement autorisées par l'annexe F ont été supprimées par l'article 1er, paragraphe 2, de la dix-huitième directive.

(3) - Arrêt du 28 mars 1996 (C-468/93, Rec. p. I-1721).

(4) - Ibidem, point 20.

(5) - Ibidem, point 25.

(6) - Ibidem, point 26 et dispositif de l'arrêt.

(7) - La Commission cite à cet égard l'arrêt du 22 février 1984, Kloppenburg (70/83, Rec. p. 1075).

(8) - Arrêt du 27 octobre 1992 (C-74/91, Rec. p. I-5437).

(9) - Arrêt du 8 juillet 1986 (73/85, Rec. p. 2219).

(10) - Point 27 des conclusions.

(11) - Précité, note 9.

(12) - Point 4 des conclusions.

(13) - Point 17.

(14) - Ibidem.

(15) - Précité, note 8.

(16) - La Cour conclut ensuite dans la première phrase du point 17 que, puisque la République fédérale d'Allemagne n'a pas contesté ne pas avoir maintenu un régime général pour les agences de voyages, et puisqu'elle avait également, en fait, adopté un régime particulier conformément à l'article 26 de la sixième directive, elle ne pouvait «se prévaloir de la possibilité de continuer à exonérer certaines opérations dont l'exonération n'est pas prévue par cet article».

(17) - Point 21 des conclusions.

(18) - C'est ce qui ressort de la deuxième phrase du point 17, dans laquelle la Cour affirme que «l'admission du maintien d'exonérations partielles non expressément prévues par les dispositions transitoires de la sixième directive applicables aux agences de voyages serait d'ailleurs contraire au principe de la sécurité juridique...» (souligné par nous).