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Avis juridique important

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61997C0181

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 30 avril 1998. - A.J. van der Kooy contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Quatrième partie du traité CE - Article 227 du traité CE - Article 7, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE - Biens se trouvant en libre pratique dans les pays et territoires d'outre-mer. - Affaire C-181/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-00483


Conclusions de l'avocat général


1 Par la question qu'il a posée à la Cour, le Hoge Raad des Pays-Bas cherche à savoir si l'entrée dans un État membre d'un bateau qui se trouvait en libre pratique dans un des pays et territoires d'outre-mer (ci-après les «PTOM») est, en principe, soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).

2 Cette question préjudicielle a été soulevée dans le cadre du recours que le propriétaire du bateau en question a engagé contre l'avis d'imposition de la TVA que l'administration fiscale des Pays-Bas lui a adressé au titre de l'importation de ce bateau en provenance des Antilles néerlandaises.

Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

3 Les faits qui ont donné lieu au litige au principal sont décrits dans l'ordonnance de renvoi de la manière suivante:

- Le bateau à moteur «Joshua», bateau de pêche construit à Haarlem en 1964, a été vendu en 1984 au Caribbean Chartering & Sales Ltd de Nassau (dans les îles Bahamas). A cette occasion, il est sorti du territoire douanier de la Communauté européenne. En 1985 et 1986, il a été transformé en bateau de croisière aux Pays-Bas.

- Le 22 avril 1993, le bateau a été vendu à M. van der Kooy, qui est la partie requérante au principal et qui est domicilié aux Pays-Bas, ainsi qu'à M. J. Wielinga, qui est domicilié à Curaçao. Depuis le 15 mai 1993, ce bateau, qui bat pavillon britannique, est amarré dans le port de Scheveningen, où des fonctionnaires du poste de douane de Hoofddorp l'ont découvert le 20 mai 1993. M. van der Kooy se trouvait à son bord.

- Le bateau ayant été importé au sens de l'article 18 de la Wet op de omzetbelasting 1968 (loi néerlandaise sur le chiffre d'affaires) et l'article 21 de la loi ne prévoyant aucune exemption en faveur d'une telle importation, l'administration fiscale néerlandaise a alors délivré l'avis d'imposition litigieux au titre de la TVA pour un montant de 157 500 HFL.

- M. van der Kooy a alors introduit un recours contre cet avis d'imposition devant le Gerechtshof d'Amsterdam, qui a rejeté ce recours au motif que le territoire des Antilles néerlandaises, d'où provenait le bateau, «ne faisait pas partie du territoire d'un État membre aux fins de la sixième directive».

4 M. van der Kooy s'est alors pourvu en cassation contre l'arrêt du Gerechtshof d'Amsterdam devant le Hoge Raad des Pays-Bas. Celui-ci a suspendu la procédure pour poser la question préjudicielle suivante à la Cour:

«Faut-il, eu égard notamment aux dispositions des articles 132, paragraphe 1, et 227 du traité CE, interpréter l'article 7, paragraphe 1, initio et sous a), de la sixième directive en ce sens que l'introduction aux Pays-Bas d'un bateau en provenance de la zone de libre pratique des Antilles néerlandaises doit être considérée comme l'entrée à l'intérieur de la Communauté d'un bien qui ne satisfait pas aux conditions prévues aux articles 9 et 10 du traité CE?»

La recevabilité de la demande préjudicielle

5 Dans les observations écrites qu'il a présentées, le gouvernement français a fait valoir qu'eu égard à leur caractère extrêmement succinct, les éléments de fait énoncés dans l'ordonnance de renvoi (1) ne permettent pas de déterminer clairement la nature du litige au principal et qu'en conséquence la Cour devrait déclarer la demande de décision préjudicielle irrecevable.

6 Selon le gouvernement français, en effet, les données de fait qui figurent dans l'ordonnance de renvoi ne permettent pas de savoir pourquoi le juge a quo soutient qu'il existe un lien entre le bateau en cause et un PTOM ni de discerner ce que signifie en l'espèce l'expression «en provenance de la zone de libre pratique des Antilles néerlandaises» que la juridiction applique à ce bateau. Le juge de renvoi ne précise pas non plus l'usage que M. van der Kooy fait de ce bateau aux Pays-Bas: s'en sert-il à des fins privées ou commerciales ou bien y fait-il simplement escale?

7 Le gouvernement français estime que ces omissions sur l'origine et l'usage du bateau empêchent la Cour de donner une interprétation de droit communautaire qui soit utile pour la solution du litige au principal. Elles empêchent en outre les États membres et les autres institutions intéressées de présenter leurs observations conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice. Selon lui, ces circonstances, analysées à la lumière de la jurisprudence Meilicke (2) et Saddik (3), devraient amener la Cour à déclarer la demande de décision préjudicielle irrecevable.

8 J'estime, pour ma part, que, même s'il eût été souhaitable que l'ordonnance de renvoi comportât un exposé des faits plus détaillé, elle contient néanmoins les éléments essentiels du litige. S'il est vrai que les doutes exprimés par le gouvernement français sont fondés, il appartient à la Cour de se baser sur les faits que le juge de renvoi estime établis et elle n'a pas à vérifier à partir de quels éléments de preuve ils l'ont été.

9 Je ne crois donc pas qu'il faille retenir les objections que le gouvernement français a soulevées à propos de la recevabilité de la demande préjudicielle. Il faudra, au contraire, considérer que les prémisses que le juge de renvoi a utilisées sont inaltérables. Une de celles-ci est le rattachement préalable du bateau à un des PTOM. Le Hoge Raad estime qu'il est établi que le bateau avait été mis en libre pratique dans les Antilles néerlandaises et sa question vise précisément à déterminer si l'entrée d'un bateau aux Pays-Bas dans ces conditions constitue ou non une importation au sens de la sixième directive.

10 La proposition de reformulation que la partie requérante au principal a faite de manière unilatérale ne me paraît pas davantage opportune. Par cette proposition, cette partie cherche en réalité à se substituer à la juridiction de renvoi dans sa démarche préjudicielle. En effet, après avoir fait grief au Hoge Raad d'avoir mal apprécié l'origine du bateau (4), la partie requérante invite la Cour à déclarer qu'un bateau originaire d'un État membre conserve cette qualité indéfiniment et qu'il remplit donc les conditions énoncées à l'article 9 du traité.

11 Le juge de renvoi ne se réfère absolument pas à cet aspect des choses, qui n'est qu'un des éléments de fait du litige au principal et n'est en rien l'objet de sa question préjudicielle. Il n'y a donc pas lieu de reformuler la question puisque la Cour a déclaré à plusieurs reprises (et a confirmé récemment) (5) «... que, compte tenu de la répartition des compétences opérée par l'article 177 du traité dans le cadre de la procédure préjudicielle, il appartient à la seule juridiction nationale de définir l'objet des questions qu'elle entend poser à la Cour. Celle-ci ne saurait, à la demande d'une partie au litige au principal, examiner des questions qui ne lui ont pas été soumises par la juridiction nationale. Si cette dernière, au vu de l'évolution du litige, devait estimer nécessaire d'obtenir des éléments supplémentaires d'interprétation du droit communautaire, il lui appartiendrait de saisir à nouveau la Cour (arrêts du 3 octobre 1985, CBEM, 311/84, Rec. p. 3261, point 10; du 9 janvier 1990, SAFA, C-337/88, Rec. p. I-1, point 20, et du 11 octobre 1990, Nespoli et Crippa, C-196/89, Rec. p. I-3647, point 23)».

Les dispositions communautaires applicables

i) Dispositions relatives à la TVA

12 L'article 2 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (6) (ci-après la «sixième directive»), dispose que les importations de biens sont soumises à la TVA.

13 L'article 7 de la sixième directive (7) dispose, dans le cadre de la définition des opérations imposables, que:

«1. Est considérée comme `importation d'un bien':

a) l'entrée à l'intérieur de la Communauté d'un bien qui ne satisfait pas aux conditions prévues aux articles 9 et 10 du traité ...

b) l'entrée à l'intérieur de la Communauté d'un bien en provenance d'un territoire tiers, autre qu'un bien visé au point a).»

14 L'article 3 de la sixième directive (8), qui définit le champ d'application géographique de la sixième directive dispose ce qui suit:

«1. Au sens de la présente directive, on entend par:

- `territoire d'un État membre': l'intérieur du pays, tel qu'il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3;

- `Communauté' et `territoire de la Communauté': l'intérieur des États membres, tel qu'il est défini pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3;

- `territoire tiers' et `pays tiers': tout territoire autre que ceux définis aux paragraphes 2 et 3 comme l'intérieur d'un État membre.

2. Aux fins de l'application de la présente directive, `l'intérieur du pays' correspond au champ d'application du traité instituant la Communauté économique européenne, tel qu'il est défini, pour chaque État membre, à l'article 227.

...»

ii) Dispositions relatives aux PTOM

15 L'article 227 du traité définit le champ d'application territorial de celui-ci. Au paragraphe 3, il l'étend aux PTOM dont la liste figure à l'annexe IV et précise que ces pays et territoires «font l'objet du régime spécial d'association défini dans la quatrième partie de ce traité». Depuis 1964, les Antilles néerlandaises font partie des PTOM.

16 L'article 3, sous r), du traité CE (9) dispose que l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par ledit traité, «l'association des pays et territoires d'outre-mer en vue d'accroître les échanges et de poursuivre en commun l'effort de développement économique et social».

17 La quatrième partie du traité (qui comprend les articles 131 à 136) est intitulée «L'association des pays et territoires d'outre-mer». Conformément à l'article 131, cette association a pour but de promouvoir le développement économique et social des pays et territoires, et d'établir des relations économiques étroites entre eux et la Communauté dans son ensemble.

18 L'article 132 du traité dispose que:

«L'association poursuit les objectifs ci-après.

1. Les États membres appliquent à leurs échanges commerciaux avec les pays et territoires le régime qu'ils s'accordent entre eux en vertu du présent traité.

...»

19 L'article 133 du traité dispose que:

«1. Les importations originaires des pays et territoires bénéficient à leur entrée dans les États membres de l'élimination totale des droits de douane qui intervient progressivement entre les États membres conformément aux dispositions du présent traité.

2. A l'entrée dans chaque pays et territoire, les droits de douane frappant les importations des États membres et des autres pays et territoires sont progressivement supprimés conformément aux dispositions des articles 12, 13, 14, 15 et 17.

...»

20 Enfin, l'article 136 du traité dispose que:

«Pour une période de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du présent traité, une convention d'application annexée à ce traité fixe les modalités et la procédure de l'association entre les pays et territoires de la Communauté.

Avant l'expiration de la convention prévue à l'alinéa ci-dessus, le Conseil statuant à l'unanimité établit, à partir des réalisations acquises et sur la base des principes inscrits dans le présent traité, les dispositions à prévoir pour une nouvelle période.»

21 La décision qui était applicable, ratione temporis, à la date à laquelle l'importation en cause a eu lieu était la décision 91/482/CEE du Conseil, du 25 juillet 1991, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne (10) (ci-après la «décision 91/482» ou la «sixième décision»), qui, conformément à son article 241, est entrée en vigueur le 20 septembre 1991; cette décision disposait néanmoins, au paragraphe 1 de son article 240, qu'elle serait applicable pour une période de dix ans «à partir du 1er mars 1990» (11).

22 A cet effet, l'article 101 de cette décision dispose que:

«1. Les produits originaires des PTOM sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent.

2. Les produits non originaires des PTOM se trouvant en libre pratique dans un PTOM et réexportés en l'état vers la Communauté sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent à condition qu'ils:

- aient acquitté, dans le PTOM concerné, des droits de douane ou taxes d'effet équivalent d'un niveau égal ou supérieur aux droits de douane applicables dans la Communauté à l'importation de ces mêmes produits originaires de pays tiers bénéficiant de la clause de la nation la plus favorisée,

- n'aient pas fait l'objet d'exemption ou de restitution, totale ou partielle, de droits de douane ou de taxes d'effet équivalent,

- soient accompagnés d'un certificat d'exportation.

...»

La réponse à la question préjudicielle

23 Voici le plan de l'argumentation que je me propose de développer:

a) je rappellerai, en premier lieu, le régime juridique des échanges commerciaux entre la Communauté et les PTOM (en l'espèce, les Antilles néerlandaises), qui a été mis en place par le traité et interprété par la jurisprudence récente de la Cour;

b) j'analyserai ensuite les notions d'importation et d'«entrée de biens à l'intérieur de la Communauté» dans le cadre du champ d'application territorial de la sixième directive;

c) enfin, je conclurai que, lorsqu'un bien est introduit sur le territoire de la Communauté en provenance des PTOM, où il se trouvait en libre pratique, et que toutes les autres conditions sont remplies, il se produit «une entrée [d'un bien] à l'intérieur de la Communauté» et donc, conformément à l'article 7 de la sixième directive, son importation aux fins de la TVA.

i) Les échanges commerciaux PTOM-Communauté

24 Dans les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Road Air, j'ai souligné que, pour définir le régime juridique des relations entre les PTOM et la Communauté, ce qui importait, c'était de préciser «... dans quelle mesure chacune des dispositions du traité CEE est applicable aux PTOM, eu égard au contenu de ses articles 131 à 136».

25 La Cour a répondu d'une manière générale à cette question dans l'arrêt qu'elle a rendu le 12 février 1992 dans l'affaire Leplat: «Cette association [des PTOM avec la Communauté] fait l'objet d'un régime défini dans la quatrième partie du traité (articles 131 à 136), de sorte que les dispositions générales du traité ne sont pas applicables aux PTOM sans référence expresse» (12).

26 L'association des PTOM avec la Communauté implique donc que le droit communautaire, tant originaire que dérivé, ne leur est pas directement et automatiquement applicable (13): au contraire, il faudra analyser dans chaque cas, à la lumière des articles 131 à 136 du traité CE, quelles dispositions communautaires leur sont applicables et dans quelle mesure.

27 Dans l'affaire Road Air, il s'agissait de déterminer si, à la date des faits sur lesquels portait la procédure au principal (à savoir le mois de juin 1991), les dispositions de la quatrième partie du traité CEE faisaient obstacle à la perception de droits de douane lors de l'importation, dans la Communauté, de marchandises originaires d'un pays tiers qui se trouvaient en libre pratique dans les Antilles néerlandaises.

28 La Cour a répondu que ces dispositions n'empêchaient pas la perception de droits de douane et elle a précisé que celle-ci devait s'opérer conformément aux règles énoncées dans la décision 91/482, que j'ai déjà citée plus haut, instrument validement adopté par le Conseil dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'article 136 du traité.

29 Pour aboutir à cette réponse, la Cour s'est, en résumé, fondée sur les bases juridiques suivantes:

a) Les PTOM ne font pas partie du territoire douanier de la Communauté et leurs échanges commerciaux avec celle-ci ne bénéficient pas du même statut que les échanges entre les États membres. Contrairement à ces derniers, qui sont des opérations intracommunautaires, les échanges entre les PTOM et la Communauté sont de véritables importations.

b) L'article 133, paragraphe 1, du traité ne s'applique pas aux produits qui, après avoir été importés dans les PTOM, en sont ensuite réexportés à destination d'un des États membres.

c) Toute autre interprétation, comme celle qui obligerait à reconnaître aux PTOM, pour ce type de produits, un régime analogue à celui que les États membres s'accordent entre eux, impliquerait «... que les PTOM feraient partie de la zone douanière commune, ce qui va bien au-delà de ce qui a été prévu par le traité» (14).

d) Il faut, dans chaque cas, s'en remettre aux règles qu'énoncent les décisions que le Conseil a adoptées pour la période concernée sur la base de l'article 136 du traité.

30 Ni la quatrième partie du traité ni les décisions que le Conseil a adoptées conformément à l'article 136 de celui-ci ne contiennent de règles visant l'application de la TVA aux importations en provenance des PTOM. Le régime spécial d'association des PTOM n'implique donc aucune particularité en matière de TVA.

31 Conformément à l'article 101, paragraphe 1, de la décision 91/482, les produits originaires des PTOM sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent. Cette exemption s'applique également aux produits qui ne sont pas originaires des PTOM mais qui se trouvent en libre pratique dans un de ceux-ci et qui en sont réexportés à destination de la Communauté sans avoir subi de transformation, à condition qu'ils aient été frappés, dans le PTOM concerné, de droits de douane ou taxes d'effet équivalent d'un niveau égal ou supérieur aux droits de douane applicables dans la Communauté.

32 Aucune de ces deux exemptions ne peut cependant s'appliquer à la TVA dès lors que cet instrument fiscal n'est ni un droit de douane ni une taxe d'effet équivalent. La Cour s'est déjà prononcée à ce sujet dans l'arrêt qu'elle a rendu le 5 mai 1982 dans l'affaire Schul (15). Il n'est donc pas possible d'invoquer l'analogie pour étendre à un impôt indirect tel que la TVA des dispositions qui sont applicables uniquement aux droits de douane ou aux taxes d'effet équivalent.

ii) L'opération imposable «importation de biens» conformément à la sixième directive et le champ d'application de celle-ci

33 Il résulte des dispositions combinées des articles 3 et 7 de la sixième directive et de l'article 227 du traité que, lorsqu'un bien est introduit dans la Communauté en provenance des PTOM, il se produit en principe, aux fins de la TVA, une importation de bien (c'est-à-dire, l'«entrée [de ce bien] à l'intérieur de la Communauté»). La raison en est double.

34 En premier lieu, les PTOM ne font pas partie de l'«intérieur d'un État membre» ou de l'«intérieur d'un pays», dans le sens que l'article 7 de la sixième directive donne à ces expressions. Le renvoi que le paragraphe 1 de cet article fait à ses propres paragraphes 2 et 3 démontre que la notion d'«intérieur d'un pays» est celle qui est définie pour chaque État membre par l'article 227 du traité, lequel ne prévoit pas que le traité puisse être appliqué aux PTOM et dispose, au contraire, qu'ils font l'objet du régime spécial d'association auquel je me suis déjà référé.

35 En second lieu, le champ d'application territorial de la directive ne coïncide même pas avec tout l'«intérieur» de chaque pays ou État membre. Certains territoires nationaux (16) des États membres - dans lesquels, contrairement à ce qui se passe dans les PTOM, le traité est bel et bien d'application, totale ou partielle, selon les cas - n'ont donc pas non plus la qualité d'«intérieur du pays» aux fins de la sixième directive (17).

36 En conclusion, la sixième directive ne permet pas de qualifier les entrées de biens en provenance des PTOM d'opérations intracommunautaires, mais les qualifie au contraire de véritables importations. Ne faisant partie ni de la zone douanière communautaire ni du champ d'application territorial du traité - à l'exception des dispositions de celui-ci qui leur sont applicables en vertu du régime spécial d'association prévu par son article 226, paragraphe 3 -, les PTOM ne sont pas «l'intérieur d'un État membre» aux fins de l'application de la TVA.

37 Cette conclusion est en outre conforme à l'objectif de la sixième directive. En effet, si certains territoires nationaux auxquels le traité est en principe applicable sont eux-mêmes considérés comme des «territoires tiers» aux fins de la TVA, il devra a fortiori en être de même pour les PTOM, qui présentent, avec le traité, un degré de rattachement moindre que les territoires nationaux susvisés.

38 Ce point de vue est partagé aussi bien par la Commission et les gouvernements français et néerlandais que par la juridiction de renvoi (18). La partie requérante au principal a dû admettre elle aussi que l'article 7 de la sixième directive justifierait, en principe, que la TVA soit appliquée à l'importation qui a été opérée en l'espèce. Si, dans les observations qu'elle a présentées devant la Cour, la partie requérante s'en prend à l'avis d'imposition de la TVA, ce n'est pas parce qu'elle conteste que l'entrée aux Pays-Bas d'un bateau originaire d'un PTOM ou qui s'y trouvait en libre pratique ait le caractère d'une importation, mais bien pour un motif différent: selon le requérant, le bateau n'était pas, dans ce cas-ci, une marchandise remplissant les conditions énoncées aux articles 9 et 10 du traité.

39 Ce problème, que j'ai déjà mentionné précédemment (19), n'a pas été soulevé par la juridiction de renvoi et, selon moi, la Cour ne peut pas l'aborder en tant que tel. D'une part, en effet, la juridiction de renvoi a présenté la provenance non communautaire du bateau comme un fait établi et elle a expressément rejeté l'argumentation que le requérant avait développée à ce propos (20). D'autre part, l'insuffisance des données de fait que le juge de renvoi a fournies à propos des vicissitudes de la situation juridique du bateau au cours des années empêcherait la Cour de se prononcer en toute sécurité.

40 La thèse principale que la partie requérante a défendue dans ses observations écrites est, en effet, qu'ayant été fabriqué aux Pays-Bas le bateau est originaire d'un des États membres et qu'il n'a jamais perdu cette qualité, laquelle interdit de considérer qu'il a été importé. L'ordonnance de renvoi est précisément fondée sur l'affirmation contraire. On se trouve ici en présence d'une série de facteurs connus (à savoir que le bateau a quitté le territoire douanier communautaire, qu'il a été vendu à une société aux Bahamas, etc.) et l'on se heurte en même temps à un certain nombre d'inconnues liées à d'autres facteurs qui n'apparaissent pas dans le dossier. C'est donc à la juridiction de renvoi qu'il appartient d'apprécier les uns et les autres et de les qualifier juridiquement à la lumière des dispositions applicables (21) et non à la Cour dans le cadre d'un renvoi préjudiciel.

41 Il en va de même des deux thèses que la partie requérante a présentées à titre subsidiaire, affirmant, dans la première, que le bateau remplissait déjà les conditions prévues par l'article 10 du traité et, dans la seconde, que l'article 101, paragraphe 2, de la décision 91/482, précitée, doit s'appliquer par analogie.

42 En ce qui concerne la première de ces deux thèses subsidiaires, il suffit de dire qu'aucune donnée ne permet d'affirmer que le bateau se trouvait déjà en libre pratique dans un État membre avant son importation aux Pays-Bas.

43 Pour ce qui est d'appliquer par analogie l'article 101, paragraphe 2, de la décision 91/482 (qui permet de déduire les droits de douane applicables lors de l'importation d'un bien de la Communauté du montant des droits qui ont été acquittés précédemment au même titre dans un PTOM avant la réexportation du bien à destination de la Communauté), j'ai déjà dit que les conditions d'application des droits de douane - ou des taxes d'effet équivalent - ne présentaient aucune similitude avec les conditions d'application de la TVA, ce qui empêche toute application par analogie (22).

44 Je me permets de souligner qu'en tout état de cause, la juridiction de renvoi n'a soulevé aucune de ces questions quant à l'origine du bien importé ni quant à l'éventuelle déduction d'un hypothétique impôt analogue à la TVA que connaîtrait le régime fiscal propre aux Antilles néerlandaises et qui aurait été appliqué à ce bien. Je considère, par conséquent, que la Cour devrait se limiter à répondre à la question préjudicielle en reprenant les termes dans lesquels elle a été formulée.

Conclusion

45 Je suggère donc à la Cour de répondre de la manière suivante à la question que le Hoge Raad des Pays-Bas lui a posée:

«L'entrée aux Pays-Bas d'un bateau en provenance des Antilles néerlandaises où il se trouvait en libre pratique et qui ne satisfait pas aux conditions prévues par les articles 9 et 10 du traité CE doit être qualifiée d'entrée à l'intérieur de la Communauté et, donc, d'importation d'un bien aux fins de l'application de l'article 7 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme.»

(1) - Dans ses observations écrites, le gouvernement néerlandais remarque lui aussi que, dans l'ordonnance de renvoi, le juge national n'a décrit les tenants et aboutissants du litige que d'une manière très sommaire.

(2) - Arrêt du 16 juillet 1992 (C-83/91, Rec. p. I-4871).

(3) - Ordonnance du 23 mars 1995 (C-485/93, Rec. p. I-511).

(4) - La thèse de la partie requérante consiste à dire qu'ayant été fabriqué aux Pays-Bas, le bateau est originaire d'un État membre et ne perd cette qualité en aucun cas. Elle conclut qu'il remplit donc à tout moment les conditions imposées par l'article 9 du traité, même s'il a quitté le territoire communautaire.

(5) - Arrêt du 23 octobre 1997, Franzén (C-189/95, Rec. p. I-5909, point 79).

(6) - JO L 145, p. 1.

(7) - Dans la version modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, modifiant la directive 77/388 et portant mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 384, p. 47).

(8) - Dans la version modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l'abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1).

(9) - Tel qu'il a été modifié par le point 3 e l'article G du traité sur l'Union européenne.

(10) - JO L 263, p. 1; rectificatif au JO 1991, L 331, p. 23.

(11) - Sur les problèmes de rétroactivité que pose cette disposition, voir les points 24 à 43 des conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Road Air, auxquelles renvoie le point 47 de l'arrêt que la Cour a rendu le 22 avril 1997 dans cette affaire (C-310/95, Rec. p. I-2229).

(12) - C-260/90, Rec. p. I-643, point 10.

(13) - Au point 62 de l'avis qu'elle a rendu le 4 octobre 1979 dans l'affaire 1/78 (Rec. p. 2871) et au point 17 de l'avis qu'elle a rendu le 15 novembre 1994 dans l'affaire 1/94 (Rec. p. I-5267), la Cour a dit pour droit, à propos des PTOM, qu'il s'agit de pays et territoires qui dépendent des États membres, mais qui ne font pas partie du champ d'application du droit communautaire.

(14) - Point 34 de l'arrêt Road Air, déjà cité à la note 11.

(15) - 15/81, Rec. p. 1409, point 21.

(16) - C'est le cas de l'île d'Helgoland et du territoire de Büsingen, dans le cas de la République fédérale d'Allemagne; de Ceuta, Melilla et des îles Canaries, dans le cas du royaume d'Espagne; de Livigno, Campione d'Italia et des eaux nationales du lac de Lugano, dans le cas de la République italienne; des départements d'outre-mer, dans le cas de la République française, et du mont Athos dans le cas de la République hellénique.

(17) - La raison d'être de cette exclusion est énoncée dans les considérants de la directive 92/111, déjà citée à la note 7: «... pour garantir la neutralité du système commun des taxes sur le chiffre d'affaires quant à l'origine des biens, la notion de territoire tiers et la définition d'une importation d'un bien doivent être complétées; ... certains territoires faisant partie du territoire douanier de la Communauté sont considérés comme des territoires tiers aux fins de l'application du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée; ... les échanges entre les États membres et ces territoires sont, dès lors, soumis aux mêmes principes d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée que ceux qui sont appliqués à toute opération entre la Communauté et des pays tiers ...».

(18) - «Le Hoge Raad est d'avis, tout comme le Gerechtshof, que le territoire des Antilles néerlandaises ne saurait être considéré comme le `territoire d'un État membre' au sens de l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive et de l'article 227 du traité CE combinés et qu'il ne peut pas non plus y être assimilé en vertu de l'article 132, paragraphe 1, du traité CE pour la perception de l'impôt sur le chiffre d'affaires si aucune mesure d'exécution n'a été prise à cet effet.»

(19) - Voir les points 10 et 11 ci-dessus.

(20) - Voir le point 3.3 de l'ordonnance de renvoi, qui a trait à l'«appréciation des moyens de cassation».

(21) - Notamment le point 8 de l'article 4 du règlement (CEE) n_ 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1): «... Sans préjudice des articles 163 et 164, les marchandises communautaires perdent ce statut douanier lorsqu'elles sont effectivement sorties du territoire douanier de la Communauté».

(22) - A l'appui de sa thèse, le requérant invoque l'arrêt que la Cour a rendu le 21 mai 1985 dans l'affaire Schul (47/84, Rec. p. 1491). Une telle référence n'a pas de sens dès lors que cet arrêt porte sur un problème différent et que celui-ci se situait en outre dans une période antérieure à la modification de la TVA en matière d'opérations intracommunautaires: la Cour avait été invitée à préciser si, lorsqu'un particulier importait dans un État membre un bien en provenance d'un autre État membre, le montant de la TVA qu'il avait déjà payé dans l'État d'exportation devait être inclus dans l'assiette de la TVA ou s'il n'en faisait pas partie.