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Avis juridique important

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61997C0359

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 27 janvier 2000. - Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. - Manquement - Article 4, paragraphe 5, de la sixième directive TVA - Mise à disposition de routes moyennant versement d'un péage - Non-assujettissement à la TVA - Règlements (CEE, Euratom) nºs 1552/89 et 1553/89 - Ressources propres provenant de la TVA. - Affaire C-359/97.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-06355


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1 La présente procédure en manquement a pour objet de faire constater par la Cour que, en ne soumettant pas à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus pour l'utilisation des routes, ponts et tunnels à péage et en ne versant pas en conséquence les montants correspondants de ressources propres et des intérêts, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE (1).

2 Au Royaume-Uni, les infrastructures routières soumises à péage peuvent être réparties pour l'essentiel en trois catégories.

3 Il faut tout d'abord citer le pont d'Erskine qui enjambe le fleuve Clyde et qui est propriété du Secretary of State écossais qui l'exploite. Les tunnels de Tine et Mersey ainsi que les ponts de Tay, Tamar, Itchen, Humber, Cleddau, Forth et Clifton Suspension, qui - jusqu'au pont de Tamar dans l'énumération qui précède - sont tous propriété d'une autorité locale, la Local passenger transport authority (ci-après «PTA») (2), constituent la deuxième catégorie. Les PTA assurent aussi l'exploitation de chacune des infrastructures, exploitation qui porte sur les ponts de Tay, Humber et Forth Road dans l'énumération qui précède. Ces ponts sont exploités par un Bridge Board qui est désigné et contrôlé par les autorités locales. Le pont de Tamar appartient aux conseils de comté des Cornouailles et de Plymouth. Il relève de la compétence d'une commission conjointe qui n'a cependant pas été créée par une loi ou une autorité locale. Le Dartford River Crossing (Tamise) et les ponts de Severn et Skye font partie de la troisième catégorie. Leur exploitation a été confiée à des concessionnaires par le Secretary of State compétent.

4 Ces trois catégories ont en commun que le péage perçu pour leur exploitation n'est pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).

II - Procédure précontentieuse

5 La Commission a attiré l'attention des autorités britanniques sur le problème de la non-perception de la TVA sur les péages pour l'utilisation de routes et de ponts par lettre du 27 mars 1987.

6 Dans leur lettre en réponse du 3 juillet 1987, les autorités britanniques ont indiqué qu'elles ne pouvaient entreprendre de modifier le système national de TVA avant que la question ne soit examinée au sein du comité consultatif de la TVA (3).

7 La Commission a estimé dans une lettre de mise en demeure du 20 avril 1988 que la mission du conseil consultatif de la TVA consistait à examiner les questions relatives à la mise en oeuvre des dispositions communautaires en matière de TVA mais qu'il n'était pas habilité à prendre de décisions quant à l'existence de manquements à l'égard de la sixième directive TVA. La Commission concluait dans sa mise en demeure que la non-perception de la TVA sur les péages perçus pour l'utilisation de routes, ponts et tunnels au Royaume-Uni constituait une violation des articles 2 et 4, paragraphes 1, 2 et 5 de la sixième directive TVA.

8 Les autorités britanniques ont répondu par lettre du 21 juillet 1988 en invoquant la disposition de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive TVA d'après lequel les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques. La perception de péages ne relève donc pas du champ d'application de la directive.

9 La Commission a adressé une lettre le 27 novembre 1987 aux autorités britanniques à propos de la problématique des ressources propres. Elle les a informées que la non-perception jusqu'alors de la TVA sur les péages pouvait avoir eu comme conséquence que les montants de ressources propres avaient été calculés de façon erronée. Les autorités britanniques ont été invitées à faire savoir si, pour les exercices budgétaires 1984 à 1986, des montants insuffisants avaient été versés au titre des ressources propres et, le cas échéant, de mettre les ressources propres correspondantes à la disposition de la Commission.

10 Aucun nouveau calcul n'ayant été transmis en réponse à la Commission, elle a adressé une mise en demeure le 31 janvier 1989. Les autorités britanniques ont de nouveau été invitées à effectuer les calculs nécessaires pour les exercices budgétaires 1984 à 1986 et à les transmettre à la Commission. Les montants dus, à majorer des intérêts de retard depuis le 31 mars 1988, devaient être mis à la disposition de la Commission et les calculs annuels incluant les intérêts de retard devaient être effectués jusqu'à ce que la violation invoquée ait pris fin.

11 Les autorités britanniques ont de nouveau invoqué la disposition de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive TVA par lettre du 23 mars 1989. Étant donné que, en vertu de cette disposition, il n'y avait pas lieu de soumettre les péages à la TVA, il n'était pas nécessaire de transmettre les chiffres souhaités.

12 Dans son avis motivé du 10 août 1989, la Commission a, d'une part, évoqué la non-perception de la TVA sur les péages et, d'autre part, fait valoir une violation du traité tirée du refus des autorités britanniques d'effectuer de nouveaux calculs et de lui verser les montants échus de ressources propres à majorer des intérêts de retard.

13 Dans leur lettre en réponse du 8 décembre 1989, les autorités britanniques ont de nouveau invoqué le caractère de droit public des organes chargés de la perception des péages.

14 La Commission a ainsi introduit un recours en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) - inscrit au greffe de la Cour le 21 octobre 1997 - et demande à ce qu'il plaise à la Cour:

1. constater qu'en ne soumettant pas à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus sur les routes et ponts à péage au Royaume-Uni, contrairement aux dispositions des articles 2 et 4, paragraphes 1, 2 et 5 de la sixième directive TVA et en ne mettant pas à la disposition de la Commission les montants des ressources propres et des intérêts de retard par suite de cette infraction, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE;

2. condamner le Royaume-Uni aux dépens.

15 Le gouvernement du Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

1. déclarer le recours irrecevable, dans la mesure où il porte sur des exercices budgétaires antérieurs; ou

2. rejeter le recours;

3. si et dans la mesure où le recours n'est pas rejeté, limiter les effets de l'arrêt dans le temps ou, à titre subsidiaire, imposer toute autre limitation que la Cour jugera appropriée; et

4. condamner la Commission aux dépens.

III - Cadre juridique

1. Quant à la perception de la taxe sur la valeur ajoutée

Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - assiette uniforme (4) (ci-après la "sixième directive")

16 L'article 2 dispose:

"Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

..."

17 L'article 4, paragraphes 1, 2 et 5 de la directive dispose:

"1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

3...

4...

5. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d'assujettis notamment pour les opérations énumérées à l'annexe D (5) et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.

Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu [de l']article 13 (6) ..."

18 Pour les autres exonérations à l'intérieur du pays, l'article 13 prévoit que:

«Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

a) ...

b) l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception:

1. des opérations d'hébergement ... dans le cadre du secteur hôtelier ...,

2. des locations d'emplacement pour le stationnement des véhicules; 3. des locations d'outillage et de machines fixées à demeure; 4. des locations de coffres-forts.

...

c) à h) ...»

2. Sur la question des ressources propres

a) Règlement (CEE, Euratom) n_ 1553/89 du Conseil, du 29 mai 1989, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée (7)

19 L'article 1er est libellé comme suit:

«Les ressources TVA résultent de l'application du taux uniforme, fixé conformément à la décision 88/376/CEE, Euratom, à la base déterminée conformément au présent règlement».

20 L'article 2, paragraphe 1, dispose:

"La base des ressources TVA est déterminée à partir des opérations imposables visées à l'article 2 de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme ... à l'exception des opérations exonérées conformément aux articles 13 à 16 de ladite directive".

b) Règlement (CEE, Euratom) n_ 1552/89 du Conseil, du 29 mai 1989, portant application de la décision 88/376/CEE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (8)

21 L'article 11 de ce règlement dispose:

"Tout retard dans les inscriptions au compte visé à l'article 9 paragraphe 1 donne lieu au paiement, par l'État membre concerné, d'un intérêt dont le taux est égal au taux d'intérêt appliqué au jour de l'échéance sur le marché monétaire de l'État membre concerné pour les financements à court terme, majoré de deux points. Ce taux est augmenté de 0,25 point par mois de retard. Le taux ainsi augmenté est applicable à toute la période du retard".

c) Décision 88/376/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, relative au système des ressources propres des Communautés (9)

22 Cette décision prévoit que les recettes TVA manquantes doivent être compensées, à titre de financement complémentaire, par des ressources propres fondée sur le produit national brut, qui impliquent une nouvelle répartition au détriment des autres États membres.

IV - Arguments des parties

23 La Commission déclare que, en Grande-Bretagne (10), il existe plusieurs routes, ponts et tunnels accessibles au public contre paiement d'un péage, le système de TVA national ne prévoyant pas que celui-ci soit soumis à la taxe. Les autorités locales en cause (11) ont la possibilité d'accorder des concessions pour la conception, la construction et l'entretien de routes. En Écosse, ces concessions peuvent aussi porter sur l'exploitation commerciale ou l'amélioration des routes. En contrepartie, un péage peut être perçu pour l'utilisation de la route en cause. Ce péage est fixé par les autorités locales compétentes en collaboration avec le ministère des Transports. Cette décision porte aussi sur la durée pendant laquelle le péage est perçu, élément qui est lié à des objectifs financiers particuliers ou à l'utilisation de l'infrastructure par un certain nombre de véhicules.

24 Dans le cas de certaines routes, le péage est perçu par des tiers pour le compte du ministre dans le cadre de la concession. D'autres routes soumises à péage sont en revanche la propriété de particuliers. De plus, les deux systèmes auraient dû être soumis à la TVA.

25 S'agissant de la recevabilité de son action, la Commission fait valoir qu'aucun délai de recours n'est fixé dans le cadre de la procédure en manquement au titre de l'article 169 du traité CE. Le gouvernement du Royaume-Uni n'ayant pas prouvé que ses droits de la défense avaient été méconnus et la présente procédure n'étant pas comparable à une procédure civile ou pénale, le recours est recevable, même s'il s'est écoulé beaucoup de temps entre la procédure précontentieuse et l'introduction du recours.

26 Il faut partir de l'idée que le présent cas d'espèce concerne l'exercice d'une activité économique par un assujetti. L'existence d'une activité économique doit être appréciée de façon objective en tenant compte de la réalité économique. Dès lors qu'une prestation est fournie à titre onéreux, sa contre-valeur constitue la base d'imposition. Étant donné que, en l'espèce, il y a paiement d'un péage chaque fois qu'un usager est autorisé à utiliser une route, il existe un lien direct entre la prestation fournie et la rémunération perçue.

27 La Commission est d'avis qu'il n'est pas envisageable d'appliquer l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, car seules peuvent être soumises à cette disposition les activités qui relèvent des missions essentielles des autorités publiques et qui sont exercées par des organismes publics eux-mêmes. En revanche, la circonstance qu'un opérateur économique privé - le concessionnaire - exerce des activités n'a pas pour conséquence qu'elles sont exonérées de la TVA, quand bien même sont-elles exercées dans l'intérêt général.

28 Chaque usager de la route est confronté à une décision économique. Il doit mettre en balance, d'un côté, le prix du péage et, de l'autre, le gain de temps et la consommation de carburant. Toutefois, lorsque la mise à disposition d'une infrastructure routière donne lieu à de telles considérations, les organismes en cause n'agissent plus dans le cadre de la réalisation de missions d'intérêt public et la perception du péage n'est donc pas une mission spécifique de l'autorité publique.

29 Même si les autorités nationales se réservent un droit général de contrôle et de surveillance, l'exploitant de l'infrastructure agit comme un particulier exerçant une activité économique.

30 Contrairement à ce que fait valoir le gouvernement du Royaume-Uni, la situation de l'espèce n'est pas un cas d'affermage ou de location de biens immeubles. Il ne peut y avoir de location que dans l'hypothèse où une zone ou un espace déterminé est cédé par le propriétaire au locataire afin qu'il l'utilise de façon exclusive pour une durée déterminée contre paiement d'une rémunération correspondante. On ne peut cependant pas parler de location en l'espèce car ce n'est pas un droit d'usage exclusif qui est accordé mais seulement le droit d'emprunter la route.

31 La Commission ne juge pas adéquat de limiter les effets dans le temps de l'arrêt dans la présente procédure. Dans le cas d'une procédure en manquement engagée en vertu de l'article 169 du traité CE, l'État membre est informé par la Commission durant la procédure précontentieuse que, d'après elle, il a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité. La Cour n'a admis de limiter les effets dans le temps d'un arrêt que dans les cas où l'État membre concerné a déjà pris des mesures juridiques avant le prononcé de l'arrêt en vue de mettre fin au manquement. À ces occasions, la Cour a systématiquement souligné le caractère exceptionnel de la limitation des effets dans le temps de ses arrêts. Elle n'a recouru à cette mesure qu'en cas de risque de perturbations économiques graves et en tenant compte des principes généraux du droit, comme la protection de la confiance légitime.

32 Le gouvernement du Royaume-Uni a en l'espèce été informé de façon très précoce d'une violation des dispositions relatives au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et il a été invité à prendre les mesures nécessaires, en particulier en ce qui concerne les paiements au titre des ressources propres. Étant donné qu'il n'y avait pas non plus en l'occurrence d'incertitude objective et importante quant à l'application des dispositions de droit communautaire, la Cour n'est pas tenue de limiter les effets dans le temps de son arrêt.

33 Le gouvernement du Royaume-Uni estime en revanche que le recours de la Commission est irrecevable, pour le moins en ce qui concerne les conséquences passées de la violation alléguée. Cette solution s'impose en raison de la durée excessive et injustifiée de la procédure qui s'est étendue sur plus de dix ans entre l'ouverture de la procédure précontentieuse et l'introduction du recours. L'action de la Commission ne porte pas seulement sur une violation du traité mais elle vise aussi à ce que le Royaume-Uni soit contraint de verser des montants de ressources propres à partir de 1984, à majorer des intérêts de retard. Eu égard à ses répercussions financières importantes, un tel procédé ne saurait être admis.

34 Si la Cour devait cependant accueillir le recours, elle devrait limiter les effets dans le temps de son arrêt en vue d'exclure un nouveau calcul rétroactif des ressources propres à partir de 1984.

35 En vertu de la disposition de l'article 174 du traité CE (devenu article 231 CE), la Cour dispose d'une mesure de ce type qui peut aussi être appliquée dans le cadre d'une procédure en manquement. Il faut d'une part observer que la durée excessive et inadaptée de la procédure a affecté les droits de la défense de l'État membre attaqué. Il existe un principe de droit général communautaire en vertu duquel des délais de procédure raisonnables doivent être respectés. Du point de vue de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime, le comportement de la Commission ne peut pas être accepté tel quel. La procédure précontentieuse a montré qu'il existait une incertitude objective et importante quant à l'application des dispositions de droit communautaire. Une clarification rapide de la situation aurait été nécessaire à cet égard.

36 D'autre part, il est en pratique extrêmement difficile de donner suite aux souhaits de la Commission. Il est aujourd'hui impossible de réclamer a posteriori la TVA due à tous les usagers de la route. Si la procédure avait connu un rythme plus rapide, cela aurait éventuellement encore été possible à un stade beaucoup plus avancé. Le préjudice qui découlerait pour le budget national d'un arrêt en ce sens serait considérable, étant donné que les montants de ressources propres devraient y être puisés. Les intérêts réclamés sont eux aussi source d'un préjudice important qui aurait pu être évité.

37 S'agissant de la recevabilité du recours, le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que les organismes percevant le péage ne sont pas des assujettis au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, parce que la disposition de l'article 4, paragraphe 5, est applicable.

38 L'Erskine Bridge est exploité par le Secretary of State (en Écosse) qui est un organisme de droit public agissant en tant qu'autorité publique. Même s'il perçoit des péages, le Secretary of State n'est pas un assujetti au sens de la directive. Il faut s'inspirer des dispositions nationales applicables pour apprécier quand un organisme de droit public agit dans la sphère du droit public ou du droit privé. Toutefois, le Secretary of State exerçant ses activités dans un contexte de droit public et des dispositions qui lui sont applicables, il est exonéré de la TVA en ce qui concerne les péages. La construction et l'entretien des routes publiques sont assurés par un organisme public créé en vertu du droit public et agissant en tant qu'autorité publique. L'utilisation de cette infrastructure relève donc aussi du droit public. La portion soumise à péage constitue une infrastructure à laquelle il n'existe en règle générale pas d'alternative raisonnable. Le Secretary of State n'a pas non plus délégué ses compétences en l'espèce, de sorte que l'on ne saurait parler d'un opérateur économique privé.

39 La structure relative aux PTA et aux Bridge Boards est similaire à celle de l'Erskine Bridge; les organismes publics sont uniquement implantés au niveau local. Dans ce cas aussi, la perception des péages s'effectue dans un contexte de droit public.

40 En ce qui concerne les PFI Crossings, les concessionnaires sont d'autres établissements de droit public. Ils sont liés aux dispositions qui leur sont applicables en matière de construction et d'exploitation des portions à péage. Le Secretary of State a attribué ses compétences relatives à l'entretien et à l'amélioration du Dartford River Crossing à un concessionnaire. Il conserve cependant la responsabilité et le contrôle ultimes. Il fixe en particulier le montant du péage et les modalités de sa perception. L'attribution de la concession n'en est cependant pas soumise au droit commun.

41 Dans le cas des Severn Bridges aussi, le Secretary of State peut aussi céder certaines compétences à un concessionnaire. Le cadre juridique et le contenu de la concession sont régis de la même façon que dans le cas du Dartford River Crossing.

42 Le Skye Bridge est exploité conformément au New Roads and Street Works Act 1991. Le Secretary of State et les Councils, ces derniers en tant qu'autorités locales, sont compétents pour la construction des routes en vertu du Road's Act 1984 écossais. La perception de péages est aussi prévue dans ce cas. Même si, fondamentalement, la construction de routes relève de la compétence d'organismes publics, il est possible de céder la planification et la construction de certaines routes à des particuliers en vertu des dispositions applicables. Ces routes peuvent alors être exploitées par des concessionnaires qui ont participé à leur conception, à leur construction, à leur entretien, à leur exploitation ou à leur amélioration contre paiement d'un péage. Dans un tel cas, le pouvoir de prélever le péage est cédé au concessionnaire. Cela ne change cependant rien au fait que les routes demeurent la propriété des pouvoirs publics. Les missions publiques sont transférées aux concessionnaires pour la durée de la concession. Les dispositions légales applicables pour le Skye Bridge correspondent à celles en vigueur pour le Dartford Crossing et les Severn Bridges. Les concessionnaires sont uniquement autorisés à dégager un bénéfice raisonnable.

43 Le Secretary of State et les autorités locales demeurant responsables de la construction et de l'entretien des tronçons à péage, il faut partir de l'idée que les infrastructures sont mises à la disposition par des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques.

44 De plus, eu égard à l'influence résiduelle des organismes publics, la situation des concessionnaires est différente de celle des entreprises exerçant une activité économique. Ces concessionnaires ne peuvent donc pas être des assujettis au sens de la sixième directive TVA car ils sont soumis à des dispositions légales cadres autres que celles applicables aux entreprises opérant dans le secteur privé.

45 Par ailleurs, il n'y a pas non plus de prestations soumises à la taxe en l'espèce parce qu'une mission est remplie en tant qu'autorité publique.

46 Enfin, le gouvernement du Royaume-Uni fait encore valoir que, dans l'hypothèse où la Cour considérerait néanmoins que l'on est en présence d'une activité soumise à la taxe effectuée par un assujetti, cette activité est exonérée de la taxe car elle constitue un affermage ou une location de biens immeubles, qui sont soustraits à la TVA. Pour qu'il y ait location, il n'est pas nécessaire qu'existe un rapport classique de propriétaire à locataire. Il est indiqué en l'occurrence de retenir une interprétation large, comme le montre d'ailleurs aussi l'énumération figurant à l'article 13, section B, sous b). Les situations de fait envisagées dans ces cas d'espèce ne relèvent pas non plus de la notion classique de location. La location ne suppose pas nécessairement que le locataire dispose d'un droit d'utilisation exclusif portant sur un bien immeuble. C'est ce que montre l'exemple de la location d'emplacement pour le stationnement de véhicules, conformément à l'article 13, section B, sous b). En l'occurrence, l'usager de la route obtient le droit d'utiliser une portion déterminée de celle-ci. La composante de temps évoquée par la Commission est aussi présente en l'espèce car elle réside dans la durée pendant laquelle la portion soumise à péage est empruntée. L'objet principal de l'accord entre la personne percevant le péage et l'usager de la route étant l'octroi d'un droit d'usage contre paiement d'une rémunération, nous sommes en présence d'une location. De ce point de vue également, l'activité en cause est donc exonérée de la TVA.

V - Appréciation

Sur la recevabilité du recours

47 Le gouvernement du Royaume-Uni affirme que la circonstance qu'entre le 20 avril 1988, date de la mise en demeure de la Commission (12), et le 21 octobre 1997, date à laquelle la Cour a été saisie du présent recours, près de dix ans se soient écoulés montre que la durée de la procédure a été excessive et qu'elle n'est pas justifiée.

48 Le gouvernement défendeur met en cause dans ce moyen la recevabilité du recours en ce qu'il porte sur le paiement de montants de ressources propres à majorer des intérêts de retard.

49 Il faut d'abord constater à ce propos que, d'après une jurisprudence constante, la Commission est seule compétente pour décider, eu égard à son rôle de gardienne du traité, s'il est opportun d'engager une procédure en constatation de manquement (13) Les dispositions de l'article 169 du traité doivent trouver application sans que la Commission soit tenue de respecter un délai déterminé, pour autant que l'on ne se trouve pas dans une situation dans laquelle la durée trop longue de la procédure prévue dans cet article pourrait rendre plus difficile pour l'État membre concerné de réfuter les arguments de la Commission, de sorte que les droits de la défense seraient méconnus (14). Il incombe donc à l'État membre concerné d'établir l'existence d'une telle situation.

50 Le gouvernement du Royaume-Uni affirme simplement en l'occurrence que, entre l'ouverture de la procédure précontentieuse et la saisine de la Cour, un délai excessivement long s'est écoulé et que l'inaction de la Commission s'est répercutée sur ses moyens de défense. Le gouvernement défendeur n'a toutefois fait valoir aucun argument spécifique qui permettrait d'établir que ce délai a rendu plus difficile la réfutation des arguments de la Commission et que, ce faisant, ses droits de la défense ont été méconnus. Le recours n'est donc pas irrecevable.

Sur le bien-fondé

1. Assujettissement des péages à la TVA

51 Conformément à l'économie de la directive, il convient tout d'abord d'examiner si nous nous trouvons, en l'espèce, en présence d'une prestation de service assujettie à la TVA, au sens de l'article 2 de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Il devrait en outre s'agir d'une prestation de service à titre onéreux. Il y aura lieu alors d'examiner si une telle prestation est accomplie par un assujetti et, dans l'affirmative, s'il s'agit d'une activité économique.

a) Prestation de service à titre onéreux.

52 En l'espèce, la prestation de service consiste dans la mise à disposition de l'infrastructure.

53 Cette prestation de service est en outre accomplie à titre onéreux, moyennant péage. Pour répondre à la question de savoir si une prestation de service est accomplie à titre onéreux, la Cour a déjà exposé qu'il doit exister un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue pour qu'une prestation de services soit taxable (15).

54 Ce lien direct consiste dans le paiement, pour la mise à disposition de l'infrastructure, d'un péage dont le montant est fonction du type de véhicule et de la distance à parcourir.

55 Le péage ne constitue pas une imposition, car celle-ci consiste dans une prestation pécuniaire qui n'est pas fournie en contrepartie d'une prestation particulière, et qui constitue une recette perçue par une collectivité de droit public auprès de tous ceux qui se trouvent dans la situation qui, en vertu des dispositions légales, fait naître cette obligation pécuniaire. Étant donné l'existence, en l'espèce, d'une contrepartie précise sous la forme de la mise à disposition de certaines parties de l'infrastructure routière, il s'agit en l'occurrence d'une redevance qu'il convient de considérer comme la contrepartie d'une prestation de service.

56 Il y a donc prestation soumise à la TVA au sens de l'article 2 de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

b) Assujetti

57 L'article 4, paragraphes 1 et 2, énonce qu'est considéré comme assujetti quiconque accomplit d'une façon indépendante une activité économique, terme qui couvre toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services.

58 En revanche, l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la directive dispose que les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des redevances, cotisations ou rétributions.

aa) Acte de souveraineté

59 L'analyse de la jurisprudence de la Cour met en évidence que deux conditions doivent être remplies cumulativement pour que joue la règle du non-assujettissement des organismes publics, à savoir l'exercice d'activités par un organisme public et l'exercice d'activités accomplies en tant qu'autorité publique (16).

60 Cela signifie, d'un côté, que les organismes de droit public ne sont pas automatiquement exonérés pour toutes les activités qu'ils accomplissent, mais seulement pour celles qui relèvent de leur mission spécifique d'autorité publique et, d'un autre côté, qu'une activité exercée par un particulier n'est pas exonérée de la TVA du seul fait qu'elle consiste dans l'accomplissement d'actes relevant de prérogatives de l'autorité publique (17).

61 La définition de l'exercice d'activités en qualité d'autorité publique ne saurait s'arrêter à l'objet ou à la finalité de l'activité de l'organisme public. La jurisprudence de la Cour enseigne que ce sont les modalités d'exercice des activités qui permettent de déterminer la portée du non-assujettissement des organismes publics (18).

62 Il s'ensuit, décide la Cour, que les organismes de droit public visés à l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive exercent des activités en tant qu'autorités publiques lorsqu'ils les accomplissent dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier (19). En revanche, lorsqu'ils agissent dans les mêmes conditions juridiques que les opérateurs économiques privés, on ne saurait considérer qu'ils exercent des activités en tant qu'autorités publiques.

63 Comme l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée considère également comme taxables de telles opérations, exécutées aux termes de la loi, il ne suffit pas qu'une activité relève du domaine du droit public pour répondre aux conditions de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa. Énonçant une acception dérogatoire de la notion d'assujetti, cette définition est à interpréter de manière restrictive. Ne sauraient être considérées comme exonérées de la TVA que les activités exercées en qualité d'autorités publiques, qui relèvent, par essence, de l'exercice de la souveraineté. Le confirme également l'article 4, paragraphe 5, troisième alinéa, qui renvoie aux activités énumérées à l'annexe D, -- voir ci-dessus, point 16 -- pour lesquelles l'autorité publique est elle aussi assujettie à la taxe.

64 La conception et la construction de routes, de ponts et de tunnels sont des tâches relevant de l'exercice de la souveraineté, réservées à ce titre aux autorités publiques. Ces activités constituent un élément substantiel et, à ce titre, un domaine essentiel des missions d'ordre public. Elles peuvent être considérées comme faisant partie intégrante des services d'intérêt général. Lorsque l'État exerce une activité dans ce domaine, il convient de partir du principe qu'il agit en qualité d'autorité publique.

65 Il est exact que la mise à disposition de routes n'est pas expressément citée comme activité taxable, comme le sont, à l'annexe D, les fournitures de gaz, d'électricité et d'eau. En effet, la mise à disposition gratuite de l'infrastructure routière doit être qualifiée d'acte de souveraineté. Reste à sa voir si, en revanche, le réseau routier construit à titre de mission d'ordre public et grâce aux recettes fiscales, pourrait être dans sa globalité exploité comme une entreprise privée, sous un régime de péages exigibles pour tous. En revanche, en aucun cas la mise à disposition sélective, car opérée à titre onéreux, de certains tronçons, ne saurait être qualifiée d'activité relevant de l'exercice de la puissance publique. Certes, comme l'énonce explicitement l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, la perception d'une redevance est possible même pour une activité relevant de la puissance publique, sans, à elle seule, impliquer que cette opération soit taxable. Il faut toutefois considérer que, en l'espèce, l'utilisateur a le choix entre un recours payant et un recours gratuit à l'infrastructure routière. La mise à disposition du réseau gratuit constitue l'accomplissement plénier d'un acte de souveraineté et, de ce fait, la mise à disposition moyennant péage de tronçons supplémentaires doit être qualifiée d'activité économique purement privée. Quiconque doit se faire accorder un permis de bâtir, dont la délivrance est soumise au paiement d'un droit, n'a pas le choix. Celui qui veut accomplir des études, pour lesquelles tout un chacun est obligé de payer un droit, n'a pas le choix s'il veut atteindre le but correspondant, soit concrètement le diplôme de fin d'études. En l'espèce, en revanche, l'utilisateur est placé devant un vrai choix: deux possibilités lui sont offertes pour, fût-ce plus lentement ou de manière moins commode, atteindre le même but. Le réseau routier à péage est certes à la disposition de tous ceux qui sont prêts à le payer, mais uniquement à la disposition de ces derniers. Ce régime recèle une sélection qui le distingue d'un acte de souveraineté. Ce sont avant tout des raisons d'ordre financier qui donnent lieu à la perception du péage. Partant, la mise à disposition d'un tronçon déterminé moyennant péage ne saurait être considérée comme une activité relevant de l'exercice de la puissance publique.

66 La mise à disposition de l'infrastructure contre paiement ne pouvant pas être qualifiée d'activité accomplie en qualité d'autorité publique, il ne se conçoit pas de recourir en l'espèce aux dispositions de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa. Les organismes chargés de la perception des péages sont donc à considérer comme des assujettis.

bb) Activité économique

67 Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante, une activité économique.

68 L'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée définit les activités économiques comme étant "toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services".

69 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d'activité économique correspond à un très large champ d'application et revêt un caractère objectif, en ce sens que l'activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (20).

70En partant d'un notion à ce point large de l'activité économique, il n'est donc pas nécessaire que les prestations de services soient essentiellement ou exclusivement orientées vers le fonctionnement du marché ou la vie économique; il suffit ainsi qu'elles soient concrètement liées de quelque façon que ce soit à la vie économique (21). En l'espèce, la mise à disposition de l'infrastructure routière moyennant le paiement d'un péage s'exerce selon un système particulier de concessions, qui peuvent être accordées à des organismes publics, semi-publics ou encore privés.

71 Même si, au Royaume-Uni, l'octroi des concessions répond aux règles du droit public et si les autoroutes font partie du réseau routier public, ces aspects sont dénués de pertinence aux fins de l'examen de la question de savoir s'il s'agit d'une activité économique. L'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée énonce que les prestations de services taxables peuvent aussi, entre autres, consister en l'exécution d'un service en vertu d'une réquisition faite par l'autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. Le caractère objectif de la notion d'activité économique plaide aussi, en l'espèce, en faveur d'une qualification d'activité économique, puisque c'est l'activité en elle-même qui entre en ligne de compte, indépendamment de ses buts ou de ses résultats.

72 La prise en compte de la réalité économique constitue un critère fondamental pour l'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (22). Cette réalité consiste, en l'espèce, dans la mise à disposition de l'usager de certaines parties de l'infrastructure routière contre paiement d'une redevance, sous la forme d'un péage. Le fait que cette activité a pour but de permettre à chacun de ces organismes de réaliser des gains pour leur propre compte, de façon à subvenir ainsi à leurs frais et à s'assurer un revenu, montre qu'il s'agit en l'espèce d'une activité économique.

c) Location

73 Après avoir constaté, au vu des éléments exposés ci-dessus, qu'il y a lieu de partir de l'idée de l'assujettissement de principe de l'organisme chargé de la perception du péage, il faut déterminer si une exonération de l'activité en cause est envisageable au titre de l'article 13, section B, sous b).

74 Ainsi, la mise à disposition de l'infrastructure contre paiement d'un péage serait exonérée de la taxe, si elle devait constituer en l'occurrence une location de biens immeubles.

75 Les dispositions concernées ne comportent pas de définition de cette notion en droit communautaire. Il faut donc se pencher sur la place qu'elle occupe dans la réglementation pour préciser sa signification en tenant compte de l'économie générale de la sixième directive TVA.

76 On peut déduire du sens et de la portée de la directive et du libellé de son article 2 en particulier que le principe fondamental de la directive doit être compris en ce sens que, lorsqu'elles sont effectuées par un assujetti à titre onéreux, toutes les livraisons de biens et toutes les prestations de services sont soumises à la TVA, pour autant qu'elles n'en soient pas exonérées explicitement. Les dispositions exonératoires doivent donc être interprétées de façon stricte, puisqu'elles constituent une exception au principe fondamental de la directive.

77 Cela signifie aussi en l'espèce que la notion de «location de biens immeubles» doit s'inspirer du sens habituel. Ainsi, tout contrat, même s'il comporte des éléments juridiques de la location, ne peut pas relever automatiquement de cette notion. Cela se traduirait par une interprétation trop large de l'exonération, qui n'est précisément pas voulue. La condition qu'il importe donc de vérifier, c'est que les éléments juridiques de la location soient prépondérants dans le contrat.

78 La mise à disposition d'une infrastructure routière contre paiement d'un péage ne remplit cependant pas cette condition. Certes, une zone déterminée dans l'espace (le trajet à effectuer) est mise à la disposition de l'usager pour une durée déterminée (la durée du trajet) contre rémunération. Quoi qu'il en soit, les éléments juridiques de la location ne sont pas prépondérants en l'espèce, puisque ce qui importe à l'usager, c'est d'effectuer un trajet déterminé le plus rapidement possible et en toute sécurité. Il y a en revanche une utilisation de la chose en toile de fond.

79 En l'espèce, si l'on suit l'argumentation du gouvernement du Royaume-Uni, un pont ne serait pas loué seulement à une personne mais simultanément à plusieurs personnes. Ce faisant, ces personnes n'ont toutefois a priori aucun droit de possession exclusif à l'égard du pont. Nous ne sommes pas dans une situation dans laquelle plusieurs personnes pourraient être les locataires de la même chose. Les automobilistes ne veulent pas louer le pont en commun et être responsables solidairement du paiement du péage, comme par exemple dans des situations de communauté de résidence.

80 Il n'y a donc pas non plus de rapport de location, puisque l'usager n'a ni le droit de se défendre contre une utilisation indue de la part de tiers ni le droit d'utiliser la chose de façon générale; son droit d'usage se limite exclusivement à la possibilité d'effectuer un trajet.

81 Le but essentiel du «contrat» (entre les parties) est moins d'utiliser un bien immeuble que de faire usage d'une prestation de services fournie sur ce bien immeuble. Pour l'automobiliste, la brève utilisation du bien immeuble est plutôt secondaire, parce que ce qui lui importe, c'est d'atteindre sa destination rapidement en toute sécurité.

82 On ne peut pas suivre le gouvernement du Royaume-Uni lorsqu'il soutient que les activités visées à l'article 13, section B, sous b), de la directive montrent que la notion de location peut être prise au sens large. Les exemples cités ne sont pas des rapports de location «au sens large». Ils peuvent constituer des rapports de location particuliers; ils ne s'écartent cependant pas de façon décisive des critères propres à la notion de location en général. Même si ce devait être le cas, on ne pourrait en déduire les conclusions que tire le Royaume-Uni en termes d'exonération. Les quatre «rapports de location particuliers» ne sont pas évoqués pour montrer que la notion de location peut être prise au sens large, mais parce que - en tant «qu'exception à l'exception» de l'exonération de la location -, ils sont soumis à la TVA. C'est précisément parce que la location - en tant qu'exception à la règle - n'est pas soumise à la TVA qu'il faut interpréter la notion de location de façon stricte, comme nous l'avons indiqué aux points 79 et 80.

83 Le présent cas d'espèce ne concerne donc pas une location de biens immeubles exonérée de la taxe.

d) (A titre subsidiaire) Sur la question des distorsions de concurrence

84 Selon l'article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public doivent être considérés comme assujettis, même pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. Eu égard aux développements qui précèdent, cette sous-hypothèse ne devrait pas être examinée, puisqu'il convient de partir du principe que l'activité visée en l'espèce ne constitue pas une activité relevant de la puissance publique. Ce n'est donc qu'à titre subsidiaire que nous procéderons à cet examen.

85 Il y aurait distorsion de la concurrence au sens précité si l'organisme public non assujetti était en concurrence avec un opérateur privé assujetti pour une prestation de service équivalente et était en mesure, grâce à l'exonération fiscale, d'offrir ces services à moindre prix. Or, comme il n'existe pas de concurrence de droit privé à prendre en compte pour la mise à disposition d'une infrastructure routière, la question de la concurrence ne se pose pas.

86 Les exemples de distorsions de la concurrence cités par la Commission sont dénués de pertinence en l'espèce. En effet, d'une part, à l'exception de quelques dispositions, le champ d'application de la directive se limite aux opérations intérieures. Il n'y a apparemment pas, en l'espèce, de violation de l'égalité de traitement au détriment d'opérateurs nationaux. D'autre part, les hypothèses de distorsion de la concurrence évoquées par la Commission -- d'un côté, l'impossibilité de déduire des taxes en amont et, de l'autre, des avantages en matière de charges, ne sont pas dus à l'absence d'imposition dans un cas et à l'assujettissement dans l'autre, mais à une application incorrecte du droit. Lorsque la jurisprudence aura réglé ce problème, les États membres procéderont certainement à une perception de la TVA dans une même mesure (et il en sera de même en ce qui concerne les versements aux ressources propres). D'ailleurs, si l'on suivait le raisonnement de la Commission, ce serait au regard des pays dans lesquels aucun péage routier n'est perçu que les distorsions de concurrence seraient les plus importantes.

87 Il n'existe donc pas, en l'occurrence, de distorsions de la concurrence, au sens de l'article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, qui justifieraient un assujettissement. Toutefois, comme nous l'avons précédemment exposé aux points 45 à 63, la question n'est pas là. Il y a, en l'espèce, une prestation de service qui doit être soumise à la TVA, car la perception du péage ne constitue pas une activité relevant de l'exercice de la puissance publique.

e) Conclusion intermédiaire

88 Le Royaume-Uni a par conséquent méconnu les obligations qui lui incombent en vertu du traité CE en ce que, contrairement aux articles 2 et 4 de la sixième directive TVA, il n'a pas soumis à la TVA les péages acquittés pour l'utilisation des ponts.

2. Les ressources propres

89 L'article 2, paragraphe 1, du règlement n_ 1553/89 prévoit que la base des ressources TVA est déterminée à partir des opérations imposables visées à l'article 2 de la sixième directive. Les contributions des différents États membres aux ressources propres résultent de l'application, à la base ainsi déterminée, d'un taux uniforme fixé.

90 Comme, en l'espèce, des prestations de services sont accomplies par des assujettis, les péages auraient dû être soumis à la TVA. Or, tel n'a pas été le cas: les montants correspondants n'ont donc pas pu être rassemblés en vue de la détermination de la base des ressources TVA.

91 Il y a donc infraction aux dispositions du droit communautaire relatives à la perception des ressources TVA. Il est sans intérêt à ce propos que, ainsi que le soutient le gouvernement du Royaume-Uni, le nouveau calcul des contributions aux ressources propres qui en résulterait aboutisse à un résultat défavorable aux Communautés. Ce qui, en vertu des dispositions communautaires en la matière, est déterminant, c'est que, en premier lieu, ces ressources propres soient établies sur une base correcte et que les créances correspondantes (de l'État membre) sur les assujettis soient constatées. Il revient donc aux États membres de procéder aux calculs requis, d'en communiquer le résultat à la Commission, et de verser les ressources propres dues en conséquence.

92 Les intérêts réclamés résultent de l'article 11 du règlement (CEE, Euratom) no 1552/89, qui dispose que tout retard dans les inscriptions au compte des ressources TVA donne lieu au paiement d'un intérêt de retard. Les intérêts moratoires sont dus, conformément à la jurisprudence de la Cour, quelle que soit la raison pour laquelle l'inscription a été faite avec retard (23).

3. Limitation dans le temps des effets de l'arrêt

93 Après avoir constaté que le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE, on pourrait s'interroger sur le point de savoir si la Commission serait fondée à faire admettre les droits qu'elle en tirerait contre le Royaume-Uni pour l'ensemble de la période concernée.

94 La procédure en manquement se caractérise tout d'abord, lorsque le recours est déclaré fondé, par l'injonction, faite à l'État membre, de prendre toutes les mesures permettant de remédier au manquement au traité. En revanche, dans la mesure où il s'agit d'un arrêt constatant un manquement, la Cour de justice ne peut pas ordonner à l'État membre qui fait l'objet du recours de mettre fin à l'infraction ou d'abroger ou encore de modifier la mesure litigieuse.

95 La Cour n'est dès lors pas compétente pour condamner formellement le Royaume-Uni à faire disparaître la situation illégale existant à propos de la perception de la TVA. Toutefois, dans le cadre de la procédure en manquement, la Cour de justice peut préciser l'obligation incombant au Royaume-Uni quant à la suppression de la situation illégale.

96 Il convient donc d'examiner ce que concrètement représente l'obligation, pour le Royaume-Uni, de mettre fin au manquement au traité ainsi que le rôle joué dans ce contexte par la durée de la procédure.

97 Comme les articles 155 (devenu article 211 CE) et 169 du traité CE imposent à la Commission de poursuivre tout manquement, dont elle a connaissance, aux obligations incombant aux États membres en vertu du traité, il existe en principe une obligation de poursuite. Toutefois, la Commission dispose d'une certaine marge d'appréciation quant au moment et aux conditions de l'accomplissement des différentes phases de la procédure au titre de l'article 169. L'obligation de principe qu'elle a de poursuivre n'empêche pas la Commission de devoir toujours veiller à amener les États membres, par la voie usuelle, à restaurer une situation conforme au traité. Le moment où, au plus tôt, elle peut former un recours, est l'expiration du délai qui a été fixé dans l'avis motivé. En principe, l'exercice d'un recours devant la Cour n'est pas enfermé dans un délai préétabli (24). C'est donc à la Commission qu'il appartient d'apprécier le choix du moment auquel est introduite l'action en manquement, une fois expiré le délai fixé par l'avis motivé (25). Dans certaines hypothèses extrêmes toutefois, lorsque la Commission a longtemps attendu avant d'introduire un recours et, si ce n'est celui-ci, n'a entrepris aucune démarche à l'encontre de l'État membre concerné, l'exception tirée d'une forclusion du droit de recours, qui affecterait la recevabilité du recours, n'est pas totalement à exclure (26). La jurisprudence de la Cour part cependant du principe d'un refus d'une forclusion du droit d'action de la Commission (27).

98 Il ne saurait pas non plus être question de prescription en l'espèce. En effet, d'une part, il n'existe pas de dispositions en matière de prescription qui seraient applicables et, d'autre part, une application mutatis mutandis des règles des États membres dans ce domaine n'est pas non plus envisageable. Pour correspondre à sa fonction, un délai de prescription doit être établi à l'avance. Comme il s'agit d'une exception, elle doit avoir été soulevée, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Puisque ce point n'a pas été présenté, il n'y a pas lieu de l'examiner davantage. D'ailleurs, il n'était pas non plus possible, dans le cadre du recours en manquement, d'invoquer directement la contribution aux ressources.

99 Il se pourrait toutefois que les Communautés aient fait valoir hors délai leurs droits relatifs au versement des contributions aux recettes propres.

100 Pour des motifs de sécurité juridique, il pourrait être nécessaire, en l'espèce, de limiter l'effet dans le temps d'un manquement au traité eu égard à la rectification des relevés annuels (28). La Cour a déjà reconnu que, en l'absence de textes relatifs à la prescription, le principe de la sécurité juridique pouvait être invoqué (29).

101 Certes, le traité ne prévoit pas expressément de limitation dans le temps pour les procédures en manquement. Cela n'est d'ailleurs pas indispensable car, en règle générale, par son caractère déclaratoire, un arrêt rendu dans une procédure en manquement vise la suppression (future) d'une situation contraire au traité. Ce type de procédure ne porte pas sur l'applicabilité d'une décision individuelle, comme c'est le cas du recours en annulation, pour lequel une limite de l'effet dans le temps est prévue à l'article 174, deuxième alinéa (devenu l'article 231 CE). Le recours en manquement n'a normalement pas pour but l'aboutissement de demandes en dommages-intérêts dans des cas particuliers, telles qu'elles sont visées par l'article 43 des statuts de la Cour. Une procédure en manquement a plutôt pour objet une constatation de principe relative à la portée normative du droit communautaire. Lorsque, saisie d'un litige, la Cour constate judiciairement cette portée normative, elle statue dans l'intérêt de la sécurité juridique. Le simple écoulement du temps depuis la clôture de la procédure précontentieuse n'amoindrit pas fondamentalement cet intérêt. Si, au cours de ce laps de temps, des événements venaient à réduire l'intérêt de cette constatation, il pourrait en résulter l'irrecevabilité de la demande, mais ces éléments ne pourraient, en tant que tels, affecter le droit à demander cette constatation, dont la satisfaction pourrait être réclamée à tout moment en justice.

102 Toutefois, en l'espèce, la constatation du manquement va de pair avec la réclamation d'un paiement au bénéfice des Communautés à l'encontre des États membres défendeurs. Les conséquences financières qui y sont inhérentes requièrent d'y consacrer quelques réflexions particulières dans l'ordre du principe de la sécurité juridique.

103 A l'encontre d'une limite dans le temps, il convient certes de relever tout d'abord que "lorsqu'il s'agit d'une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, le caractère de certitude et de prévisibilité constitue, d'après la jurisprudence constante de la Cour, un impératif qui s'impose avec une rigueur particulière" (30). Une prise en compte d'aspects tirés de la sécurité juridique diminue la clarté et la prévisibilité. En revanche, force est toutefois de constater que le retard considérable mis par la Commission à introduire la phase judiciaire de la procédure en manquement n'est pas non plus compatible avec le prescrit de la clarté et de la prévisibilité.

104 Selon la jurisprudence de la Cour, un litige opposant la Commission à un État membre à propos des ressources propres qui doivent être perçues ne saurait avoir pour conséquence que l'équilibre financier de la Communauté en soit bouleversé (31). En l'espèce, une limitation dans le temps de la rectification pourrait impliquer que, en vertu du droit communautaire, certains États membres effectuent au profit de la Communauté, au titre des ressources propres, des versements dont d'autres seraient dispensés. Il convient toutefois de constater, sur ce point, que les États membres qui ont perçu la TVA correspondante et en ont dès lors versé une partie, n'ont pas été désavantagés. Il leur reste la partie de la TVA qui dépasse la quote-part à verser.

105 En revanche, une perception a posteriori de la TVA sur les péages routiers est exclue, en pratique comme aussi en droit. Dans une situation du type de celle rencontrée en l'espèce, le principe de la protection de la confiance légitime l'exclurait d'ailleurs selon le droit des États membres. Tout à fait indépendamment de cela, les conséquences pratiques d'une perception a posteriori de taxes sur le chiffre d'affaires seraient tout à fait inappropriées pour les échanges économiques, dans la mesure où les éventuels débiteurs de taxes qu'il faudrait poursuivre ne sont pas normalement ceux qui doivent payer les taxes à inclure dans le prix.

106 Ce sont uniquement les États membres qui ont déjà effectué des versements a posteriori, sans avoir préalablement perçu les TVA correspondantes, qui seraient désavantagés. Il convient toutefois de partir du principe que de tels paiements ont été effectués sous réserve d'une rectification correspondante du relevé annuel. Si cette modification a été refusée, les États membres concernés peuvent exiger le remboursement des versements a posteriori qu'ils ont effectués.

107 Il convient de déduire du délai d'exclusion des rectifications fixé par l'article 9, paragraphe 2, du règlement no 1553/89, que le risque, dû à l'ignorance, de versement, par les États membres, de quote-parts d'une TVA qu'ils n'auraient pas perçue, ne devrait pas dépasser au maximum quatre exercices budgétaires. Par ailleurs, fondamentalement, les États membres ne méritent plus de protection lorsque, avant l'expiration du délai, ils ont eu connaissance des griefs formulés par la Commission. L'État membre qui ne donne pas suite aux griefs de la Commission et, par exemple, néglige de manière générale la perception de la TVA, en porte lui-même la responsabilité. Informé des griefs de la Commission, il peut en principe estimer quelles sont les obligations qui découlent des directives en matière de TVA, et agir en conséquence.

108 En revanche, lorsque les États membres sont en litige avec la Commission quant à la question de savoir si le produit de certaines opérations doit ou non être soumis à la TVA, les modalités pratiques de la procédure de rectification, et en particulier son application par la Commission, peuvent, le cas échéant, avoir des conséquences inopportunes. Attendu que les traités fondateurs ont conçu la Communauté comme une communauté de droit, les États membres ont, en principe, le droit d'exiger que, dans un délai adéquat, la Cour soit saisie d'un litige relatif à la portée normative des directives en matière de TVA, et le tranche.

109 En outre, lorsque, tel qu'en l'espèce, la procédure en manquement s'enlise au stade précontentieux, il se peut que les États membres ne contribuent pas eux-mêmes à régler le problème posé. La Commission n'est pas obligée de former un recours et l'État membre peut ne pas répliquer à un avis motivé. Lorsqu'ils se conjuguent, ces facteurs peuvent inciter à éviter la procédure en manquement. D'ailleurs, une telle attitude de la part de la Commission pourrait être contraire à l'esprit de la procédure de rectification.

110 S'agissant du rapport de la Commission avec un État membre, il convient de partir du principe que les exercices budgétaires passés sont clôturés et qu'une rectification ne saurait plus intervenir.

111 Il convient tout d'abord de se poser la question de la période à laquelle se rapporte le recours de la Commission. L'action vise uniquement la constatation du manquement, sans indiquer elle-même une période déterminée. Pour interpréter la portée du recours, il convient de partir de la finalité manifeste de l'impératif de protection juridique, ce qui implique que la détermination du but du recours corresponde à sa motivation.

112 Il résulte de la lettre de mise en demeure adressée par la Commission le 31 janvier 1989 que les griefs de la Commission portent sur la période s'étendant de 1984 à la fin des manquements dénoncés. Il convient dès lors de partir du principe que c'est cette période qui est également à prendre en considération dans le cadre du recours. Même si, depuis la clôture de la période précontentieuse jusqu'à l'introduction du recours, la Commission n'a entrepris aucune démarche complémentaire à propos des années suivantes, il nous faut considérer qu'elle entendait obtenir la fin des manquements, avec effets en conséquence, pour la période qui suivrait. Il convient donc d'examiner dans quelle mesure, depuis 1984, les exercices budgétaires sont clôturés et les relevés annuels correspondants ne peuvent plus être rectifiés.

113 L'article 9, paragraphe 2, du règlement n_ 1553/89 dispose que, après le 31 juillet de la quatrième année suivant un exercice donné, soit 43 mois, le relevé annuel n'est plus rectifié. Le relevé annuel de l'exercice 1984 ne pourrait donc plus faire l'objet de rectifications après le 31 juillet 1988. Ce calcul vaut aussi pour les années suivantes. La Commission n'aurait donc plus la possibilité de percevoir les ressources propres.

114 Il convient toutefois de se demander comment il convient de comprendre la disposition dérogatoire de l'article 9, paragraphe 2, in fine. En effet, s'agissant du relevé annuel qui ne peut plus être rectifié, cette disposition énonce: "... sauf pour les points notifiés avant cette échéance, soit par la Commission, soit par l'État membre concerné". Pour les exercices budgétaires 1984 à 1990, les problèmes et les conceptions juridiques divergentes qui se posaient à l'égard du Royaume-Uni et qui sont à l'origine de ce recours ont été débattus.

115 Beaucoup d'éléments plaident en faveur d'une interprétation de l'article 9, paragraphe 2, in fine, qui devrait permettre de déroger au délai d'exclusion de 43 mois lorsque, dans la suite, les parties ont continué à tenter de résoudre les problèmes soulevés. Toutefois, lorsque, sans qu'il y ait de justification, la procédure n'évolue plus, l'application de cette disposition n'aurait aucun sens et serait contraire à la finalité de cette disposition. Or, en l'espèce, dans les années 1990 à 1997, il n'y a plus eu de dialogue suffisant, susceptible d'aboutir à un règlement du problème. Interrogée au cours de la procédure orale, la Commission a déclaré qu'elle avait régulièrement renvoyé les États membres à la problématique des ressources propres et que le dialogue avec les États membres s'était poursuivi, à propos notamment de la question de la perception de la TVA (32). Il n'est cependant pas possible de considérer que ces éléments seraient suffisants pour parvenir à un accord à l'amiable. Eu égard aux points de vue défendus par les parties, un tel accord n'était plus possible. Il convient aussi de penser qu'une solution de compromis n'eût pas non plus été possible, eu égard au dilemme issu de la situation telle qu'elle apparaissait en droit.

116 Si le but de cette disposition consiste dans l'octroi d'une prorogation de délai lorsque les circonstances sont complexes et les problèmes importants, il faut aussi, pour qu'elle s'applique, que les efforts des parties en vue d'un règlement puissent être avérés. Si tel n'était pas le cas, la Commission pourrait facilement éluder le délai de 43 mois au titre du paragraphe 1, en contestant régulièrement les relevés annuels des États membres. Elle disposerait alors de la possibilité, sans limitation dans le temps, d'examiner la situation et de reporter à une date indéterminée la clôture de l'exercice budgétaire. Une telle interprétation ne serait cependant ni souhaitable d'un point de vue économique, ni compatible avec le principe de la sécurité juridique. La Commission pourrait, sans avoir à se justifier, éluder la prescription précitée, et fixer au 31 juillet de la quatrième année suivant un exercice la clôture du relevé annuel.

117 La disposition de l'article 9, paragraphe 2 ne constituant pas une disposition de prescription, cette interprétation serait sans conséquence si l'État membre n'a pas soulevé l'exception tirée de la prescription. Seuls des droits peuvent faire l'objet de prescription. Or, l'article 9, paragraphe 2, ne confère pas de droit: il se borne à régler les délais de rectification des relevés annuels.

118 Ces considérations nous autorisent à estimer que le long délai qui sépare la clôture de la procédure précontentieuse de l'introduction du recours, a fait naître, pour le Royaume-Uni, la confiance légitime que la Commission respecterait les délais prévus pour la rectification des relevés annuels.

119 Dût-on admettre que la procédure aurait déjà eu un effet interruptif de la prescription, une telle interruption ne saurait non plus être étendue au-delà du délai de 43 mois. Attendu que plus de quatre ans -- en réalité sept ans -- séparent le dernier échange de courrier dans le cadre de la procédure précontentieuse de l'introduction du recours, la possibilité d'interruption du délai, le cas échéant, par la procédure précontentieuse ne saurait plus être soutenue.

120 En raison de la protection de la confiance légitime et de l'idée générale de l'expiration du délai de 43 mois excluant la possibilité d'une rectification, il convient de limiter la perception des contributions aux ressources propres aux quatre années précédant l'introduction du recours. Dès lors, en l'espèce, puisque le recours de la Commission est parvenu à la Cour le 21 octobre 1997, les exercices budgétaires 1994 et suivants ne sont pas encore clôturés et une rectification est encore possible (33).

121 Attendu que la demande de versement des contributions aux ressources propres ne constituait pas, en soi, l'objet du recours, mais découle indirectement du manquement, en dépit de l'effet partiel de l'expiration des délais qui, indirectement, donne pour partie raison au Royaume-Uni, le recours ne doit pas, pour le surplus, être rejeté. C'est un raisonnement analogue qu'il convient d'appliquer en ce qui concerne la question des dépens.

VI -- Les dépens

122 L'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission a demandé que le Royaume-Uni soit condamné aux dépens. Même si la demande de paiement des montants de ressources propres est en partie prescrite, cela n'a aucune incidence sur la répartition des dépens étant donné que cette demande n'est qu'une conséquence de la constatation du manquement et qu'elle ne peut pas être formée dans le cadre du présent recours. Celui-ci a uniquement pour objet en l'espèce la constatation du comportement contraire au traité. Étant donné que le Royaume-Uni a succombé pour l'essentiel à ce propos, il doit être condamné aux dépens. VII - Conclusion123 Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:1. Le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE en ce que, contrairement aux articles 2 et 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, il n'a pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les péages versés pour l'utilisation des routes et ponts à péage au Royaume-Uni et que, du fait de cette violation, il n'a pas mis les montants correspondants de ressources propres à disposition de la Commission, de sorte que celle-ci peut percevoir a posteriori les montants de ressources propres et réclamer des intérêts de retard à partir de l'exercice budgétaire 1994.2. Le Royaume-Uni est condamné aux dépens.

(1) - Dans ce contexte, pour les mêmes raisons, la Commission a introduit des recours en manquement contre l'Irlande, le Royaume Uni, le royaume des Pays-Bas et la République hellénique. Ces recours font l'objet des affaires C-358/97, C-359/97, C-408/97 et C-260/98.

A la différence des autres États membres faisant l'objet de procédures de manquement, les Pays-Bas ont mis la contribution correspondante au titre des ressources propres à disposition de la Commission, sous réserve du règlement des points litigieux. Les États membres qui ne font pas l'objet de procédures en manquement soit ne prélèvent pas de péages, soit les soumettent à la taxe sur le chiffre d'affaires. Comme le royaume d'Espagne applique un taux d'imposition réduit, la Commission a introduit également une procédure en manquement contre cet État membre (Affaire C-83/99).$

(2) - Les PTA sont des organismes publics dont les membres sont tous issus des districts régionaux et dont l'existence est régie par des dispositions législatives.

(3) - Voir à ce propos l'article 29 de la sixième directive TVA.

(4) - JO L 145, p. 1.

(5) - L'annexe D énumère, au total, 13 types d'activités, telles que les télécommunications, la distribution d'eau, de gaz et d'électricité, les prestations de services portuaires et aéroportuaires, l'exploitation des foires et des expositions à caractère commercial, etc.

(6) - L'article 13, section A, énumère 17 exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général. C'est ainsi que sont exonérées de la taxe, entre autres: les prestations de services effectuées par les services publics postaux; l'hospitalisation et les soins médicaux; les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'assistance sociale et à la sécurité sociale, ou à la protection de l'enfance et de la jeunesse; ensuite celles fournies à leurs membres par des organismes sans but lucratif poursuivant des objectifs de nature politique, syndicale, religieuse, patriotique, philosophique, philanthropique ou civique, ainsi que les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial.

L'article 13, section B, prévoit d'autres exonérations pour les opérations d'assurance et de réassurance, pour certaines activités dans le domaine du crédit, et pour l'affermage et la location de biens immeubles, sous réserve de quatre exceptions.

(7) - JO L 155, p. 9.

(8) - JO L 155, p. 1.

(9) - JO L 185, p. 24, abrogée partiellement par la décision 94/728/CE, Euratom du Conseil, du 31 octobre 1994, relative au système des ressources propres des Communautés européennes, JO L 293, p. 9.

(10) - Pour l'Irlande du Nord, la Commission ne dispose pas d'informations relatives à la perception de péages pour l'utilisation de routes publiques mais elle part de l'idée que les dispositions légales applicables en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse le sont aussi sur ce territoire.

(11) - Pour l'Angleterre et le Pays de Galles, il s'agit de la Highway Authority et, pour l'Écosse, de la Roads Authority.

(12) - L'avis motivé a été adressé par lettre du 10 août 1989.

(13) - Arrêt du 21 janvier 1999, Commission/Belgique (C-207/97, Rec. 1999, p. I-275, point 24 et la jurisprudence qui y est citée).

(14) - Arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas (C-96/89, Rec. 1991, p. I-2461, points 15 et 16).

(15) - Arrêt de la Cour du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council/Commissioners of Customs and Excise (102/86, Rec. p. 1443).

(16) - Arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne (107/84, Rec. p. 2655), du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas (235/85, Rec. p. 1471), et du 17 octobre 1989, Ufficio distrettuale delle imposte dirette di Fiorenzuola d'Arda e.a/Comune di Carpaneto Piacentino e.a. (231/87, 129/88). Rec. p. 3233, point 12).

(17) - Arrêt Commission/Pays-Bas, précité à la note 14, point 21.

(18) - Arrêt Carpaneto, précité à la note 16, point 15.

(19) - Arrêt Carpaneto, précité à la note 16, point 16.

(20) - Arrêts Commission/Pays-Bas, précité à la note 14; du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties/Staatssecretaris van Financiën (348/87, Rec. p. 1737, point 10), et du 4 décembre 1990, Van Tiem (C-186/89, Rec. p. I-4363).

(21) - Conclusions présentées le 12 février 1987 par l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt Commission/Pays-Bas, précité à la note 14, point 22.

(22) - Arrêt de la Cour du 20 février 1997, Dfds (C-260/95, Rec. p. I-1005).

(23) - Arrêt de la Cour du 22 février 1989, Commission/Italie (54/87, Rec. p. 385).

(24) - Arrêt de la Cour du 14 décembre 1971, Commission/France (7/71, Rec. p. 1003, points 5 et 6).

(25) - Arrêts de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Allemagne (C-317/92, Rec. p. I-2039, point 4), et du 10 mai 1995, Commission/Allemagne (C-422/92, Rec. p. I-1097; point 18 avec les références qui y sont citées).)

(26) - Arrêt de la Cour du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas (C-96/89, Rec. p. I-2461, points 15 et 16).

(27) - Loc. cit., notes 22 et 23.

(28) - L'article 7, paragraphe 1, du règlement no 1553/89 dispose que, avant le 31 juillet, les États membres transmettent à la Commission un relevé indiquant le montant total de la base des ressources TVA qui est afférente à l'année civile précédente

(29) - Arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ACNA/Commission (57/69, Rec. p. 933, points 31 à 36)..

(30) - Arrêt de la Cour du 13 mars 1990, Commission/France (C-30/89, Rec. p. I-691, point 23, ainsi que les références citées).

(31) - Arrêt Commission/Pays-Bas, précité à la note 26, point 37.

(32) - Au cours de la procédure orale, le Royaume-Uni et la Grèce ont nié qu'il y ait eu un dialogue avec la Commission.

(33) - Pour le calcul, voir le point 84.