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Avis juridique important

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61997C0414

Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 18 mars 1999. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Manquement d'Etat - Importations et acquisitions d'armements - Sixième directive TVA - Législation nationale non conforme. - Affaire C-414/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-05585


Conclusions de l'avocat général


1 Le présent recours tend à faire constater que, en exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, le royaume d'Espagne a enfreint la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (1) (ci-après «sixième directive») et a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.

Cadre normatif, faits et procédure

2 La directive précitée - telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l'abolition des frontières fiscales, la sixième directive (2) - dispose, en son article 2, paragraphe 2, et à l'article 28 bis, que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les importations de biens sur le territoire de la Communauté et les acquisitions intracommunautaires de biens. La même directive énumère en outre, à l'article 14, les exonérations admises à l'importation de certains biens sur le territoire de la Communauté et, à l'article 28 quater, partie B, les exonérations admises pour les acquisitions intracommunautaires de biens. L'article 28, paragraphe 3, sous b), prévoit en outre que les États membres peuvent durant la période transitoire «continuer à exonérer les opérations énumérées à l'annexe F dans les conditions existantes dans l'État membre» au moment de l'entrée en vigueur de la sixième directive, c'est-à-dire au 1er janvier 1978. Aux points 23 et 25 de cette annexe figurent, entre autres, les opérations relatives aux aéronefs utilisés par des institutions de l'État et aux bateaux de guerre. Le paragraphe 4 de ce même article précise que «la période transitoire aura une durée initiale de cinq ans à compter du 1er janvier 1978» (3). Enfin, le paragraphe 3 bis, toujours de ce même article, introduit par la directive 91/680, autorise le royaume d'Espagne à exonérer de la TVA les opérations visées aux points 23 et 25, susmentionnés, de l'annexe F (4).

3 Le 1er janvier 1986, le royaume d'Espagne a, en vue de se conformer aux conditions d'adhésion à la Communauté et, en particulier, à celles prévues à l'article 395 du traité d'adhésion (5), par loi n_ 30, du 2 août 1985 (6), introduit dans son ordre juridique la taxe sur la valeur ajoutée, sans toutefois prévoir une exonération spécifique pour les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement. D'autre part, des exonérations pour les opérations relatives aux biens précités n'avaient pas non plus été prévues en faveur du royaume d'Espagne dans l'acte d'adhésion. De telles exonérations ont, au contraire, été introduites unilatéralement par le royaume d'Espagne, par le biais de la loi n_ 6, du 14 mai 1987 (7). Cette loi, relative aux dotations financières afférentes aux investissements et aux dépenses de fonctionnement des forces armées, exemptait en effet de la TVA les importations et les acquisitions intracommunautaires «d'armes, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, nécessaires» à la réalisation du programme de modernisation du matériel, de l'équipement et de l'armement des forces armées pour la période 1986-1994 (8). Elle est entrée en vigueur le 14 mai 1987, mais ses effets courent à compter du 1er janvier 1986.

4 Par lettre de mise en demeure notifiée le 7 février 1990, la Commission a déclenché une procédure d'infraction contre le royaume d'Espagne, en lui faisant grief d'avoir, par la loi précitée de 1987, exempté de la TVA certaines acquisitions intracommunautaires et certaines importations de matériel militaire en violation de l'article 2, paragraphe 2, de la sixième directive. Les autorités espagnoles ont répondu par lettre du 7 mai 1990. Par avis motivé, notifié le 6 août 1996, la Commission a mis à charge du royaume d'Espagne d'avoir enfreint les obligations dérivant de la sixième directive du fait de l'introduction des exonérations précitées. Le royaume d'Espagne ne s'étant pas conformé à l'avis motivé avant l'échéance du terme y prévu, la Commission a introduit, le 5 décembre 1997, le recours présentement en cause.

Sur le fond

Les arguments des parties

5 La Commission fait valoir que, sur la base de la sixième directive, les importations et les acquisitions intracommunautaires sont soumises à la TVA, à l'exclusion cependant des opérations énumérées aux articles 14 et 28 quater, ainsi qu'à l'exclusion des exonérations visées à l'article 28, paragraphe 3, sous b), toujours de ce même texte. Cette dernière disposition attribue aux États membres la faculté de continuer à exonérer, durant la période transitoire, certaines opérations prévues à l'annexe F de la directive précitée. Selon la Commission, les seules autres exonérations consenties sont celles éventuellement prévues dans les actes d'adhésion des nouveaux États membres à la Communauté européenne. Selon la Commission, le cas d'espèce ne se ramènerait pas à l'une quelconque des exonérations précitées. En effet, d'une part, ni l'article 14 ni l'article 28 quater ne visent des opérations analogues à celles prévues dans la loi espagnole n_ 6/87; d'autre part, l'article 28, paragraphe 3, sous b), qui, comme on l'a déjà dit, concerne la possibilité de maintenir certaines exonérations existant dans l'État membre intéressé au moment de l'entrée en vigueur de la directive, ne pourrait pas non plus légitimer les exonérations en cause du moment que la loi précitée, qui les a introduites, a été adoptée en mai 1987, donc postérieurement à l'entrée en vigueur de l'acte d'adhésion. La Commission fait observer que la situation aurait été différente si, dans l'acte d'adhésion, une clause expresse avait été insérée, attribuant au royaume d'Espagne une telle possibilité.

Selon la Commission, en outre, la possibilité concédée au royaume d'Espagne, par la directive 91/680, précitée, d'exonérer les opérations visées aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive (opérations concernant les bateaux de guerre et les aéronefs) n'aurait pas fait disparaître dans sa totalité le manquement de cet État aux obligations communautaires découlant de l'adoption de la loi n_ 6/87. L'octroi d'une telle possibilité aurait en effet, de toute manière, laissé inchangé et entier le manquement du royaume d'Espagne pour la période allant du moment de l'entrée en vigueur de la loi n_ 6/87 jusqu'à la date à laquelle le gouvernement espagnol a obtenu l'autorisation d'accorder l'exemption limitée précitée.

6 Le gouvernement espagnol estime, à titre principal, que les exonérations de TVA pour les opérations relatives à du matériel militaire contenues dans la loi n_ 6/87 sont compatibles avec le droit communautaire à partir du moment où celles-ci constituent des mesures de sauvegarde selon l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité CE, du fait qu'elles sont «nécessaires à la protection des intérêts essentiels de la sécurité [des États membres]» et qu'elles se rapportent «à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre». Les exonérations visées par la loi espagnole de 1987 auraient en effet pour but de garantir la réalisation des objectifs essentiels du plan stratégique global (Plan Estratégico Conjunto), en assurant l'efficacité des forces armées espagnoles dans la défense nationale et dans l'exécution des accords contractés par le royaume d'Espagne dans le cadre de l'OTAN. Au soutien de cette thèse, le gouvernement espagnol renvoie au préambule de la loi n_ 6/87, dans lequel il est affirmé que la loi en question a comme principal objectif de «définir et attribuer les ressources financières permettant la poursuite du processus de renforcement et de modernisation [des] forces armées, en formant la base économique et financière du plan stratégique global». Le gouvernement espagnol soutient en outre que la suppression de l'exonération de TVA pour l'armement aurait, contrairement à ce qu'affirme la Commission, des conséquences financières dont il serait impossible d'apprécier la portée et il fait observer à cet égard que le surcoût lié à cette suppression avoisinerait pour 1998 les 3 millions de pesetas espagnoles.

La Commission conteste cette thèse en faisant valoir, sur le plan procédural, que l'on ne saurait prendre cet argument en considération, étant donné qu'il n'avait pas été avancé au cours de la phase précontentieuse. Elle fait ensuite valoir, sur le fond, que l'assujettissement des importations d'armement au régime de la TVA ne porterait pas atteinte aux intérêts espagnols parce que la charge qui en résulterait pour l'État serait minime quant à sa portée, et parce que, en tout état de cause, les autorités espagnoles n'ont fourni - alors qu'elles y étaient tenues - aucune preuve du préjudice que l'assujettissement des opérations en question à la TVA aurait pu occasionner aux intérêts essentiels de la sécurité nationale.

7 Le gouvernement espagnol fait en outre valoir qu'en tout état de cause les exonérations de TVA contenues dans la loi n_ 6/87 doivent être tenues pour légales en application de l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, qui permet aux États membres de continuer à exonérer de la TVA les opérations visées à l'annexe F dans les conditions prévues en leurs ordres juridiques nationaux au moment de l'entrée en vigueur de la directive, à savoir, à la date du 1er janvier 1978. L'article 28, paragraphe 3, sous b), doit en effet également trouver à s'appliquer en faveur des États qui, comme le royaume d'Espagne, sont devenus membres de la Communauté après la date précitée; s'il n'en était pas ainsi, il se produirait une discrimination de traitement entre «anciens» et «nouveaux» États membres dans les conditions de concurrence dont s'inspirent les règles communautaires d'harmonisation fiscale et l'on accorderait, sans l'ombre d'une justification, des avantages concurrentiels considérables en faveur des «anciens» États membres. Selon le royaume d'Espagne donc, on devrait reconnaître également aux nouveaux États membres la possibilité de se prévaloir de la faculté prévue à l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, même si cette faculté n'est pas expressément prévue dans le traité d'adhésion.

8 Enfin, le gouvernement espagnol fait valoir que les exonérations dont il est question ont été introduites dans son ordre juridique par la loi n_ 44 du 7 juillet 1982 (9), qui a exonéré de l'impôt de compensation des charges fiscales intérieures les importations de matériel pour les forces armées, et que la législation nationale (il s'agit de la loi n_ 30/85, précitée) qui a instauré la TVA, à la suite de l'adhésion du royaume d'Espagne à la Communauté à partir de son entrée en vigueur, c'est-à-dire du 1er janvier 1986, a absorbé ce régime de faveur. Les exonérations de TVA pour les opérations portant sur du matériel à usage militaire existaient donc déjà en royaume d'Espagne au moment de l'entrée de cet État dans la Communauté et pour cette raison, en application de l'article 28, paragraphe 3, sous b), il y aurait lieu de les tenir pour conformes à la directive dès le 1er janvier 1986.

Sur l'existence du manquement

9 En vertu de l'article 2, paragraphe 2, de la sixième directive sont soumises à la TVA toutes les importations de biens sur le territoire de la Communauté (10), à l'exception de celles exonérées sur la base de l'article 14 de ladite directive. En vertu de l'article 28 bis sont de même soumises à la TVA toutes les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un sujet passif agissant en tant que tel, à l'exception bien entendu des opérations exonérées selon l'article 28 quater, partie B, précité. Or, il ne saurait y avoir de doute sur le fait que les importations et les acquisitions de matériel militaire auxquelles s'applique la loi espagnole n_ 6/87 tombent dans le champ d'application de la sixième directive.

10 Cela posé, il importe d'établir, en premier lieu, si lesdites opérations peuvent, comme le soutient à titre principal le gouvernement espagnol, être considérées comme justifiées en application de la clause de sauvegarde visée à l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité, et, en second lieu, si, comme le soutient à titre subsidiaire le même gouvernement, ces opérations peuvent se ramener à l'une ou à plusieurs des hypothèses dans lesquelles la directive autorise les États membres à prévoir des exonérations et, partant, devraient être considérées comme légales dans ces limites.

11 En ce qui concerne la prétendue application aux importations et aux acquisitions d'armes, visées dans la loi espagnole n_ 6/87, de la clause de sauvegarde visée à l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité, rappelons que cette disposition prévoit que «tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre».

Sur ce point, la Commission excipe, à titre préliminaire, sur le plan procédural, que le gouvernement espagnol ne pourrait, à ce stade, solliciter l'application de la disposition précitée puisqu'il n'avait pas formulé de demande en ce sens durant toute la phase précontentieuse. En d'autres termes, selon la Commission, l'exception soulevée par le royaume d'Espagne serait tardive et ne pourrait donc être prise en considération à ce stade. Cette exception ne nous paraît pas fondée, considération prise, d'une part, de ce qu'une disposition procédurale ad hoc, exigeant la correspondance entre les arguments invoqués lors de la phase précontentieuse et ceux avancés ultérieurement lors de la phase juridictionnelle, fait défaut et, d'autre part, de ce qu'il ne semble pas possible d'élaborer par voie jurisprudentielle un tel critère, qui serait contraire au principe général du libre et plein exercice du droit de défense devant le juge. Ajoutons que la jurisprudence invoquée par la Commission à l'appui de sa thèse n'est pas pertinente: elle renvoie à une situation différente et non comparable, à savoir celle de l'État à l'encontre duquel est intenté un recours au titre de l'article 169 du traité CE et auquel doivent être garantis les droits de défense, et ce n'est que dans cette perspective spécifique que la Cour a affirmé que «la requête ne peut être fondée sur des griefs autres que ceux indiqués dans l'avis motivé» (11); dans le cas qui nous préoccupe, au contraire, il s'agirait d'appliquer le même principe selon une logique inverse, à savoir en vue de limiter - et non de renforcer - les droits de la défense de l'État qui agit vis-à-vis de l'institution.

12 Venons-en à présent à l'examen au fond de l'applicabilité au cas d'espèce de la clause de sauvegarde prévue à l'article 223, paragraphe 1, sous b): il convient tout d'abord de rappeler que les clauses de sauvegarde figurant dans le traité doivent être interprétées restrictivement étant donné leur fonction dérogatoire par rapport au régime ordinaire (12) et aussi que, selon les principes communs en matière de charge de la preuve, les États qui en invoquent l'application sont tenus de démontrer que les mesures adoptées sont nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité. Il importe donc d'apprécier si le royaume d'Espagne a ou non fourni la preuve que les exonérations prévues par la loi n_ 6/87 dont il est question sont nécessaires pour parvenir à cet objectif. Or, il ne nous semble pas qu'en l'espèce cette preuve ait été fournie. En effet, même si, contrairement à ce qu'affirme la Commission, il résulte clairement du préambule de la loi précitée la volonté du législateur espagnol de protéger les intérêts nationaux concernant la sécurité, en garantissant le processus de renforcement et de modernisation des forces armées, on ne comprend pas pourquoi les exonérations de TVA seraient nécessaires pour atteindre cet objectif: autrement dit, on ne comprend pas de quelle manière l'assujettissement à la TVA des importations et des acquisitions d'armement comporterait pour les finances de l'État une charge à ce point importante qu'elle compromettrait ce résultat. Il convient en effet d'observer que les recettes imputables à la TVA qui pèseraient sur les opérations en question viendraient refluer dans les caisses du même État qui effectue la dépense, à l'exception du faible pourcentage qui, au contraire, refluerait dans les caisses communautaires en tant que ressource propre (13). Le calcul présenté par le royaume d'Espagne dans son mémoire en défense ne semble pas prendre en considération le fait que le montant relatif à la TVA sur le matériel militaire, bien que constituant une dépense de l'État dans le chef du ministère de la Défense, tombe en définitive, dans une mesure appréciable, dans l'escarcelle de l'État lui-même et ne peut dès lors avoir aucune incidence sur l'économie de la présente décision.

13 Force est par conséquent de conclure en ce sens que le gouvernement espagnol n'a pas démontré que la suppression de l'exonération de TVA des importations et acquisitions d'armement, de munitions et autre matériel à usage militaire prévue par la loi n_ 6/87 constitue une mesure pouvant compromettre la protection des intérêts essentiels de la sécurité du royaume d'Espagne, de sorte que les exonérations contenues dans la loi n_ 6/87 ne sauraient être tenues pour justifiées en vertu de l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité. Il est même superflu d'ajouter que si l'on considère inapplicable au cas d'espèce la clause de sauvegarde visée à l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité, il n'est pas nécessaire - contrairement à ce qu'affirme la Commission - d'apprécier en vertu de l'article 225 du traité si le royaume d'Espagne a fait un usage abusif des pouvoirs prévus dans cette disposition.

14 En ce qui concerne en outre la possibilité de ramener, en tout ou en partie, les opérations sur le matériel militaire visées dans la loi espagnole n_ 6/87 à l'une des exonérations que les États membres sont fondés à introduire, au titre de la législation communautaire, on observera à titre préliminaire que les articles 14 et 28 quater, partie B, de la sixième directive, qui énumèrent les importations et les acquisitions intracommunautaires exonérées, ne sont en aucune manière susceptibles de se rapporter aux opérations relatives au matériel militaire en cause dans la législation espagnole mentionnée. La disposition de la directive qui a trait aux exonérations et à laquelle se réfère essentiellement le gouvernement espagnol pour en déduire la légalité communautaire de sa législation relative au matériel militaire est celle de l'article 28, paragraphe 3, sous b), en tant qu'elle fonde les États membres à continuer d'exonérer, durant la période transitoire, les opérations prévues à l'annexe F, au nombre desquelles figurent, aux points 23 et 25, celles relatives aux aéronefs utilisés par les institutions de l'État et aux bateaux de guerre. Les opérations y indiquées concernent, respectivement, a) les «livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations d'aéronefs utilisés par des institutions de l'État, ainsi que des objets incorporés dans ces aéronefs ou qui servent à leur exploitation» et b) les «livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations de bateaux de guerre».

Le gouvernement espagnol soutient que la disposition en cause doit être interprétée de manière extensive, de manière à comprendre dans l'exonération de TVA dont bénéficient les opérations visées aux points 23 et 25 toutes les opérations prévues dans la loi espagnole n_ 6/87. On ne saurait partager cette hypothèse étant donné que les prévisions figurant aux points 23 et 25 concernent des opérations sur matériel militaire bien circonscrites, lesquelles, en raison de leur contenu, ne peuvent se ramener qu'à certaines des opérations sur matériel militaire exonérées par la loi espagnole et, pour être précis, uniquement celles qui concernent les aéronefs utilisés par les institutions de l'État et les bateaux de guerre. Une interprétation extensive de ces exonérations serait contraire à la règle de droit commun selon laquelle les dispositions à caractère dérogatoire (il y a lieu de ranger dans cette catégorie les dispositions en matière d'exonération de TVA) sont d'interprétation stricte. La Cour a, de manière réitérée, affirmé que «les termes employés pour désigner les exonérations ... de la sixième directive sont d'interprétation stricte, étant donné qu'elles constituent des dérogations» à un principe général (14). Ajoutons que le gouvernement espagnol n'a fourni aucune analyse visant à démontrer la possibilité de ramener les dispositions de la loi n_ 6/87 aux exceptions visées aux points 23 et 25.

Sous l'angle du champ d'application temporel de l'exception visée à l'article 28, paragraphe 3, sous b) - exception qui, si l'on s'en tenait à la portée littérale de cette disposition, ne vaudrait que pour les exonérations existant dans l'État intéressé au moment de l'entrée en vigueur de la sixième directive -, le gouvernement espagnol soutient que ladite disposition doit être interprétée de manière extensive, en sorte de permettre l'exonération de TVA des opérations visées aux points 23 et 25 de l'annexe F même si des exonérations analogues n'existaient pas dans l'ordre juridique espagnol au moment de l'entrée du royaume d'Espagne dans la Communauté. Une telle interprétation garantirait l'égalité de traitement entre «anciens» et «nouveaux» États membres. Cette hypothèse n'est pas convaincante. Il y a lieu en effet de souligner que le «nouvel» État membre a la faculté d'introduire les exonérations en cause même s'il a adhéré à la Communauté après l'entrée en vigueur de la sixième directive et même si cette faculté n'est pas prévue dans l'acte d'adhésion, à la condition toutefois que l'ordre juridique du «nouvel» État membre prévoie, à partir du moment de l'adhésion, des exonérations analogues à celles figurant à l'annexe F de la sixième directive (15). Cette interprétation ne donne pas lieu à des discriminations entre «anciens» et «nouveaux» États adhérant à la Communauté, étant donné que le régime applicable est le même pour tous les États à partir du moment où ils deviennent membres de la Communauté.

15 Le gouvernement espagnol cherche ensuite à démontrer, au moyen de différents arguments, que les exonérations visées par la loi n_ 6/87 susceptibles de se rapporter aux points 23 et 25 de l'annexe F existaient déjà au moment de l'entrée du royaume d'Espagne dans la Communauté et qu'elles sont par conséquent légales du point de vue du droit communautaire.

16 Dans cette perspective, le gouvernement espagnol rappelle tout d'abord la loi n_ 44/82, précitée, qui exonérait de l'impôt de compensation des charges fiscales les importations de matériel pour les forces armées, en faisant valoir que la loi n_ 30/85, précitée, ayant pour objet l'instauration de la TVA, aurait implicitement absorbé ce régime de faveur à partir de son entrée en vigueur, c'est-à-dire à partir du 1er janvier 1986, ce qui, d'après lui, aurait pour conséquence que l'article 28, paragraphe 3, sous b), serait en l'espèce applicable, eu égard à l'existence (affirmée) des exonérations au moment de l'entrée en vigueur du nouveau régime fiscal. On ne saurait partager cette hypothèse, d'une part, parce que l'exonération prévue par la loi n_ 44/82 concerne une taxe qui ne coïncide pas avec celle sur la valeur ajoutée et, d'autre part, parce que l'article 28, en tant qu'il contient une dérogation au régime ordinaire de la TVA, ne peut qu'être d'interprétation stricte.

17 Toujours dans la même perspective, le gouvernement espagnol semble en outre faire valoir que la loi n_ 6/87 fait rétroagir ses effets à la date de l'entrée du royaume d'Espagne dans la Communauté et que, par conséquent, les exonérations qu'elle contient devraient être considérées comme existantes depuis le 1er janvier 1986, de sorte que l'article 28, paragraphe 3, sous b), serait applicable. Cette thèse n'est toutefois pas convaincante. Elle se fonde sur une interprétation de la disposition mentionnée manifestement contraire à la finalité de cette dernière, qui est d'autoriser des exonérations limitées pour une période transitoire, afin de rendre possible une adaptation graduelle des législations nationales à la directive, et revient en substance à attribuer de manière déraisonnable aux nouveaux États membres le pouvoir de contourner les prescriptions de la directive.

18 Enfin, le gouvernement espagnol invoque la directive 91/680, qui a modifié et complété largement la sixième directive en introduisant, entre autres, à l'article 28, un nouveau paragraphe 3 bis, qui autorise spécifiquement le royaume d'Espagne à accorder l'exonération de TVA pour les opérations visées aux points 23 et 25, à savoir les opérations relatives aux aéronefs et aux bateaux militaires. Le gouvernement espagnol estime que, de la sorte, une légalité, bien entendu limitée aux opérations exonérées susceptibles de se ramener à celles prévues dans les points susmentionnés de l'annexe F, a été conférée aux exonérations prévues par la loi espagnole n_ 6/87.

Cette hypothèse peut être partagée si on l'assortit d'une précision quant au point de départ de cette légitimation. Il y a lieu en effet de considérer que la circonstance que le royaume d'Espagne a pu, sur la base de la directive 91/680, bénéficier des exemptions visées aux points 23 et 25 de l'annexe F ne fait pas disparaître complètement le manquement de cet État aux obligations découlant de la sixième directive, tant parce que les exonérations prévues par la législation espagnole ne peuvent se rapporter que partiellement à celles figurant aux points précités que parce qu'en tout état de cause, pour toute la période allant de l'entrée du royaume d'Espagne dans la Communauté jusqu'à l'entrée en vigueur de la directive 91/680, les autorités espagnoles ne pouvaient introduire dans leur ordre juridique une exonération par rapport aux opérations concernant le matériel militaire, y compris le matériel visé aux points 23 et 25.

19 En conclusion, nous sommes d'avis que les opérations exonérées de TVA par la loi espagnole n_ 6/87 ne sont légales, du point de vue du droit communautaire, que dans la mesure où elles concernent les aéronefs et les bateaux destinés à des fins militaires et, en tout état de cause, uniquement à partir de l'entrée en vigueur de la directive 91/680. En dehors de ce cadre restreint, le manquement reproché au royaume d'Espagne, tant sous l'angle matériel que sous celui de l'application ratione temporis de l'exonération, continue d'exister, et doit être constaté.

20 Pour toutes les raisons qui précèdent, le recours formé par la Commission à l'encontre du royaume d'Espagne doit être accueilli.

Sur les dépens

21 Le royaume d'Espagne a succombé dans ses conclusions. En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée au paiement des frais de procédure si la partie adverse a conclu en ce sens. Étant donné que la Commission a formulé une telle demande, le royaume d'Espagne doit être condamné aux dépens.

Conclusions

22 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

- déclarer que, en exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, autres que les aéronefs et les bateaux de guerre visés aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, en violation des dispositions de l'article 2, paragraphe 2, et des articles 28 bis, 14 et 28 quater, partie B, de cette même directive, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE;

- condamner le royaume d'Espagne aux dépens.

(1) - JO L 145, p. 1.

(2) - JO L 376, p. 1.

(3) - La période transitoire a été prorogée et, par conséquent, les États membres qui exonéraient les opérations figurant à l'annexe F ont pu continuer de le faire.

(4) - La faculté d'octroyer cette exonération a été accordée au royaume d'Espagne «dans l'attente d'une décision du Conseil, lequel, en vertu de l'article 3 de la directive 89/465/CEE» (dix-huitième directive du Conseil, du 18 juillet 1989, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - suppression de certaines dérogations prévues à l'article 28, paragraphe 3 de la sixième directive; JO L 226, p. 21), «statue sur la suppression des dérogations transitoires prévues au paragraphe 3 de l'article 28.

(5) - Le traité d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise aux Communautés européennes a été signé le 1er juin 1985 (JO L 302) et est entré en vigueur le 1er janvier 1986. Son article 395 impose aux nouveaux États membres d'adopter les mesures nécessaires «pour se conformer dès l'adhésion aux dispositions des directives...», en ce compris la directive TVA.

(6) - BOE du 9 août 1985. L'article 20 de cette loi étend en effet le régime de la TVA à toutes les importations de biens. Cet article précise que, «aux fins de la taxe, l'importation est définie comme l'introduction de biens sur le territoire de la péninsule espagnole ou sur les îles Baléares, quel que soit l'usage auquel ils sont destinés ou le statut de l'importateur.

(7) - BOE du 19 mai 1987.

(8) - Cette période a ensuite été prorogée juqu'en 1998 par la loi n_ 9, du 15 octobre 1990.

(9) - BOE du 21 juillet 1982.

(10) - Selon la Cour (arrêt du 5 mai 1982, Schul, 15/81, Rec. p. 1409, point 14), le fait générateur de la TVA pour les opérations d'importation «est constitué par la seule entrée d'un bien à l'intérieur d'un État membre, qu'il y ait ou non une transaction, que l'opération soit effectuée à titre onéreux ou à titre gratuit, par un assujetti ou par un particulier». Cette orientation a été confirmée par l'arrêt du 23 janvier 1986, Bergeres-Becque (39/85, Rec. p. 259, point 7).

(11) - Arrêt du 4 décembre 1997, Commission/Italie (C-207/96, Rec. p. I-6869, points 17 et 18). Voir, en sens analogue, les arrêts du 28 avril 1993, Commission/Italie (C-306/91, Rec. p. I-2133, point 22); du 28 mars 1985, Commission/Italie (274/83, Rec. p. 1077), et du 11 juillet 1984, Commission/Italie (51/83, Rec. p. 2793, point 5).

(12) - Voir l'arrêt du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, Rec. p. 661), dans lequel la Cour, se référant aux articles 36, 224 et 226 du traité CE, affirme que, «si ces dispositions donnent une importance particulière à l'intérêt des États membres, il convient cependant d'observer qu'elles concernent des hypothèses exceptionnelles, bien délimitées et ne se prêtent à aucune interprétation extensive».

(13) - Voir la décision 94/728/CE, Euratom du Conseil, du 31 octobre 1994, relative au système des ressources propres de la Communauté européenne (JO L 293, p. 9). A l'article 2 de cette décision, il est précisé que «le taux uniforme ... correspond au taux résultant de l'application de ... 1,08 % en 1998 et 1 % en 1999, à l'assiette de la TVA pour les États membres» et que «le taux de 1 % prévu pour 1998 reste d'application jusqu'à ce que la ... décision soit modifiée».

(14) - Arrêt du 5 juin 1997, SDC (C-2/95, Rec. p. I-3017, point 20). Voir, dans le même sens, l'arrêt du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Fianciële Acties (348/87, Rec. p. 1737, point 13). Ce principe a été énoncé par rapport à l'exonération prévue à l'article 13 de la sixième directive pour les prestations de service effectuées à titre onéreux, mais il peut à l'évidence également s'appliquer aux exonérations visées à l'article 28, paragraphe 3, sous b) (voir, en ce sens, les conclusions de l'avocat général M. Cruz Vilaça sous l'arrêt du 24 mai 1988, Commission/Italie, 122/87, Rec. p. 2685, point 22).

(15) - Dans son arrêt du 8 juillet 1986, Kerrutt (73/85, Rec. p. 2219, point 17), la Cour affirme que l'article 28, paragraphe 3, sous b), s'oppose «par son libellé même à l'introduction de nouvelles exonérations ou à l'extension de la portée d'exonérations existantes postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la directive». La Cour a, en outre, dans son arrêt du 17 octobre 1991, Commission/Esapgne (C-35/90, Rec. p. I-5073, point 9) - mais sans distinguer entre «anciens» et «nouveaux» États membres - précisé que «le prolongement du régime transitoire des exonérations de la TVA au-delà du délai initialement prévu ne saurait justifier la faculté pour les États membres d'accorder des exonérations qu'ils n'étaient pas autorisés à accorder»; cela parce qu'une telle faculté, selon la Cour, «compromettrait la finalité de l'article 28, paragraphe 3, sous b), qui est de permettre une adaptation progressive des législations nationales dans les domaines en cause».