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Avis juridique important

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61998C0338

Conclusions de l'avocat général Stix-Hackl présentées le 31 mai 2001. - Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas. - Manquement d'Etat - Articles 17, paragraphe 2, sous a), et 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive TVA - Réglementation nationale permettant à l'employeur de déduire, au titre de la taxe supportée en amont, un certain pourcentage de l'indemnité versée à un employé pour l'utilisation à des fins professionnelles d'un véhicule privé. - Affaire C-338/98.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-08265


Conclusions de l'avocat général


I - Objet de la procédure

1. Par le présent recours, la Commission vise à faire constater qu'en prévoyant la déduction par un employeur assujetti à la TVA d'une partie de l'indemnité versée à un travailleur pour l'usage à des fins professionnelles d'une voiture privée, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 17, paragraphe 2, sous a), et 18, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive») .

II - Cadre juridique

A - Droit communautaire

2. Aux termes de l'article 4, paragraphe 4, de la sixième directive, la notion d'indépendance utilisée dans la définition de l'assujetti exclut entre autres de la taxation les personnes qui sont liées à leur employeur par un contrat de louage de travail.

3. L'article 5, paragraphe 1, de la sixième directive définit comme livraison d'un bien le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire.

4. L'article 17, paragraphe 2, initio et sous a), prévoit que:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;».

5. L'article 18, paragraphe 1, initio et sous a), dispose que:

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l'assujetti doit:

a) pour la déduction visée à l'article 17 paragraphe 2 sous a), détenir une facture établie conformément à l'article 22 paragraphe 3;».

6. L'article 18, paragraphe 3, dispose que:

«Les États membres fixent les conditions et modalités suivant lesquelles un assujetti peut être autorisé à procéder à une déduction à laquelle il n'a pas procédé conformément aux paragraphes 1 et 2.»

7. L'article 22, paragraphe 3, sous a) et c), prévoit que:

«a) Tout assujetti doit délivrer une facture, ou un document en tenant lieu, pour les livraisons de biens et les prestations de services qu'il effectue pour un autre assujetti, et conserver un double de tous les documents émis.

De même, tout assujetti doit délivrer une facture pour les acomptes qui lui sont versés par un autre assujetti avant que la livraison ne soit effectuée ou que la prestation de services ne soit achevée.»

«c) Les États membres fixent les critères selon lesquels un document peut être considéré comme tenant lieu de facture.»

B - Droit national

8. L'article 23 du Uitvoeringsbesluit omzetbelasting du 12 août 1968 (ci-après «arrêté d'exécution de 1968 relatif à la taxe sur le chiffre d'affaires») prévoit que:

«Sans préjudice des dispositions de l'article 15, paragraphes 2 et 5, de la [loi de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d'affaires], lorsqu'un travailleur utilise une voiture qui lui appartient dans le cadre de l'entreprise de son employeur et que celui-ci lui verse à ce titre une indemnité, un pourcentage de l'indemnité, fixé par le ministre, peut être déduit par l'employeur dans la mesure où cette indemnité ne relève pas de la rémunération au sens de l'impôt sur les rémunérations.»

9. L'article 16 du Uitvoeringsbeschikking omzetbelasting du 30 août 1968 (ci-après «décision d'application de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d'affaires») dispose que:

«Le pourcentage de l'indemnité visé à l'article 23 [de l'arrêté d'exécution de 1968 relatif à la taxe sur le chiffre d'affaires] pouvant être déduit par l'employeur s'élève à 12 % ou à un pourcentage moindre si et dans la mesure où les frais n'ont pas été encourus sur le territoire du royaume.»

10. Le taux de 12 % qui est en vigueur depuis 1992 correspond, aux dires du gouvernement néerlandais, à la moyenne de la taxe sur la valeur ajoutée comprise dans les divers éléments constitutifs des frais afférents à la possession et à l'utilisation de véhicules automobiles.

11. Le choix d'un taux fixe s'expliquerait par le souci d'éviter les difficultés pratiques soulevées par la détermination des montants exacts. Sont d'une part pris en compte les frais fixes, tels que l'amortissement général, l'assurance, la taxe de circulation, l'emplacement de parking et l'entretien de la carrosserie. Sont d'autre part pris en compte les frais de circulation, à savoir l'amortissement lié à l'utilisation du véhicule ainsi que les frais de carburant, d'huile, de pneus et de réparation.

12. Par ailleurs, certaines de ces dépenses ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée; c'est le cas, par exemple, de la taxe de circulation et des primes d'assurance. Les frais exonérés de TVA constituent environ 20 à 21,5 % des dépenses d'utilisation d'un véhicule. Cette proportion est un peu supérieure pour les véhicules diesel. Si l'on part d'une proportion de 20 %, indique le gouvernement néerlandais, on obtient un pourcentage de 12,28 % sur la base d'un taux normal de TVA de 17,5 %. En retenant une proportion de 21,5 %, on obtient un pourcentage de 12,08 %. Pour tenir compte des véhicules diesel, qui constituent 10 % du parc automobile, le taux, précise-t-il, a été fixé forfaitairement à 12 %.

13. En vertu du «Wet op de loonbelasting 1964» (loi de 1964 relative à l'impôt sur les salaires) et des dispositions d'application de cette loi, l'indemnité constitue un élément du salaire du travailleur lorsqu'elle s'élève à plus de 0,60 NGL par kilomètre.

14. La déduction de la TVA afférente à l'indemnité est contrôlée au moyen des livres de l'employeur, qui est obligé, par toute une série de dispositions fiscales générales et du droit de l'impôt sur le revenu, de tenir une comptabilité séparée à ce sujet. Les justificatifs correspondants ne sont soumis à aucune forme particulière. Ils doivent cependant contenir des informations sur les trajets effectués à des fins professionnelles, les lieux où s'est rendu le salarié, et les distances parcourues (déclarations périodiques des travailleurs).

III - Procédures précontentieuse et judiciaire

15. La Commission estime que le fait de déduire de la TVA dont l'employeur est redevable une partie de l'indemnité accordée aux travailleurs en contrepartie de l'utilisation de leur véhicule pour les besoins de leur employeur enfreint la sixième directive, si bien qu'elle a engagé une procédure en manquement contre le royaume des Pays-Bas au titre de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE). À la lumière de la réponse apportée par le gouvernement néerlandais à la lettre de mise en demeure, la Commission a adressé, le 17 octobre 1996, une lettre de mise en demeure complémentaire. La nouvelle lettre de réponse, en date du 16 décembre 1996, n'ayant pas dissipé les réserves de la Commission, celle-ci a adressé, le 22 septembre 1997, un avis motivé au royaume des Pays-Bas, dans lequel elle l'invitait à prendre les mesures nécessaires dans les deux mois. Par lettre du 28 novembre 1997, le gouvernement néerlandais a répondu que la réglementation nationale n'enfreignait pas les dispositions communautaires en matière de TVA et qu'il n'y avait donc pas lieu de satisfaire à la demande de la Commission.

16. La Commission ayant maintenu son point de vue, elle a engagé un recours contre le royaume des Pays-Bas par requête du 11 septembre 1998, enregistrée au greffe de la Cour le 14 septembre 1998. Par ordonnance du 3 mai 1999, le président de la Cour a autorisé le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à intervenir au soutien des conclusions du royaume des Pays-Bas.

17. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

1) constater qu'en prévoyant, en violation des articles 17, paragraphe 2, sous a), et 18, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, la déduction par un employeur assujetti à la TVA d'une partie de l'indemnité versée à un employé pour l'usage à des fins professionnelles d'une voiture privée, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité;

2) condamner le royaume des Pays-Bas aux dépens.

IV - Examen des moyens soulevés par la Commission

18. Alors que le premier moyen concerne l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive et donc les conditions de la naissance du droit à déduction, le second moyen a pour objet l'article 18, paragraphe 1, de la sixième directive et donc les conditions de l'exercice du droit à déduction.

A - Premier moyen: violation de l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive

Arguments des parties et de l'intervenant

19. La Commission part de la considération fondamentale selon laquelle le régime des déductions ne s'applique en principe qu'aux livraisons ou prestations effectuées par un assujetti pour un autre assujetti. Elle estime que cette règle est également exprimée de manière claire à l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive.

L'article 23 de l'arrêté d'exécution de 1968 relatif à la taxe sur le chiffre d'affaires n'est pas compatible avec ce régime, soutient-elle, puisque les livraisons ou prestations qu'il vise ne sont effectuées ni pour les besoins de l'entreprise ni pour des entrepreneurs, mais pour un consommateur final, c'est-à-dire le travailleur en tant que détenteur d'un véhicule, que celui-ci utilise également, voire principalement à des fins privées.

Selon elle, la part déductible de l'indemnité n'est donc pas un impôt grevant une opération entre assujettis, mais correspond à la TVA sur des prestations ou livraisons à un consommateur final.

20. Le gouvernement néerlandais justifie la possibilité de déduction par le fait que le système commun de taxe sur la valeur ajoutée vise à soulager entièrement chaque assujetti, afin de garantir la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités .

Dans la présente affaire, affirme-t-il, le remboursement des frais qu'expose le travailleur pour le véhicule porte exclusivement sur des opérations qui sont effectuées pour les besoins de l'employeur et qui grèvent donc le prix final du produit ou de la prestation. Aussi estime-t-il que la part correspondante de la taxe sur la valeur ajoutée doit pouvoir être déduite.

Ne pas autoriser de déduction serait selon lui facteur de double imposition, laquelle résulterait, premièrement, de la TVA payée par le travailleur sur les frais du véhicule et, deuxièmement, de la TVA grevant le prix final, dont ces frais constitueraient une composante. Une telle situation porterait atteinte aux principes de neutralité fiscale, d'interdiction de la double imposition et d'imposition dans le chef du seul consommateur final.

21. La Commission se réfère à cet égard au libellé clair et explicite de l'article 17 de la sixième directive. Elle estime par ailleurs que le droit fiscal requiert de façon générale un champ d'application et des règles nettement circonscrits, car toute autre solution aboutirait à une application différente dans les États membres.

La Commission fonde en outre ses observations sur l'arrêt Intiem , dans lequel la Cour a admis la déductibilité, prévue par une législation nationale, de la TVA imputée à l'entrepreneur de la TVA à laquelle il est assujetti. La Commission souligne trois différences fondamentales entre la réglementation néerlandaise litigieuse et les conditions, essentielles selon elle, auxquelles la Cour a subordonné la compatibilité avec la sixième directive d'une disposition nationale sur la déductibilité. Ainsi, premièrement, n'existerait-il en l'espèce aucun accord entre l'employeur assujetti et un autre assujetti en ce qui concerne la livraison au travailleur pour le compte de l'employeur assujetti, si bien qu'il n'y aurait donc pas non plus de livraison, au sens juridique, à l'employeur. En deuxième lieu, les livraisons au travailleur n'interviendraient pas exclusivement pour les besoins de l'entreprise. En troisième lieu, les biens ne seraient pas directement facturés par le fournisseur assujetti à l'employeur assujetti. En revanche, précise-t-elle, le droit à déduction n'est pas subordonné à la condition que le bien ait été physiquement remis à l'employeur .

22. Le gouvernement néerlandais voit à l'inverse dans l'arrêt Intiem une confirmation du fait qu'il convient de privilégier la réalité économique dans l'interprétation de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive. L'aspect décisif est en effet selon lui que le salarié utilise son véhicule privé pour les besoins de l'entreprise de son employeur. À défaut, l'on en viendrait à traiter différemment des situations économiquement identiques, ce qui serait contraire à la jurisprudence de la Cour , tout en aboutissant à des distorsions de concurrence entre les entreprises.

23. La Commission indique à ce propos que si les situations en l'espèce et dans l'affaire Intiem sont économiquement analogues, elles n'en doivent pas moins être traitées différemment sur le plan du droit fiscal. En outre, ajoute-t-elle, le droit fiscal doit poursuivre un équilibre entre des aspects d'équité, d'une part, et le fonctionnement du régime fiscal, d'autre part, ainsi que comporter des mesures de protection contre les fraudes.

24. Le gouvernement du Royaume-Uni, en tant que partie intervenante au soutien des conclusions du gouvernement néerlandais, souligne que la présente procédure porte de façon tout à fait générale sur le droit de l'employeur assujetti de déduire la part de TVA incluse dans les dépenses générées lorsque le travailleur agit dans le cadre de l'activité économique de l'entreprise. Il cite comme exemples les frais de logement et de restauration ainsi que les frais de taxi supportés à l'occasion d'un déplacement professionnel, ou l'achat d'outillage par un travailleur.

Selon le gouvernement du Royaume-Uni, il convient de s'en tenir à la réalité économique: en effet, souligne-t-elle, l'entreprise reçoit concrètement le carburant par l'intermédiaire de son salarié, qui agit lui-même pour le compte de l'entreprise, sans que la propriété du véhicule utilisé joue un rôle.

S'agissant de la facturation directe au travailleur passible de la taxe, le gouvernement britannique expose la pratique répandue au Royaume-Uni de l'indemnité kilométrique versée aux travailleurs. Il juge cette méthode justifiée dans la mesure où elle épargne aux entreprises le soin de vérifier et de conserver de nombreuses factures. Toute autre solution provoquerait une distorsion de concurrence en ce qu'elle pénaliserait des entreprises qui - peut-être du fait de leur petite taille - ne pourraient conclure d'accord avec d'autres assujettis sur la livraison de carburant.

25. La Commission conteste ce raisonnement en arguant que, dans la présente affaire, les salariés acquièrent le carburant en leur propre nom et pour leur propre compte. L'absence de capacité ou de possibilité de conclure des contrats de livraison ne modifie en rien le libellé de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive et sa violation par la réglementation nationale litigieuse.

Enfin, la Commission rejette la thèse du gouvernement du Royaume-Uni selon laquelle exclure tout remboursement de frais conduirait à ce que même le carburant acheté par le travailleur pour alimenter des véhicules qui ne sont nullement adaptés à un usage privé devrait être considéré comme livré à des consommateurs finaux.

26. De façon générale, la Commission oppose enfin à la thèse du gouvernement du Royaume-Uni comme à celle du gouvernement néerlandais l'argument selon lequel celles-ci aboutiraient à une interprétation contra legem de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive.

Appréciation

27. Pour la solution du présent problème juridique, il nous faut d'abord rappeler quelques principes du système de taxe sur la valeur ajoutée.

28. On mettra à cet égard en avant le principe de la neutralité de la taxe - qu'ont évoqué toutes les parties. Ce principe a pour première composante que l'imposition est indépendante du nombre d'étapes jalonnant le processus économique. Un deuxième élément de ce principe est constitué par la règle selon laquelle l'impôt est supporté par le consommateur final.

29. Le gouvernement néerlandais respecte le principe de la neutralité de la taxe dans la mesure où ce n'est pas le travailleur lui-même qui est autorisé à pratiquer la déduction, bien qu'il supporte d'abord les frais, y compris la TVA.

30. Le système néerlandais ne conduit pas davantage à une taxation à l'intérieur de la chaîne des entrepreneurs.

31. La question se pose alors de savoir si cette chaîne est interrompue par l'intervention du travailleur et s'il est possible, même dans l'affirmative, de prévoir une déduction.

32. Raisonnant a contrario, la Commission tire à juste titre sur ce point la conclusion - générale - que la «taxe n'est plus déductible lorsque la chaîne de transactions est achevée» .

33. Or, c'est bien un tel achèvement qui se produit dans les situations soumises à la réglementation néerlandaise. Cette dernière joue en effet lorsque le travailleur, qui utilise son véhicule pour les besoins de l'entreprise, intervient en son propre nom et pour son propre compte, et donc non pas au nom et pour le compte de l'employeur, c'est-à-dire de l'assujetti.

34. La réglementation néerlandaise pourrait toutefois être admise si elle reposait sur une fiction, qui consisterait à voir dans ces cas le travailleur comme un entrepreneur, et si la sixième directive prévoyait également, pour une telle situation, une fiction assimilant le travailleur à un entrepreneur. Or la sixième directive est dénuée d'une réglementation correspondante, telle que celle figurant à son article 28 bis, paragraphe 4, au sujet de la livraison à titre occasionnel d'un véhicule neuf.

35. Indépendamment de ce qui précède, le fait que le travailleur reçoive lui-même les prestations ou les livraisons avec l'intention de les utiliser, au moins partiellement, pour les besoins de l'entreprise, c'est-à-dire pour l'employeur assujetti, n'est pas non plus déterminant en vertu de la sixième directive. Certes, le système de TVA repose sur le principe que l'impôt doit être supporté non par le fournisseur extérieur mais par la personne qui couvre son propre besoin, c'est-à-dire le consommateur final. Toutefois, ce principe - général - ne peut être pris en considération que dans la mesure où il est matérialisé en droit communautaire. Ce principe n'est toutefois pas entièrement suivi par la législation communautaire, comme en témoigne par exemple la situation juridique des entrepreneurs dits occasionnels qui - bien que fournisseurs extérieurs - ne sont pas des assujettis.

36. S'agissant du risque de double taxation qui a été invoqué, soulignons que le système de TVA vise certes à l'éviter, ainsi que le souligne à bon droit le gouvernement néerlandais. Mais cela ne veut pas dire que la sixième directive ne l'accepte pas dans certains cas. La TVA non déductible devient alors en effet un facteur de coûts.

37. De façon générale, le fait que l'objectif d'exclure la double taxation n'est pas encore atteint montre en tout état de cause simplement que le régime communautaire de la TVA est le «résultat d'une harmonisation progressive des législations nationales» et que l'on n'a atteint «qu'une harmonisation partielle» .

38. L'élimination complète de la double taxation requiert donc - tout comme dans d'autres cas - l'intervention du législateur communautaire. Mais dans cette attente, il convient d'appliquer l'article 17, paragraphe 2, sous a), dans sa version actuellement en vigueur, c'est-à-dire en intégrant la possibilité d'une double taxation .

39. Le droit communautaire aujourd'hui en vigueur n'ouvre donc pas de possibilité de déduction telle que celle prévue par la législation néerlandaise. Dans un souci d'exhaustivité, soulignons toutefois qu'il est fiscalement possible de prévoir des aménagements autorisant une déduction, par exemple l'acquisition au nom et pour le compte de l'employeur.

Il convient à ce sujet d'examiner l'arrêt Intiem, plusieurs fois cité, et de renvoyer par la même occasion aux critères élaborés par la Commission, qui permettent à l'employeur, en tant qu'assujetti, d'opérer la déduction .

40. Or si l'on compare la législation néerlandaise ici soumise à appréciation avec les critères développés par la jurisprudence, l'on constate les points suivants: en premier lieu, le droit à déduction est accordé sans qu'un accord entre l'employeur et le fournisseur assujetti soit nécessaire. Les livraisons ne sont pas davantage effectuées pour le compte de l'employeur. Les documents produits par le gouvernement néerlandais démontrent en outre que les biens livrés au travailleur et les services qui lui sont fournis ne sont pas exclusivement requis pour les besoins de l'entreprise; ils servent au contraire également à des fins privées. Enfin, le droit à déduction prévu par la législation néerlandaise ne suppose pas non plus que l'employeur reçoive une facture lui indiquant la TVA qui est due.

41. Enfin, on réfutera la thèse que le gouvernement néerlandais fonde sur l'arrêt Madgett et Baldwin, selon laquelle il conviendrait, dans le cadre de l'interprétation de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, de privilégier la réalité économique par rapport au libellé de cette disposition.

Il convient d'abord de relever à cet égard que si la Cour a choisi dans son arrêt une interprétation qui s'écarte du libellé, cette affaire portait toutefois sur le rattachement d'un assujetti à un groupe professionnel et sur l'application de la dérogation prévue pour ce groupe professionnel. Or il ne s'agit pas en l'espèce de la «qualité formelle de l'opérateur économique» ; car il ne fait ici aucun doute que les salariés ne sont pas des entrepreneurs assujettis.

42. Il y a ensuite lieu de souligner fondamentalement à ce sujet qu'une interprétation littérale de l'article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive est conforme à une interprétation fondée sur la genèse de ce texte. Ainsi, ni la disposition antérieure correspondante de la deuxième directive, à savoir l'article 11, ni la proposition adoptée par la Commission au sujet de la norme ultérieure, l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, ne font expressément référence à un «autre entrepreneur».

43. Ainsi toutefois que la Cour l'a dit pour droit dans l'affaire Genius Holding, le Conseil, dans la rédaction de l'article 17, paragraphe 2, sous a), s'est cependant écarté tant de la rédaction de l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la deuxième directive que de celle de l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la proposition de la Commission de la sixième directive .

44. Le Conseil s'est notamment écarté de la proposition de la Commission en ce qu'il a prévu que les biens ou services sont ou seront respectivement livrés ou rendus «par un autre assujetti» - précisément.

45. Que l'article 17 de la sixième directive ne saurait être interprété contre son libellé ressort enfin aussi de la jurisprudence correspondante de la Cour .

46. Il résulte de tout ce qui précède que la réglementation néerlandaise prévoyant la déduction d'une partie de l'indemnité enfreint l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive. Le premier moyen de la Commission est donc fondé.

B - Second moyen: violation de l'article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive

Arguments des parties et de l'intervenant

47. Selon la Commission, la législation nationale est contraire à l'article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive dans la mesure où le droit à déduction est subordonné par cette disposition à la détention d'une facture établie conformément à l'article 22, paragraphe 3, de la sixième directive, c'est-à-dire d'une facture délivrée par un assujetti à un assujetti, ce que le système néerlandais ne prévoit pas.

La Commission souligne en outre le risque d'abus qui pourrait résulter des particularités du régime néerlandais.

48. Le gouvernement néerlandais rejette ce grief en arguant notamment que le plafond de l'indemnité kilométrique constitue une protection contre les abus. Il soutient en outre que le renvoi opéré par l'article 18, paragraphe 1, sous a), à l'article 22, paragraphe 3, de la sixième directive ne signifie pas que la facture doit être une facture délivrée par un assujetti à un autre assujetti. Il ressort au contraire selon lui de l'article 22, paragraphe 3, sous c), que des documents autres qu'une facture peuvent être admis aux fins de démontrer qu'une dépense a réellement été effectuée pour les besoins de l'entreprise.

Le gouvernement néerlandais souligne en outre que la facture a une fonction - uniquement - probatoire. Le droit de déduire la taxe en amont existerait même en l'absence de facture. Il relève ainsi que l'article 22, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive autorise les États membres à fixer les conditions «suivant lesquelles un assujetti peut être autorisé à procéder à une déduction à laquelle il n'a pas procédé conformément aux paragraphes 1 et 2».

Il note l'existence en droit néerlandais de moyens de preuve alternatifs, tels que ceux résultant de la législation comptable auxquels sont soumis les employeurs. Selon lui, les obligations comptables pesant sur l'assujetti offrent des garanties suffisantes contre les pratiques frauduleuses.

Enfin, le royaume des Pays-Bas estime que la finalité de la sixième directive doit primer sur une disposition établissant des exigences purement formelles, solution en faveur de laquelle plaiderait également le principe de proportionnalité.

49. Le gouvernement du Royaume-Uni est d'avis que l'article 18, paragraphe 3, de la sixième directive TVA autorise les États membres à fixer les conditions permettant d'opérer une déduction en l'absence de facture .

Appréciation

50. Ainsi que le déclare à bon droit la Commission, une violation de l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive entraîne une violation de l'article 18, paragraphe 1, sous a). En effet, comme les intéressés ne sont pas deux assujettis, mais bien l'employeur et son salarié, il ne saurait non plus y avoir de facture au sens de l'article 22, paragraphe 3.

51. En ce qui concerne les possibilités de preuve, il convient de noter que l'article 22, paragraphe 3, sous c), permet certes de fixer les critères selon lesquels un document peut être considéré comme tenant lieu de facture. Mais il s'agit là d'un document au sens de l'article 22, paragraphe 3, sous a), c'est-à-dire d'un document qui tient lieu de facture et qu'un assujetti délivre pour les livraisons qu'il effectue pour un autre assujetti. Or la réglementation néerlandaise ne prévoit pas non plus de document correspondant à ces exigences.

52. S'agissant de l'argument que le gouvernement néerlandais tire de l'article 18, paragraphe 3, de la sixième directive, on notera son caractère erroné dans la mesure où cette disposition concerne l'exercice du droit à déduction. Or les modalités d'exercice sont dénuées de pertinence dès lors qu'un tel droit n'est même pas né. En effet, les États membres ne sauraient, en fixant les «conditions et modalités» au sens de l'article 18, paragraphe 3, de la sixième directive, modifier les conditions présidant à la naissance du droit à déduction.

53. Ainsi le second moyen de la Commission est-il également fondé.

V - Dépens

54. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le royaume des Pays-Bas ayant succombé, il convient de le condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Royaume-Uni supporte donc ses propres dépens.

VI - Conclusion

55. En conséquence, nous proposons à la Cour de constater:

1) En prévoyant, en violation de l'article 17, paragraphe 2, sous a) et de l'article 18, paragraphe 1, sous a) de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, une déduction par l'employeur, assujetti à la TVA, d'une partie de l'indemnité versée à un employé pour l'usage à des fins professionnelles d'un véhicule privé, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.