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Avis juridique important

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61998C0408

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 13 avril 2000. - Abbey National plc contre Commissioners of Customs & Excise. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court) - Royaume-Uni. - TVA - Article 5, paragraphe 8, et 17, paragraphes 2, sous a), et 5, de la sixième directive TVA - Transmission d'une universalité de biens - Déduction de la taxe acquittée en amont pour les services utilisés par le cédant pour les besoins de la transmission - Biens et services utilisés pour les besoins des opérations taxées de l'assujetti. - Affaire C-408/98.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-01361


Conclusions de l'avocat général


1. En vertu de l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive TVA , les États membres peuvent considérer que, à l'occasion de la transmission d'une «universalité totale ou partielle de biens», «aucune livraison de biens n'est intervenue» et que le bénéficiaire «continue la personne du cédant». Lorsqu'un État membre opte pour cette faculté, la conséquence est-elle simplement qu'aucune TVA n'est due sur la transmission elle-même ou encore que la TVA due par le cédant sur des services reçus dans le cadre de la transmission n'est pas déductible au motif qu'elle n'est pas afférente à une opération taxée? En d'autres termes, la transmission doit-elle relever du même régime qu'une livraison exonérée de TVA au titre de l'article 13 de la sixième directive, ou relève-t-elle d'une catégorie différente, celle des «non-livraisons», et, si tel est le cas, quel régime faut-il lui appliquer?

Dispositions légales applicables

Dispositions communautaires

2. Le principe sur lequel repose la TVA est exposé de la manière suivante à l'article 2 de la première directive TVA :

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix» .

3. Le système de déduction est conçu pour éviter un effet de cumul lorsque la TVA a également été perçue sur des biens et/ou des services utilisés pour produire les biens et/ou services fournis - c'est-à-dire pour éviter que la TVA soit perçue de nouveau sur la TVA déjà payée. Ainsi, une chaîne d'opérations se constitue, dans laquelle le montant net qui est dû au stade de chaque maillon de la chaîne est une proportion déterminée de la valeur ajoutée à cette étape. Lorsque la chaîne arrive à sa fin, le montant total qui a été prélevé correspond à la proportion appropriée du prix final.

4. En vertu de l'article 2 de la sixième directive , une livraison de biens ou une prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel est soumise à la TVA. L'article 4, paragraphe 1, énonce qu'un assujetti est quiconque accomplit une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Les activités économiques, selon l'article 4, paragraphe 2, incluent les opérations comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

5. L'article 5 définit les livraisons de biens. Selon l'article 5, paragraphe 1, est considéré comme livraison d'un bien le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. Les paragraphes suivants de cet article donnent, pour l'essentiel, des définitions positives de ce qui est ou peut être considéré comme une livraison ou comme un bien corporel. Peuvent être considérés comme biens corporels, en vertu de l'article 5, paragraphe 3, certains droits sur les biens immeubles. Toutefois, outre ces définitions positives, l'article 5, paragraphe 8, énonce:

«Les États membres peuvent considérer que, à l'occasion de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens n'est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant. Les États membres peuvent prendre, le cas échéant, les dispositions nécessaires pour éviter des distorsions de concurrence dans le cas où le bénéficiaire n'est pas un assujetti total.»

6. L'article 6, paragraphe 5, dispose que l'article 5, paragraphe 8, s'applique dans les mêmes conditions aux prestations de services.

7. Il est important de ne pas perdre de vue que la disposition de l'article 5, paragraphe 8, est incluse dans la définition d'une livraison de biens (et, en vertu de l'article 6, paragraphe 5, d'une prestation de services) et non dans la liste des exonérations de TVA qui, abstraction faite du commerce international, sont énoncées à l'article 13. L'article 13, A, énumère des exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général. L'article 13, B, énumère un certain nombre d'autres opérations exonérées, notamment a) les opérations d'assurance et b) l'affermage et la location de biens immeubles, mais l'article 13, C, autorise les États membres à accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation de certaines de ces opérations, y compris a) l'affermage et la location de biens immeubles.

8. Les déductions sont régies par les articles 17 à 20.

9. L'article 17, paragraphe 2, sous a), énonce: «Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable ... la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti».

10. Lorsque les biens et services sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, l'article 17, paragraphe 5, dispose que «la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations» et que «Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19». L'article 19 prévoit, pour l'essentiel, le calcul de la déduction à partir d'une fraction correspondant au chiffre d'affaires afférent aux opérations dont la TVA est déductible divisé par le chiffre d'affaires total.

Dispositions nationales de transposition

11. La législation du Royaume-Uni, conformément à l'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive, considère la transmission d'un «intérêt majeur» («major interest») dans une propriété foncière comme une livraison de biens. En Écosse, où est située la propriété en cause en l'espèce, la définition d'un «intérêt majeur» inclut le droit dont est titulaire le preneur d'un bail d'une durée égale ou supérieure à 20 ans.

12. Il a été fait usage de la faculté prévue à l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive par, notamment, l'article 5, paragraphe 1, du Value Added Tax (Special Provisions) Order (SI 1992/3129) (règlement portant dispositions spéciales en matière de TVA, ci-après le «VAT Order»), qui énonce que, lorsqu'une personne transmet a) une entreprise ou b) une partie de celle-ci et qu'il y a continuité d'exploitation («as a going concern»), la transmission des biens de l'entreprise doit être considérée comme n'étant ni une livraison de biens ni une prestation de services. La condition qui y est posée est, dans les deux cas, que le cessionnaire utilise les biens pour exploiter le même type d'entreprise que le cédant et qu'il soit, ou devienne immédiatement, un assujetti. En cas de transmission d'une partie d'une entreprise, il existe une condition supplémentaire selon laquelle cette partie doit pouvoir faire l'objet d'une exploitation séparée.

13. Enfin, le Royaume-Uni a appliqué l'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive en considérant l'octroi d'un droit, quel qu'il soit, sur une propriété foncière comme une opération exonérée, mais en autorisant les propriétaires de locaux commerciaux ou les titulaires de droits dans des locaux commerciaux à renoncer à l'exonération pour des immeubles précis.

Cadre factuel et procédural

14. Les faits essentiels du litige au principal, tels qu'ils ressortent de l'ordonnance de renvoi de la juridiction nationale, du dossier joint à celle-ci et des observations présentées à la Cour, sont les suivants:

15. Scottish Mutual Assurance plc (ci-après «Scottish Mutual») est une filiale d'Abbey National plc (ci-après «Abbey National») que celle-ci détient en totalité et représente aux fins de la TVA. Elle est partiellement exonérée de TVA; outre son activité dans le domaine de l'assurance [qui est exonérée en vertu de l'article 13, B, sous a)], elle exerce une activité de location de locaux commerciaux, pour laquelle elle a opté pour la taxation en conformité avec les dispositions adoptées au Royaume-Uni pour transposer l'article 13, C, sous a). En conséquence, elle facture la TVA sur les loyers et déduit de cette TVA la taxe en amont acquittée dans le cadre de cette activité. Concernant la taxe en amont résiduelle qui ne peut être affectée directement ni à des opérations taxées ni à des opérations exonérées, le groupe Abbey National est parvenu à un accord avec les Commissioners of Customs and Excise (ci-après les «Commissioners») pour l'application d'une méthode de répartition, conformément aux dispositions adoptées au Royaume-Uni en vue de la transposition des articles 17, paragraphe 5, et 19.

16. Dans le cadre de son activité de location immobilière, Scottish Mutual acquiert et vend des locaux de temps en temps. L'un de ceux-ci était Atholl House, à Aberdeen, pour lequel elle avait un bail de 125 ans débutant en 1976 et qui était sous-loué dans le cadre d'un bail de 40 ans. En 1993, elle a vendu, à une société n'appartenant pas au même groupe, ses droits dans le bail de 125 ans - la sous-location étant transmise concomitamment -, la continuité de l'exploitation étant préservée et l'acquéreur ayant également opté pour la taxation de cette dernière. En vertu de l'article 5, paragraphe 1, du VAT Order, aucune TVA n'était due sur le prix de la transmission qui était de 5 400 000 GBP.

17. Dans le cadre de la transmission, Scottish Mutual a toutefois dû payer des honoraires sur lesquels elle a acquitté une TVA de 4 365,04 GBP. Considérant que cette somme constituait une taxe en amont afférente à une opération relevant de ses activités taxées, la société l'a déduite de sa taxe en aval. À l'occasion d'un redressement en 1994, les Commissioners ont estimé que la vente d'Atholl House par Scottish Mutual constituait une transmission avec continuité d'exploitation et que, en tant que telle, elle n'était pas une livraison taxée à laquelle la taxe en amont pouvait être affectée. Une partie de la TVA, déterminée en application de la méthode convenue pour la répartition de la taxe en amont résiduelle et sans affectation spécifique a pu néanmoins être déduite.

18. Abbey National a contesté le redressement devant le VAT and Duties Tribunal, London, qui a rejeté son recours en 1997. Ce Tribunal a décidé, pour l'essentiel, que le droit à déduction prend naissance lorsque les biens ou services sont utilisés pour une opération taxée et présentent un lien direct et immédiat avec celle-ci; la transmission d'Atholl House n'était pas une opération taxée et ne pouvait donc pas fonder elle-même un droit à déduction; d'ailleurs, ledit Tribunal a considéré qu'il ne s'agissait pas d'une transmission avec continuité d'exploitation mais d'une opération relevant de la gestion du portefeuille d'investissements immobiliers de Scottish Mutual; cependant, l'activité de location de biens immobiliers de Scottish Mutual était destinée à financer les indemnités qu'elle devait verser dans le cadre de son activité d'assurance; les dépenses effectuées dans le cadre de la transmission étaient donc des frais généraux présentant un lien direct et immédiat avec les opérations effectuées par la société, aussi bien taxées qu'exonérées; le redressement était donc fondé sur une base correcte.

19. Abbey National a ensuite interjeté appel devant la High Court of Justice (Queen's Bench Division (Royaume-Uni) qui, le 2 novembre 1998, prenant acte du fait que les parties considéraient d'un commun accord qu'il s'agissait (contrairement aux conclusions du VAT and Duties Tribunal) d'une transmission avec continuité d'exploitation, et que cette affaire concernait une question de droit de la TVA qui était d'une grande importance pour le secteur de la propriété commerciale, mais sur laquelle la Cour de justice n'avait pas encore statué, a saisi celle-ci d'une demande de décision à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1) Eu égard aux termes de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive TVA, l'expression de l'article 5, paragraphe 8, de cette directive selon laquelle le bénéficiaire continue la personne du cédant exige-t-elle que les livraisons du bénéficiaire soient considérées de la même façon que si elles avaient été effectuées par le cédant, aux fins de la détermination de la déduction de la taxe en amont du cédant?

2) À l'occasion de la transmission ... d'une universalité totale ou partielle de biens au sens de l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive TVA, lorsque l'État membre, en vertu de dispositions nationales adoptées en application de cet article, considère qu'aucune livraison de biens ou de services n'est intervenue, l'assujetti peut-il, selon l'interprétation correcte des articles 5, paragraphe 8, et 17, paragraphe 2, déduire la totalité de la taxe en amont acquittée sur des frais afférents à la transmission, dans le cas où l'assujetti aurait été redevable de la taxe en aval relative à la transmission si l'article 5, paragraphe 8, ne s'était pas appliqué?

3) Lorsque l'activité économique du cédant antérieure à l'opération relevant de l'article 5, paragraphe 8, a été entièrement taxée, la taxe en amont est-elle déductible pour un paiement effectué dans le cadre de la cessation de cette activité?»

20. Abbey National, les gouvernements du Royaume-Uni et néerlandais et la Commission ont présenté des observations. Abbey National, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ont également présenté leurs arguments oralement à l'audience.

Analyse

Objet de la demande préjudicielle

21. Les trois questions, telles qu'elles sont formulées, suggèrent trois raisonnements (qu'Abbey National semble soutenir) qui pourraient permettre d'apporter une solution au litige. Toutefois, ils ne sont pas les seuls possibles. Le gouvernement néerlandais et la Commission ont suggéré une autre analyse. En conséquence, tout en reconnaissant que les considérations engendrées par les trois questions spécifiques qui ont été posées peuvent entrer en ligne de compte, nous poserons, plus généralement, cette question: «Lorsqu'un État membre a fait usage de la faculté accordée par les articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de sorte que la transmission d'une universalité totale ou partielle de biens est considérée comme n'étant pas une livraison de biens ou une prestation de services, la TVA grevant les livraisons ou prestations reçues dans le but de réaliser cette transmission est-elle déductible pour le cédant?»

Objectif de l'article 5, paragraphe 8

22. En vue de l'interprétation de l'article 5, paragraphe 8, et de son application à une situation de fait telle que celle de Scottish Mutual, il est utile de garder à l'esprit l'objectif en vue duquel il a été adopté.

23. Le préambule de la sixième directive ou de celle qui l'a précédée, la deuxième directive TVA , n'apportent aucun éclaircissement sur ce point. Cependant, dans l'exposé des motifs de la proposition de sixième directive , la faculté en cause était décrite comme étant offerte «dans un souci de simplification et pour ne pas obérer la trésorerie de l'entreprise».

24. Même si le projet était plus restrictif que la disposition qui a finalement été adoptée, il est manifeste que l'objectif recherché demeure celui de la commodité. Si la TVA était facturée sur la transmission des actifs d'une entreprise, des sommes d'argent considérables pourraient n'être immobilisées que pour être déduites ultérieurement. Le résultat effectif serait nul, mais l'entreprise pourrait se trouver dans une situation financière gênante au moment, peut-être délicat, du changement de propriétaire. Un État membre peut aisément éviter de créer de telles difficultés en mettant en oeuvre l'article 5, paragraphe 8, puisque le poids total de la TVA pesant sur l'entreprise et le montant total prélevé par les autorités fiscales ne seront pas affectés.

Transmission d'une universalité totale ou partielle de biens

25. La question de savoir ce qu'est une «transmission d'une universalité totale ou partielle de biens» n'a pas été débattue devant la Cour, bien que le gouvernement néerlandais ait exprimé des doutes quant à la question de savoir si la transmission en l'espèce relevait de cette définition, et il semble que le VAT and Duties Tribunal ait considéré qu'il n'existait pas de preuve de ce qu'Atholl House constituait une activité commerciale identifiable et indépendante telle que la vente du droit du preneur à bail puisse être qualifiée de «transmission d'une entreprise avec continuité d'exploitation».

26. La transmission d'une «universalité totale de biens», envisagée dans le contexte d'une livraison effectuée par un assujetti - personne qui exerce une activité économique -, se réfère visiblement à la transmission d'une entreprise, dans son intégralité, au moyen de la transmission de ses actifs plutôt que des participations dans l'entreprise.

27. Le concept d'«universalité partielle de biens» , cependant, n'est pas aussi clair. En particulier, il y a lieu de se demander comment établir une distinction entre la transmission d'une telle universalité partielle de biens et une transmission ordinaire d'un ou de plusieurs actifs de l'entreprise, qui est normalement une opération taxée. Le droit communautaire est muet sur ce point; aucune directive TVA n'apporte de réponse à cette question, qui n'a pas non plus été examinée par la Cour jusqu'à présent.

28. La solution adoptée au Royaume-Uni semble être raisonnable: lorsque des actifs afférents à une partie d'une entreprise susceptible de fonctionner séparément sont transmis de façon à ce qu'il y ait continuité d'exploitation, la faculté accordée au titre de l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive est applicable et aucune livraison n'est considérée comme étant intervenue. Ces critères ne semblent pas entrer en contradiction avec la formulation large de la disposition communautaire, et la question de savoir s'ils sont remplis dans un cas d'espèce doit par conséquent continuer à relever de la juridiction nationale compétente.

29. La présente espèce a pour objet une opération dont il est affirmé qu'elle constitue, en application de la définition employée au Royaume-Uni, une transmission d'une universalité partielle de biens - en d'autres termes, d'une partie autonome d'une entreprise. Le fait que la transmission n'était pas celle de l'universalité totale des biens de Scottish Mutual a donné lieu à certaines discussions dans ce litige, portant notamment sur la question de savoir si la TVA acquittée à l'occasion de la transmission était, d'une façon ou d'une autre, afférente à l'activité de location immobilière qu'elle conservait et poursuivait - et déductible dans le cadre de celle-ci -, ou à l'ensemble de son activité englobant à la fois le secteur de l'assurance et celui de la location immobilière. Plutôt que d'aborder ces questions immédiatement, cependant, nous estimons qu'il est plus utile d'envisager en premier lieu la situation simple de la transmission d'une universalité totale de biens. Nous verrons ensuite dans quelle mesure il sera nécessaire de s'attacher à la situation spécifique de la transmission d'une universalité partielle de biens appartenant à une entreprise ayant d'autres activités.

Transmission d'une universalité totale de biens

30. La situation la plus simple à examiner, et dont il est possible de déduire le régime d'autres situations, est celle de la transmission de tous les actifs d'une entreprise qui réalise exclusivement des opérations taxées.

31. Afin d'être déductible, la TVA doit avoir grevé des biens ou services acquis (opérations en amont) qui sont utilisés pour les besoins des opérations taxées (opérations en aval) de l'assujetti. Cela ressort clairement de l'article 17, paragraphe 2, en particulier au regard du contexte de la disposition qu'il a remplacée - article 11, paragraphe 1, de la deuxième directive, qui faisait référence à des biens ou services «utilisés pour les besoins de son entreprise» - et de la proposition de sixième directive , qui évoquait des biens ou services «utilisés pour les besoins de son activité taxée». Il semble donc que le législateur ait délibérément choisi une formulation visant à restreindre le champ du droit à déduction à la situation dans laquelle les biens ou services en amont sont utilisés pour les besoins d'opérations taxées identifiables . Le principe selon lequel la déductibilité de la taxe dépend de l'opération à laquelle elle est afférente est également inhérent aux règles régissant la répartition de la taxe prévues par les articles 17, paragraphe 5, et 19.

32. Vue sous cet angle, la situation des opérations exonérées est anormale dans le système de la TVA, en particulier lorsqu'elles sont des éléments constitutifs du prix d'opérations taxées ultérieures. Leur coût total, incluant la TVA perçue sur les opérations en amont, sera - vraisemblablement - répercuté sur le prix facturé. Dans cette situation, la taxation sera double ou cumulative, puisque la TVA sera facturée en totalité sur une opération en aval dont l'un des éléments constitutifs du prix comprend déjà la TVA. Le principe régissant la perception de la TVA risque d'être sérieusement atteint par le fait qu'une chaîne d'opérations peut être interrompue de la sorte à plus d'un endroit, impliquant une répétition de la taxation cumulative. De tels facteurs suggèrent que le régime accordé aux exonérations doit être appliqué restrictivement ; dans la mesure du possible, le régime de chaque opération en matière de TVA doit être conforme au principe de base, dans le but d'éviter son altération.

33. Cet effet sur les opérations exonérées constituait la base de l'approche suivie par la Cour dans l'arrêt BLP Group . Une société de gestion et de holding avait cédé 95 % de ses parts dans une société qu'elle détenait, cette cession constituant une opération exonérée (les opérations sur les participations sont obligatoirement exonérées en vertu de l'article 13, B, point 5). L'objectif de la cession était de récolter des fonds pour acquitter des dettes résultant d'opérations taxées. Comme en l'espèce, la société avait acquitté des honoraires dans le cadre de la cession, et il fallait déterminer si la TVA facturée sur ces honoraires était déductible. La Cour a jugé que, pour ouvrir le droit à déduction, «les biens ou services en cause doivent présenter un lien direct et immédiat avec les opérations taxées» et qu'en conséquence, «lorsqu'un assujetti fournit des services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée, celui-ci n'a pas le droit de déduire la TVA acquittée en amont, même lorsque l'objectif ultime de l'opération exonérée est l'accomplissement d'une opération taxée» . Cette décision était fondée non seulement sur la lettre des première et sixième directives, mais également sur la considération qu'il serait contraire à la nécessité d'assurer la sécurité juridique et de faciliter les actes inhérents à l'application de la taxe d'exiger des autorités fiscales de déterminer l'intention de l'assujetti lorsque les prestations ne se trouvent pas objectivement liées à des opérations imposables .

34. Dans d'autres affaires cependant, la Cour a adopté ce qui semble être une approche plus large. Dans l'arrêt Intiem , par exemple, elle a jugé que le droit à déduction de la taxe en amont «concerne les biens et services afférents à l'exercice des activités professionnelles par l'assujetti»; dans l'arrêt Sofitam , elle a jugé que «le droit à déduction doit s'appliquer de telle façon que son champ d'application corresponde, dans la mesure du possible, au domaine des activités ... de l'assujetti»; et dans l'arrêt Ghent Coal Terminal , elle a jugé qu'un assujetti agissant en tant que tel a le droit de déduire la TVA due pour des livraisons acquises aux fins de travaux d'investissement destinés à être utilisés dans le cadre d'opérations taxées, même lorsque, en raison de circonstances étrangères à la volonté de l'assujetti, ces opérations taxées n'ont jamais été réalisées en fait. Dans l'arrêt BLP Group lui-même, la Cour a également affirmé que, si la société s'était procuré de l'argent en contractant un prêt bancaire plutôt qu'en réalisant une opération exonérée, elle aurait pu déduire la TVA grevant les honoraires acquittés à cette fin puisque de tels honoraires auraient été des frais généraux constituant des éléments constitutifs du prix de ses opérations taxées .

35. Il se peut que l'opposition entre les deux approches soit plus apparente que réelle. La référence aux éléments constitutifs du prix dans l'arrêt BLP Group est un rappel du principe de base posé à l'article 2 de la première directive: «À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée ... est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix». En conséquence, ce qui importe, c'est de savoir si l'opération taxée en amont est un élément constitutif du prix d'une opération taxée en aval, et non si l'opération présentant le lien le plus proche est elle-même taxée. Ainsi que la Commission l'a fait valoir à l'audience , la conclusion qui doit être tirée de l'arrêt BLP Group est que la question qu'il faut se poser n'est pas de savoir quelle est l'opération avec laquelle l'élément constitutif du prix présente le lien le plus direct et immédiat, mais s'il existe un lien suffisamment direct et immédiat avec une activité économique taxée. Il faut d'ailleurs souligner que, dans cette affaire, la Cour devait statuer sur des livraisons qui ne se trouvaient pas objectivement liées à des opérations imposables . Néanmoins, il ressort clairement de l'arrêt BLP Group que l'effet d'«interruption de la chaîne» qui est une caractéristique inhérente à une opération exonérée fera toujours obstacle à ce que la TVA acquittée sur des biens ou services utilisés pour une telle opération soit déductible de la TVA due sur une opération plus en aval dont l'opération exonérée est un élément constitutif du prix. La nécessité d'un «lien direct et immédiat», par conséquent, ne fait pas exclusivement référence au maillon le plus proche dans la chaîne, mais sert à écarter des situations dans lesquelles la chaîne a été rompue par une opération exonérée .

36. Ce qu'il faut souligner ensuite, c'est que la transmission d'une universalité totale de biens dans un État membre qui a fait usage de la faculté offerte par l'article 5, paragraphe 8, n'est pas une opération taxée. Sur ce point, nous nous rallions à l'opinion exprimée à l'audience à la fois par le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission, selon laquelle il n'est d'aucune utilité de considérer la transmission comme une opération qui sinon aurait été imposable. Puisqu'elle doit être considérée comme n'étant pas une livraison du tout, il est sans objet de prétendre qu'elle aurait été une livraison taxée s'il n'avait pas été fait usage de la faculté offerte. Par conséquent, nous pensons, comme la Commission, que la deuxième question de la High Court n'est pas pertinente pour la solution demandée en l'espèce.

37. Puisque la transmission n'est pas une opération taxée, il résulte inévitablement de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive qu'elle ne peut pas fonder elle-même la déduction de la taxe en amont acquittée en relation avec elle.

38. Cependant, il ne s'agit pas non plus d'une opération exonérée. Une opération exonérée a pour effet d'interrompre la chaîne de TVA. Il n'y a aucune raison de considérer que la chaîne est interrompue par une opération dans laquelle «aucune livraison de biens [prestation de services] n'est intervenue». Au contraire, la disposition selon laquelle «le bénéficiaire continue la personne du cédant» souligne la continuité de la situation du point de vue de la TVA. Bien que - pour reprendre la métaphore - un maillon de la chaîne soit considéré comme inexistant, ce «maillon manquant» n'implique pas une interruption et un recommencement de la chaîne mais plutôt une relation séquentielle entre les maillons de part et d'autre. En outre, selon notre raisonnement, le régime accordé aux exemptions doit être appliqué restrictivement. En conséquence, il convient d'élargir la recherche afin de savoir si la TVA dont la déduction est demandée a grevé une livraison étant un élément constitutif du prix d'une autre opération taxée.

39. En règle générale, lorsque les actifs d'une entreprise sont vendus, le vendeur (cédant) calculera le prix de façon à y répercuter tous les frais afférents à la vente. Ces frais feront donc partie, comme ceux supportés par l'acheteur (bénéficiaire), des éléments constitutifs du prix des opérations taxées réalisées ultérieurement. Cependant, la TVA grevant des opérations effectuées dans le cadre de la vente ne peut être déduite par l'acheteur - qui est la personne réalisant les opérations taxées ultérieures - que si celui-ci l'a acquittée. Et si elle ne peut pas être déduite, cela donnera lieu - en contradiction avec le principe fondamental de la neutralité qui régit le système de la TVA - à une double taxation. Pour parer à cette difficulté, la solution évidente est que la TVA soit déductible pour le cédant. De cette façon, en outre, le bénéficiaire est placé dans la même situation que s'il avait payé tous les frais lui-même et pu récupérer la TVA sur ceux-ci.

40. Dans cette éventualité, il serait nécessaire de considérer que les biens ou services acquis en amont par le cédant l'ont été pour les besoins des opérations taxées en aval effectuées ultérieurement par le bénéficiaire, ce qui est une approche soutenue par Abbey National et à laquelle la première question de la High Court se rapporte. Le gouvernement du Royaume-Uni a objecté que cela impliquerait un renversement inacceptable de l'ordre prévu à l'article 5, paragraphe 8, faisant du cédant le continuateur de la personne du bénéficiaire. Cette objection ne nous semble pas être justifiée. L'approche en question postule simplement que les besoins pour lesquels la livraison ou la prestation en amont sont utilisées peuvent être ceux de la personne considérée dans ce cas particulier comme le continuateur de la personne réalisant l'acquisition en amont, et ne requiert absolument pas un quelconque renversement de la chaîne.

41. Toutefois, le raisonnement suivi dans les deux derniers paragraphes est fondé dans une certaine mesure sur l'hypothèse d'une succession chronologique aux fins de la détermination de la relation entre les opérations en amont et les opérations en aval. En outre, dans ce raisonnement, la conclusion varie selon que les frais supportés par le cédant dans le cadre de la transmission sont répercutés ou non sur le bénéficiaire dans le prix. Or, la réalité économique des affaires n'est pas nécessairement conforme à cette hypothèse chronologique - qui n'est d'ailleurs pas non plus inhérente au système de la TVA, puisque la taxe déductible est celle qui est «due ou acquittée pour les biens qui sont ou seront livrés et pour les services qui sont ou seront rendus».

42. Selon une approche plus large, lorsqu'un assujetti exerce une activité économique au cours de laquelle il effectue des livraisons ou prestations taxées en totalité, tous les biens et services qu'il acquiert pour les besoins de cette activité sont des éléments constitutifs du prix de ses opérations en aval et la TVA les grevant doit être déductible en totalité. Le fait que, sur un plan purement comptable, les opérations en amont ne sont pas affectées à des opérations en aval particulières, ni même réparties entre celles-ci, ne présente aucune importance ici. Il est évident que tous les biens et services consommés par un assujetti ne seront pas incorporés directement dans une opération en aval identifiable. Certains auront la nature de frais généraux et, dans la mesure où ces frais généraux sont des éléments constitutifs du prix de livraisons taxées, la TVA prélevée sur eux peut être déduite . De nombreuses catégories de frais généraux peuvent être absorbées par l'activité dans sa globalité, ne faisant qu'influencer indirectement l'importance des marges bénéficiaires recherchées.

43. L'une de ces catégories de frais généraux comporte les frais afférents au commencement d'une activité. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que la TVA grevant ces frais peut être déduite par l'assujetti, même dans certains cas où il n'existe pas de taxe en aval dont elle peut être déduite, la conséquence étant que la déduction équivaut en fait à un paiement de l'autorité fiscale à l'assujetti. Selon la législation du Royaume-Uni , il en va de même pour la TVA grevant les frais supportés dans le cadre de la cessation d'une activité, et la Commission a semblé admettre à l'audience qu'une telle approche est conforme au droit communautaire.

44. Tel est notre avis. Dans l'arrêt Rompelman , la Cour a affirmé que «le régime des déductions vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques». Manifestement, cet objectif ne serait pas atteint si l'entrepreneur restait redevable d'une TVA non déductible au moment de la cessation de son activité. En outre, il peut être soutenu que, d'un point de vue économique, les frais engendrés par la cessation d'une activité constituent des coûts de l'entreprise dans son ensemble et donc des éléments constitutifs du prix des opérations que celle-ci réalise, même s'ils ne sont pas spécifiquement inscrits comme tels dans les comptes.

45. La transmission de l'universalité totale des biens d'une entreprise - en particulier lorsque, conformément à l'article 5, paragraphe 8, il est considéré qu'aucune livraison n'est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant - n'est pas identique à la liquidation de l'entreprise et, de nouveau, nous ne pouvons que partager l'avis de la Commission selon laquelle l'approche esquissée dans la troisième question de la High Court n'est peut-être pas la plus pertinente. Elle peut toutefois, ainsi que la Commission l'a suggéré à l'audience, fournir un point de comparaison utile. S'il est possible de déduire la TVA acquittée, après la réalisation des dernières opérations taxées, dans le cadre de la cessation d'une activité, alors il doit également en aller de même lorsque l'entreprise n'est pas liquidée mais cédée, de sorte qu'elle continue à fonctionner et à réaliser des opérations taxées - en d'autres termes, lorsque la mesure qui est prise est un événement s'insérant dans le cadre de la poursuite de l'activité plutôt que l'événement qui y met un terme.

46. En conséquence, les deux approches conduisent à la même conclusion: en cas de transmission de l'universalité totale des biens d'une entreprise ne réalisant que des opérations taxées, dans le cadre de l'article 5, paragraphe 8, le cédant est en droit de déduire la TVA acquittée sur les opérations en amont effectuées dans le cadre de la transmission parce que ces opérations en amont sont afférentes aux opérations en aval taxées et que la chaîne reliant les opérations en amont aux opérations en aval n'est pas interrompue par une opération exonérée intermédiaire.

47. Sur ce fondement, il ressort clairement des articles 17, paragraphe 5, et 19 que, lorsque la transmission d'une universalité totale de biens concerne une entreprise réalisant à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées, toute TVA en amont doit être répartie entre elles de sorte que seule une partie de la TVA sera déductible.

Transmission d'une universalité partielle de biens

48. La question de la répartition de la taxe ne se présente pas de façon aussi simple lorsque la transmission ne porte que sur une partie des biens du cédant et lorsque, comme en l'espèce, le cédant réalise à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées. En effet, une complication supplémentaire semble surgir ici, en ce sens que les biens transmis représentent seulement une partie de l'activité taxée du cédant qui constitue elle-même seulement une partie de l'ensemble de son activité.

49. Toutefois, à la lumière des conclusions auxquelles nous sommes parvenu concernant la transmission d'une universalité totale de biens, il nous semble que cette complexité n'est qu'apparente. Si la TVA grevant les services acquis dans le cadre de la transmission est déductible, c'est parce qu'elle est afférente - en raison de l'existence d'un lien direct et immédiat - à des opérations effectuées par la partie de l'entreprise dont les biens sont transmis. Par conséquent, si ces opérations sont taxées en totalité, la TVA sera déductible en totalité, et il sera inutile d'aller plus loin. Il faudra procéder à la répartition de la taxe si les opérations sont en parties taxées et en parties exonérées.

50. Le seul cas dans lequel il serait nécessaire d'examiner d'autres aspects de l'activité de l'assujetti afin de déterminer comment la taxe doit être répartie serait s'il était estimé que, contrairement à notre opinion, la TVA en question ne peut pas être considérée comme afférente aux opérations taxées de la partie de l'entreprise objet de la transmission.

51. Si tel était le cas, nous considérons qu'il serait nécessaire, avant d'exclure toute possibilité de déduction, d'examiner - comme il était envisagé par exemple au point 25 de l'arrêt BLP Group - si les frais de la transmission étaient des éléments constitutifs du prix, sous forme de frais généraux, des opérations réalisées par l'entreprise dans son ensemble (en l'espèce, l'activité d'assurance), ou par une partie de celle-ci (en l'espèce, l'activité de location immobilière) dont la partie transmise constituait une partie plus petite. De telles questions, cependant, porteraient sur des questions de fait relevant de la juridiction nationale compétente.

Conclusion

52. En conséquence, il convient selon nous que la Cour réponde de la manière suivante à la High Court of Justice (Queen's Bench Division) en l'espèce:

«Lorsqu'un État membre a fait usage de la faculté accordée par les articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, de sorte que la transmission d'une universalité totale ou partielle de biens n'est pas considérée comme étant une livraison de biens ou une prestation de services, la TVA afférente aux biens ou services acquis en vue de la réalisation de cette transmission est déductible pour le cédant:

- en totalité lorsque les biens sont ceux d'une entreprise réalisant uniquement des opérations taxées;

- conformément aux articles 17, paragraphe 5, et 19 de la directive, lorsque les biens sont ceux d'une entreprise réalisant à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées.»