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Avis juridique important

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61999C0083

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 28 septembre 2000. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Manquement d'Etat - Article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive TVA - Application d'un taux réduit aux péages d'autoroute. - Affaire C-83/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-00445


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1. Dans le présent recours en manquement, la Commission reproche au royaume d'Espagne de n'avoir soumis les redevances autoroutières (péage) qu'à un taux d'imposition réduit au lieu du taux normal de taxe sur la valeur ajoutée.

2. À l'appui de sa démarche, le royaume d'Espagne fait valoir que la mise à disposition d'une infrastructure routière par des concessionnaires est une prestation de services qui peut être assimilée au transport de voyageurs et de leurs bagages, pour lequel un taux d'imposition réduit est possible. D'après lui, la réduction du taux est aussi nécessaire pour compenser des distorsions de concurrence résultant du fait que d'autres États membres n'ont pas soumis les péages routiers à la TVA.

II - Les dispositions pertinentes

A - Le droit communautaire

3. Au titre IX de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive»), figurent les taux d'imposition applicables dans le cadre de l'harmonisation des taxes.

4. L'article 12 , paragraphe 3, sous a), premier alinéa, indique ce qui suit:

«Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé pour chaque État membre à un pourcentage de la base d'imposition qui est le même pour les livraisons de biens et les prestations de services. À partir du 1er janvier 1997 et jusqu'au 31 décembre 1998, ce pourcentage ne peut être inférieur à 15 %.»

5. Conformément à l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, les États membres peuvent «également appliquer soit un soit deux taux réduits. Ces taux sont fixés à un pourcentage de la base d'imposition qui ne peut être inférieur à 5 % et ils s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services visées à l'annexe H».

6. L'annexe H comprend la «Liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l'objet de taux réduits de TVA».

7. La cinquième des 17 catégories qui composent l'annexe H concerne «Le transport des personnes et des bagages qui les accompagnent» .

B - Le droit national

8. Le décret royal n° 14-1997, du 29 août 1997, ainsi que la loi n° 9/1998, du 21 avril 1998, modifiant la loi n° 37/1992, du 28 décembre 1992, relative à la taxe sur la valeur ajoutée, prévoient l'application aux redevances autoroutières d'un taux d'imposition réduit de 7 % au lieu du taux normal de 16 %. Cette démarche a été justifiée par l'assimilation de la mise à disposition d'infrastructures routières par des concessionnaires au transport des personnes et des bagages qui les accompagnent cité à l'annexe H, catégorie 5, de la sixième directive.

III - Procédure préliminaire et recours

9. Par lettre de mise en demeure du 22 décembre 1997, la Commission a informé le royaume d'Espagne de sa position selon laquelle les dispositions de la sixième directive s'opposaient à l'application d'un taux d'imposition réduit sur la perception des redevances autoroutières.

10. Le royaume d'Espagne a fait connaître son point de vue dans une lettre du 24 avril 1998, à laquelle étaient jointes des observations du ministre de l'Économie et des Finances en date du 13 avril 1998. Il y était développé, pour l'essentiel, les arguments suivants en faveur de l'application du taux réduit.

11. D'une part, il existerait entre les États membres, dont une partie ne prélève pas de taxe sur la valeur ajoutée, une inégalité de traitement des assujettis, c'est-à-dire des concessionnaires en tant qu'exploitants de l'infrastructure routière, en raison de la différence de traitement fiscal des différents types de péages routiers. Afin de limiter cette inégalité, le royaume d'Espagne a donc opté pour une réduction du taux. D'après lui, cette méthode n'a en outre aucun effet sur les ressources propres de la Communauté et n'est de toute façon pas contraire à la sixième directive.

12. D'autre part, l'annexe H, catégorie 5, de la sixième directive est applicable en l'espèce, selon le royaume d'Espagne. Certes, il est possible qu'une interprétation étroite de la notion de «transport des personnes et des bagages qui les accompagnent» ne couvre pas la mise à disposition d'une infrastructure routière contre paiement d'une redevance. En l'occurrence, il convient toutefois de partir d'une interprétation logique ou téléologique, qui ne se base pas uniquement sur le texte législatif. Compte tenu de la nécessité de trouver une solution qui permette aux États membres d'appliquer un taux d'imposition comparable, la notion en cause doit être conçue de manière large, ce qui va dans le sens de l'objectif qui consiste, en matière fiscale, à respecter les principes de neutralité et de non-discrimination.

13. Comme la Commission persistait cependant à voir dans ce procédé une infraction à la sixième directive, elle a fait parvenir, par courrier du 10 août 1998, un avis motivé, conformément à l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE). Elle y attire de nouveau l'attention du gouvernement espagnol sur le fait que l'application d'un taux d'imposition réduit constitue une violation des obligations résultant de l'article 12 de la sixième directive et elle l'invite à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans le délai de deux mois à compter de sa notification.

14. La réponse du secrétaire général du ministère de l'Économie et des Finances, autorité compétente sur le plan technique, en date du 28 septembre 1998, rappelle pour l'essentiel les arguments déjà invoqués.

15. Au vu de cette réponse des autorités espagnoles, la Commission a introduit le présent recours, enregistré au greffe de la Cour le 8 mars 1999, estimant que le royaume d'Espagne ne s'était pas conformé à l'avis motivé.

16. Elle conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

1) constater qu'en appliquant un taux réduit à la prestation de services consistant à mettre une infrastructure routière à la disposition des usagers, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12 de la directive 77/388/CEE, sixième directive TVA du Conseil, du 17 mai 1977;

2) condamner le royaume d'Espagne aux dépens.

17. Le royaume d'Espagne conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

1) rejeter le recours de la Commission;

2) condamner la Commission aux dépens.

IV - Les arguments des parties

18. La Commission fait valoir que le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée n'est applicable qu'aux prestations de services mentionnées dans l'annexe H de la sixième directive. Elle ne saurait souscrire à l'interprétation large de la directive que fait le royaume d'Espagne ni accepter l'assimilation de la mise à disposition de l'infrastructure par les concessionnaires avec le transport des personnes et des bagages qui les accompagnent, prétendument nécessaire afin d'éviter la discrimination. La Commission conteste aussi l'existence d'une distorsion de concurrence, invoquée par le royaume d'Espagne, et résultant du traitement fiscal différent des péages routiers dans les divers États membres. En tout, les péages routiers existent dans neuf des quinze États membres. Seuls quatre d'entre eux (la France, l'Italie et le Portugal, outre l'Espagne) possèdent une infrastructure routière soumise à péage d'une ampleur comparable. Dans les autres États membres, seuls certains tronçons, ponts ou tunnels sont soumis à péage. Cinq de ces pays - dont la France - n'ont pas assujetti le péage à la TVA, et c'est pourquoi des recours en manquement ont été introduits à leur encontre . La distorsion de concurrence, si elle existe, n'est pas si importante que le royaume d'Espagne le prétend dans sa justification.

19. Par ailleurs, un État membre ne saurait exciper du mauvais comportement d'autres États membres pour justifier un manquement.

20. Il convient de noter aussi, dit la Commission, que la facturation de la TVA sur les péages permet aux usagers des infrastructures de déduire cette dernière, le cas échéant, et préserve donc le principe de la neutralité de la taxe.

21. Poursuivant, la Commission considère que la catégorie 5 de l'annexe H n'est pas applicable au cas d'espèce. Lorsqu'il y a transport des personnes et des bagages qui les accompagnent, l'assujetti s'engage à transporter d'un lieu à un autre des personnes ou des biens. Or, les concessionnaires mettent en l'occurrence à la disposition des usagers une infrastructure routière, à savoir des autoroutes, qui permet un déplacement plus rapide. Même une interprétation large de la notion ne permet pas d'assimiler les deux cas.

22. Pour la Commission, il y a lieu de considérer que le vrai motif d'application d'un taux réduit est d'inviter les concessionnaires à baisser le péage ou d'éviter une hausse.

23. Comme dans la procédure préliminaire, le gouvernement espagnol invoque pour justifier sa démarche, d'une part, des distorsions de concurrence résultant des différences de traitement fiscal des taxes autoroutières dans les États membres et, d'autre part, la catégorie 5 de l'annexe H de la sixième directive.

24. Même si la prestation de services en cause - la mise à disposition d'une infrastructure routière - a une portée différente suivant les États membres, cela ne justifie pas des distorsions de concurrence qui défavoriseraient des opérateurs du marché.

25. Le seul fait qu'un grand nombre d'usagers ne seraient pas en mesure de faire valoir une déduction de la taxe permet déjà, d'après le gouvernement espagnol, de mettre en évidence une inégalité de traitement aux dépens des exploitants espagnols d'autoroutes en cas d'application du taux normal de TVA. Cela renchérirait en effet la prestation fournie, ce qui aurait des effets négatifs sur la demande, de sorte que les différences de traitement fiscal aboutiraient à un déséquilibre, parce que les exploitants des autres pays pourraient accroître leurs volumes d'activités.

26. Le gouvernement espagnol s'appuie en outre sur le principe de la confiance légitime. La Commission a engagé en 1989 plusieurs recours en manquement contre d'autres États membres, qui n'avaient pas soumis ces prestations au taux normal de TVA; or, ces procédures ont été suspendues jusqu'à fin 1997. Lorsqu'a été pris le décret royal d'août 1997, le royaume d'Espagne ne pouvait donc pas s'attendre à ce que la Commission poursuive de nouveau les États membres. La suspension des divers recours en manquement a créé les conditions de la confiance légitime au profit du royaume d'Espagne.

27. Par sa démarche, c'est-à-dire l'imposition à un taux réduit, le royaume d'Espagne entendait atteindre trois objectifs. Premièrement, cela aurait permis de réduire les conséquences de la distorsion de concurrence ainsi que l'inégalité de traitement entre usagers. Deuxièmement, il s'agissait d'une mesure provisoire qui devait durer jusqu'à ce que fût trouvée une solution définitive au niveau communautaire. Cette conception a été aussi communiquée à la Commission. Troisièmement, la mesure choisie n'a entraîné aucun préjudice pour la Communauté; un taux réduit a été appliqué afin d'éviter des effets sur le système des ressources propres des Communautés.

28. Pour ce qui est de l'applicabilité de la catégorie 5 de l'annexe H de la sixième directive, le gouvernement espagnol fait valoir qu'il n'a pas donné à cette disposition un sens trop large mais s'est contenté de l'interpréter à la lumière du traité. Celui-ci impose le principe de la protection de la libre concurrence. Compte tenu de la situation qui prévalait avant l'introduction du taux réduit, le royaume d'Espagne n'était pas seulement autorisé à atténuer les effets anticoncurrentiels, il y était aussi obligé.

V - Discussion

29. La mise à disposition d'une infrastructure routière par des concessionnaires constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux, selon les termes de l'article 2, point 1, de la sixième directive . L'exigence d'un lien direct entre la prestation de services et la contrepartie, le péage, est remplie .

30. D'après, notamment, la jurisprudence de la Cour de justice, l'activité économique au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive est à considérer comme une notion ample, indépendante de ses buts ou de ses résultats et qui n'est pas essentiellement ou exclusivement orientée vers le fonctionnement du marché ou la vie économique. Il suffit qu'elle soit concrètement liée de quelque façon que ce soit à la vie économique , ce qui impose de tenir compte des réalités économiques . En l'occurrence, la mise à disposition de l'infrastructure routière contre paiement d'un péage entre dans le cadre d'un régime de concessions.

31. Étant donné que les concessionnaires exercent indépendamment cette activité économique, ils sont assujettis au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la sixième directive. Ils exercent cette activité en leur nom propre et non pas au nom ou pour le compte de l'État. C'est pourquoi il est aussi possible de repousser l'hypothèse selon laquelle l'activité de mise à disposition d'une infrastructure routière serait une activité exercée dans le cadre de la puissance publique, pour laquelle l'État, en tant qu'exploitant, ne serait pas assujetti, en vertu de l'article 4, paragraphe 5, de la directive.

32. Il découle de tout ce qui précède que l'activité dont il est question en l'espèce est une prestation de services assujettie à la TVA. Pour que l'application d'un taux réduit soit possible, cette prestation doit entrer dans le cadre de l'annexe H de la directive.

33. Or, il n'est pas possible d'admettre l'assimilation de la prestation de services consistant à mettre à disposition une infrastructure routière à la catégorie 5 de l'annexe H de la sixième directive dénommée «transport des personnes et des bagages qui les accompagnent».

34. Les dispositions pertinentes ne comportent pas de définition communautaire de cette notion. Afin de cerner sa signification, il convient donc d'examiner le contexte dans lequel elle se situe, ce qui implique de tenir compte du régime établi par la sixième directive.

35. D'après son objectif et le libellé de son article 2 en particulier, le principe fondamental de la directive est à comprendre en ce sens que toute livraison de biens ou prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti est soumise à la TVA au taux plein, à moins d'en être expressément exonérée ou que l'application d'un taux réduit soit possible. Les dispositions relatives à la réduction du taux et aux opérations sont donc d'interprétation étroite, étant donné qu'elles constituent une exception au principe fondamental de la directive.

36. Cela signifie donc que, en l'espèce, il convient de donner son sens habituel à la notion de «transport des personnes et des bagages qui les accompagnent». Cela signifie donc que tout contrat présentant un rapport avec l'idée de transport au sens le plus large ne relève pas automatiquement de cette notion. Dans le cas contraire, la réduction des taux serait appliquée largement, ce qui n'est justement pas souhaité. Il faut donc que les éléments relatifs au transport dominent dans l'accord contractuel passé entre les concessionnaires en tant qu'exploitants de l'infrastructure et les usagers.

37. Or, la mise à disposition d'une infrastructure routière contre versement d'un péage ne remplit pas cette condition. Certes, le tronçon concerné est mis à la disposition de l'usager pour une certaine durée (temps de trajet), à titre onéreux. Toutefois, ce qui domine ici, ce ne sont pas les éléments relatifs au transport étant donné que ce qui intéresse l'usager, c'est de parcourir un certain trajet dans les meilleures conditions de rapidité et de sécurité. Ce que les concessionnaires s'engagent contractuellement à fournir, ce n'est justement pas un «transport». Cela reste l'affaire des usagers qui ne se servent des autoroutes à péage que dans le but de se déplacer et d'atteindre leur destination plus rapidement et avec un meilleur confort.

38. La nécessité d'interpréter la notion de manière étroite ressort aussi d'une comparaison des seize autres catégories citées à l'annexe H (voir ci-dessus, note 4), qui concernent essentiellement des livraisons et prestations de services à caractère social ou culturel ou des prestations de l'aide sociale générale.

39. L'assimilation de la mise à disposition d'une infrastructure routière permettant des déplacements rapides et sûrs et accroissant la mobilité générale au transport des personnes et des bagages étendrait les cas d'application de l'annexe H et constituerait donc une dérogation à la règle fondamentale d'imposition à taux plein qui ne correspondrait pas à la finalité de la directive.

40. Il ne serait donc en fait pas nécessaire d'examiner le reste des arguments et justifications invoqués par le royaume d'Espagne en faveur du taux réduit. Du reste, ils ne résistent pas à l'examen.

41. Le gouvernement espagnol justifie l'application du taux réduit par de prétendues distorsions de concurrence résultant des différences de traitement fiscal du péage dans les États membres.

42. Il y a lieu de constater d'emblée qu'il n'existe pas de concurrence entre les exploitants d'autoroutes espagnols et ceux des autres États membres dans lesquels, à tort, le péage n'est pas soumis à la TVA. La situation géographique montre qu'aucun automobiliste espagnol n'emprunterait une autoroute française éventuellement moins chère. Le fait que les perspectives de gain des concessionnaires espagnols sont peut-être moindres n'entre pas en ligne de compte.

43. Concrètement, il n'y aurait distorsion de concurrence que si, par exemple, des organismes d'État non imposables étaient en concurrence pour une même prestation avec une personne privée imposable et, partant, étaient en mesure de fournir leurs prestations à meilleur marché grâce à leur exonération fiscale. Or, le gouvernement espagnol n'a rapporté aucun fait de ce genre qui laisserait supposer une situation de concurrence.

44. Les autres arguments évoqués par le royaume d'Espagne en ce qui concerne les distorsions de concurrence ne sont pas davantage tenables. D'une part, le domaine d'application de la directive - ce que révèlent plusieurs de ses dispositions - se limite aux rapports internes. En tout état de cause, on ne voit pas ici de violation de l'obligation d'égalité de traitement entre ressortissants nationaux. D'autre part, les cas de distorsion mentionnés - impossibilité de déduction fiscale ou favoritisme en matière de coûts - ne sont pas liés à la non-imposition dans d'autres pays ou à l'obligation fiscale en Espagne, mais à la mauvaise application du droit par d'autres États membres. La Cour ayant dit le droit, il n'est pas douteux que les États membres dans lesquels existe une infrastructure routière soumise à péage seront amenés eux aussi à prélever la TVA.

45. Même si l'existence de différences entre les États membres en matière d'application de la TVA sur les taxes autoroutières n'est pas niée, étant donné que certains États membres appliquent le taux normal alors que d'autres, en revanche, ne prélèvent pas de TVA, il n'appartient pas aux États membres de combler les différences en prenant des mesures unilatérales.

46. La sixième directive vise à harmoniser le droit des États membres en matière de taxes sur le chiffre d'affaires. C'est pourquoi notamment - d'après le neuvième considérant - l'application du taux communautaire aux opérations imposables doit conduire à des résultats comparables dans tous les États membres. De manière générale, l'existence d'un système de TVA harmonisé indique que les États membres ne gardent leur liberté d'action que lorsque les dispositions communautaires pertinentes le prévoient expressément.

47. Tous les États membres sont toutefois tenus d'appliquer la TVA au taux normal à une prestation de services telle que la mise à disposition d'une infrastructure routière par des concessionnaires, de sorte qu'il est interdit à l'un d'eux, dans le système de la sixième directive, visant à éliminer les différences d'imposition, de suivre le mauvais exemple d'autres. Ce sont justement ces autres États membres qui sont tenus pour leur part d'appliquer le taux d'imposition conformément aux règles de la sixième directive.

48. D'après la jurisprudence constante de la Cour de justice, un État membre ne saurait exciper du fait que d'autres États n'ont pas davantage respecté leurs obligations .

49. Dans ces conditions, le gouvernement espagnol ne saurait pas non plus justifier son comportement par une violation de la neutralité fiscale, d'autant plus que cette violation n'existe pas, ni par le principe de confiance légitime. D'une part, la Commission a mené la procédure de manquement à l'encontre du royaume d'Espagne pendant pas moins de quinze mois (voir ci-dessus, points 9 à 15), et, d'autre part, le comportement fautif d'autres États membres ne saurait créer chez un justiciable aucun état de confiance justifiant ses propres défaillances. Le délai de plusieurs années, dont on peut juger la durée incompréhensible, qui s'est écoulé entre l'introduction de la procédure en manquement, d'une part, et celle du recours, d'autre part, dans les cinq autres affaires citées (voir ci-dessus, point 26 et note 5 au point 17) pourrait tout au plus avoir des effets si des remboursements rétroactifs étaient exigés, ce qui n'est toutefois pas le cas en l'occurrence.

50. Comme la prestation de services en cause aurait dû être soumise au taux normal de la TVA, le royaume d'Espagne ne saurait non plus se prévaloir de son dernier argument, selon lequel il ne s'agissait que de mesures provisoires qui, de surcroît, n'ont eu aucun effet (négatif) sur le système des ressources propres des Communautés.

51. La thèse de la suppression des distorsions de concurrence avancée par le gouvernement espagnol est donc à rejeter dans sa totalité.

52. Il convient de constater en résumé que le royaume d'Espagne a violé les obligations que lui imposait la sixième directive en appliquant un taux d'imposition réduit à une prestation de services consistant à mettre à disposition une infrastructure routière.

VI - Les dépens

53. D'après l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Étant donné que la Commission a demandé la condamnation du royaume d'Espagne et que celui-ci a succombé dans ses arguments, les dépens doivent être mis à sa charge.

VII - Conclusions

54. Sur la base des considérations qui précèdent, il est proposé de répondre ce qui suit:

«1) Le royaume d'Espagne a violé les obligations que lui imposait l'article 12 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, en appliquant un taux d'imposition réduit à une prestation de services consistant, pour des concessionnaires, à mettre à la disposition des automobilistes une infrastructure routière.

2) Le royaume d'Espagne est condamné aux dépens.»