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Avis juridique important

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61999C0345

Conclusions jointes de l'avocat général Geelhoed présentées le 22 février 2001. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Affaires C-345/99 et C-40/00. - Manquement d'Etat - TVA - Article 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive TVA - Déductibilité de la taxe sur l'acquisition de véhicules affectés à la réalisation d'opérations taxables - Limitation aux véhicules affectés exclusivement à l'enseignement de la conduite - Réintroduction, après la date d'entrée en vigueur de la directive, d'une suppression totale du droit à déduction de la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour des véhicules et des engins n'ouvrant pas droit à déduction.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-04493


Conclusions de l'avocat général


1. La Commission des Communautés européennes conclut, dans les deux affaires, à ce qu'il plaise à la Cour constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «directive»). La République française est soutenue par le Royaume-Uni dans l'affaire C-345/99.

2. Nous avons choisi de traiter les deux recours dans le cadre des mêmes conclusions, bien que la Cour n'ait pas joint ces affaires. Nous sommes parvenu à ce choix parce que le traitement des deux affaires dans les mêmes conclusions est susceptible de déboucher sur une meilleure compréhension de la problématique centrale en cause, à savoir l'interprétation de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive. Nous sommes bien conscient que les deux affaires sont sans doute liées quant au fond, mais qu'elles ne sont pas identiques.

3. La requête de la Commission dans l'affaire C-345/99 porte sur les faits suivants. La République française a introduit un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour les moyens de transport destinés à l'enseignement de la conduite (conduite automobile, pilotage, etc.), ce qui, en soi, est conforme à l'objectif et au contenu de la directive. La République française subordonne cependant ce droit à déduction à la condition que ces moyens de transport ne soient utilisés à aucune autre fin professionnelle. Le litige porte sur le point de savoir s'il est permis de prévoir une telle condition lors de l'introduction du droit à déduction.

4. La requête de la Commission dans l'affaire C-40/00 concerne les faits suivants. La République française a réintroduit, à compter du 1er janvier 1998, un système dans lequel la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée est exclue pour le gazole utilisé comme carburant pour des véhicules n'ouvrant pas droit à déduction. Une exclusion de ce type existait déjà en France auparavant, lors de l'entrée en vigueur de la directive en 1979. Ce régime est demeuré en place jusqu'au 30 juin 1982. Au 1er juillet 1982, la République française a cependant introduit une déductibilité partielle. Celle-ci a de nouveau été abrogée au 1er janvier 1998. Le litige porte sur la question de savoir si la République française est compétente pour réintroduire une exclusion qui n'avait plus été utilisée entièrement.

Le cadre juridique communautaire

5. La directive a notamment pour but - dans le cadre d'un système harmonisé de taxes sur le chiffre d'affaires introduisant une taxe sur la valeur ajoutée - d'harmoniser les régimes de déduction dans la mesure où ils ont une influence sur le niveau effectif de la perception .

6. L'article 17, paragraphe 2, de la directive prévoit à cette fin que:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

b) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés;

c) la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l'article 5 paragraphe 7 point a) et à l'article 6 paragraphe 3.»

7. Le paragraphe 6 de l'article 17 de la directive est aussi important pour la présente affaire; il est libellé comme suit:

«Au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive.»

8. Aucune disposition communautaire au sens de l'article 17, paragraphe 6, n'a encore été arrêtée à ce jour, et ce bien que la période visée dans ce paragraphe ait pris fin depuis longtemps .

9. Signalons encore l'article 27 de la directive, qui introduit une possibilité de déroger au régime de TVA. Son paragraphe 1 est libellé comme suit:

«Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.»

Les litiges

Affaire C-345/99

10. Lorsque la directive est entrée en vigueur le 1er janvier 1979, la législation française prévoyait que les véhicules de tourisme ne bénéficiaient pas de la déduction de la TVA, à l'exception des véhicules affectés au transport public de voyageurs. Depuis le 1er janvier 1993, la législation fiscale française (article 273 septies A du code général des impôts) a introduit un droit à déduction pour les moyens de transport affectés à l'enseignement de la conduite (conduite automobile, pilotage d'avions, etc.) à condition que ces moyens de transport ne soient utilisés à aucune autre fin professionnelle.

11. Par lettre du 18 juin 1998, la Commission a mis la République française en demeure parce qu'elle estimait que l'introduction de la condition d'«usage exclusif» était incompatible avec l'article 17 de la directive. Dans sa réaction du 13 octobre 1998 à la mise en demeure, le gouvernement français a fait valoir qu'un État membre qui limite la portée d'une exclusion agit conformément à l'article 17, paragraphe 6, de la directive. Il détermine en effet dans quels cas une exclusion n'est plus applicable. La Commission a par la suite adressé un avis motivé à la République française le 10 mars 1999, auquel le gouvernement français a répondu par lettre du 1er juin 1999 en confirmant son point de vue.

Affaire C-40/00

12. La législation fiscale française précise (article 298, 4-1° du code général des impôts) depuis le 1er janvier 1998 que la TVA afférente aux achats, importations, acquisitions intracommunautaires, livraisons et services portant sur les gazoles utilisés comme carburants (etc.) n'est pas déductible. Avant le 1er janvier 1998, c'est le régime suivant qui était applicable en France. Lors de l'entrée en vigueur de la directive (au 1er janvier 1979), la déductibilité pour le gazole, utilisé en tant que carburant, était aussi exclue entièrement. Au 1er juillet 1982, le législateur a cependant introduit une déductibilité partielle. Cette déductibilité partielle est passée de 10 % en 1982 à 80 % en 1991 et, depuis lors, le taux de déduction de la TVA se situait à 50 %. La déductibilité partielle a donc de nouveau été abrogée au 1er janvier 1998.

13. Par lettre du 24 juillet 1998, la Commission a mis la République française en demeure, parce qu'elle estimait que la réintroduction de l'exclusion totale n'est pas compatible avec l'article 17 de la directive. Dans sa réaction du 30 octobre 1998 à la mise en demeure, le gouvernement français a fait valoir qu'il était libre de modifier le régime de la déduction, à condition de demeurer dans les limites de la situation existant dans sa législation nationale lors de l'entrée en vigueur de la directive. Par la suite, la Commission a adressé un avis motivé à la République française le 19 juillet 1999, le gouvernement français réitérant son point de vue par lettre du 10 décembre 1999.

Les griefs de la Commission

Sur l'interprétation de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive

14. La Commission souligne avant tout que l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, constitue une disposition dérogatoire à la règle générale, qui doit être interprétée de façon restrictive. Cette disposition permet uniquement aux États membres de maintenir les exclusions à la déductibilité de la TVA qui existaient déjà dans leur législation nationale lors de l'entrée en vigueur de la directive. La Commission rappelle à ce propos que, d'après la jurisprudence constante de la Cour, la déductibilité est un élément fondamental du régime de TVA et que les limitations de ce droit à déduction ne sont possibles que dans les cas prévus expressément par la directive . L'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, ne donne pas de pouvoir d'appréciation plein et entier aux États membres pour introduire et modifier un régime national dérogatoire suivant leurs propres critères.

15. Dans les deux affaires, la Commission soutient que la République française sort du champ d'application de l'article 17, paragraphe 6, en introduisant un droit à déduction partielle ou conditionnelle, et que, ce faisant, elle a épuisé son droit de faire pleinement usage de la disposition dérogatoire. Ce n'est plus le paragraphe 6 de l'article 17 qui importe et le régime français doit être apprécié au regard du paragraphe 2 de l'article 17. Dans l'affaire C-40/00, il est devenu impossible d'appliquer l'article 17, paragraphe 6, dès 1982, lors de la première introduction du droit à déduction partielle.

16. La Commission considère que le régime de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, est une obligation de «standstill» dans l'attente d'une réglementation communautaire. Il s'agit d'une obligation de «standstill», affirme la Commission dans l'affaire C-345/99, et non d'une clause de désarmement progressif des États membres . Cette obligation doit faire obstacle à des mesures unilatérales d'États membres susceptibles de déclencher des mesures comparables d'autres États membres, ce qui a pour effet d'accroître les distorsions de concurrence et d'entraver l'acceptation de mesures communautaires d'harmonisation. En outre, une telle démarche mettrait en péril l'harmonisation déjà atteinte.

17. La Commission examine la jurisprudence relative à l'article 28, paragraphe 3, sous b), cette disposition habilitant les États membres à maintenir une exonération pendant une période transitoire. La Commission déclare que l'arrêt du 29 avril 1999, Norbury Developments , n'est pas applicable à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Dans cet arrêt, la Cour permet qu'un État membre compétent pour maintenir entièrement une exonération de TVA puisse aussi la limiter. De l'avis de la Commission, l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, se distingue néanmoins de façon substantielle de l'article 28, étant donné que - contrairement à ce dernier - il n'a pas pour but clairement établi de charger par la suite le Conseil de réglementer l'exclusion du droit à déduction.

Autres griefs dans l'affaire C-345/99

18. Partant de l'idée que l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive n'est pas applicable au présent cas d'espèce, la Commission examine le droit à déduction limitée introduit par la République française au regard des dispositions de l'article 17, paragraphe 2.

19. La Commission conteste le caractère conditionnel du droit à déduction. Elle estime que, en subordonnant ce droit à des critères purement nationaux, on le vide de sa substance. Seul le législateur communautaire est compétent pour modifier le droit à déduction. De plus, la condition appliquée en l'espèce, à savoir l'affectation exclusive du véhicule à l'enseignement, ne se retrouve pas et n'est pas prévue par la directive.

20. La Commission est d'avis que l'article 17, paragraphe 2, ne prévoit ni ne permet d'établir une distinction entre différents types d'usages. Elle invoque l'arrêt Lennartz , dans lequel la Cour a reconnu l'existence du droit à déduction, même si un bien ou un service n'est affecté que très partiellement à des fins professionnelles.

21. La Commission souligne que la République française aurait pu atteindre le même résultat sans enfreindre la directive, si elle avait demandé une dérogation en vertu de son article 27. D'autres dispositions de la directive, telles que la règle du prorata visée à l'article 19, offrent aussi une protection contre un usage abusif de la possibilité de déduction. Cette protection a constitué un argument important pour le gouvernement français afin de subordonner le droit à déduction à une condition.

Autres griefs dans l'affaire C-40/00

22. La mesure française excluant la déductibilité de la TVA est justifiée par la protection de l'environnement (réduction de la pollution atmosphérique). D'après la Commission, la protection de l'environnement ne peut, en soi, pas justifier une violation de la directive. Les États membres peuvent en effet adopter d'autres mesures qui sont elles conformes au droit communautaire. La Commission se demande par ailleurs si - eu égard à sa portée limitée - la mesure peut effectivement contribuer à la protection de l'environnement.

23. Le dernier argument de la Commission concerne des amendements antérieurs du droit à déduction de la TVA dans la législation française. Contrairement à ce qu'affirme le gouvernement français, la Commission n'a jamais formellement été informée de modifications de la loi française. La Commission renvoie à cet égard à la jurisprudence constante de la Cour, qui lui accorde le libre choix du moment auquel elle met un État membre en demeure. Dans ces conditions, la prétendue inaction de la Commission n'est pas de nature à faire naître une quelconque confiance légitime dans le chef du gouvernement français quant à la conformité de son comportement au regard du droit communautaire .

La défense de la République française

Sur l'interprétation de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive

24. Le gouvernement français juge erronée l'interprétation excessivement restrictive à ses yeux que donne la Commission de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Il se fonde en revanche sur une interprétation large. Il cite notamment à l'appui de sa thèse l'arrêt rendu par la Cour le 5 octobre 1999, Royscot e.a. . Le gouvernement français soutient en bref que l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, a pour seul objectif d'interdire que les États membres introduisent des exclusions qui n'existaient pas encore dans leur législation nationale lors de l'entrée en vigueur de la directive. Dès lors, les États membres peuvent modifier leur législation nationale relative à l'exclusion du droit à déduction si les amendements en cause ne vont pas au-delà du cadre délimité par cet objectif.

25. Dans l'affaire C-40/00, le gouvernement français conteste la cohérence de l'analyse de la Commission étant donné qu'elle a autorisé l'introduction - en 1982 - d'un droit à déduction partielle. Il est d'avis que, d'après le raisonnement de la Commission, seul un droit à déduction totale serait envisageable. En effet, c'est dans cette hypothèse uniquement que l'on ne pourrait pas parler d'introduction de mesures d'exclusion qui existaient déjà lors de l'entrée en vigueur de la directive.

26. Le gouvernement français ne partage pas la préoccupation de la Commission de voir l'introduction de mesures nationales, telles que les mesures litigieuses en l'espèce, entraîner l'adoption de mesures unilatérales d'autres États membres ou même mettre en péril le niveau d'harmonisation existant. Dans son arrêt Lennartz , la Cour a en effet dit pour droit que les dérogations au système ne sont permises dans la législation nationale que dans les cas prévus par la directive.

27. Contrairement à la Commission, la République française (dans les moyens de défense qu'elle a présentés dans l'affaire C-345/99) estime que la jurisprudence relative à l'article 28, paragraphe 3, sous b), à savoir l'arrêt rendu le 29 avril 1999 dans l'affaire Norbury Developments , doit être appliquée à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Il doit exister une alternative pour les États membres entre le maintien d'une exception et sa suppression totale. Le raisonnement de la Commission, d'après laquelle il n'existe pas d'alternative de ce type, aurait la conséquence indésirable que les États membres maintiendraient entièrement une exception, ce qui aurait une influence défavorable sur la neutralité et l'harmonisation du système de TVA.

Autres points dans l'affaire C-345/99

28. Dans cette affaire, l'un des principaux arguments du gouvernement français est que la mesure de 1993 n'institue pas de nouveau régime d'exclusion du droit à déduction de la TVA, mais comporte seulement une modification d'une exclusion existante, dans le cadre de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Le but poursuivi est de modifier et d'assouplir l'exclusion du droit à déduction et non d'introduire un principe de déductibilité.

29. Le gouvernement français examine en détail le contenu et la portée de l'exclusion du droit à déduction dans sa législation nationale. Cette exclusion est fondée sur deux critères, à savoir la nature intrinsèque des moyens de transport et leur affectation. L'utilisation de moyens de transport à des fins d'enseignement ne peut que déboucher sur une dérogation à l'exclusion du droit à déduction. Les critères en vertu desquels il est possible de recourir à cette dérogation ont été modifiés en 1993, sans que cela ait entraîné de modification du champ d'application de l'exclusion du droit à déduction de la TVA.

30. La thèse défendue par le gouvernement français à propos de l'applicabilité de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, a pour conséquence qu'il ne doit pas se pencher sur la possibilité évoquée par la Commission de demander une dérogation en vertu de l'article 27 de la directive. Le gouvernement français n'examine pas davantage les méthodes visées par la Commission pour tenir compte de formes d'usage professionnel, telles que l'affectation à des fins d'enseignement.

31. La République française souligne que la Commission a déjà engagé en 1990 une procédure précontentieuse qu'elle a clôturée en 1994. Par la suite, la Commission a de nouveau ouvert cette procédure en 1998, en se fondant sur les mêmes raisons.

32. La République française est soutenue par le Royaume-Uni dans la présente affaire. Celui-ci souligne encore que, dans l'affaire Norbury Developments , la Commission a défendu sur un point important une position différente de celle qu'elle adopte aujourd'hui. S'agissant de l'application de l'article 28 de la directive, la thèse de la Commission revient à dire que qui peut le plus (exonération totale d'une opération déterminée par un État membre) peut aussi le moins (exonération partielle de cette opération).

Autres points dans l'affaire C-40/00

33. Le gouvernement français souligne que l'exclusion du droit à déduction de la TVA poursuit un objectif environnemental. Cette mesure contribue à réaliser un objectif auquel l'ordre juridique communautaire accorde une grande valeur. Le gouvernement français s'étonne que la Commission se pose des questions quant à l'effectivité de cette mesure. Une mesure de ce type ne peut naturellement jamais constituer une solution aux problèmes d'environnement liés à la qualité de l'air. Elle fait partie d'une série de mesures fiscales qui doivent inciter à l'achat et à l'utilisation de véhicules moins polluants.

34. Enfin, le gouvernement français conteste qu'il n'aurait pas informé la Commission à propos de modifications antérieures de sa législation. Il étaye ses dires en fournissant de la correspondance des années 1990, 1991 et 1992. Il indique que la mesure de 1991, dont la Commission aurait été informée par lettre du 6 novembre 1992, n'a pas donné lieu à des observations de celle-ci. Cette mesure a ramené le pourcentage de déduction autorisée de 80 à 50 %.

Jurisprudence relative à l'article 17 de la directive

35. Dans les litiges qui nous occupent, l'interprétation de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive occupe une place centrale. Cette interprétation est déterminée dans une large mesure par la jurisprudence de la Cour relative à l'article 17, ainsi que par un arrêt traitant de l'article 28 de la directive.

36. L'article 17 de la directive, qui régit le droit à déduction de la TVA, a suscité une jurisprudence abondante. Dans l'arrêt qu'elle a récemment rendu le 19 septembre 2000 dans les affaires jointes Ampafrance (C-177/99) et Sanofi (C-181/99) , la Cour a de nouveau décrit la nature du droit à déduction dans le système de TVA communautaire. Ainsi, d'après la Cour, c'est un «principe fondamental» du système de TVA que celle-ci s'applique déduction faite de la TVA qui a grevé directement les opérations effectuées en amont . La Cour souligne que, selon une jurisprudence constante, le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut être limité que dans les cas expressément prévus par la directive. En effet, toute limitation du droit à déduction de la TVA a une incidence sur le niveau de la charge fiscale et doit s'appliquer de manière similaire dans tous les États membres.

37. Dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire Ampafrance et Sanofi, l'avocat général Cosmas examine de façon plus générale la nature de l'article 17 de la directive . Il rappelle que le droit à déduction constitue un des fondements de l'édifice fiscal communautaire. Il est en relation directe avec les principes fondamentaux de la neutralité de la taxe et de l'égalité de traitement fiscal. Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 21 septembre 1988 dans l'affaire Commission/France , la Cour parle à ce propos de la garantie de la «parfaite neutralité quant à la charge fiscale» de toutes les activités économiques. L'avocat général Cosmas souligne lui aussi une nouvelle fois dans les conclusions précitées que les dérogations à ce droit à déduction ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la directive.

38. La disposition de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive doit être considérée comme une possibilité de ce type pour les États membres en vue de déroger au droit à déduction de la TVA. Il faut par la suite se demander comment il y a lieu d'interpréter cette possibilité de dérogation. La Cour s'est penchée sur cette question dans deux affaires. Nous les synthétiserons brièvement ci-dessous.

39. Dans son arrêt Commission/France , la Cour a donné raison à cette dernière dans un cas où elle avait maintenu des dispositions législatives nationales en vertu desquelles la déductibilité de la TVA afférente aux moyens de transport constituant l'outil même de l'activité de l'assujetti est exclue. Ce faisant, la Cour a donné une interprétation large de la dérogation visée à l'article 17, paragraphe 6, en disant pour droit que le pouvoir visé au deuxième alinéa ne se limite pas aux dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel. La Cour se base notamment sur la genèse de la directive. D'ailleurs, cette affaire portait dans une large mesure sur la même matière que l'affaire C-345/99, à savoir la déduction pour les véhicules affectés à l'enseignement de la conduite.

40. Dans son arrêt Royscot e.a. , la Cour a retenu une interprétation analogue. La Cour a dit pour droit que l'article 17, paragraphe 6, autorise les États membres à maintenir des exclusions générales du droit à déduction de la TVA due sur l'achat de véhicules automobiles utilisés par l'assujetti pour les besoins de ses opérations taxées. La compétence ainsi accordée aux États membres n'est cependant pas illimitée. Les États membres ne disposent pas d'un pouvoir discrétionnaire absolu d'exclure tous ou quasiment tous les biens et services du régime du droit à déduction et de vider ainsi de sa substance le régime instauré par la directive .

41. Se fondant sur les affaires que nous venons de synthétiser, l'avocat général Cosmas en arrive à déclarer dans les conclusions précitées que la Cour laisse aux États membres un pouvoir d'appréciation particulièrement large limité par le seul fait que les États membres ne peuvent pas vider le système de la directive de sa substance.

42. L'arrêt Royscot e.a. est encore intéressant à un titre. La Cour y a examiné le caractère transitoire de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Cette disposition doit être interprétée en ce sens que les États membres peuvent maintenir les exclusions du droit à déduction de la TVA, bien que le Conseil n'ait pas déterminé, avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa, les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la TVA .

43. En bref, nous déduisions les éléments suivants de la jurisprudence relative à l'article 17 de la directive: le droit à déduction est un élément fondamental du système de TVA, auquel on ne peut déroger que dans la mesure où la directive le prévoit explicitement. Le système implique cependant aussi que, là où les États membres se sont vu octroyer explicitement une marge de manoeuvre, celle-ci ne peut pas être conçue de façon trop limitée. C'est au Conseil qu'il appartient de délimiter cette marge de manoeuvre en arrêtant les dispositions communautaires prévues dans la directive.

44. Mis à part la jurisprudence relative à l'article 17 de la directive, un autre arrêt qui concerne cette dernière présente lui aussi une importance particulière pour les litiges de l'espèce. Dans son arrêt Norbury Developments , la Cour a porté l'appréciation suivante sur la règle transitoire de l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la directive, d'après laquelle les États membres peuvent continuer à exonérer certaines opérations de la TVA: «[si l'article 28, paragraphe 3, sous b),] s'oppose à l'introduction de nouvelles exonérations ou à l'extension de la portée des exonérations existantes postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la sixième directive, [il] ne fait pas obstacle à la réduction de celles-ci [...]» . Une appréciation différente aurait la conséquence indésirable suivante: «[e]n effet, un État membre pourrait se voir contraint de maintenir l'ensemble des exonérations existantes à la date de l'adoption de la sixième directive, quand bien même il estimerait à la fois possible, approprié et souhaitable de mettre en oeuvre progressivement le régime prévu par celle-ci dans le domaine considéré» .

L'appréciation des litiges

Sur l'interprétation de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive

45. Avant de passer à l'appréciation proprement dite des litiges, nous relevons certains points - pour les besoins d'une bonne compréhension de l'affaire - sur lesquels les parties sont d'accord et que les litiges ne concernent pas selon nous.

46. Il s'agit en premier lieu du fait que, lorsqu'il recourt à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, un État membre peut uniquement adopter des règles qui limitent le droit à déduction de la TVA, et ce tout au plus dans la mesure où son ordre juridique national comportait déjà des règles relatives à la déductibilité lors de l'entrée en vigueur de la directive.

47. De plus, d'après la nature de la directive, les possibilités de déroger à la déductibilité de la TVA ont un caractère limitatif. Dans son arrêt Lennartz , la Cour a dit pour droit que le droit à déduction «doit s'exercer immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées [...] Dès lors que de telles limitations doivent s'appliquer de manière similaire dans tous les États membres, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par ladite directive» .

48. Signalons enfin que le litige se limite à la situation existant à ce jour, dans laquelle le Conseil est en défaut d'avoir adopté les dispositions communautaires prévues par l'article 17, paragraphe 6, premier alinéa. Soulignons à titre surabondant à cet égard que, d'après une jurisprudence constante de la Cour , le pouvoir accordé aux États membres de maintenir leur législation existante relative à l'exclusion du droit à déduction s'applique jusqu'au moment où le Conseil adopte les dispositions visées par cet article, et ce bien que le délai fixé à l'article 17, paragraphe 6, pour adopter lesdites mesures soit dépassé depuis longtemps.

49. Nous en venons maintenant à l'appréciation proprement dite des litiges, ceux-ci portant en substance selon nous sur la détermination de la marge de manoeuvre qu'accorde l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, aux États membres.

50. Nous partageons le point de vue de la Commission, d'après laquelle l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive est une disposition qui doit être interprétée de façon restrictive. Elle constitue l'exception à l'objectif poursuivi par la directive, à savoir la mise en place d'un système harmonisé de taxe sur le chiffre d'affaires, par l'introduction d'une taxe sur la valeur ajoutée. La directive vise aussi à harmoniser les règles de déduction, en tant que composante de ce système. Nous déduisons aussi, de l'arrêt Lennartz , une interprétation restrictive du droit à déduction. En effet, ce droit à déduction doit pouvoir être utilisé pour toutes les opérations ayant été grevées de TVA, sous réserve uniquement des exceptions prévues de façon expresse.

51. Ces éléments n'enlèvent rien au fait qu'un État membre qui recourt à une exclusion prévue expressément par la directive dispose d'une large marge d'appréciation. Celle-ci n'est limitée que dans la mesure définie par la Cour dans son arrêt Royscot e.a. , l'utilisation de cette compétence ne peut vider le régime de la directive de sa substance .

52. La question qui se pose avant tout dans les présentes affaires est de savoir si les mesures françaises demeurent dans le champ d'application de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Ce n'est que lorsqu'il est établi qu'une mesure relève du champ d'application que l'on peut se demander si la marge d'appréciation a été dépassée ou non.

53. Le champ d'application est selon nous limité de deux façons. Tout d'abord, la compétence dont disposent les États membres pour maintenir des exclusions en vertu de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, se limite à la situation, entendue comme étant temporaire, qui existe aussi longtemps que le Conseil n'a pas adopté de dispositions communautaires. La directive part de l'idée que ces dispositions doivent être adoptées dans les quatre années de son entrée en vigueur. En deuxième lieu, la directive parle du maintien de règles nationales qui existaient déjà dans les États membres au moment de son entrée en vigueur.

54. Considérés de façon combinée, ces éléments nous portent à l'appréciation suivante de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive. Cette disposition est entendue comme un régime transitoire temporaire, nécessaire parce que, lorsque la directive est entrée en vigueur, il n'était pas encore possible d'atteindre le résultat qu'elle poursuivait. Cette situation peut être attribuée au fait que, à ce moment, les États membres n'étaient pas encore disposés - ce qui peut d'ailleurs s'expliquer par de bonnes raisons - à remplacer complètement les dispositions existantes par un régime harmonisé. Le caractère temporaire de ce régime transitoire est souligné par le délai de quatre ans visé au premier alinéa de l'article 17, paragraphe 6. Cela n'enlève rien au fait qu'il s'est avéré par la suite - longtemps après - que ce délai n'aurait pas pu être respecté et qu'il n'est toujours manifestement pas possible à ce jour d'atteindre pleinement l'objectif visé par la directive.

55. Les litiges qui nous occupent portent pour l'essentiel sur le sens qu'il y a lieu d'attribuer au caractère temporaire ou transitoire de la dérogation visée à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. S'agit-il avant tout d'une clause de «standstill», ou s'agit-il plutôt d'une autre disposition dérogatoire normale, qui déploie ses effets de façon différente pour les différents États membres, en fonction de la législation nationale existant au 1er janvier 1979?

56. Nous comprenons les thèses défendues par les parties sur ce point de la façon suivante. D'après la Commission, le caractère de clause de «standstill» est central. La disposition permet de maintenir encore un certain temps les règles nationales dérogatoires existant lors de l'entrée en vigueur de la directive. En revanche, le gouvernement français se fonde sur le caractère de disposition dérogatoire. Cette disposition gèle la situation existant au 1er janvier 1979. C'est la situation existant à ce moment qui détermine la marge d'appréciation des États membres. Seule une décision du Conseil, prise conformément au premier alinéa de l'article 17, paragraphe 6, peut réduire cette marge.

57. Dans l'ensemble, nous partageons la position de la Commission selon laquelle le caractère de clause de «standstill» est prédominant. Comme nous l'avons déjà fait observer ci-dessus, cette disposition était nécessaire parce que, au moment de l'adoption de la directive, il n'était pas encore possible d'atteindre pleinement l'objectif qu'elle poursuivait. La Cour a pris position à propos de l'objectif de l'article 17 de la directive dans son arrêt Ampafrance et Sanofi . Elle est en bref d'avis que le droit à déduction est un principe fondamental du système de TVA, qui doit être appliqué de la même façon dans tous les États membres.

58. Dès qu'un État membre abroge une disposition dérogatoire nationale - qui exclut le droit à déduction conformément à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa -, cet objectif est atteint. La charge fiscale est alors la même dans le secteur en cause dans tous les États membres. Un État membre ne peut donc pas réintroduire la disposition dérogatoire à un stade ultérieur. Il réinstaurerait ce faisant l'inégalité entre les législations des États membres en se fondant sur une justification qui existait il est vrai auparavant mais qui a aujourd'hui disparu.

59. Nous souhaitons encore ajouter l'argument qui suit. On ne peut avancer aucune bonne raison qui justifierait pourquoi, dans une situation où la législation des États membres est (entre-temps devenue) analogue, un État membre pourrait effectivement faire usage d'une exclusion visée dans la directive et non les autres. La circonstance qu'il y a eu inégalité auparavant entre les États membres n'est selon nous pas pertinente dans un tel cas.

60. Nous en arrivons à ce stade à la conclusion intermédiaire suivante: dès lors qu'un État membre a supprimé une disposition dérogatoire nationale, il ne peut plus, dans le secteur en cause, recourir à la disposition transitoire de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, sinon il sort du champ d'application de cette disposition. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes confrontés à cette situation pure et simple dans aucun des deux litiges qui nous occupent, parce qu'il n'y a eu de suppression complète d'une disposition dérogatoire nationale dans aucun des deux cas.

61. Il importe maintenant de déterminer si le régime transitoire temporaire cesse aussi de s'appliquer si un État membre modifie la disposition dérogatoire nationale ou la supprime en partie ou l'a supprimée. Les deux litiges en cause concernent une situation de ce type. L'affaire C-345/99 concerne l'introduction du droit à déduction soumis à une condition. L'affaire C-40/00 portait dans un premier temps sur l'introduction du droit à déduction partielle, ensuite sur la modification du pourcentage autorisé de déduction de la TVA et, enfin, sur l'exclusion de nouveau totale du droit à déduction (le véritable objet du litige).

62. Comme on le sait, la Commission est d'avis qu'un État membre sort du champ d'application de l'article 17, paragraphe 6, en introduisant un droit à déduction partielle ou conditionnelle.

63. Cette thèse n'est aucunement étayée selon nous par le texte de la disposition elle-même ni par la jurisprudence y afférente. La nature de clause de «standstill» n'a selon nous pas comme conséquence qu'il est par définition impossible que, dans les secteurs où les États membres disposent d'un choix entre le maintien d'une exclusion et sa suppression, ils soient habilités à décider de supprimer cette exclusion en partie ou progressivement. Qui peut le plus peut en général aussi le moins.

64. Nous renvoyons en particulier à ce propos à l'arrêt Norbury Developments , dans lequel la Cour a souligné l'importance - du point de vue de l'objectif à atteindre par la directive - qu'il y a à ce qu'un État membre ait la possibilité d'appliquer progressivement la directive dans la matière en cause. L'argument de la Commission, d'après lequel ce raisonnement - appliqué à propos de l'article 28 de la directive - ne s'applique pas à l'article 17 de la directive, ne nous convainc pas. Ces deux articles comportent un régime transitoire, nécessaire parce que l'harmonisation complète n'était pas encore possible.

65. La situation se présente cependant sous un jour essentiellement différent selon nous si un État membre applique de nouveau de façon plus large une exclusion dont l'utilisation était limitée à un moment donné par une disposition légale. Nous visons ce faisant la disposition française qui fait l'objet de l'affaire C-40/00, dans laquelle le droit à déduction partielle a été remplacé par une exclusion totale. Nous sommes d'avis que le caractère de clause de «standstill» de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, implique que la possibilité de dérogation a disparu en ce qui concerne la partie pour laquelle l'exclusion du droit à déduction a été supprimée. S'agissant de cette partie, on ne peut plus parler du maintien d'une exclusion. La République française agit donc en dehors du champ d'application de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa.

66. Nous estimons par ailleurs important que, dans le cadre de l'affaire C-40/00, la modification de la législation française ne nous rapproche pas mais nous éloigne du but poursuivi par la directive, à savoir la mise en place d'un système harmonisé de taxe sur le chiffre d'affaires, par l'introduction d'une taxe sur la valeur ajoutée. Une mesure comme celle de l'espèce, qui se traduit précisément par un recul du niveau d'harmonisation, est dès lors contraire au but et au contenu de la directive. Rappelons que, du fait du principe «qui peut le plus peut aussi le moins», il existait un argument important pour permettre le retrait progressif ou partiel d'une exclusion. Cet argument ne joue pas en l'espèce.

67. La situation est autre dans l'affaire C-345/99. Il découle d'après nous des éléments qui précèdent que la suppression à une condition de l'exclusion nationale relève du champ d'application de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa. Nous allons donc maintenant aborder la question de savoir si la République française a respecté la marge d'appréciation permise par le droit communautaire.

68. Nous nous basons à ce stade sur les arrêts Commission/France et Royscot e.a. . Dans ces arrêts, la Cour a reconnu que les États membres faisant usage d'une exclusion du droit à déduction de la TVA disposaient d'une marge d'appréciation raisonnable. Le recours à une telle marge d'appréciation peut aussi impliquer que ces États membres décident, à un moment déterminé, de ne plus appliquer l'exclusion en partie. Comme le précise le dernier arrêt cité, cette marge n'est d'ailleurs pas absolue et son utilisation ne peut pas vider le régime de la directive de sa substance. C'est uniquement si une mesure ne rapproche pas mais éloigne de l'objectif poursuivi par la directive que l'on peut dire qu'elle vide le régime de la directive de sa substance.

69. La Commission souligne encore que les mesures françaises pourraient déclencher des mesures comparables de la part d'autres États membres, ce qui accroîtrait les distorsions de concurrence et entraverait l'acceptation de mesures communautaires d'harmonisation, ou mettrait en péril le niveau d'harmonisation existant. Pas plus que le gouvernement français, nous ne partageons la préoccupation de la Commission, eu égard à la portée limitée de la compétence visée à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa.

70. Nous en arrivons en résumé à porter l'appréciation suivante:

- si un État membre supprime une mesure d'exclusion, il sort du champ d'application de l'article 17, paragraphe 6;

- un État membre peut supprimer en partie une mesure d'exclusion (affaire C-345/99), à condition que, ce faisant, il ne vide pas le régime de la directive de sa substance;

- dans ce cas, il sort du champ d'application de l'article 17, paragraphe 6, pour la partie qui est supprimée;

- dans cette hypothèse, il ne lui est donc pas permis ultérieurement de réintroduire une exclusion (affaire C-40/00) par application de l'article 17, paragraphe 6.

71. En bref, notre analyse de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, nous amène à conclure à titre provisoire que la mesure en cause dans l'affaire C-345/99 est permise par la directive, tandis que ce n'est pas le cas de la mesure qui fait l'objet du litige dans l'affaire C-40/00.

Autres points dans l'affaire C-345/99

72. Les autres griefs de la Commission partent de la supposition que la mesure française doit être appréciée au regard de l'article 17, paragraphe 2, de la directive. Nous estimons que cette supposition est erronée, comme le montrent les éléments qui précèdent. Il faut effectivement analyser la mesure en fonction du critère établi dans l'arrêt Royscot e.a. , d'après lequel la mesure ne peut pas vider le régime de la directive de sa substance.

73. On ne peut manifestement pas soutenir selon nous que la mesure a cet effet. Nous estimons que l'interprétation du système en vigueur donnée par le gouvernement français est pertinente. L'exigence de l'affectation exclusive pour l'enseignement de la conduite n'est rien d'autre qu'une limitation de la catégorie des moyens de transport qui peuvent faire usage de la déduction. En appliquant cette disposition, la République française ne fait donc rien d'autre que de supprimer l'exclusion pour une catégorie déterminée de véhicules, alors qu'elle est maintenue pour les autres véhicules.

74. Même après avoir examiné ces autres griefs, nous concluons conformément à notre conclusion provisoire.

Autres points dans l'affaire C-40/00

75. Signalons encore à titre surabondant que le législateur français a adopté précédemment - durant la période antérieure à 1991 - des mesures qui ont débouché progressivement sur une diminution du pourcentage de déduction de la TVA. Étant donné que ces mesures ne font pas l'objet du présent litige, nous nous limiterons à préciser que de telles mesures ont pour but, ou du moins pour effet, que l'on se rapproche de l'objectif par la directive. De ce point de vue, elles se distinguent essentiellement de la mesure qui fait l'objet du présent litige.

76. Le gouvernement français met l'accent sur l'objectif visé par la mesure en cause, à savoir la protection de l'environnement. Il soutient à bon droit qu'une grande importance est aussi accordée à cet élément en droit communautaire. Cela n'enlève rien au fait que les mesures nationales qui visent à protéger l'environnement ne peuvent pas être contraires à des instruments de droit communautaire, comme, en l'espèce, l'article 17, paragraphe 6, de la directive. Nous ne considérons pas en l'occurrence que la question de savoir si la mesure nationale est aussi susceptible d'être effective pour la protection de l'environnement est déterminante.

77. Faisons encore observer ce qui suit à titre surabondant. La Commission doute que la mesure - eu égard à sa faible ampleur - puisse effectivement contribuer à la protection de l'environnement. Le gouvernement français rétorque que la mesure n'est pas seule en cause mais qu'elle fait partie d'un ensemble de mesures visant à combattre le problème de la pollution atmosphérique. Ce qui prime selon nous, c'est qu'une approche comme celle de la République française, qui a choisi de s'attaquer au problème de l'environnement au moyen d'un ensemble de mesures, ne semble pas douteuse a priori. Nous ne pouvons donc pas suivre le raisonnement de la Commission sur ce point. Toutefois, nous ne sommes pas davantage convaincu par les éléments que la République française a fait valoir. Bien que, de façon générale, nous partagions la thèse de la République française, d'après laquelle un ensemble de mesures peut constituer un instrument approprié pour résoudre les problèmes d'environnement, le gouvernement français n'a en rien montré que le régime litigieux relatif à la déduction de la TVA constitue un élément indispensable de cet ensemble de mesures.

78. Le dernier point litigieux concerne le silence de la Commission dans une situation antérieure, à savoir à l'occasion de la modification de la loi fiscale française en 1991, lorsque le pourcentage de déduction permis a été ramené de 80 à 50 %. Comme le soutient à bon droit la Commission, la Cour considère ce point dans sa jurisprudence en déclarant que la Commission est libre de déterminer le moment auquel elle met un État membre en demeure. Dans les circonstances du cas d'espèce, le prétendu silence de la Commission ne peut jamais avoir pour effet de susciter de confiance légitime de la part du gouvernement français quant à la conformité de son comportement avec le droit communautaire. Cela n'enlève rien au fait qu'il ressort des pièces du dossier qu'il semble plausible que le gouvernement français ait informé la Commission des mesures antérieures.

79. Même après avoir examiné ces autres griefs, nous concluons conformément à notre conclusion provisoire.

Conclusion

80. Eu égard aux faits et circonstances que nous avons reproduits ci-dessus, nous suggérons à la Cour de statuer comme suit.

S'agissant de l'affaire C-345/99:

a) rejeter le recours;

b) condamner la Commission aux dépens, en application de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

S'agissant de l'affaire C-40/00:

a) déclarer que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 17, paragraphes 2 et 6, de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, en réintroduisant, à compter du 1er janvier 1998, un régime d'exclusion du droit à la déduction de la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburant pour des véhicules;

b) condamner la République française aux dépens, en application de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.