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Avis juridique important

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61999C0516

Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 29 janvier 2002. - Walter Schmid. - Demande de décision préjudicielle: Berufungssenat V der Finanzlandesdirektion für Wien, Niederösterreich und Burgenland - Autriche. - Notion de 'juridiction nationale' au sens de l'article 234 CE - Incompétence de la Cour. - Affaire C-516/99.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-04573


Conclusions de l'avocat général


1 Par ordonnance du 2 décembre 1999, la cinquième chambre d'appel de la Finanzlandesdirektion für Wien, Niederösterreich und Bungenland (Autriche) (direction régionale des finances pour Vienne, la Basse-Autriche et le Burgenland ci-après la «chambre d'appel») a soumis à la Cour deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE et 58 CE). En substance, la chambre d'appel a interrogé la Cour sur la compatibilité avec le droit communautaire d'une législation nationale qui régit de manière différente l'impôt sur les revenus de capitaux selon qu'ils sont produits par des sociétés nationales ou des sociétés étrangères.

I - Cadre normatif

La réglementation communautaire

2 Les dispositions communautaires pertinentes en l'espèce sont les articles 73 B et 73 D du traité. Le premier dispose, au paragraphe 1, que «toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites». Le second précise toutefois que:

«1. L'article 73 B ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres:

a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis;

b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique.

[...]

3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 73 B.»

La législation nationale

3 Le régime fiscal autrichien prévoit que l'imposition des revenus des sociétés de capitaux nationales intervient à deux niveaux: au niveau de la société, par l'application d'un impôt sur les bénéfices qu'elle réalise à un taux fixe de 34 %, et, au niveau de l'actionnaire, à travers la taxation des dividendes et des autres bénéfices distribués par les sociétés (dits revenus de capitaux).

4 En ce qui concerne l'imposition des actionnaires, qui nous intéresse plus directement, le régime applicable diffère selon qu'il s'agit de revenus de capitaux nationaux ou étrangers, en ayant présent à l'esprit que l'«on est en présence de revenus de capitaux d'origine autrichienne lorsque le débiteur des revenus du capital est domicilié en Autriche, que la direction commerciale ou le siège se trouve en Autriche ou lorsque le débiteur est une succursale, en Autriche, d'un établissement de crédit [...]» (1).

a) L'imposition des revenus de capitaux nationaux

5 Pour ces revenus, la législation autrichienne permet aux contribuables de choisir entre deux possibilités: l'application d'un impôt spécial à caractère libératoire à un taux fixe de 25 % ou l'application de l'impôt ordinaire sur le revenu avec réduction de 50 % du taux.

6 Dans le premier cas, le contribuable devra payer un impôt représentant 25 % des revenus de capitaux, lesquels, en vertu de ce que l'on appelle le caractère libératoire de l'impôt, ne seront plus assujettis à l'impôt sur le revenu. Les revenus de capitaux ne concourent donc pas à déterminer le revenu imposable aux fins de l'application de ce dernier impôt, avec pour conséquence probable de réduire le taux fiscal applicable, dont la valeur varie en fonction du niveau des revenus. L'impôt à caractère libératoire est perçu, en principe, par le biais d'une retenue fiscale à la source (c'est-à-dire auprès des sociétés) (2); dans certains cas dans lesquels on ne peut pas procéder à cette retenue, il est toutefois prévu que l'impôt est perçu par «versement volontaire, au guichet payeur, d'un montant correspondant à l'impôt sur les revenus des capitaux» (3).

7 Lorsque le contribuable décide de ne pas se prévaloir de l'impôt spécial à caractère libératoire, on appliquera l'impôt ordinaire sur le revenu avec une réduction de moitié du taux (4). Dans ce cas, les revenus de capitaux contribuent à déterminer le revenu total imposable, avec augmentation probable du taux applicable à l'ensemble des revenus; à titre de compensation, toutefois, les revenus de capitaux bénéficieront de la réduction de moitié du taux ainsi déterminé.

8 Pour plus de clarté, il convient encore d'observer qu'il n'est pas possible d'établir a priori lequel des deux régimes d'imposition décrits ci-dessus est concrètement le plus avantageux pour le contribuable. S'il est vrai, en effet, que le second système conduit à une imposition sur les revenus de capitaux inférieure ou au maximum égale à celle à caractère libératoire (étant donné que le taux d'imposition maximal en Autriche ne peut pas dépasser 50 %), il est tout aussi vrai que ce système peut comporter une augmentation du taux applicable aux autres revenus du contribuable. Cela dans la mesure où, comme on l'a dit, à la différence de ce qui se passe dans le cas de l'imposition à caractère libératoire, le second système fait que les revenus de capitaux contribuent à déterminer le revenu total imposable, avec une augmentation probable du taux applicable à l'ensemble des revenus.

b) L'imposition des revenus de capitaux étrangers

9 Le régime que nous venons de décrire s'applique, comme précisé, aux seuls revenus de capitaux nationaux, alors que les revenus issus de la participation à des sociétés étrangères sont soumis à l'impôt ordinaire sur le revenu. Cela signifie qu'ils contribuent à déterminer le revenu total imposable, avec une augmentation vraisemblable du taux applicable, et sont régulièrement soumis à l'impôt sur le revenu (qui, comme exposé ci-dessus, peut atteindre jusqu'à 50 % en Autriche) sans bénéficier d'aucune réduction. Non seulement donc, on n'applique pas à ces revenus l'imposition spéciale au taux fixe de 25 % avec effet libératoire, mais ils ne bénéficient pas non plus de la réduction de moitié du taux applicable.

II - Faits et procédure

10 M. Schmid réside en Autriche. En 1997, ses revenus provenaient essentiellement de dividendes de sociétés ayant leur siège en Allemagne, et notamment de dividendes de la société MAN AG.

11 Le taux fiscal applicable aux revenus de M. Schmid cette année-là a été calculé par l'administration des finances sur la base de l'ensemble des revenus d'origine autrichienne, des revenus de capitaux et des revenus provenant de l'étranger. Une fois les déductions prévues opérées, le taux applicable a été fixé à 27,17 % et les revenus des actions allemandes ont aussi été intégralement assujettis à ce taux.

12 Le 3 décembre 1998, M. Schmid a interjeté appel de l'avis d'imposition relatif à l'année 1997, en soutenant en particulier que les dividendes des actions ordinaires de MAN AG auraient dû être soumis à un taux d'imposition réduit de moitié.

13 Dans le cadre de l'examen de cette affaire, la chambre d'appel a estimé qu'il y avait des doutes sérieux sur la compatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire, en relevant que le traitement différent réservé aux revenus de capitaux nationaux par rapport aux revenus de capitaux étrangers pourrait constituer un obstacle à la libre circulation des capitaux garantie par le traité. Par ordonnance du 2 décembre 1999, elle a donc sursis à statuer et a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1. Faut-il considérer que les dispositions combinées de l'article 73 B, paragraphe 1, et de l'article 73 D, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 3, du traité CE (devenus article 56, paragraphe 1, CE, et article 58, paragraphe 1, sous a) et sous b), et paragraphe 3, CE) s'opposent à une réglementation telle que prévue à l'article 97 de l'Einkommensteuergesetz 1988, BGBl 1988/400, dans la version publiée au BGBl 1996/797, (sur le fondement de l'article 1er, paragraphe 1, point 1, sous c), de l'Endbesteuerungsgesetz, BGBl 1993/11) aux termes de laquelle une imposition avec effet libératoire est exclue pour les dividendes, intérêts et autres revenus d'actions d'origine étrangère, de sorte que le taux d'imposition s'élève à 25 % s'agissant d'actions d'origine autrichienne, alors que le taux d'imposition s'agissant d'actions d'origine étrangère peut s'élever jusqu'à 50 %?

2. Faut-il considérer que les dispositions combinées de l'article 73 B, paragraphe 1, et de l'article 73 D, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 3, du traité CE (devenus article 56, paragraphe 1, CE et article 58, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 3, CE) s'opposent à une réglementation telle que prévue à l'article 37, paragraphes 1 et 4, de l'Einkommensteuergesetz 1988, BGBl 1988/400, aux termes de laquelle toute participation au bénéfice du fait d'une participation à des sociétés de capitaux d'origine autrichienne sous forme de parts sociales est soumise à un taux d'imposition réduit à la moitié du taux d'imposition moyen applicable à l'intégralité du revenu, alors que toute participation au bénéfice du fait d'une participation à des sociétés de capitaux dont le siège et la direction commerciale se trouvent dans un autre État membre ou dans un État tiers n'est pas soumise à une telle réduction?»

14 Au cours de la procédure qui s'est ensuite déroulée devant la Cour, outre la république d'Autriche, la République française et la Commission ont présenté des observations. Les deux premières ont conclu dans le sens de la compatibilité de la législation nationale avec les dispositions communautaires pertinentes; la Commission est, en revanche, d'avis que la législation en cause est contraire aux dispositions du traité en matière de libre circulation des capitaux.

15 Pour obtenir quelques éclaircissements et précisions sur la législation nationale complexe en matière d'imposition des revenus de capitaux, la Cour a, par lettre du 5 juin 2001, posé des questions à la chambre d'appel au titre de l'article 104, paragraphe 5, de son règlement de procédure. Par lettre du 27 juin 2001, la chambre d'appel a répondu à la Cour en donnant d'amples détails qui ont permis de reconstituer avec une plus grande précision le cadre normatif décrit ci-dessus de façon synthétique.

III - Analyse juridique

Sur la recevabilité Arguments des parties

16 Avant d'examiner au fond les questions préjudicielles, il convient d'apprécier si la chambre d'appel est une juridiction au sens de l'article 234 CE et si, par conséquent, la Cour est compétente pour se prononcer sur celles-ci. Tant le gouvernement autrichien que la Commission ont en effet exprimé des doutes à cet égard, tout en concluant en définitive l'un et l'autre à la nature juridictionnelle de cet organe. Mais la chambre d'appel elle-même semblait consciente du problème puisque, dans l'ordonnance de renvoi, elle a pris soin d'indiquer les raisons pour lesquelles, à son avis, il y a lieu de lui reconnaître la nature de juridiction au sens de l'article 234 CE.

17 Nous observons par ailleurs que les doutes exprimés ne concernent pas tous les éléments que la Cour prend généralement en compte à cette fin. Comme on le sait, en effet, aux «termes d'une jurisprudence constante, pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d'une juridiction au sens de l'article 234 CE, question qui relève uniquement du droit communautaire, la Cour tient compte d'un ensemble d'éléments, tels l'origine légale de l'organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l'application, par l'organe, des règles de droit, ainsi que son indépendance» (5). Or, les doutes en l'espèce ont uniquement trait à la qualité de «tiers» de la chambre d'appel (condition qui, dans la jurisprudence de la Cour, semble absorbée dans celle de l'indépendance de l'organe) et à la nature contradictoire de la procédure en cause. Son origine légale, son caractère permanent, le caractère obligatoire de sa juridiction et le fait qu'elle applique des règles de droit ne font en effet aucun doute. Nous nous bornerons donc ci-après à vérifier si la chambre d'appel possède aussi les deux premières conditions.

18 En ce qui concerne la qualité de «tiers» de la chambre d'appel, les doutes manifestés en l'espèce naissent du fait que, comme le notent la Commission et le gouvernement autrichien, ces chambres sont appelées à juger les décisions de l'administration fiscale à laquelle elles appartiennent. Ainsi qu'il résulte en effet de l'ordonnance de renvoi, les chambres d'appel sont des organes des directions régionales de l'administration fiscale, dont les présidents assument en principe aussi leur présidence, à moins qu'ils ne décident de nommer à leur place un fonctionnaire de l'administration. Plus particulièrement, au sein des directions régionales de l'administration fiscale des commissions d'appel ont été instituées, dont les membres sont en partie délégués par des organisations professionnelles et en partie nommés par le ministre fédéral des Finances ou par les présidents des directions régionales; dans le cadre de ces commissions, les présidents des directions régionales forment ensuite différentes chambres d'appel composées de cinq membres: le président, un fonctionnaire de l'administration fiscale et trois délégués des organisations professionnelles. Outre ce lien structurel avec l'administration, de l'avis de la Commission, le fait qu'elles participent en qualité de parties défenderesses aux éventuels litiges portés devant la Cour administrative contre leurs décisions conduirait aussi à douter de la qualité de «tiers» des chambres d'appel.

19 Nonobstant ces remarques, la Commission estime toutefois qu'en l'espèce la condition d'indépendance ne fait pas défaut étant donné que:

- une disposition constitutionnelle (l'article 271, paragraphe 1, BAO) prévoit que dans l'exercice de leurs fonctions les membres des chambres d'appel ne sont soumis à aucun lien ou directive;

- il est prévu qu'ils jurent sur l'honneur de prendre des décisions impartiales (article 271, paragraphe 2, du BAO);

- la loi définit les cas d'incompatibilité en présence desquels les membres des chambres d'appel sont tenus de s'abstenir et les parties peuvent les récuser (articles 76 et 283 du BAO);

- la majorité des membres des chambres d'appel est constituée par des membres délégués par des organisations professionnelles et non par des fonctionnaires de l'administration;

- les présidents des directions régionales de l'administration fiscale peuvent introduire un recours devant la Cour administrative contre les décisions des chambres d'appel, ce qui démontre que ces décisions peuvent aussi être défavorables à l'administration.

20 Le gouvernement autrichien, pour sa part, rappelle d'abord qu'une partie de la doctrine nationale doute de la qualité de tiers des chambres d'appel essentiellement pour deux raisons: en premier lieu, à cause du «double rôle» joué par les présidents des directions régionales, qui, en plus d'être à la tête de ces administrations, interviennent dans la formation des chambres d'appel et en assument en principe la présidence; en second lieu, à cause de l'«utilisation mixte» des fonctionnaires qui composent les chambres d'appel, lesquels combinent l'activité exercée au sein de ces chambres et celle normalement exercée auprès de l'administration des finances. Toutefois, ces objections sont écartées par une autre partie de la doctrine au nom de la pratique généralement suivie, selon laquelle, d'une part, les présidents des directions régionales de l'administration des finances n'assument pas directement la présidence des chambres d'appel et, d'autre part, les fonctionnaires qui composent ces chambres n'interviennent pas sur les questions et dans les procédures dont ils s'occupent normalement au sein de ladite administration. À la lumière de telles pratiques et des dispositions susmentionnées sur les cas d'incompatibilité des fonctionnaires, le gouvernement autrichien estime qu'il existe des arguments permettant d'affirmer que les chambres d'appel sont des organes juridictionnels au sens de l'article 234 CE.

21 C'est également en ce sens, comme on l'a dit, que s'est expressément prononcé l'organe de renvoi, en s'appuyant sur l'article 271, paragraphe 1, du BAO, qui soustrait les membres de chambres d'appel de tout lien ou instruction externes.

22 En ce qui concerne ensuite la condition du contradictoire, la chambre d'appel affirme qu'on ne saurait douter de la nature contradictoire de la procédure devant elle, étant donné qu'est largement reconnu aux parties (c'est-à-dire aux contribuables) le droit de faire valoir par écrit leur point de vue et de participer à une éventuelle audience (articles 115, paragraphe 2, 161, paragraphe 3, 183, paragraphe 4, 279 et 284, paragraphe 1, du BAO). Seule la Commission a manifesté une certaine perplexité à cet égard, étant donné que la participation à la procédure de l'administration fiscale «de première instance» n'est pas prévue. Compte tenu, cependant, du pouvoir conféré aux présidents des directions régionales d'attaquer les décisions des chambres d'appel, la Commission estime que l'on peut néanmoins défendre la nature contradictoire de la procédure en cause, et ce spécialement si l'on considère que, selon la jurisprudence de la Cour, «l'exigence d'une procédure contradictoire n'est pas un critère absolu» (6).

Appréciation

23 Passant à l'appréciation de la question, nous pensons pouvoir limiter notre examen aux deux points litigieux en l'espèce, sans analyser les autres conditions requises par la Cour; il ne nous paraît à plus forte raison pas utile de rouvrir ici un débat sur l'aptitude de ces conditions, considérées isolément ou dans leur ensemble, à servir de critères de qualification de la nature des organes de renvoi.

24 En commençant donc par la condition du contradictoire, nous observons d'emblée que les doutes exprimés par la Commission ne nous semblent pas justifiés. Nous estimons en effet que le caractère contradictoire de la procédure examinée est suffisamment garanti par la vaste possibilité offerte aux contribuables qui contestent les décisions de l'administration des finances de faire valoir leur point de vue devant les chambres d'appel. Le fait que l'administration fiscale ne soit pas formellement représentée dans le cadre des procédures instruites par un de ses organes peut tout au plus faire douter, comme nous le dirons sous peu, de la qualité effective de «tiers» de l'organe de jugement, mais ne nous semble pas suffire pour exclure le caractère contradictoire de ces procédures.

25 La question de la qualité de «tiers» des chambres d'appel, c'est-à-dire le fait qu'elles peuvent effectivement être considérées comme des tiers, d'une part, par rapport aux contribuables qui font un recours et, d'autre part, par rapport à l'administration des finances qui a adopté les décisions attaquées, est en revanche plus complexe et controversée.

26 Nous rappelons à cet égard que dans certains arrêts la Cour a expressément et spécifiquement considéré la qualité de «tiers» des organes de renvoi comme une condition nécessaire pour leur reconnaître la nature de juridiction au sens de l'article 234 CE, et ce spécialement dans les cas où ces organes appartenaient aux administrations qui avaient adopté les décisions attaquées devant eux (7). Ainsi, dans l'arrêt Corbiau, la Cour a clairement précisé que «la notion de juridiction revêt un caractère communautaire et qu'elle ne peut, par essence même, désigner qu'une autorité qui a la qualité de tiers par rapport à celle qui a adopté la décision faisant l'objet du recours» (8). Dans cette affaire, la position de «tiers» avait en particulier été exclue par le directeur des contributions directes et des accises du grand-duché de Luxembourg, dans la mesure où «placé à la tête de cette administration, il présente un lien organique évident avec les services qui ont établi la taxation contestée et contre laquelle la réclamation introduite devant lui est dirigée». La Cour a en outre vu une confirmation de cette constatation dans «le fait que, à l'occasion d'un éventuel recours devant le Conseil d'État, ledit directeur est partie au litige» (9).

27 De façon analogue, dans l'arrêt Gabalfrisa, la Cour a estimé nécessaire d'apprécier si les Tribunales Económico-Administrativos espagnols avaient «la qualité de tiers par rapport aux services qui ont adopté la décision faisant l'objet de la réclamation et l'indépendance nécessaire pour pouvoir être considérés comme une juridiction au sens de l'article 177 du traité» (10). Dans cette affaire, en particulier, la question s'était posée dans la mesure où, comme l'avait souligné l'avocat général Saggio dans ses conclusions, «le Tribunal Económico-Administrativo, de l'aveu même du gouvernement espagnol, ne fait pas partie de l'administration de la justice, mais dépend organiquement du ministère de l'Économie et des Finances (Ministerio de Economía y Hacienda)», c'est-à-dire «de l'administration dont les actes font l'objet de recours, devant le Tribunal, par des contribuables» (11). Ce lien organique avec le ministère des Finances n'a toutefois pas été jugé suffisant par la Cour pour exclure la qualité de «tiers» de l'organe de renvoi, étant donné que la législation espagnole «garantit une séparation fonctionnelle entre [...] les services de l'administration fiscale chargés de la gestion, du recouvrement et de la liquidation et [...] les Tribunales Económico-Administrativos, lesquels statuent sur les réclamations introduites contre les décisions prises par lesdits services sans recevoir aucune instruction de l'administration fiscale». Dans cet arrêt donc, la Cour n'a pas accordé tellement d'importance au fait que l'organe de renvoi et les services qui avaient adopté la décision attaquée faisaient partie de la même administration mais plutôt au fait que dans ce cas une séparation fonctionnelle nette entre ceux-ci était garantie (12).

28 Cela étant, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer ici sur la cohérence effective des arrêts cités et sur l'opportunité de reconsidérer, comme cela l'a par ailleurs été suggéré (13), l'approche moins rigoureuse adoptée dans l'arrêt Gabalfrisa, il nous semble évident que, selon les critères d'appréciation suivis dans les deux arrêts cités plus haut, les chambres d'appel ne se trouvent en tout cas pas dans une situation de «tiers».

29 À cet égard, nous observons d'abord que les chambres d'appel sont des organes des directions régionales de l'administration fiscale, c'est-à-dire des administrations compétentes pour adopter les décisions soumises à leur appréciation. Comme l'a souligné en outre le gouvernement autrichien, ce lien structurel avec l'administration fiscale est par ailleurs renforcé:

i) par le rôle particulier confié aux présidents des directions régionales, qui, en plus du fait qu'ils sont à la tête de ces secteurs de l'administration, assument (du moins en principe) aussi la présidence des chambres d'appel et interviennent dans leur formation, en choisissant de façon discrétionnaire les membres des commissions d'appel qui doivent composer chaque chambre (14);

ii) par le fait que le second membre des chambres d'appel provenant de l'administration fiscale continue aussi à exercer normalement ses fonctions au sein de cette administration.

30 Non seulement donc il y a en l'espèce ce «lien organique évident» avec l'administration fiscale qui, dans l'arrêt Corbiau, précité, avait conduit à nier la nature juridictionnelle du directeur des contributions, mais pour les membres des chambres d'appel issus de l'administration fiscale (parmi lesquels, le président) il n'est pas davantage prévu cette forme de «séparation fonctionnelle» qui, au sens de la jurisprudence Gabalfrisa, précitée, pourrait en tout état de cause garantir la qualité de «tiers» de l'organe de jugement. Ces objections de principe ne peuvent du reste pas non plus être écartées sur la base de la pratique invoquée par le gouvernement autrichien, selon laquelle, d'une part, les présidents des directions régionales n'assument pas directement la présidence des chambres d'appel et, d'autre part, les fonctionnaires qui composent ces chambres n'interviennent pas sur les questions et dans les procédures dont ils s'occupent normalement au sein de l'administration des finances. Il est clair en effet que la nature juridictionnelle des organes de renvoi doit être appréciée sur la base de la législation en vigueur dans les États membres et non sur celle de simples pratiques nationales, librement modifiables par les intéressés et difficilement contrôlables par la Cour.

31 Le fait que les chambres d'appel n'aient pas la qualité de «tiers» par rapport aux services de l'administration fiscale dont proviennent les décisions attaquées nous semble en outre confirmé par deux autres éléments. En premier lieu, par le fait que ces services n'assument pas le rôle de «parties» dans la procédure devant les chambres d'appel, à laquelle ne peuvent participer que les contribuables qui contestent les décisions de l'administration fiscale. Le défaut de participation à la procédure des services responsables de la décision attaquée contredit en effet l'idée que lesdites chambres se trouvent dans une situation de «tiers» par rapport aux deux parties opposées, et semble au contraire supposer que, dans ce cadre, ce sont les chambres elles-mêmes qui défendent les intérêts de l'administration. En second lieu, ce qui a été dit nous paraît aussi confirmé par le fait que, comme l'a souligné la Commission, les chambres d'appel participent en qualité de parties défenderesses aux éventuels litiges devant la Cour administrative contre leurs décisions. La possibilité de défendre sa décision devant un juge administratif et le fait d'assumer le rôle de partie dans la procédure en question nous paraissent en effet difficilement conciliables avec la position de «tiers» qui doit caractériser la fonction juridictionnelle. Cela ressort clairement, du reste, de l'arrêt Corbiau, précité, où il était précisé que la circonstance que le directeur des contributions n'a pas la qualité de «tiers» était «confirmée [...] par le fait que, à l'occasion d'un éventuel recours devant le Conseil d'État, ledit directeur est partie au litige» (15).

32 Les deux éléments examinés ci-dessus conduisent, à notre avis, à retenir que les procédures devant les chambres d'appel constituent en réalité de simples recours administratifs, par le biais desquels les contribuables peuvent faire réexaminer les décisions de l'administration fiscale par des organes créés à cet effet au sein de cette administration (dont font aussi partie des personnes externes), auxquels est reconnu un statut d'indépendance spécial. Nous observons du reste que, en l'absence de séparation fonctionnelle nette par rapport aux services dont émanent les décisions litigieuses, le seul fait que les membres de ces organes administratifs soient soustraits au contrôle et aux instructions de leurs supérieurs hiérarchiques ne suffit pas en soi à garantir la qualité de «tiers» des organes en question (16).

33 À la lumière des considérations qui précèdent, nous estimons donc que les chambres d'appel n'ont pas la qualité de «tiers» par rapport aux contribuables qui intentent un recours, d'une part, et à l'administration fiscale qui a adopté les décisions attaquées, d'autre part. Il en résulte qu'on ne saurait leur reconnaître la nature de juridiction au sens de l'article 234 CE et que, par conséquent, la Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur les questions préjudicielles qui lui ont été soumises. Il est presque inutile de souligner qu'en tout état de cause cette conclusion ne risque en aucune façon de porter atteinte à l'application uniforme du droit communautaire, étant donné que les décisions des chambres d'appel peuvent être attaquées devant la Cour administrative, dont la nature de juridiction au sens de l'article 234 CE ne soulève aucun doute.

Sur le fond

34 Étant donné les conclusions auxquelles nous sommes parvenu en ce qui concerne la recevabilité de la présente demande préjudicielle, nous examinerons seulement à titre subsidiaire les questions soumises à la Cour.

35 Nous rappelons à cet égard que, par la première question, la chambre d'appel a en substance demandé s'il est compatible avec le droit communautaire, et en particulier avec les dispositions du traité sur la libre circulation des capitaux, qu'une législation nationale prévoie pour les seuls revenus de capitaux nationaux la possibilité d'appliquer l'impôt spécial à caractère libératoire décrit plus haut. Par la seconde question, il est par contre demandé à la Cour si une législation nationale, selon laquelle, en cas d'application de l'impôt ordinaire sur le revenu, seuls les revenus de capitaux nationaux peuvent bénéficier d'une réduction de moitié du taux applicable, est compatible avec le droit communautaire.

36 Étant donné que, comme on l'a vu, les régimes d'imposition auxquels se réfèrent les deux questions peuvent être alternativement choisis par les (seuls) titulaires de revenus de capitaux nationaux, nous estimons qu'il convient de procéder à une analyse conjointe des deux systèmes, de façon à pouvoir apprécier dans son ensemble la compatibilité du régime examiné avec le droit communautaire. Nous estimons, plus exactement, qu'il y a lieu d'apprécier s'il est conforme aux dispositions du traité sur la libre circulation des capitaux de donner aux personnes percevant des revenus de capitaux nationaux la possibilité de choisir entre l'un des deux systèmes d'imposition décrits plus haut, alors que les revenus de capitaux étrangers sont frappés uniquement de l'impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux.

37 À cette fin, il faudra d'abord établir si un régime du type de celui visé peut entraîner une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l'article 73 B du traité, pour ensuite, dans l'affirmative, apprécier si ce régime peut être justifié en application de l'article 73 D.

Sur le caractère restrictif du régime litigieux

38 Quant au premier aspect, nous devons avant tout rappeler que «constituent des restrictions aux mouvements des capitaux, au sens de [l'article 73 B du traité], des mesures imposées par un État membre qui sont de nature à dissuader ses résidents de [...] faire des investissements dans d'autres États membres» (17). De façon plus particulière, la Cour a précisé que «le fait de subordonner l'octroi d'un avantage fiscal en matière d'impôt sur le revenu des personnes physiques actionnaires, tel que l'exonération des dividendes, à la condition que les dividendes proviennent de sociétés établies sur le territoire national constitue une restriction aux mouvements de capitaux» (18). Cela est vrai dans la mesure où une telle réglementation:

- d'une part, «a pour effet de dissuader les ressortissants d'un État membre résidant [dans l'État membre intéressé] d'investir leurs capitaux dans des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre»;

- d'autre part, «produit également un effet restrictif à l'égard des sociétés établies dans d'autres États membres en ce qu'elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux [dans l'État membre intéressé] dans la mesure où les dividendes qu'elles versent aux résidents [de cet État] sont fiscalement traités de manière moins favorable que les dividendes distribués par une société établie [dans ce même État], en sorte que leurs actions ou parts sociales sont moins attrayantes pour les investisseurs résidant [dans l'État en question] que celles de sociétés ayant leur siège dans cet État membre» (19).

39 La notion de «restriction aux mouvements de capitaux» au sens de l'article 73 B étant ainsi précisée, il nous semble évident qu'il faille voir une telle restriction dans un régime, comme celui visé en l'espèce, qui, pour les revenus de capitaux nationaux, permet de choisir entre l'impôt à caractère libératoire au taux fixe de 25 % et l'impôt ordinaire sur le revenu à un taux réduit de 50%, alors que, pour les revenus de capitaux étrangers, il prescrit l'application de l'impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux. Il ne fait en effet aucun doute qu'une telle législation réserve un traitement de faveur aux revenus de capitaux nationaux, en décourageant les investisseurs nationaux d'acquérir des participations dans des sociétés d'autres États membres et en posant pour ces dernières un obstacle à la collecte de capitaux dans l'État membre intéressé.

40 Que le régime autrichien en question accorde un traitement de faveur aux revenus de capitaux nationaux par rapport aux revenus de capitaux étrangers paraît du reste évident précisément dans le cas qui est à l'origine du litige au principal.

41 Les revenus de capitaux que M. Schmid a perçus de sociétés allemandes ont en effet contribué à déterminer son revenu imposable et ont été assujettis à l'impôt ordinaire sur le revenu au taux de 27,17 %, sans bénéficier d'aucune réduction. Si, en revanche, les mêmes revenus avaient été produits par une société autrichienne, M. Schmid aurait pu choisir entre les possibilités suivantes: i) soumettre ces revenus à l'impôt libératoire, avec pour conséquence qu'ils n'auraient pas contribué à déterminer son revenu imposable (ce qui aurait entraîné une diminution du taux applicable aux autres revenus) et se seraient vus appliquer le taux fixe de 25 %; et ii) assujettir les revenus en question à l'impôt ordinaire sur le revenu avec réduction du taux de moitié. Il ne fait donc aucun doute que les revenus de capitaux que M. Schmid a perçus de sociétés allemandes ont reçu en Autriche un traitement fiscal défavorable par rapport à celui que les mêmes revenus auraient eu s'ils avaient été produits par des sociétés autrichiennes.

42 Ces considérations portent donc à croire que, en réservant un traitement fiscal de faveur aux revenus de capitaux nationaux par rapport aux revenus de capitaux étrangers, le régime litigieux entraîne une restriction aux mouvements de capitaux en principe interdite par l'article 73 B du traité.

Sur la possible justification du régime en cause sur la base de l'article 73 D

43 Cependant le fait qu'un régime national du type de celui visé entraîne une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l'article 73 B du traité n'entraîne pas nécessairement, comme nous l'avons dit, son incompatibilité avec les dispositions sur la libre circulation des capitaux. Nous rappelons en effet à nouveau que, en application de l'article 73 D, paragraphe 1, du traité, l'«article 73 B ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres [...] d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne [...] le lieu où leurs capitaux sont investis» ni à leur droit «de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements» (20). Pour répondre aux questions préjudicielles formulées par la chambre d'appel, il faudra donc encore apprécier si le régime en cause peut être justifié sur la base de l'article 73 D, paragraphe 1, du traité.

44 À cet égard, nous devons d'abord rappeler que cette disposition, en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux (21), doit être interprétée restrictivement et ne peut en tout cas pas justifier des dispositions et mesures nationales qui constituent «un moyen de discrimination arbitraire» ou «une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux [...] telle que définie à l'article 73 B» (article 73 D, paragraphe 3, du traité). Il en résulte que les restrictions découlant d'un régime du type de celui examiné peuvent être admises en application de l'article 73 D, paragraphe 1, uniquement lorsque les différences de traitement entre les revenus de capitaux nationaux et les revenus de capitaux étrangers sont objectivement justifiés par la différence de situations ou par des motifs impératifs d'intérêt général (22). Nous rappelons du reste qu'en ce qui concerne les mesures destinées à empêcher des violations de la législation fiscale nationale, la Cour a déjà eu l'occasion de préciser que «[p]our qu'une mesure puisse relever de l'article 73 D du traité, elle doit respecter le principe de proportionnalité, en ce sens qu'elle doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre» (23); à cette fin, la mesure doit en outre être «nécessaire pour la protection des objectifs visés», qui ne doivent pas être «atteints par des mesures moins restrictives de la libre circulation des capitaux» (24).

45 Pour établir si les restrictions aux mouvements de capitaux découlant du régime fiscal en question peuvent être admises sur la base de l'article 73 D, paragraphe 1, du traité, il y a donc lieu d'apprécier si, comme le soutiennent les gouvernements autrichien et français, les différences de traitement entre les revenus de capitaux nationaux et les revenus de capitaux étrangers sont objectivement justifiées et ne comportent donc pas de discriminations arbitraires ou de restrictions déguisées à la libre circulation des capitaux.

46 À cet égard, la république d'Autriche affirme, en premier lieu, que l'impôt à caractère libératoire est prévu pour les seuls revenus produits par des sociétés nationales parce qu'il suppose nécessairement un créancier d'impôt qui en vertu du droit autrichien puisse être obligé de procéder à la retenue à la source. Puisque dans le cas de revenus de capitaux produits par des sociétés établies dans d'autres États membres une obligation similaire ne pourrait pas être imposée, il serait techniquement impossible d'appliquer dans ces hypothèses l'impôt à caractère libératoire.

47 Cette argumentation ne nous paraît toutefois pas convaincante. S'il est vrai, en effet, que pour appliquer, en Autriche, la retenue à la source il est nécessaire qu'il existe quelqu'un qui puisse payer l'impôt dans ce pays, il n'est pas vrai, cependant, que l'impôt à caractère libératoire présuppose nécessairement une retenue à la source. Nous pensons, en effet, que, pour percevoir un impôt du type de celui en cause (caractérisé par un taux fixe de 25 % et par l'effet libératoire), on pourrait prévoir des modalités techniques différentes et de nature à pouvoir être appliquées sans problème même aux revenus produits par des sociétés étrangères.

48 Comme l'a du reste souligné la Commission, un exemple en ce sens est fourni par la même législation autrichienne précitée, selon laquelle, dans certains cas où la retenue à la source n'est pas possible, l'impôt à caractère libératoire peut être acquitté moyennant «versement volontaire, au guichet payeur, d'un montant correspondant à l'impôt sur les revenus de capitaux» (25). Pour les revenus provenant de sociétés étrangères, on pourrait donc prévoir une forme analogue de «versement volontaire» à l'administration fiscale, qui permette d'appliquer aussi à ces revenus l'impôt à caractère libératoire et d'éliminer ainsi les restrictions constatées aux mouvements de capitaux.

49 En second lieu, en ce qui concerne la réduction de moitié du taux en cas d'assujettissement des revenus de capitaux nationaux à l'impôt ordinaire sur le revenu, les gouvernements autrichien et français soutiennent que cette réduction s'impose pour garantir la cohérence du régime fiscal national et que cette finalité, au sens des arrêts Bachmann et Commission/Belgique (26), peut «justifier une réglementation de nature à restreindre les libertés fondamentales» (27). Le régime litigieux serait en particulier justifié par le fait que les bénéfices produits par les sociétés établies en Autriche sont déjà soumis dans cet État membre à un impôt à taux fixe de 34 % et il serait donc incongru de les taxer à nouveau lors de leur distribution aux actionnaires, en les assujettissant intégralement à l'impôt sur le revenu.

50 La Commission est en revanche d'un avis divergent et considère injustifié le traitement différent des dividendes selon qu'ils proviennent de sociétés nationales ou étrangères. Elle souligne en particulier que le régime litigieux ne saurait être justifié par la nécessité invoquée d'assurer la cohérence du régime fiscal national pour éviter une forme de double imposition (au sens économique), étant donné que l'impôt sur les sociétés et celui sur les revenus de capitaux concernent des personnes différentes.

51 Il nous semble, en effet, aussi qu'en l'espèce on ne peut légitimement pas se réclamer de la nécessité invoquée dans les arrêts Bachmann et Commission/Belgique, précités. Nous rappelons, en effet, que dans ces affaires, «un lien direct existait, s'agissant d'un seul et même contribuable, entre l'octroi d'un avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal, effectués dans le cadre d'une même imposition. Il s'agissait en l'occurrence du lien entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des sommes dues par les assureurs en exécution des contrats d'assurance contre la vieillesse et le décès, qu'il fallait préserver en vue de sauvegarder la cohérence du système fiscal en cause» (28). Dans la présente affaire, il n'existe par contre pas de lien direct entre l'impôt sur les sociétés et l'application de l'impôt sur le revenu avec un taux réduit de moitié, étant donné que, comme dans l'affaire Verkooijen, «il s'agit de deux impositions distinctes qui frappent des contribuables distincts» (les sociétés et les actionnaires) (29). Conformément à ce qu'a déclaré la Cour dans cet arrêt nous n'estimons donc pas que les restrictions aux mouvements de capitaux découlant du régime en cause peuvent être justifiées par la nécessité d'assurer la cohérence du régime fiscal national.

52 En troisième lieu, la république d'Autriche estime que le régime en cause peut être justifié par le fait que seuls les revenus de capitaux étrangers peuvent bénéficier de la déduction de «frais professionnels», qui ne contribuent donc pas à déterminer le revenu imposable total.

53 Toutefois, à cet argument aussi on peut aisément répondre à la lumière de l'arrêt Verkooijen. Pour écarter l'argument analogue des Pays-Bas «tiré d'un éventuel avantage fiscal pour les contribuables percevant [dans cet État membre] des dividendes de sociétés ayant leur siège dans un autre État membre», la Cour a en effet jugé suffisant de «relever qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait être justifié par l'existence d'autres avantages fiscaux, à supposer même que de tels avantages existent» (30).

54 Le gouvernement français soutient enfin que, si l'imposition à caractère libératoire ou la réduction du taux était étendue aux dividendes distribués par des sociétés établies dans d'autres États membres, l'administration fiscale du pays de résidence de l'actionnaire ne pourrait pas contrôler de manière efficace les bénéfices produits par ces sociétés. Le régime en cause pourrait donc être justifié en application de l'article 73 D, paragraphe 1, sous b), du traité, selon lequel les dispositions de l'article 73 B du traité ne portent pas atteinte au droit des États membres «de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements».

55 À notre avis, toutefois, cette argumentation n'est pas fondée. Il est en effet évident que le régime en cause ne garantit en aucune façon l'efficacité des contrôles fiscaux, étant donné que le traitement défavorable réservé aux revenus de capitaux étrangers ne permet aucunement de contrôler que ceux-ci sont régulièrement déclarés au fisc autrichien afin de les assujettir à l'impôt ordinaire sur le revenu.

56 Il résulte par conséquent de ce qui précède que les éléments invoqués par les gouvernements autrichien et français ne peuvent justifier, en application de l'article 73 D, paragraphe 1, du traité, les restrictions aux mouvements de capitaux dérivant du régime fiscal en cause. Il y a donc lieu de conclure que l'article 73 B, paragraphe 1, du traité s'oppose à ce qu'une législation du type de celle en cause, qui permet aux seuls titulaires de revenus de capitaux nationaux de choisir entre l'impôt spécial à caractère libératoire et l'impôt ordinaire sur le revenu avec réduction de moitié du taux, alors qu'elle prévoit que les revenus de capitaux étrangers sont nécessairement assujettis à l'impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux.

Conclusions

57 À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc de déclarer que la Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur les questions préjudicielles formulées par la chambre d'appel. Si toutefois la Cour devait affirmer sa compétence, nous proposons de répondre à ces questions dans les termes suivants:

« L'article 73 B, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 56, paragraphe 1, CE) s'oppose à un régime du type de celui prévu par les articles 37 et 97 de l'EStG 1988 (BGBl 1988/400) dans la version publiée au BGBl 1996/797), lequel permet aux seuls titulaires de revenus de capitaux nationaux de choisir entre l'impôt spécial à caractère libératoire et l'impôt ordinaire sur le revenu avec réduction de moitié du taux, alors qu'il prévoit que les revenus de capitaux étrangers sont nécessairement assujettis à l'impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux. Ce régime ne saurait être justifié en application de l'article 73 D, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 58, paragraphe 1, CE).»

(1) - Article 93, paragraphe 2, de l'Einkommensteuergesetz (loi relative à l'impôt sur le revenu, ci-après l'«EStG»; BGBl 1988/400), dans la version en vigueur en 1997.

(2) - Article 93, paragraphe 1, de l'EStG.

(3) - Article 97, paragraphe 2, de l'EStG.

(4) - Article 37 de l'EStG.

(5) - Arrêt du 29 novembre 2001, De Coster (C-17/00, non encore publié au Recueil, point 10).

(6) - Arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 37). Dans le même sens, la Commission invoque aussi l'arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C-54/96, Rec. p. I-4961, point 31).

(7) - La Cour ne s'est par contre pas arrêtée de façon spécifique sur cette question dans certains cas où l'ordonnance de renvoi émanait d'organes administratifs, dont l'indépendance était également contestée, qui ne faisaient pas partie des administrations responsables des décisions attaquées (voir, par exemple, arrêt Dorsch Consult, précité, et arrêt du 4 février 1999, Köllensperger, C-103/97, Rec. p. I-551).

(8) - Arrêt du 30 mars 1993, Corbiau (C-24/92, Rec. p. I-1277, point 15).

(9) - Arrêt Corbiau, précité, point 16; mis en italique par nos soins.

(10) - Arrêt précité, point 40.

(11) - Point 16 des conclusions.

(12) - Il est utile d'observer que dans cette affaire la séparation fonctionnelle au sein de l'administration fiscale espagnole faisait que les membres des Tribunales Económico-Administrativos ne pouvaient pas en même temps assurer des fonctions dans les «services de l'administration fiscale chargés de la gestion, du recouvrement et de la liquidation». Concernant cet aspect, il nous semble également utile de souligner que dans l'arrêt De Coster, précité, la Cour a reconnu l'indépendance et l'impartialité du Collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-Capitale compte tenu, entre autres, de l'incompatibilité entre la fonction de membre de ce Collège et l'appartenance aux administrations communales responsables des décisions attaquables devant cet organe (point 19 de l'arrêt).

(13) - À cet égard, nous nous bornons à signaler que les critères suivis dans l'arrêt Gabalfrisa ont été ouvertement et fermement critiqués par l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les conclusions présentées le 28 juin 2001 dans l'affaire De Coster, précitée, points 26 à 28.

(14) - Les présidents des directions régionales peuvent former à leur discrétion les chambres d'appel, en en choisissant librement les membres entre les nombreux membres des commissions d'appel, avec la seule obligation de respecter la proportion prescrite entre les fonctionnaires de l'administration fiscale et les membres délégués des organisations professionnelles. Le pouvoir discrétionnaire des présidents des directions régionales paraît d'ailleurs accru par le fait que, à ce qu'il semble, les chambres d'appel ne sont pas constituées pour une période prédéterminée, mais sont composées ad hoc pour les différentes affaires.

(15) - Point 16.

(16) - Il est intéressant d'observer à cet égard que dans ses conclusions dans l'affaire Corbiau, précitée, l'avocat général Darmon avait estimé que le directeur des contributions n'avait pas la qualité de tiers, même s'il avait été exposé à la Cour que, dans l'accomplissement de la «mission de trancher un litige entre l'administration qu'il dirige et un contribuable qui conteste la décision prise par l'un de ses services», il était «totalement indépendant tant de son ministre que de l'administration qu'il dirige» (point 29).

(17) - Arrêt du 26 septembre 2000, Commission/Belgique (C-478/98, Rec. p. I-7587, point 18); dans le même sens, arrêts du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (C-484/93, Rec. p. I-3955, point 10); du 16 mars 1999, Trummer et Mayer (C-222/97, Rec. p. I-1661, point 26), et du 14 octobre 1999, Sandoz, C-439/97 (Rec. p. I-7041, point 19).

(18) - Arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071, point 36).

(19) - Arrêt Verkooijen, précité, points 34 et 35.

(20) - Article 73 D, paragraphe 1, sous a) et b).

(21) - Arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie (C-54/99, Rec. p. I-1335, point 17).

(22) - C'est en ce sens, nous semble-t-il, que doit être lu l'arrêt Verkooijen, précité, qui, eu égard à l'article 73 D, paragraphe 1, sous a), a rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle «dès avant l'entrée en vigueur de [cette disposition], des dispositions fiscales nationales du type de celles visées par cet article, en ce qu'elles établissaient certaines distinctions, notamment fondées sur la résidence des contribuables, pouvaient être compatibles avec le droit communautaire dès lors qu'elles s'appliquaient à des situations qui n'étaient pas objectivement comparables (voir, notamment, arrêt du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225) ou pouvaient être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, et notamment au titre de la cohérence du régime fiscal (arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann, C-204/90, Rec. p. I-249, et Commission/Belgique, C-300/90, Rec. p. I-305)» (point 43).

(23) - Arrêt du 26 septembre 2000, Commission/Belgique, précité, point 41.

(24) - Arrêt du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a. (C-163/94, C-165/94 et C-250/94, Rec. p. I-4821, point 23).

(25) - Article 97, paragraphe 2, de l'EStG.

(26) - Arrêts précités dans la note 23.

(27) - Arrêt Verkooijen, précité, point 56.

(28) - Arrêt Verkooijen, précité, point 57; c'est nous qui mettons en italique.

(29) - Arrêt, précité, point 58.

(30) - Arrêt précité, point 61.