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Avis juridique important

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62000C0078

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 7 juin 2001. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement d'Etat - Articles 17 et 18 de la sixième directive TVA - Remboursement de l'excédent de TVA par la remise de titres d'Etat - Catégorie d'assujettis en situation de crédit d'impôt. - Affaire C-78/00.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-08195


Conclusions de l'avocat général


1 Tout gestionnaire de trésorerie peut, à un moment donné, même si la situation de l'entité dont il relève est fondamentalement saine, se trouver confronté à des problèmes délicats, lorsque les entrées de fonds au jour le jour ne correspondent pas aux sorties auxquelles il doit faire face. C'est la manière dont la République italienne a entendu parer à pareil décalage qui lui vaut de devoir aujourd'hui s'expliquer devant la Cour à propos d'un manquement que lui reproche la Commission des Communautés européennes.

2 Comme l'explique le gouvernement de cet État membre, «en 1993 l'État italien a été obligé de se préoccuper de la perte de recettes immédiate consécutive à la non-perception en douane de la TVA à l'importation.

Il a alors été jugé opportun, pour une catégorie limitée d'assujettis (à savoir ceux qui, au cours de l'année précédente, avaient enregistré des importations intracommunautaires supérieures à 10 % du montant total des importations), de prévoir que leurs créances fiscales seraient remboursées en titres d'État, et non reportées en déduction les années suivantes.

Le remboursement en titres d'État, à compter du 1er janvier 1994, de cette catégorie d'assujettis, qui, avant l'ouverture des frontières douanières, garantissaient des recettes fiscales immédiates, a donc permis à l'administration fiscale d'assurer la stabilité des recettes internes pour l'exercice 1993 également.»

3 Les mesures adoptées par la République italienne figurent dans deux textes successifs. Il s'agit, en premier lieu, du décret-loi n_ 16, du 23 janvier 1993 (GURI n_ 18, du 23 janvier 1993), converti en loi n_ 75, du 24 mars 1993 (GURI n_ 69, du 24 mars 1993).

4 L'article 11, premier et deuxième alinéas, de celui-ci prévoit:

«Les assujettis qui, au cours de l'année 1992, ont effectué des importations d'autres États membres pour un montant supérieur à 10 % du total de leurs opérations effectuées au cours de la même année et qui ont déclaré un crédit de TVA non inférieur à 100 millions de lires ne sont pas admis à reporter ce crédit en déduction les années suivantes [...]

Les dispositions énoncées à l'article 10, premier et deuxième alinéas, s'appliquent à l'extinction des crédits visés à l'alinéa 1 du présent article [...] [lesdites dispositions régissent l'extinction des crédits résultant de la liquidation des déclarations annuelles des revenus et de la TVA par la remise de titres d'État aux assujettis concernés]. Dans ce cas, la demande [de remboursement de la TVA par l'émission de titres d'État] doit être présentée au plus tard le 31 mars 1993; la date limite pour l'exécution des opérations de vérification est fixée au 30 juin 1993; les intérêts relatifs à chaque crédit doivent être calculés au 31 décembre 1993, la jouissance des titres d'État court à partir du 1er janvier 1994; la valeur maximale des titres émis ne peut excéder 7 500 milliards de lires, cette dépense étant imputée au poste approprié du budget du ministère du Trésor pour l'exercice financier 1993; le décret du ministre du Trésor concernant les caractéristiques, les modalités et les procédures de remise des titres d'État doit être publié au Journal officiel au plus tard le 30 novembre 1993.»

5 Ces modalités particulières de remboursement ont été prorogées par le décret-loi n_ 250, du 28 juin 1995 (GURI n_ 150, du 29 juin 1995), converti en loi n_ 349, du 8 août 1995 (GURI n_ 196, du 23 août 1995), dont l'article 3 bis, premier alinéa, dispose:

«Aux fins de l'extinction des crédits de taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts y afférents - tels qu'établis par les déclarations relatives à l'année 1992 présentées par les assujettis visés à l'article 11, premier alinéa, du décret-loi n_ 16, du 23 janvier 1993, converti, après modifications, en loi n_ 75, du 24 mars 1993 - qui n'ont pas été remboursés à la date d'entrée en vigueur du présent décret, le ministre du Trésor est autorisé à émettre de nouveaux titres d'État ayant libre circulation, prenant effet au 1er janvier 1996 et d'une durée de dix ans, pour un montant maximal de 400 milliards de lires [...]»

6 Rappelons que le mécanisme communautaire de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») est tout entier articulé autour du principe suivant lequel tout assujetti est en droit de déduire de la taxe dont il est redevable au titre des opérations qu'il a effectuées la taxe qu'il a lui-même acquittée à ses fournisseurs à l'occasion de l'acquisition des biens ou services nécessaires à l'exercice de son activité, ce qui distingue radicalement la TVA des systèmes de taxes en cascade, dans lesquels les taxes payées aux divers stades du circuit commercial viennent s'additionner.

7 Ce principe trouve sa traduction dans les articles 17 et 18 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (1) (ci-après la «sixième directive»).

8 L'article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive se lit comme suit:

«1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

b) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés;

c) la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l'article 5 paragraphe 7 sous a) et à l'article 6 paragraphe 3.»

9 L'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive dispose, quant à lui:

«Quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, les États membres peuvent soit faire reporter l'excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu'ils fixent.

Toutefois, les États membres ont la faculté de refuser le report ou le remboursement lorsque l'excédent est insignifiant.»

10 Estimant que les dispositions de la législation italienne précitées constituaient une violation de ces articles de la sixième directive, la Commission a introduit contre la République italienne le recours en manquement, enregistré au greffe de la Cour le 2 mars 2000 sous le numéro C-78/00, soumis à notre examen.

11 Dans sa requête, elle conclut à ce que la Cour constate que, en prévoyant le remplacement du remboursement de la TVA par la remise de titres d'État - en outre réalisée tardivement - pour une catégorie d'assujettis en situation de crédit d'impôt au cours de l'année 1992, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 17 et 18 de la sixième directive et condamne la République italienne aux dépens. Cette dernière conclut, pour sa part, au rejet du recours.

12 Examinons, tout d'abord, quelle est exactement la violation de la sixième directive que la Commission reproche à la République italienne, car il semble, à la lecture de la correspondance échangée entre les deux parties durant la phase précontentieuse du litige, qu'il a pu exister une certaine ambiguïté sur ce point.

13 En effet, dans un premier temps, la Commission a fait valoir que la remise des titres d'emprunt aux assujettis pouvant faire valoir un crédit de TVA au titre de l'année 1992 constituait, au vu des conditions dans lesquelles elle s'était effectuée, une violation de la règle qui veut que ce soit sur la période suivant celle au titre de laquelle est apparu un montant de déduction autorisé supérieur à celui de la taxe devant être versée au Trésor que s'effectue le report.

14 Elle faisait valoir, à cet égard, que non seulement cette remise ne devait, selon les dispositions mêmes de la législation italienne, intervenir qu'en 1994, et non pas en 1993, mais aussi, et peut-être surtout, qu'en réalité la remise des titres s'était, dans de nombreux cas, effectuée avec d'importants retards.

15 En revanche, elle ne contestait pas en termes clairs le remboursement sous la forme de remise de titres. Ce n'est que par la suite que la Commission a explicitement fait valoir que la remise de titres d'emprunt d'État ne saurait s'analyser comme un remboursement au sens de l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, ne retenant plus la remise tardive desdits titres que comme une circonstance aggravante de l'infraction.

16 Cette clarification est cependant intervenue suffisamment tôt pour que le recours ne puisse se voir opposer une discordance entre la lettre de mise en demeure, l'avis motivé et la requête.

17 Le gouvernement italien ne manque certes pas de tirer argument, sur le fond, de ce qui peut apparaître comme des fluctuations dans la position de la Commission, mais il ne conteste pas la recevabilité du recours et les arguments qu'il avance pour sa défense portent bien sur la question de savoir s'il était en droit, ayant choisi d'user de la faculté, que lui ouvrait l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, d'opter pour le remboursement des crédits de TVA plutôt que pour le report sur l'exercice suivant, de procéder à ce remboursement par la remise de titres d'emprunt d'État.

18 Quels sont les arguments en présence?

19 Selon la Commission, qui s'appuie sur l'arrêt du 18 décembre 1997, Molenheide e.a. (2), lorsqu'un État membre opte pour le remboursement d'un crédit de TVA, ce remboursement doit être immédiat et doit consister en la mise à disposition de l'assujetti de fonds liquides.

20 Certes, les États membres peuvent fixer les modalités selon lesquelles s'opère le remboursement, mais uniquement pour autant que ne soient remises en cause ni cette immédiateté ni cette liquidité.

21 Or, on ne saurait considérer que celles-ci sont assurées à un assujetti qui se voit remettre un titre d'emprunt d'État à échéance de 5 ou 10 ans.

22 Cet assujetti, s'il veut effectivement disposer, pour les besoins de son entreprise, de la somme que lui doit l'État italien, devra trouver un acquéreur pour le titre d'emprunt qui lui a été remis, sans être sûr que celui-ci le lui achètera à sa valeur nominale, mais, en devant, en outre, à coup sûr supporter les commissions réclamées par l'intermédiaire financier qui interviendra dans la transaction.

23 En fait, selon la Commission, l'opération qu'a réalisée la République italienne présente toutes les caractéristiques d'un emprunt forcé.

24 Toute autre est, évidemment, la position du gouvernement italien. Celui-ci expose, tout d'abord, qu'il n'a opéré aucune réduction des crédits de TVA dont pouvaient se prévaloir les assujettis. Leur créance a été reconnue dans son intégralité. Il fait valoir, ensuite, que, ayant opté pour le remboursement plutôt que pour le report, il n'a fait qu'user de la faculté que lui laissait l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive pour définir les modalités du remboursement.

25 À cet égard, il argue que, par choix des modalités, il faut entendre autre chose que le choix entre le chèque bancaire, le virement bancaire ou postal ou la remise d'espèces.

26 Selon lui, bien d'autres modalités sont envisageables, pour autant qu'elles ne conduisent pas à une spoliation de l'assujetti disposant d'un crédit de TVA.

27 Or, à cet égard, aucun reproche ne pourrait être formulé à l'égard des modalités retenues souverainement par la République italienne.

28 En effet, si les titres n'ont été émis qu'à compter du 1er janvier 1994, les assujettis ont bénéficié jusqu'à cette date des intérêts prévus par la législation italienne en matière de remboursement d'impôt. Les titres d'emprunts eux-mêmes portaient intérêt à un niveau élevé, accusant par rapport à l'inflation un différentiel important, atteignant, par exemple, 7,8 % en 1998.

29 Jusqu'en 1999, ce taux d'intérêt se serait toujours avéré supérieur au taux prévu pour les remboursements d'impôts. De toute manière, les titres étaient négociables sans aucune difficulté, étant admis à la cote officielle, et pouvaient, en principe, compte tenu du taux d'intérêt dont ils étaient assortis, se négocier au-dessus même de leur valeur nominale, de sorte que l'assujetti qui le souhaitait était en mesure, à tout moment, d'obtenir, en échange de ses titres, un montant d'argent liquide au moins égal à la valeur de son ancienne créance de TVA.

30 Le gouvernement italien relève, enfin, que, en concentrant ses critiques sur le retard avec lequel avaient été émis les titres, la Commission aurait, de fait, reconnu que l'extinction d'une créance de TVA par la remise, à titre de remboursement, de titres d'emprunt d'État est parfaitement admissible au regard de l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, dès lors que la remise des titres ne souffre d'aucun retard causant un préjudice économique à l'assujetti.

31 Il reconnaît que, en l'espèce, certains retards ont pu être enregistrés, mais affirme qu'ils tenaient à certaines difficultés et erreurs matérielles au niveau des administrations concernées, et que cela ne saurait remettre en cause, dans son principe, l'opération qu'il a pratiquée.

32 Que valent ces arguments?

33 Disons, tout de suite, qu'à une question de principe ne peut être apportée qu'une réponse de principe et que, en conséquence, nous ne voyons pas d'intérêt à discuter des gains ou des pertes qu'auraient concrètement enregistrés les assujettis italiens auxquels ont été remis, à titre de remboursement de leurs crédits de TVA, des titres d'emprunt d'État.

34 La seule question à laquelle il nous faut répondre est celle de savoir si cette remise est, en tant que telle, admissible au regard des règles posées par la sixième directive.

35 À cette question simple, notre réponse est très clairement non. Si l'on se réfère au texte de l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, on doit constater que le droit à déduction doit, lorsqu'à la fin d'une période de déclaration l'assujetti se trouve en situation créditrice, conduire, au choix de l'État membre concerné, soit à un report de l'excédent sur la période suivante, soit au remboursement.

36 Il est exclu que le législateur communautaire ait pu vouloir ouvrir deux possibilités produisant des résultats très différents pour les assujettis. Ceci serait à l'évidence le cas si, lorsqu'un État membre opte pour le remboursement, l'assujetti devait attendre des années pour disposer sous forme de liquidités du montant qui lui est dû, alors que l'assujetti autorisé à reporter sur la période suivante verrait sa créance très rapidement éteinte par compensation.

37 Reste à savoir quel est le moment ultime auquel le remboursement doit avoir lieu. La Commission cite, à ce propos, l'arrêt du 6 juillet 1995, BP Soupergaz (3), dans lequel la Cour a déclaré que «le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité. Selon une jurisprudence constante [...] il s'exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont».

38 Le «droit à déduction» s'exerce donc «immédiatement», mais peut-on tirer de cela des conclusions en ce qui concerne le moment auquel le «remboursement» d'un excédent de TVA doit être effectué par l'État membre?

39 Au point 45 de l'arrêt Molenheide e.a., précité, la Cour fait état de «l'obligation pour les autorités nationales de procéder à un remboursement immédiat au titre de l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive».

40 À ce propos, il convient cependant de rappeler que, d'après l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, le problème du report de l'excédent ou du remboursement ne se pose que lorsque «le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration» (4).

41 Si un droit à déduction naît donc «immédiatement», et à de multiples reprises, au cours d'une période donnée, le droit au report ou au remboursement de l'excédent ne peut être exercé qu'à l'issue de la période en question. Les deux ne doivent pas être confondus.

42 Il n'en reste pas moins que, à partir de la fin d'une «période de déclaration» donnée, les États membres doivent soit permettre le report de l'excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement. Comme la compensation entre la créance reportée et les nouvelles dettes de TVA se fera progressivement, au cours de la nouvelle période, on pourrait concevoir que le remboursement puisse, lui aussi, être opéré en plusieurs étapes, au cours de la même période. Mais il devrait être terminé au plus tard à la fin de celle-ci.

43 Dès lors, il ne saurait être admis que des créances fiscales relatives à l'exercice 1992 puissent être «remboursées» par la remise, à partir du 1er janvier 1994, de titres d'emprunts d'État venant à échéance au bout de 5 à 10 ans.

44 La seule certitude qui s'attache à un tel titre (si, bien évidemment, on exclut l'hypothèse, dont le passé nous a cependant enseigné qu'elle n'est pas purement théorique, de banqueroute de l'État) est celle d'un remboursement à l'échéance fixée, précédé d'un versement périodique d'intérêts au taux fixé. Cette certitude est aux antipodes de la liquidité qui s'attache à un paiement en monnaie ayant cours légal dans l'État où s'opère le paiement, intervenant au plus tard à l'issue de la période de déclaration suivante.

45 Certes, en pratique, comme nous l'affirme le gouvernement italien, le fait que de tels titres soient admis à la cote officielle leur confère également une certaine forme de liquidité. Mais cette liquidité est loin d'être toujours parfaite. La bourse est un marché où ne peut vendre que celui qui trouve un acheteur et l'admission à la cote officielle ne constitue pas en elle-même une garantie que tout vendeur trouvera toujours en face de lui, quel que soit le nombre de titres dont il veut se défaire, un acheteur prêt à en faire l'acquisition. Elle est encore moins une garantie que cet acheteur éventuel sera prêt à payer un prix correspondant à la valeur nominale du titre.

46 Toute personne tant soit peu au fait du fonctionnement du marché boursier sait que le cours des obligations, c'est-à-dire des titres d'emprunt, varie en fonction de l'évolution du taux d'intérêt. Un titre d'emprunt à 3 % ne trouvera à sa valeur nominale aucun acheteur si le taux des nouvelles émissions s'établit à 5 %. L'acheteur d'un titre ancien à 3 % ne sera disposé à payer qu'un prix lui assurant un rendement réel de 5 %, c'est-à-dire un prix largement inférieur au nominal. À l'inverse, un titre portant 10 % d'intérêt se vendra au-dessus de sa valeur nominale si les nouvelles émissions n'offrent qu'un taux d'intérêt de 5 %.

47 Dès que le détenteur d'un titre d'emprunt décide de s'en séparer avant son échéance, il est confronté à un aléa, qui un jour peut lui être favorable, mais qui peut tout aussi bien lui être défavorable le lendemain.

48 Or, quand l'article 18, paragraphe 4, de la sixième directive fait référence à un remboursement, il n'entend certainement pas inclure parmi les modes de remboursement une modalité qui confronte le créancier à un aléa, quel qu'il soit.

49 Ajoutons que la négociation d'un titre d'emprunt en bourse occasionne nécessairement des frais, puisqu'elle suppose l'intervention d'un intermédiaire, forcément rémunéré. Ce n'est donc que si l'acheteur paie un prix supérieur au nominal que le vendeur d'un titre peut espérer toucher effectivement une somme égale au nominal.

50 À l'affirmation du gouvernement italien, selon laquelle la remise à l'assujetti de titres d'emprunt d'État ne pose pas de problèmes au niveau de la liquidité, les intéressés pourraient opposer une question insidieuse, mais parfaitement pertinente, celle de savoir si, pour acquitter les diverses impositions dont ils sont redevables au titre de leur activité, il leur est loisible de présenter en paiement les titres qui leur ont été remis plutôt que de payer par chèque ou virement.

51 À notre avis, il n'y a guère de doute quant à la réponse qu'ils obtiendraient de la part du Trésor italien. À plus forte raison, on envisage mal, les autorités italiennes n'ayant pas encore suivi la voie tracée par les révolutionnaires français, qui avaient décrété le cours forcé de l'assignat, qu'ils puissent agir de la sorte pour régler leurs fournisseurs ou payer leurs salariés, alors même qu'ils pouvaient légitimement, au vu de la sixième directive, compter sur leur crédit de TVA pour assurer l'équilibre de leur trésorerie.

52 Nous relèverons aussi que l'accent mis par le gouvernement italien sur la «bonne affaire» qu'auraient, selon lui, réalisée les assujettis auxquels ont été remis les titres créés à partir de 1994, à la suite de l'évolution des taux d'intérêt en Italie, est révélateur de ce que ledit gouvernement essaie, autant que possible, d'esquiver le débat sur le terrain des principes, terrain sur lequel sa position est indéfendable.

53 Révélateur nous semble également le fait que le gouvernement italien, dans une note du 19 février 1999 du cabinet du ministre du Trésor, du Budget et de la Programmation économique, versée au dossier, affirme, pour expliquer que l'opération réalisée en application des décrets-lois précités de 1993 et de 1995 ne saurait, en aucune manière, être analysée comme un report au-delà de la période suivante de l'exercice du droit à déduction et a, au contraire, emporté extinction de toute dette du Trésor italien au titre de la TVA à l'égard des assujettis concernés, que l'on est en présence d'une «modalité de remboursement ayant consisté à substituer à la dette constituée par la créance fiscale de l'assujetti une autre dette représentée par le titre d'État».

54 Pour notre part, nous ne pouvons admettre que le système communautaire de TVA puisse s'accommoder de ce qui s'apparente à un tour de prestidigitation, puisque l'État italien aurait remboursé ses créanciers en contractant, à leur égard, une dette à échéance lointaine.

55 Ce genre d'opération relève peut-être du «pouvoir souverain» du législateur italien, pour reprendre une expression utilisée par le gouvernement italien dans l'une de ses notes à la Commission, mais uniquement s'agissant d'impositions échappant totalement à l'emprise du droit communautaire.

56 En conclusion de cette analyse de l'admissibilité, au regard de la sixième directive, de l'opération à laquelle a procédé la République italienne, nous ne pouvons que partager l'analyse de la Commission, selon laquelle il s'agit en fait d'un emprunt forcé.

57 Au titulaire d'une créance lui donnant droit à un paiement immédiat en monnaie est remis, au lieu et place de ce paiement, un autre titre de créance, dont il a été décidé par le législateur qu'il emporte extinction de la dette du Trésor au titre de la TVA.

58 Selon la Commission, pareille substitution devrait, dans les relations entre deux personnes privées, s'analyser comme une novation.

59 Pour notre part, nous pensons que l'opération réalisée par la République italienne se prêterait davantage à être analysée comme une dation en paiement.

60 Mais, quoi qu'il en soit, dans les relations de droit privé, pareille opération nécessite évidemment l'accord du créancier.

61 Même à supposer qu'en droit public italien tel ne soit pas le cas, ce droit ne saurait l'emporter sur le droit communautaire, dont nous pensons avoir démontré qu'il interdit un tel mode de remboursement des crédits de TVA.

62 Ayant écarté, dès l'abord, toute discussion sur l'effet concret, pour les assujettis, des décrets-lois précités de 1993 et de 1995, car, à notre avis, l'existence du manquement est totalement indépendante de cet effet, nous ne nous attarderons pas sur les considérations présentées par la Commission quant à la gravité particulière du manquement, tenant au fait que les titres d'emprunt n'ont été remis qu'avec retard. Le recours en manquement étant un recours objectif et la Cour n'ayant, en aucune manière, à prononcer une quelconque sanction, pour laquelle la gravité de l'infraction pourrait revêtir de l'importance, il nous semble que, même si cette circonstance relevée par la Commission est effectivement de nature à rendre encore plus patent le manquement de la République italienne, la Cour n'a pas à la mentionner dans le dispositif de son arrêt.

63 La gravité du manquement constituerait, certes, un élément à prendre en considération si la Cour était amenée à exercer les compétences que lui confère l'article 171, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 228, paragraphe 2, CE), mais tel n'est pas le cas dans la présente procédure.

64 Il nous reste un dernier point à examiner. Ce sont les considérations qu'a fait valoir la République italienne quant aux difficultés auxquelles elle se heurterait si la Cour accueillait le recours de la Commission.

65 Nous nous permettrons d'être extrêmement bref sur ce point, tant qu'il est clair que de telles considérations ne peuvent, au vu d'une jurisprudence constante, aucunement être prises en considération dans le cas d'un recours fondé sur l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE). Ou bien le manquement existe, et la Cour ne peut que le constater, ou bien il n'existe pas, et le recours doit être rejeté. Une fois le manquement constaté par l'arrêt de la Cour, il appartient à l'État membre d'examiner quelle mesure il entend adopter pour y mettre fin. S'il estime que cela lui est impossible, il lui appartiendra d'en informer la Commission. Ce sera à celle-ci qu'il reviendra d'apprécier s'il y a lieu d'introduire un nouveau recours au titre de l'article 171, paragraphe 2, du traité et, en dernier ressort, c'est la Cour qui, si un tel recours est introduit, jugera si l'État membre a violé ses obligations en n'assurant pas à l'arrêt en manquement une exécution satisfaisante et s'il y a lieu d'imposer le paiement d'une somme forfaitaire ou de prononcer une astreinte.

66 Mais, comme pour la gravité du manquement, il s'agit de considérations qui n'ont pas de place dans la présente procédure.

67 Avant de conclure, nous voudrions encore faire remarquer, bien que cela n'ait nulle part été évoqué dans les pièces de la procédure écrite, que l'opération décidée par la République italienne ne constitue pas seulement une violation de la sixième directive.

68 En effet, dès lors que la remise des titres d'État au lieu et place du remboursement prévu par la sixième directive n'a concerné que certains assujettis disposant d'un crédit de TVA au titre d'opérations d'importation effectuées à partir d'autres États membres, il nous paraît patent, au regard de la jurisprudence de la Cour, que nous nous trouvons en présence d'une violation de l'article 95 du traité CE (devenu, après modification, article 90 CE). La TVA est, en effet, une imposition intérieure relevant du champ d'application de cette disposition, que viole très directement la discrimination opérée, quant aux modalités de restitutions d'un trop-perçu de taxes, entre les importateurs et les autres opérateurs.

Conclusions

69 En conclusion, nous proposons à la Cour:

- de constater que, en prévoyant le remplacement du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée par la remise de titres d'État pour une catégorie d'assujettis en situation de crédit d'impôt au cours de l'année 1992, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 17 et 18 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme;

- de condamner la République italienne aux dépens.

(1) - JO L 145, p. 1.

(2) - C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Rec. p. I-7281, point 45.

(3) - C-62/93, Rec. p. I-1883, point 18.

(4) - Souligné par l'auteur.