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62001C0155

Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 10 octobre 2002. - Cookies World Vertriebsgesellschaft mbH iL contre Finanzlandesdirektion für Tirol. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof - Autriche. - Sixième directive TVA - Véhicule automobile mis à disposition au moyen d'un contrat de leasing - Opérations imposables - Consommation propre - Article 17, paragraphes 6 et 7 - Exclusions prévues par la législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la directive. - Affaire C-155/01.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-08785


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1. Dans cette affaire, le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) a posé une question en interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive»).

2. Cette question vise à savoir plus particulièrement si l'on peut admettre une règle fiscale autrichienne qualifiant d'opération imposable la location d'un véhicule chez un bailleur établi dans un autre État membre. Cette règle prévoit en plus que cette location n'ouvre pas le droit de déduire la TVA. Ce droit n'existe pas non plus si le véhicule est loué auprès d'une entreprise établie en Autriche. On se demande dès lors si cette exclusion du droit à déduction est conforme à la sixième directive. Ce sont les articles 9 de la sixième directive, relatif au lieu des opérations imposables, et 17, régissant le droit à déduction et ses exceptions, qui nous intéressent plus particulièrement à cet égard.

3. Cette affaire présente de grandes affinités avec l'affaire Metropol et Stadler, dans laquelle j'ai présenté des conclusions le 4 octobre 2001 et la Cour a rendu un arrêt le 8 janvier 2002 . Dans les deux affaires il s'agit d'une règle fiscale autrichienne s'écartant du principe de la déduction de la TVA garanti par le droit communautaire et qui n'a reçu application que (peu) après l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne. Une différence importante entre les deux affaires est l'élément transfrontalier. La présente affaire concerne une opération entre deux entreprises établies dans deux États membres différents, qui implique de ce fait l'éventualité d'une double TVA.

II - Le cadre juridique

A - Droit européen

4. Les articles 5 et 6 de la sixième directive déterminent ce qu'il faut entendre par biens et services. L'article 6, paragraphe 2, dispose plus particulièrement: «Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence.»

5. L'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive énonce la règle de principe pour déterminer le lieu d'un service. Cette règle de principe se lit comme suit: «Le lieu d'une prestation de services est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle». Le paragraphe 2 prévoit des exceptions à cette règle de principe, notamment pour pouvoir aussi taxer l'opération, dans des cas particuliers, au lieu d'établissement du bénéficiaire du service [sous e]. Un cas particulier de cette nature est la location de biens mobiliers corporels, qui ne couvre pas à son tour les moyens de transport .

6. L'article 17, paragraphe 2, dispose dans les passages qui nous intéressent ici:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

b) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés;

c) la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l'article 5 paragraphe 7 sous a) et à l'article 6 paragraphe 3.»

7. C'est surtout le paragraphe 6 de l'article 17 qui intéresse cette procédure. Il se lit comme suit: «Au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation. Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive».

8. Les États membres tirent de l'article 17, paragraphe 7, une faculté particulière d'exclure le droit de déduire la TVA: «Sous réserve de la consultation prévue à l'article 29, chaque État membre a la faculté, pour des raisons conjoncturelles, d'exclure partiellement ou totalement du régime des déductions les ou certains biens d'investissement ou d'autres biens. [...]»

9. La huitième directive TVA précise les règles de remboursement de la TVA aux entreprises établies dans un autre État membre. L'article 2 de cette directive dispose: «Chaque État membre rembourse à tout assujetti qui n'est pas établi à l'intérieur du pays mais qui est établi dans un autre État membre, dans les conditions fixées ci-après, la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des services qui lui sont rendus ou des biens meubles qui lui sont livrés à l'intérieur du pays par d'autres assujettis, ou ayant grevé l'importation de biens dans le pays [...]». À l'article 5 de la huitième directive on peut lire ceci: «Aux fins de la présente directive, le droit au remboursement de la taxe est déterminé conformément à l'article 17 de la directive 77/388/CEE tel qu'il est appliqué dans l'État membre du remboursement».

B - Droit interne

10. L'Umsatzsteuergesetz 1972 (ci-après l'«UStG 1972») était en vigueur en Autriche jusqu'à l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne le 1er janvier 1995.

11. L'article 3, paragraphe 11, de cette loi disposait:

«Une prestation autre est effectuée à l'intérieur du pays si l'entrepreneur y est exclusivement ou principalement actif ou si l'entrepreneur tolère une action ou une situation à l'intérieur du pays, ou s'abstient d'une telle prestation [...]»

D'après le juge de renvoi, cette disposition impliquait que les opérations de leasing portant sur une voiture de tourisme étaient réputées effectuées en Autriche si le véhicule était principalement utilisé en Autriche.

12. L'article 12, paragraphe 2, point 2, de cette loi disposait dans les passages qui nous intéressent ici:

«Ne sont pas réputées effectuées pour l'entreprise les livraisons et autres prestations [...] en rapport avec l'acquisition (la fabrication), la location ou l'exploitation de voitures de tourisme, de véhicules à usage mixte [...]»

13. Depuis le 1er janvier 1995 - date de l'adhésion à l'Union européenne - l'UStG 1972 a été remplacé par l'Umsatzsteuergesetz 1994 (ci-après l'«UStG 1994»).

14. L'article 3 bis, paragraphe 12, de l'UStG 1994 dispose:

«Dans les autres cas, une prestation autre est réputée effectuée au lieu où l'entrepreneur exerce son activité économique. Lorsque ladite prestation est effectuée par un établissement stable, celui-ci est le lieu de la prestation autre.»

D'après le juge de renvoi, cette disposition signifie que les opérations de location portant sur une voiture de tourisme sont réputées accomplies dans l'État membre à partir duquel le bailleur exerce son activité économique, même lorsque ce véhicule est principalement utilisé en Autriche.

15. L'article 12, paragraphe 2, point 2, de l'UStG 1994 est identique - dans les passages qui nous intéressent ici - à l'article 12, paragraphe 2, de l'UStG 1972, reproduit ci-dessus.

16. Depuis le 6 janvier 1995, l'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994 dispose : «Sont soumises à la TVA les opérations suivantes: [...] la consommation propre à l'intérieur du territoire. Il y a consommation propre [...] pour autant qu'un entrepreneur effectue des dépenses (entendues comme frais), concernant des prestations à l'étranger qui, si elles avaient été prestées à l'intérieur du pays, avec pour destinataire l'entrepreneur, n'auraient pas permis à ce dernier de bénéficier de la déduction de la taxe sur la base de l'article 12, paragraphe 2, ci-après; il n'en est toutefois ainsi que si l'entrepreneur a, à l'étranger, droit à la décharge de la taxe en amont étrangère. [...]»

III - Les faits et la procédure

17. Cookies World Vertriebsgesellschaft mbH iL (ci-après «Cookies World»), la demanderesse dans le litige au principal, est une société à responsabilité limitée établie en Autriche qui exploite une entreprise commerciale. Elle a loué, auprès d'une entreprise allemande, une voiture de tourisme qu'elle utilise en Autriche à des fins professionnelles.

18. Par décision du 15 juin 1996, le Finanzamt a établi la taxe sur le chiffre d'affaires de Cookies World pour l'année 1997. Le Finanzamt a inclus le loyer dans le chiffre d'affaires imposable. Cette incorporation procède de l'application de l'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994.

19. Cookies World a introduit une réclamation contre cette décision en sollicitant d'établir la taxe sur le chiffre d'affaires sans appliquer cette dernière disposition. La mise à disposition de véhicules est à ses yeux une prestation «autre» qui, envisagée sous l'angle de la taxe sur le chiffre d'affaires, est réputée effectuée au lieu à partir duquel l'entrepreneur exerce son activité économique. Dans les locations de véhicules, le lieu de cette prestation se trouve en principe dans l'État de résidence du bailleur, en l'occurrence en Allemagne. C'est là que l'opération est imposable. Le droit communautaire ne prévoit pas d'autres faits générateurs de la taxe. L'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994 a cependant créé un deuxième fait générateur de la taxe sur le chiffre d'affaires pour une seule et même opération (s'ajoutant à l'imposition, conforme à la directive, dans l'État où le bailleur a son siège). La même opération est donc doublement imposée. Cookies World estime que l'on ne saurait justifier cette double imposition par l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive. En effet, cette disposition ne concerne que l'exclusion du droit de déduire la TVA. De surcroît, elle permet simplement de maintenir la législation en place. Le fait générateur de la taxe, visé à l'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994, n'a toutefois été introduit que depuis le 6 janvier 1995 dans le droit positif autrichien.

20. Par décision du 20 juillet 2000, la Finanzlandesdirektion für Tirol a rejeté la réclamation de Cookies World. Elle a estimé que, dans l'attente d'une éventuelle modification de la directive, les États membres ont la faculté de maintenir des dispositions nationales excluant le droit de déduire la taxe en amont. Cette faculté des États membres inclut aussi l'imposition pour l'utilisation personnelle prévue par la législation autrichienne. D'après la Finanzlandesdirektion, cette imposition servirait principalement à annuler l'effet de la déduction de la TVA à l'étranger, pour des raisons de neutralité de la concurrence.

21. C'est contre cette décision que Cookies World a formé un recours devant le Verwaltungsgerichtshof. Elle soutient que la taxe sur le chiffre d'affaires a été établie pour 1997 par application d'une règle de droit interne contraire au droit communautaire.

22. Par décision du 29 mars 2001, parvenue au greffe de la Cour de justice le 11 avril 2001, le Verwaltungsgerichtshof a ensuite sollicité une décision préjudicielle sur la question suivante :

«Est-il compatible avec la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de la taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme - notamment avec les articles 5 et 6 de la directive, qu'un État membre soumette à la TVA le règlement de prestations effectuées à l'étranger alors que si elles avaient été effectuées, à destination de l'opérateur, dans l'État membre de ce dernier, celui-ci n'aurait pas pu opérer la déduction de la taxe payée en amont?»

23. Dans cette procédure des observations écrites ont été déposées devant la Cour par Cookies World, le gouvernement autrichien et la Commission. Il n'y a pas eu de procédure orale.

IV - Le fond de la question préjudicielle

24. Je déduis de la question préjudicielle posée et des faits du litige au principal, qui apparaissent dans la décision de renvoi, que la question du juge de renvoi comporte en substance deux sous-questions. Premièrement, la sixième directive offre-t-elle un fondement permettant de soumettre à la TVA une opération conclue dans un autre État membre et qui est en principe également soumise à la TVA dans cet autre État membre? Deuxièmement, quelle est l'étendue de la faculté laissée aux États membres de déroger au principe de la déduction de la TVA énoncé à l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive?

25. Si l'on doit déterminer que l'on ne peut pas soumettre une nouvelle fois à la TVA une activité qui a déjà subi la TVA dans un autre État membre, la Cour n'a pas à répondre à la seconde sous-question.

26. En revanche, la seconde sous-question s'envisage si l'on doit bel et bien admettre cette faculté - ou à tout le moins si celle-ci ne peut pas être exclue. La réponse que la Cour est appelée à donner est conditionnée dans une large mesure par la jurisprudence récemment consacrée aux paragraphes 6 et 7 de l'article 17. Au point 3 de ces conclusions, j'ai déjà évoqué l'arrêt Metropol et Stadler. Il s'agit par ailleurs de deux arrêts du 14 juin 2001, Commission/France .

V - La première sous-question: TVA sur une opération dans un autre État membre

27. Il est établi que cette affaire concerne une opération présentant des éléments transfrontaliers. Une entreprise établie dans un État membre, à savoir la république d'Autriche, loue un véhicule auprès d'une entreprise établie dans un autre État membre, à savoir la république fédérale d'Allemagne, en vue d'utiliser ce véhicule principalement en Autriche.

28. Le principe fondamental de la sixième directive à l'égard des opérations comportant des éléments transfrontaliers qui se déploient dans la Communauté européenne est d'empêcher aussi bien la double imposition que l'absence d'imposition.

29. Ce principe fait partie des options prises par le législateur communautaire dans la rédaction de la sixième directive et que la Cour a réaffirmées à plusieurs reprises. Il s'agit de:

- la neutralité fiscale qui garantit la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA ;

- l'égalité de traitement fiscal, afin d'éviter de fausser la concurrence. À cet égard, les exceptions à l'harmonisation doivent se concevoir de manière stricte: elle ne valent que dans les cas expressément prévus par la sixième directive. En effet, toute exception entraîne des divergences entre les niveaux de la charge fiscale dans les États membres .

30. Ce principe fondamental reçoit sa concrétisation dans les articles 8 et 9 qui régissent de manière circonstanciée la manière de déterminer le lieu d'une opération imposable. Pour les services, la règle de principe est établie à l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive: le lieu où le prestataire a son siège. Cette règle de principe souffre une exception à l'égard de la location de biens meubles corporels mais celle-ci ne joue pas, à son tour, pour les véhicules. Des raisons liées à la nature technique des contrôles expliquent cette exception à l'exception.

31. Dans le contexte que j'ai décrit, c'est le principe fondamental qui détermine la réponse à la première sous-question du juge de renvoi.

32. Sur ce point, je reviens aux faits du litige au principal. S'il est établi que la location constitue une opération imposable en Allemagne, il découle de ce principe que la location ne peut pas être soumise à la TVA en Autriche. Tel est aussi le point de vue que Cookies World et la Commission adoptent dans la présente procédure.

33. Le gouvernement autrichien est toutefois d'un avis différent. Ce qui est imposé en Autriche, c'est l'utilisation personnelle du véhicule par le locataire. Le lieu de cette utilisation personnelle doit être déterminé par analogie aux règles applicables aux biens et services figurant dans la sixième directive. Cette utilisation personnelle requiert un lien avec le territoire autrichien. Ce lien existe puisque les dépenses du locataire réduisent son patrimoine et qu'en plus le service est utilisé en Autriche. Le gouvernement autrichien renvoie également à l'article 5, paragraphe 6, et à l'article 6, paragraphe 2, de la sixième directive en vertu desquels la livraison ou l'utilisation à des fins privées de biens de l'entreprise peuvent être assimilées à un fait générateur de la taxe. À cet égard, le gouvernement autrichien estime également qu'il importe de considérer les différentes dispositions de la sixième directive non pas de manière isolée mais - si je comprends bien le gouvernement autrichien - dans leurs liens réciproques, lesquels sont déterminants.

34. Les faits dans la procédure au principal montrent en effet qu'il s'agit ici d'une utilisation personnelle faite en Autriche. Cela dit, cette utilisation personnelle n'est toutefois pas le fait générateur de la taxe que la sixième directive retient pour son application. Ce fait générateur est la location intervenue en Allemagne. Ainsi que la Cour l'a déterminé dans l'arrêt ARO Lease , la location de véhicules sous la forme de leasing est un service au sens de l'article 9 de la sixième directive.

35. Dans cet arrêt , la Cour détermine de surcroît, à l'endroit de la location d'un véhicule:

- les considérants de la directive montrent que, en ce qui concerne la location de moyens de transport, il convient, pour des raisons de contrôle, d'appliquer strictement l'article 9, paragraphe 1, en localisant ces prestations de services au lieu du prestataire;

- il résulte de l'article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive que «tout moyen de transport» est expressément exclu de la règle dérogatoire selon laquelle, pour ce qui est de la «location de biens meubles corporels», le lieu des prestations de services est l'endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable;

- étant donné que les moyens de transport peuvent franchir facilement les frontières, il est difficile, sinon impossible, de déterminer le lieu de leur utilisation, et qu'il est ainsi nécessaire de prévoir dans chaque cas un critère praticable pour la perception de la TVA. En conséquence, la sixième directive a consacré, pour la location de tous les moyens de transport, le rattachement non pas au lieu de l'utilisation du bien donné en location, mais, pour des raisons de simplification et conformément au principe général, à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique.

36. En résumé, cette jurisprudence de la Cour ne permet en rien de soumettre la location à la TVA dans l'État membre d'utilisation. Sur ce point, je renvoie également au principe fondamental de la TVA que j'ai décrit ci-dessus: pas de double imposition pour un même fait.

37. L'arrêt Monte Dei Paschi Di Siena , auquel tant Cookies World que la Commission et le gouvernement autrichien renvoient, ne va pas dans un sens différent. Dans cet arrêt, la Cour examine la situation dans laquelle un assujetti est redevable de TVA aussi bien dans le pays où il est établi que dans un autre État membre. En l'espèce toutefois, Cookies World n'est redevable d'aucune TVA dans le pays d'établissement pour l'opération en cause.

38. On pourrait encore alléguer que la TVA est perçue en Autriche au titre d'un autre fait, à savoir l'utilisation personnelle elle-même. Il ne s'agirait plus de l'opération passée avec la société de location, mais de l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti, que l'article 6, paragraphe 2, de la sixième directive assimile à une prestation de services effectuée à titre onéreux. La dernière phrase de cette disposition en donne la faculté aux États membres. Cette allégation ne tient toutefois pas. Les faits du litige au principal montrent clairement que l'opération taxée est la location en Allemagne. L'imposition en cause du Finanzamt Schwaz vise en effet le montant du loyer du véhicule loué. L'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994, sur lequel se fonde le gouvernement autrichien, montre lui aussi que c'est un seul et même fait qui est taxé.

39. Le gouvernement autrichien fonde en grande partie le raisonnement qu'il consacre à l'admissibilité de la mesure litigieuse sur une approche globale des dispositions de la sixième directive lues dans leurs liens réciproques. Il développe une argumentation économique. L'exclusion du droit à déduction ne pourrait pas être limitée aux contrats de location conclus avec un bailleur autrichien. Sinon, cela fausserait la concurrence.

40. Bien que j'attache en général une grande importance à l'élimination des distorsions de concurrence dans le marché commun, j'estime que cet argument n'est pas solide. En effet, l'opération imposable a lieu dans un autre État membre qui applique pleinement la sixième directive (en ce compris le droit à déduction). La république d'Autriche, qui est un État membre, recourt à une exception à la sixième directive. Le recours à cette exception ne peut naturellement jamais aboutir à ce que les assujettis établis dans le propre État membre ne puissent pas invoquer dans un autre État membre une disposition qui s'offre à eux en vertu de la législation de cet autre État membre et qui est fondée, notons-le, sur une directive communautaire .

41. Cookies World indique encore que la législation interne en cause, qui ne viserait qu'à protéger les prestataires de services autrichiens, enfreint l'article 49 CE. J'estime que cet argument est dénué de pertinence en l'espèce. L'article 49 CE ne joue que si l'on déterminait que le législateur autrichien aurait une compétence pour réglementer la TVA dans un cas comme celui-ci - si cette taxe n'était pas (encore) pleinement harmonisée. Pour les motifs exposés ci-dessus, le législateur autrichien n'a pas de compétence de cet ordre.

42. Pour l'illustrer, je renvoie sur ce point à l'arrêt récent Cura Anlagen . Cet arrêt n'a pas trait à la taxe sur le chiffre d'affaires, mais bien à des entraves que la législation autrichienne dresse contre la location de véhicules en dehors de l'Autriche. Dans cet arrêt, la Cour renvoie à sa jurisprudence voulant que l'article 49 CE s'oppose également à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre. Une telle entrave à la libre prestation des services ne peut être justifiée que par des raisons impérieuses d'intérêt général et si elle respecte le principe de proportionnalité . À mon sens, la mesure autrichienne en cause ne complique pas par définition la location d'un véhicule quand elle intervient dans un autre État membre plutôt que dans le propre État membre. Elle aboutit précisément à des conditions plus égales. Donc, s'il fallait l'examiner sous l'angle de l'article 49 CE - ce qui n'est pas le cas - on commencerait par se demander si la disposition autrichienne en cause emporte violation de cet article du traité.

43. Pour terminer, j'ajoute ceci. L'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive laisse dans certaines circonstances aux États membres la faculté de maintenir une exclusion du droit de déduire la TVA. J'examinerai la teneur de cette faculté ci-dessous, lorsque j'aborderai la seconde sous-question. Au préalable, je constate déjà à ce stade que cette faculté ne peut pas être exercée pour changer le lieu d'un fait générateur de la taxe découlant de la sixième directive. L'article 17, paragraphe 6, n'a dès lors aucune incidence sur la réponse à la première sous-question. En ce sens, je partage le point de vue de Cookies World et de la Commission lorsqu'elles indiquent que les États membres ne peuvent recourir à l'article 17, paragraphe 6, que pour maintenir une exclusion du droit à déduction qui existait déjà dans leur législation interne.

VI - La seconde sous-question: dérogation au principe de la déduction de la TVA

44. J'ai déterminé ci-dessus que la sixième directive ne confère pas la compétence pour soumettre à la TVA dans un État membre l'utilisation d'un véhicule loué dans un autre État membre. Cela étant, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde sous-question. C'est donc par pur souci d'exhaustivité que j'examine cette seconde sous-question.

45. Dans mes conclusions antérieures sur l'article 17 de la sixième directive, j'ai indiqué la nature de la sixième directive et le rôle que le droit à déduction y joue. La Cour élève la règle de principe de l'article 17, paragraphe 2, au rang d'un principe de droit. Il s'ensuit que «les possibilités de déroger à la déductibilité de la TVA ont un caractère limitatif. Dans son arrêt Lennartz, la Cour a dit pour droit que le droit à déduction doit s'exercer immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées [...]. Dès lors que les limitations doivent s'appliquer de manière similaire dans tous les États membres, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par ladite directive. Les dispositions permettant des dérogations doivent en outre être interprétées de manière restrictive» .

46. L'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, déroge à ce principe et s'applique jusqu'à ce que le Conseil arrête les dispositions prévues à l'article 17, paragraphe 6, premier alinéa. Cette dérogation a la nature d'une clause de «standstill» permettant aux États membres de maintenir les dispositions internes effectivement appliquées jusqu'à ce que le Conseil arrête un régime communautaire pour les exclusions du droit de déduire la TVA.

47. Il se trouve que la république d'Autriche peut maintenir les exceptions à la déductibilité qui existaient au moment de son adhésion à l'Union européenne (le 1er janvier 1995). Depuis cette date, elle ne peut plus prendre de mesures étendant le champ des exclusions existantes en s'éloignant ainsi de l'objectif de la sixième directive. Si une exclusion existante est totalement ou partiellement abrogée, elle ne peut plus être réinstaurée par la suite .

48. Il est établi que la mesure interne en cause ici, à savoir l'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994, n'a été instaurée qu'à compter du 6 janvier 1995, ce qui veut dire quelques jours après l'adhésion. Le gouvernement autrichien l'attribue à une raison d'organisation liée à la procédure législative.

49. Le fait que la disposition en question a été intégrée dans la législation fiscale autrichienne quelques jours seulement après l'adhésion - et non pas après une plus longue période - n'a aucune incidence. J'étaye ce propos comme suit. Premièrement, les exceptions au droit à déduction doivent s'interpréter strictement. Elles ne valent que si elles sont expressément prévues. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Deuxièmement, l'exception spécifique de l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, est conçue comme une clause de «standstill» et n'a donc explicitement pas pour but de permettre à un nouvel État membre d'adapter encore sa législation interne au moment de l'adhésion en s'éloignant ainsi de l'acquis communautaire.

50. Je relève encore que le fait que, selon l'article 3, paragraphe 11, de l'UStG 1972 qui a été en vigueur jusqu'au 1er janvier 1995 - à tout le moins aux dires du juge de renvoi -, les opérations de leasing portant sur une voiture de tourisme étaient réputées effectuées en Autriche si le véhicule était utilisé principalement en Autriche est selon moi sans incidence. Le législateur autrichien a en effet délibérément choisi de ne plus reprendre cette disposition sous cette forme dans l'UStG 1994. Cette disposition ne figurait dès lors plus dans le droit positif indépendamment de savoir si les termes de l'article 3, paragraphe 11, de l'USTG 1972 sont analogues à ceux de l'article 1er, paragraphe 1, de l'UStG 1994.

51. J'en viens donc à conclure que - même si l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, pouvait s'appliquer à un fait générateur de la taxe qui se produit dans un autre État membre, ce qui n'est pas le cas - cette disposition ne peut pas être appliquée pour créer une exception au droit à déduction peu après l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne.

52. Cela m'amène à la faculté que l'article 17, paragraphe 7, de la sixième directive reconnaît à chaque État membre d'exclure le droit à déduction pour des raisons conjoncturelles. Cette faculté-là non plus ne peut pas être exercée en l'espèce. L'arrêt Metropol et Stadler conduit inévitablement à cette conclusion. La Cour soumet cette faculté à deux conditions. En premier lieu, l'État membre ne peut exercer cette faculté qu'après consultation du comité institué à l'article 29. Cette consultation n'a pas eu lieu en l'espèce. Deuxièmement, les mesures portant exclusion du droit de déduire la TVA doivent comporter des indications quant à leur limitation dans le temps ; on n'en trouve aucune trace en l'espèce.

VII - Conclusion

53. Par ces motifs, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle du Verwaltungsgerichtshof:

«La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, s'oppose à une législation interne excluant ses propres ressortissants du droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant une opération accomplie dans un autre État membre dans lequel elle est qualifiée d'opération imposable conformément à la directive.»