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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN MISCHO
présentées le 13 mars 2003(1)


Affaire C-9/02



Hughes de Lasteyrie du Saillant
contre
Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie


[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d'État (France)]

«Liberté d'établissement – Législation fiscale – Transfert du domicile fiscal – Modalités d'imposition de plus-values de valeurs mobilières»






1.        Dans le cadre d'un litige relatif à des dispositions françaises régissant l'imposition de certaines plus-values en cas de transfert du domicile fiscal hors de France, le Conseil d'État (France) a saisi notre Cour d'une question préjudicielle relative au principe de la liberté d'établissement figurant à l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE).

I –   Le cadre juridique

2.        L'article 24 de la loi de finances pour 1999 (n° 98/1266, du 30 décembre 1998) (JORF n° 303, du 31 décembre 1998, ci-après la «loi de finances pour 1999»), dans sa rédaction en vigueur à la date du décret n° 99-590, du 6 juillet 1999, portant application de l'article 24 de la loi de finances pour 1999 relatif aux modalités d'imposition de certaines plus-values de valeurs mobilières en cas de transfert du domicile fiscal hors de France (JORF n° 160, du 13 juillet 1999, ci-après le «décret n° 99-590»), dispose:

«I.    […]

II.Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 167 bis ainsi rédigé:

‘Art. 167 bis.

I.-1.Les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années sont imposables, à la date du transfert de leur domicile hors de France, au titre des plus-values constatées sur les droits sociaux mentionnés à l'article 160.

2.La plus-value constatée est déterminée par différence entre la valeur des droits sociaux à la date du transfert du domicile hors de France, déterminée suivant les règles prévues aux article 758 et 885 T bis, et leur prix d'acquisition par le contribuable ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation.

Les pertes constatées ne sont pas imputables sur les plus-values de même nature effectivement réalisées par ailleurs.

3.La plus-value constatée est déclarée dans les conditions prévues au 2 de l'article 167.

II.-1.Le paiement de l'impôt afférent à la plus-value constatée peut être différé jusqu'au moment où s'opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés.

Le sursis de paiement est subordonné à la condition que le contribuable déclare le montant de la plus-value constatée dans les conditions du I, demande à bénéficier du sursis, désigne un représentant établi en France autorisé à recevoir les communications relatives à l'assiette, au recouvrement et au contentieux de l'impôt et constitue auprès du comptable chargé du recouvrement, préalablement à son départ, des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor.

Le sursis de paiement prévu au présent article a pour effet de suspendre la prescription de l'action en recouvrement jusqu'à la date de l'événement entraînant son expiration. Il est assimilé au sursis de paiement prévu à l'article L. 277 du livre des procédures fiscales pour l'application des articles L. 208, L. 255 et L. 279 du même livre.

Pour l'imputation ou la restitution de l'avoir fiscal, des crédits d'impôts et des prélèvements ou retenues non libératoires, il est fait abstraction de l'impôt pour lequel un sursis de paiement est demandé en application du présent article.

2.Les contribuables qui bénéficient du sursis de paiement en application du présent article sont assujettis à la déclaration prévue au 1 de l'article 170. Le montant cumulé des impôts en sursis de paiement est indiqué sur cette déclaration à laquelle est joint un état établi sur une formule délivrée par l'administration faisant apparaître le montant de l'impôt afférent aux titres concernés pour lequel le sursis de paiement n'est pas expiré ainsi que, le cas échéant, la nature et la date de l'événement entraînant l'expiration du sursis.

3.Sous réserve du 4, lorsque le contribuable bénéficie du sursis de paiement, l'impôt dû en application du présent article est acquitté avant le 1er mars de l'année suivant celle de l'expiration du sursis.

Toutefois, l'impôt dont le paiement a été différé n'est exigible que dans la limite de son montant assis sur la différence entre le prix en cas de cession ou de rachat, ou la valeur dans les autres cas, des titres concernés à la date de l'événement entraînant l'expiration du sursis, d'une part, et leur prix ou valeur d'acquisition retenu pour l'application du 2 du I, d'autre part. Le surplus est dégrevé d'office. Dans ce cas, le contribuable fournit, à l'appui de la déclaration mentionnée au 2, les éléments de calcul retenus.

L'impôt acquitté localement par le contribuable et afférent à la plus-value effectivement réalisée hors de France est imputable sur l'impôt sur le revenu établi en France à condition d'être comparable à cet impôt.

4. Le défaut de production de la déclaration et de l'état mentionnés au 2 ou l'omission de tout ou partie des renseignements qui doivent y figurer entraînent l'exigibilité immédiate de l'impôt en sursis de paiement.

III.À l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la date du départ ou à la date à laquelle le contribuable transfère de nouveau son domicile en France si cet événement est antérieur, l'impôt établi en application du I est dégrevé d'office en tant qu'il se rapporte à des plus-values afférentes aux droits sociaux qui, à cette date, demeurent dans le patrimoine du contribuable.

IV.Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article, et notamment les modalités permettant d'éviter la double imposition des plus-values constatées ainsi que les obligations déclaratives des contribuables et les modalités du sursis de paiement.’

V.Les dispositions du présent article sont applicables aux contribuables qui transfèrent leur domicile hors de France à compter du 9 septembre 1998.»

3.        L'article 160, I, du code général des impôts (ci-après le «CGI») dans sa rédaction en vigueur à la date du décret n° 99-590, est libellé comme suit:

«Lorsqu'un associé, actionnaire, commanditaire ou porteur de parts bénéficiaires cède, pendant la durée de la société, tout ou partie de ses droits sociaux, l'excédent du prix de cession sur le prix d'acquisition – ou la valeur au 1er janvier 1949, si elle est supérieure – de ces droits est taxé exclusivement à l'impôt sur le revenu au taux de 16 p. 100. En cas de cession d'un ou plusieurs titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d'acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d'acquisition de ces titres. En cas de cession de titres après la clôture d'un plan d'épargne en actions défini à l'article 163 quinquies D ou leur retrait au-delà de la huitième année, le prix d'acquisition est réputé égal à leur valeur à la date où le cédant a cessé de bénéficier, pour ces titres, des avantages prévus aux 5° bis et 5° ter de l'article 157 et au IV de l'article 163 quinquies D.

L'imposition de la plus-value ainsi réalisée est subordonnée à la seule condition que les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux par le cédant ou son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, aient dépassé ensemble 25 p. 100 de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Toutefois, lorsque la cession est consentie au profit de l'une des personnes visées au présent alinéa, la plus-value est exonérée si tout ou partie de ces droits sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. À défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente de droits au tiers.

[…]

Les moins-values subies au cours d'une année sont imputables exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des cinq années suivantes.

[…]

Les plus-values imposables en application du présent article ainsi que

les moins-values doivent être déclarées dans les conditions prévues au 1 de l'article 170 selon les modalités qui sont précisées par décret.»

4.        Aux termes de l'article 3, premier alinéa, du décret n° 99-590:

«Les contribuables qui ont transféré leur domicile fiscal hors de France entre le 9 septembre et le 31 décembre 1998 souscrivent avant le 30 septembre 1999 la déclaration rectificative prévue au 2 de l'article 167 du code général des impôts au titre des plus-values imposables en application du 1 bis de l'article 167 et du I de l'article 167 bis du même code, ainsi que le formulaire spécial prévu à l'article 91 undecies de l'annexe II au code général des impôts.»

5.        L'article R.*280-1 du livre des procédures fiscales (ci-après le «LPF»), qui y a été inséré par le décret n° 99-590, est libellé comme suit:

«Les contribuables qui entendent bénéficier du sursis de paiement prévu au II de l'article 167 bis du code général des impôts doivent faire parvenir au comptable du Trésor des non-résidents une proposition de garanties dans les formes prévues au deuxième alinéa de l'article R.*277-1 au plus tard huit jours avant la date du transfert du domicile hors de France. Il en est délivré récépissé.

Les dispositions du troisième alinéa de l'article R.*277-1, des articles R.*277-2 à R.*277-4 et de l'article R.*277-6 sont applicables.»

6.        L'article R.*277-1 du LPF prévoit:

«Le comptable compétent invite le contribuable qui a demandé à différer le paiement des impositions à constituer les garanties prévues à l'article L. 277. Le contribuable dispose d'un délai de quinze jours à compter de la réception de l'invitation formulée par le comptable pour faire connaître les garanties qu'il s'engage à constituer.

Ces garanties peuvent être constituées par un versement en espèces qui sera effectué à un compte d'attente au Trésor, par des créances sur le Trésor, par la présentation d'une caution, par des valeurs mobilières, des marchandises déposées dans des magasins agréés par l'État et faisant l'objet d'un warrant endossé à l'ordre du Trésor, par des affectations hypothécaires, par des nantissements de fonds de commerce.

Si le comptable estime ne pas pouvoir accepter les garanties offertes par le contribuable parce qu'elles ne répondent pas aux conditions prévues au deuxième alinéa, il lui notifie sa décision par lettre recommandée.»

7.        Aux termes de l'article R.*277-2 du LPF:

«En cas de dépréciation ou d'insuffisance révélée des garanties constituées, l'administration peut à tout moment, dans les mêmes conditions que celles prévues par les articles L. 277 et L. 279, demander au redevable, par lettre recommandée avec avis de réception, un complément de garantie pour assurer le recouvrement de la somme contestée. Les poursuites sont reprises si le redevable ne satisfait pas, dans le délai d'un mois, à cette demande.»

II –  Le litige au principal

8.        M. Hughes de Lasteyrie du Saillant (ci-après «M. de Lasteyrie») a quitté la France le 12 septembre 1998, pour s'installer en Belgique. Il détenait à cette date ou avait détenu à un moment quelconque au cours des cinq dernières années avant son départ de France, directement ou indirectement avec les membres de son groupe familial, des titres donnant droit à plus de 25 % des bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés et ayant son siège social en France. La valeur vénale de ces titres étant alors supérieure à leur prix d'acquisition, M. de Lasteyrie a été soumis à l'impôt sur les plus-values latentes conformément à l'article 167 bis du CGI et à ses dispositions d'application.

9.        M. de Lasteyrie a demandé au Conseil d'État d'annuler le décret n° 99-590 pour excès de pouvoir en excipant de l'illégalité de l'article 167 bis du CGI au motif que cet article était contraire au droit communautaire.

10.      Le Conseil d'État considère, en premier lieu, que ces dispositions n'ont, contrairement à ce que soutient M. de Lasteyrie, ni pour objet ni pour effet de soumettre à de quelconques restrictions ou conditions l'exercice effectif, par les personnes qu'elles visent, de la liberté d'aller et venir. En second lieu, il a rappelé que l'article 52 du traité s'oppose à l'institution par un État membre de règles qui auraient pour effet d'entraver l'établissement de certains de ses ressortissants sur le territoire d'un autre État membre.

11.      Ensuite, le Conseil d'État indique que l'article 167 bis du CGI prévoit l'assujettissement immédiat des contribuables qui se disposent à transférer hors de France leur domicile fiscal, dans les conditions qu'il définit, à une imposition assise sur des plus-values non encore réalisées et qui, de ce fait, ne seraient pas taxées si lesdits contribuables maintenaient en France leur domicile.

12.      Toutefois, il relève également que l'article 167 bis du CGI comporte des dispositions qui permettent d'éviter, en cas de sursis de paiement, que ces contribuables n'aient, en définitive, à supporter une charge fiscale à laquelle ils n'auraient pas été soumis, ou plus lourde que celle à laquelle ils auraient été soumis s'ils avaient conservé leur domicile en France et qui, en outre, leur accordent, au terme d'un délai de cinq ans, le bénéfice d'un dégrèvement, dans la mesure où les droits sociaux porteurs des plus-values continuent, alors, de figurer dans leur patrimoine, les intéressés ayant la faculté de solliciter le sursis au paiement de l'imposition jusqu'à ce terme.

13.      Le Conseil d'État souligne, également, que l'obtention de ce sursis est subordonnée à la condition que les contribuables constituent des garanties propres à assurer le recouvrement de l'imposition. Eu égard aux sujétions que peut comporter la constitution de telles garanties, le Conseil d'État se demande si le droit communautaire s'oppose à la réglementation en cause.

III –  La question préjudicielle

14.      Estimant que, dans l'affaire dont il est saisi, la portée des règles communautaires est incertaine et qu'une décision sur ce point est nécessaire pour la solution du litige, le Conseil d'État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, en vertu de l'article 234 CE, la question préjudicielle suivante:

«Le principe de la liberté d'établissement posé par l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) s'oppose[-t-il] à ce qu'un État membre institue, à des fins de prévention d'un risque d'évasion fiscale, un mécanisme d'imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal, tel que celui décrit ci-dessus [?]»

IV –  Analyse

A –   Quant à l'applicabilité de l'article 52 du traité

15.      Les gouvernements allemand et néerlandais font valoir que l'ordonnance de renvoi ne permet pas de déterminer si M. de Lasteyrie relève du champ d'application de l'article 52 du traité. Rappelant que cette disposition vise l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ils affirment que l'on ne peut déduire de l'ordonnance de renvoi que le litige au principal concerne de telles activités.

16.     À cet égard, le gouvernement néerlandais souligne que l'on ne voit pas si le demandeur au principal dispose dans une société d'un pouvoir tel que l'on peut considérer qu'il la contrôle ou s'il exerce une quelconque activité, par exemple en tant que directeur d'une telle société. Or, selon le gouvernement allemand, la simple détention de participations de sociétés et d'effets mobiliers n'équivaudrait pas à l'accès à une activité indépendante dans l'«État de destination» ou à son exercice.

17.      Selon ces deux gouvernements, on ne saurait pas non plus si les éventuelles activités professionnelles de M. de Lasteyrie se déroulent en France ou dans le nouvel État de résidence. L'ordonnance de renvoi ne préciserait pas non plus si le demandeur au principal a déménagé pour des motifs privés ou professionnels. Or, s'il s'était contenté de transférer son domicile, il résulterait de l'arrêt Werner  (2) que le simple transfert de domicile ne ferait pas entrer le demandeur au principal dans le champ d'application du traité.

18.      Force est cependant de constater que, dans les observations qu'il a déposées devant la Cour et qui n'ont pas été contredites à l'audience, M. de Lasteyrie expose qu'il a transféré son domicile fiscal en Belgique le 12 septembre 1998 afin d'y exercer son activité professionnelle. Il convient donc de considérer comme résolue de façon affirmative la question de savoir si le déplacement ayant constitué le fait générateur de l'imposition en cause au principal entrait dans le champ d'application du traité.

19.      C'est, toutefois, à juste titre, que la Commission observe qu'il ne ressort pas du dossier si l'activité de M. de Lasteyrie en Belgique était celle d'un travailleur salarié, relevant de l'article 39 CE, ou non, auquel cas l'article 43 CE serait applicable. Puisque la juridiction de renvoi, à laquelle, selon une jurisprudence constante  (3) , il incombe d'apprécier la pertinence de la question posée, se réfère à la liberté d'établissement, c'est sous cet angle que nous nous proposons d'analyser le problème.

20.      En tout état de cause, il convient de souligner, avec la Commission, que le raisonnement effectué au regard de l'article 43 CE est transposable à l'article 39 CE du traité.

B –   Quant à l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement

21.      Le gouvernement français ne conteste pas l'existence d'une entrave et concentre ses observations sur la question d'éventuelles justifications à celle-ci. Les gouvernements danois et néerlandais estiment, quant à eux, ne pas être en présence d'une restriction à la liberté d'établissement. Ils s'appuient sur l'argumentation suivante.

22.      Le premier souligne, à cet égard, que les règles françaises en cause n'ont pas pour effet, direct ou indirect, d'empêcher les ressortissants français de s'établir dans un autre État membre et qu'il n'y a aucun indice permettant d'affirmer que l'imposition des plus-values concernées limite la possibilité pour lesdits ressortissants de s'établir dans un autre État membre.

23.      Les gouvernements danois et néerlandais ajoutent que, en tout état de cause, il n'y a pas nécessairement perception de l'impôt au moment du transfert du domicile. En effet, le contribuable pourrait y échapper en constituant une garantie, exigence dont on ne saurait considérer qu'elle empêche, en soi, les ressortissants français de s'établir à l'étranger.

24.      Le gouvernement néerlandais précise, en outre, que l'imposition est réduite d'office, voire ramenée à zéro, si et dans la mesure où, après cinq ans, il n'y a pas eu d'aliénation des effets mobiliers en cause. Il en conclut qu'une éventuelle restriction serait trop aléatoire et indirecte pour être regardée comme étant de nature à entraver effectivement la liberté d'établissement  (4) .

25.      Ces divers arguments se rattachent donc à deux ordres de considérations: la mesure en cause n'interdirait pas à un ressortissant français d'exercer son droit à la libre circulation et n'affecterait celui-ci que de façon insignifiante.

26.      Force est, cependant, de souligner que le fait que les règles litigieuses n'ont pas pour objet ou pour effet d'interdire à une personne de s'établir dans un autre État membre ne saurait être déterminant dans le contexte de la présente affaire. Il ressort, en effet, de la jurisprudence de la Cour que la liberté d'établissement peut être entravée par une mesure nationale qui ne comporterait pas d'interdiction mais serait simplement de nature à dissuader un opérateur de faire usage de cette liberté  (5) .

27.      Ce principe s'applique, bien entendu, aussi aux dispositions fiscales. Point n'est besoin de rappeler, en effet, que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, il est de jurisprudence constante que ces derniers doivent l'exercer dans le respect du droit communautaire  (6) .

28.      Rappelons, enfin, avec l'ensemble des intervenants, que les considérations énoncées ci-dessus sont également valables lorsque la mesure nationale en cause est le fait de l'État membre d'origine et non de celui de destination de l'opérateur désirant exercer la liberté d'établissement que lui confère le droit communautaire. En effet, celle-ci s'oppose à ce qu'un État membre entrave l'établissement d'un de ses ressortissants dans un autre État membre  (7) .

29.      Il convient donc de déterminer si les dispositions fiscales visées par l'ordonnance de renvoi, qui, certes, n'interdisent pas à un opérateur d'exercer son droit à la libre circulation, ne sont pas néanmoins de nature à restreindre l'exercice de cette liberté, en dissuadant ledit opérateur d'aller s'établir dans un autre État membre.

30.      Or, comme l'exposent tant le requérant au principal que la Commission, force est de constater que lesdites dispositions font subir à un contribuable désireux de quitter le territoire français de considérables désavantages par rapport à une personne qui continuerait à résider en France.

31.      Ainsi, le contribuable souhaitant transférer son domicile fiscal hors de France, doit tout d'abord déposer une déclaration des plus-values latentes qui affectent les valeurs mobilières qu'il détient, alors qu'un contribuable n'exerçant pas son droit à la libre circulation, ne doit procéder à aucune déclaration antérieure à la réalisation d'une plus-value. Cette déclaration doit être faite dans les 30 jours qui précèdent le transfert du domicile hors de France.

32.      Ensuite, et surtout, le contribuable désirant quitter le territoire sera immédiatement redevable de l'impôt sur lesdites plus-values. Il aura donc l'obligation, du seul fait du transfert de son domicile fiscal hors de France, de payer un impôt sur un gain non encore réalisé alors que, s'il restait en France, les plus-values en cause ne seraient imposables qu'après leur réalisation.

33.      Il apparaît donc de façon indiscutable qu'un tel régime pénalise les contribuables qui quittent la France par rapport à ceux qui y restent et introduit une différence de traitement claire. Comme l'observe à juste titre la Commission, il s'agit là d'une restriction typique «à la sortie» du territoire.

34.      Cette conclusion n'est pas affectée par les modalités dont est assortie l'imposition, contrairement à ce qu'affirment les gouvernements danois et néerlandais.

35.      En effet, la seule possibilité d'échapper au paiement immédiat de l'impôt et donc d'obtenir l'égalité de traitement, à l'exception de l'obligation de déclaration, avec les contribuables ne quittant pas le territoire français, est de bénéficier d'un sursis. Or, celui-ci n'est pas automatique mais est, au contraire, soumis à des conditions imposant des démarches et des frais au contribuable désireux de s'établir dans un autre État membre.

36.      Ainsi, ce dernier est tenu de déposer une demande de sursis spécifique, au moment où il fait la déclaration des plus-values latentes. Le demandeur au principal précise à cet égard que le non-respect de ce délai se solde par l'impossibilité de bénéficier du sursis. Le contribuable doit, en outre, procéder à la désignation d'un représentant fiscal, habilité à le représenter auprès de l'administration fiscale. Il est également soumis à une obligation annuelle de communiquer à l'administration un état de suivi des plus-values en cause, par hypothèse non réalisées, rappelons-le. Un retard dans l'accomplissement de cette obligation est également susceptible d'entraîner la déchéance du sursis.

37.      Enfin, et surtout, le contribuable désireux de transférer son domicile fiscal dans un autre État membre est soumis à l'obligation de constituer une garantie propre à assurer le recouvrement de la créance du Trésor. Comme le souligne le requérant au principal, les plus-values en cause n'étant, par hypothèse, pas encore réalisées, le contribuable concerné ne disposera pas d'un revenu correspondant à l'imposition qui lui est réclamée et sera donc obligé de constituer les garanties réclamées en y affectant d'autres sources de revenus.

38.      Ce faisant, il se heurtera nécessairement à des frais, par exemple pour constituer des garanties bancaires ou hypothécaires. Il est vrai que, comme le fait valoir le gouvernement néerlandais, il pourra échapper à ce type de frais en donnant en garantie les titres à l'origine de l'imposition réclamée. Tant M. de Lasteyrie que la Commission font cependant valoir, sans avoir été contredits, que cette possibilité n'existe pas pour des titres non cotés en bourse, situation qui est loin d'être rare lorsque sont en cause des participations substantielles dans des sociétés.

39.     À cet égard, la Commission a souligné, sans être contredite, que les titres sont admis comme garantie pour 100 % de leur valeur s'il s'agit de valeurs sur lesquelles la Banque de France consent des avances sur titres et pour 60 % de leur cours s'il s'agit d'autres titres cotés à une bourse française. En revanche, les titres non cotés à une bourse française ne sont pas acceptés en l'absence d'une caution bancaire garantissant le paiement intégral des impôts dus.

40.      Nous partageons le point de vue de la Commission selon lequel un tel traitement différencié est manifestement discriminatoire, tant du point de vue des investisseurs qui sont ainsi encouragés à détenir des titres dans des sociétés cotées à des bourses françaises que du point de vue desdites sociétés qui deviennent ainsi plus attractives au regard de tels investisseurs.

41.      La Commission note par ailleurs qu'il est surprenant que, d'un côté, la République française considère que l'assiette aux fins de l'imposition repose sur 100 % de la valeur des titres alors que, d'un autre côté, elle considère que l'assiette aux fins de la garantie repose sur seulement 60 % de cette même valeur, voire même 0 %.

42.      Soulignons, toutefois, que l'entrave dont il est question ici est liée à l'existence même de l'obligation de constituer une garantie, existence qui ne dépend pas des modalités de cette constitution.

43.      En tout état de cause, il apparaît que, s'il est vrai que le sursis doit être considéré comme une alternative moins pénalisante que l'imposition immédiate pour les contribuables cherchant à transférer leur domicile fiscal dans un autre État membre, il n'en demeure pas moins que cette possibilité n'est accessible que moyennant des contraintes que l'on ne saurait qualifier de suffisamment aléatoires ou négligeables pour ne pas être considérées comme une entrave à la liberté d'établissement desdits contribuables.

44.      Il ressort, en effet, de ce qui précède que, pour obtenir le sursis, ces contribuables doivent supporter les frais afférents à la mise en place des différentes conditions dont dépend l'octroi du sursis, à savoir la désignation d'un représentant fiscal, l'établissement de déclarations de suivi des plus-values latentes ainsi que, éventuellement, les frais de constitution de garanties bancaires ou hypothécaires. En outre, ils doivent, en tout état de cause, supporter la charge que représente l'immobilisation au bénéfice du Trésor d'une partie, éventuellement non négligeable, de leur patrimoine, à titre de garantie.

45.      Le fait que, après cinq ans, le contribuable visé par les dispositions en cause soit en droit de bénéficier d'office du dégrèvement de l'impôt, accompagné du remboursement des frais de constitution des garanties, s'il ne s'est pas défait entre-temps des titres ayant donné lieu à l'imposition, ne suffit pas, selon nous, à faire disparaître l'effet restrictif des dispositions concernées. En effet, il aura, durant toute cette période, été privé de la jouissance de la partie de son patrimoine donnée en garantie. Tel est le cas même s'il s'agit des titres en cause. Dans ce cas spécifique, l'effet restrictif de la libre circulation ne découle pas du fait de ne pas pouvoir les aliéner, puisque cette circonstance donnerait lieu à imposition même si le contribuable était demeuré en France, mais dans le fait que les titres sont indisponibles pour d'autres usages que le propriétaire pourrait vouloir en faire, par exemple les utiliser à titre de sûreté.

46.      Notons enfin que, selon la Commission, qui n'a pas été contredite sur ce point, un système d'imposition tel que celui prévu à l'article 167 bis du CGI restreint également la liberté d'établissement en ce qu'il constitue un obstacle à des opérations de restructuration, regroupement ou fusion de la société dont le contribuable résidant à l'étranger est actionnaire. En effet, de telles opérations comportent nécessairement un apport ou un échange de titres, l'annulation des titres précédents et l'émission de nouvelles actions. Or, pour les contribuables ayant leur domicile en France, l'apport, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés peut faire l'objet d'un report d'imposition à certaines conditions prévues à l'article 150-OA du CGI. Mais, un tel report n'est plus possible en cas de transfert de domicile à l'étranger. En effet, les titres en report d'imposition au moment du transfert deviennent immédiatement imposables en vertu de l'article 167 bis du CGI. Cette même disposition semble exclure le bénéfice du report d'imposition en cas de cession des titres à l'étranger.

47.      Il y a, toutefois, lieu d'observer, avec le gouvernement français, que la question préjudicielle ne vise pas les dispositions relatives à l'imposition des plus-values bénéficiant d'un report d'imposition.

48.      En tout état de cause, il convient de conclure que les dispositions visées par l'ordonnance de renvoi soumettent les contribuables détenteurs de participations substantielles souhaitant transférer leur domicile fiscal hors de France à des différences de traitement de nature à restreindre la liberté d'établissement que leur reconnaît le traité. Il y a donc lieu d'examiner si lesdites dispositions sont susceptibles d'une justification qui les ferait échapper à l'interdiction découlant de l'article 43 CE.

C –   Quant à la justification de la restriction

49.      Il n'est pas contesté, en l'espèce, que l'article 46 CE ne trouve pas à s'appliquer. En revanche, en ce qui concerne la possibilité de justifier la restriction à la liberté d'établissement par une raison impérieuse d'intérêt général telle que celles déjà admises par la Cour en matière fiscale, quatre arguments sont invoqués par les différents intervenants.

50.      En premier lieu, le gouvernement danois souligne que l'objectif de la règle nationale en cause est d'empêcher l'érosion fiscale de la base d'imposition de l'État membre concerné, objectif qui aurait été reconnu par la Cour comme raison impérieuse dans l'arrêt Safir  (8) . Il s'agirait d'éviter que des contribuables français retirent un avantage des différences entre les régimes fiscaux des autres États membres et celui de la République française.

51.     À cet égard, il convient de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante qu'une réduction des recettes fiscales ne peut être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une inégalité de traitement en principe incompatible avec l'article 43 CE  (9) . En effet, un tel objectif est de nature purement économique et ne peut, dès lors, constituer une raison impérieuse d'intérêt général  (10) . Il s'ensuit, comme l'observe le gouvernement français, que le simple manque à gagner subi par l'administration fiscale du fait d'un changement de résidence fiscale ne saurait justifier aucune restriction apportée à la liberté d'établissement du contribuable.

52.      En deuxième lieu sont invoquées la lutte contre l'évasion fiscale et l'efficacité des contrôles fiscaux. L'une ou l'autre de celles-ci sont considérées comme des raisons impérieuses d'intérêt général, de nature à justifier la restriction en cause, par tous les gouvernements intervenus à l'exception du gouvernement portugais.

53.      Le gouvernement français, qui a développé sur ce point l'argumentation la plus détaillée, explique que le dispositif litigieux vise à empêcher ce qu'il conviendrait d'appeler un abus de droit, à savoir l'utilisation frauduleuse par un contribuable des libertés découlant pour lui du droit communautaire. Il rappelle, à cet égard, qu'un État membre est libre de définir les modalités d'imposition des plus-values comme il l'entend, notamment en matière de taux d'imposition. Il serait donc parfaitement légitime que chaque État membre prenne les mesures appropriées afin d'éviter que l'imposition des plus-values soit privée de sa substance par des comportements abusifs.

54.      En l'espèce, constituerait un tel comportement le fait pour un contribuable de transférer temporairement son domicile fiscal hors de France avant de céder des titres mobiliers dans le seul but d'éluder le paiement de l'impôt sur les plus-values dû en France. Il s'agirait là non pas d'un exercice normal de la liberté d'établissement mais d'un usage abusif de cette liberté à des fins de contournement de la loi fiscale.

55.      Ce serait à un double titre que le dispositif critiqué serait justifié par la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux. En effet, il viserait, d'une part, à s'opposer aux comportements frauduleux décrits ci-dessus et, d'autre part, à garantir l'efficacité du recouvrement de l'impôt. Ce recouvrement serait, en effet, rendu beaucoup plus onéreux et aléatoire par le fait que le redevable réside hors de France.

56.      Que faut-il penser de ces arguments ?

57.      Il est indiscutable que la jurisprudence a reconnu le caractère d'exigence impérieuse, de nature à justifier une restriction, à la nécessité d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux  (11) . Tel est également le cas de la lutte contre l'évasion fiscale  (12) . Quant à ce deuxième point, il convient, cependant, de souligner, comme le rappelle le gouvernement français lui-même, qu'il ressort de la même jurisprudence que seule est susceptible d'être justifiée une législation qui aurait pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale.

58.      Or, il n'est pas contestable que le dispositif litigieux va très au-delà de cette limite. En effet, comme l'observe à juste titre la Commission, qui cite également, dans ce contexte, les arrêts Leur-Bloem  (13) et Centros  (14) , la règle nationale en cause vise, de manière générale, toute situation dans laquelle un contribuable détenant des participations substantielles dans une société soumise à l'impôt français sur les sociétés transfère, pour quelque raison que ce soit, son domicile fiscal hors de France.

59.      Il est ainsi créé, comme l'expose le requérant au principal, une «présomption irréfragable de fraude fiscale» dans le chef d'un tel contribuable. Or, l'établissement d'un contribuable à l'étranger n'implique pas en soi la fraude fiscale  (15) et c'est à l'administration fiscale de l'État membre concerné de prouver, au cas par cas, qu'il existe un risque d'évasion fiscale.

60.      Il s'ensuit que, pour être conforme au principe de proportionnalité, une mesure nationale ne devrait pas, comme en l'espèce, présumer le caractère frauduleux de l'exercice de la liberté d'établissement découlant du droit communautaire, mais pourrait, en revanche, prévoir la possibilité, pour l'administration fiscale, de démontrer au cas par cas l'existence effective d'une fraude ou d'une évasion fiscale.

61.      Le caractère disproportionné de la règle nationale apparaît également à l'examen de la différence de traitement entre un contribuable qui reste à l'étranger plus de cinq ans après son départ de France sans vendre ses titres et celui qui, tout en restant à l'étranger pour la même durée, vend ses titres avant l'expiration des cinq ans. En effet, alors que tous deux quittent la France pour une période tout aussi longue, tendant à démontrer que leur comportement n'est pas forcément motivé par une volonté d'échapper à l'impôt, le premier ne paiera aucun impôt contrairement au second. Or, comme l'observe la Commission, on ne voit pas de différence, au regard de l'objectif de prévention des délocalisations artificielles et, donc temporaires, entre une personne vendant ses titres après cinq ans et celle qui les cède après quatre ans, voire un an.

62.      Le gouvernement français fait toutefois valoir que la cession des titres peu après le départ de France constitue un indice certain de la volonté d'échapper à l'impôt. Nous ne partageons pas ce point de vue. En effet, un départ vers un autre État membre dans le but d'entamer une nouvelle activité professionnelle est susceptible d'entraîner des frais considérables, liés éventuellement à cette nouvelle activité, ou découlant de la nécessité d'acquérir un logement, par exemple. On ne saurait donc considérer que le simple fait de céder les parts peu après le transfert du domicile suffirait à révéler l'intention frauduleuse. En revanche, un critère constitué par la rapidité du retour en France serait, a priori, plus en rapport avec l'objectif d'empêcher le contribuable d'éluder l'impôt par le simple expédient d'un bref séjour dans un autre État membre, durant lequel les titres seraient cédés.

63.      Cette considération illustre la deuxième raison qui nous amène à conclure au caractère disproportionné des règles en cause, à savoir l'existence de mesures moins restrictives de la liberté d'établissement, susceptibles de réaliser l'objectif allégué de lutte contre les délocalisations temporaires.

64.      De quelles mesures pourrait-il s'agir? Il suffirait, à notre avis, aux autorités nationales de prévoir la taxation des plus-values réalisées par le contribuable qui, après un séjour relativement bref dans un autre État membre, reviendrait en France après avoir cédé ses titres. Ce retour à brève échéance démontrerait le caractère temporaire dudit séjour et permettrait précisément de faire échec au comportement dénoncé par les autorités françaises sans affecter la situation des contribuables n'ayant pas d'autre objectif que d'exercer en toute bonne foi leur liberté d'établissement dans un autre État membre. En percevant l'impôt au moment du retour, survenu, par hypothèse, peu après l'aliénation des titres au cours d'un bref séjour dans un autre État membre, l'État membre intéressé tirerait, en quelque sorte, la conséquence du caractère fictif de la localisation dans un autre État membre de la réalisation de la plus-value en la traitant comme si elle était effectivement survenue en France. Procéder ainsi, devrait lui permettre, en outre, d'exclure toute difficulté de recouvrement de l'impôt.

65.      Les gouvernements français et néerlandais ont, toutefois, soutenu à l'audience que, au point 59 de l'arrêt X et Y, précité, la Cour aurait jugé qu'un régime de cautionnement ou d'autres garanties seraient conformes aux exigences du droit communautaire. Force est, cependant, de rappeler que, dans cette affaire, la Cour a envisagé un tel régime dans un contexte différent où n'était pas en cause la nécessité d'envisager une mesure proportionnée au regard de l'hypothèse d'un bref séjour d'un contribuable dans un autre État membre et de son retour.

66.      Il s'ensuit qu'il existe des mesures moins restrictives des libertés fondamentales du droit communautaire qui permettraient tant de lutter contre l'évasion fiscale que de préserver l'efficacité des contrôles fiscaux.

67.      En ce qui concerne plus spécifiquement ce second objectif, il convient, à des fins d'exhaustivité, d'ajouter ce qui suit. Comme nous l'avons vu ci-dessus, les modalités de dépôt de garanties opèrent une discrimination au détriment de titres non cotés dans une bourse française, dont on ne voit pas la justification au regard de l'objectif d'efficacité des contrôles fiscaux. En outre, la règle nationale en cause ne tient aucun compte de l'existence de divers instruments susceptibles de faciliter le recouvrement de l'impôt dû par un contribuable ayant transféré son domicile fiscal dans un autre État membre.

68.      Ainsi, le requérant au principal souligne que la République française a conclu avec un grand nombre d'États membres des conventions destinées à éviter la double imposition, qui comportent en règle générale une clause dite d'«assistance au recouvrement», par laquelle les États s'engagent à s'accorder une aide mutuelle pour le recouvrement des impôts visés par la convention.

69.      En outre, comme la Cour l'a jugé à de nombreuses reprises et comme le rappelle la Commission, «la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15) offre des possibilités d'obtenir des informations nécessaires comparables à celles existant entre les services fiscaux sur le plan interne»  (16) .

70.      Il découle de tout ce qui précède que la règle nationale en cause ne saurait être justifiée par la lutte contre l'évasion fiscale ou la nécessité de préserver l'efficacité des contrôles fiscaux.

71.      En troisième lieu, le gouvernement néerlandais fait valoir que la disposition litigieuse est justifiée par les exigences de la cohérence du système fiscal français.

72.      En effet, selon ce gouvernement, les circonstances de l'espèce ne diffèrent pas fondamentalement de la problématique de l'affaire Bachmann  (17) . D'après lui, celle-ci concernait une «exonération» sous la forme de déductibilité de primes, en contrepartie de laquelle les allocations ultérieures seraient imposées. Lorsque l'imposition ultérieure des prestations n'était pas garantie, l'«exonération» sous la forme d'une déduction des primes sur le revenu ne devait pas être accordée. De façon similaire, le cas d'espèce impliquerait en réalité une exonération temporaire de l'imposition sur l'accroissement de patrimoine que constitueraient les plus-values, celui-ci n'étant imposé qu'au moment de sa réalisation. Cette imposition ultérieure compenserait donc l'exonération temporaire. Celle-ci ne devrait, par conséquent, pas être accordée lorsque, du fait du transfert à l'étranger du domicile fiscal du contribuable, l'imposition ultérieure ne serait plus garantie.

73.      Nous ne partageons pas cette thèse, et ce pour plusieurs raisons.

74.      Tout d'abord, elle fait abstraction du fait que, comme nous venons de le voir, le transfert dans un autre État membre du domicile fiscal du contribuable ne signifie pas nécessairement que le recouvrement de l'impôt est compromis.

75.      Il apparaît, en outre, que la différence de traitement entre résidents et (futurs) non-résidents ne se limite pas à une simple anticipation du moment où doit être payé un impôt qui serait dû en tout état de cause. En effet, le contribuable qui quitte le territoire pour une durée supérieure à cinq ans n'étant en tout état de cause plus imposable, on ne saurait considérer qu'il a fait l'objet d'une simple anticipation de l'imposition.

76.      En outre, l'applicabilité de règles moins favorables concernant la déductibilité des pertes éventuelles, prévues à l'article 167 bis I, 2, deuxième alinéa du CGI, précité, indique également que nous ne sommes pas en présence d'une simple anticipation du paiement de l'impôt.

77.      Il convient, d'ailleurs, de signaler que, même si tel était le cas, il ne s'ensuivrait pas encore que cette anticipation de paiement serait justifiée par une exigence de sauvegarde de la cohérence du système fiscal. Ainsi, dans l'arrêt Metallgesellschaft, précité, la Cour a jugé contraires au traité des dispositions qui imposaient aux seules sociétés non-résidentes le paiement anticipé de l'impôt.

78.      De plus, la Commission a fait valoir à l'audience, sans être contredite sur ce point, que les dispositions en cause, en prévoyant l'imposition de plus-values dans le chef de contribuables qui ne sont plus résidents, sont en contradiction avec l'exigence de cohérence du système fiscal puisque celui-ci reconnaît comme principe, notamment appliqué dans la convention franco-belge de prévention de la double imposition, l'imposition des plus-values par l'État de résidence du contribuable.

79.      Enfin, et surtout, il convient de souligner que les règles françaises relatives à l'imposition des plus-values ne visent pas à imposer, tôt ou tard, l'accroissement du patrimoine. Il existe, en effet, des règles spécifiques concernant l'imposition de la fortune. Comme le souligne le requérant au principal, la règle de base gouvernant l'imposition des plus-values dans le système fiscal français est l'imposition des plus-values réalisées, c'est-à-dire d'un revenu, et non pas l'imposition périodique de l'accroissement éventuel de la valeur du patrimoine. Dès lors, en prévoyant, dans le cas des (futurs) non-résidents, un impôt prélevé sur des plus-values latentes et non pas réalisées, la règle litigieuse est une exception à la cohérence du système fiscal en cause et ne saurait donc être considérée comme nécessaire à celle-ci.

80.      En quatrième lieu, il convient d'analyser l'argumentation exposée par le gouvernement allemand, selon lequel il faudrait tenir compte du fait que le régime fiscal en cause constitue en même temps un régime de répartition du pouvoir fiscal entre l'État de départ et celui de destination. La disposition en cause aurait pour but de garantir le paiement de l'impôt sur des plus-values constituées jusqu'au moment du départ du contribuable. Le droit de l'État de départ d'imposer ces plus-values résulterait du fait qu'elles sont régulièrement nées de l'activité de la société dans l'État de départ.

81.      Il est, toutefois, de jurisprudence que, si les États membres sont libres de définir les critères de répartition de la compétence fiscale, ils ne peuvent, dans l'exercice du pouvoir d'imposition ainsi réparti, s'affranchir du respect des règles communautaires  (18) .

82.      Force est d'observer, en outre, que, en l'espèce, la répartition du pouvoir fiscal entre les États membres n'est pas en cause. En effet, l'objet du litige ne porte pas sur le droit des autorités françaises de protéger l'imposition des plus-values en luttant contre les délocalisations entreprises à seule fin d'éluder l'impôt, mais sur la question de savoir si les mesures adoptées dans ce but sont conformes aux exigences de la liberté d'établissement.

83.      La situation diffère donc de celle qui était en cause dans l'arrêt Gilly  (19) , cité par le gouvernement allemand. En effet, dans cette affaire était en cause un critère de répartition de la compétence fiscale qui pouvait, d'ailleurs, jouer en faveur ou en défaveur des contribuables concernés, selon les caractéristiques de leur situation. En revanche, la présente affaire concerne des règles nationales qui ne découlent pas nécessairement de la répartition du pouvoir d'imposition entre États membres et sont, d'ailleurs, systématiquement défavorables aux contribuables désirant exercer les droits découlant pour eux du droit communautaire.

84.      Il découle des considérations exposées ci-dessus que le dispositif litigieux est constitutif d'une restriction incompatible avec l'article 43 CE et n'est pas susceptible d'être justifié par une raison impérieuse d'intérêt général.

V –  Conclusion

85.      Pour les raisons qui précèdent, il est proposé de donner la réponse suivante au Conseil d'État:

«L'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) s'oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit, à la charge de tous les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal dans un autre État membre, un mécanisme d'imposition immédiat des plus-values non encore réalisées.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Arrêt du 26 janvier 1993 (C-112/91, Rec. p. I-429).


3 – Voir, à titre d'exemple, arrêt du 16 octobre 1997, Hera (C-304/96, Rec. p. I-5685).


4 – Voir arrêt du 18 juin 1998, Corsica Ferries France (C-266/96, Rec. p. I-3949, point 31).


5 – Voir, à titre d'exemple d'une jurisprudence constante, arrêt du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787).


6 – Voir, à titre d'exemple d'une jurisprudence constante, arrêt du 15 janvier 2002, Gottardo (C-55/00, Rec. p. I-413).


7 – Voir arrêt du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, Rec. p. 5483).


8 – Arrêt du 28 avril 1998 (C-118/96, Rec. p. I-1897).


9 – Voir arrêts du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 28); du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 51), et du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 59).


10 – Voir, notamment, arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071, point 48).


11 – Voir, notamment, arrêt du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471, point 31).


12 – Voir arrêts ICI et Metallgesellschaft, précités, et, dans le même sens, arrêts du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, non encore publié au Recueil, point 61), et du 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst (C-324/00, non encore publié au Recueil, point 37).


13 – Arrêt du 17 juillet 1997 (C-28/95, Rec. p.  I-4161).


14 – Arrêt du 9 mars 1999 (C-212/97), Rec. p. I-1459).


15 – Voir arrêts Lankhorst-Hohorst, précité, point 37, ICI, précité, point 26, Metallgesellschaft, précité, point 57.


16 – Voir, par exemple, arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 45).


17 – Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249).


18 – Voir arrêt Saint Gobain ZN, précité, points 57 et 58.


19 – Arrêt du 12 mai 1998 (C-336/96, Rec. p. I-2793).