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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. L. A. GEELHOED
présentées le 15 mai 2003(1)


Affaires jointes C-78/02, C-79/02 et C-80/02



Elliniko Dimosio
contre
Maria Karageorgou

Katina Petrova

Loukas Vlachos



(demande de décision préjudicielle formée par le Dioikitiko Efeteio Athinon)

«Taxe indûment acquittée par un non-assujetti et mentionnée sur la facture émise par un tel prestataire de services»






I ─ Introduction

1.        Par la première question préjudicielle qu’il a posée dans les trois affaires identiques en cause, le Dioikitiko Efeteio Athinon (cour administrative d’appel d’Athènes) (Grèce) cherche à savoir si le montant que les traducteurs au service de l’Elliniko Dimosio (État hellénique) indiquent sur leurs factures au titre des traductions qu’ils effectuent au profit de l’État doit être considéré comme une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au sens de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme  (2) (ci-après la «sixième directive»), eu égard au fait, d’une part, qu’ils fournissent leurs prestations de services non pas en tant que travailleurs indépendants mais dans un lien de subordination, et, d’autre part, que le montant concerné n’est pas calculé sur la rémunération légale intégrale, mais est réputée avoir déjà été incorporée dans ce montant légal, de sorte que la rémunération effectivement payée consiste dans la rémunération légale après déduction de la TVA qui y est incluse (méthode de la déduction interne).

2.        Le Dioikitiko Efeteio Athinon demande ensuite si le principe du formalisme de la taxe, énoncé à l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, doit céder lorsque, d’une part, l’État, exerçant une activité de traducteur dans le cadre de sa compétence de puissance publique, n’agit pas en tant qu’assujetti au sens de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive aux fins de l’application du mécanisme de la déduction et que la taxe qui a été acquittée ne peut pas être répercutée et n’est pas répercutée sur les personnes privées qui sont les cocontractants de l’État et qui ont demandé la traduction de documents et que, d’autre part, le prestataire de services prétend au remboursement de la taxe qu’il a acquittée à l’autorité fiscale, après déduction de l’éventuelle taxe en amont, de sorte que tout enrichissement est exclu.

II ─ Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

3.        Selon l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée: les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

4.        L’article 4 de la sixième directive prévoit ce qui suit:

«1.Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[...]

4.Le terme ’d’une façon indépendante‘ utilisé au paragraphe 1 exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.

[...]

5.Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d’assujettis notamment pour les opérations énumérées à l’annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.

[...]»

5.        L’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive se lit comme suit:

«2.Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti; »

6.        L’article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive dispose ce qui suit:

«1.Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit:

a)pour la déduction visée à l’article 17 paragraphe 2 sous a), détenir une facture établie conformément à l’article 22 paragraphe 3. »

7.        L’article 21, point 1, sous c), de la sixième directive consacre le principe du formalisme de la taxe:

«La taxe sur la valeur ajoutée est due:

1.en régime intérieur:

[...]

c)par toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture ou tout document en tenant lieu; »

B –    Le droit national

8.        Selon l’article 2, paragraphe 1, de la loi n° 1642/1986, relative à l’application de la taxe sur la valeur ajoutée (A.125), dans sa version antérieure à son remplacement par l’article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la loi n° 2093/1992 (A.181), la TVA est perçue, entre autres, sur «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti à la taxe agissant en cette qualité».

9.        Selon l’article 3, paragraphe 1, de la loi n° 1642/1986, dans sa version antérieure à son remplacement par l’article 1 er de la loi n° 2093/1992, «est assujettie à la taxe toute personne physique ou morale ou association de personnes, ressortissant ou non, qui exerce une activité économique indépendante, quel que soit son lieu d’établissement et quel que soit le but ou le résultat de cette activité. Les salariés et autres personnes physiques qui sont liés à leur employeur par un contrat de travail ou par une quelconque autre relation juridique créant un lien de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération ne sont pas considérés comme exerçant une activité économique indépendante, ce qui fait que la responsabilité incombe à l’employeur».

10.      En outre, l’article 23, paragraphe 1, de la loi n° 1642/1986, dans sa version antérieure à sa modification par les articles 1 er , paragraphe 34, et 2, paragraphe 18, de la loi n° 2093/1992, dispose ce qui suit: «L’assujetti a le droit de déduire de la taxe due par lui au titre de la livraison de biens et la prestation de services effectuées par lui, la taxe qui a grevé la livraison de biens et la prestation de services dont il était le destinataire et l’importation de biens effectuée par lui [...]».

11.      L’article 25, paragraphe 1, de la loi n° 1642/1986, dans sa version antérieure à sa modification par l’article 1 er , paragraphe 38, de la loi n° 2093/1992, prévoit ce qui suit: «Le droit de déduction de la taxe peut être exercé lorsque l’assujetti est en possession: a) d’une facture ou d’une autre pièce justificative tenant lieu de facture pour les livraisons de biens ou les prestations de services dont il est le destinataire; b) [...]».

12.      Enfin, l’article 28, paragraphe 1, de la loi n° 1642/1986, dans sa version antérieure à son remplacement par l’article 1 er , paragraphe 42, de la loi n° 2093/1992, prévoit ce qui suit: «Pour la livraison de biens et la prestation de services, sont soumis à la taxe: a) l’assujetti établi à l’intérieur du pays pour les actes accomplis par lui, b) [...] c) [...] d) toute autre personne qui mentionne la taxe sur les factures qu’elle délivre ou sur tout autre document en tenant lieu [...] e) [...]».

III ─ Les faits au principal et les questions préjudicielles

13.      Sous réserve de quelques différences secondaires, sans importance pour l’appréciation matérielle, les trois affaires jointes sont identiques quant aux faits et au déroulement de la procédure. Nous nous contenterons dès lors d’exposer les faits et le déroulement de la procédure de manière générale.

14.      M me Maria Karageorgou (affaire C-78/02), M me Katina Petrova (affaire C-79/02) et M. Loukas Vlachos (affaire C-80/02) (ci-après «les traducteurs») ont été nommés par le ministère des Affaires étrangères, dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage, traducteurs du grec vers l’anglais ou l’allemand au service de traduction de ce ministère.

15.      Après que les traducteurs ont déposé auprès du chef compétent du Dimosia Oikonomiki Ypiresia (service des contributions, ci-après le «DOY») de Cholargos des déclarations provisoires et une déclaration définitive de liquidation de la TVA pour 1992 et 1993 au titre de cette activité, ils ont révoqué ces déclarations. Ils ont également demandé le remboursement de la TVA qu’ils avaient indûment acquittée.

16.      Pour étayer ces demandes de remboursement, ils ont tous fait valoir que les déclarations concernées étaient basées sur une erreur en droit, étant donné qu’ils ne sont pas assujettis à la TVA pour la rémunération qu’ils ont perçue en tant que traducteurs. Ils ont plus précisément fait valoir que, pendant les années 1992 et 1993, ils se trouvaient dans un lien de subordination par rapport au ministère des Affaires étrangères pour ce qui est de leurs conditions de travail et leurs rémunérations, puisque, d’une part, ils ne fixaient pas eux-mêmes cette rémunération et que, d’autre part, le ministère des Affaires étrangères assumait la responsabilité à l’égard des tiers de leurs actes et omissions en tant que traducteurs. Ils ont également fait valoir qu’ils ne répercutaient pas la TVA qu’ils ont acquittée par leurs déclarations pour 1992 et 1993 sur leurs rémunérations brutes, puisque les personnes physiques et morales, destinataires des services du bureau de traduction du ministère des Affaires étrangères, n’incluent pas, et ne paient donc pas, la TVA sur le montant total qu’elles versent au ministère des Affaires étrangères pour la traduction officielle des documents.

17.      Le chef du DOY de Cholargos a rejeté les demandes de remboursement, d’une part parce que les conditions de travail qui leur sont applicables ne correspondent pas à celles du personnel recruté dans une relation d’emploi, et d’autre part parce que cette taxe était mentionnée sur les déclarations de prestations de services qu’ils remettaient au ministère des Affaires étrangères. Ils n’entraient donc pas en considération pour un remboursement.

18.      Par jugements successifs, le président du Dioikitiko Protodikeio Athinon (tribunal administratif de première instance d’Athènes) (Grèce) a fait droit aux demandes des traducteurs et il a déclaré fondées les demandes de révocation des déclarations relatives à la TVA qu’ils avaient introduites pour 1992 et 1993, a annulé les décisions négatives du chef du DOY de Cholargos, du 9 février 1995, et a ordonné le remboursement aux traducteurs des montants de TVA que ceux-ci avaient indûment versés. Ces jugement étaient également basés sur la constatation que les traducteurs agissent comme organes de l’État, lequel est seul responsable de leurs actes et omissions, puisque leurs traductions sont des documents publics. Le président du Dioikitiko Protodikeio Athinon a également estimé que les traducteurs exercent leur activité dans un lien de subordination vis-à-vis de l’État en ce qui concerne les conditions d’exécution de leur travail et leur rémunération. Les revenus générés par cette activité ne peuvent donc pas être soumis à la TVA.

19.      L’État grec a interjeté appel de ces jugements de première instance devant la présidente du Dioikitiko Efeteio Athinon. Ces appels étaient notamment fondés sur l’argument qui avait été avancé en première instance dans toutes les affaires, à savoir que, quelle que soit la nature de leur travail, les traducteurs étaient obligés d’acquitter la taxe en question en application de l’article 28, paragraphe 1, sous d), de la loi n° 1642/1986, parce qu’ils l’avaient mentionnée sur les reçus qu’ils avaient établis au titre des prestations de services pendant la période concernée (1992 et 1993).

20.      La présidente du Dioikitiko Efeteio Athinon a rejeté ces appels de l’État grec comme étant dénués de fondement et elle a confirmé le bien-fondé des jugements litigieux, rendus en première instance, ainsi que les motifs sur lesquels ils étaient fondés. Elle a toutefois omis d’examiner, dans les trois affaires, le moyen d’appel invoqué par l’État grec et relatif au fait que les traducteurs étaient obligés d’acquitter la taxe en question parce qu’ils l’avaient mentionnée sur les reçus qu’ils avaient établis au titre des prestations de services pendant la période concernée.

21.      L’État grec a alors attaqué les arrêts rendus en deuxième instance devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) (Grèce) et il a demandé leur annulation en invoquant l’omission précitée.

22.      Le Conseil d’État grec a définitivement jugé dans ses arrêts que les traducteurs n’étaient pas assujettis à la TVA pour les activités qu’ils avaient exercées dans un lien de subordination à l’égard du ministère des Affaires étrangères. Il a néanmoins annulé les arrêts du Dioikitiko Efeteio Athinon dans la mesure où cette juridiction avait omis d’examiner, dans les différentes affaires, les moyens relatifs à la mention de la TVA sur les reçus. Il a estimé que ce moyen d’appel était essentiel et que c’est donc à tort que le Dioikitiko Efeteio Athinon avait omis de l’examiner. Les affaires ont dès lors été renvoyées à cette dernière juridiction aux fins d’une nouvelle appréciation partielle.

23.      Le Dioikitiko Efeteio Athinon constate qu’il existe au sein du Conseil d’État grec une controverse quant à l’interprétation de l’article 28, paragraphe 1, sous d), de la loi n° 1642/1986, puisqu’une autre section du Conseil d’État grec avait abouti, dans une affaire similaire aux trois affaires en cause, à un autre jugement que la section du Conseil d’État grec qui a examiné les affaires en cause. Puisque l’interprétation de cette disposition légale dépend du sens à donner à certaines dispositions de la sixième directive, le Dioikitiko Efeteio Athinon a jugé nécessaire, provisoirement, de ne pas rendre un arrêt définitif sur la question en suspens dans les trois affaires en cause et de poser à titre préjudiciel à la Cour de justice des Communautés européennes les questions énoncées ci-après:

«1)Le montant que celui qui fournit des services à l’État dans une relation de louage d’ouvrage mentionne sur la facture a-t-il le caractère d’une TVA au sens de la sixième directive TVA (77/388/CEE) lorsque, d’une part, celui qui fournit ces services pense par erreur qu’il les fournit en tant qu’indépendant, alors qu’il existe en réalité un lien de subordination, et que, sur la demande de son employeur, il porte en compte, sur les reçus qu’il remet, la TVA, dont le montant n’est pas fixé sur la base de la rémunération intégrale qu’il perçoit légalement de l’État et qui constitue la base imposable légale de la TVA, perçue ensuite en même temps que la rémunération légale, mais est fixé sur la base de la rémunération légale selon la méthode de calcul de la déduction interne, censée inclure également la TVA due, mais que, d’autre part, l’État verse la rémunération légale sous déduction de la TVA, qui est censée être incluse dans cette rémunération?

2)Est-il dérogé au principe, prévu à l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive TVA (77/388/CEE), du formalisme de la taxe (selon lequel, si la TVA est mentionnée sur la facture ou sur un autre document tenant lieu de facture, elle est due à l’État) lorsque l’État, exerçant cette activité comme puissance publique, n’agit pas en tant qu’assujetti au sens de l’article 4, paragraphe 5, de la directive précitée ─ auquel cas le mécanisme de la déduction lui serait applicable ─ et que ladite taxe qui a été acquittée ne peut pas être répercutée et n’est pas répercutée sur le consommateur final (la personne privée qui demande la traduction de documents et qui est le cocontractant de l’État), mais que celui qui fournit les services prétend au remboursement de la taxe qu’il a acquittée à l’autorité fiscale, après déduction de l’éventuelle taxe en amont, de sorte qu’il n’y a pas enrichissement de l’État? »

24.      Les traducteurs, le gouvernement grec et la Commission ont déposé des observations écrites. M me Karageorgou (affaire C-78/02), le gouvernement grec et la Commission ont précisé leurs points de vue à l’audience de la Cour du 20 mars 2003.

IV ─ Appréciation

25.      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le montant qui est mentionné par erreur comme TVA sur le reçu doit effectivement être qualifié de TVA dans le cas où le prestataire de services concerné pense par erreur qu’il fournit ses services à l’État grec en tant qu’indépendant alors qu’il existe en réalité un lien de subordination. Ce montant est fixé selon la méthode de calcul de la déduction interne. Cela signifie que la rémunération légale est censée inclure également la TVA due, de sorte que le montant effectivement versé est constitué par la rémunération légale après déduction du montant de TVA.

26.      Pour déterminer si le montant concerné doit être considéré comme une TVA, il doit d’abord être établi que les traducteurs sont soumis aux dispositions relatives à la TVA pour leurs prestations de services à l’État grec.

27.      Il ressort de l’article 2 de la sixième directive que les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA.

28.      L’article 4 de la sixième directive définit ensuite les personnes qui doivent être considérées comme des «assujettis» au sens de cette directive. Le paragraphe 1 de cet article indique comme caractéristique de base qu’il doit s’agir d’une personne qui accomplit une activité économique d’une façon indépendante. Le paragraphe 4 de cet article précise ensuite que le terme «d’une façon indépendante» exclut de la taxation non seulement les salariés mais aussi les personnes «liées à leur employeur par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur».

29.      Le gouvernement grec a fait valoir qu’il n’existe apparemment pas, dans la jurisprudence grecque, d’unanimité quant à la nature du lien entre les traducteurs et le ministère des Affaires étrangères. En revanche, les traducteurs et la Commission allèguent qu’il a déjà été établi en fait, dans les procédures au fond, que les traducteurs exercent leur activité dans un lien de subordination.

30.      Selon une jurisprudence constante, la Cour est seule compétente, dans le cadre de la procédure préjudicielle au titre de l’article 234 CE, pour se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’une disposition communautaire, sur la base de faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale. En d’autres termes, il n’appartient pas à la Cour mais à la juridiction nationale d’établir les faits qui ont donné lieu au litige et d’en tirer les conséquences pour la décision qu’elle est appelée à prendre  (3) .

31.      Selon ce que la Commission et les traducteurs ont allégué, il est définitivement établi en fait, au niveau de l’ordre juridique national, que les traducteurs travaillent dans un lien de subordination vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères. Ce lien trouve notamment son expression dans le fait qu’ils ne peuvent pas fixer librement leur rémunération et leurs conditions de travail, que le ministère assume la responsabilité à l’égard des tiers de la qualité des traductions et que les traducteurs sont soumis à un régime de sanctions interne en cas d’inobservation de leurs obligations.

32.      Dans ces conditions, il est clair que les traducteurs n’exercent pas une activité économique d’une façon indépendante et qu’ils ne sont dès lors pas des «assujettis» au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive. Par conséquent, leurs prestations de services n’entrent pas dans le champ d’application de la sixième directive.

33.      Il découle de ce fait que le montant que les traducteurs ont indiqué par erreur sur les reçus qu’ils ont établis ne peut pas être qualifié de TVA, ce qui fait qu’il y a lieu de répondre par la négative à la première question posée par la juridiction de renvoi.

34.      La constatation que la situation décrite dans la première question préjudicielle n’entre pas dans le champ d’application de la sixième directive a pour effet que la seconde question est devenue sans objet. Strictement parlant, il n’y a dès lors pas lieu de répondre à cette question pour résoudre le litige au fond. Nous tenons toutefois, pour être complet, à faire les observations suivantes à ce sujet, fût-ce à titre superfétatoire.

35.      Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande s’il faut déroger au principe du formalisme de la taxe, consacré par l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, lorsque l’État n’agit pas en tant qu’assujetti au sens de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, que ladite taxe n’a pas été répercutée sur le consommateur final et que le prestataire de services prétend au remboursement de la TVA qu’il a acquittée par erreur. Inversement: lorsque l’État agit comme prestataire de services non assujetti, des montants qui sont formellement (fût-ce par erreur) mentionnés comme TVA sur une facture au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive ne sont-ils pas, malgré tout, dus en tant que TVA?

36.      La sixième directive ne prévoit pas expressément le cas où la TVA est mentionnée par erreur sur une facture, alors qu’elle n’est pas due. Il s’ensuit que, aussi longtemps que cette lacune n’a pas été réparée par le juge communautaire, il appartient aux États membres de trouver une solution à cet égard  (4) . Dans l’arrêt Genius Holding, qui concernait le droit à déduction de la TVA mentionnée sur la facture sans être due, la Cour a également indiqué que ─ pour assurer la neutralité de la TVA ─ il appartient aux États membres de prévoir, dans leurs ordres juridiques internes, la possibilité de correction de toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi  (5) .

37.      Dans l’arrêt Schmeink & Cofreth et Strobel, la Cour a ajouté que, lorsque l’émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, la taxe indûment facturée peut être régularisée, sans qu’une telle régularisation puisse être subordonnée à la bonne foi de l’émetteur de ladite facture  (6) .

38.      Ces observations ne conduisent toutefois pas à une réponse concrète et séparée à la seconde question préjudicielle. Puisque nous avions déjà abouti plus haut à la conclusion que la situation qui est à la base des questions préjudicielles n’entre pas dans le champ d’application de la sixième directive, il n’y a pas de risque de perte de recettes fiscales et la question de la bonne foi de l’émetteur de la facture est sans importance. Dans ces conditions, il n’importe pas non plus de savoir si le principe prévu à l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive doit ou non rester inappliqué.

V ─ Conclusion

39.      Eu égard à ce qui précède, nous proposons à la Cour de répondre dans les termes suivants à la question posée par le Dioikitiko Efeteio Athinon:

«Le montant que celui qui fournit des services à l’État dans une relation de louage d’ouvrage mentionne sur la facture n’a pas le caractère d’une TVA au sens de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, lorsque, d’une part, celui qui fournit ces services pense par erreur qu’il les fournit en tant qu’indépendant, alors qu’il existe en réalité un lien de subordination, et que, sur la demande de son employeur, il porte en compte, sur les reçus qu’il remet, la TVA, dont le montant n’est pas fixé sur la base de la rémunération intégrale qu’il perçoit légalement de l’État et qui constitue la base imposable légale de la TVA, perçue en même temps que la rémunération légale, mais est fixé sur la base de la rémunération légale selon la méthode de calcul de la déduction interne, censée inclure également la TVA due, mais que, d’autre part, l’État verse la rémunération légale sous déduction de la TVA, qui est censée être incluse dans cette rémunération.»


1 – Langue originale: le néerlandais.


2 – JO L 145, p. 1.


3 – Voir, notamment, arrêts du 2 juin 1994, AC-ATEL Electronics Vertriebs (C-30/93, Rec. p. I-2305, points 16 et 17); du 1 er décembre 1998, Levez (C-326/96, Rec. p. I-7835, points 25 et 26), et du 16 septembre 1999, WWF e.a. (C-435/97, Rec. p. I-5613, points 31 et 32).


4 – Arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, Rec. p. I-6973, points 48 et 49).


5 – Arrêt du 13 décembre 1989, Genius Holding (C-342/87, Rec. p. I-4227, point 18).


6 – Arrêt précité à la note 4, points 60 à 63.