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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
Mme CHRISTINE STIX-HACKL
présentées le 10 juillet 2003(1)


Affaire C-320/02



Förvaltnings AB Stenholmen
contre
Riksskatteverket


[demande de décision préjudicielle formée par le Regeringsrätten (Suède)]

«Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Notion de bien d'occasion – Animal vivant – Formation de chevaux»






I –   Introduction

1.        La présente procédure de renvoi préjudiciel concerne l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme. Il faut en l’occurrence déterminer si des animaux vivants en général et des chevaux en particulier peuvent être considérés comme des biens d’occasion.

II –  Cadre juridique

A –   Droit communautaire

2.        C’est l’article 26 bis de la sixième directive qui nous importe en l’espèce. Cette disposition, qui a été introduite par la directive 94/5/CE  (2) , est intitulée «Régime particulier applicable dans le domaine des biens d’occasion, des objets d’art, de collection ou d’antiquité».

3.        L’article 26 bis, partie B, de la sixième directive institue un régime particulier pour les assujettis-revendeurs. D’après cette disposition, les livraisons de biens d’occasion notamment qui sont effectuées par des assujettis revendeurs sont soumises à un régime particulier d’imposition de la marge bénéficiaire. La différence qui doit être taxée correspond dans ce cadre à la différence entre le prix de revente et le prix d’achat. Les biens d’occasion achetés par l’assujetti-revendeur auprès de non-assujettis sont soumis à ce régime.

4.        L’article 26 bis, partie A, de la sixième directive comporte une série de définitions légales. La notion de «biens d’occasion» figure à l’article 26 bis, partie A, sous d), libellé comme suit:

«‘biens d’occasion’, les biens meubles corporels susceptibles de remploi, en l’état ou après réparation, autres que des objets d’art, de collection ou d’antiquité et autres que des métaux précieux ou des pierres précieuses tels que définis par les États membres».

B ─ Droit national

5.        Les dispositions particulières relatives aux biens d’occasion, aux objets d’art, de collection ou d’antiquité figurent au chapitre 9 a de la mervärdeskattelagen (1994:200) (ci-après la «loi suédoise sur la TVA»). Par biens d’occasion, on entend, aux termes de l’article 4 du chapitre 9 a, les biens qui ont déjà servi et qui sont susceptibles de remploi, en l’état ou après réparation, sous réserve de certaines exceptions non pertinentes en l’espèce.

6.        Les règles du chapitre 9 a de la loi suédoise sur la TVA ont été rédigées conformément aux dispositions du droit communautaire en la matière.

III –  Éléments de fait, procédure au principal et question préjudicielle

7.        Förvaltnings AB Stenholmen (ci-après «Stenholmen») envisage d’acheter de jeunes chevaux à des particuliers, de les dresser pour en faire des chevaux de selle et de les revendre ensuite. Afin de connaître précisément les conséquences fiscales de l’activité envisagée, la société a posé la question suivante au Skatterättsnämnden (Suède):

«Un cheval ─ acheté à un particulier (autre que l’éleveur) en tant que jeune cheval non formé et revendu après avoir fait l’objet d’un dressage de cheval de selle ─ doit il être considéré comme un bien d’occasion au moment de la revente, ce qui permettrait d’appliquer le régime d’imposition de la marge bénéficiaire?»

8.        Le Skatterättsnämnden a répondu par la négative à cette question par avis préalable du 12 novembre 2001 en se fondant sur les motifs suivants.

9.        Le chapitre 9 a de la loi suédoise sur la TVA contient les dispositions relatives à ce que l’on qualifie de régime de l’imposition de la marge bénéficiaire qui s’applique à la vente, par un assujetti revendeur, de biens d’occasion notamment. Par biens d’occasion, on entend, conformément à l’article 4, les biens qui ont déjà servi et qui sont susceptibles de remploi, en l’état ou après réparation, autres que, pour simplifier, les immeubles, les objets d’art, de collection ou d’antiquité, les biens composés entièrement ou en grande partie d’or, d’argent ou de platine ainsi que les pierres précieuses naturelles ou synthétiques non serties. Les objets d’art, de collection et d’antiquité, auxquels le chapitre 9 a est également applicable, font l’objet de définitions propres aux articles 5 à 7 suivants. Par assujetti revendeur, on entend, aux termes de l’article 8, premier alinéa, l’assujetti qui, dans le cadre de son activité économique, acquiert ou importe des biens d’occasion, des objets d’art, de collection ou d’antiquité en vue de les revendre.

10.      Par biens, on entend, aux termes de l’article 6 du chapitre 1 de la loi suédoise sur la TVA, les objets matériels, y compris les immeubles et le gaz, ainsi que la chaleur, le froid et l’énergie électrique. En vertu de cette définition, les animaux vivants sont, d’après le Skatterättsnämnden, des biens aux fins de l’application de la TVA. La question posée en l’espèce est toutefois de savoir si les chevaux acquis pour être revendus, après une formation, constituent des biens d’occasion auxquels le régime de la marge bénéficiaire pourrait être applicable. Les biens, tel le matériel, qui sont destinés à être utilisés dans le cadre d’une activité ne sont pas non plus visés, le but n’étant pas de les revendre.

11.      La définition de la notion de bien d’occasion indique que le bien, outre le fait qu’il a déjà servi, doit être susceptible d’emploi en l’état ou après réparation. Il semble, selon cette définition, que le caractère de bien d’occasion de l’objet doive être apprécié lors de l’acquisition de celui ci par le revendeur. On peut également considérer que cela découle de la disposition qui définit la notion d’assujetti revendeur. Le bien doit ainsi être revendu dans l’état dans lequel il se trouvait au moment de l’acquisition ou ─ vraisemblablement ─ s’il ne possède plus la fonction normale que l’on attend d’un tel bien, après avoir été rendu utilisable par une réparation.

12.      Il semble en résulter que, avant la revente du bien, celui ci ne saurait se voir ajouter ou acquérir, lorsqu’il est en la possession du revendeur, des caractéristiques qui peuvent affecter sa valeur d’une autre manière que par la réparation. On peut considérer qu’il en est ainsi, indépendamment du point de savoir si ces caractéristiques lui ont été ajoutées par un processus biologique ou d’une autre manière. Les organismes vivants en croissance, qu’il s’agisse d’animaux ou de végétaux, subissent de telles modifications au cours de leur cycle de vie que l’on peut considérer qu’ils acquièrent continuellement, dans une mesure plus ou moins grande, de nouvelles caractéristiques qui peuvent affecter leur valeur.

13.      Il convient de rappeler par ailleurs que, en dehors de la notion de biens d’occasion, il ne fait pas de doute que les biens qui sont visés au chapitre 9 a de la loi suédoise sur la TVA sont des objets inanimés qui, à l’exception de certains objets de collection, ont été «fabriqués». De même, dans le langage courant, la notion de biens d’occasion tend à être réservée à de tels objets et ne vise pas les organismes vivants. Le terme «réparation» indique lui aussi qu’il s’agit de quelque chose de fabriqué qui est remis en état de fonctionnement par une réparation.

14.      Eu égard à ce qui précède et étant donné que les animaux acquièrent en l’espèce des aptitudes de chevaux de selle qu’ils n’avaient pas ou en tout cas qu’ils n’avaient pas dans la même mesure au moment de leur acquisition par la société, le Skatterättsnämnden considère que la revente des chevaux ne peut pas être assimilée à la vente de biens d’occasion. Les dispositions du chapitre 9 a de la loi suédoise sur la TVA ne sont donc pas applicables aux activités de Stenholmen.

15.      Stenholmen a fait appel de l’avis préalable devant le Regeringsrätten (cour administrative suprême) (Suède) en concluant qu’il y avait lieu de répondre par l’affirmative à la question. Le Riksskatteverket (l’administration nationale des impôts) (Suède) conclut à la confirmation de l’avis préalable.

16.      D’après le Regeringsrätten, les animaux et les autres organismes vivants sont sans aucun doute des biens au sens du droit de la TVA. Considérer qu’un animal vivant est un bien «d’occasion» est toutefois difficilement compatible avec le langage courant. La question de savoir ce que vise l’expression «biens d’occasion» ne semble pas déjà avoir été soumise à l’appréciation de la Cour de justice des Communautés européennes.

17.      Le Regeringsrätten a des doutes sur le point de savoir comment il convient d’interpréter cette expression et invite par conséquent la Cour à répondre aux questions suivantes, conformément à l’article 234 CE:

«1)     Un animal peut il être considéré comme un bien d’occasion?

En cas de réponse affirmative à cette question, la Cour est invitée à répondre à la question suivante.

2)       Un animal acheté à un particulier (autre que l’éleveur) qui est revendu après avoir été formé pour une utilisation spécifique doit il être considéré comme un bien d’occasion?»

IV –  Sur la première question préjudicielle

18.      La première question préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive.

A ─ Principaux arguments des parties

19.      Stenholmen examine d’abord les positions défendues devant et par les autorités nationales. Elle souligne la jurisprudence de la Cour  (3) qui a qualifié les animaux de biens au sens du droit de la TVA. La définition juridique figurant à l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive ne dit rien d’autre. De même, l’objectif consistant à éviter les doubles impositions et l’égalité de traitement voulue entre commerçants de biens d’occasion sur le plan de la concurrence commandent de faire relever les animaux de cette disposition.

20.      D’après le Riksskatteverket, les animaux doivent certes être considérés comme des biens au sens de la sixième directive, mais non comme des biens d’occasion au regard de son article 26 bis. Les animaux sont exclus du champ d’application de cette disposition parce qu’ils ne pourraient être ni revendus dans l’état où ils se trouvaient lors de leur achat ni réparés. Pas plus que d’autres organismes vivants et leurs fruits, comme par exemple les baies et les champignons, les chevaux qui ne sont pas encore formés ne peuvent pas être considérés comme des biens d’occasion. Il faut par ailleurs éviter qu’aucun impôt ne soit prélevé du tout.

21.      La Commission des Communautés européennes considère que l’annexe A de la sixième directive vise aussi le bétail et que l’annexe C de cette dernière mentionne notamment les chevaux. Il s’ensuit que les chevaux doivent aussi être qualifiés de biens d’occasion.

B ─ Appréciation

22.      Il faut d’abord faire observer que la question préjudicielle vise à déterminer si les animaux peuvent aussi être considérés comme des biens d’occasion au sens de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive et non s’ils doivent dans tous les cas être considérés comme tels.

23.      Il y a en outre lieu de souligner que, pour résoudre cette question en matière de TVA, la qualification de bien donnée aux animaux en droit civil ou leur classification dans une catégorie propre est dépourvue de pertinence. En effet, la notion de bien d’occasion doit en premier lieu faire l’objet d’une interprétation autonome en droit communautaire et, en second lieu, l’interprétation civiliste serait incompatible avec l’important principe de l’interprétation uniforme prévu précisément en droit de la TVA, parce que, partant des régimes civils distincts des États membres, on en arriverait à une interprétation et à une application différentes des dispositions communautaires en cause d’État membre à État membre.

24.      L’examen de la sixième directive qui fait l’objet de la présente procédure permet déjà d’identifier la voie à suivre pour répondre à la première question préjudicielle. Ainsi, son annexe A II, point 1, vise aussi explicitement «l’élevage». Les prestations effectuées en relation avec du bétail, c’est-à-dire des animaux, sont ainsi expressément visées.

25.      La définition juridique de la notion de «biens d’occasion» figurant à l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive inclut uniquement les «biens meubles corporels». Il faut souligner dans ce cadre que ni cette disposition ni aucune autre n’écartent expressément les animaux du champ d’application du régime particulier de l’article 26 bis. Les éléments constitutifs précisés dans cette disposition ne permettent pas non plus de conclure a priori que les animaux ne peuvent pas être des biens d’occasion au sens de la sixième directive.

26.      En ce qui concerne le premier élément, les «biens», il y a lieu de se reporter à un arrêt de la Cour, d’après lequel les chevaux relèvent aussi des dispositions en matière de TVA  (4) .

27.      Le deuxième élément, «meubles», plaide aussi en faveur de l’inclusion des animaux dans le champ d’application de la disposition en cause. En effet, contrairement à de nombreux biens, les animaux ─ la procédure au principal concerne des chevaux vivants ─ peuvent en principe se mouvoir seuls.

28.      Le troisième élément, «corporels», se retrouve aussi chez les animaux, et donc chez les chevaux, s’agissant d’êtres dotés d’un corps.

29.      Il reste la quatrième condition, à savoir que les biens soient «susceptibles de remploi, en l’état ou après réparation». Cette condition peut aussi concerner des animaux.

30.      Elle ne s’oppose pas à ce que des animaux ─ et pas seulement les chevaux ─ puissent également être formés et utilisés d’une autre façon qu’auparavant, par exemple dans le cas de chevaux qui, après une formation de base, sont utilisés comme chevaux de formation ou d’obstacles, voire comme chevaux de concours complet.

31.      Les chevaux en particulier, qui font l’objet de la présente procédure, pouvaient déjà être utilisés «en l’état» avant leur achat par Stenholmen, puisqu’il suffisait de continuer à les dresser. Il n’est en effet pas rare que des chevaux soient revendus ou échangés par leur propriétaire, même après avoir déjà participé à des compétitions. L’acheteur peut être un autre particulier ou un négociant qui revend le cheval, en l’espèce, après en avoir poursuivi la formation.

32.      Même si l’on peut tout à fait soutenir qu’il existe des cas dans lesquels un animal ne doit pas être considéré comme un bien d’occasion, on ne peut pas en conclure que, en principe, les animaux ne peuvent pas être considérés comme des biens d’occasion. Or, c’est précisément cette possibilité fondamentale que vise la question du juge de renvoi.

33.      Il n’y a pas lieu, dans le cadre de la présente procédure, de répondre aussi aux questions soulevées par le Riksskatteverket et qui consistent à déterminer si des poulains nouveau-nés ou des baies cueillies devraient aussi être considérés comme des biens d’occasion. Des raisons de procédure s’opposeraient à elles seules à ce que l’on réponde à ces questions parce qu’elles ne se posent pas concrètement dans le litige au principal.

34.      Il faut enfin souligner le but poursuivi par la disposition de l’article 26 bis de la sixième directive, à savoir éviter les doubles impositions. On se trouverait précisément dans une telle hypothèse si, dans certains cas, ce n’était pas seulement la différence mais la valeur totale qui était taxée.

35.      De plus, le régime institué par l’article 26 bis de la sixième directive a aussi pour but d’éviter les désavantages en termes de concurrence pour les personnes se livrant au commerce de biens d’occasion. Ce groupe de commerçants ne comprend pas seulement les antiquaires, les marchands de chevaux pouvant aussi en faire partie.

36.      Il y a donc lieu de répondre à la première question en ce sens qu’un animal peut en principe être considéré comme un bien d’occasion au sens de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive.

V –  Sur la seconde question préjudicielle

A ─ Principaux arguments des parties

37.      Stenholmen estime que l’application du régime particulier prévu pour les biens d’occasion ne saurait dépendre de leurs qualités. Ce qui est déterminant d’après la définition juridique dudit article 26 bis, partie A, sous d), c’est qu’il s’agisse de «biens meubles corporels». On ne peut donc pas faire de distinction entre différents types de chevaux (niveaux de formation). Ils ne doivent en effet pas être considérés comme des biens nouveaux au sens de l’arrêt rendu dans l’affaire Van Dijk’s Boekhuis  (5) . D’après cet arrêt, aucune différence ne saurait être faite selon l’identité de la personne qui achète le bien, c’est-à-dire selon que le cheval est acheté par un éleveur ou une autre personne, comme un particulier par exemple.

38.      L’application du régime de la taxation de la marge bénéficiaire est uniquement subordonnée au respect des conditions visées à l’article 26 bis, partie B, paragraphe 2, de la sixième directive. Ces conditions ne sont cependant pas en cause dans la procédure préjudicielle.

39.      Du reste, d’autres États membres appliqueraient aussi le régime de la taxation de la marge bénéficiaire aux chevaux.

40.      Le Riksskatteverket, qui a simplement posé sa question à titre subsidiaire, n’identifie pas l’activité économique dans la revente mais bien dans la formation du cheval. L’article 26 bis de la sixième directive s’applique toutefois uniquement dans l’hypothèse où un bien est acheté dans la perspective d’être revendu. L’activité de formation réside toutefois précisément dans la modification du bien qu’est le cheval. On est en présence dans ce cadre de l’activité habituelle de l’achat en vue de la modification et de la revente ultérieure. Le fait de ne taxer que la marge pourrait dans certains cas avoir pour conséquence que seule la plus-value dégagée dans la dernière phase de la chaîne serait taxée.

41.      D’après la Commission, ce n’est pas l’utilisation future du cheval qui joue un rôle mais bien les processus économiques dont le cheval a fait l’objet avant sa vente à l’assujetti.

42.      La Commission souligne par ailleurs que le droit communautaire de la TVA vise à éviter les doubles impositions. Le système de la TVA ne s’applique certes pas aux animaux nouveau-nés qui, avant d’être livrés au revendeur, n’étaient encore soumis à aucune TVA, mais aux animaux qui ont tout d’abord été livrés à un non-assujetti pour être ensuite vendus à un revendeur.

B ─ Appréciation

43.      Il faut tout d’abord faire observer que la seconde question préjudicielle ne vise elle aussi qu’un aspect déterminé du régime particulier de l’article 26 bis de la sixième directive, à savoir le système de la taxation de la marge bénéficiaire, plus particulièrement la condition d’application constituée par la qualité de «biens d’occasion». Ainsi, cette question concerne aussi l’interprétation de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive, mais, contrairement à la première, elle ne porte pas sur le problème juridique général de la classification des animaux, mais ─ d’après la procédure au principal ─ sur la qualification spécifique d’un animal qui est acheté auprès d’un particulier autre qu’un éleveur et qui ─ après une formation en vue d’un usage spécifique ─ est revendu en tant que bien d’occasion.

44.      Cette question juridique se pose à la lumière du droit de la TVA dans le contexte économique suivant.

On retrouve comme d’habitude dans la présente procédure une succession d’opérations commerciales mais, abstraction faite du consommateur final, elles ne sont pas réalisées uniquement par des entreprises. Au contraire, l’un des intervenants est un non-assujetti, à savoir un particulier. Le fait que ce dernier, qui vend son cheval à un assujetti, à savoir la personne que l’on a qualifiée de revendeur, l’ait acheté auprès d’un particulier ou d’un commerçant, par exemple l’éleveur, ne joue aucun rôle. Le revendeur achète le cheval pour le dresser. D’après l’exposé des faits relatifs à la procédure au principal, il s’agit à vrai dire d’une nouvelle formation d’un cheval déjà formé.

45.      La circonstance qu’un particulier intervient dans la chaîne est certes une particularité par rapport à la succession «normale» des opérations, mais elle ne se présente pas uniquement dans le commerce des chevaux. La disposition de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive comporte même d’importants exemples de biens qui sont souvent achetés par des particuliers, comme des bijoux ou des antiquités.

46.      Les considérations que nous avons émises sur la première question préjudicielle en ce qui concerne le libellé de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive ont pour conséquence, en ce qui concerne la seconde question, que de tels animaux, qui sont achetés auprès d’un particulier autre qu’un éleveur, peuvent aussi être considérés comme des biens d’occasion. Strictement parlant, l’achat auprès d’un particulier ne concerne cependant pas la qualification en tant que bien d’occasion, mais constitue une autre condition d’application du régime particulier de l’article 26 bis de la sixième directive.

47.      Le fait qu’un animal, en l’occurrence un cheval, soit revendu après avoir été acheté par un revendeur, est une circonstance qui n’a pas davantage d’importance pour la qualification de bien d’occasion. Cette situation concerne aussi un aspect du régime particulier de l’article 26 bis de la sixième directive, à savoir la livraison par un revendeur assujetti, qui est étranger à l’objet de la procédure.

48.      La circonstance que le bien, le cheval en l’espèce, ne soit revendu par le revendeur lui-même qu’après avoir été formé en vue d’une utilisation spécifique, pourrait en revanche être déterminante.

49.      Il importe de souligner dans ce contexte que le juge de renvoi ne soulève pas la question du traitement de l’activité de formation au regard du droit de la TVA. Le Riksskatteverket pourrait cependant partir de cette idée.

50.      Le dossier ne révèle pas clairement dans quelles circonstances les chevaux se trouvaient en l’occurrence auprès de particuliers lorsqu’ils ont été achetés, c’est-à-dire comment ils pouvaient être utilisés. Alors que c’est plutôt la question du traitement de chevaux non formés qui était posée au Skatterättsnämnden, Stenholmen part de l’idée dans les observations écrites qu’elle a déposées dans la présente procédure préjudicielle que l’on est en présence d’un achat de chevaux d’obstacles, dont la formation devrait simplement être poursuivie.

51.      Dans cette dernière hypothèse, on peut partir de l’idée qu’il s’agit de chevaux qui ─ pour citer l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive ─ sont «susceptibles de remploi, en l’état [...]». Ils se trouvent dans cet état avant et après leur formation. Comme Stenholmen le fait observer à bon droit, il s’agit chaque fois du même cheval et de la même fonction. De tels chevaux doivent donc être considérés comme des «biens d’occasion» au sens de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive.

52.      On pourrait cependant admettre une autre hypothèse pour des chevaux qui sont formés pour une fin autre que celle pour laquelle ils étaient jusqu’à présent utilisés. Il s’agirait du cas dans lequel le cheval devrait être monté pour la toute première fois. Toutefois, même dans le cas de chevaux qui ont déjà été utilisés en tant que chevaux d’obstacles, il peut arriver en raison de certaines circonstances qu’ils ne puissent plus être utilisés ─ par leur cavalier actuel ou une autre personne ─ comme chevaux d’obstacles, surtout plus dans des compétitions. Il faut enfin évoquer le cas ─ plus rare, comme il a été admis ─ dans lequel des chevaux étaient tout d’abord utilisés comme chevaux de formation et ensuite comme chevaux d’obstacles ou l’inverse. Cette évolution se produit toutefois souvent en l’absence de toute formation intermédiaire.

53.      L’acquisition d’une qualification supplémentaire, par exemple l’entraînement au cross, c’est-à-dire la formation du cheval au concours complet, soulève de nouveau une autre question juridique.

54.      Le commerce portant sur des chevaux formés peut donc recouvrir des situations de fait très différentes. Étant donné cependant que, dans une procédure préjudicielle, la Cour ne doit se prononcer ni sur tous les cas se présentant effectivement ni sur les éléments de fait concrets, il lui est uniquement possible dans ce cadre d’énumérer des critères juridiques très généraux que le juge devra prendre en considération pour trancher le cas d’espèce concret.

55.      La présente problématique recommande de partir de la distinction entre «biens d’occasion» et biens «nouveaux». Il y a lieu de se reporter à ce propos à l’arrêt Van Dijk’s Boekhuis évoqué à plusieurs reprises durant la procédure. D’après cet arrêt, un bien est «nouveau» «lorsque [...] résultera un bien dont la fonction, aux yeux du public qui l’utilise, est différente de celle qu’avaient les matériaux confiés»  (6) .

56.      Cette appréciation pourrait être généralisée de façon à isoler le changement de fonction comme critère et d’en faire une marque générale de distinction. Le fait que l’arrêt concerne l’interprétation de la notion de «fabriqué» s’y oppose toutefois. De plus, il n’est pas possible qu’un nouveau cheval soit fabriqué à l’issue de quelque formation que ce soit.

57.      Toutefois, même si l’on retient le changement de fonction, il faut déterminer si ou quand il intervient dans le cas d’un cheval. On pourrait ainsi tout à fait soutenir ─ conforté en cela par l’opinion générale ─ que les chevaux de formation, d’obstacles ou ceux destinés au concours complet, tout comme les chevaux andalous ou les chevaux formés dans le style western ont la même fonction, c’est-à-dire qu’ils servent généralement de chevaux de selle. Les chevaux d’attelage, de course ou de trot pourraient en revanche constituer une catégorie propre. La circonstance que, à un niveau encore plus abstrait, tous ces chevaux ont la même fonction, à savoir qu’ils sont des chevaux de sport, s’y oppose toutefois. Il faudrait aussi distinguer les chevaux de trait, qui deviennent de plus en plus rares. Les chevaux qui sont négociés en raison de leur viande constitueraient eux aussi une catégorie propre.

58.      Abstraction faite de ces particularités relatives aux différentes possibilités d’utilisation des chevaux en général, il faut déterminer ce qui est décisif pour apprécier la fonction: l’intention du vendeur, l’intention de l’acheteur (par exemple, l’achat en vue de participer à des compétitions d’obstacles à partir d’un certain niveau), la possibilité objective d’utiliser le cheval en cause ou l’usage qui en a été fait jusqu’alors.

59.      Ces éléments montrent que le critère du changement de fonction soulève en pratique de très difficiles questions de délimitation, en tout cas en ce qui concerne les animaux. Compte tenu de l’insécurité juridique qui y est associée pour les milieux concernés, un tel critère ne semble donc pas adéquat.

60.      Le fait de traiter comme bien d’occasion un cheval acheté par un entrepreneur auprès d’un non-assujetti est conforme à l’objectif poursuivi par l’introduction de l’article 26 bis de la sixième directive, à savoir la prévention des doubles impositions. La réalisation de cet objectif devrait être garantie par le régime de taxation de la marge bénéficiaire.

61.      En effet, si les chevaux n’étaient pas traités comme des biens d’occasion au sens de la disposition en cause, ils seraient de nouveau entièrement taxés une fois remis dans le commerce. En revanche, les chevaux qui seraient vendus par un particulier à un autre particulier, c’est-à-dire sans intervention intermédiaire du négociant de chevaux qui en assure la formation, à savoir le revendeur, seraient uniquement soumis à l’impôt prélevé lors de la vente au premier particulier. Ce traitement différencié entraînerait une distorsion de concurrence entre les ventes directes et les ventes réalisées moyennant l’intervention d’un commerçant  (7) . L’objectif de l’article 26 bis de la sixième directive est cependant d’éviter cette situation, au même titre que l’intention du législateur communautaire, telle qu’elle ressort de la directive 94/5 introduisant cette disposition particulière. En l’absence de disposition particulière pour le commerce de chevaux, cette disposition relative aux biens d’occasion doit donc aussi s’appliquer aux cas comme ceux de la procédure au principal.

62.      Enfin, il faut signaler à titre complémentaire que l’application du régime de taxation de la marge bénéficiaire n’a pas pour effet que la plus-value dégagée lors de la formation du cheval est soustraite à la taxe. Au contraire, la taxation de la marge bénéficiaire porte précisément sur la différence, c’est-à-dire sur la marge. Celle-ci est d’autant plus élevée que l’est la plus-value dégagée qui se manifeste dans le prix de vente obtenu. On fait ainsi en sorte que la formation des chevaux soit prise en compte de la même façon que la réparation prévue expressément à l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive, telle qu’elle est effectuée pour les antiquités par exemple.

63.      Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle qu’un animal acheté à un particulier (autre que l’éleveur), qui est revendu après avoir été formé pour une utilisation spécifique, peut être considéré comme un bien d’occasion.

VI –  Conclusion

64.      Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles:

«1)     Un animal peut être considéré comme un bien d’occasion au sens de l’article 26 bis, partie A, sous d), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive du Conseil, du 14 février 1994, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388/CEE – Régime particulier applicable dans le domaine des biens d’occasion, des objets d’art, de collection ou d’antiquité.

2)       Un animal acheté à un particulier (autre que l’éleveur), qui est revendu après avoir été formé pour une utilisation spécifique, peut être considéré comme un bien d’occasion.»


1 – Langue originale: l'allemand.


2 – Directive du Conseil, du 14 février 1994, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388/CEE – Régime particulier applicable dans le domaine des biens d'occasion, des objets d'art, de collection ou d'antiquité (JO L 60, p. 16).


3 – Arrêt du 21 juin 1988, Tattersalls (10/87, Rec. p. I-3281).


4 – Arrêt précité à la note 3.


5 – Arrêt du 14 mai 1985 (139/84, Rec. p. 1405).


6 – Arrêt précité à la note 5, point 22.


7 – Voir, à propos de ces répercussions négatives au regard de l'ancienne situation juridique, arrêt du 10 juillet 1985, Commission/Irlande (17/84, Rec. p. 2375, points 14 et 17).