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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER
présentées le 13 janvier 2004(1)


Affaire C-68/03



Staatssecretaris van Financiën
contre
D. Lipjes


[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Sixième directive TVA – Régime transitoire des échanges entre les États membres – Prestation de services – Services d'intermédiaires dans les acquisitions intracommunautaires de biens – Lieu de réalisation de la prestation – Interprétation de l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3»






1.        Le Hoge Raad der Nederlanden (organe de cassation) (Pays-Bas) défère à la Cour de justice deux questions sur l'interprétation de l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, de la sixième directive en matière de taxes sur la valeur ajoutée  (2) (ci-après la «sixième directive»).

2.        Le litige dont est saisi le juge néerlandais concerne la détermination du lieu des activités d'intermédiaire exercées par un professionnel lors de la vente de deux yachts situés en France pour le compte de deux acheteurs résidant aux Pays-Bas.

3.        Le Hoge Raad souhaite savoir si la disposition précitée s'applique lorsque, à l'occasion d'un achat de biens dans la Communauté, un agent négocie en faveur d'un particulier qui n'est pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»). En cas de réponse affirmative, il demande où est situé le lieu où le fait imposable est réputé s'être produit.

I –   Le cadre juridique communautaire

4.        La sixième directive soumet à la taxe les livraisons de biens et les prestations de services  (3) réalisées à titre onéreux dans un pays par quiconque accomplit de façon indépendante des activités de production, de commerçant ou d'assistance, ainsi que celles des professions libérales (articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2).

5.        Le fait imposable dans le cas de la livraison de biens intervient à l'endroit où se produit la transmission, sauf lorsqu'ils doivent être expédiés ou transportés, cas dans lequel il survient à l'endroit où les biens se trouvent au moment du départ de l'expédition à destination de l'acquéreur  (4) (article 8, paragraphe 1).

6.        S'agissant des services, le fait générateur de l'obligation fiscale est réputé intervenir à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou à l'endroit où il possède un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue. En l'absence de ces deux critères, il est fait référence au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle (article 9, paragraphe 1).

7.        Toutefois, pour certaines prestations  (5) accomplies en faveur de personnes établies en dehors du pays – communautaire ou non – du prestataire, la règle change et le fait imposable est déterminé en fonction du destinataire. Dans ces hypothèses, le point de rattachement est soit le siège de son activité économique ou de l'établissement stable qui bénéficie de la prestation de services, soit son domicile ou sa résidence habituelle [article 9, paragraphe 2, sous e)]. La même règle s'applique aux intermédiaires intervenant dans ces opérations (article 9, paragraphe 2, sous e), dernier tiret)  (6) .

8.        La directive 91/680 a introduit dans la sixième directive un nouveau titre XVI bis intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres» qui vise à faciliter, après la suppression des contrôles fiscaux aux frontières intérieures à compter du 1er janvier 1993, le passage à un régime définitif de taxation du commerce intérieur dans le système commun de TVA  (7) .

9.        Conformément à ce régime transitoire sont soumises à la TVA «les acquisitions intracommunautaires de biens» effectuées à titre onéreux à l'intérieur d'un pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie si le cessionnaire est un autre assujetti qui réalise la cession en cette qualité [article 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa].

10.      Le fait imposable précité est défini comme l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l'acquéreur, par le vendeur ou par l'acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ (article 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa).

11.      Les opérations précitées, ainsi que la livraison de biens, sont soumises à la taxe au lieu de destination (article 28 ter, lettres A et B).

12.      L'article 28 ter, lettre C, modifie le critère en ce qui concerne les services de transport intracommunautaire de biens, qui sont réputés avoir été fournis au lieu de départ. La lettre E de cette disposition comporte la même règle pour les activités d'intermédiaire dans le transport. Dans le cas d'une prestation accessoire au transport, l'opération est réputée accomplie au lieu de l'activité secondaire. Dans les deux hypothèses, si le bénéficiaire de l'activité de l'intermédiaire est identifié à la TVA dans un autre État membre et intervient en cette qualité, le fait imposable se produit toutefois dans cet État membre (paragraphes 1 et 2).

13.      Or, conformément au paragraphe 3 de l'article précité:

«Par dérogation à l'article 9 paragraphe 1, le lieu des prestations de services effectuées par les intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d'autrui, lorsqu'ils interviennent dans des opérations autres que celles visées aux paragraphes 1 et 2 et à l'article 9, paragraphe 2, point e), est l'endroit où ces opérations sont effectuées.

Toutefois, lorsque le preneur le preneur est identifié à la taxe sur la valeur ajoutée dans un État membre autre que celui duquel ces opérations sont effectuées, le lieu de la prestation rendue par l'intermédiaire est réputé se situer sur le territoire de l'État membre qui a attribué au preneur le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée sous lequel le service lui a été rendu par l'intermédiaire» 8  –L'article 6a de la loi relative à la TVA, tel qu'il est libellé dans la loi du 24 décembre 1992 (Staatsblad 1992, p. 713), a introduit en droit néerlandais l'article 28 ter, lettre E, de la sixième directive..

II –  Les circonstances de fait, la procédure au principal et les questions préjudicielles

14.      M. D. Lipjes, qui est établi aux Pays-Bas, se consacre au courtage professionnel dans l'achat et la vente de yachts sous la dénomination de «Dutch Yachting Services».

15.      Au cours de la période comprise entre le 1er mai 1996 et le 31 décembre 1997, il est intervenu en tant qu'intermédiaire dans l'achat de deux yachts  (9) situés en France (Dunkerque et Ajaccio) pour le compte de deux acheteurs particuliers résidant aux Pays-Bas. Dans les deux cas, le vendeur était un particulier domicilié en France et M. Lipjes n'a ni déclaré ni payé la TVA dans aucun des États membres précités au titre de la commission qu'il a facturée à ses clients.

16.      L'inspection néerlandaise des impôts (Belastingdienst/Ondernemingen Goes) lui a envoyé un avis de taxation complémentaire pour la commission de courtage qu'il avait perçue, étant donné que, d'après elle, les services avaient été rendus sur le territoire néerlandais.

17.      Après que sa réclamation administrative eut été rejetée, l'assujetti a attaqué l'avis de taxation devant le Gerechtshof te 's-Gravenhage (cour d'appel de la Haye) au motif que l'activité d'intermédiaire avait été réalisée en France, thèse qui a été accueillie par la juridiction précitée en raison du lieu où se situaient les yachts le jour de la vente.

18.      Le Staatssecretaris van Financiën (le secrétaire d'État aux Finances) s'est pourvu en cassation en faisant valoir que l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, première phrase, de la sixième directive, vise uniquement les opérations d'intermédiaire réalisées en faveur des activités propres d'un assujetti, d'après ce qui ressort de l'article 4 de la directive. Dès lors, pour déterminer le lieu où M. Lipjes a effectué son travail, il faudrait appliquer la règle générale contenue à l'article 9, paragraphe 1, étant donné qu'il a accompli ce travail aux Pays-Bas.

19.      Le Hoge Raad signale que la disposition précitée ne fait pas de distinction en fonction de la transaction (sous réserve des exceptions qu'elle précise) ou de la personne qui bénéficie de l'intervention, de sorte que, à chaque service d'un intermédiaire (autre que ceux cités expressément par cet article), il faut appliquer la règle de la fourniture au lieu de l'activité principale, la qualité en laquelle le destinataire agit étant indifférente. Il ajoute cependant que l'interprétation précitée peut être mise en cause au regard de l'économie générale du titre XVI bis de la sixième directive et de celle de l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3.

20.      Il considère que la jurisprudence communautaire ne contient aucun élément suffisant susceptible d'écarter les doutes qu'il nourrit et il a décidé de suspendre la procédure et de déférer les questions suivantes à la Cour en application de l'article 234 CE:

«1)Faut-il interpréter l'article 28 ter, E, paragraphe 3, de la sixième directive en ce sens que cette disposition ne vise que des services d'intermédiaires bénéficiant à un assujetti au sens de la directive ou d'une personne morale non assujettie au sens de l'article 28 bis de la directive?

2.En cas de réponse négative, faut-il alors interpréter l'article 28 ter, E, paragraphe 3, première phrase, de la sixième directive en ce sens que cette disposition vise à rattacher le lieu du courtage dans l'achat ou la vente d'un bien corporel entre deux particuliers au lieu de la transaction comme si cette transaction était une livraison ou un service accompli par un assujetti au sens de l'article 8 de la sixième directive?»

III –  La procédure devant la Cour de justice

21.      La Commission, ainsi que les gouvernements néerlandais et portugais ont déposé des observations écrites dans le délai fixé à cette fin par l'article 20 du statut CE de la Cour de justice.

22.      Aucune des parties n'ayant demandé à être entendue, la Cour a renoncé à la phase orale de la procédure conformément à l'article 104, paragraphe 4, du règlement de procédure.

IV –  Examen des questions préjudicielles

A –   La localisation du fait imposable dans le cas des services d'intermédiaire

23.      La prestation de services d'intermédiaire est située, en général, au siège de l'activité économique du prestataire ou, le cas échéant, au lieu de l'établissement stable à partir duquel il rend ces services  (10) . En l'absence de ces deux critères, il est fait référence au domicile ou à la résidence habituelle, comme je l'ai déjà souligné. Cette règle est le reflet du principe de l'«imposition dans le pays d'origine» («imposición en origen») et permet de situer le fait générateur de l'obligation fiscale sur un territoire tout en identifiant la disposition nationale applicable  (11) .

24.      Le point de rattachement passe de l'établissement de la personne offrant le service à celui du bénéficiaire dans le cas des opérations d'intermédiaire visées à l'article 9, paragraphe 2, sous e), qui sont réalisées en faveur de personnes établies dans un pays différent.

25.      La règle générale connaît aussi une exception dans le cas de l'intervention pour compte d'autrui dans le transport communautaire de biens ou dans les prestations accessoires, cas dans lesquels le fait imposable est réputé se produire au lieu de l'activité principale, à savoir au début du transport ou à celui de l'exécution de l'activité accessoire. Toutefois, si l'intervention est réalisée pour un destinataire identifié à la TVA sous un numéro attribué par un autre État membre, le territoire de ce dernier acquiert la qualité de point de rattachement pour déterminer le lieu où se produit le fait imposable.

26.      En fin de compte, la détermination du fait imposable pour les autres types d'activités d'intermédiaire dans les échanges de biens entre États membres respecte un critère identique, à savoir celui de l'opération dans laquelle une personne intervient, sous réserve de l'exception précitée dans l'hypothèse où la personne représentée est identifiée à la taxe dans un autre État membre et intervient en cette qualité.

27.      En résumé, les services d'un intermédiaire sont soumis à la taxe dans l'État membre où:

1)il est établi (c'est la règle générale de l'article 9, paragraphe 1)  (12) ;

2)où est établi le destinataire [article 9, paragraphe 2, sous e), avant-dernier tiret];

3)est effectuée l'activité principale (premier alinéa des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 28 ter, lettre E); ou bien dans celui où

4)le destinataire est identifié à la TVA sous le numéro utilisé dans l'opération (deuxième alinéa des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 28 ter, lettre E).

28.      Les circonstances de fait du litige au principal, qui consistent en l'intervention pour compte de deux particuliers résidant aux Pays-Bas en vue de l'acquisition de deux yachts situés en France, peuvent uniquement relever de la première ou de la troisième hypothèse.

B –   Le champ d'application subjectif de l'article 28 ter de la sixième directive

29.      Le choix correct entre les deux possibilités exige que l'on détermine le champ d'application de l'article 28 ter; on peut à cet égard envisager trois solutions qui coïncident avec les points de vue adoptés par chacune des parties étant intervenues dans la présente procédure préjudicielle. D'après le premier point de vue, la disposition précitée comprend toute activité d'intermédiaire, autre que celles qu'elle énumère, indépendamment de la qualité en laquelle agit le bénéficiaire et de celle du vendeur dans la prestation principale; c'est la thèse de la Commission. Le gouvernement néerlandais considère que, pour que l'article précité trouve à s'appliquer, il est nécessaire que les services d'intermédiaire soient rendus pour le compte d'un assujetti à la taxe ou d'une personne morale qui n'y est pas soumise. Enfin, le gouvernement portugais défend une position à mi-chemin des deux autres, d'après laquelle la disposition précitée vise les services rendus à un particulier pour autant que la transmission de biens dans la Communauté soit réalisée par un assujetti à la taxe.

30.      La réponse correcte est, d'après moi, la première.

31.      Une interprétation téléologique des articles introduits par la directive 91/680 étaie cette affirmation.

32.      La disposition litigieuse dans la présente procédure entend faire face au défi de la suppression des contrôles fiscaux aux frontières intérieures à partir du 1er janvier 1993 mais, les conditions nécessaires à l'instauration du principe de l'imposition dans l'État membre d'origine n'étant pas réunies au 31 décembre 1992  (13) , une période transitoire a été instaurée, durant laquelle la règle de la taxation dans l'État membre de destination a été maintenue  (14) . Pour faciliter la suppression des frontières douanières, la disposition en cause a supprimé toutes les formalités aux frontières et, en définissant un nouveau fait imposable («acquisition intracommunautaire de biens»), elle a placé toutes les obligations fiscales dans une position analogue à celle des opérations intérieures.

33.      En d'autres termes, l'application durant la période transitoire du fait imposable précité a supposé une dérogation, en ce qui concerne les échanges de biens entre les États membres, au principe de la taxation au point de départ  (15) . Pour comprendre la portée de cette dérogation provisoire, il faut considérer que la TVA est une taxe appelée à frapper les actes de consommation, en tant que manifestation indirecte de la capacité économique des personnes, objectif qui est atteint en soumettant à la taxation les opérations des entrepreneurs ou des professionnels qui, à travers la technique de la répercussion, transfèrent la charge au consommateur final. On institue ce faisant une taxe «neutre» pour les assujettis: elle est uniquement supportée par le dernier maillon de la chaîne, qui reçoit le produit ou bénéficie de la prestation. Telles sont les raisons pour lesquelles la sixième directive définit l'événement qui donne naissance à l'obligation fiscale, indépendamment de la qualité de la personne à laquelle les biens sont livrés ou à laquelle les services sont rendus.

34.      Pour que la taxe soit due dans le cadre d'une acquisition intracommunautaire de biens, il est nécessaire que l'acheteur soit un assujetti ou une personne morale non assujettie [article 28 bis, paragraphe 1, sous a)]. Cette règle est justifiée par le fait que, en payant la taxe dans le pays de réception, sa neutralité ne peut être garantie que si celui qui la supporte peut la répercuter ou la déduire parce qu'il est un assujetti qui utilise les biens pour des activités effectivement taxées et non un consommateur final. C'est la raison pour laquelle l'article 28 ter, lettres A et B, de la sixième directive suppose que le fait imposable se produit dans l'État membre d'arrivée du transport ou de l'expédition des biens à destination de l'acheteur ou dans celui où lui a été attribué le numéro d'identification fiscale sous lequel il agit et où il peut déduire la charge qu'il a supportée  (16) .

35.      Un autre des éléments fondamentaux du régime transitoire instauré par la directive 91/680 réside dans le respect de la souveraineté fiscale des États membres. Tous les partenaires de la Communauté définissent en toute indépendance les opérations taxables, mais leurs pouvoirs d'imposition doivent être coordonnés de façon à ce que, dans le cadre d'une opération dans la Communauté, le pouvoir de l'un prenne naissance là où prend fin le pouvoir de l'autre. Ces exigences expliquent que, si une vente de biens est taxée dans le pays dans lequel ils sont mis à la disposition de l'acheteur, la livraison corrélative qui a lieu dans l'État membre d'origine est exonérée [article 28 quater, lettre A, sous a)] en vue d'éviter la double imposition  (17) .

36.      Les considérations précitées, qui clarifient la rédaction de l'article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, ne s'appliquent cependant pas aux prestations accessoires à l'acquisition intracommunautaire de biens ni aux échanges d'un État membre à un autre qui en résultent ni, en particulier, à l'activité d'intermédiaire. Dans ces hypothèses, il n'y a pas de succession d'opérations qui sont toutes soumises en principe à la TVA, qui sont réalisées dans différents pays communautaires et doivent être coordonnées pour garantir la neutralité de la taxe et sauvegarder la souveraineté fiscale de chaque État membre, mais il existe une prestation fournie à titre professionnel, qui commence et prend fin en soi. Compte tenu de ces circonstances, l'intervention pour compte d'autrui dans l'acquisition et le transport de biens à l'intérieur de l'Union est réputée être réalisée, aux fins de la TVA, au lieu de l'opération principale: si l'intervention concerne le transport, au lieu de départ (article 28 ter, lettre E, paragraphe 1); si l'intervention de l'intermédiaire est réalisée pour une activité accessoire, au lieu où cette dernière est matériellement exécutée (paragraphe 2) et si elle porte sur d'autres types opérations, à l'endroit où celles-ci sont effectuées (paragraphe 3).

37.      Il est indifférent pour la même raison que l'opération principale soit soumise à la taxe ou qu'il s'agisse d'une cession entre particuliers. Le courtage a sa substance propre et il est soumis à la taxe en marge de l'activité à laquelle il sert; il n'y est rattaché dans certains cas que pour déterminer le lieu du fait imposable. Le substantif «opérations» utilisé dans la disposition ne se réfère donc pas seulement à celles qui sont soumises à la TVA, mais aussi à toute opération dans laquelle un assujetti à la taxe intervient au nom d'une autre personne, autre que celles visées par les paragraphes 1 et 2 de cette disposition et par l'article 9, paragraphe 2, sous e). La Commission explique dans ses observations écrites qu'il est inutile de procéder à une analyse linguistique lorsque la sixième directive utilise le substantif précité de façon indifférenciée, à la fois pour désigner les opérations relevant de son champ d'application et celles qui en sont exclues.

38.      L'article 21 de la sixième directive, modifié par la directive 91/680, prouve bien que le législateur communautaire n'exige pas que, dans les opérations d'intermédiaire, le destinataire soit un assujetti ou une personne morale non assujettie. En précisant les personnes redevables de la taxe, il établit une distinction entre les acquisitions dans la Communauté assorties d'un transfert d'un pays à un autre, cas auquel se réfère l'article 28 bis, et les services rendus à l'occasion de ces opérations, qui sont visés par l'article 28 ter, lettres C, D et E. S'agissant du premier type d'opérations, il précise qu'est redevable de la taxe «la personne effectuant une acquisition intracommunautaire de biens imposable» [paragraphe 1, sous d)], c'est-à-dire l'acheteur qui est assujetti ou une personne morale. Dans le cas du deuxième type d'opérations, en revanche, il dispose qu'est redevable de la taxe le «preneur» des services, sans autre précision, incluant aussi les prestations visées à l'article 9, paragraphe 2, sous e), qui, comme chacun en convient, comprend les prestations rendues aux particuliers.

39.      Compte tenu des éléments exposés ci-dessus, force est de déclarer que l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, de la sixième directive vise les services rendus par les intermédiaires, abstraction faite de la personne à laquelle ils sont destinés. En paraphrasant le gouvernement portugais (voir le paragraphe 16 de ses observations écrites), on peut affirmer que la qualité de la personne pour laquelle intervient le tiers est indifférente pour l'application de la disposition précitée, en ajoutant, pour les raisons que j'ai indiquées, que la qualité du vendeur dans l'opération principale est tout aussi dépourvue de pertinence.

40.      Les arguments du gouvernement néerlandais ne contredisent pas les constatations qui précèdent. Lorsque l'activité d'intermédiaire est réalisée en faveur d'une personne qui est identifiée à la taxe par un État membre autre que celui dans lequel l'opération principale a lieu, on présume que le fait imposable se produit sur le territoire du premier État membre, ce qui ne signifie toutefois pas que l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, de la sixième directive vise uniquement parmi les destinataires les assujettis à cette taxe, mais que, dans ces circonstances, la prestation est réputée rendue au lieu indiqué. Lorsque le bénéficiaire est un consommateur final particulier et qu'il n'agit donc pas sous couverture d'une identification fiscale au titre de cette taxe, la deuxième hypothèse ne s'applique pas et le fait imposable se produit au lieu de l'activité dans laquelle l'intermédiaire intervient.

41.      Le dernier argument avancé par le gouvernement néerlandais pour défendre sa thèse est fondé sur le fait que la disposition dont le Hoge Raad demande l'interprétation vise, d'après son paragraphe 2, à éviter que le destinataire des services soit obligé d'exercer son droit à déduction de la TVA qu'il a payée dans un pays autre que celui dans lequel l'opération est effectivement taxée, considérant que l'activité d'intermédiaire a eu lieu dans l'État membre qui lui a attribué l'identification fiscale sous laquelle il agit. D'après ce gouvernement, la disposition en cause exclurait les particuliers qui ne peuvent pas déduire la taxe payée. Cette appréciation ne tient cependant pas compte du fait que le deuxième alinéa de l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, précité de la sixième directive comporte une disposition particulière pour certains bénéficiaires de la prestation qui sont assujettis à la taxe, circonstance qui n'écarte pas l'application de la première partie de cette disposition à la personne représentée qui est le «consommateur final» de l'activité d'intermédiaire.

C –   Le lieu du fait imposable dans le cas des services d'intermédiaire visés à l'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3

42.      L'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, de la sixième directive s'applique donc aux activités d'intermédiaire réalisées en faveur d'un particulier. D'après cette disposition, ces activités sont réputées avoir lieu au même endroit que l'opération principale. Au vu de l'économie générale de cette disposition, son paragraphe 3 peut uniquement se référer à l'activité d'intermédiaire dans les acquisitions intracommunautaires et les livraisons de biens visées à l'article 28 bis, paragraphes 1, 3 et 5, le lieu de ces opérations étant déterminé par l'article 28 ter, lettres A et B.

43.      D'après ces dispositions, le fait imposable se produit à l'endroit où les biens se trouvent au moment de l'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur  (18) .

44.      La règle spéciale contenue à l'article 28 ter, lettre E, de la sixième directive renvoie aux critères indiqués aux lettres A et B et non à la règle générale qui, pour les livraisons de biens, est contenue à l'article 8, ainsi que le laisse entendre le libellé de la deuxième question déférée par le Hoge Raad  (19) .

45.      Il est ainsi remédié aux dysfonctionnements soulignés par les parties à la présente procédure préjudicielle, la taxation rationnelle et homogène qu'elles évoquent étant dans le même temps assurée; l'objectif qui consiste à assurer une répartition adéquate des champs d'application des législations nationales sur la TVA et à éviter les conflits de compétence, en ce compris la double imposition qui, d'après la jurisprudence communautaire  (20) , constitue l'essence des dispositions de la sixième directive fixant le lieu où se produit le fait imposable, est par ailleurs atteint.

V –  Conclusion

46.      Au vu des éléments exposés ci-dessus, je propose à la Cour de justice de répondre aux questions déférées par le Hoge Raad der Nederlanden en disant pour droit que:

«1)L'article 28 ter, lettre E, paragraphe 3, de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, s'applique aussi lorsque les services d'intermédiaire auxquels il se réfère sont rendus à un particulier, indépendamment de la qualité en laquelle agit la personne qui réalise la cession dans l'opération juridique principale.

2)Dans ce cas, la détermination du lieu où se produit l'activité d'intermédiaire doit se fonder sur les critères visés à l'article 28 ter, lettres A et B, de la sixième directive.»


1 – Langue originale: l'espagnol.


2 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, JO L 145, p. 1. L'article 28 ter a été introduit par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l'abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1).


3 – La «prestation de services» constitue une catégorie résiduelle, qui comprend toute opération n'étant pas soumise à la livraison de biens (article 6 de la sixième directive).


4 – Les biens qui nécessitent une installation ou un montage sont aussi soumis à un régime particulier, hypothèse dans laquelle le lieu de la livraison est celui où ces opérations sont réalisées [article 8, paragraphe 1, sous a), in fine].


5 – Les cessions et concessions de droits de propriété industrielle et intellectuelle; les prestations de publicité; les activités des professions libérales comme celles des ingénieurs, avocats et experts comptables, ainsi que le traitement de données et la fourniture d'informations; les opérations bancaires, financières et d'assurance; les mises à disposition de personnel et, enfin, les obligations de ne pas exercer entièrement ou partiellement une activité professionnelle ou l'un des droits précités.


6 – L'article 9 de la sixième directive a été transposé dans l'ordre juridique néerlandais par l'article 6 de la Wet op de Omzetbelasting 1968 (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après la «loi relative à la TVA»).


7 – Les troisième, huitième et neuvième considérants de la directive 91/680 évoquent ce régime.


8 – L'article 6a de la loi relative à la TVA, tel qu'il est libellé dans la loi du 24 décembre 1992 (Staatsblad 1992, p. 713), a introduit en droit néerlandais l'article 28 ter, lettre E, de la sixième directive.


9 – D'après les informations fournies par le Hoge Raad, il ne s'agissait pas de «moyens de transport neufs», comme les définit l'article 28 bis, paragraphe 2, qui sont soumis à la taxe en vertu du paragraphe précédent, sous b), de la même disposition.


10 – La Cour a précisé dans son arrêt du 4 juillet 1985, Berkholz (168/84, Rec. p. 2251), que le siège de l'activité économique est le point de rattachement prioritaire, de sorte que l'on peut uniquement prendre en considération un autre établissement à partir duquel les services sont prestés si le lien avec ce siège n'aboutit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre État membre (point 17). La Cour s'est prononcée dans le même sens dans ses arrêts du 17 juillet 1997, ARO Lease (C-190/95, Rec. p. I-4383, point 15), et du 7 mai 1998, Lease Plan (C-390/96, Rec. p. I-2553, point 24).


11 – Pérez Herrero, L. M., La sexta Directiva Comunitaria del IVA, Cedecs Editorial S. L., 1ère Ed., Barcelone, 1997, p. 132.


12 – Il semble que la Commission se trompe lorsqu'elle affirme que l'article 9, paragraphe 1, ne s'applique pas aux opérations d'intermédiaire. Il constitue au contraire, comme je viens de souligner, le critère principal. L'article 9, paragraphe 2, sous e), avant-dernier tiret, se réfère uniquement aux activités d'intermédiaire réalisées en faveur de personnes établies dans un autre pays pour des services déterminés. De son côté, l'article 28 ter, lettre E, concerne l'activité des intermédiaires dans l'acquisition et le transport intracommunautaire de biens. Les autres activités d'intermédiaire sont soumises à l'article 9, paragraphe 1.


13 – Ce principe est indispensable pour que la suppression de la taxation à l'importation et de la détaxation à l'exportation soit neutre, sans préjudice de l'attribution des recettes fiscales à l'État membre où se produit la consommation finale. C'est ce qui ressort du septième considérant de la directive 91/680, d'après lequel « […] la taxation des échanges entre États membres repose sur le principe de l'imposition dans l'État membre d'origine des biens livrés et des services rendus, sans qu'il soit porté atteinte, pour le trafic communautaire entre assujettis, au principe de l'attribution de la recette fiscale, correspondant à l'application de la taxe au niveau de la consommation finale, à l'État membre où a lieu cette consommation finale», lu en combinaison avec l'article 4 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, 71, p. 1301), qui précise comme objectif «la suppression des taxations à l'importation et des détaxations à l'exportation pour les échanges entre les États membres, en garantissant la neutralité [de ces taxes sur le volume des opérations] quant à l'origine des biens et des prestations de services».


14 – Les neuvième, dixième et onzième considérants de la directive 91/680 justifient cette phase transitoire et la nécessité de taxer certaines opérations dans les États membres de destination pendant qu'elle est en vigueur.


15 – Voir L. M. Pérez, op. cit, p. 48.


16 – L'article 17, paragraphe 2, sous d), de la sixième directive, dans sa version résultant de la directive 91/680, précise que l'assujetti peut déduire la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l'article 28 bis, paragraphe 1, sous a), dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées.


17 – Si l'opération était aussi taxée dans l'État membre de départ, l'acheteur paierait deux fois la même taxe, la première, moyennant la répercussion opérée par le vendeur et la deuxième, moyennant l'acquisition intracommunautaire dans l'État membre de destination.


18 – Dans le cas des acquisitions, il faut tenir compte de l'hypothèse dans laquelle l'acheteur agit sous une identification fiscale attribuée par un État membre autre que celui de la réception.


19 – J'estime que, dans le cas du litige au principal, le fait imposable de la prestation de service d'intermédiaire est situé aux Pays-Bas si les yachts ont été mis à disposition des acheteurs dans cet État membre, élément que l'ordonnance de renvoi ne précise pas.


20 – Voir arrêts du 23 janvier 1986, Trans Tirreno Express (283/84, Rec. p. 231, points 14 et 15); du 26 septembre 1996, Dudda (C-327/94, Rec. p. I-4595, point 20); du 6 mars 1997, Linthorst, Pouwels en Scheres (C-167/95, Rec. p. I-1195, point 10); du 25 janvier 2001, Commission/France (C-429/97, Rec. p. I-637, point 41); du 15 mars 2001, SPI (C-108/00, Rec. p. I-2361, point 15), et du 5 juin 2003, Design Concept (C-438/01, Rec. p. I-5617, point 22).