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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. L. A. Geelhoed

présentées le 20 octobre 2005 (1)

Affaire C-88/03

République portugaise

contre

Commission des Communautés européennes

«Réduction des taux d’impôt sur le revenu des personnes physiques et morales ayant leur résidence fiscale aux Açores»





I –    Introduction

1.     Par le présent recours formé au titre de l’article 230 CE, la République portugaise demande l’annulation de la décision 2003/442/CE de la Commission, du 11 décembre 2002 (2), dans la mesure où cette décision considère comme des aides d’Etat les réductions des taux d’impôt sur le revenu des personnes physiques et morales ayant leur domicile fiscal dans la Région autonome des Açores. À titre subsidiaire, la République portugaise demande l’annulation de la partie de la décision où celle-ci déclare incompatible avec le marché commun les réductions des taux d’impôt applicables aux entreprises qui opèrent dans le secteur financier.

2.     Cette affaire soulève une question intéressante sur la portée de l’article 87, paragraphe 1, CE, à savoir; dans quel cas une mesure visant à fixer dans une certaine zone géographique d’un État membre un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national est-elle une aide d’État? La question prend une certaine importance dans le contexte actuel de décentralisation des pouvoirs au profit des régions des États membres, y compris en matière fiscale, et soulève de nouveau la question de la limite entre les règles sur les aides d’État et les compétences – en principe exclusives – des États membres en matière de fiscalité directe.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

3.     L’article 87, paragraphe 1, CE dispose:

«Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.»

4.     L’article 87, paragraphe 3, CE prévoit cinq cas dans lesquels une aide d’État peut, par dérogation à l’interdiction prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE, être compatible avec le marché commun. Dans la présente affaire les cas pertinents sont les suivants:

–      les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi [article 87, paragraphe 3, sous a)];

–      les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun [article 87, paragraphe 3, sous c)].

5.     La Commission des Communautés européennes a publié deux séries de lignes directrices pertinentes dans la présente affaire: une communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (ci-après la «communication sur la fiscalité directe»), diffusée en 1998 dans le cadre d’une action coordonnée au niveau communautaire pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable (3) et les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale (ci-après les «lignes directrices sur les aides régionales») qui définissent le cadre juridique pour évaluer la compatibilité des aides accordées aux régions avec le marché commun (4).

B –    Règles communautaires concernant les régions ultrapériphériques

6.     Aux termes de l’article 299, paragraphe 2, CE:

«Les dispositions du présent traité sont applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries.

Toutefois, compte tenu de la situation économique et sociale structurelle des départements français d’outre-mer, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l’application du présent traité à ces régions, y compris les politiques communes.

Le Conseil, en arrêtant les mesures visées au deuxième alinéa, tient compte des domaines tels que les politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans les domaines de l’agriculture et de la pêche, les conditions d’approvisionnement en matières premières et en biens de consommation de première nécessité, les aides d’État, et les conditions d’accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de la Communauté.

Le Conseil arrête les mesures visées au deuxième alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes.»

C –    Le droit portugais

7.     L’article 6, paragraphe 2, de la Constitution portugaise du 2 avril 1976, en sa version modifiée (ci-après la «Constitution»), dispose que les archipels des Açores et de Madère constituent des Régions autonomes dotées de statuts politico-administratifs et d’organes de gouvernement propres. Le titre VII de la troisième partie de la Constitution consacre un ensemble de dispositions qui règlent les pouvoirs de ces régions autonomes ainsi que leurs organes politique et administratif respectifs (5). Parmi ces pouvoirs, certains sont à caractère législatif (6), réglementaire (7), politique (8), administratif et financier (9).

8.     L’article 227, paragraphe 1, sous j) de la Constitution précise que les régions autonomes disposent de leurs propres recettes fiscales ainsi que d’une participation sur les recettes fiscales de l’État, établie conformément à un principe assurant la solidarité nationale. Aux termes de l’article 227, paragraphe 1, sous i), il appartient aux régions autonomes d’exercer un pouvoir fiscal propre, dans les conditions prévues par la loi, ainsi que d’adapter la fiscalité nationale aux spécificités régionales, dans les conditions prévues par une loi-cadre adoptée par l’Assemblée de la république.

9.     En plus de ces dispositions, la République portugaise a établi, par le biais de la loi nº 13/98, du 24 février 1998, le régime et les principes généraux d’autonomie financière régionale, des recettes fiscales régionales, de la dette publique régionale et d’adaptation du système fiscal national aux spécificités régionales. L’article 4, paragraphe 1, de cette loi prévoit un principe de solidarité nationale qui s’étend à l’ensemble du territoire national et qui vise à assurer un niveau approprié de services publics et d’activités privées sur une base égalitaire. L’article 5 de la même loi précise les principes de coopération entre l’État et les régions autonomes. En vertu de l’article 10, les régions autonomes ont droit à certains éléments des recettes fiscales nationales. L’article 33 de la loi nº 13/98 dispose que les organes régionaux ont des compétences fiscales, exercées par l’Assemblée législative régionale, dont le pouvoir de créer et de réglementer les impôts en vigueur uniquement dans les régions autonomes conformément à la loi nº 13/98 et le pouvoir d’adapter les impôts d’État aux spécificités régionales dans les limites fixées par la loi et conformément au reste de la loi nº 13/98. L’article 37, paragraphe 4, de celle-ci précise que les assemblées législatives régionales peuvent également, dans les conditions prévues par une loi, diminuer les taux nationaux des impôts sur le revenu et sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée, à concurrence de 30 %, et des taxes spéciales sur la consommation, conformément à la législation en vigueur.

10.   Par décret législatif régional n° 2/99/A, du 20 janvier 1999 (ci-après le «DLR n° 2/99/A»), l’Assemblée législative régionale des Açores a approuvé pour le territoire des Açores, en vertu de la loi n° 13/98, la réglementation de l’exercice des compétences fiscales au niveau de la région et de l’exercice du pouvoir d’adaptation des impôts d’État. Les articles 4 et 5 de ce décret, prévoient des réductions du taux d’impôt sur les revenus et sur les sociétés applicables à tous les agents économiques, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales, dès lors qu’ils sont assujettis. Ces réductions ont été fixées à 15 % pour 1999 et 20 % à partir du 1er janvier 2000 pour l’impôt sur les revenus et à 30 % pour l’impôt sur les sociétés.

III – Sur les faits

11.   Par lettre du 5 janvier 2000, les autorités portugaises ont notifié à la Commission un régime portant adaptation du système fiscal national aux spécificités de la région autonome des Açores. Le régime en question étant, semble-t-il, entré en vigueur avant son autorisation par la Commission et sa notification étant intervenue tardivement, en réponse à une demande de renseignements formulée par la Commission, le régime a été inscrit au registre des aides non notifiées.

12.   Après plusieurs demandes de renseignements complémentaires, la Commission a informé le gouvernement portugais, en avril 2002, qu’elle avait décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de la partie du régime qui concerne les volets relatifs aux abattements à la base d’imposition et aux crédits d’impôt sur les revenus, et d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, du traité à l’égard de la partie du régime qui concerne le volet relatif aux réductions des taux d’impôt sur les revenus et sur les sociétés. La Commission a reçu des observations au sujet de sa décision de la part du gouvernement portugais ainsi que du gouvernement régional des îles Åland (Finlande) appuyant la position portugaise.

IV – La décision attaquée et la procédure devant la Cour

A –    La décision attaquée

13.   Avant de qualifier les réductions fiscales en vigueur aux Açores d’aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la Commission a commencé par rappeler qu’une réduction totale ou partielle du montant de la charge fiscale des entreprises est un «avantage» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE dans la mesure où elle allège les charges qui grèvent normalement leur budget (10). Cet avantage est octroyé au moyen de ressources d’État puisque l’octroi d’une réduction d’impôt implique une perte de recettes fiscales (11). La Commission a observé ensuite que compte tenu du champ d’application sectoriel des mesures, et dans la mesure où au moins une partie des entreprises concernées exerceront une activité faisant l’objet d’échanges entre les États membres, la réduction d’impôt affecte la concurrence et les échanges entre les États membres au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

14.   S’agissant de la spécificité, la Commission a commencé par citer sa communication sur la fiscalité directe où il est précisé que «la pratique décisionnelle de la Commission jusqu’à présent montre que seules les mesures dont la portée s’étend à l’ensemble du territoire de l’État échappent au critère de spécificité fixé par l’article 87, paragraphe 1» et que «le traité qualifie lui-même d’aide les mesures destinées à favoriser le développement économique d’une région» (12). Dans la mesure où les réductions fiscales en cause ne sont accordées qu’aux entreprises imposées aux Açores et qu’elles ne le sont pas à celles qui exercent leur activité économique dans d’autres régions du Portugal, la Commission a conclu que l’avantage «favorise» ces entreprises au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

15.   La Commission fonde ses conclusions sur le raisonnement suivant.

16.   En premier lieu, dans la mesure où l’élément de sélectivité dans la notion d’aide se fonde sur une comparaison entre deux groupes d’entreprises (celles bénéficiant de l’avantage et celles n’en bénéficiant pas) il ne peut être établi que par rapport à une imposition définie comme normale. Selon la Commission:

«En principe, il découle à la fois de l’économie du traité, qui vise les aides octroyées par les États ou au moyen de ressources de l’État, et du rôle fondamental que jouent les autorités centrales des États membres dans la définition de l’environnement politique et économique où les entreprises opèrent, par les mesures qu’elles prennent, par les services qu’elles rendent et, le cas échéant, par les transferts financiers qu’elles opèrent, que le contexte dans lequel cette comparaison doit être effectuée est l’espace économique de l’État membre. Par ailleurs, le texte même du traité, qui qualifie d’aides d’État pouvant être déclarées compatibles les mesures destinées “à favoriser le développement économique d’une région” [article 87, paragraphe 3, point a) et point c)], indique que des avantages dont la portée est limitée à une partie du territoire de l’État soumis à la discipline des aides sont susceptibles de constituer des avantages sélectifs [...] La pratique constante de la Commission, confirmée par la Cour, consiste, en revanche, à qualifier comme aides des régimes fiscaux qui sont applicables dans des territoires ou régions déterminées et qui sont favorables par rapport au régime général d’un État membre.» (13)

17.   En deuxième lieu, la Commission a affirmé qu’une distinction basée uniquement sur le pouvoir qui décide de la mesure – à savoir l’autorité régionale ou centrale – ne permet pas de définir une «aide». Selon elle, une telle distinction compromettrait la nature objective de la notion d’aide, qui englobe toutes les interventions qui allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une ou plusieurs entreprises, indépendamment de leur finalité, de leur justification, de leur objectif et de la nature de l’autorité publique qui les institue ou dont le budget supporte la charge. La Commission ajoute qu’«il convient également de noter que la présente décision ne porte pas sur un mécanisme permettant à l’ensemble des autorités locales d’un certain niveau (régions, communes ou autres) d’instituer et de percevoir des impôts locaux n’ayant aucun rapport avec la fiscalité nationale. Au contraire, il s’agit en l’espèce d’une réduction applicable uniquement aux Açores, du taux d’impôt fixé par la législation nationale et appliqué à la partie continentale du Portugal. Dans ces conditions, il est évident que la mesure adoptée par les autorités régionales constitue une dérogation par rapport au système fiscal national» (14).

18.   En troisième lieu, dans la mesure où ces réductions ne découlent pas de l’application de principes tels que la proportionnalité ou la progressivité fiscale, mais favorisent des entreprises localisées dans une région particulière, indépendamment de leur situation financière, elles ne peuvent pas être considérées comme justifiées par la nature du régime général du système fiscal portugais.

19.   Ainsi, après avoir conclu que les réductions fiscales correspondaient à des aides et que celles-ci avaient été instaurées illégalement au regard de l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission a cherché à savoir si ces aides pouvaient bénéficier d’une des dérogations prévues par le traité. À cet égard, compte tenu du fait que ces aides avaient un caractère continu et visaient à surmonter les handicaps structurels permanents qui découlent de la situation géographique des Açores, les aides en question constituaient des aides au fonctionnement. Dès lors, de telles aides ne pouvaient être autorisées que si elles étaient destinées à réduire les coûts additionnels de l’exercice de l’activité économique inhérents aux handicaps identifiés à l’article 299, paragraphe 2, CE, dans le respect des conditions établies par les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale.

20.   À cet égard, la Commission a d’abord reconnu que, en raison du peu de possibilités d’obtenir des économies d’échelle pour les entreprises et des surcoûts résultant de la situation géographique, la région des Açores figure «effectivement parmi les moins développées de l’Union européenne» (15). Toutefois, selon la Commission, il convient de faire dans ce domaine une distinction entre les secteurs financier et non financier.

21.   Pour ce qui est des entreprises actives en dehors du secteur financier, au regard des résultats de l’étude que les autorités portugaises lui ont transmise, la Commission a conclu qu’une réduction de l’impôt sur les sociétés devrait permettre aux entreprises bénéficiaires d’améliorer leur situation financière et donc de contribuer au développement régional (16). Dès lors, dans la mesure où les réductions fiscales s’appliquent à ces entreprises, l’aide a été considérée comme compatible avec le marché commun aux termes de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous a) (17).

22.   Quant aux entreprises actives dans le secteur financier, la Commission a affirmé que les réductions des taux d’impôt sur le revenu et sur les sociétés «ne sont pas justifiées par leur contribution au développement régional, et que leur niveau n’est pas proportionnel aux handicaps qu’elles viseraient à pallier» (18). Dans la mesure où elle ne possédait pas d’éléments quantifiés permettant de mesurer «objectivement les coûts additionnels auxquels seraient confrontées les sociétés financières redevables dans la région des Açores», la Commission a conclu que, pour les entreprises qui exercent des activités financières (19), les réductions fiscales ne peuvent pas être qualifiées d’aides d’État à finalité régionale permises aux termes de l’article 87, paragraphe 3, point a), ou au titre d’autres dérogations prévues par le traité. Selon la Commission, cette constatation s’applique également aux activités du type «services intra-groupe» (20) puisque celles-ci ne participent pas de manière suffisante au développement régional pour pouvoir être déclarées compatibles en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE.

23.   En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la décision, la République portugaise a été tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès des entreprises exerçant des activités financières ou du type «services intra-groupe» les aides consistant en des réductions du taux d’impôt sur les revenus et sur les sociétés versées au titre des articles 4 et 5 du DLR nº 2/99/A (21).

B –    Procédure devant la Cour

24.   Le 24 février 2003, la République portugaise a introduit le présent recours en annulation. Le Royaume-Uni a ensuite déposé un mémoire en intervention conformément à l’article 93 du règlement de procédure. Au cours de l’audience qui s’est tenue le 6 septembre 2005, la République portugaise, la Commission, le Royaume-Uni et, en vertu de l’article 93, paragraphe 7, du règlement de procédure, le Royaume d’Espagne ont présenté leurs observations orales.

V –    Arguments des parties

A –    La République portugaise

25.   La République portugaise expose trois moyens au soutien de sa demande.

26.   Premièrement, la République portugaise prétend que la décision est entachée d’une erreur de droit dans l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE à double titre: d’abord, par la référence à l’élément de sélectivité, ensuite, par la méconnaissance du fait que les réductions fiscales sont justifiées par la nature et l’économie du système fiscal portugais.

27.   S’agissant de la sélectivité, selon la République portugaise, c’est à tort que la Commission prend l’ensemble du territoire portugais comme cadre de référence. Les réductions du taux d’imposition en cause résultent de l’exercice des compétences de l’organe législatif régional des Açores et s’appliquent à tous les opérateurs économiques ayant leur résidence fiscale dans la région. En ce sens, elles ne sont pas de nature à favoriser «certaines entreprises ou certaines productions».

28.   De surcroît, ces réductions fiscales résultent des principes de redistribution qui trouvent leur origine dans la Constitution, qui vise à corriger les inégalités de développement économique découlant de l’insularité, et, en particulier, le principe de solidarité nationale énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de la loi nº 13/98. Les réductions fiscales sont donc le résultat de l’exercice de la souveraineté constitutionnelle et sont précisément motivées par les facteurs définis à l’article 299, paragraphe 2, CE, à savoir l’insularité, le climat difficile et la dépendance économique des Açores vis-à-vis d’un petit nombre de produits. La République portugaise demande à la Cour de profiter de cette occasion pour définir l’approche à suivre concernant ces questions de sélectivité en matière de réductions du taux d’impôt afin d’éliminer l’incertitude actuelle dans ce domaine.

29.   Quant à la nature et à l’économie du système fiscal portugais, la République portugaise souligne que les réductions fiscales découlent de la loi nº 13/98 et de la Constitution dans son ensemble, qui contient de nombreuses références à l’objectif de redistribution et d’égalité entre le Portugal continental et les Açores (22). De surcroît, l’argument de la Commission aux termes duquel les réductions fiscales ne sont pas justifiées par «des différences objectives entre les contribuables» est fallacieux: en effet, toutes les entreprises actives aux Açores souffrent des mêmes désavantages, dès lors, une réduction fiscale générale dans tous les secteurs d’activité aux Açores est nécessaire.

30.   Selon le deuxième moyen exposé par la République portugaise, la décision viole l’article 253 CE en ce que l’allégation selon laquelle les réductions du taux d’impôt faussent sensiblement la concurrence et affectent le commerce entre les États membres n’est pas motivée. De surcroît, la Commission n’a pas suffisamment identifié les bénéficiaires potentiels de la réduction fiscale, dès lors, l’effet des mesures sur les échanges intracommunautaires n’a pas pu être mesuré correctement.

31.   Troisièmement, la République portugaise prétend que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle affirme que les réductions fiscales pour les entreprises qui exercent dans le secteur des services financiers et du type «intra-groupe» sont incompatibles avec le marché commun. Les entreprises qui exercent des activités financières telles que les banques, qui ont tendance à être plus grandes que les autres entreprises domiciliées aux Açores, seraient également affectées, par exemple, par les coûts additionnels liés à la fourniture d’énergie et par l’absence de personnel technique qualifié. Dès lors que la Commission s’est contentée de l’estimation des coûts additionnels liés aux caractéristiques spécifiques de la région autonome des Açores pour les entreprises qui exercent des activités non financières examinées en général, et non secteur par secteur, elle aurait dû étendre ce raisonnement aux sociétés qui exercent une activité financière. Dans la mesure où elle ne l’a pas fait, celle-ci a violé les principes de bonne administration, de non discrimination et de proportionnalité.

B –    La Commission

32.   Les principaux arguments en défense de la Commission sont les suivants.

33.   D’abord, sur la prétendue erreur de droit par la référence à l’élément de sélectivité, la Commission fait référence aux points 24 à 33 des motifs de la décision. En particulier, la Commission estime que l’approche consistant à prendre un cadre de référence purement national pour déterminer si une mesure est sélective ou non a été pour l’essentiel approuvée par l’avocat général Saggio dans ses conclusions dans l’affaire Juntas Generales de Guipúzcoa e.a. (23). Selon la Commission, le fait que les réductions fiscales litigieuses favorisent les entreprises qui sont redevables de l’impôt dans la région des Açores, par rapport à toutes les autres entreprises portugaises, est suffisant pour conclure à la sélectivité de la mesure au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Selon la Commission, cette interprétation est inhérente au système du traité lui-même. Il en résulte que, le fait que les réductions fiscales aient été décidées par un organe autre que l’État portugais en tant que tel est dépourvu de pertinence: seuls les effets de la mesure, et non sa forme, peuvent être pris en compte aux fins d’appréciation de l’aide.

34.   De surcroît, la Commission affirme que le degré d’autonomie de la région autonome des Açores est en définitive limité: l’État central portugais continue de jouer un rôle fondamental dans la définition du cadre économique dans lequel les entreprises évoluent. À titre d’exemple, des entreprises actives aux Açores pourraient quand même bénéficier d’infrastructures financées par l’État central ou d’un système de sécurité sociale dont l’équilibre financier est assuré par le même État central. Ainsi, les avantages fiscaux octroyés par la région autonome des Açores aboutissent à une réduction des recettes fiscales attribuées à cette région, mais ils sont compensés, sur le plan budgétaire, par des transferts en provenance de l’État central, au nom du principe de la solidarité financière. La Commission souligne, comme elle l’avait précisé dans la décision, que si toutes les autorités locales d’un même niveau d’un État membre avaient le même pouvoir d’instituer et de fixer les taux de certaines taxes, cela ne serait pas susceptible de constituer un octroi sélectif d’avantages au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. À cet égard, en réponse à l’intervention du Royaume-Uni, la Commission observe que dans la présente affaire la situation ne correspond pas à celle constatée en Écosse – où le Parlement écossais peut modifier le taux d’impôt sur les revenus et pas celui de l’impôt sur les sociétés – et en Irlande du Nord.

35.   Quant à l’argument selon lequel les réductions peuvent être justifiées par la nature et l’économie du système fiscal portugais, la Commission réplique que cela ne serait possible que si les avantages fiscaux litigieux découlaient de différences objectives entre les contribuables. En l’espèce, toutefois, les réductions découlent des caractéristiques économiques de la région, qui sont des éléments extrinsèques au système fiscal. La Commission ajoute que, selon elle, lorsqu’une mesure d’un État membre remplit les autres conditions pour être qualifiée d’aide d’État, il incombe à l’État membre de prouver que la mesure est justifiée par la nature et l’économie du système.

36.   Ensuite, la Commission réfute l’allégation selon laquelle elle n’aurait pas suffisamment motivé ses conclusions aux termes desquelles les réductions sont susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et de fausser la concurrence, notamment sur le fondement de la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Commission n’est pas tenue d’entrer plus dans le détail à cet égard dans ses décisions (24). En d’autres termes, il suffit de démontrer que la mesure a eu un effet sur les échanges dans le cas d’au moins un de ses bénéficiaires.

37.   Enfin, s’agissant de la prétendue erreur manifeste d’appréciation et de la violation des principes de bonne administration, d’égalité de traitement et de proportionnalité, la Commission note, premièrement, qu’elle jouit, en ce qui concerne l’appréciation de la compatibilité des aides, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social. De surcroît, l’étude du Centre for European Policy Studies sur laquelle la République portugaise s’appuie ne quantifie pas l’impact des surcoûts sur les différents secteurs économiques (25). La Commission souligne que, pour apprécier la compatibilité d’une aide à finalité régionale avec le marché commun, il incombe à l’État membre de mesurer l’importance des coûts additionnels et de démontrer le lien qui existe avec les facteurs mentionnés à l’article 299, paragraphe 2, CE, ainsi que le fait que la mesure d’aide envisagée est proportionnelle aux coûts qu’elle vise à compenser.

C –    Le Royaume-Uni et le Royaume d’Espagne

38.   Le Royaume-Uni, intervenant au soutien de la République portugaise, concentre ses observations sur l’élément de sélectivité. Rejetant l’argument de la Commission selon lequel les mesures dont la portée ne s’étend pas à l’ensemble du territoire d’un État membre satisfont le critère de spécificité fixé par l’article 87, paragraphe 1, CE, il estime que les réductions du taux d’impôt décidées par les régions décentralisées ou autonomes qui s’appliquent à l’ensemble du territoire sous leur juridiction, et qui ne sont pas des mesures ayant une spécificité sectorielle, peuvent quelquefois échapper à ce critère. Selon le Royaume-Uni, l’appréciation de la nature d’un système fiscal régional au regard des aides d’État soulève des problèmes plus larges concernant l’autonomie régionale qui revêtent une très grande importance sur le plan constitutionnel. Selon le Royaume-Uni, si les arguments de la Commission étaient accueillis, son système constitutionnel de décentralisation «asymétrique» serait déstabilisé, notamment eu égard à la situation de l’Écosse (où le Parlement écossais a le droit de modifier le taux de base de l’impôt sur le revenu britannique appliqué aux contribuables en Écosse jusqu’à 3 pence par livre, sans récupération ni subvention de la part du gouvernement central) (26); et de l’Irlande du Nord (où l’Assemblée d’Irlande du Nord peut instituer des impôts qui, pour l’essentiel, ne sont pas de même nature que les impôts perçus au Royaume-Uni en général) (27).

39.   Le Royaume-Uni estime que, avant de qualifier les taux d’impôt régionaux réduits par rapport au taux d’impôt national d’aides d’État, la Commission aurait dû tenir compte du degré d’autonomie de l’autorité infra-étatique qui a instauré le taux d’impôt réduit au regard de plusieurs facteurs tels que le fait que la décision de réduire le taux d’impôt émane d’un organe élu par la population de la région ou responsable devant celle-ci, et que les conséquences financières de la décision sont supportées par la région et ne sont pas compensées par des concours ou des subventions des autres régions ou du gouvernement central.

40.   Le Royaume d’Espagne, intervenant également au soutien de la République portugaise, souligne que lorsqu’elle existe, la décentralisation fait partie du cadre constitutionnel des États membres. Dès lors, suivre les arguments de la Commission serait faire fi de cette structure constitutionnelle, notamment dans la mesure où la politique en matière de fiscalité directe reste l’apanage des États membres.

VI – Analyse

A –    Les réductions du taux d’impôt litigieuses sont-elles des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE?

41.   La plupart des arguments invoqués par les parties ont, à juste titre, porté sur le premier chef de conclusions de la République portugaise, à savoir est-ce que les réductions fiscales tombent sous le coup de l’article 87, paragraphe 1, CE.

42.   Plus généralement, ceci soulève l’importante question suivante qui dépasse le cadre de la présente affaire: comment déterminer si une mesure visant à fixer dans une certaine zone géographique d’un État membre un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national est-elle une aide d’État?

43.   Au regard de sa jurisprudence, la Cour n’a jamais répondu à cette question jusqu’à présent (28). Toutefois, selon nous, il est indispensable de définir un «test» ou des critères d’évaluation dans ce domaine. D’abord et avant tout parce que l’État membre qui planifie son régime fiscal a droit à la sécurité juridique. En effet, les États membres ne peuvent pas prévoir dans quel cas ils devront notifier à la Commission une mesure visant à fixer un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national dans une zone géographique limitée avant sa mise en œuvre, en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, s’il n’existe pas un critère clair qui leur permette de savoir si cette mesure tombe sous le coup de l’article 87, paragraphe 1, CE. Nous rappellerons que, en cas de violation de cette obligation de notification, la mesure relève du régime des aides illégales au sens du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (29). Eu égard à la sécurité juridique et à l’efficacité des règles sur les aides d’État, les États membres devraient pouvoir connaître d’avance la portée de cette obligation grâce à des critères d’évaluation clairs (30).

1.      Dans quel cas une mesure visant à fixer un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national dans une zone géographique limitée constitue-t-elle une aide d’État?

a)      Principes généraux

44.   Pour constituer une aide, une mesure fiscale doit satisfaire plusieurs critères définis à l’article 87, paragraphe 1, CE, à savoir:

–       la mesure doit procurer à ses bénéficiaires un avantage qui allège les charges qui normalement grèvent leur budget (31). Cette condition est clairement remplie lorsqu’une entreprise est soumise à un taux d’impôt plus faible que celui qui lui aurait été normalement appliqué;

–       cet avantage doit être octroyé par l’État ou au moyen de ressources d’État. Dans l’affaire Allemagne/Commission, précitée, la Cour a énoncé que ce critère était satisfait lorsque les réductions du taux d’impôt sont accordées par des autorités régionales dès lors qu’elles entraînent une baisse des ressources de l’État (32);

–       la mesure doit favoriser «certaines entreprises ou certaines productions»; c’est-à-dire qu’elle doit être sélective. Une mesure échappe à la qualification de «sélective» si l’État membre peut prouver que la mesure est justifiée «par la nature ou l’économie du système» (33);

–       la mesure doit fausser ou menacer de fausser la concurrence et affecter les échanges entre États membres.

45.   Le concept de sélectivité est crucial lorsqu’on détermine dans quelle mesure l’article 87, paragraphe 1, CE s’étend à un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national appliqué dans une zone géographique limitée. La raison en est évidente. Par définition, ces taux d’impôt différents ne sont accordés qu’aux entreprises qui opèrent dans une partie du territoire d’un État membre. Si, à l’instar de la thèse défendue par la Commission, nous prenions dans tous les cas comme cadre de référence l’ensemble du territoire de l’État membre, alors toutes les mesures visant à fixer un taux d’impôt différent dans une zone géographique limitée seraient a priori «géographiquement» sélectives (par opposition à la sélectivité «matérielle», où une mesure favorise les entreprises de certaines industries ou secteurs de l’économie). Dans ce cas, les règles relatives aux aides d’État pourraient s’appliquer en vue de réduire les distorsions de concurrence.

46.   Toutefois, si dans certains cas nous devions prendre comme point de référence la zone géographique où le taux d’impôt différent s’applique, la mesure qui l’impose ne serait pas «sélective» car elle s’appliquerait à toutes les entreprises présentes dans cette zone. Dans ce cas, les seules dispositions du traité susceptibles de limiter les distorsions de concurrence seraient l’article 94 CE, qui permet prendre, à l’unanimité des États membres, des mesures d’harmonisation qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun (34), et (plus rarement) les articles 96 CE et 97 CE, qui permettraient à la Commission de consulter les États membres et éventuellement au Conseil d’arrêter des directives en vue d’éliminer les distorsions qui faussent les conditions de concurrence sur le marché commun résultant des disparités entre les législations des États membres.

47.   La question cruciale est donc la suivante: quel est le point de comparaison pour déterminer si une mesure visant à fixer un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national dans une zone géographique limitée favorise certaines entreprises ou certaines productions au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE?

b)      Dans quel cas une mesure visant à fixer un taux d’impôt différent de celui en vigueur au niveau national dans une zone géographique limitée est-elle sélective?

48.   Pour répondre à cette question, nous devons tout d’abord faire une distinction entre une augmentation du taux d’impôt national applicable à une zone géographique d’un État membre et une réduction de ce taux.

49.   S’agissant de l’augmentation du taux d’impôt national dans une zone géographique, à supposer que cette zone représente une faible partie de l’ensemble du territoire de l’État membre, celle-ci est – pour reprendre l’expression utilisée dans nos conclusions dans l’affaire GIL Insurance e.a. – une «charge particulière» imposée dans cette zone plutôt que l’octroi d’une aide en faveur des contribuables soumis au régime général qui bénéficient d’un taux d’impôt «plus faible» (35). Il en résulte, pour les raisons que nous avons expliquées dans les conclusions précitées, que cette situation ne relève pas des règles relatives aux aides d’État.

50.   S’agissant des réductions du taux d’impôt national applicables dans une zone géographique, il y a lieu de distinguer trois scénarios.

51.   Selon le premier scénario, le gouvernement central d’un État membre décide unilatéralement d’appliquer dans une zone géographique déterminée un taux d’impôt plus faible que le taux national. Une telle mesure est clairement sélective puisqu’elle est prise par un organe unique et ne s’applique qu’à une partie du territoire qui relève de sa compétence.

52.   Selon le deuxième scénario, toutes les autorités locales d’un certain niveau (régions, communes ou autres) ont compétence pour fixer seules un taux d’impôt applicable dans leur juridiction éventuellement sans rapport avec le taux d’impôt «national».

53.   Comme le reconnaît la Commission dans la décision et dans ses écrits, des mesures prises par une autorité locale dans le cadre de ces compétences qui s’appliquent à l’ensemble du territoire sous sa juridiction ne sont pas sélectives au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE – même si cette autorité adopte des taux d’impôts plus faibles que les autres autorités. Dans ce cas, c’est-à-dire lorsque chaque autorité locale peut fixer librement son taux d’impôt indépendamment du gouvernement central, il ne fait aucun sens de prendre comme cadre de référence l’ensemble du territoire de l’État membre aux fins du critère de sélectivité. D’abord, il est complètement artificiel de comparer le taux d’impôt régional à l’aune d’un «taux d’impôt national moyen» car en réalité il y a de fortes chances que les taux d’impôt varient selon les régions. Or, le principe même de la sélectivité en matière de fiscalité directe est que la mesure fiscale est une exception ou une dérogation à l’application du système fiscal général (36). La notion d’ «exception» ou de «dérogation» n’a de sens conceptuel que s’il est possible d’établir une «règle» nationale – ce qui s’avère impossible lorsque chaque autorité locale peut fixer librement ses taux d’impôt (37).

54.   Ceci nous amène au troisième scénario: un taux d’impôt inférieur au taux d’impôt national, décidé par une autorité locale et applicable uniquement aux entreprises présentes sur le territoire de celle-ci. La question cruciale ici est de savoir si le taux d’impôt inférieur découle d’une décision prise par une autorité locale de manière réellement autonome par rapport au gouvernement central de l’État membre. Il importe de signaler que par «réellement autonome» nous entendons autonome du point de vue institutionnel, procédural et économique. En d’autres termes:

–       autonome du point de vue institutionnel: la décision doit être prise par une autorité locale ayant un statut constitutionnel, politique et administratif distinct de celui du gouvernement central;

–       autonome du point de vue procédural: la décision doit être prise par l’autorité locale conformément à une procédure dans laquelle le gouvernement central n’a pas le pouvoir d’intervenir directement sur la fixation du taux d’impôt, et l’autorité locale n’est en aucun cas tenue de fixer le taux d’impôt en fonction des intérêts nationaux;

–       autonome du point de vue économique: le taux d’impôt inférieur applicable aux entreprises présentes dans la région ne doit pas répondre à une logique de subvention croisée ou être financé par le gouvernement central, de sorte que la région supporte elle-même les conséquences économiques de ces réductions (38). Dans ce cas, les décisions portant sur les modalités et le quantum de l’impôt sont au cœur des prérogatives politiques du gouvernement régional. Ces décisions auront un impact direct sur les dépenses du gouvernement en matière, par exemple, de services publics et d’infrastructures. Le gouvernement régional pourrait, par exemple, préférer une approche du type «recettes – dépenses», c’est-à-dire augmenter les impôts pour investir plus dans les services publics ou bien choisir de baisser les impôts et d’avoir un secteur public moins important. Lorsque les réductions fiscales ne sont pas compensées par un financement du gouvernement central, cette décision politique affecte l’infrastructure et l’environnement commercial des entreprises présentes dans la région. Les entreprises établies dans et hors de la région opèrent donc dans des cadres économiques et juridiques différents qui ne peuvent être comparés.

55.   Lorsque toutes ces différentes catégories d’autonomie sont réunies, la décision visant à fixer un taux d’impôt inférieur au taux national ne saurait être qualifiée de «sélective» aux fins de l’article 87, paragraphe 1, CE. Dans ce cas, la thèse que la Commission défend – à savoir le rôle fondamental que jouent les autorités centrales des États membres dans la définition de l’environnement politique et économique où les entreprises opèrent (39)– n’est plus fondée.

56.   Toutefois, si l’une de ces catégories d’autonomie fait défaut, la décision visant à fixer un taux d’impôt plus faible doit, selon nous, être considérée comme sélective aux fins de l’article 87, paragraphe 1, CE.

57.   Ces considérations résument ce qui nous semble être les critères essentiels pour savoir si des réductions du taux d’impôt régionales peuvent être qualifiées d’ «aides». Enfin, pour être complet, il convient d’examiner trois arguments que la Commission a invoqués au cours de cette procédure.

58.   Le premier est le fait qu’une réduction fiscale régionale peut fausser ou menacer de fausser la concurrence dans la Communauté est, pour l’essentiel, suffisant pour que le critère de spécificité soit satisfait (40). Toutefois, comme nous l’avons dit, les règles relatives aux aides d’État ne sont qu’une des nombreuses dispositions du traité permettant à la Communauté de prendre des mesures visant à éliminer les distorsions de concurrence en vertu de l’article 3, sous g), CE. Alors que les règles sur les aides d’État visent les mesures d’aide sélectives, les articles 94 CE, 96 CE et 97 CE peuvent être utilisés pour éliminer les distorsions qui résultent de mesures fiscales autres que celles couvertes par les règles sur les aides d’État, comme nous l’avons exposé dans nos conclusions dans les affaires GIL Insurance e.a. (41) et Streekgewest (42). L’argument de la Commission selon lequel il convient de se concentrer uniquement sur le fait de savoir si une baisse d’impôt régionale fausse la concurrence méconnaît à tort la distinction entre ces dispositions conceptuellement différentes (43).

59.   La Commission invoque un deuxième argument selon lequel considérer que certaines réductions fiscales régionales ne relèvent pas de l’article 87, paragraphe 1, CE pourrait inciter les États membres à contourner les règles sur les aides d’État en modifiant la répartition interne des compétences fiscales dans leur territoire (44). À la lumière de ce que nous venons d’expliquer, il devrait toutefois être clair qu’une délégation formelle de pouvoirs permettant uniquement aux autorités locales de prendre des mesures fiscales dans les limites définies par le gouvernement central, sans un réel pouvoir de décision autonome tel que nous l’avons décrit, serait insuffisante pour faire échapper une mesure à la sanction de l’article 87, paragraphe 1, CE. L’idée d’aller au-delà de la pure forme s’appuie sur la formule «sous quelque forme que ce soit» de l’article 87, paragraphe 1, CE et a été confirmée par la Cour, par exemple, dans l’arrêt Italie/Commission (45) et, plus récemment, par l’avocat général Saggio dans l’affaire Juntas Generales de Guipúzcoa e.a. (46).

60.   D’autre part, lorsqu’une autorité locale prend une décision de manière réellement autonome (au sens que nous avons décrit) par rapport au gouvernement central, il n’y a aucune raison logique ou doctrinale de faire une distinction entre la décentralisation «symétrique» des compétences fiscales – deuxième scénario exposé, où chaque autorité locale a les mêmes compétences fiscales autonomes – et la décentralisation «asymétrique» des compétences fiscales – troisième scénario exposé, où seulement quelques autorités locales ont des compétences fiscales autonomes. Comme l’a observé le Royaume-Uni, le choix des régions d’un État membre devant bénéficier de cette délégation des compétences fiscales est une question de politique constitutionnelle qui dépend des caractéristiques économiques et historiques propres à la région. Dès lors que la décision portant sur le taux d’impôt est une décision réellement autonome, elle doit échapper aux règles sur les aides d’État.

61.   Le dernier argument de la Commission contre le fait que certaines réductions fiscales régionales peuvent quelquefois échapper à l’article 87, paragraphe 1, CE s’appuie sur le principe de sécurité juridique. La Commission souligne que dès lors que l’article 87, paragraphe 1, CE délimite les mesures que les États membres sont tenus de notifier à la Commission afin qu’elle puisse les examiner, ceux-ci ont besoin de connaître à l’avance la portée précise de leur obligation de notifier.

62.   Sur ce point, nous tenons à observer que, même si le but du principe de sécurité juridique est en soi très valable, il ne peut pas à lui seul justifier l’extension de la portée de l’article 87, paragraphe 1, au-delà de l’objectif de celui-ci, tel que nous l’avons exposé précédemment. En effet, la définition d’une aide inclut déjà (pour l’heure) un concept abstrait, à savoir la justification sur le fondement de «la nature et [de] l’économie du système».

63.   Après avoir énoncé ce que nous estimons être les principes d’application du critère de sélectivité aux réductions fiscales régionales, nous allons appliquer ces principes au cas d’espèce.

2.      En l’espèce, les réductions du taux d’impôt sont-elles des aides?

64.   La République portugaise se borne, en argumentant sur une erreur de droit dans l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, aux problèmes de sélectivité et à l’éventuelle justification de la mesure au regard de la nature et l’économie du système fiscal. Il n’est dès lors pas nécessaire d’aborder ici le problème de savoir si les réductions du taux d’impôt sont un avantage financé par des recettes de l’État susceptible de fausser la concurrence.

65.   Dans un premier temps nous traiterons de la question de savoir si les réductions du taux d’impôt satisfont le critère de sélectivité d’après l’analyse que nous avons exposée précédemment.

66.   Selon nous, la réponse doit être affirmative.

67.   Il est vrai que la Constitution fait des Açores une région autonome dotée d’un statut politico-administratif et d’organes de gouvernement propres. De surcroît, ces organes ont le pouvoir d’exercer leurs propres compétences fiscales ainsi que le droit d’adapter la fiscalité nationale aux spécificités régionales, pouvoirs exercés conformément à la loi nº 13/98 et au DLR 2/99/A. Dès lors, la décision à l’origine des réductions fiscales litigieuses peut être considérée comme ayant été prise d’une manière autonome du point de vue institutionnel.

68.   Toutefois, selon nous cette décision n’a pas été prise dans des circonstances correspondant à une vraie autonomie procédurale et économique telle que nous l’avons décrite précédemment.

69.   S’agissant de l’autonomie procédurale, la République portugaise a, dans ses conclusions, souligné que les réductions sont une application des principes de redistribution qui trouvent leur origine dans la Constitution et, notamment, du principe de solidarité nationale énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de la loi nº 13/98, c’est-à-dire, un principe de réciprocité qui s’étend à tout le territoire national en ce qu’il vise à assurer un niveau approprié de services publics et d’activités privées, sans sacrifices inégalitaires. L’article 5 de cette loi édicte les principes de coopération entre l’État et les régions autonomes en vue d’atteindre l’objectif de solidarité nationale.

70.   Selon nous, le fait que les réductions du taux d’impôt litigieuses se fondent sur ce principe de solidarité nationale va à lui seul à l’encontre du concept de réelle autonomie procédurale telle que nous l’avons décrite. En effet, ce principe a essentiellement pour but d’obliger les gouvernements local et central à coopérer pour assurer la redistribution sur l’ensemble du territoire portugais.

71.   De même, s’agissant de l’autonomie économique, l’article 5 de la loi nº 13/98 précise que le principe de solidarité nationale se traduit, sur le plan financier, par des transferts budgétaires (47) et que l’État participe avec les autorités des régions autonomes à la mission de développement économique et à la correction des inégalités. Ces principes sont mis en application par l’article 10 de la loi nº 13/98, qui donne aux régions autonomes le droit de percevoir certaines recettes fiscales. De surcroît, la République portugaise n’a pas démontré (ni même cherché à démontrer) que la région autonome des Açores ne reçoit aucun financement de l’État pour compenser la baisse des recettes fiscales qui découlent des réductions du taux d’impôt. En effet, ceci serait incohérent eu égard à la raison d’être des réductions du taux d’impôt, à savoir corriger les inégalités en matière de développement économique résultant de l’isolement régional des Açores: la réalisation de cet objectif serait certainement entravée, plutôt que favorisée, par une baisse de 30 % de l’impôt sur les sociétés si celle-ci n’était pas compensée par une aide du gouvernement central portugais.

72.   Dès lors, selon nous, la décision de l’Assemblée régionale des Açores visant à réduire le taux d’impôt n’a pas été prise de manière réellement autonome par rapport au gouvernement portugais, aux fins de l’article 87, paragraphe 1, CE. Aussi, les réductions doivent être qualifiées de mesures sélectives, sous réserve d’être justifiées par la nature et l’économie du système fiscal.

73.   À cet égard, la République portugaise affirme que ces réductions du taux d’impôt sont justifiées par la nature et l’économie générale du système fiscal, car celles-ci découlent de l’objectif de redistribution énoncé dans la Constitution, et parce que leur but est de compenser les graves problèmes structurels auxquels les entreprises présentes aux Açores sont confrontées.

74.   À cet égard, bien que la Cour n’ait jamais défini de manière exhaustive les limites de la justification d’une mesure au regard de «la nature et l’économie générale» d’un système fiscal, ni même la Commission dans le cadre de sa pratique, ces points suivants sont clairs.

75.   En premier lieu, il appartient à l’État membre de fournir une telle justification (48).

76.   En deuxième lieu, la justification a essentiellement pour but de prouver que les exceptions à l’application du système fiscal «résultent directement des principes fondateurs ou directeurs du système fiscal de l’État membre concerné» (49). À cet égard, une distinction doit être établie entre les objectifs assignés à un régime fiscal particulier, qui lui sont «extérieurs» – notamment des buts sociaux ou régionaux – et qui n’entrent pas dans le cadre de la justification, et les objectifs «inhérents au système fiscal lui-même» – par exemple l’efficacité du recouvrement de l’impôt et progressivité fiscale (50). Dès lors, de toute évidence, l’application de ce test variera en fonction des objectifs spécifiques du système fiscal particulier en question.

77.   Selon nous, la République portugaise n’a pas à cet égard apporté cette justification. Même si, à l’instar de la progressivité fiscale, les réductions d’impôt aux Açores visaient à redistribuer les revenus des régions les plus riches vers les régions les plus pauvres, la méthode employée consiste en une exception au système fiscal général portugais normalement applicable plutôt qu’en un usage spécifique des règles générales en vigueur dans le système fiscal national. Nous faisons référence par analogie à l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes dans l’affaire Diputación Foral de Àlava/Commission, qui concernait des aides fiscales octroyées sous la forme d’une réduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés dans certaines provinces espagnoles (51). En rejetant les arguments des parties requérantes selon lesquels le système fiscal provincial trouvait son fondement dans la Constitution espagnole et était justifié comme nécessaire pour atteindre les objectifs de promotion de l’investissement et de création d’emploi, le Tribunal a observé que «le fait que les autorités basques se sont vu reconnaître des compétences fiscales par la constitution espagnole ne permet pas de considérer que tout avantage fiscal accordé par ces autorités serait justifié par la nature ou l’économie du système fiscal» (52). En particulier, «un objectif d’ordre économique poursuivi par une mesure ne peut lui permettre d’échapper à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE» (53).

78.   De même, dans la présente affaire, l’objet des réductions du taux d’impôt est, aux termes de la République portugaise, essentiellement d’apporter une compensation aux entreprises afin de leur permettre de surmonter les désavantages découlant des problèmes structurels liés à la situation géographique des Açores. Or, si cet objectif peut être pris en considération pour déterminer si l’aide peut bénéficier de la dérogation de l’article 87, paragraphe 3, CE, il n’est toutefois pas une justification valable au regard de la nature et de l’économie du système fiscal portugais.

79.   Pour ces motifs, la Cour devrait rejeter le moyen de recours de la République portugaise aux termes duquel la Commission a qualifié à tort la mesure de réduction du taux d’impôt litigieuse d’aide d’État.

B –    Obligation de motivation

80.   Selon le deuxième moyen de la République portugaise, la Commission n’est pas parvenue à justifier ses conclusions, au point 24, troisième tiret, des motifs de sa décision, aux termes desquelles la prétendue aide fausse ou est susceptible de fausser la concurrence dans la Communauté.

81.   Cet argument ne saurait nous convaincre. Il est vrai que, comme la Cour l’a observé, «même dans les cas où il ressort des circonstances dans lesquelles l’aide a été accordée qu’elle est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence, il incombe tout au moins à la Commission d’évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision» (54). Selon nous, toutefois, la Commission s’est conformée à cette obligation dans sa décision. La Commission a suffisamment défini les circonstances qui l’ont amenée à conclure que les réductions pouvaient fausser la concurrence et affecter les échanges lorsqu’elle a décrit en détail dans sa décision la nature et la portée des réductions du taux d’impôt (55) ainsi que les caractéristiques géographiques, économiques et autres (56) des Açores. En particulier, eu égard à la portée sectorielle (tous les agents économiques sont concernés, qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques, dès lors qu’ils sont soumis à l’impôt aux Açores) et à l’importance des réductions du taux d’impôt en cause (30 % pour l’impôt sur les sociétés), il ne nous semble pas que la Commission ait excédé ses pouvoirs en concluant au regard de ces circonstances qu’au moins quelques sociétés concernées par la réduction du taux d’impôt exercent une activité économique qui fait l’objet d’échanges entre les États membres et que les échanges entre les États membres pourraient être affectés (57).

82.   Nous ajouterons que la faible étendue géographique des Açores est dépourvue de pertinence en l’espèce; la Cour a déclaré constamment que «l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas a priori l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés» (58).

83.   Selon nous, le deuxième moyen soulevé par la République portugaise doit donc être rejeté.

C –    Erreur manifeste d’appréciation en ce que l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE est appliqué au secteur des services financiers et du type «intra-groupe»

84.   Aux termes du dernier chef de recours de la République portugaise, dès lors que les réductions du taux d’impôt ne bénéficient pas de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous a), dans la mesure où elles s’appliquent au secteur des services financiers et du type «intra-groupe», la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et a violé les principes de bonne administration, de non discrimination et de proportionnalité, à l’encontre de l’article 299, paragraphe 2, CE. Selon la République portugaise, les entreprises financières sont susceptibles de supporter les mêmes surcoûts qui découlent de la situation géographique des Açores, elles doivent donc être traitées de manière identique.

85.   Afin d’évaluer cet argument, nous voudrions d’abord rappeler que, pour savoir si une mesure bénéficie d’une des dérogations prévues à l’article 87, paragraphe 1, CE, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des évaluations d’ordre économique et social inhérentes à la décision. Dans le cadre du contrôle de la légalité, la Cour doit donc se limiter à examiner si la Commission n’a pas excédé les limites inhérentes à son pouvoir d’appréciation par une dénaturation ou une erreur manifeste d’appréciation des faits ou par un détournement de pouvoir ou de procédure (59).

86.   Cela dit, nous allons vérifier si la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE peut s’appliquer. Conformément aux lignes directrices sur les aides d’État régionales, les aides au fonctionnement – à savoir les aides régionales destinées à réduire les dépenses courantes des entreprises, dont évidemment les réductions du taux d’impôt – sont en principe interdites. Toutefois, à titre exceptionnel, ces aides peuvent être accordées dans les régions bénéficiant de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, point a), CE, «à condition qu’elles soient justifiées en fonction de leur contribution au développement régional, de leur nature et que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier» (60). Lesdites lignes directrices précisent également que dans les régions ultrapériphériques bénéficiant de la dérogation de l’article 87, paragraphe 3, points a) et c), CE, peuvent être autorisées des aides «destinées à compenser en partie les surcoûts de transport, dans le respect de conditions particulières» (61). Il incombe toutefois à l’État membre de démontrer l’existence desdits surcoûts et d’en mesurer l’importance.

87.   En l’espèce, la Commission a décidé d’exclure le secteur des services financiers et du type «intra-groupe» du bénéfice de la dérogation après avoir observé, eu égard à l’article 299, paragraphe 2, CE, que l’étroitesse des marchés régionaux et les caractéristiques géographiques des Açores sont susceptibles de limiter considérablement les possibilités d’obtention d’économies d’échelle pour les entreprises régionales qui sont confrontées à des surcoûts importants en matière de production et d’accès aux marchés (62). Un examen rigoureux fondé sur ces facteurs a amené la Commission à admettre que l’aide aux entreprises non financières bénéficie de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE.

88.            Comme le signale la République portugaise, il est vrai qu’en prenant cette décision la Commission était prête à se contenter des preuves des surcoûts pour les entreprises qui participent à l’économie régionale examinées en général, et non secteur par secteur; en revanche, s’agissant du secteur financier, la Commission a insisté sur les éléments quantifiés permettant de mesurer «objectivement les coûts additionnels auxquels seraient confrontées les sociétés financières redevables dans la région des Açores» – ce que la République portugaise n’a pas pu fournir.

89.   Toutefois, il ne nous semble pas que la Commission ait commis en l’espèce une erreur manifeste d’appréciation. Comme il a été observé, il incombe aux États membres de prouver que les aides litigieuses sont justifiées et proportionnées au regard des surcoûts auxquels les entreprises sont confrontées. Même si la Commission s’est contentée de données transsectorielles générales s’agissant des secteurs non financiers, elle pouvait en principe demander des preuves concrètes et individualisées de ces surcoûts pour le secteur financier – notamment dans la mesure où l’étude économétrique que le Portugal a fournie justifiant ces surcoûts ne couvrait pas le secteur financier. La République portugaise ne conteste pas qu’elle n’a pas fourni ces preuves individualisées pendant les investigations de la Commission (63).

90.   Pour ces motifs, la Cour devrait également rejeter le troisième chef de recours de la République portugaise.

VII – Conclusion

91.   Par ces motifs, nous estimons que la Cour devrait:

1)      rejeter dans son ensemble le recours en annulation de la décision 2003/442/CE de la Commission, du 11 décembre 2002, concernant la partie du régime portant adaptation du système fiscal national aux spécificités de la Région autonome des Açores en ce qui concerne le volet relatif aux réductions des taux d’impôt sur les revenus;

2)      condamner la République portugaise aux dépens de la Commission des Communautés européennes;

3)      déclarer que les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Décision concernant la partie du régime portant adaptation du système fiscal national aux spécificités de la Région autonome des Açores qui concerne le volet relatif aux réductions des taux d’impôt sur les revenus (JO 2003, L 150, p. 52, ci-après la «décision»).


3 – JO 1998, C 384, p. 3.


4 – JO 1998, C 74. p. 9, en sa version modifiée.


5 – Articles 225 à 234 de la constitution.


6 – Ibidem, article 227, paragraphe 1, sous a), b), c) et i).


7 – Ibidem, article 227, paragraphe 1, sous d).


8 – Ibidem, article 227, paragraphe 1, sous g), r) et s).


9 – Ibidem, article 227, paragraphe 1, sous h), j) à q).


10 – Décision, point 24 des motifs.


11 – Décision, point 24 des motifs.


12 – Décision, point 24 des motifs, citant la communication sur la fiscalité directe, point 17.


13 –      La Commission a fondé ses déclarations sur plusieurs de ses décisions ainsi que sur l’arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, Rec. p. I-6857).


14 – Décision, point 31des motifs.


15 – Décision, point 36 des motifs.


16 – Les conclusions de cette étude sont les suivantes : a) l’examen d’un échantillon de 1 083 entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés, dont 100 étaient domiciliées aux Açores, a montré, selon les affirmations de la République portugaise et d’après tous les indicateurs utilisés (à savoir, la rentabilité des ventes, l’indépendance financière, la solvabilité totale et le rendement du capital) que les sociétés domiciliées aux Açores avaient des résultats nettement plus faibles que celles domiciliées au Portugal continental ; b) une étude économétrique basée sur des données de l’exercice 1997 de ce même échantillon d’entreprises fait ressortir que, toutes choses étant égales par ailleurs, les entreprises situées aux Açores ont dégagé des profits, en moyenne, 33,6 % plus faibles que ceux des autres entreprises.


17 – La Commission a noté que les autorités portugaises ont pris l’engagement de lui notifier, en temps utile, tout maintien de l’application du régime portant adaptation du système fiscal national aux spécificités de la région autonome des Açores au-delà du 31 décembre 2006, date d’expiration de la période de validité de la carte des aides d’État à finalité régionale. Décision, point 38 des motifs.


18 – Décision, point 39.


19 – Reprises sous la section J (codes 65, 66 et 67) de la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (NACE Rév. 1.1).


20 – Activités dont le fondement économique est de rendre des services à d'autres entreprises appartenant à un même groupe, tels des centres de coordination, de trésorerie ou de distribution (au sens de la section K, code 74, de la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne).


21 – La Commission a ajouté qu’une décision négative concernant un régime d’aides ne préjugeait pas la possibilité que certains avantages octroyés au titre de ce régime soient considérés comme n’étant pas des aides ou comme étant des aides compatibles avec le marché commun en fonction de leurs mérites propres: décision, point 44 des motifs.


22 – La République portugaise fait référence à cet égard à l’étude économétrique qu’elle a transmise à la Commission ainsi qu’à l’étude réalisée par le Centre for European Policy Studies, du 13 novembre 1999, pour souligner la situation particulière des Açores.


23 – Ordonnance du 16 février 2000 (C-400/97, C-401/97 et C-402/97, Rec. p. I-1073).


24 – Arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission (C-310/99, Rec. p.I-2289), et du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280/00, Rec. p. I-7747, points 77 à 81).


25 – Establishing suitable strategies to improve sustainable development in the Portuguese ultraperipheral regions of Madeira and the Azores, Peter Ludlow, Vítor Martins et Jorge Núñez Ferrer, CEPS.


26 – Scotland Act de 1998, s. 73.


27 – Northern Ireland Act 1998, Ch 47, s. 4(1) et Schedule 2(9); Northern Ireland Constitution Act 1973, Ch. 36, s 2 et Schedule 2(B); Government of Ireland Act 1920, s. 21.


28 – Dans ses conclusions dans l’ordonnance Juntas Generales de Guipúzcoa e.a., précitées, l’avocat général Saggio a presque abordé la question. Cette affaire concernait la compatibilité de mesures fiscales d’aide à l’investissement et de promotion de l’activité économique au Pays basque espagnol avec le traité. Toutefois, l’avocat général a conclu qu’il s’agissait « de mesures conjoncturelles de nature à améliorer la compétitivité des entreprises auxquelles elles s’appliquent » (point 38) et n’a donc pas formulé de principe général quant à l’évaluation des différences fiscales se limitant à une zone géographique déterminée. Cette affaire a été retirée avant que la Cour ne statue.


29 – JO L 83, p. 1.


30 – Nous ajouterons que, hormis la détermination de l’incidence de l’obligation de notifier, la portée du concept d’aide a évidemment une autre conséquence pratique importante, à savoir que lorsque ces mesures visant à fixer un taux d’impôt différent sont des «aides», il incombe aux États membres de démontrer que les aides remplissent les conditions pour bénéficier d’une dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous a) ou c), tel qu’il ressort des lignes directrices sur les aides régionales.


31 – Communication sur la fiscalité directe, point 9.


32 – Voir, pour les réductions générales du taux d’impôt, arrêt du 8 novembre 2001, Adria Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, Rec. p. I-8365, points 38 et 39) ; et pour les réductions régionales du taux d’impôt, arrêt du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission (248/84, Rec. p. 4013, point 17): «[…] le fait que ce programme d’aides ait été adopté par un État fédéré ou une collectivité territoriale, et non par le pouvoir fédéral ou central, n’empêche pas l’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité, dès lors que les conditions de cet article sont remplies. En effet, celui-ci, en mentionnant les aides accordées par les États ou au moyen de ressources de l’État sous quelque forme que ce soit, vise toute aide financée au moyen de ressources publiques».


33 – Voir arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709), et communication sur la fiscalité directe, point 12.


34 – En raison de la difficulté à obtenir un consensus sur les propositions de réglementation communautaire sur la fiscalité directe, peu de mesures d’harmonisation dans ce domaine ont été prises au titre de cet article.


35 – Conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire GIL Insurance e.a. (arrêt du 29 avril 2004, C-308/01, Rec. p. I-4777).


36 – C’est pourquoi la Commission expose au point 16 de sa communication sur la fiscalité directe que « [c]e qui est donc avant tout pertinent pour l’application de l’article 92, paragraphe 1, à une mesure fiscale, c’est que cette mesure instaure, en faveur de certaines entreprises de l’État membre, une exception à l’application du système fiscal. Il convient donc d’abord de déterminer le régime commun applicable ».


37 – Cette prémisse est implicite dans l’arrêt Adria Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, où la Cour a jugé que, «[a]ux fins de l’application de l’article 92 du traité […] [i]l convient uniquement de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure étatique est de nature à favoriser “certaines entreprises ou certaines productions” au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure concernée». C’est nous qui soulignons.


38 – À titre d’exemple, selon les observations du Royaume-Uni, en vertu du Scotland Act de 1998 portant décentralisation des compétences en matière fiscale en faveur de l’Écosse, et à la suite du référendum sur cette question, le Parlement écossais a le droit de réduire – ou d’augmenter – jusqu’à 3 pence par livre le taux de base de l’impôt sur le revenu britannique appliqué aux contribuables en Écosse. Si elle est exercée, cette compétence n’entraîne ni récupération ni subvention de la part du gouvernement central du Royaume-Uni. Ce faisant, l’Écosse supporte le « risque » financier de ses décisions visant à fixer un taux d’impôt différent.


39 – Décision, point 26 des motifs.


40 – La Commission se fonde notamment sur l’arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, précité, point 13.


41 – Précitée.


42 – Affaire pendante devant la Cour.


43 – De surcroît, le Royaume-Uni observe que si le critère décisif concernant la définition d’une «aide» est simplement celui de la distorsion de la concurrence, le concept d'aide comprendrait le cas dans lequel toutes les autorités locales d’un certain niveau ont les mêmes compétences fiscales régionales – et qui, selon la Commission, ne constitue pas une aide.


44 – Voir les conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire Juntas Generales de Guipúzcoa e.a., précitée, point 37.


45 – Voir arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, précité, point 27 dans lequel la Cour a rejeté l’argument de la République italienne selon lequel la baisse des charges sociales dans l’industrie textile ayant un but social ne relevait pas de ce qui est devenu l’article 87 CE, en observant que «l’article 92 ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets.»


46 – Affaire précitée, point 37 des conclusions, qui énonce que «[l]e fait que les mesures en cause aient été prises par des collectivités territoriales dotées d’une compétence exclusive en vertu du droit national est en réalité […] une circonstance purement formelle, qui ne suffit pas à justifier le traitement préférentiel réservé aux entreprises qui relèvent du champ d’application des “normas forales”».


47 – Article 5, paragraphe 2, de la loi nº 13/98.


48 – Communication sur la fiscalité directe, point 23.


49 – Ibid., point 16.


50 – Ibid., point 26.


51 – Arrêt 23 octobre 2002 (T-346/99 à T-348/99, Rec. p. II-4259).


52 – Ibid., point 62.


53 – Ibid., point 63.


54 – Voir arrêts du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, Rec. p. 2855, point 15); du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, (C-329/93, C-62/95 et C-63/95, Rec. p. I-5151, point 15), et du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, précité.


55 – Voir, par exemple, décision, points 7 à 9 des motifs.


56 – Voir, par exemple, décision, points 36 et 37, des motifs (bien que cette description ait lieu dans le contexte de l’examen de compatibilité conformément à l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE).


57 – Voir également arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission (C-310/99, Rec. P. I-2289, points 88 et 89). Dans cette affaire, la Cour a conclu que la Commission peut justifier qu’elle estime qu’une aide d’État fausse potentiellement la concurrence par une explication en termes généraux du fait que la mesure a assuré un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. La Cour déclare que la Commission «n’était pas tenue d'entrer plus dans le détail à cet égard».


58 – Arrêts du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, (C-278/92 à C-280/92, Rec. p. I-4103, point 42), et du 7 mars 2002, Italie/Commission, précité, point 86.


59 – Voir, notamment, arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225/91, Rec. p. I-3202, point 24).


60 – Lignes directrices sur les aides régionales, point 4.15.


61 – Ibid., point 4.16.


62 – Décision, point 36 des motifs.


63 – Voir décision, point 18 des motifs, qui énonce que «[e]n ce qui concerne l’absence d’entreprises actives dans le secteur financier parmi celles retenues dans l’échantillon de base, les autorités portugaises se limitent cependant à la justifier par un manque de données statistiques y relatives, tout en reconnaissant que, pour de telles activités, il ne leur serait pas possible de démontrer de façon rigoureuse que les réductions des taux d’impôt en question soient, de par leur nature et niveau, aptes à pallier les problèmes spécifiques de la région des Açores».