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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 2 juin 2005 (1)

Affaire C-533/03

Commission des Communautés européennes

contre

Conseil de l’Union européenne

«Règlement (CE) n° 1798/2003 – Directive 2003/93/CE – Choix de la base juridique – Notion de ‘dispositions fiscales’»





I –    Introduction

1.     Par le présent recours en annulation, la Commission des Communautés européennes fait grief du fait que le Conseil de l’Union européenne ait fondé le règlement (CE) n° 1798/2003 du Conseil, du 7 octobre 2003, concernant la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée et abrogeant le règlement (CEE) n° 218/92 (2), et la directive 2003/93/CE du Conseil, du 7 octobre 2003, modifiant la directive 77/799/CEE concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et indirects (3), respectivement sur l’article 93 CE et sur les articles 93 CE et 94 CE, et non sur l’article 95 CE, comme elle l’avait proposé.

2.     Le règlement attaqué fixe les conditions dans lesquelles les autorités fiscales des États membres coopèrent entre elles ainsi qu’avec la Commission pour la perception de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), tandis que la directive attaquée étend le champ d’application de la directive 77/799/CEE, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et indirects (4), aux taxes sur les primes d’assurance.

3.     Quant au fond, l’affaire porte sur le point de savoir si ces dispositions, qui réglementent la procédure de coopération des autorités en matière fiscale, constituent des dispositions fiscales au sens de l’article 95, paragraphe 2, CE. La réponse à cette question permettra de dire si, conformément à l’article 95, paragraphe 1, CE, c’est la procédure de codécision visée à l’article 251 CE qui s’applique en la matière ou si le Conseil décide à l’unanimité après consultation du Parlement européen, en application des articles 93 CE et 94 CE.

II – Les réglementations attaquées

A –    Genèse

4.     La directive 77/799 – basée sur l’article 100 du traité CE (devenu article 94 CE) – avait donné un fondement de droit communautaire à l’échange d’informations entre les autorités fiscales des États membres dans le domaine des impôts directs. Le champ d’application de cette directive a été étendu à la TVA (5) – sur le fondement des articles 99 (devenu, après modification, article 99 du traité CE, lui-même devenu article 93 CE) et 100 du traité CEE –, puis aux droits d’accises grevant les huiles minérales, l’alcool et les boissons alcooliques et les tabacs manufacturés (6) – sur le fondement de l’article 99 du traité.

5.     Le règlement (CEE) n° 218/92 (7) a quant à lui institué un système commun d’échange d’informations sur les transactions intracommunautaires entre les autorités compétentes des États membres (8), sur le fondement de l’article 99 du traité. Ce système commun a été temporairement modifié en 2002 par le règlement (CE) n° 792/2002 – fondé sur l’article 93 CE – en ce qui concerne de nouvelles mesures relatives au commerce électronique (9).

6.     Afin de réunir les instruments existant dans le domaine de la TVA en un acte juridique et de réglementer plus clairement la coopération entre États membres, la Commission a soumis au Conseil, le 18 juin 2001, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (10). Elle a également présenté une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 77/799 (11), visant à étendre l’assistance dans ce domaine aux taxes sur les primes d’assurance. La Commission proposait de fonder les deux actes juridiques sur l’article 95 CE.

7.     Sur la base de cette proposition, le Conseil a adopté les deux actes attaqués, mais il a modifié la base juridique: il a fondé le règlement n° 1798/2003 sur l’article 93 CE et la directive 2003/93 sur les articles 93 CE et 94 CE.

B –    Le contenu du règlement n° 1798/2003

8.     Les trois premiers considérants du règlement n° 1798/2003 sont libellés comme suit:

«(1)      La pratique de la fraude et de l’évasion fiscales par-delà les frontières des États membres conduit à des pertes budgétaires et à des atteintes au principe de la justice fiscale, et est susceptible de provoquer des distorsions dans les mouvements de capitaux et dans les conditions de concurrence. Elle affecte donc le fonctionnement du marché intérieur.

(2)      La lutte contre la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée exige une collaboration étroite entre les autorités administratives chargées dans chacun des États membres de l’exécution des dispositions arrêtées dans ce domaine.

(3)      Les mesures d’harmonisation fiscale prises pour achever le marché intérieur doivent donc comporter la mise en place d’un système commun d’échange d’informations entre les États membres dans lequel les autorités administratives des États membres doivent se prêter mutuellement assistance et collaborer avec la Commission en vue d’assurer la bonne application de la TVA sur les livraisons de biens et les prestations de services, l’acquisition intracommunautaire de biens et l’importation de biens.

[…]»

9.     Le chapitre I contient des définitions de notions et des règles de compétence.

10.   L’article 1er, paragraphe 1, dispose notamment:

«Le présent règlement détermine les conditions dans lesquelles les autorités administratives chargées, dans les États membres, de l’application de la législation relative à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les livraisons de biens et les prestations de services, l’acquisition intracommunautaire de biens et l’importation de biens coopèrent entre elles ainsi qu’avec la Commission en vue d’assurer le respect de cette législation.

À cette fin, il définit des règles et des procédures permettant aux autorités compétentes des États membres de coopérer et d’échanger entre elles toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct de la TVA.»

11.   Le chapitre II concerne les échanges d’informations sur demande et contient des dispositions sur la présence dans les bureaux administratifs d’autres États membres.

12.   L’article 5, paragraphe 1, dispose:

«Sur demande de l’autorité requérante, l’autorité requise communique les informations visées à l’article 1er, y compris celles qui concernent un ou plusieurs cas précis.»

13.   L’article 11 indique notamment:

«1. Par accord entre l’autorité requérante et l’autorité requise et selon les modalités fixées par cette dernière, des fonctionnaires autorisés par l’autorité requérante peuvent être présents dans les bureaux où les services administratifs de l’État membre dans lequel l’autorité requise est établie exécutent leurs tâches, en vue d’échanger les informations visées à l’article 1er. […]

2. Par accord entre l’autorité requérante et l’autorité requise et selon les modalités fixées par cette dernière, des fonctionnaires désignés par l’autorité requérante peuvent être présents durant les enquêtes administratives, en vue d’échanger les informations visées à l’article 1er. […]»  

14.   Dans le chapitre III, il est indiqué à l’article 14 que, sur demande de l’autorité requérante, l’autorité requise notifie au destinataire, selon les règles de notification de l’État membre où elle est établie, toutes les décisions relatives à la TVA émanant du territoire de l’État membre où l’autorité requérante est établie.

15.   Le chapitre IV régit l’échange d’informations sans demande préalable.

16.   L’article 17 dispose:

«Sans préjudice des dispositions des chapitres V et VI, l’autorité compétente de chaque État membre procède à un échange automatique ou à un échange automatique structuré des informations visées à l’article 1er avec l’autorité compétente de tout autre État membre concerné dans les situations suivantes:

1)      lorsque la taxation est censée avoir lieu dans l’État membre de destination et que l’efficacité du système de contrôle dépend nécessairement des informations fournies par l’État membre d’origine;

2)      lorsqu’un État membre a des raisons de penser qu’une infraction à la législation sur la TVA a été commise ou est susceptible d’avoir été commise dans l’autre État membre;

3)      lorsqu’il existe un risque de perte de recettes fiscales dans l’autre État membre.»

17.   L’article 18 dispose:

«Sont déterminées selon la procédure visée à l’article 44, paragraphe 2:

1) les catégories exactes d’informations à échanger;

2) la fréquence des échanges;

3) les modalités pratiques d’échange de ces informations.

Chaque État membre détermine s’il participera à l’échange d’informations appartenant à une catégorie particulière et s’il le fera de manière automatique ou de manière automatique structurée.»

18.   Le chapitre V contient des dispositions relatives au stockage et à l’échange d’informations spécifiques aux transactions intracommunautaires.

19.   Aux termes de l’article 22, ces informations, que les États membres recueillent conformément à la directive 77/388/CEE (12) (ci-après la «sixième directive TVA»), doivent être stockées dans une base de données électronique.

20.   L’article 23 dispose notamment:

«Sur la base des informations stockées conformément à l’article 22, l’autorité compétente d’un État membre obtient de tout autre État membre qu’il lui communique automatiquement et sans délai toutes les informations ci-après, auxquelles elle peut aussi avoir directement accès:

1)      les numéros d’identification TVA attribués par l’État membre recevant les informations;

2)      la valeur totale de toutes les livraisons intracommunautaires de biens aux personnes titulaires de ces numéros par tous les opérateurs identifiés aux fins de la TVA dans l’État membre fournissant les informations.

[…]»

21.   L’article 24 indique notamment:

«Sur la base des informations stockées conformément à l’article 22 et dans le seul but de prévenir les infractions à la législation sur la TVA, l’autorité compétente d’un État membre, chaque fois qu’elle le juge nécessaire pour contrôler les acquisitions intracommunautaires de biens, obtient directement et sans délai communication de toutes les informations ci-après, auxquelles elle peut aussi avoir directement accès par voie électronique:

1)      les numéros d’identification TVA des personnes ayant effectué les livraisons visées à l’article 23, point 2, et

2)      la valeur totale de ces livraisons effectuées par chacune de ces personnes pour chaque personne à laquelle un numéro d’identification TVA visé à l’article 23, point 1, a été attribué.

[…]»

22.   L’article 27 indique notamment:

«1. Chaque État membre dispose d’une base de données électronique contenant un registre des personnes auxquelles un numéro d’identification TVA a été attribué dans cet État membre.

2. À tout moment, l’autorité compétente d’un État membre peut obtenir directement ou se faire transmettre, sur la base des données stockées conformément à l’article 22, la confirmation de la validité d’un numéro d’identification TVA sous lequel une personne a fourni ou reçu une livraison intracommunautaire de biens ou une prestation intracommunautaire de services.

Sur demande particulière, l’autorité requise communique également la date d’attribution et, le cas échéant, la date de cessation de la validité du numéro d’identification TVA.

3. Sur demande, l’autorité compétente fournit également, sans délai, le nom et l’adresse de la personne à qui le numéro a été attribué, pour autant que ces informations ne soient pas stockées par l’autorité requérante en vue de les utiliser éventuellement par la suite.»

23.   Le chapitre VI porte sur les dispositions spécifiques figurant à l’article 26 quater de la sixième directive TVA pour les assujettis non établis fournissant des prestations électroniques à des personnes non assujetties. Le règlement n° 1798/2003 reprend notamment, dans ses articles 29 et 30, l’obligation, déjà imposée aux assujettis non établis à l’article 26 quater de la sixième directive TVA, de présenter la déclaration de début d’activité ainsi que la déclaration fiscale par voie électronique, prévoit une procédure de détermination des modalités techniques et réglemente la transmission des informations ainsi obtenues aux autorités compétentes des autres États membres.

24.   Le chapitre VII réglemente la coopération avec la Commission en ce qui concerne le traitement statistique et l’évaluation de l’efficacité des mécanismes prévus par le règlement. Le chapitre VIII porte sur les informations émanant d’États tiers.

25.   Le chapitre IX pose les conditions générales régissant l’échange d’informations et cite notamment, à l’article 40, quelques raisons de refus de transmission d’informations.

26.   L’article 40 dispose notamment:

«[…]

2. Le présent règlement n’impose pas l’obligation de faire effectuer des enquêtes ou de transmettre des informations lorsque la législation ou la pratique administrative de l’État membre qui devrait fournir les informations n’autorisent l’État membre ni à effectuer ces enquêtes, ni à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins de cet État membre.

3. L’autorité compétente d’un État membre peut refuser de transmettre des informations lorsque l’État membre concerné n’est pas en mesure, pour des raisons juridiques, de transmettre des informations similaires. La Commission est informée des motifs du refus par l’État membre requis.

4. La transmission d’informations peut être refusée dans le cas où elle conduirait à divulguer un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, ou une information dont la divulgation serait contraire à l’ordre public.

[…]»

27.   L’article 41 indique, en outre, les aspects de la protection des données devant être pris en compte. Enfin, le chapitre X contient encore quelques dispositions générales et finales.

C –    Le contenu de la directive 2003/93

28.   Les premier et troisième considérants de la directive indiquent:

«(1)      La lutte contre la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée exige un renforcement de la coopération entre administrations fiscales à l’intérieur de la Communauté et entre celles-ci et la Commission conformément à des principes communs.

(3)      Le champ d’application de l’assistance mutuelle prévu par la directive 77/799/CEE doit être étendu aux taxes sur les primes d’assurance visées dans la directive 76/308/CEE de manière à mieux protéger les intérêts financiers des États membres et la neutralité du marché intérieur.»

29.   L’article 1er, points 1 et 2, de la directive cite les modifications de la directive 77/799 aux fins de l’étendre aux taxes sur les primes d’assurance.

30.   En outre, le point 3 procède à une modification du libellé des dispositions en matière de confidentialité contenues dans la directive 77/799 et leur ajoute un nouvel alinéa.

31.   L’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, dispose:

«En outre, les États membres peuvent prévoir que les informations visées au premier alinéa soient utilisées pour établir d’autres prélèvements, droits et taxes relevant de l’article 2 de la directive 76/308/CEE.»

D –    Le contenu de la directive 77/799

32.   La directive 77/799 étendue par la directive 2003/93, réglemente, de manière analogue au règlement attaqué, la coopération des États membres dans le domaine des impôts directs et de quelques impôts indirects. Les dispositions pertinentes de la directive 77/799 indiquent:

«Article 2

Échange sur demande

1. L’autorité compétente d’un État membre peut demander à l’autorité compétente d’un autre État membre de lui communiquer les informations visées à l’article 1er paragraphe 1 en ce qui concerne un cas précis. […]

[…]

Article 3

Échange automatique

Les autorités compétentes des États membres échangent les informations visées à l’article 1er paragraphe 1 sans demande préalable et d’une manière régulière, pour des catégories de cas qu’elles déterminent dans le cadre de la procédure de consultation visée à l’article 9.

Article 4

Échange spontané

1. L’autorité compétente de chaque État membre communique, sans demande préalable, les informations visées à l’article 1er paragraphe 1 dont elle a connaissance, à l’autorité compétente de tout autre État membre intéressé dans les situations suivantes:

[…]

2. Les autorités compétentes des États membres peuvent, dans le cadre de la procédure de consultation visée à l’article 9, étendre l’échange d’informations prévu au paragraphe 1 à des cas autres que ceux qui y sont visés.

[…]

Article 6

Collaboration d’agents de l’État intéressé

Pour l’application des dispositions qui précèdent, l’autorité compétente de l’État membre qui fournit les informations et l’autorité compétente de l’État à qui les informations sont destinées peuvent convenir, dans le cadre de la procédure de consultation visée à l’article 9, d’autoriser la présence dans le premier État membre d’agents de l’administration fiscale de l’autre État membre. Les modalités d’application de cette disposition sont déterminées dans le cadre de cette même procédure.

[…]

Article 8

Limites de l’échange d’informations

1. La présente directive n’impose pas l’obligation de faire effectuer des recherches ou de transmettre des informations lorsque la législation ou la pratique administrative de l’État membre qui devrait fournir les informations n’autorisent l’autorité compétente ni à effectuer ces recherches, ni à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins de cet État.

2. La transmission d’informations peut être refusée dans le cas où elle conduirait à divulguer un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, ou une information dont la divulgation serait contraire à l’ordre public.

3. L’autorité compétente d’un État membre peut refuser la transmission d’informations lorsque l’État intéressé n’est pas en mesure de fournir une transmission d’informations équivalentes pour des raisons de fait ou de droit.

[…]»

III – Procédure et conclusions des parties

33.   Par mémoire du 18 décembre 2003, parvenu à la Cour le 19 décembre 2003, la Commission a introduit un recours contre le règlement n° 1798/2003 et la directive 2003/93. Elle demande qu’il plaise à la Cour:

1)      annuler le règlement n° 1798/2003 et la directive 2003/93;

2)      maintenir les effets de ces mesures jusqu’à l’entrée en vigueur de la législation adoptée sur le fondement de la base juridique correcte;

3)      condamner le Conseil aux dépens.

34.   Le Conseil conclut qu’il plaise à la Cour:

1)      rejeter le recours,

2)      condamner la Commission aux dépens,

3)      à titre subsidiaire, si la Cour décidait d’annuler les mesures attaquées, maintenir leurs effets jusqu’à l’entrée en vigueur de nouveaux actes adoptés sur la base juridique correcte.

35.   Par ordonnance du 8 juin 2004, la Cour a autorisé le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la République portugaise ainsi que l’Irlande à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

36.   Toutes les parties ont pris position sur l’affaire dans la procédure écrite. Il n’y a pas eu de procédure orale.

IV – Argumentation des parties

37.   La Commission affirme que les mesures en cause en l’espèce ont pour objet l’établissement du marché intérieur et doivent être fondées sur l’article 95, paragraphe 1, CE. Elle estime que l’inclusion dans le contexte fiscal ne fait pas nécessairement de toute mesure une disposition fiscale et considère notamment que les règles relatives à la coopération administrative des États membres ne sont pas des dispositions fiscales au sens de l’article 95, paragraphe 2, CE et qu’elles ne doivent pas non plus être considérées comme des dispositions en matière d’impôts indirects au sens de l’article 93 CE.

38.   Elle serait certes consciente que, lorsque l’article 95 CE a été créé, les États membres ont exclu des domaines particulièrement sensibles du champ d’application des décisions à la majorité, dont notamment les dispositions fiscales, mais elle considère que cette disposition dérogatoire doit faire l’objet d’une interprétation stricte et ne s’applique que lorsque la protection de la souveraineté fiscale des États membres est nécessaire. Par conséquent, la Commission entend par dispositions fiscales les règles relatives aux assujettis, aux faits générateurs, à la base d’imposition, aux taux d’imposition et aux exonérations ainsi que les modalités d’accompagnement relatives à la perception et au recouvrement des impôts, donc tout ce qui a une incidence sur les recettes fiscales. Les réglementations sur l’assistance mutuelle ne concerneraient toutefois pas ce domaine et n’auraient pas d’incidence sur la souveraineté fiscale. Elles ne viseraient qu’à faciliter l’exigibilité de l’impôt de chaque État membre et n’affecteraient donc pas le système fiscal des États membres.

39.   Le Conseil souligne, en revanche, que l’objectif des mesures est de lutter contre la fraude fiscale et de garantir la perception correcte des impôts dans l’intérêt des budgets nationaux et du fonctionnement du marché intérieur. Par l’harmonisation des règles sur l’échange d’informations, les deux actes attaqués auraient une incidence directe sur les droits des redevables et sur les obligations des administrations fiscales, sur la perception des impôts et donc également sur les recettes fiscales. Les mesures auraient par conséquent aussi des finalités fiscales. Pour de telles réglementations, poursuivant des objectifs à la fois fiscaux et touchant au fonctionnement du marché intérieur, les articles 93 CE et 94 CE constitueraient la base d’habilitation correcte.

40.   Le Conseil indique notamment que l’article 93 CE est la disposition spécifique par rapport à l’article 95 CE et que l’article 95 CE n’a pas modifié le champ d’application de l’article 93 CE. Les deux dispositions auraient été adoptées, dans leur libellé actuel, par l’Acte unique européen et rien dans leur teneur ne permettrait de soutenir que les dispositions en matière d’impôts indirects qui n’ont pas d’incidence sur l’essence de la souveraineté fiscale des États membres ne relèvent pas de l’article 93 CE. L’interprétation de l’article 95, paragraphe 2, CE n’influerait donc d’aucune manière sur le champ d’application de l’article 93 CE, qui est la règle juridique spécifique dans le domaine des impôts indirects, indépendamment des effets sur la souveraineté fiscale des États membres. Il serait par ailleurs inapproprié de donner à la notion de dispositions fiscales une signification différente dans le domaine de la fiscalité directe. En outre, l’extension des compétences d’investigation des États membres au-delà du territoire national aurait indubitablement une incidence sur la souveraineté fiscale, même en se fondant sur la définition étroite de souveraineté fiscale défendue par la Commission.

41.   Le gouvernement du Royaume-Uni indique, relativement au règlement n° 1798/2003, que la lutte contre la fraude fiscale en soutenant l’établissement et la perception de la TVA dans la Communauté augmente l’efficacité de l’administration fiscale et a donc des effets pratiques sur les recettes fiscales effectives. Par conséquent, les réglementations litigieuses seraient une composante du fonctionnement correct du système d’imposition et auraient une incidence sur la position juridique des assujettis. En outre, l’article 30 dudit règlement (13) imposerait également directement une obligation aux assujettis. Le règlement harmoniserait donc les législations nationales dans le domaine des impôts indirects au sens de l’article 93 CE.

42.   En ce qui concerne la directive 2003/93, le gouvernement du Royaume-Uni souligne que la finalité et le contenu de cette réglementation ne peuvent être considérés qu’à la lumière de la directive 77/799, dont la directive attaquée étend le champ d’application aux primes d’assurance. Ici aussi, l’efficacité de l’administration fiscale constituerait un facteur important pour les recettes fiscales effectives et ne saurait donc être dissociée de la souveraineté fiscale des États membres. La directive harmoniserait donc les législations nationales en matière d’impôts directs et indirects et tomberait par conséquent sous le coup des articles 93 CE et 94 CE.

43.   Le gouvernement portugais fait valoir que l’article 41, paragraphe 5, du règlement n° 1798/2003 permet de circonscrire les droits dérivés de la directive 95/46/CE (14) et que l’article 1er, point 3, de la directive 2003/93 conduit à une modification de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 77/799, ce qui concerne directement les droits des contribuables. Ces dispositions régissant les droits des contribuables, elles constitueraient des dispositions fiscales au sens des articles 93 CE et 95, paragraphe 2, CE.

44.   Le gouvernement irlandais est d’avis que l’article 93 CE constitue la base juridique pour tous les actes portant sur ou concernant les impôts indirects. Il indique, en outre, que rien dans le libellé de l’article 95 CE n’indique qu’il convient d’interpréter de manière restrictive l’expression «dispositions fiscales» figurant dans le paragraphe 2, d’autant plus qu’il devrait alors en aller de même pour les expressions «dispositions relatives à la libre circulation des personnes» et «droits et intérêts des travailleurs». Une telle justification n’existerait toutefois pas dans ladite disposition. Conformément à son contenu, le règlement fixerait des règles détaillées touchant à l’harmonisation des dispositions relatives à la TVA. De même, la directive serait constituée de dispositions fiscales. Les deux actes juridiques auraient par conséquent été adoptés sur la base juridique correcte.

V –    Appréciation juridique

45.   Par le présent recours, la Commission affirme que les actes attaqués ont été adoptés sur une base juridique erronée et fait donc grief d’une violation du traité CE au sens de l’article 230, deuxième alinéa, CE.

A –    Les critères pour le choix de la base juridique

46.   Selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte (15).

47.   Les parties s’accordent sur le fait que le règlement n° 1798/2003 et la directive 2003/93 sont nécessaires pour le fonctionnement du marché intérieur.

48.   Le règlement attaqué régit la coopération administrative entre États membres ainsi qu’entre eux et la Commission dans le domaine de la TVA. Comme il ressort de ses considérants, son objectif est de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, car ces dernières conduisent à des pertes budgétaires, à des atteintes au principe de la justice fiscale, à des distorsions de concurrence, et affectent donc le fonctionnement du marché intérieur (16).

49.   La directive attaquée étend les dispositions relatives à la coopération des autorités des États membres entre elles dans le domaine des impôts directs et de certains droits d’accises (17) aux taxes sur les primes d’assurance et contient, en outre, une modification de la protection des données devant être prise en considération dans le cadre de cette collaboration. L’objectif déclaré de cet acte juridique est de mieux protéger les intérêts financiers des États membres et la neutralité du marché intérieur (18).

50.   L’interrelation toujours plus étroite entre les économies des États membres va de pair avec la suppression des obstacles bureaucratiques à la libre circulation des marchandises et des services dans le marché commun. L’insuffisance d’informations de l’administration fiscale sur les affaires transfrontalières augmente le risque de fraude fiscale. La lutte contre ce risque sert l’intérêt des États membres et de la Communauté à une concurrence non faussée et à la garantie des bases financières, et permet donc de maintenir le niveau d’intégration atteint. Par conséquent, les actes juridiques peuvent également, par l’élimination des problèmes découlant de l’exercice des libertés fondamentales, contribuer au fonctionnement du marché intérieur (19). Il n’y a donc aucun doute que les deux actes attaqués contribuent objectivement aussi sur le fond à cet objectif déclaré.

51.   En application de l’article 95 CE, les actes juridiques qui visent à l’achèvement du marché intérieur peuvent être adoptés à la majorité qualifiée par le Conseil, après consultation du Comité économique et social européen, selon la procédure de codécision visée à l’article 251 CE. Si ces actes sont en même temps des dispositions en matière d’impôts indirects, la base juridique appropriée est toutefois la disposition spécifique de l’article 93 CE, le Conseil devant alors décider à l’unanimité après consultation du Parlement et du CESE. Il en va ainsi car, selon ses propres termes, l’article 95, paragraphe 1, CE n’est applicable que si le traité n’en dispose pas autrement. Il s’ensuit que, dès lors qu’il existe dans le traité une disposition plus spécifique pouvant constituer la base juridique de l’acte en cause, celui-ci doit être fondé sur cette disposition. Tel est notamment le cas, comme la Cour l’a déjà jugé, de l’article 93 CE, s’agissant de l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et aux autres impôts indirects (20).

52.   L’article 95, paragraphe 2, CE excluant, en outre, les dispositions fiscales du champ d’application de l’article 95, paragraphe 1, CE, leur rapprochement ne peut être effectué de manière générale sur la base de cet article. Dans la mesure où les règles en cause sont des dispositions en matière d’impôts directs, il convient donc d’avoir recours, pour le rapprochement des mesures des États membres en vue de l’établissement du marché commun, à l’article 94 CE, qui prévoit également une décision du Conseil à l’unanimité après consultation du Parlement et du CESE.

53.   Compte tenu de ces différentes voies procédurales, les bases d’habilitation visées aux articles 93 CE et 94 CE, d’une part, et à l’article 95 CE, d’autre part, ne sont pas non plus cumulables (21).

54.   Par conséquent, l’élément déterminant pour choisir la base juridique consiste à savoir si les réglementations attaquées sont des dispositions fiscales au sens des articles 93 CE et 95, paragraphe 2, CE ou non.

55.   Le traité ne contient pas d’indication plus précise sur la portée de cette notion. L’interprétation de ces dispositions du traité a toutefois récemment été l’objet d’un litige porté devant la Cour.

56.   Comme la Cour l’a constaté dans son arrêt du 29 avril 2004 relativement à l’article 95, paragraphe 2, CE, l’expression «dispositions fiscales» couvre, en raison de son caractère général, non seulement tous les domaines de la fiscalité, sans distinguer les types d’impôts ou de taxes concernés, mais aussi tous les aspects de cette matière, qu’il s’agisse de règles matérielles ou procédurales (22).

57.   La Cour a déduit l’extension aux questions procédurales, car, d’une part, dans certains États membres, les dispositions relatives au recouvrement des impôts directs et indirects sont également considérées comme constituant des dispositions fiscales et, d’autre part, conformément à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 90 CE, afin d’évaluer le caractère discriminatoire ou non d’un système de taxation, il faut prendre en considération non seulement les taux d’imposition, mais également les modalités de perception, pour déterminer l’incidence effective d’un impôt (23). Les modalités de recouvrement des impositions de quelque nature que ce soit ne sauraient être dissociées du système de taxation ou d’imposition auquel celles-ci se rattachent. La Cour a ensuite indiqué que l’article 95, paragraphe 2, CE ne recouvre donc pas seulement les dispositions déterminant les personnes assujetties, les opérations imposables, l’assiette de l’imposition ainsi que les taux et les exonérations des impôts directs et indirects, mais également celles relatives aux modalités de recouvrement de ceux-ci (24).

58.   La jurisprudence de la Cour n’a jusqu’à présent pas donné d’autre précision quant au point de savoir si les règles de procédure constituent toujours ou seulement dans certains cas des dispositions fiscales au sens des articles 93 CE et 95, paragraphe 2, CE.

59.   La jurisprudence existante ne permet par conséquent pas de classifier clairement les réglementations litigieuses en l’espèce. Il ne s’agit assurément pas de dispositions déterminant les assujettis ni d’opérations imposables, d’assiette de l’imposition, de taux ou d’exonérations d’impôts. L’échange d’informations ne porte pas non plus directement sur le recouvrement des impôts. Toutefois, il s’agit indubitablement de réglementations qui concernent la procédure en matière fiscale et qui ont une incidence sur l’établissement et le recouvrement des impôts, car elles aident à obtenir les informations nécessaires à cette fin.

60.   Il convient donc de trouver un critère permettant d’apprécier quand de telles dispositions procédurales doivent être considérées comme des dispositions fiscales au sens du traité.

61.   Le Conseil et le gouvernement du Royaume-Uni font valoir, en ce qui concerne les actes litigieux en l’espèce, qu’une administration fiscale plus efficace peut mieux appliquer le droit fiscal, et obtenir ainsi en fin de compte des recettes fiscales plus élevées. Les règles sur l’échange d’informations entre autorités auraient donc également une incidence sur les recettes fiscales. Cet argument ne peut toutefois pas être déterminant, dans sa généralité, pour qualifier une mesure de disposition fiscale. Toutes sortes de règles peuvent augmenter l’efficacité de l’administration fiscale, comme celles relatives à l’aménagement du temps de travail, sans devenir pour autant des dispositions fiscales.

62.   Le point déterminant pour que ces règles soient considérées comme dispositions fiscales devrait au contraire être l’existence d’un lien spécifique entre les dispositions procédurales et l’essence matérielle du droit fiscal. Il existe ainsi, par exemple, un lien spécifique entre les réglementations de droit matériel sur les impôts et les règles concernant l’exécution des avis d’imposition, car la possibilité du recouvrement forcé constitue un facteur tout à fait décisif pour le versement effectif des impôts et donc pour les recettes du fisc. Ainsi, aux fins de fonder l’interprétation de la disposition présentée, la Cour a indiqué que les modalités de recouvrement des impositions ne sauraient être dissociées du système de taxation ou d’imposition auquel celles-ci se rattachent (25).

63.   En ce qui concerne les actes attaqués, deux aspects sont en définitive déterminants pour apprécier ce lien: l’ouverture des administrations fiscales, traitées au niveau communautaire comme particulièrement sensibles, et l’accès aux informations fiscales donné aux autorités fiscales d’un autre État membre concernent, d’une part, pour l’État membre fournissant les informations, l’essence de la souveraineté fiscale d’un point de vue de droit procédural. L’obtention des informations sur les assujettis et sur les opérations imposables permet, d’autre part, à l’État recevant les informations de procéder à un établissement correct de l’impôt et constitue donc une condition directe pour la perception des impôts dans cet État. C’est ce que nous allons exposer ci-après, sur la base des différentes dispositions.

B –    Les dispositions du règlement n° 1798/2003

64.   Le règlement n° 1798/2003 contient quelques éléments qui ouvrent de nouvelles voies dans le domaine de la coopération entre les États membres en matière fiscale allant en partie au-delà du degré de coopération atteint jusqu’à présent.

65.   Selon l’article 5 de ce règlement, les autorités fiscales des États membres sont tenues, sur demande, de communiquer des informations sur les opérations fiscales aux autorités d’autres États membres. La transmission de telles informations ne peut être refusée que pour les raisons citées à l’article 40, à savoir lorsque la réglementation de l’État requis n’autorise pas à recueillir ou à utiliser de telles informations, y compris dans des affaires purement internes (article 40, paragraphe 2), lorsque la réciprocité de l’échange de telles informations n’est pas garantie (article 40, paragraphe 3) et lorsque la transmission des informations donnerait lieu à la divulgation de certains secrets plus précisément spécifiés ou que la divulgation serait contraire à l’ordre public (article 40, paragraphe 4).

66.   Compte tenu de cette obligation, les États membres doivent donc transmettre diverses informations aux autorités d’autres États membres, qui donnent des éclaircissements directs sur des opérations pertinentes en matière fiscale. Ces données visent à servir de point de départ à l’imposition dans l’État membre demandant les informations.

67.   Un autre aspect déjà abordé précédemment consiste en ce qu’il s’agit en l’espèce d’informations particulièrement protégées dans certains États membres, qui relèvent respectivement de réglementations spécifiques en matière de confidentialité des données fiscales. Les informations données sont certes également soumises à l’obligation de confidentialité dans l’État destinataire et à la protection qu’il prévoit pour les informations de ce type. Toutefois, le règlement élargit le cercle des bénéficiaires de l’accès et empiète ainsi clairement sur les réglementations nationales relatives au traitement des données fiscales.

68.   Outre l’échange d’informations sur demande, le règlement prévoit également, à l’article 17, la possibilité d’échange automatique ou d’échange automatique structuré des informations. Toutefois, les États membres décident eux-mêmes, conformément à l’article 18 du règlement, dans quelle mesure ils participeront à cet échange. Le fait que des possibilités de choix soient ici données aux États membres ne modifie cependant en rien l’objet du règlement, à savoir l’échange de données fiscales. Si un État membre adhère au système, il révèle en effet des informations de l’administration fiscale qui sont nécessaires dans un autre État membre aux fins de l’imposition. La différence avec la procédure d’information visée à l’article 5 consiste uniquement en ce que, dans le cadre du réseau d’informations prévu à l’article 17, la transmission des informations a lieu de manière automatique, même sans demande concrète.

69.   L’article 22 du règlement oblige les États membres à mettre en place et à maintenir une base de données centrale contenant de nombreuses informations pertinentes pour la perception de la TVA. L’existence de la base de données est certes, d’une part, la condition pour l’échange d’informations par voie électronique en vertu de l’article 23 du règlement. Toutefois, l’article 22 constitue, d’autre part, également une directive structurelle pour les administrations fiscales nationales, dont la portée va au-delà de la simple coopération administrative.

70.   En outre, la possibilité d’accéder aux informations de la base de données électronique prévue à l’article 23 permet également la transmission d’informations qui peuvent avoir une importance considérable en tant que point de départ pour l’imposition. Ainsi, les numéros d’identification TVA attribués par l’État membre requis et la valeur totale de toutes les livraisons intracommunautaires qui ont été faites aux personnes concernées peuvent être directement consultés ou doivent tout au moins être communiqués automatiquement et sans délai. En outre, en application de l’article 24 du règlement et dans les conditions indiquées dans cette disposition, quelques autres informations peuvent directement être consultées ou doivent être communiquées automatiquement et sans délai par voie électronique. Cette mesure est complétée par l’article 27 du règlement, qui cite d’autres données devant être stockées et transmises à d’autres autorités, notamment le nom et l’adresse de la personne à qui le numéro a été attribué.

71.   Outre cet échange d’informations, qui peuvent constituer le fondement de l’imposition, et les effets en découlant quant à la confidentialité en matière fiscale dans les États membres, le règlement a une autre incidence grave sur l’autonomie des administrations fiscales nationales.

72.   Selon l’article 11 du règlement, les fonctionnaires de l’administration demandant les informations sont autorisés, en accord avec l’autorité requise, à être présents dans les bureaux des services administratifs de l’État membre dans lequel l’autorité requise est établie (article 11, paragraphe 1). Ils peuvent également être présents durant les enquêtes administratives (article 11, paragraphe 2).

73.   Cette ouverture des autorités administratives constitue une modification notable de la coopération en matière fiscale. La directive 77/799 avait certes déjà créé la possibilité pour les États membres de conclure des accords visant à autoriser la présence d’agents de l’État intéressé dans l’État fournissant les informations. Comme la Commission l’a indiqué dans sa proposition de règlement relatif à la coopération administrative dans le domaine de la TVA, la grande majorité des États membres n’avaient pas prévu cette possibilité dans leur législation nationale. Dans la pratique, la grande majorité des États membres n’avaient autorisé la présence de fonctionnaires étrangers durant les contrôles qu’avec le consentement de l’assujetti (26). Certains États membres avaient même interdit formellement qu’un fonctionnaire d’un autre État membre participe à une enquête sur leur territoire, invoquant des problèmes juridiques (27). Cela montre clairement que la possibilité d’accéder aux autorités fiscales d’autres États membres empiète fortement sur l’organisation des administrations fiscales nationales.

74.   Ce point doit également être pris en considération dans l’examen du règlement attaqué relativement à la notion de «dispositions fiscales». Dans l’affaire Commission/Conseil, la Cour s’est expressément fondée sur le fait que, dans certains États membres, les dispositions relatives aux modalités de paiement et de recouvrement des impôts sont considérées comme constituant des «dispositions fiscales» (28). Une telle prise en considération de la pratique tient compte du rôle des États membres en tant que maîtres des traités. Si les États membres prévoient une procédure particulière en matière fiscale ainsi que des règles de confidentialité spécifiques pour les mesures fiscales et qu’ils les considèrent comme constituant des dispositions fiscales, cela veut dire que les règles communautaires procédurales qui modifient fondamentalement ce domaine sont également des dispositions fiscales au sens du traité.

75.   La divulgation d’informations et l’ouverture des autorités fiscales ne sont toutefois qu’une face de la médaille, qui concerne l’État fournissant les informations. Le revers de la médaille, à savoir le fait que les informations obtenues grâce à la coopération peuvent constituer le fondement de l’imposition dans les États ayant reçu les informations, est plus significatif, du point de vue de la finalité du règlement. Le règlement vise justement à permettre un établissement correct de l’impôt et à fournir aux autorités fiscales les informations nécessaires à cet effet.

76.   Cela montre clairement que les questions procédurales visées dans le règlement n° 1798/2003 ne portent pas seulement de manière générale sur la coopération administrative transfrontalière, mais ont un lien spécifique avec les dispositions fiscales matérielles et ne sauraient être dissociées du système d’imposition.

77.   Il convient d’indiquer à titre complémentaire que le règlement reproduit aux articles 29 et 30 l’obligation, figurant déjà à l’article 26 quater, B, de la sixième directive TVA, pour les assujettis non établis fournissant des services électroniques à des personnes non assujetties de transmettre certaines données, notamment la déclaration fiscale trimestrielle, par voie électronique. Il réglemente directement après la procédure de détermination des modalités techniques ainsi que la transmission aux autres États membres. Le règlement a donc lui-même directement pour objet des actes déterminants pour l’imposition. Le fait que la matière soit déjà en partie contenue dans la sixième directive TVA est dénué d’importance à cet égard, car la base d’habilitation d’un acte juridique doit en principe être déterminée indépendamment des règles parallèles. En outre, le règlement élève, par rapport à la directive, les dispositions à une nouvelle qualité juridique, car il est directement applicable et impose donc des obligations aux particuliers indépendamment d’actes de transposition nationaux.

78.   Le règlement n° 1798/2003 contient par conséquent des dispositions en matière d’impôts indirects au sens de l’article 93 CE.

C –    Les dispositions de la directive 2003/93

79.   Outre une extension du champ d’application de la directive 77/799 aux taxes sur les primes d’assurance, la directive 2003/93 introduit une petite modification de la règle en matière de confidentialité contenue dans la première directive: l’article 1er, point 3, de la directive attaquée contient une nouvelle version de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 77/799. Aux termes de cette disposition, les informations obtenues par les États membres peuvent aussi être utilisées pour établir des prélèvements, droits et taxes relevant de l’article 2 de la directive concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane (29).

80.   Le contenu de la directive attaquée consistant avant tout à déclarer que les dispositions de la directive 77/799 sont également applicables aux taxes sur les primes d’assurance, les dispositions de la directive 77/799 doivent être examinées aux fins de déterminer la base d’habilitation correcte.

81.   Il est vrai qu’aucun recours n’a été formé à l’époque contre la directive 77/799. Les délais à cet effet ont d’ailleurs expiré depuis longtemps. La directive 2003/93 étendant le champ d’application de la directive 77/799, elle constitue cependant à son tour un acte susceptible de faire l’objet d’un recours séparé, dont la légalité doit être appréciée à l’aune de l’ensemble des règles dont le champ d’application a été élargi.

82.   Selon l’article 1er de la directive 77/799, les États membres échangent toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct des impôts relevant du champ d’application de la directive. L’article 2 de la directive 77/799 décrit plus précisément la procédure d’information sur demande. L’article 3 prévoit une procédure d’échange automatique des informations visées à l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 4 réglemente la procédure d’échange spontané d’informations dans les cas y étant décrits.

83.   De manière analogue au règlement, il existe une obligation de communication des informations. La transmission ne peut être refusée que pour les raisons citées à l’article 8 de la directive 77/799, à savoir lorsque la législation ou la pratique administrative de l’État membre devant fournir les informations n’autorisent pas l’autorité compétente à recueillir ou à utiliser ces informations pour ses propres besoins fiscaux (article 8, paragraphe 1), lorsque la transmission des informations conduirait à la divulgation de secrets plus précisément spécifiés ou lorsque la divulgation des informations en cause serait contraire à l’ordre public (article 8, paragraphe 2) ou lorsque l’État intéressé n’est pas en mesure de fournir une transmission d’informations équivalentes pour des raisons de fait ou de droit (article 8, paragraphe 3).

84.   La directive a donc un contenu parallèle à celui du règlement n° 1798/2003. Il existe par conséquent une obligation d’échange d’informations qui peuvent constituer le fondement de l’imposition.

85.   Les dispositions de la directive 77/799 ne vont certes, sur certains points, pas aussi loin que le règlement examiné précédemment; notamment, la collaboration d’agents de l’État membre demandant les informations est laissée à l’appréciation des États membres (article 6). Toutefois, dans le domaine de la communication d’informations, tout comme pour le règlement n° 1798/2003, sont réglementés, d’une part, la divulgation d’informations en matière fiscale et, d’autre part, le fondement pour un établissement correct de l’imposition.

86.   La directive 2003/93 transpose ce régime aux taxes sur les primes d’assurance. Tout comme dans le règlement n° 1798/2003, la matière réglementée par la directive attaquée est donc si étroitement liée à l’établissement de l’impôt qu’elle montre un lien spécifique avec le droit fiscal matériel et contient, par conséquent, aussi des dispositions en matière d’impôts indirects.

D –    Conclusion

87.   En conclusion, les deux actes juridiques attaqués contiennent des dispositions fiscales. Le règlement n° 1798/2003 concernant la TVA, il a été fondé à juste titre sur l’article 93 CE. La directive 2003/93 porte sur une taxe sur les primes d’assurance et doit donc être fondée sur l’article 93 CE. Étant donné qu’elle modifie en outre l’ensemble de la directive 77/799, ce qui touche aussi les impôts directs cités dans cette dernière, l’article 94 CE pouvait également être invoqué en tant que base juridique. Les réglementations ont donc été fondées sur les bases juridiques correctes.

88.   Par conséquent, le recours de la Commission est non fondé et il convient de le rejeter.

VI – Sur les dépens

89.   Conformément à l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé et le Conseil ayant fait une demande en ce sens, la Commission doit être condamnée aux dépens. Selon l’article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige doivent supporter leurs propres dépens.

VII – Conclusion

90.   Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons qu’il plaise à la Cour:

1)      rejeter le recours;

2)      condamner la Commission des Communautés européennes aux dépens de la procédure;

3)      déclarer que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la République portugaise et l’Irlande supportent leurs propres dépens.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – JO L 264, p. 1.


3 – JO L 264, p. 23.


4 – Directive du Conseil, du 19 décembre 1977 (JO L 336, p. 15).


5 – Directive 79/1070/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, modifiant la directive 77/799 (JO L 331, p. 8).


6 – Directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1).


7 – Règlement du Conseil, du 27 janvier 1992, concernant la coopération administrative dans le domaine des impôts indirects (TVA) (JO L 24, p. 1).


8 – La Commission avait également fondé la proposition pour ce règlement sur l’article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE), mais ne s’était pas opposée au changement de base juridique par le Conseil.


9 – Règlement du Conseil, du 7 mai 2002, modifiant à titre temporaire le règlement n° 218/92 en ce qui concerne de nouvelles mesures relatives au commerce électronique (JO L 128, p. 1). La Commission ainsi que le Parlement avaient introduit un recours en annulation contre ce règlement, car il était, selon eux, fondé sur une base juridique erronée [affaires Commission/Conseil (C-272/02) et Parlement/Conseil (C-273/02)]. Le règlement ayant été remplacé par le règlement n° 1798/2003 en cause en l’espèce, les deux recours avaient été retirés.


10 – COM (2001) 294 final – 2001/0133 (COD) (JO C 270 E, p. 87).


11 – COM (2001) 294 final – 2001/0134 (COD) (JO C 270 E, p. 96).


12 – Sixième directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


13 – Cette disposition prévoit que la déclaration fiscale dans laquelle figurent les éléments relatifs aux services fournis électroniquement est présentée par voie électronique. Son contenu est donc le même que celui de l’article 26 quater, B, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive TVA; voir ci-dessus, point 23.


14 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31).


15 – Voir, entres autres, arrêts du 11 juin 1991, Commission/Conseil (C-300/89, Rec. p. I-2867, point 10); du 4 avril 2000, Commission/Conseil (C-269/97, Rec. p. I-2257, point 43), et du 11 septembre 2003, Commission/Conseil (C-211/01, Rec. p. I-8913, point 38).


16 – Voir premier à troisième considérants, reproduits ci-dessus au point 8.


17 – Réglementé dans la directive 77/799.


18 – Voir troisième considérant, reproduit ci-dessus au point 28.


19 – Voir conclusions de l’avocat général Alber présentées le 9 septembre 2003 dans l’affaire Commission/Conseil (arrêt du 29 avril 2004, C-338/01, Rec. p. I-4829), points 46 et suiv.


20 – Arrêt du 29 avril 2004, Commission/Conseil (précité dans la note 19, point 60).


21 – Ibidem, point 58.


22 – Ibidem, point 63.


23 – Ibidem, points 64 et 65.


24 – Ibidem, point 67.


25 – Ibidem, point 66.


26 – COM (2001) 294 final – 2001/0133 (COD); 2001/0134 (COD), point 4.2.5, p. 9.


27 – Ibidem.


28 – Arrêt du 29 avril 2004, précité dans la note 20, point 64.


29 – Directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976 (JO L 73, p. 18).