Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 16 juin 2005 1(1)

Affaire C-200/04

Finanzamt Heidelberg

contre

iSt internationale Sprach- und Studienreisen GmbH

[demande de décision préjudicielle présentée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«TVA – Régime particulier des agences de voyages – Organisation de voyages d’étude internationaux»





1.     Par la présente demande de décision préjudicielle, le Bundesfinanzhof (Allemagne) pose à la Cour la question de savoir si le régime particulier des agences de voyages prévu à l’article 26 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2) inclut les opérations d’organisateurs de programmes d’étude, en particulier d’étude de langues, à l’étranger.

I –    Faits du litige principal, dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national, et question soumise à la Cour

2.     La société iSt internationale Sprach- und Studienreisen GmbH (ci-après la «demanderesse» ou l’«iSt») est une société à responsabilité limitée qui organise des voyages internationaux d’étude et d’apprentissage de langues, et propose, notamment, des programmes intitulés «High School» et «College».

3.     Les programmes «High School» s’adressent à des élèves âgés de 15 à 18 ans qui souhaitent fréquenter une High-School, ou un établissement scolaire assimilé, à l’étranger – généralement dans un pays anglophone – pour une période de trois, cinq ou dix mois. Les candidats à un tel programme adressent un formulaire de candidature à la demanderesse qui, après un entretien, statue sur l’admission de la candidature.

4.     La demanderesse s’engage à procurer aux participants une place dans l’établissement scolaire choisi, où ils se voient désigner un mentor (un professeur de confiance) qui leur fournit conseils et soutien. Pendant la durée du séjour, les élèves participants sont reçus dans des familles d’accueil. Le choix de familles d’accueil adéquates intervient avec la collaboration d’une organisation locale associée à la demanderesse. Une personne désignée par cette organisation se tient à la disposition de l’élève et sert également d’interlocuteur dans la localité tant de l’établissement scolaire que de la résidence de la famille d’accueil. C’est également par l’intermédiaire de l’organisation locale partenaire que l’élève peut participer à un circuit en autobus ou en avion pour visiter des sites connus durant son séjour dans le pays d’accueil.

5.     Le prix global d’un programme «High School» aux États-Unis, par exemple, comprenait le vol aller pour les États-Unis à partir de Francfort-sur-le-Main et le vol retour, avec un guide, les liaisons aériennes à l’intérieur de l’Allemagne, les liaisons aériennes aller à l’intérieur des États-Unis jusqu’au lieu de destination et retour, l’hébergement et la nourriture fournis par la famille d’accueil, les cours à la High-School, l’assistance fournie par l’organisation associée et par ses collaborateurs locaux au cours du séjour, les réunions préparatoires, le matériel de préparation et l’assurance annulation du voyage. Le prix global ne comprenait en revanche pas l’argent de poche, l’assurance maladie, l’assurance responsabilité civile et l’assurance accident, la taxe pour le visa d’entrée aux États-Unis, et la participation à un séminaire de préparation.

6.     Quant aux programmes «College», ils s’adressent à des élèves ayant achevé l’enseignement secondaire. L’organisation partenaire locale garantit aux participants une place dans un College, en veillant à leur admission au College pour un à trois trimestres. L’organisation partenaire est également chargée de verser les frais de scolarité au College sur les fonds qu’elle reçoit de la demanderesse en rétribution des services. Dans le programme «College», les participants sont logés et nourris dans l’établissement d’enseignement même. Le vol aller et retour obéit également à des règles différentes de celles qui s’appliquent au programme «High School». Le participant réserve lui-même les vols.

7.     Le Finanzamt Heidelberg (ci-après le «Finanzamt») a tout d’abord considéré les opérations de la demanderesse comme des prestations de voyage relevant de l’article 25 de l’Umsatzsteuergesetz 1993 (loi allemande de 1993 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’«UStG») qui établit le régime de taxation des prestations de voyage. Mais, par la suite, au terme d’un contrôle, le Finanzamt a estimé qu’il ne s’agissait pas de prestations de voyage, mais bien plutôt de la fourniture d’autres prestations, exonérées au titre de l’article 4, paragraphe 23, de l’UStG.

8.     En vertu de cette dernière disposition, est exonérée de la TVA «la fourniture d’un hébergement, de nourriture et des prestations en nature habituelles par des personnes ou des institutions, lorsqu’elles accueillent chez elles, de manière prépondérante, des adolescents dans un objectif d’éducation, de formation ou de formation continue ou en vue de la garde de nourrissons, dans la mesure où les prestations sont fournies aux adolescents ou aux personnes assurant leur éducation, formation, formation continue ou garde […]».

9.     Quant à l’article 25 de l’UStG, il dispose, au sujet de la taxation des prestations de voyage:

«1) Les dispositions suivantes sont applicables aux prestations de voyage d’un entrepreneur, qui ne sont pas destinées à l’entreprise du preneur, dans la mesure où l’entrepreneur agit, ce faisant, en son propre nom à l’égard du preneur et qu’il utilise des prestations de voyage de tiers. La prestation fournie par l’entrepreneur doit être considérée comme une autre prestation. Si l’entrepreneur fournit à un preneur, dans le cadre d’un voyage, plusieurs prestations de ce type, celles-ci sont alors considérées comme une autre prestation unique. Le lieu de la fourniture d’une autre prestation est déterminé conformément à l’article 3a, paragraphe 1. Les prestations de voyage de tiers correspondent à des livraisons et autres prestations de tiers, qui profitent directement aux voyageurs.

2) L’autre prestation est exonérée, dans la mesure où les prestations de voyage de tiers y relatives sont exécutées sur le territoire d’un État tiers. [...]

3) La valeur de l’autre prestation correspond à la différence entre le montant payé par le preneur en vue de l’obtention de la prestation et le montant que l’entrepreneur paie pour les prestations de voyage de tiers. [...]

4) Par dérogation à l’article 15, paragraphe 1, l’entrepreneur n’est pas autorisé à déduire, au titre de la taxe en amont, le montant des taxe qui lui ont été facturés séparément pour les prestations de voyage de tiers. Pour le reste, l’article 15 n’est pas affecté. [...]»

10.   L’article 25 de l’UStG vise à transposer l’article 26 de la sixième directive, qui consacre le «régime particulier des agences de voyages» et dispose à cet effet:

«1. Les États membres appliquent la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations des agences de voyages conformément au présent article, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d’autres assujettis. Le présent article n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles l’article 11 sous A paragraphe 3 sous c) est applicable. Au sens du présent article, sont également considérés comme agences de voyages les organisateurs de circuits touristiques.

2. Les opérations effectuées par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de service unique de l’agence de voyages au voyageur. Celle-ci est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. Pour cette prestation de services est considérée comme base d’imposition et comme prix hors taxe, au sens de l’article 22 paragraphe 3 sous b), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total à payer par le voyageur hors taxe à la valeur ajoutée et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons et prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur.

3. Si les opérations pour lesquelles l’agence de voyages a recours à d’autres assujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de la Communauté, la prestation de services de l’agence est assimilée à une activité d’intermédiaire exonérée en vertu de l’article 15 point 14. Si ces opérations sont effectuées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Communauté, seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l’agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de la Communauté.

4. Les montants de la taxe sur la valeur ajoutée qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations visées au paragraphe 2 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun État membre.»

11.   L’article 13, sous A, paragraphe 1, de la sixième directive dispose pour sa part:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[…]

i)      l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné;

[…]»

12.   Le Finanzamt, ayant refusé d’imposer la marge aux termes de l’article 25 de l’UStG, et considéré les activités de la demanderesse comme des opérations exonérées au titre de l’article 4, point 23, de l’UStG, qui ne permet aucune déduction de la taxe payée en amont, a réduit les excédents de la TVA collectée en amont déclarés pour les années 1995 à 1997.

13.   La demanderesse a introduit un recours contre cette décision devant le Finanzgericht, qui a fait droit à ce recours. Le Finanzamt a fait appel du jugement rendu par le Finanzgericht devant le Bundesfinanzhof, lequel a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour la question suivante:

«Le régime particulier des agences de voyages, prévu à l’article 26 de la directive 77/388/CEE est-il également applicable aux opérations d’un organisateur de programmes dits ‘High-School’ et ‘College’ avec un séjour à l’étranger de trois à dix mois, que ledit organisateur propose en son propre nom et pour la réalisation desquels il utilise des prestations de services d’autres assujettis?»

II – Analyse

14.   L’article 26 de la sixième directive établit le régime particulier de TVA applicable aux agences de voyages et aux organisateurs de circuits touristiques, sur lequel la Cour a déjà été amenée à se prononcer, en particulier pour définir le champ d’application de ce régime et déterminer quels sont les opérateurs économiques qui y sont soumis (3).

15.   L’insertion de ce régime particulier de taxation dans la sixième directive est due au fait que les services fournis par les agences de voyages et les organisateurs de circuits touristiques sont généralement composés de multiples prestations (par exemple transport et hébergement), fournies aussi bien dans l’État membre où l’entreprise a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable que hors de cet État. Ainsi, l’application des règles normales relatives au lieu d’imposition, à la base d’imposition et à la déduction de la taxe payée en amont poserait des difficultés d’ordre pratique à ces entreprises, dont les activités seraient entravées, en raison tant de la multiplicité que de la localisation des prestations fournies (4).

16.   L’article 26 de la sixième directive vise, par conséquent, à adapter les règles applicables en matière de TVA au caractère spécifique de l’activité des agences de voyages (5). Il établit, à cet effet, un régime particulier d’imposition, qui permet une taxation adéquate des prestations de voyage, et qui ne constitue en aucune façon un régime d’exonération.

17.   C’est ainsi que, pour les observateurs non familiarisés avec le système commun de la TVA et, en particulier, moins attentifs aux subtilités du régime des déductions de la taxe, le cas d’espèce réserve, au départ, une surprise. C’est en effet, de manière inattendue, le gouvernement allemand qui, en accord avec le Finanzamt, soutient que l’activité de l’iSt doit être soumise au régime d’exonération de la TVA. L’assujetti rejette au contraire cette interprétation, estimant que les opérations qu’il réalise sont assujetties à la TVA aux termes de l’article 26.

18.   Je pense, pour les raisons que je développerai ci-après, que l’interprétation du gouvernement allemand est indéfendable, compte tenu, d’abord, de l’interprétation que la Cour a donnée de l’article 26, en particulier dans les arrêts précités Van Ginkel et Madgett et Baldwin.

19.   Il est constant que cet article 26, dès lors qu’il établit un régime particulier d’imposition différent du régime normal de la sixième directive, ne doit être appliqué que dans la mesure nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il vise (6).

20.   Or, dans l’affaire Van Ginkel, dans une interprétation fondée sur la ratio déjà exposée de l’article 26 (7), la Cour a estimé que la circonstance qu’une entreprise n’assure pas le transport du voyageur, mais se borne à lui fournir le logement, n’exclut pas les prestations fournies par cette entreprise du champ d’application de l’article 26 (8). Cette interprétation de l’article 26 répond, selon la Cour, aux objectifs poursuivis par cette disposition (9).

21.   C’est dans la même ligne d’interprétation que la Cour a expressément affirmé, dans l’affaire Madgett et Baldwin, précitée, que le régime particulier des agents de voyages ne peut se limiter aux seuls opérateurs ayant la qualification formelle d’«agents de voyages» ou d’«organisateurs de circuits touristiques». Elle a donc estimé que le régime en cause s’applique au propriétaire d’un hôtel qui, contre le paiement d’une somme déterminée, propose habituellement à ses clients, outre le logement, le transport aller et retour pour l’hôtel à partir de certains points de ramassage éloignés, ainsi que des excursions en autocar au cours du séjour à l’hôtel (10).

22.   Selon cette jurisprudence, tout assujetti qui vend des prestations de voyage en son propre nom, en utilisant à cet effet des fournitures et services d’autres assujettis, doit relever de l’article 26 de la sixième directive. Au contraire, lorsqu’un opérateur économique agit uniquement en qualité d’intermédiaire, ce régime particulier de l’article 26 n’est pas applicable, les services fournis devant être imposés conformément aux règles normales en matière de TVA applicables à la taxation des services fournis par des intermédiaires (11).

23.   Il importe, sans aucun doute, de savoir quel critère permet de déterminer si un opérateur économique qui fournit, en son nom propre, des services liés aux voyages, parallèlement à d’autres services qui ne constituent pas, au départ, des prestations de voyage, par exemple des services éducatifs, doit être considéré comme soumis au régime prévu à l’article 26 de la sixième directive.

24.   À cet effet, le critère décisif retenu dans l’arrêt Madgett et Baldwin, qui a expressément suivi l’orientation proposée par l’avocat général Léger dans les conclusions qu’il avait présentées dans cette affaire, réside dans la distinction entre prestations accessoires et prestations principales, ou prestations équivalentes à ces dernières, de l’opérateur (12).

25.   La Cour relève, en réalité, qu’il existe des opérateurs qui fournissent des services liés à des voyages, en utilisant à cet effet des prestations achetées à des tiers, mais que ces prestations ont un caractère simplement accessoire. À cet égard, l’avocat général Léger affirme expressément dans ses conclusions, sous un point auquel l’arrêt renvoie expressément (13), qu’une «prestation est accessoire lorsque, d’une part, elle concourt à la bonne exécution de la prestation principale et que, d’autre part, elle occupe une part marginale du montant du forfait, par rapport à la prestation principale. Elle ne constitue pas une fin pour la clientèle, ou un service recherché pour lui-même, mais le moyen de bénéficier du service principal dans de meilleures conditions» (14). Ainsi en sera-t-il, «par exemple, du transport que pourrait assurer localement un hôtel pour acheminer ses clients jusqu’à des destinations proches» (15).

26.   En revanche, ne seront pas accessoires les services liés aux voyages que les opérateurs fournissent aussi habituellement en leur nom propre en recourant à cet effet à des prestations acquises auprès de tiers, mais qui représentent un poids significatif dans le montant global dû par le voyageur, outre que, aux yeux de la clientèle, leur objet ne peut pas être considéré comme simplement accessoire (16).

27.   Suivant ce critère, la Cour a affirmé, dans son arrêt Madgett et Baldwin, que «dès lors qu’un hôtelier propose à ses clients de manière habituelle, outre l’hébergement, des prestations sortant des missions traditionnellement dévolues aux hôteliers et dont la réalisation ne peut être dénuée de répercussion sensible sur le forfait pratiqué, telles que le voyage jusqu’à l’hôtel à partir de points de ramassage éloignés, de telles prestations ne peuvent pas être assimilées à des prestations de services purement accessoires» (17). Par conséquent, l’article 26 de la sixième directive est applicable à une entreprise hôtelière qui, «contre le paiement d’un forfait, propose de manière habituelle à ses clients, outre l’hébergement, le transport aller-retour entre l’hôtel et certains points de ramassage éloignés et une excursion en autocar au cours du séjour, lesquels services de transport sont acquis auprès de tiers» (18).

28.   À la lumière de ce critère de qualification adopté dans l’arrêt Madgett et Baldwin, l’iSt doit être considérée comme une agence de voyages au sens de l’article 26 de la sixième directive. En effet, même en admettant que l’iSt fournisse effectivement des services éducatifs à ses clients, la prestation de voyage ne peut manquer d’avoir des «répercussions sensibles sur les prix pratiqués» dus par le client, selon le critère suivi dans l’arrêt Madgett et Baldwin. Dès lors, il est évident que le voyage proprement dit, comprenant le transport et le séjour organisé dans le pays de destination, ne pourra pas être considéré par la clientèle comme une prestation accessoire, représentant une part simplement marginale par rapport à la prestation éducative que l’iSt fournirait également à ses clients.

29.   Il convient cependant de relever que les doutes de la juridiction de renvoi quant à l’applicabilité de l’article 26 au cas d’espèce découlent, pour l’essentiel, de la jurisprudence de la Cour de justice sur les programmes d’échange scolaire dans le cadre de la directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (19). La question qui se pose est donc celle de savoir si la définition, dans les termes déjà exposés, des activités assujetties au régime de l’article 26 de la sixième directive doit subir une modification à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour dans cet autre domaine parallèle, en particulier l’arrêt AFS Intercultural Programs Finland (20).

30.   Dans cet arrêt, la Cour a jugé que des voyages consistant en des échanges scolaires d’une durée d’un semestre ou d’une année environ, ayant pour objet la fréquentation par l’élève d’un établissement scolaire dans un pays hôte afin qu’il se familiarise avec son peuple et sa culture, et pendant lesquels l’élève séjourne dans une famille d’accueil bénévole, comme s’il en faisait partie, ne constituent pas des voyages organisés au sens de la directive 90/314 (21).

31.   Il est évident que cette jurisprudence ne présente aucune utilité pour répondre à la question centrale en l’espèce, qui est simplement, comme je l’ai déjà souligné, de savoir si, dans le cadre de l’activité de l’iSt, la fourniture de prestations de voyage revêt un caractère purement accessoire par rapport aux autres prestations qu’elle fournit.

32.   À cela s’ajoute, subsidiairement, que l’article 26 vise à atteindre des objectifs très différents de ceux qui guident la directive 90/314, en particulier celui d’éviter que le système commun de la TVA n’entrave l’exercice des activités des agences de voyages.

33.   Il n’est, par conséquent, pas justifié de donner de l’article 26 une interprétation restrictive telle qu’il ne s’appliquerait qu’aux opérateurs économiques qui fournissent en leur propre nom des «voyages» selon l’acception de la directive 90/314 (22). Je relève, à cet égard, qu’une telle interprétation de l’article 26 serait incompatible avec l’arrêt Van Ginkel, précité, dans lequel la Cour a jugé que l’article 26 est applicable même lorsque l’opérateur n’offre pas même un service de voyage proprement dit – c’est-à-dire incluant le transport des clients –, mais fournit seulement le logement (23).

34.   De même est, à mon sens, dépourvu de pertinence, aux fins de la qualification de la demanderesse comme agent de voyages au sens de l’article 26, l’argument pris de la finalité et de la durée des voyages que l’opérateur organise et propose en son propre nom en recourant à cet effet à des prestations fournies par des tiers. La circonstance que l’objectif du séjour à l’étranger est en définitive, comme dans le cas d’espèce, l’étude, en l’occurrence de la langue anglaise, ne doit pas influer sur la qualification de l’iSt comme agent de voyages au sens de l’article 26. Tel n’est pas l’avis du gouvernement allemand, pour lequel l’iSt exerce une activité sui generis qui ne doit pas relever du domaine d’application de l’article 26, en raison de sa finalité éducative et de la durée des voyages qu’elle propose à ses clients.

35.   Distinguer les opérateurs économiques qui organisent des voyages et sont soumis au régime de l’article 26 des autres, auxquels ce régime ne s’applique pas, en fonction de la finalité et de la durée des voyages, me paraît manifestement exclu. Il existe, à côté des voyages de loisirs purs, une variété considérable de voyages, suivant leurs objectifs. Il suffit d’imaginer à cet égard, outre les voyages pour l’apprentissage de la langue et de la culture locales, les voyages organisés pour des stages de pratique sportive, de cure thermale ou anti-stress, des cours de cuisine et d’œnologie, ou pour se joindre à un ensemble musical durant une période plus ou moins longue en vue d’interpréter un certain répertoire. Si la durée et les objectifs des voyages et séjours organisés à l’étranger étaient décisifs, on introduirait une dose considérable d’incertitude quant à la détermination de la portée de la notion d’agence de voyages au sens de l’article 26 de la sixième directive.

36.   Un tel critère serait, non seulement complètement étranger à la lettre de l’article 26 (qui ne fait aucune référence à la durée et à la finalité des voyages), mais aussi incompatible avec les objectifs visés par le régime particulier qui y est établi. Enfin, il n’est pas facile de concilier la prise en considération de la finalité et de la durée du voyage avec l’idée de simplification qui préside à l’adoption du régime de l’article 26. Bien au contraire, si l’on considère les objectifs de simplification qu’impose la multiplicité des lieux où les agences de voyages exercent leur activité, qui justifient l’adoption du régime d’imposition de la marge prévu à l’article 26, ils sont précisément préservés en l’espèce si l’iSt est considérée comme assujettie au régime de cet article 26 (24).

37.   Une délimitation de la portée de la notion d’agence de voyages au sens de l’article 26 qui se fonderait sur la finalité des prestations de voyage fournies serait, en tout état de cause, incompatible avec une analyse fondée sur des critères objectifs, qui s’imposent clairement dans le cadre d’un impôt ayant un caractère éminemment objectif comme c’est le cas de la TVA (25).

38.   Ce n’est qu’au moyen d’une interprétation autonome et non restrictive de la notion d’agence de voyages, fondée sur un critère objectif tel que celui que la Cour a explicitement consacré dans son arrêt Madgett et Baldwin, qui ne repose pas sur la prise en considération des finalités des voyages et de leur durée, que l’on pourra éviter des distorsions de concurrence entre opérateurs, et garantir une application uniforme de la sixième directive (26).

39.   Je rappellerai, pour finir, que l’article 26 établit une imposition adéquate des prestations de voyage. Il s’agit d’un régime particulier par rapport au régime normal d’imposition, et non pas d’un régime d’exonération de la TVA.

40.   Par conséquent, l’interprétation proposée par le gouvernement allemand, tendant à ce que l’activité de l’iSt soit intégrée dans le cadre des prestations exonérées au titre de l’article 13, sous A, paragraphe 1, sous i), de la sixième directive, est incompatible avec la jurisprudence constante de la Cour relative à l’interprétation des dispositions de la sixième directive qui instaurent des exonérations.

41.   L’iSt est, en réalité, une société commerciale, et elle semble n’être en aucune manière un «organisme de droit public» ou qui jouisse d’un statut analogue aux termes de l’article 13, sous A, paragraphe 1, sous i), de la sixième directive. Si elle devait bénéficier de ce régime d’exonération, cela impliquerait, par conséquent, une interprétation de ce régime qui serait, dès le départ, incompatible avec la jurisprudence de la Cour selon laquelle «les termes employés pour désigner les exonérations visées par l’article 13 de la sixième directive sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la taxe sur le chiffre d’affaires est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti» (27).

III – Conclusion

42.   À la lumière des considérations exposées, je propose que la Cour réponde dans les termes suivants à la question posée par le Bundesfinanzhof:

«L’article 26 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme doit être interprété en ce sens qu’il s’applique également aux opérations d’un organisateur de programmes intitulés ‘High-School’ et ‘College’, incluant un séjour à l’étranger de trois à dix mois, que ledit organisateur propose en son propre nom et pour la réalisation desquels il utilise des prestations de services d’autres assujettis.»


1 – Langue originale: le portugais.


2 – JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive».


3 – Voir, en particulier, arrêts du 12 novembre 1992, Van Ginkel (C-163/91, Rec. p. I-723), et du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin (C-308/96 et C-94/97, Rec. p. I-6229).


4 – Arrêts Van Ginkel, précité (note 3), points 13 et 14; Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 18, et du 19 juin 2003, First Choice Holidays (C-149/01, Rec. p. I-6289, points 23 et 24).


5 – Arrêts Van Ginkel, précité (note 3), points 15 et 23; Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 18, et First Choice Holidays, précité (note 4), point 23.


6 – First Choice Holidays, précité (note 4), point 22, et Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 34.


7 – Voir ci-dessus, points 15 et 16.


8 – Arrêt Van Ginkel, précité (note 3), point 27.


9 – Aux termes de l’arrêt Van Ginkel, précité (note 3), point 23, «[l]’exclusion du champ d’application de l’article 26 de la sixième directive des prestations fournies par une agence de voyages au motif qu’elles comprendraient le seul logement et non pas le transport du voyageur conduirait à un régime fiscal complexe, dans lequel les règles applicables en matière de TVA dépendraient des éléments constitutifs des prestations offertes à chaque voyageur. Un tel régime fiscal méconnaîtrait les objectifs de la directive».


10 – Aux termes de l’arrêt Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 20, «il convient de constater que les raisons sous-jacentes au régime particulier applicable aux agences de voyages et aux organisateurs de circuits touristiques sont également valables dans l’hypothèse où l’opérateur économique n’est pas une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques au sens généralement donné à ces termes, mais effectue des opérations identiques dans le cadre d’une autre activité, telle que l’activité hôtelière».


11 – Voir également, en ce sens, l’exposé des motifs de la Commission dans la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime particulier des agences de voyages [COM(2002) 64 final, JO 2002, C 126 E, p. 390]. Cette idée est clairement réaffirmée dans la nouvelle proposition de directive présentée par la Commission le 8 février 2002. La Commission propose que, à l’actuel article 26, où il est établi que «sont également considérés comme agences de voyages les organisateurs de circuits touristiques», soit ajouté: «et tout autre assujetti qui preste des services de voyages dans les conditions précitées».


12 – Voir conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Madgett et Baldwin, précitée (note 3), points 34 à 38.


13 – Arrêt Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 24.


14 – Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Madgett et Baldwin, précitée (note 3), point 36.


15 – Ibidem, point 37.


16 – Ibidem, point 38.


17 – Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 26; c’est moi qui souligne.


18 – Ibidem, point 27.


19 – JO L 158, p. 59.


20 – Arrêt du 11 février 1999 (C-237/97, Rec. p. I-825).


21 – Ibidem, point 34 et dispositif.


22 – Je ne pense pas, en tout état de cause, qu’il soit possible de tirer de l’arrêt AFS Intercultural Programs Finland la conclusion que l’iSt doit être considérée comme n’effectuant pas des opérations de voyages au sens de la directive 90/314. Comme la demanderesse le souligne à juste titre dans ses observations écrites, l’iSt n’est pas, contrairement à l’association visée dans l’arrêt AFS Intercultural Programs Finland, une association à but non lucratif.


23 – Voir ci-dessus, point 24.


24 – Selon l’ordonnance de renvoi, l’iSt organise des voyages qu’elle propose à ses clients en son propre nom, comprenant le transport jusqu’à destination, l’accueil dans les établissements d’enseignement et dans les familles. L’iSt n’agit pas comme intermédiaire des compagnies aériennes ou de l’organisation partenaire dans le pays de destination et il existe, par ailleurs, une multiplicité de lieux où s’effectuent les opérations pertinentes, ce qui, à la lumière de la ratio qui sous-tend l’article 26, justifie pleinement son application.


25 – L’un des principes directeurs du système de la TVA est celui de l’élimination de facteurs susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence aux niveaux national et communautaire. Or, comme l’avocat général Léger le mentionne précisément au point 32 de ses conclusions dans l’affaire Madgett et Baldwin, précitée (note 3), auquel l’arrêt renvoie expressément sous son point 22, «[c]es distorsions de concurrence peuvent être évitées par une lecture de l’article 26 qui englobe des activités comparables selon des critères objectifs et non en fonction du classement prédéterminé d’un opérateur économique dans une catégorie professionnelle, alors même qu’il consacrerait une part importante de son activité à dispenser des services relevant d’une autre catégorie»; c’est moi qui souligne.


26 – Voir, à cet égard, arrêt Madgett et Baldwin, précité (note 3), point 22, et conclusions de l’avocat général Léger dans ladite affaire, point 32.


27 – Arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties (348/87, Rec. p. 1737, point 13); du 5 juin 1997, SDC (C-2/95, Rec. p. I-3017, point 20), et, récemment, du 3 mars 2005, Arthur Andersen (C-472/03, non encore publié au Recueil, point 24).