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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 11 janvier 2007 (1)

Affaire C-409/04

Teleos e.a.

contre

Commissioners of Customs and Excise

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni)]

«Sixième directive TVA – Articles 28 bis, paragraphes 1, sous a), et 3 ainsi que 28 quater, A, sous a) – Acquisition intracommunautaire – Livraison intracommunautaire – Exonération – Biens expédiés ou transportés dans un autre État membre – Exigences en matière de preuve – Irrégularités lors de l’expédition ou du transport qui ne sont pas imputables au fournisseur»





I –    Introduction

1.        En l’espèce, il est demandé à la Cour de répondre à un certain nombre de questions portant sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil (2), dans le contexte de l’exonération des livraisons intracommunautaires. Ces questions sont étroitement liées à celles posées dans les affaires Collée (C-146/05) et Twoh International (C-184/05), pendantes devant la Cour, dans lesquelles nous présentons également nos conclusions en ce jour.

2.        Les demanderesses au principal, établies au Royaume-Uni, Teleos plc et treize autres entreprises (3) (ci-après «Teleos e.a.»), ont vendu des téléphones portables à une entreprise espagnole. L’acquéreur devait exporter les marchandises depuis le Royaume-Uni vers d’autres États membres. Comme cela est apparu ultérieurement, des irrégularités se sont produites, sans toutefois que Teleos e.a. y aient participé. L’administration fiscale anglaise a toutefois refusé d’exonérer leurs livraisons.

3.        La juridiction de renvoi voudrait, d’une part, savoir quand l’acquisition intracommunautaire ou la livraison intracommunautaire sont achevées et quand naît un droit à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») à l’intérieur du pays. Il conviendrait, en particulier, d’élucider la question de savoir s’il faut, à cet effet, que les biens soient effectivement transférés au-delà de la frontière. Se pose, d’autre part, la question de savoir si l’exonération peut être refusée au fournisseur lorsque, ultérieurement, la preuve du transfert au-delà de la frontière fournie par l’acquéreur s’avère fausse sans que le fournisseur ait pu ou dû pouvoir connaître cette irrégularité.

4.        Aux fins de l’interprétation de la sixième directive en l’espèce, il convient de concilier deux finalités. D’une part, la sixième directive entend enrayer la fraude à la TVA. Or, il convient de reconnaître le caractère particulièrement sensible, à cet égard, du traitement, dans le cadre de la TVA, des opérations transfrontalières portant sur des biens de grande valeur aisément transportables. D’autre part, on ne peut pas imposer aux entreprises qui effectuent correctement et avec diligence des échanges transfrontaliers des risques ou des charges trop importants, au risque de compliquer démesurément les échanges intracommunautaires. La question posée finalement consiste à savoir qui doit supporter le risque lié à des agissements frauduleux d’un tiers: son partenaire commercial de bonne foi ou l’État membre.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

5.        La directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (4) insère dans la sixième directive un nouveau titre XVI bis, intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres», sous lequel figurent les articles 28 bis à 28 quaterdecies. Ces dispositions demeurent, comme auparavant, les dispositions pertinentes attendu que, à ce jour, il n’existe aucune réglementation fiscale communautaire définitive en matière de transfert de biens entre entreprises dans le cadre des échanges entre les États membres.

6.        L’article 28 bis de la sixième directive dispose, notamment:

«1.       Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 et qui ne relève pas des dispositions prévues à l’article 8 paragraphe 1 point a) deuxième phrase ou à l’article 28 ter titre B paragraphe 1.

[…]

3. Est considérée comme ‘acquisition intracommunautaire’ d’un bien, l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.»

7.        Le fait générateur de la TVA a été défini à l’article 28 quinquies, paragraphe 1, de la sixième directive dans les termes suivants:

«Le fait générateur de la taxe intervient au moment où l’acquisition intracommunautaire de biens est effectuée. L’acquisition intracommunautaire de biens est considérée comme effectuée au moment où la livraison à l’intérieur du pays de biens similaires est considérée comme effectuée.»

8.        L’article 28 ter, A, de la sixième directive détermine le lieu des acquisitions intracommunautaires de biens dans les termes suivants:

«1. Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

2. Sans préjudice du paragraphe 1, le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens visée à l’article 28 bis paragraphe 1 point a) est, toutefois, réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition, dans la mesure où l’acquéreur n’établit pas que cette acquisition a été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1.

[…]»

9.        Conformément à l’article 28 quater, A, de la sixième directive, les livraisons intracommunautaires entre deux États membres sont exonérées de la TVA. Cet article dispose, notamment:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)      les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

[…]»

B –    Le droit national

10.      L’article 30, paragraphe 8, de la loi de 1994 relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Act 1994, ci-après la «loi de 1994») est libellé comme suit:

«Des règlements peuvent prévoir l’application d’un taux zéro à certaines livraisons de biens ou aux livraisons de biens spécifiées dans les Regulations lorsque:

a)      les Commissioners ont la conviction que les biens ont été ou doivent être exportés vers un lieu situé en dehors du territoire des États membres ou que la livraison en question implique à la fois:

i)      le transport des biens en dehors du territoire du Royaume-Uni, et

ii)      leur acquisition dans un autre État membre par une personne assujettie à la TVA sur cette acquisition en vertu des dispositions de la législation de l’État membre correspondant, en ce qui concerne cet État membre, aux dispositions de l’article 10, et

b)      le cas échéant, lorsque toute autre condition pouvant être prévue dans les règlements ou imposée par les Commissioners est remplie.»

11.      Dans le cadre de la mise en œuvre de cette habilitation, l’article 134 du règlement de 1995 sur la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Regulations 1995), prévoit les modalités de l’exonération des livraisons intracommunautaires. D’autres modalités sont énoncées dans les circulaires nos 725 et 703, qui, selon l’article 30, paragraphe 8 de la loi de 1994 et l’annexe 7, paragraphe 4, ont partiellement force de loi. Comme l’expose la juridiction de renvoi, selon toutes ces dispositions, il n’y a de droit à l’exonération de la livraison intracommunautaire avec droit à la déduction de la TVA en amont (taux zéro) que lorsque les biens ont effectivement quitté le territoire du Royaume-Uni.

III – Les faits au principal et les questions préjudicielles

12.      En 2002, Teleos e.a. ont vendu des téléphones portables à une société espagnole, Total Telecom España SA/Ercosys Mobil SA (ci-après «TT»). Selon les contrats de vente, le lieu de destination des marchandises était situé, en général, en France ou, dans certains cas, en Espagne. La livraison s’effectuait conformément à la clause «départ usine» (5). Selon cette clause, Teleos e.a. étaient tenues uniquement de livrer les biens dans l’entrepôt du commissionnaire de transport de TT, situé au Royaume-Uni. Le commissionnaire de transport était alors censé les remettre à un transporteur pour qu’ils soient ensuite acheminés dans les États membres de destination. Pour chaque transaction, TT adressait à Teleos e.a., par service de messagerie, l’exemplaire original timbré et signé, d’une lettre de voiture établie conformément aux prescriptions de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (ci-après la «lettre de voiture CMR») attestant que les téléphones portables étaient parvenus à la destination prévue. Pour la juridiction de renvoi, il n’existait, pour Teleos e.a., aucune raison de douter des indications des lettres de voiture CMR ou de leur authenticité.

13.      À la demande de Teleos e.a., les livraisons ont été exonérées de la TVA et ces entreprises ont eu droit au remboursement de la TVA payée en amont (taux zéro). Toutefois, lors de contrôles effectués quelques semaines après les dernières livraisons, les Commissioners of Customs & Excise (ci-après les «Commissioners») ont découvert que les lettres de voiture CMR contenaient de nombreuses fausses indications quant au lieu de destination, aux transporteurs et aux véhicules prétendument utilisés. Les Commissioners en ont conclu que les téléphones portables n’avaient jamais quitté le Royaume-Uni. La juridiction de renvoi formule la même appréciation. Les Commissioners ont alors constaté que Teleos e.a. étaient redevables de paiements a posteriori de la TVA s’élevant à plusieurs millions de GBP. Toutefois, ils reconnaissaient que Teleos e.a. n’étaient impliquées dans aucune fraude et ne savaient pas que les téléphones portables n’avaient pas quitté le Royaume-Uni.

14.      Selon les constatations de la juridiction de renvoi, TT avait introduit, en Espagne, des déclarations fiscales relatives à l’acquisition intracommunautaire de téléphones portables, avait fait valoir son droit au remboursement de la TVA acquittée en amont et avait déclaré une livraison ultérieure en tant que livraison intracommunautaire exonérée.

15.      Avant que Teleos e.a. se soient engagées dans des relations commerciales avec TT, elles s’étaient assurées de la fiabilité de cet acheteur en vérifiant son numéro d’enregistrement à la TVA en Espagne, son immatriculation au registre du commerce et sa solvabilité. Elles s’étaient aussi informées à propos du commissionnaire auquel TT avait recours.

16.       Par son ordonnance rendue le 7 mai 2004 (et parvenue à la Cour de justice le 24 septembre 2004), la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), saisie du recours contre les décisions des Commissioners portant mise en recouvrement de la TVA, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Dans les circonstances pertinentes [de l’affaire au principal], le terme ‘expédié’ figurant à l’article 28 bis, paragraphe 3 (acquisition intracommunautaire d’un bien), [de la sixième directive] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a acquisition intracommunautaire lorsque:

a)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire est transféré à l’acquéreur et que les biens livrés sont mis à la disposition de l’acquéreur (qui est enregistré aux fins de la TVA dans un autre État membre) par le fournisseur en vertu d’un contrat de vente ‘départ usine’ par lequel l’acquéreur s’engage à transporter les biens vers un État membre différent de celui de la livraison, à partir d’un entrepôt sécurisé situé dans l’État membre du fournisseur, et lorsque les documents contractuels ou les autres pièces justificatives indiquent que l’intention des parties est que les biens soient ensuite transportés vers une destination située dans un autre État membre, mais que les biens n’ont pas encore quitté physiquement le territoire de l’État membre de livraison; ou lorsque

b)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire est transféré à l’acquéreur et que les biens entament, mais n’achèvent pas nécessairement, leur trajet vers un autre État membre (en particulier si les biens n’ont pas encore quitté physiquement le territoire de l’État membre de livraison); ou lorsque

c)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire a été transféré à l’acquéreur et que les biens ont quitté physiquement le territoire de l’État membre de livraison et entamé leur trajet vers un autre État membre?

2)      L’article 28 quater, A, sous a), [de la sixième directive] doit-il être interprété en ce sens que les livraisons de biens sont exonérées de la TVA lorsque:

–      les biens sont livrés à un acquéreur qui est enregistré aux fins de la TVA dans un autre État membre; et que

–      l’acquéreur s’engage par contrat à acheter les biens, étant entendu que, après avoir acquis le droit de disposer des biens comme un propriétaire dans l’État membre du fournisseur, il lui incombera de transporter les biens de l’État membre du fournisseur vers un second État membre, et que:

a)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur et que les biens livrés ont été mis à la disposition de l’acquéreur par le fournisseur en vertu d’un contrat de vente ‘départ usine’ par lequel l’acquéreur s’engage à transporter les biens vers un État membre différent de celui de la livraison, à partir d’un entrepôt sécurisé situé dans l’État membre du fournisseur, et lorsque les documents contractuels ou les autres pièces justificatives indiquent que l’intention des parties est que les biens soient ensuite transportés vers une destination située dans un autre État membre, mais que les biens n’ont pas encore quitté physiquement le territoire de l’État membre de livraison; ou lorsque

b)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur et que les biens ont entamé, mais pas nécessairement achevé, leur trajet vers un autre État membre (en particulier, les biens n’ont pas encore quitté physiquement le territoire de l’État membre de livraison); ou lorsque

c)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur et que les biens ont quitté le territoire de l’État membre de livraison et entamé leur trajet vers un second État membre; ou lorsque

d)      le droit de disposer des biens comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur et qu’il peut être démontré également que les biens sont effectivement arrivés dans l’État membre de destination?

3)      Dans les circonstances pertinentes [de l’affaire au principal], lorsqu’un fournisseur agissant de bonne foi a présenté aux autorités compétentes de son État membre, après avoir introduit une demande de remboursement, des preuves objectives qui, au moment de leur dépôt, étayaient en apparence son droit à l’exonération de biens au titre de l’article 28 quater, A, point a), [de la sixième directive] et lorsque les autorités compétentes ont accepté dans un premier temps ces preuves aux fins de l’exonération, dans quelles circonstances (le cas échéant) les autorités compétentes de l’État membre de livraison peuvent-elles néanmoins obliger ultérieurement le fournisseur à acquitter la TVA sur ces biens, lorsque sont portées à leur attention de nouvelles preuves a) jetant le doute sur la validité des précédentes preuves ou b) démontrant que les preuves fournies étaient matériellement fausses, sans toutefois que le fournisseur n’en ait connaissance et sans que sa participation ne soit établie?

4)      La réponse à la troisième question est-elle affectée par le fait qu’il existe des preuves selon lesquelles l’acquéreur a présenté des déclarations aux autorités fiscales de l’État membre de destination, dès lors que ces déclarations mentionnaient, en tant qu’acquisitions intracommunautaires, les achats dont il est question en l’espèce, que l’acquéreur a indiqué un montant censé représenter la taxe afférente à l’acquisition et qu’il a opéré une déduction du même montant conformément à l’article 17, paragraphe 2, point d), de la sixième directive?»

17.      Dans la procédure devant la Cour, Teleos e.a., les gouvernements du Royaume-Uni, grec et français, l’Irlande, les gouvernements italien et portugais ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations.

IV – Analyse

18.      Les faits dans le litige au principal se caractérisent par une rupture manifeste entre l’apparence et la réalité des faits. Selon les documents que Teleos e.a. ont obtenus de leur partenaire commercial TT et ont présentés aux Commissioners, le mandataire de TT a réceptionné les téléphones portables au Royaume-Uni et les a fait transporter dans d’autres États membres. Toutes les conditions requises étaient ainsi remplies, celles relatives à l’acquisition intracommunautaire comme celles relatives à l’exonération de la livraison intracommunautaire et ce, quelles que soient les variantes d’interprétation de la première ou de la deuxième questions préjudicielles que l’on privilégie.

19.      Les troisième et quatrième questions préjudicielles se consacrent à la problématique des effets que produit, pour le traitement fiscal d’une livraison, le fait qu’il s’avère ultérieurement que les documents ne coïncident pas avec la réalité. Ce n’est que s’il est répondu à ces questions, en ce sens que les circonstances connues ultérieurement peuvent conduire à une réappréciation de la situation, qu’il convient d’examiner les première et deuxième questions posées.

20.      En effet, ces dernières questions devraient élucider la question de savoir si une acquisition intracommunautaire et une livraison intracommunautaire exonérée ont eu lieu alors que les téléphones portables n’ont pas (encore) quitté le Royaume-Uni. Si cette dernière circonstance ne pouvait pas être opposée au fournisseur par le fisc, au motif que le fournisseur croyait de bonne foi à l’exactitude de la lettre de voiture CMR, la question de savoir si, dans ces circonstances, l’exonération opère et quand elle opère serait dénuée de pertinence.

21.      Les troisième et quatrième questions seraient à leur tour dénuées de signification si, à propos des première et deuxième questions, la Cour en arrivait à conclure que l’exonération opère même lorsque les marchandises n’ont pas quitté l’État membre de livraison.

22.      Il n’existe donc aucune priorité logique précise privilégiant l’un ou l’autre de ces groupes de questions. Il convient donc de répondre aux questions dans l’ordre dans lequel la juridiction de renvoi les a posées.

A –    Observation liminaire relative aux règles de taxation des échanges entre les États membres (6)

23.      Avant de poursuivre l’examen des questions préjudicielles, nous voudrions, à titre liminaire, formuler un certain nombre d’observations quant au contexte dans lequel s’inscrivent les règles particulières relatives aux livraisons transfrontalières dans le cadre des échanges intracommunautaires.

24.      La TVA impose la consommation privée à l’intérieur du pays. C’est ainsi que les livraisons de biens et de services à l’intérieur du pays (article 2, point 1, de la sixième directive) tout comme l’importation de biens (article 2, point 2, de la sixième directive) sont soumises à la TVA. Pour les échanges intracommunautaires transfrontaliers, le régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres (titre XVI bis), de la sixième directive introduit par la directive 91/680, a instauré un nouveau fait générateur de la TVA: l’acquisition intracommunautaire [article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive].

25.      En vertu de l’article 15, point 1, de la sixième directive, les livraisons de biens expédiés ou transportés dans un État tiers sont exonérées, car ces biens ne sont pas consommés à l’intérieur du pays. Conformément à l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive, il en va de même des livraisons effectuées dans un autre État membre.

26.      Avant l’instauration du régime transitoire de taxation des échanges intracommunautaires, les livraisons de marchandises effectuées entre deux États membres étaient soumises à un régime de taxation semblable à celui des autres échanges internationaux. Dans le cadre de ce dernier régime, une livraison était taxable au lieu de livraison au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, soit au lieu de l’expédition, mais elle était exonérée à l’exportation. Dès lors, la TVA était due lors de l’importation dans l’État membre de destination. Le critère déterminant aux fins de l’exonération ou de la taxation était le franchissement de la frontière à l’exportation ou à l’importation, qu’il convenait de prouver simplement au moyen de documents douaniers, aussi aux fins de la TVA.

27.      Dans le cadre de la réalisation du marché intérieur communautaire, les contrôles aux frontières intérieures ont été abolis et, en conséquence, il a été nécessaire de revoir les règles relatives à la TVA applicables aux échanges entre les États membres (7). Toutefois, cette réforme n’a pas été jusqu’à étendre les règles valant pour les livraisons internes de biens aux échanges entre les États membres. En effet, cela aurait impliqué que, contrairement à la situation qui prévalait jusqu’alors, la TVA ne soit pas attribuée à l’État membre dans lequel les biens sont importés et consommés, mais à l’État membre de livraison.

28.      Le régime transitoire, en revanche, n’a pas porté atteinte à la répartition de la souveraineté fiscale entre les États membres jusque là en vigueur. Pour faire en sorte que les recettes de la TVA continuent à être attribuées à l’État membre où a lieu la consommation finale, la directive 91/680 a établi l’acquisition intracommunautaire de biens comme nouveau fait générateur de la TVA pour les échanges entre les États membres [article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive].

29.      Étant donné que l’acquisition intracommunautaire est taxée dans l’État membre de destination de la marchandise, la livraison intracommunautaire correspondante dans l’État membre de livraison doit être exonérée afin d’éviter la double imposition et, partant, d’éviter d’enfreindre le principe de neutralité de la TVA [article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive] (8). Tandis que l’acquisition intracommunautaire s’est ainsi substituée à la taxation de l’importation, l’exonération de la livraison intracommunautaire remplace la détaxation à l’exportation.

B –    Sur les première et deuxième questions préjudicielles

1.      Sur l’interaction entre la taxation de l’acquisition intracommunautaire et l’exonération de la livraison intracommunautaire

30.      Dans l’affaire au principal, les requérantes réclament l’exonération de leurs livraisons en vertu de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive, au titre de livraisons intracommunautaires. Par sa première question, la juridiction de renvoi n’en demande pas moins l’interprétation de l’article 28 bis, paragraphe 3, de la sixième directive, qui régit la taxation de l’acquisition intracommunautaire.

31.      Cette approche s’appuie sur la prémisse pertinente de l’existence d’un lien de réciprocité entre l’exonération de la livraison intracommunautaire au titre de l’article 28, quater, A, sous a), de la sixième directive et la taxation de l’acquisition intracommunautaire des biens livrés au sens de l’article 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa, de la même directive. L’acquisition intracommunautaire a pour effet de transférer le droit d’imposition de l’État membre de livraison à l’État membre de destination (9).

32.      Eu égard à l’interaction entre la taxation de l’acquisition intracommunautaire et l’exonération de la livraison intracommunautaire, qui se révèle aussi par les libellés, comportant une référence réciproque, des dispositions pertinentes de la sixième directive, il convient de répondre conjointement à la première et à la deuxième questions posées.

33.      Conformément à l’article 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa, de la sixième directive, une acquisition intracommunautaire suppose que soient réunies les deux conditions suivantes:

–        l’obtention par l’acquéreur du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel (10) et

–        l’expédition ou le transport du bien concerné à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.

34.      L’exonération des livraisons de biens au titre de l’article 28, quater, A, sous a), de la sixième directive opère dans les conditions suivantes:

–        les biens sont expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 de cette directive, soit en dehors de l’État membre de livraison, donc de l’intérieur du pays mais à l’intérieur de la Communauté,

–        les livraisons de biens sont effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition.

35.      S’agissant de l’accomplissement du fait générateur de l’acquisition intracommunautaire, les parties ne s’opposent pas quant au point de savoir si TT a obtenu le pouvoir de disposer des biens comme un propriétaire, même si ce n’est pas TT qui a pris possession directement des biens, mais un commissionnaire de transport qu’elle a mandaté. En ce qui concerne le fait générateur de l’exonération, soit la livraison à un assujetti, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition, la seconde condition ne pose pas de problèmes.

36.      Les parties ne s’opposent que sur l’interprétation exacte de la notion d’«expédition dans un autre État membre», qui figure semblablement aux articles 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa, et 28, quater, A, sous a), de la sixième directive.

2.      «Expédition» et «transport» au sens des articles 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa, et 28, quater, A, sous a), de la sixième directive

37.      Teleos e.a. estiment que, dans une situation telle que celle en l’espèce, l’expédition a lieu quand le fournisseur remet les biens au mandataire de l’acquéreur dans l’État membre de livraison, les parties contractantes étant convenues que l’acquéreur exporte ces biens dans un autre État membre. C’est dès lors la remise desdits biens qui opère l’acquisition intracommunautaire et fait naître le droit à l’exonération de la livraison intracommunautaire.

38.      Teleos e.a., d’une part, s’appuient pour ce faire sur le libellé des dispositions pertinentes de la sixième directive: pour elles, l’expédition désigne le début d’un mouvement de transport et non son aboutissement lors de l’arrivée dans l’État membre de destination. D’autre part, elles soulignent que, en remettant les biens à l’acquéreur, le vendeur perd le pouvoir d’en disposer comme un propriétaire et que, partant, l’obligation fiscale doit elle aussi être transférée à l’acquéreur.

39.      Les États membres intervenants et la Commission estiment en revanche que l’expédition dans un autre État membre suppose à tout le moins que les biens aient effectivement quitté l’État membre de livraison ou qu’ils soient arrivés dans celui de destination. Pour ces intervenants, ce n’est qu’en référence à ce phénomène objectif qu’un fonctionnement correct du système de la TVA peut être garanti et la simple intention ou obligation contractuelle de l’acheteur d’amener les biens dans un autre État membre ne saurait suffire à cet égard.

40.      Il convient effectivement de constater que la notion d’«expédition» («dispatch») n’est tout à fait claire dans aucune des versions linguistiques de la sixième directive. D’un point de vue purement linguistique, il est concevable qu’elle ne vise qu’un phénomène ponctuel, comme Teleos e.a. le soutiennent.

41.      Toutefois, la question de savoir si, dans le cas d’espèce, il existe bien une expédition, reste ouverte. C’est que, en outre, les deux dispositions pertinentes de la sixième directive mentionnent le transport. À la différence de ce qui peut éventuellement être le cas pour la notion d’«expédition», la notion de «transport» ne décrit nullement un phénomène ponctuel, mais un mouvement des marchandises caractérisé par une continuité. Il n’est donc pas possible de concevoir que le transport dans un autre État membre soit déjà achevé alors que les biens n’ont pas encore quitté l’État membre de livraison.

42.      À notre sens, il convient de distinguer les notions d’«expédition» et de «transport» de la manière suivante. Il y a «expédition» lorsque le vendeur ou l’acquéreur font intervenir, pour le transport, un tiers indépendant, tel que par exemple la poste, qui, pendant le transport, n’est soumis ni aux injonctions du vendeur ni à celles de l’acquéreur. Lors du transfert des biens par ce tiers, l’expédition, le vendeur perd le pouvoir de disposer matériellement de ces biens, sans que l’acquéreur n’obtienne déjà les attributions d’un propriétaire. Ces attributions ne sont transmises à l’acquéreur qu’au moment où ledit tiers transfère lesdits biens dans l’État membre de destination. C’est à ce moment que l’acquisition intracommunautaire a lieu.

43.      En revanche, il y a «transport» au sens de la sixième directive lorsque le vendeur ou l’acquéreur effectuent le transport des biens eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un mandataire qui est sujet à leurs instructions. Si le vendeur est responsable du transport, l’acquisition intracommunautaire a lieu lorsque le vendeur ou son mandataire livrent les biens à l’acquéreur dans l’État membre de destination. Si l’acquéreur se charge du transport, il obtient certes, directement ou par l’intermédiaire de ses mandataires dans l’État membre de livraison, le pouvoir de disposer des biens comme un propriétaire. Toutefois, dans ce cas également, l’acquisition intracommunautaire n’a lieu que quand le transport dans un autre État membre est achevé.

44.      Dans le litige au principal, l’acquisition intracommunautaire aurait dû avoir lieu par la remise des téléphones portables au commissionnaire de transport et par leur transport dans les États membres de destination. Attendu que ce commissionnaire n’était pas un tiers indépendant, mais agissait sur ordre de TT, il n’était pas question d’expédition, mais bien de transport. Les arguments de Teleos e.a. s’appuyant sur la signification littérale de la notion d’«expédition» sont dès lors dénués de fondement.

45.      L’interprétation des notions d’«expédition» et de «transport» que nous défendons aboutit, fût-ce par une autre voie, au même résultat que la solution préconisée par les États membres intervenants et par la Commission. La taxation de l’acquisition intracommunautaire et l’exonération de la livraison intracommunautaire qui va de pair dépendent à chaque fois de la circonstance que les biens ont effectivement quitté l’État membre de livraison.

46.      Ce résultat concorde avec le sens et la finalité du régime transitoire des échanges intracommunautaires, ainsi que la Commission, en particulier, l’expose à juste titre. Ils supposent par principe qu’il y ait transfert des biens d’un État membre dans un autre et déplacement correspondant de la consommation finale soumise à la TVA. L’article 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive fixe dès lors également comme lieu des acquisitions intracommunautaires de biens l’État membre de destination. Il n’existe pas de certitude suffisante de ce déplacement aussi longtemps que les biens n’ont pas franchi la frontière.

47.      Il convient aussi, en l’occurrence, de relever que l’article 28 quater, A, première phrase, de la sixième directive invite, «dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres» à exonérer les livraisons intracommunautaires de biens.

48.      Tel est l’objectif visé par la condition inscrite à l’article 30, paragraphe 8, sous a), i), de la loi de 1994, qui prévoit que l’exonération d’une livraison intracommunautaire n’est accordée que quand les biens ont effectivement quitté le territoire. Teleos e.a. ont certes raison lorsqu’elles soutiennent que les conditions prévues par la réglementation nationale aux fins de la mise en œuvre de l’article 28 quater, A, première phrase, de la sixième directive ne peuvent pas enfreindre les autres dispositions de cette directive (11). Cependant, les développements précédents ont permis de déduire que tel n’était pas le cas.

49.      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, les notions d’activité économique et de livraison de biens, qui définissent les opérations taxables en vertu de la sixième directive, ont un caractère objectif et s’appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées (12).

50.      Il en va de même pour la notion de livraison intracommunautaire. Dans la mesure où la définition de cette notion part du mouvement physique des marchandises franchissant les frontières, elle se réfère aussi à un phénomène objectif. Par ailleurs, la production de documents attestant de tels mouvements de marchandises n’exclut jamais complètement qu’il y ait des manipulations, comme l’illustre le litige au principal. Or, des phénomènes objectifs qui se manifestent à l’extérieur sont davantage susceptibles d’être vérifiés que les intentions de l’acquéreur ou les obligations stipulées conventionnellement qu’il a contractées (13). De ce point de vue, la condition du transport effectif hors de l’État membre de livraison peut contribuer à prévenir les fraudes fiscales.

51.      Partir d’éléments objectifs permet en outre de servir les objectifs du système commun de la TVA, qui entend assurer la sécurité juridique et faciliter les actes inhérents à l’application de cette taxe (14).

52.      Par une série d’autres arguments, Teleos e.a. contestent que l’exonération des livraisons intracommunautaires n’ait lieu qu’au moment où les biens ont quitté l’État membre de livraison. Elles contestent essentiellement que le vendeur doive garantir le transport effectif des biens en dehors de cet État, bien que, par la remise des biens à l’acquéreur ou à son commissionnaire de transport, il ait perdu le contrôle de ces biens. Elles considèrent que cette interprétation grève de risques notables la formule de livraison «départ usine», usuelle dans le commerce international comme une série de modes de livraison prévus dans les «Incoterms» du commerce international (tels que CIF et FOB). Pour Teleos e.a., elle rend les échanges intracommunautaires moins attrayants et enfreint donc l’article 29 CE.

53.      Il est exact que, en cas de livraison intracommunautaire «départ usine», le vendeur court un risque particulier. Si, à l’encontre des engagements contractuels, l’acheteur ne transporte pas les biens dans un autre État membre, la transaction ne constitue effectivement pas une livraison intracommunautaire exonérée, pour laquelle l’acquéreur dans l’État membre de destination doit payer la TVA. L’opération doit en revanche être qualifiée de livraison à l’intérieur du pays, pour laquelle le fournisseur est tenu de payer la TVA. Le plus souvent, le fournisseur n’imputera pas la TVA au compte de l’acquéreur, car une livraison intracommunautaire exonérée était projetée.

54.      Le risque encouru par le fournisseur de devoir verser la TVA en raison d’un comportement de l’acquéreur contraire aux obligations contractuelles de ce dernier est au premier chef une conséquence de l’organisation des relations contractuelles. Si le fournisseur confie à l’acquéreur le transport des biens dans un autre État membre, ce que la sixième directive autorise parfaitement, il doit en conséquence, en cas d’inexécution de cette obligation contractuelle, s’adresser à son partenaire contractuel et lui réclamer la TVA dont il est redevable au titre d’une livraison à l’intérieur du pays. Pour s’assurer contre une telle éventualité, le fournisseur peut exiger de l’acheteur qu’il fournisse une garantie aux fins de la TVA jusqu’à ce que soit apportée la preuve du transport des biens dans un autre État membre, ce que recommandent les dispositions de la circulaire n° 703.

55.      En revanche, selon l’interprétation proposée par Teleos e.a., l’acquisition des biens serait anticipée pour se situer au moment précédant le transport en dehors de l’État membre de livraison. Dès ce moment, selon Teleos e.a., ce serait l’État membre de résidence de l’acquéreur qui serait compétent pour la perception de la taxe, bien que les objets n’y soient pas encore arrivés effectivement, soient restés dans l’État membre de livraison et seront aussi vraisemblablement consommés dans ce dernier État. Cette interprétation serait ainsi contraire à la répartition du droit d’imposition visée par les dispositions transitoires de la sixième directive.

56.      Le risque d’inexécution de l’obligation contractuelle de l’acquéreur d’exporter les biens dans un autre État membre serait encouru en dernière analyse par l’administration fiscale de l’État membre de livraison des biens. Or, celle-ci est étrangère aux relations contractuelles entre le vendeur et l’acquéreur. Attendu que l’exonération de la livraison intracommunautaire intervient parallèlement à la taxation de l’acquisition intracommunautaire, l’administration fiscale de l’État membre de livraison ne pourrait plus s’adresser au fournisseur résidant à l’intérieur du pays. En revanche, elle devrait tenter de percevoir la TVA auprès de l’acquéreur qui, peut-être, n’y est même pas enregistré fiscalement (15).

57.      La question de savoir si les charges et les risques, qui, pour le fournisseur, peuvent, dans la situation au principal, être liés aux livraisons intracommunautaires, constituent vraiment une restriction apportée à la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté peut rester ouverte. C’est que les risques sont liés avant tout à l’organisation de la prestation contractuelle «départ usine», telle qu’elle a été convenue par le fournisseur, et non à l’interprétation des dispositions pertinentes de la sixième directive. En tout cas, des restrictions appropriées seraient justifiées dès lors qu’elles permettent la perception régulière de la TVA lors des livraisons intracommunautaires et servent l’objectif, reconnu et encouragé par la sixième directive, de lutte contre la fraude fiscale (16).

58.      Il convient toutefois, dans le cadre de la réponse à apporter à la troisième question posée, de vérifier si, dans des situations particulières telles que celle qui se présente en l’espèce, la responsabilité du fournisseur ne va pas trop loin et n’aboutirait pas à une restriction disproportionnée apportée à la libre circulation des marchandises ou à une atteinte aux principes généraux du droit.

59.      Il convient donc de répondre à la première et à la deuxième questions préjudicielles dans les termes suivants:

«Une acquisition intracommunautaire d’un bien au sens de l’article 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa, de la sixième directive suppose que l’acquéreur obtienne le pouvoir de disposer comme un propriétaire du bien qui est expédié ou transporté dans un autre État membre et qui, par suite de cette expédition ou de ce transport, a quitté physiquement l’État membre de livraison.

L’exonération d’une livraison intracommunautaire au sens de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive suppose que le bien livré dans un autre État membre soit expédié ou transporté dans cet autre État et, par suite de cette expédition ou de ce transport, ait quitté physiquement l’État membre de livraison.»

C –    Sur la troisième question préjudicielle

60.      Afin de répondre à la troisième question posée, il convient de préciser si le fournisseur qui a produit de bonne foi des preuves de transport en dehors de l’État membre de livraison, mises à sa disposition par l’acquéreur, peut se voir derechef refuser a posteriori l’exonération de la livraison initialement reconnue lorsqu’il s’avère que ces preuves sont fausses.

61.      Les États membres qui sont intervenus sont d’accord pour estimer que le fournisseur doit prouver que sont réunies les conditions de l’exonération de la livraison. Si, lors de vérifications effectuées par l’administration fiscale, les preuves qu’il a produites s’avèrent fausses, la preuve n’est pas apportée et, partant, l’exonération doit, a posteriori, être refusée.

62.      En revanche, la Commission soutient que les livraisons intracommunautaires seraient rendues démesurément compliquées si le fournisseur ne devait pas bénéficier de l’exonération bien qu’il ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour respecter les conditions de l’exonération et en apporter la preuve. Elle renvoie à une déclaration commune faite par le Conseil de l’Union européenne et la Commission lors de l’adoption de la directive 91/680. Selon cette déclaration, l’application des dispositions du régime transitoire ne peut, en tout état de cause, avoir pour effet de refuser l’exonération visée à l’article 28 quater, A, de la sixième directive lorsqu’il s’avère a posteriori que l’acquéreur a fourni des données incorrectes en la matière, alors même que l’assujetti a pris les mesures nécessaires afin d’éviter une application incorrecte des règles en matière de TVA pour des livraisons relevant de son entreprise.

63.      Il convient tout d’abord de relever que la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA (17). Il en découle que, dérogeant à ce principe général, les dispositions exonératoires de cette directive sont d’interprétation stricte (18). Le contribuable qui invoque une telle dérogation est tenu de prouver que ses conditions d’application sont réunies.

64.      Comme cela résulte de la disposition de l’article 28 quater, A, première phrase, de la sixième directive, il appartient aux États membres d’établir les exigences formelles de la preuve des conditions d’application de l’exonération d’une livraison intracommunautaire (19). Toutefois, dès lors que sont atteintes les limites de la liberté d’appréciation que la sixième directive laisse aux États membres en la matière, ces conditions doivent respecter les prescriptions du traité CE, le sens et l’objectif de la directive elle-même ainsi que les principes généraux du droit, tels que le principe de proportionnalité (20).

65.      C’est dans la perspective de la réalisation du marché intérieur et de l’élimination des frontières fiscales entre les États membres que la directive 91/680 a instauré le régime transitoire des échanges intracommunautaires (21). Ainsi, les mesures prévues par cette directive visent-elles essentiellement à faciliter la libre circulation des marchandises, qui est garantie par les articles 28 CE et 29 CE. Comme la Commission le relève à juste titre, les exigences de preuve d’une livraison intracommunautaire ne devraient dès lors pas aboutir à ce que le régime transitoire rende les échanges plus compliqués qu’ils ne l’étaient avant l’abolition des contrôles douaniers sur les échanges intracommunautaires.

66.      Aussi longtemps que les contrôles aux frontières continuèrent à exister, les contribuables pouvaient, pour apporter la preuve de l’exportation des biens livrés, s’appuyer sur les documents délivrés par les autorités douanières. Les frontières intérieures ayant été abolies, ce moyen de preuve particulièrement fiable n’est plus à la disposition des contribuables. En lieu et place, la preuve du transfert au-delà des frontières ne peut plus être apportée, en général, qu’au moyen de déclarations émanant de particuliers.

67.      S’y prête particulièrement une lettre de voiture CMR sur laquelle le destinataire a mentionné la réception des marchandises dans un autre État membre.

68.      La lettre de voiture CMR est établie par l’expéditeur des marchandises, est signée par le transporteur et fait foi de la réception de la marchandise par ce dernier (22). Un exemplaire de la lettre de voiture CMR accompagne les biens et est remis au destinataire à sa demande (23). Si ce dernier mentionne la réception des biens sur la lettre de voiture CMR, au moins trois personnes, le plus souvent indépendamment l’une de l’autre, ont participé à la constitution de la preuve du transfert dans un autre État membre, ce qui atténue le risque de manipulations, sans toutefois pouvoir l’exclure totalement.

69.      Si le contribuable présente une lettre de voiture CMR établie de cette manière, celle-ci suffit en principe pour prouver le transport ou l’expédition hors de l’État membre de livraison dans un autre État membre. Si les autres conditions sont réunies, il existe un droit à l’exonération de la livraison intracommunautaire. Cela n’exclut pas que la preuve du transport ou de l’expédition puisse, en lieu et place, être aussi apportée d’une autre manière, lorsque cela ne conduit pas à une entrave apportée aux échanges transfrontaliers de marchandises qui soit plus forte que celle qui résultait des exigences de preuve qui s’appliquaient avant l’abolition des frontières intérieures.

70.      Il convient encore de se poser la question des conséquences de la situation dans laquelle les indications figurant sur la lettre de voiture CMR s’avèrent fausses a posteriori et dans laquelle, par hypothèse, les biens n’ont pas été réellement transportés au-delà des frontières alors qu’il n’y a ni collaboration collusive du contribuable avec l’émetteur de la lettre de voiture CMR ni connaissance, que le contribuable avait ou aurait dû avoir, de l’inexactitude de cette lettre.

71.      D’une part, on pourrait, conformément à la situation apparue ultérieurement, qualifier rétroactivement la livraison de livraison intérieure non exonérée et réclamer au fournisseur le paiement de la TVA. C’est ce que soutiennent les États membres qui sont intervenus dans la présente affaire. À l’encontre de cette solution, la Commission estime que, dans ce cas, la TVA ne pourrait pas être réclamée au fournisseur.

72.      Nous ne partageons pas la position défendue par les États membres intervenants. Une telle position revient à grever démesurément la situation du fournisseur et, partant, équivaut à une restriction apportée à la libre circulation des marchandises. En effet, le risque de devoir répondre du paiement de la TVA quand son acheteur n’exporte pas effectivement les biens mais feint le transport en recourant à des documents de transport manipulés pourrait dissuader le fournisseur de s’engager dans des échanges transfrontaliers.

73.      Comme cela résulte de la déclaration commune du Conseil et de la Commission lors de l’adoption de la directive 91/680, citée par la Commission, le législateur communautaire n’entend pas non plus que la responsabilité du fournisseur aille aussi loin.

74.      Certes, l’objectif reconnu et promu par la sixième directive consistant à assurer la perception régulière de la TVA et à combattre la fraude fiscale (24) peut justifier l’existence de restrictions apportées à la libre circulation des marchandises (25). La position défendue par les États membres intervenants est aussi de nature à empêcher des moins-values fiscales découlant d’un comportement délictuel. Cette position débouche toutefois sur une répartition inappropriée du risque entre le fournisseur et l’administration fiscale par suite du comportement délictuel d’un tiers et est, de ce fait, contraire au principe de proportionnalité.

75.      Incombe assurément au fournisseur l’obligation de faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer le déroulement régulier de la livraison intracommunautaire (26). Si, par contrat, il confie à l’acquéreur le soin de transférer le bien dans un autre État membre, il doit, comme nous l’avons exposé dans nos développements relatifs à la première question posée, le cas échéant, supporter les conséquences de l’inexécution de cette obligation due à l’acquéreur.

76.      En outre, le vendeur doit s’assurer du sérieux de son partenaire commercial. L’objectif de prévention de la fraude fiscale justifie précisément les exigences élevées dont il convient d’assortir cette obligation. Il appartient à la juridiction nationale de décider si le fournisseur a respecté cette obligation. Selon les indications fournies à ce propos dans la décision de renvoi, Teleos e.a. semblent avoir épuisé toutes les possibilités qui étaient à leur disposition pour contrôler TT.

77.      En revanche, il ne convient pas d’aller jusqu’à rendre le fournisseur responsable d’un comportement délictuel de son partenaire commercial, contre lequel il ne peut pas se protéger (27). Ainsi, exiger de l’acquéreur qu’il fournisse une garantie aux fins de la TVA jusqu’à ce que soit apportée la preuve du transport dans un autre État membre, ce que recommande la circulaire n° 703, n’aide pas le fournisseur dans ce cas. En effet, cette preuve semble justement avoir été apportée par la présentation de la lettre de voiture CMR, qui ne contient pas d’indications susceptibles d’être reconnues comme fausses par le fournisseur. Celui-ci se verrait dès lors amené à lever la garantie lors de la réception de la lettre de voiture CMR même si, comme cela ne s’avérera qu’ultérieurement, le transport au-delà des frontières n’a pas eu lieu effectivement.

78.      Les arrêts Faroe Seafood e.a. (28) et Pascoal & Filhos (29) ne sauraient être invoqués pour contester cette conclusion.

79.      Ces affaires concernaient la perception de droits douaniers sur des marchandises originaires de pays tiers. Dans chacune de ces affaires, l’importateur avait bénéficié d’une franchise de droits sur le fondement d’un certificat d’origine délivré par l’État exportateur. Il s’est avéré ultérieurement que les certificats d’origine étaient dénués de pertinence et que, partant, la préférence douanière avait été attribuée à tort. Dans ses arrêts relatifs à ces deux affaires, la Cour considère que le recouvrement a posteriori des droits de douane n’est pas une imposition disproportionnée, même si l’importateur s’était fondé de bonne foi sur le certificat d’origine (erroné) délivré par l’État d’exportation (30).

80.      Ces constatations relatives au droit douanier ne peuvent pas être transposées l’interprétation de la sixième directive. En droit douanier, le point de savoir si l’importateur doit ou non verser des droits de douane peut dépendre de l’origine des marchandises. En revanche, les prescriptions en matière d’échanges intracommunautaires ne déterminent pas seulement si une livraison est exonérée, mais aussi si l’acquisition du bien concerné est soumise à la TVA. L’acquisition et l’exonération décident de la répartition de la souveraineté fiscale dans le marché intérieur. Elles ne conduisent pas à la disparition complète de l’obligation fiscale, mais à son déplacement du fournisseur à l’acquéreur. Si une exonération est obtenue sur la base de preuves erronées, l’administration peut se tourner vers l’acquéreur. En revanche, en droit douanier, seul est responsable celui au nom duquel la déclaration de douane de l’importation a été faite (31). Si le certificat d’origine s’avère erroné, aucun autre débiteur responsable du droit de douane envers l’État membre d’importation ne prend sa place.

81.       En outre, les échanges sans entraves avec des États tiers ne constituent pas un droit du particulier protégé par une liberté fondamentale. S’agissant des restrictions aux échanges avec des États tiers, les critères applicables sont moins stricts que ceux qui s’appliquent aux restrictions apportées aux échanges intracommunautaires de marchandises.

82.      Comme la Commission l’a d’ailleurs reconnu à bon droit, les décisions citées concernaient l’application d’une disposition spécifique du droit douanier (32), qui réglait expressément le cas de la rectification a posteriori du certificat d’origine. Selon cette disposition, les autorités compétentes ne pouvaient renoncer à procéder au recouvrement a posteriori du montant des droits de douane qu’en cas d’erreur des autorités compétentes. Il n’existe pas, en l’espèce, de dispositions correspondantes en ce sens.

83.      L’interprétation retenue en l’occurrence comporte, nous en sommes conscients, un certain risque. Cela pourrait inciter le fournisseur à adopter une attitude trop légère dès lors que, pour le cas où l’acquéreur ne fait que feindre le transport au-delà des frontières, le fournisseur ne doit pas compter qu’il sera responsable de la TVA. C’est pourquoi nous soulignerons encore une fois que le fournisseur ne peut échapper au versement a posteriori de la TVA qu’en l’absence de tout indice laissant entendre, de sa part, une éventuelle implication dans les manœuvres frauduleuses ou une éventuelle connaissance de ces manœuvres et s’il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer une perception régulière de la TVA.

84.      Pour conclure, nous voudrions évoquer brièvement les conséquences découlant des constatations formulées ci-dessus. La Commission présente à ce sujet l’alternative suivante. D’une part, on pourrait d’abord considérer la présentation de documents dont la fausseté n’est pas décelable comme constitutive d’un fait générateur d’exonération et exclure une réappréciation matérielle ultérieure de la situation (solution matérielle). Telle est la solution que la Commission privilégie. Elle estime, d’autre part, que l’on pourrait procéder à une réappréciation matérielle de la situation sur la base des constatations faites ultérieurement sans toutefois, par suite de ces constatations, enlever a posteriori le bénéfice de l’exonération qui a été admise (solution de droit procédural).

85.      La solution matérielle nous semble préférable. Correspondant à l’exonération de la livraison, elle permet de partir du principe de l’acquisition des biens par l’acheteur, en l’occurrence TT, dans l’État membre de livraison (33). En revanche, la seconde solution pourrait pour ainsi dire nous mener dans un nomand’s land de droit fiscal. On qualifierait matériellement a posteriori la livraison de livraison intérieure, sans pouvoir réclamer la TVA au fournisseur qui est, en soi, redevable de cette taxe. Dans le même temps, il serait difficile de justifier qu’une acquisition intracommunautaire soumise à l’impôt a bien eu lieu alors qu’aucune livraison intracommunautaire ne l’a accompagnée.

86.      Il convient en conséquence d’apporter la réponse suivante à la troisième question posée:

«Lorsque, agissant de bonne foi, le fournisseur présente des preuves objectives démontrant que le bien qu’il a livré a effectivement quitté l’État membre de livraison et que les autorités de cet État exonèrent en conséquence la livraison au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive, dans les circonstances du litige au principal, ces autorités ne peuvent pas exiger a posteriori du fournisseur le paiement de la TVA s’il s’avère que les preuves produites présentaient de fausses indications, sans toutefois que le fournisseur n’en ait eu connaissance et sans non plus qu’il ait pu en avoir connaissance. Il en va en tout cas ainsi lorsque le fournisseur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer une application régulière des prescriptions en matière de TVA.»

D –    Sur la quatrième question préjudicielle

87.      La quatrième question posée porte sur le point de savoir si la déclaration de l’acquisition intracommunautaire dans l’État membre de destination influe sur le traitement fiscal dans l’État membre de livraison. Les intervenants qui ont pris position à propos de cette question proposent une réponse négative.

88.      Comme nous l’avons précédemment exposé, l’exonération dans l’État membre de livraison et la taxation de l’acquisition dans l’État membre de destination vont fondamentalement de pair et servent à la répartition des pouvoirs d’imposition (34).

89.      Toutefois, ce serait inviter à la fraude que d’obliger l’État membre de livraison à exonérer automatiquement une livraison après que l’acheteur eut remis une déclaration fiscale relative à l’acquisition intracommunautaire des biens correspondants dans l’État membre de destination. En remettant une fausse déclaration fiscale dans l’État membre de l’acquisition (alléguée), l’acheteur pourrait se livrer à des manipulations relatives au lieu de livraison et, par exemple, choisir un État connaissant un taux d’imposition particulièrement faible. Même en cas de vérification insuffisante des indications relatives à l’acquisition dans l’État membre de destination, la déclaration inexacte entraînerait néanmoins l’exonération de la livraison dans l’État membre de livraison.

90.      Un perception régulière de la TVA suppose plutôt que tant les conditions de l’acquisition intracommunautaire que celles de l’exonération de la livraison correspondante soient vérifiées, les unes indépendamment des autres, par les autorités fiscales respectivement compétentes. Toutefois, celles-ci doivent faire en sorte, le cas échéant en procédant à des remboursements de taxes, qu’un déroulement correct de la livraison et de l’acquisition n’entraîne pas une double imposition.

91.      Dans le cadre de la preuve de l’existence d’une livraison intracommunautaire exonérée, la présentation par l’acheteur d’une déclaration fiscale relative à l’acquisition intracommunautaire des biens établie dans l’État membre de destination peut constituer au mieux un indice supplémentaire du transfert effectif des biens par l’acheteur en dehors de l’État membre de livraison. En effet, une déclaration de cette nature ne montre qu’indirectement que les biens ont été transférés de l’État membre de livraison à celui de destination. Le fournisseur ne peut se fier à ce seul élément, car la déclaration fiscale relative à l’acquisition établie dans l’État membre de destination ne lie pas les autorités fiscales de l’État membre de livraison quant à la décision qu’elles prennent à propos de l’exonération.

92.      Il convient dès lors de répondre à la quatrième question posée que la circonstance que l’acquéreur ait introduit auprès de l’administration fiscale de l’État membre de destination une déclaration fiscale relative à la livraison intracommunautaire du bien concerné ne revêt pas une signification déterminante aux fins de la preuve d’une livraison intracommunautaire exonérée.

V –    Conclusion

93.      Eu égard aux considérations que nous venons d’exposer, nous proposons de répondre aux questions préjudicielles dans les termes suivants:

«Une acquisition intracommunautaire d’un bien au sens de l’article 28 bis, paragraphe 3, premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, suppose que l’acquéreur obtienne le pouvoir de disposer comme un propriétaire du bien qui est expédié ou transporté dans un autre État membre et qui, par suite de cette expédition ou de ce transport, a quitté physiquement l’État membre de livraison.

L’exonération d’une livraison intracommunautaire au sens de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive 77/388 suppose que le bien livré dans un autre État membre soit expédié ou transporté dans un autre État membre et, par suite de cette expédition ou de ce transport, ait quitté physiquement l’État membre de livraison.

Lorsque, agissant de bonne foi, le fournisseur présente des preuves objectives démontrant que le bien qu’il a livré a effectivement quitté l’État membre de livraison et que les autorités de cet État exonèrent en conséquence la livraison au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive 77/388, dans les circonstances du litige au principal, ces autorités ne peuvent pas exiger a posteriori du fournisseur le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée s’il s’avère que les preuves produites présentaient des indications fausses, sans toutefois que le fournisseur n’en ait eu connaissance et sans non plus qu’il ait pu en avoir connaissance. Il en va en tout cas ainsi lorsque le fournisseur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer une application régulière des prescriptions en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

La circonstance que l’acquéreur ait introduit auprès de l’administration fiscale de l’État membre de destination une déclaration fiscale relative à la livraison intracommunautaire du bien concerné ne revêt pas une signification déterminante aux fins de la preuve d’une livraison intracommunautaire exonérée.»


1 – Langue originale: l’allemand


2 – Directive du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).


3 – Unique Distribution Ltd, Synectiv Ltd, New Communications Ltd, Quest Trading Company Ltd, Phones International Ltd, AGM Associates Ltd, DVD Components Ltd, Fonecomp Ltd, Bulk GSM Ltd, Libratech Ltd, Rapid Marketing Services Ltd, Earthshine Ltd, Stardex (UK) Ltd.


4 – JO L 376, p. 1.


5 – Selon les «Incoterms», terme qui désigne les clauses du commerce international établies par la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris, «départ usine» signifie que «le vendeur a rempli son obligation de livraison quand il met la marchandise à la disposition de l’acheteur dans l’établissement du vendeur ou en tout autre lieu convenu (usine, fabrique, entrepôt, etc.). Le vendeur n’est pas responsable du dédouanement de la marchandise en vue de son exportation ni de son chargement dans le véhicule fourni par l’acheteur».


6 – Voir, à ce sujet, les conclusions que nous avons présentées le 10 novembre 2005 dans l’affaire EMAG Handel Eder (arrêt du 6 avril 2006, C-245/04, Rec. p. I-3227, points 29 et suivants).


7 – Voir deuxième et troisième considérants de la directive 91/680. Voir, sur ce point, arrêt EMAG Handel Eder, précité (points 27 et 28).


8 – Voir arrêt EMAG Handel Eder, précité (point 29), ainsi que nos conclusions dans cette affaire (points 24 et 25).


9 – Relevons toutefois que les constatations des autorités compétentes de l’État membre de destination relatives à l’acquisition intracommunautaire ne lient pas les autorités de l’État membre de livraison quant à la vérification des conditions d’une exonération de la livraison intracommunautaire (voir, sur ce point, point 90 des présentes conclusions).


10 – S’agissant du libellé correspondant de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, la Cour a déjà précisé que la notion de livraison d’un bien inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien [arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C-320/88,  Rec. p. I-285, point 7), et du 21 février 2006, Halifax e.a. (C-255/02, Rec. p. I-1609, point 43)].


11 – Voir, à propos de la disposition semblable de l’article 13, première phrase, de la sixième directive, arrêts du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C-287/00, Rec. p. I-5811, point 50), et du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello (C-498/03, Rec. p. I-4427, point 24).


12 – Arrêts du 14 février 1985, Rompelman (268/83, Rec. p. 655, point 19); du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 36), et du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 41).


13 – Voir, quant au manque de pertinence d’éléments subjectifs correspondants aux fins de la déduction des taxes payées en amont, arrêts du 6 avril 1995, BLP Group (C-4/94, Rec. p. I-983, point 24), et Optigen e.a., précité (point 45).


14 – Voir, en ce sens, arrêts précités BLP Group (point 24) et Optigen e.a. (point 45).


15 – Il faudrait procéder, à cette fin, à une construction compliquée. Il conviendrait alors de supposer une livraison fictive en retour dans l’État membre de livraison des biens, donc, en l’espèce, au Royaume-Uni, suivie d’une nouvelle acquisition intracommunautaire taxable, dans ce cas par TT, dans cet État. Teleos e.a. soutiennent que les autorités fiscales du Royaume-Uni avaient attribué un numéro de TVA à TT et essayaient manifestement aussi de percevoir la TVA, de la façon décrite, auprès de TT, ce qu’elles contestent en invoquant une double imposition. Il est manifeste que la TVA ne peut être perçue qu’une seule fois soit auprès de Teleos e.a., soit auprès de TT. C’est la réponse à la troisième question posée qui permettra de déterminer qui, de Teleos e.a. ou TT, devra assumer cette perception.


16 – Arrêts du 29 avril 2004, Gemeente Leusden et Holin Groep (C-487/01 et C-7/02, Rec. p. I-5337, point 76), et Kittel et Recolta Recycling précité (point 54).


17 – Arrêts précités Halifax e.a. (point 41); Optigen e.a. (point 37), et Kittel et Recolta Recycling (point 40).


18 – Arrêts du 26 juin 1990, Velker International Oil Company (C-185/89, Rec. p. I-2561, point 19); du 16 septembre 2004, Cimber Air (C-382/02, Rec. p. I-8379, point 25), et du 14 septembre 2006, Elmeka (C-181/04 à C-183/04, Rec. p. I-8167, point 15).


19 – Voir, en ce sens, ordonnance du 3 mars 2004, Transport Service (C-395/02, Rec. p. I-1991, points 27 et 28), ainsi que arrêt Halifax e.a., précité (points 90 et 91). Voir pour plus de développements à ce sujet, nos conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Collée, précité. Voir aussi, pour plus de détails à ce sujet, les points 22 et suivants des conclusions que nous présentons le 11 janvier 2007 dans l’affaire Collée (C-146/05), pendante devant la Cour.


20 – Voir en ce sens, dans le contexte de l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, arrêt Halifax e.a., précité ( point 92). Voir également, à propos du droit à la déduction de la TVA en amont, arrêts du 18 décembre 1997, Molenheide e.a. (C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Rec. p. I-7281, point 48), du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 52), et ainsi que, dans le contexte de l’article 21, paragraphe 3, de la sixième directive, arrêt du 11 mai 2006, Federation of Technological Industries e.a. (C-384/04, Rec. p. I-4191, point 29).


21 – Voir premier et deuxième considérants de la directive 91/680.


22 – Voir articles 5, paragraphe 1, et 9, paragraphe 1, de la lettre de voiture CMR.


23 – Voir articles 5, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, de la lettre de voiture CMR.


24 – Arrêts précités Gemeente Leusden et Holin Groep (point 76) ainsi que Kittel et Recolta Recycling (point 54).


25 – Voir point 57 des présentes conclusions.


26 – Arrêts précités Federation of Technological Industries e.a. (point 33) ainsi que Kittel et Recotta Recycling (point 51).


27 – L’idée selon laquelle le contribuable diligent et honnête n’a pas à répondre, aux fins de la perception de la TVA, du comportement frauduleux d’autres personnes s’exprime dans une série de décisions en matière de cas de fraude qualifiés de carrousels à la TVA [voir, en particulier, arrêts précités Federation of Technological Industries e.a. (point 33); Optigen e.a. (points 52 et suivants), et Kittel et Recolta Recycling (points 45 et suivants)]. Toutefois, du point de vue factuel, ces affaires ne sont pas purement et simplement comparables à la situation qui se présente en l’espèce, car ces affaires portaient sur une pluralité de faits susceptibles d’être distingués les uns des autres, alors que, en l’espèce, c’est une seule livraison intracommunautaire qui devait avoir lieu, mais à la mise en œuvre de laquelle plusieurs personnes ont participé.


28 – Arrêt du 14 mai 1996 (C-153/94 et C-204/94, Rec. p. I-2465).


29 – Arrêt du 17 juillet 1997 (C-97/95, Rec. p. I-4209).


30 – Voir, en particulier, arrêts précités Faroe Seafood e.a. (point 114) et Pascoal & Filhos (point 25).


31 – Voir arrêt Pascoal & Filhos, précité (point 49).


32 – L’article 5, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1697/79 du Conseil, du 24 juillet 1979, concernant le recouvrement «a posteriori» des droits à l’importation ou des droits à l’exportation qui n’ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l’obligation de payer de tels droits (JO L 197, p. 1).


33 – Voir, à ce sujet, la voie certes compliquée mais manifestement effectivement choisie par les autorités du Royaume-Uni pour trouver une solution (note 14).


34 – Voir points 29 et 31 des présentes conclusions.