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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 16 février 2006 (1)

Affaire C-494/04

Heintz van Landewijck SARL

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«TVA ­– Produits soumis à accise – Disparition avant utilisation des vignettes fiscales ‘tabac’»





1.     Par cette demande de décision préjudicielle, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) pose à la Cour des questions concernant l’interprétation de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (2) et de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (3).

2.     Cette affaire concerne l’imposition de produits du tabac qui sont soumis, d’une part, à la TVA et, d’autre part, à un droit d’accises – impôt qui a la réputation de fournir des revenus au trésor public et, paradoxalement, de dissuader les fumeurs de fumer.

3.     Il s’agit, plus concrètement, dans cette affaire, de la question de savoir si une société qui commercialise des produits du tabac est en droit d’obtenir le remboursement ou la compensation de sommes qu’elle a versées pour acquérir des timbres fiscaux, qui représentent les montants dus au titre du droit d’accises et de la TVA, lorsque ces timbres disparaissent avant d’avoir été apposés sur ces produits.

I –    Le cadre juridique, le litige au principal et les questions préjudicielles soumises à la Cour

A –    Les dispositions pertinentes de droit communautaire

4.     Aux termes de l’article 6 de la directive sur les accises, laquelle s’applique en vertu de son article 3, paragraphe 1, aux tabacs manufacturés:

«1. L’accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou lors de la constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à l’article 14, paragraphe 3.

Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:

a)       toute sortie, y compris irrégulière, d’un régime suspensif;

b)       toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d’un régime suspensif;

c)       toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif.

2. Les conditions d’exigibilité et le taux de l’accise à retenir sont ceux en vigueur à la date de l’exigibilité dans l’État membre où s’effectue la mise à la consommation ou la constatation des manquants. L’accise est perçue et recouvrée selon les modalités établies par chaque État membre, étant entendu que les États membres appliquent les mêmes modalités de perception et de recouvrement aux produits nationaux et aux produits en provenance des autres États membres.»

5.     L’article 14, paragraphe 1, de la même directive dispose que:

«1. L’entrepositaire agréé bénéficie d’une franchise pour les pertes intervenues en régime suspensif, dues à des cas fortuits ou à des cas de force majeure et établies par les autorités de chaque État membre. Il bénéficie également, en régime suspensif, d’une franchise pour les pertes inhérentes à la nature des produits durant le processus de production et de transformation, le stockage et le transport. Chaque État membre fixe les conditions dans lesquelles ces franchises sont accordées. Ces franchises s’appliquent également aux opérateurs visés à l’article 16 lors du transport des produits en régime suspensif de droits d’accises».

6.     L’article 21, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que «sans préjudice de l’article 6, paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir que les produits destinés à être mis à la consommation sur leur territoire sont munis de marques fiscales ou de marques nationales de reconnaissance utilisées à des fins fiscales.»

7.     L’article 22, paragraphe 2, sous d), de la même directive prévoit que «les produits soumis à accise et mis à la consommation dans un État membre et à ce titre munis d’une marque fiscale ou d’une marque de reconnaissance de cet État membre peuvent faire l’objet d’un remboursement de l’accise due auprès des autorités fiscales de l’État membre qui a délivré ces marques fiscales ou de reconnaissance, pour autant que la destruction de ces marques soit constatée par les autorités fiscales de l’État membre qui les a délivrées».

8.     Aux termes de l’article 10 de la directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (4):

«1. Les modalités de perception de l’accise sont harmonisées au plus tard au stade final. Au cours des étapes précédentes, l’accise est perçue, en principe, au moyen de marques fiscales. S’ils perçoivent l’accise au moyen de marques fiscales, les États membres sont tenus de mettre ces marques à la disposition des fabricants et négociants des autres États membres. S’ils perçoivent l’accise par d’autres moyens, les États membres veillent à ce que, de ce fait, aucune entrave, ni administrative ni technique, n’affecte les échanges entre les États membres.

2. Les importateurs et les fabricants des tabacs manufacturés sont soumis au régime visé au paragraphe 1 en ce qui concerne les modalités de perception et de paiement de l’accise.»

9.     L’article 2 de la sixième directive dispose que:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2. les importations de biens.»

10.   L’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive dispose, en outre, qu’«est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire».

11.   L’article 10 de la même directive, dispose que:

«1.      Sont considérés comme:

a)       fait générateur de la taxe: le fait par lequel sont réalisées les conditions légales, nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

b)       exigibilité de la taxe: le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.

2.      Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée. […]

[…]»

12.   Selon l’article 11 de la même directive, la base d’imposition est constituée, pour les livraisons de biens, par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers. Ledit article, C, paragraphe 1, premier alinéa, prévoit que:

«En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.»

13.   De plus, l’article 27 de la sixième directive, concernant les «mesures de simplification» (5), dispose que:

«1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.

2. L’État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d’appréciation.

[ ... ]

5. Les États membres qui appliquent, au 1er janvier 1977, des mesures particulières du type de celles visées au paragraphe 1 peuvent les maintenir, à la condition de les notifier à la Commission avant le 1er janvier 1978 et sous réserve qu’elles soient conformes, pour autant qu’il s’agisse de mesures destinées à simplifier la perception de la taxe, au critère défini au paragraphe 1.»

14.   En vertu de l’article 1er de la neuvième directive 78/583/CEE du Conseil, du 26 juin 1978, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (6), certains États membres ont été autorisés à mettre en application la sixième directive au plus tard le 1er janvier 1979.

B –    La réglementation néerlandaise, les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

15.   Selon l’article 1er de la loi sur les accises (Wet op de accijns, du 31 octobre 1991, Staatsblad 1991, 561, ci-après la «loi sur les accises»):

«1. Une taxe, appelée droit d’accises, est perçue sur:

[…]

f. les produits du tabac.

2. Le droit d’accises est dû à l’occasion de la mise à la consommation et de l’importation des biens visés au paragraphe 1.»

16.   Aux termes de l’article 73, paragraphe 1 de la même loi «les produits du tabac doivent, au moment de la mise à la consommation et de l’importation, être pourvus du timbre d’accises prescrit pour le produit du tabac en question».

17.   Selon l’article 76, paragraphes 1 et 2, de cette loi:

«1. Le montant des droits d’accises représenté par les timbres d’accises selon leur valeur faciale doit être acquitté au moment de la demande [de timbres].

2. Par dérogation au paragraphe 1, le paiement peut être différé, au plus tard, jusqu’au dernier jour du troisième mois suivant le mois au cours duquel les timbres d’accises ont été demandés, à condition qu’une garantie soit constituée à cet effet.»

18.   La société Heintz van Landewijck SARL (ci-après «van Landewijck») exploite au Luxembourg un commerce de gros de tabacs manufacturés pour lequel elle dispose d’une licence d’entrepositaire agréé.

19.   Le 6 octobre 1998, van Landewijck a introduit auprès du Belastingdienst/Douane te Amsterdam (service des impôts du bureau des douanes d’Amsterdam, ci-après l’«inspecteur»), deux demandes de timbres d’accises pour tabacs manufacturés selon l’article 75 de la loi sur les accises (7). Elle a chargé l’entreprise Securicor Omega de lui livrer ces timbres.

20.   Le 9 octobre 1998, l’inspecteur a porté en compte les montants dus par van Landewijck au titre des deux demandes de timbres, à savoir respectivement 177 809 NLG (140 575 NLG de droits d’accises et 37 234 NLG de TVA) et 2 711 474 NLG (2 202 857 NLG de droits d’accises et 508 617 NLG de TVA).

21.   Le 12 octobre 1998, les timbres demandés ont été retirés auprès de PTT Post Filatelie, devenu Geldnet Services BV, par l’entreprise de messagerie Smit Koerier, agissant au nom de Securicor Omega.

22.   Il ressort du procès-verbal établi le 17 décembre 1998 par un expert mandaté par la compagnie d’assurances luxembourgeoise Le Foyer que, le 13 octobre 1998, à 19 h 40, Smit Koerier a livré trois paquets de timbres à un établissement de Securicor Omega situé à Utrecht (Pays-Bas) et que, le 14 octobre 1998, à 10 h 00, Securicor Omega a constaté que ces paquets avaient disparu.

23.   Par lettre du 23 novembre 1998, van Landewijck a informé l’inspecteur que les timbres remis à Smit Koerier ne lui étaient toujours pas parvenus, qu’ils n’étaient pas prêts à être utilisés et que Securicor Omega déclinait toute responsabilité dans leur disparition. Van Landewijck a, dans la même lettre, demandé à l’inspecteur «de prendre en considération les éléments particuliers de cette affaire avant la date butoir de paiement, à savoir le 31 janvier 1999».

24.   L’inspecteur a analysé ladite lettre comme une demande de compensation ou de restitution du montant acquitté par van Landewijck au titre des timbres litigieux, présentée conformément aux dispositions combinées de l’article 79, paragraphe 3, de la loi sur les accises et de l’article 52 de l’arrêté d’exécution de cette loi. Il a rejeté cette demande par une décision en date du 30 janvier 2001.

25.   L’article 79, paragraphe 3, de ladite loi sur les accises stipule que:

«Le ministre peut, aux conditions et sous les restrictions qu’il fixera, instituer des règles concernant la compensation ou la restitution du montant qui a été payé ou est encore dû au titre de la demande de timbres d’accises:

a. qui ont été renvoyés par l’opérateur qui les avait demandés;

b. ont été perdus, par accident ou par cas de force majeure, sans avoir été apposés sur des produits du tabac qui ont été vendus ou importés;

c. ont été détruits sous contrôle administratif.»

26.   Ledit article 79, paragraphe 3, a été mis en œuvre par l’article 52 de l’arrêté d’exécution de la loi sur les droits d’accises (Uitvoeringsregeling accijns, du 20 décembre 1991, nº WV 91/440, Nederlandse Staatscourant 1991, 252, ci-après l’«arrêté d’exécution») selon lequel l’opérateur qui a fait la demande de timbres d’accises peut obtenir le remboursement du montant des droits représentés par les timbres «qui ont été perdus par accident ou en cas de force majeure» à condition, notamment, de présenter sa demande de remboursement dans un délai d’un mois après la date de la perte et d’avoir déclaré sans délai cette dernière à l’inspecteur en indiquant le moment, le lieu et la cause de la perte. Le même article prévoit, au paragraphe 6, que le remboursement ne peut avoir lieu pour les timbres perdus «que dans la mesure où le montant des droits d’accises peut être établi avec certitude».

27.   La réclamation introduite par van Landewijck contre la décision de l’inspecteur a été rejetée par ce dernier. De même, le recours formé contre cette décision de rejet devant le Gerechtshof te Amsterdam a été déclaré non fondé. D’une part, ce tribunal a estimé que la requérante n’avait établi avec suffisamment de certitude, ni que les timbres n’existaient plus, ni que le risque qu’ils soient encore utilisés soit négligeable et que, dès lors, les timbres ne pouvaient être considérés comme perdus au sens de l’article 79, paragraphe 3, sous b), de la loi sur les accises.

28.   D’autre part, le Gerechtshof a jugé, en application de l’article 28 du code de la TVA (Wet op de omzetbelasting 1968, du 28 juin 1968, Staatsblad 1968, 329, ci-après «code de la TVA») que la demande de remboursement de la TVA devait être rejetée pour les mêmes motifs que ceux justifiant le refus du remboursement des droits d’accises (8). 

29.   Van Landewijck s’est en conséquence pourvue en cassation devant le Hoge Raad, lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La directive sur les droits d’accises doit elle être interprétée en ce sens que les États membres sont tenus d’adopter une disposition légale sur la base de laquelle, dans des cas tels que le cas d’espèce, ils remboursent ou compensent le montant des droits d’accises acquitté ou devenu exigible au moment de la demande de timbres d’accises lorsque le demandeur (qui est un entrepositaire agréé) n’a pas utilisé et ne pourra pas utiliser des timbres qui ont disparu avant d’être apposés sur des produits soumis à des droits d’accises et dont des tiers n’ont pas pu et ne pourront pas faire légalement usage de ces timbres, bien qu’il ne soit pas exclu que des tiers les aient utilisés ou pourront le faire en les apposant sur des produits de tabacs commercialisés de manière illégale?

2)      a)     La sixième directive, en particulier son article 27, paragraphes 1 et 5, doit-elle être interprétée en ce sens que le fait que le gouvernement néerlandais n’ait fait savoir à la Commission qu’il souhaitait maintenir le mode particulier de perception de la taxe sur les tabacs manufacturés qu’après l’expiration du délai prévu à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive, telle que prorogé par la neuvième directive, implique dans l’hypothèse où un particulier invoquerait ce dépassement de délai après que cette notification a eu lieu, que ce mode particulier de perception de la taxe devrait demeurer inappliqué même après la date de la notification?

         b)     En cas de réponse négative à la seconde question, sous a), la sixième directive, en particulier son article 27, paragraphes 1 et 5, doit-elle être interprétée en ce sens que le mode particulier de perception de la taxe sur les tabacs manufacturés visé à l’article 28 du code de la TVA néerlandais doit demeurer inappliqué parce qu’incompatible avec les exigences des dispositions précitées de la directive?

         c)     En cas de réponse négative à la seconde question, sous b), la sixième directive, en particulier son article 27, paragraphes 1 et 5, doit-elle être interprétée en ce sens que le non-remboursement de la TVA dans des circonstances telles que celles qui sont décrites dans la première question est incompatible avec elle?»

II – Analyse

30.   Cette affaire est cause, au premier abord, d’une certaine perplexité. Van Landewijck, en tant qu’entrepositaire agréé pour les produits du tabac, est, en vertu du droit néerlandais, appelée à participer à la chaîne du processus de recouvrement des montants de l’accise et de la TVA sur les produits du tabac, qui seront supportés en dernière instance par les consommateurs. À cet égard, elle est tenue de demander et de payer des timbres fiscaux, et d’apposer ces timbres aux produits du tabac avant qu’ils sortent de ses entrepôts.

31.   Or, bien qu’elle ait payé à l’administration fiscale néerlandaise les montants de l’accise et de la TVA dus pour des produits du tabac qui ne sont pas sortis de l’entrepôt, elle est invitée à régler une deuxième fois la même dette fiscale. Van Landewijck est, en fait, soumise à une obligation de payer de nouveau l’accise et la TVA afin de commercialiser ses produits.

32.   On pourrait penser qu’il s’agit d’une situation dans laquelle le proverbe «qui paie mal paie deux fois» trouve à s’appliquer. Mais tel n’est pas le cas. Ainsi qu’il résulte de l’ordonnance de renvoi, il n’existe aucun doute sur le fait que van Landewijck a bien acquitté les montants de l’accise et de la TVA dus, selon le droit néerlandais applicable, pour commercialiser les produits du tabac en cause. La double imposition résulte ici du fait que les timbres, représentatifs du paiement des droits d’accises et de la TVA, ayant disparu en transit sans laisser de trace, van Landewijck est obligée de payer une deuxième fois pour obtenir de nouveaux timbres qui lui permettront de faire sortir de l’entrepôt les produits du tabac en cause.

33.   Afin de savoir si une telle obligation est acceptable à la lumière des directives sur les accises et sur la TVA, il est essentiel de savoir si les timbres ont une valeur intrinsèque qui les distingue de simples papiers attestant le paiement par van Landewijck à l’inspecteur d’une somme d’argent déterminée.

34.   À cet égard, le gouvernement néerlandais, le gouvernement allemand, la Commission des Communautés européennes, et même van Landewijck sont d’accord sur l’existence d’un risque – qui selon van Landewijck est très faible mais néanmoins existant – que des tiers qui s’approprient des timbres disparus les utilisent frauduleusement. Ces tiers peuvent, en effet, les apposer sur des produits du tabac, par exemple de contrebande ou volés sans vignettes fiscales d’un entrepôt (9), de manière à donner l’apparence que les droits d’accises et la TVA ont été acquittés. Or, la valeur intrinsèque des timbres découle précisément du fait qu’en cas de perte ils sont susceptibles d’être utilisés à des fins illicites bien concrétisées, par des tiers qui se les approprient. Un tel risque n’existerait pas si les timbres fiscaux étaient de simples documents représentant la quittance d’une dette déterminée entre deux personnes bien identifiées sur chaque timbre. Pourtant, tel n’est pas le cas, car les timbres ne comportent que trois mentions spécifiques désignant le type ou nature du produit du tabac concerné (cigarettes ou cigares, par exemple), le nombre de pièces ou la quantité, et le prix de détail.

35.   En l’espèce, du fait de la valeur intrinsèque des timbres fiscaux, leur disparition (sans la certitude qu’ils ont été détruits) donne nécessairement lieu à un problème de répartition du risque de leur utilisation abusive entre van Landewijck et l’administration fiscale néerlandaise. Le droit néerlandais résout ce problème de façon identique, que l’on se place dans le régime du droit d’accises ou dans celui de la TVA. Dans les deux cas, aucune disposition normative ne permet à Van Landewijck d’obtenir le remboursement ou la compensation des montants qu’elle a payés au titre de droits d’accises et de TVA dans la situation en cause.

36.   Conformément à l’ordre des questions posées par le Hoge Raad, je commencerai par considérer la question du refus du remboursement des droits d’accises. Je m’attacherai, ensuite, au problème du refus du remboursement de la TVA.

A –    La première question

37.   Le problème de la répartition du risque de perte de timbres n’est pas traité par la directive sur les accises ni par celle sur les tabacs manufacturés. Ces directives se limitent, respectivement à leurs articles 21 et 10, paragraphe 1, à reconnaître aux États membres la possibilité d’utiliser des timbres fiscaux comme moyen de percevoir les droits d’accises sur les tabacs manufacturés.

38.   Rien ne s’oppose, en principe, à ce qu’un État membre prévoie des règles applicables à ces problèmes de répartition du risque de disparition et de l’usage abusif ultérieur des timbres fiscaux qui en résulte. Ainsi, le droit néerlandais prévoit que, sauf dans les cas prévus à l’article 79, paragraphe 3, de la loi sur les accises et à l’article 52 de l’arrêté d’exécution (10), le risque de perte des timbres et d’usage abusif consécutif reste, comme dans le cas d’espèce, à la charge de la personne qui a fait la demande des timbres, et au nom et pour le compte de laquelle ils ont été retirés auprès de PTT Post Filatelie. Cette personne, qui a les timbres sous sa sphère de contrôle, est considérée par le droit néerlandais comme la mieux placée pour éviter que le risque d’usage abusif ne se matérialise ou, à tout le moins, pour se protéger de ce risque, en souscrivant une assurance ou par tout autre moyen. Il s’agit, vraisemblablement, d’une règle de répartition du risque fondée sur une logique de responsabilisation de la partie qui est la mieux placée pour exercer une surveillance sur les timbres (11).

39.   Même s’il semble évident que le législateur communautaire a voulu laisser aux États membres toute latitude quant à la répartition du risque d’une disparition des timbres fiscaux, cela n’implique pas, cependant, que toute réponse à cette question est nécessairement compatible avec la directive sur les accises et avec les principes généraux de droit communautaire, notamment avec le principe de proportionnalité.

40.   La requérante prétend que, du fait que les timbres ne peuvent qu’être utilisés frauduleusement par des tiers, il n’y a pas d’accroissement du manque à gagner en termes de droits d’accises pour le Trésor public, puisque ceux qui commettent ce genre de méfaits n’ont généralement jamais eu l’intention de payer des droits d’accises sur les produits du tabac qu’ils commercialisent. Je ne peux suivre ce raisonnement.

41.   Il est vrai que van Landewijck perd économiquement plus que l’inspecteur si le risque de la perte des timbres pèse sur elle. En effet, si l’administration fiscale supporte le risque d’utilisation abusive ou frauduleuse des timbres disparus, cela n’aboutit pas automatiquement à une perte de recettes pour l’État du montant du droit d’accises représenté par les timbres disparus, puisqu’il n’est pas absolument certain que tous les timbres seront abusivement utilisés.

42.   Si des timbres sont disponibles pour être utilisées illégalement, cela crée évidemment, en tout état de cause, des occasions pour des utilisations abusives. Même si l’on reste dans un cadre de probabilités plus ou moins élevées (mais toujours inférieures à cent pour cent) que l’usage abusif des timbres se vérifie effectivement, le simple fait que des timbres deviennent disponibles pour un tel usage abusif implique, bien entendu, des pertes pour le Trésor public. En conséquence, un refus de compensation ou de remboursement du montant des timbres disparus, comme celui qui résulte de la réglementation néerlandaise, contribue effectivement à empêcher des pertes de recettes pour le Trésor public.

43.   Il est de notoriété publique que le commerce des produits du tabac est affecté par la contrebande et que les timbres fiscaux pour ces produits sont des biens recherchés pour le commerce illégal de produits du tabac. Or, il est évident que la prévention de la fraude, de l’évasion fiscale et des abus est un objectif qui peut légitimement orienter la réglementation nationale relative au régime juridique des timbres fiscaux.(12) Cet objectif est également pertinent pour établir le régime applicable en cas de disparition des timbres, comme dans le cas d’espèce.

44.   Un régime de répartition du risque de disparition des timbres qui permettrait dans le cas d’espèce au demandeur des timbres, pour le compte et au nom duquel ils ont été retirés auprès de PTT Post Filatelie, d’obtenir le remboursement ou la compensation des montants acquittés pour ces timbres favoriserait les abus. Le demandeur des timbres n’aurait pas d’incitation pour prendre soin des timbres d’accises si leur simple disparition donnait lieu à un remboursement ou à une compensation par l’inspecteur. Comme le souligne le gouvernement néerlandais dans ses observations écrites, le demandeur des timbres pourrait même sciemment choisir de faire disparaître les timbres pour se prévaloir ensuite du bénéfice de leur remboursement.

45.   Certes, la requérante allègue que le risque d’utilisation abusive est tellement réduit dans les circonstances particulières de l’espèce (du fait, notamment, du prix de détail dérogatoire qu’elle pratique, de l’augmentation des prix qui a eu lieu après la disparition des timbres et de la conversion des prix depuis l’introduction de l’euro) qu’il serait disproportionné de refuser tout remboursement ou toute compensation des montants versés lors de la demande des timbres disparus.

46.   À cet égard, rappelons que le respect des principes généraux du droit communautaire s’impose à toute autorité nationale chargée d’appliquer le droit communautaire (13). Il est établi que «le principe de proportionnalité est reconnu par une jurisprudence constante de la Cour comme faisant partie des principes généraux du droit communautaire» (14). Il doit donc être respecté par les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations communautaires (15). Afin d’établir si le régime néerlandais de remboursement ou de compensation de montants payés au titre du droit d’accises, qui fait l’objet de la question préjudicielle, est conforme au principe de proportionnalité, il convient de vérifier si les moyens que ce régime met en œuvre sont aptes à réaliser l’objectif qu’il vise et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (16). 

47.   À cet égard, d’une part, le régime néerlandais de remboursement constitue un moyen apte à réaliser l’objectif d’éviter la disparition de timbres et le risque de leur utilisation frauduleuse ultérieure, puisqu’il prend en compte la position de van Landewijck comme étant la personne la mieux placée pour surveiller ces timbres. D’autre part, ce régime n’excède pas les limites de ce qui est nécessaire pour la réalisation des objectifs qu’il vise. Il en irait autrement s’il ne prévoyait aucune possibilité de remboursement ou de compensation lorsque, en cas de force majeure ou d’accident, les timbres ont été détruits ou rendus définitivement inutilisables. De la sorte, il me semble que le régime néerlandais de remboursement ou de compensation des montants de l’accise en cas de perte des timbres fiscaux est bien compatible avec les principes généraux de droit communautaire et, notamment, avec le principe de proportionnalité.

48.   Je suggère par conséquent à la Cour de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi en ce sens que les dispositions de la directive 92/12 ne font pas obstacle à ce que les États membres appliquent un régime légal en vertu duquel lesdits États imputent la responsabilité financière de la perte de timbres fiscaux aux demandeurs et aux réceptionnaires des timbres, et conformément auquel lesdits États ne sont pas tenus de restituer ou de compenser le montant des droits d’accises acquitté au moment de la demande des timbres fiscaux dans des circonstances telles que celles du cas de l’espèce. Ce régime légal est aussi conforme au principe de proportionnalité.

B –    Les questions concernant la TVA

49.   L’article 28 du code de la TVA prévoit un mode de perception de la TVA sur les produits du tabac analogue à celui qui s’applique aux droits d’accises, c’est-à-dire en une seule étape, à l’occasion de la sortie d’un entrepôt de produits soumis aux droits d’accises (ou à l’occasion de l’importation ou de l’acquisition intracommunautaire). Le montant de la TVA exigible doit être payé, comme les droits d’accises, en une seule fois, sans droit à déduction préalable par le demandeur, au moment où il reçoit les timbres d’accises.

50.   Ce régime est un régime particulier dérogatoire (au sens de l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive) au système communautaire normal de perception de la TVA institué par la sixième directive. D’après celle-ci, la TVA serait perçue au moment de la livraison des produits du tabac. Un tel régime dérogatoire a pour but, d’une part, de simplifier le prélèvement de la TVA, celle-ci n’étant perçue qu’à une seule étape de la chaîne de commercialisation des produits du tabac, à l’occasion de la sortie d’un entrepôt ou de l’importation, conformément au système des droits d’accises, et, d’autre part, de lutter contre la fraude, le commerce de détail n’étant pas inclus dans le processus de prélèvement de la taxe.

51.   La seconde question, sous a) et sous b) renvoyée devant la Cour concerne précisément le problème de l’applicabilité de l’article 28 du code de la TVA, du fait que le régime spécifique de perception de la TVA institué par cet article n’a pas été notifié à la Commission dans le délai prévu à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive, tel que prorogé par la neuvième directive, soit le 1er janvier 1979.

1.      La seconde question, sous a)

52.    La première question qui se pose est celle des conséquences de la notification tardive dudit régime à la Commission, effectuée le 12 juin 1979.

53.   Selon la requérante, l’absence de notification de la mesure dérogatoire dans le délai prévu devrait entraîner les mêmes conséquences qu’une absence de notification. Ce régime dérogatoire serait donc illégal et ne pourrait pas être appliqué à l’encontre des particuliers invoquant un tel vice. Le fait que le Royaume des Pays-Bas a effectivement notifié ce régime dérogatoire à la Commission un peu moins de six mois après l’échéance du délai serait sans pertinence à cet égard. Je ne partage pas ce point de vue.

54.    L’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive n’établit pas formellement la sanction applicable en cas de dépassement du délai qu’il prévoit. Dans ces conditions, il faut considérer, d’une part, la nature et la finalité de la décision appelée à être prise au cours du délai en cause et, d’autre part, la situation d’un destinataire dont les intérêts ont été lésés (17).

55.   Je partage le point de vue du gouvernement néerlandais et de la Commission selon lequel le délai en cause est simplement un délai d’ordre. L’objectif d’une telle notification n’est pas d’obtenir l’accord de la Commission mais simplement de lui permettre d’évaluer ces mesures. Dès lors que la notification a effectivement eu lieu et que la Commission a donc été en mesure d’évaluer les mesures dérogatoires en cause et de faire connaître son opinion à leur sujet (ce qu’elle a fait sans relever aucun problème les concernant), l’applicabilité de ces mesures ne saurait être mise en cause. Il en va autrement tant que la Commission n’a pas émis d’opinion au sujet de cette mesure.

56.   Certes, il est clair qu’une mesure dérogatoire qui n’a pas été notifiée à la Commission selon l’article 27, paragraphe 5, ne peut pas rester applicable. Comme le rappelle la requérante dans ses observations, l’arrêt du 27 octobre 1992, Commission/Allemagne (18), affirme que «si l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive permet aux États membres qui appliquaient, au 1er janvier 1977, des mesures particulières dérogatoires de simplification, de les maintenir, cette possibilité n’est ouverte qu’à certaines conditions, dont celle de notifier ces mesures à la Commission avant le 1er janvier 1978» (19).

57.   Cette jurisprudence ne concerne pas, cependant, la question plus spécifique qui nous occupe en l’espèce, de savoir quelles sont les conséquences précises d’une notification effective qui a eu lieu hors délai. À cet égard, un tel dépassement du délai prévu ne peut pas demeurer sans conséquence pour le gouvernement en retard, sinon il deviendrait indifférent du point de vue de l’applicabilité de la mesure en cause de la notifier avant le 1er janvier 1979, des mois ou, peut-être, des années plus tard. Un tel dépassement de délai aura donc pour conséquence que la mesure dérogatoire ne peut pas être appliquée ou opposable à un assujetti pendant la période entre l’échéance du délai et le moment, après la notification, où la Commission a fait connaître son opinion au sujet de la mesure en cause, sans relever de problèmes la concernant.

58.   Je suggère donc à la Cour de répondre à la seconde question sous a) en ce sens que l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive prévoit un délai d’ordre et ne doit pas être interprété en ce sens qu’un particulier peut faire déclarer inapplicable un mode spécifique de perception de la taxe au motif que le délai dans lequel les États membres doivent notifier à la Commission l’existence d’un tel mode de perception particulier est dépassé, dès lors que la Commission a eu effectivement la possibilité d’évaluer le mode de perception en cause et de faire connaître son opinion à son sujet.

2.      La seconde question, sous b)

59.   Même si le caractère tardif de la notification ne rend pas inapplicable le mode spécifique de perception de la TVA sur les produits du tabac qui a fait l’objet de la notification par le Royaume des Pays-Bas, et même si la Commission n’a pas soulevé de problème à cet égard, il faut tout de même analyser la compatibilité de ce régime dérogatoire avec les exigences établies par l’article 27, paragraphe 1 de la sixième directive.

60.    En effet, l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive, établit que les mesures adoptées en vue d’une simplification de la perception de la TVA doivent être conformes aux conditions spécifiques énoncées au paragraphe 1 du même article. Elles «ne peuvent pas influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale».

61.   Il est indiscutable que le mode de perception de la TVA au moyen de timbres fiscaux, dans son ensemble, simplifie la perception de la TVA sur les produits du tabac puisque la perception se fait en une seule étape. En outre, la TVA est calculée sur la base du prix au consommateur final. Ainsi, comme le relève la Commission dans ses observations, le mode de perception en cause implique que le montant de la TVA due est rattaché au prix des produits au stade de leur consommation finale, comme le requiert l’article 27, paragraphe 1. D’après ce système dérogatoire de perception de la TVA au moyen d’une utilisation obligatoire de timbres d’accises et de l’interdiction de vendre les produits du tabac aux consommateurs à un prix différent du prix de détail inscrit sur les timbres, le montant de la taxe payée restera, en principe, strictement proportionnel aux prix de détail des tabacs manufacturés, indépendamment du nombre de transactions qui a lieu durant le processus de production et de distribution des produits du tabac. Il ne découle de ce système aucun manque de conformité avec les conditions établies à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive.

62.   La juridiction de renvoi signale toutefois qu’au cas où, par exemple, des produits demeurent invendus ou sont perdus dans le commerce intermédiaire ou de détail, ou lorsque, dans le commerce de détail, les produits de tabac sont (irrégulièrement) vendus à un prix différent du prix de détail indiqué sur les timbres, alors la compatibilité avec la condition spécifique établie par l’article 27, paragraphe 1, in fine, soulève des doutes. En effet, dans ces situations exceptionnelles, le fabricant peut être tenu d’acquitter plus de TVA que celle qu’il serait tenu d’acquitter si le système communautaire normal de perception de la TVA institué par la sixième directive était applicable. De ce fait, on peut légitimement se poser la question de l’incidence d’un tel régime dérogatoire sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale et si, en effet, il ne va pas au-delà de ce qu’exigent les objectifs poursuivis, à savoir la simplification de la perception de la taxe, ainsi que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus.

63.   Je pense, à cet égard, qu’on ne saurait se fonder sur des circonstances manifestement exceptionnelles, comme le cas où des produits du tabac demeurent invendus, ou bien celui de comportements illégaux de ventes dans le commerce de détail de produits du tabac à un prix différent du prix de détail indiqué sur les timbres fiscaux, pour conclure que, de façon générale, le régime de perception de la TVA en une seule étape, en même temps que le droit d’accises, au moyen de timbres fiscaux, contredit l’exigence prévue à l’article 27, paragraphe 1, selon laquelle la mesure de simplification en cause ne peut influer «sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale». Il faut rappeler également que ce n’est pas toute variation qui est susceptible de rendre le régime dérogatoire incompatible avec les termes de l’article 27, paragraphe 1, mais seulement les variations qui ne sont pas négligeables. Le caractère exceptionnel des variations possibles causées par le régime dérogatoire néerlandais et le fait qu’elles n’ont pas lieu de manière générale et systématique ne permet pas de démontrer qu’elles entraînent, dans leur ensemble, des modifications plus que négligeables sur les montants de la taxe au stade de la consommation finale.

64.   Il faut signaler, en outre, que, selon la jurisprudence de la Cour, les mesures nationales dérogatoires visées à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive, destinées à simplifier la perception de la taxe ou à combattre des fraudes ou évasions fiscales «ne peuvent déroger en principe au respect de la base d’imposition de la TVA visée à l’article 11 de la sixième directive que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif» (20). Ne sont autorisées que les mesures «nécessaires et appropriées à la réalisation de l’objectif spécifique qu’elles poursuivent et si elles affectent le moins possible les objectifs et les principes de la sixième directive» (21).

65.   Le régime dérogatoire de perception de la TVA au moyen de timbres fiscaux en cause a pour but de contribuer à la simplification de la perception de la taxe et de prévenir les fraudes et évasions fiscales. Considéré dans son ensemble, il poursuit ce but sans excéder ce qui est nécessaire à cet effet et n’apporte pas d’entraves sensibles à la réalisation des objectifs de la sixième directive.

66.   Je suggère donc à la Cour de répondre à la deuxième question sous b) posée par la juridiction de renvoi que l’article 27, paragraphes 1 et 5 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’un mode particulier de perception de la TVA pour des produits du tabac, tel que celui qui est établi à l’article 28 du code de la TVA, est compatible avec les exigences qu’il prévoit et n’excède pas, dans son ensemble, ce qui est nécessaire en vue de simplifier la perception de la taxe et de prévenir les fraudes et les évasions fiscales.

3.      La seconde question, sous c)

67.   Par rapport à la question précédente, cette dernière question posée par le Hoge Raad concerne plus particulièrement la compatibilité du régime de remboursement ou de compensation des montants de la TVA payés pour les timbres disparus dans des circonstances décrites dans la première question avec la sixième directive et, en particulier, son article 27, paragraphes 1 et 5.

68.   Comme lors de l’analyse effectuée dans le cadre de la première question posée par la juridiction de renvoi, le fait que les timbres fiscaux en cause ont une valeur intrinsèque et que leur disparition entraîne un risque réel d’utilisation frauduleuse joue également un rôle central pour répondre à cette dernière question. Ainsi qu’il résulte de l’analyse des deux questions précédentes, le droit communautaire ne s’oppose pas, dans le cas d’espèce, à ce que la perception des montants de la TVA dus pour des produits du tabac soit faite au moyen de timbres fiscaux. Or, du fait que ces timbres, selon leurs caractéristiques propres et les indications qu’ils incluent, ont la valeur intrinsèque déjà signalée, il est compréhensible que le régime de répartition du risque de leur disparition soit fondé sur le principe de responsabilisation du demandeur des timbres, qui les a réceptionné lui-même ou par l’intermédiaire d’une autre personne, pour son compte et en son nom, dans la mesure où il s’agit de la personne la mieux placée pour surveiller les valeurs en cause.

69.   Certes, l’application d’une telle règle de répartition du risque de perte des timbres dans les circonstances du cas d’espèce entraîne des conséquences financières très rigoureuses pour un opérateur économique, tel que van Landewijck, ayant perdu des timbres sans que sa faute soit invocable. Cependant, une telle règle de répartition du risque qui fait courir le risque sur le réceptionnaire des timbres qui détient le contrôle effectif sur eux doit être considérée comme une règle ayant un caractère général et abstrait. Le caractère pénible des conséquences financières pour la partie à laquelle le risque incombe est la conséquence logique de l’application de toute règle de répartition du risque de perte de biens dans la vie commerciale. Cela ne saurait impliquer qu’une telle règle générale soit contraire à la sixième directive, et notamment, à son article 27, paragraphes 1 et 5.

70.   Certes, le régime de l’espèce, en ce qu’il prévoit le non-remboursement de timbres disparus mais non détruits, peut donner lieu, du point de vue pratique, à des situations de double imposition de la TVA pour les mêmes produits du tabac. Un tel régime est cependant justifié pour les raisons largement coïncidentes avec celles indiquées dans la réponse à la première question. En ce cas, ce régime de répartition du risque de disparition des timbres et de leur éventuelle utilisation frauduleuse ultérieure est également justifié dans la mesure où «la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive» (22).

71.   Une dernière question se pose. La Commission et la requérante sont d’avis que l’arrêt British American Tobacco et Newman Shipping, precité, est pertinent pour l’analyse de la présente affaire, et justifierait de donner une réponse positive à cette deuxième question sous c). Dès lors que, dans cet arrêt, la Cour à jugé que le vol de produits du tabac d’un entrepôt ne constitue pas une livraison de biens au sens de la sixième directive, il en serait a fortiori ainsi en cas de perte ou de vol des timbres fiscaux destinés à ces mêmes biens.

72.   Je ne partage pas ce point de vue. Dans l’arrêt British American Tobacco et Newman Shipping, précité, la réglementation belge en cause avait comme conséquence qu’un vol de produits du tabac était considéré comme un fait taxable au sens de la sixième directive. La Cour a dit pour droit, à cet égard, qu’un État membre ne saurait introduire un vol de produits soumis à un droit d’accise dans les catégories de faits taxables prévues par la sixième directive (23).

73.   Or, la situation factuelle et la réglementation néerlandaise en cause dans la présente affaire sont bien différentes de celles dans l’affaire British American Tobacco et Newman Shipping, précitée. Dans cette dernière affaire, la mesure dérogatoire en discussion n’était pas justifiée par une logique d’incitation du propriétaire des produits du tabac à les surveiller. Elle serait parfaitement superflue vis-à-vis d’un propriétaire qui, à moins d’un indice de participation frauduleuse au vol, cherche naturellement à éviter la perte de ses produits du tabac, ce qui suffit amplement à l’inciter à la surveillance des produits en cause. Dans le cas de la disparition de timbres fiscaux, au contraire, en l’absence d’une règle de responsabilisation du réceptionnaire des timbres, comme celle en espèce adoptée par le gouvernement néerlandais, il n’y aurait pas d’incitation effective pour le réceptionnaire des timbres à les surveiller si une éventuelle disparition des timbres, sans destruction, donnait facilement lieu à un remboursement ou à une compensation des montants acquittés pour leur achat. Une telle différence permet d’écarter l’argument selon lequel il résulterait a fortiori de l’affaire British American Tobacco et Newman Shipping, précitée, que van Landewijck doit avoir dans la présente affaire un droit au remboursement ou à la compensation des montants payés au titre de la TVA due.

74.   Il me semble par conséquent que la Cour devrait répondre à la seconde question, sous c), en ce sens que l’absence d’obligation de remboursement des montants payés pour les timbres d’accises qui correspondent aux montants de la TVA dus, dans des circonstances telles que celles du cas de l’espèce, est compatible avec la sixième directive, et en particulier avec son article 27, paragraphes 1 et 5.

III – Conclusion

75.   À la lumière des considérations ainsi exposées, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Hoge Raad de la manière suivante:

«1)       Les dispositions de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, ne font pas obstacle à ce que les États membres appliquent un régime légal en vertu duquel ils imputent la responsabilité financière de la perte de timbres fiscaux aux demandeurs et aux réceptionnaires des timbres, et conformément auquel lesdits États ne sont pas tenus de restituer ou de compenser le montant des droits d’accises acquitté au moment de la demande des timbres fiscaux dans des circonstances telles que celles du cas de l’espèce. Ce régime légal est aussi conforme au principe de proportionnalité.

2)       L’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme prévoit un délai d’ordre et doit donc être interprété en ce sens qu’un particulier ne peut pas faire déclarer inapplicable un mode spécifique de perception de la taxe au motif que le délai dans lequel les États membres doivent notifier à la Commission l’existence d’un tel mode de perception particulier est dépassé, dès lors que la Commission a eu effectivement la possibilité d’évaluer le mode de perception en cause et de faire connaître son opinion à son sujet.

3)       L’article 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive 77/388 doit être interprétés en ce sens qu’un mode particulier de perception de la TVA pour des produits du tabac, tel que celui qui est établi à l’article 28 du code de la TVA, est compatible avec les exigences qu’il prévoit et n’excède pas, dans son ensemble, ce qui est nécessaire et proportionné pour simplifier la perception de la taxe et prévenir les fraudes et les évasions fiscales.

4)       L’absence d’obligation de remboursement des montants payés pour les timbres d’accises qui correspondent aux montants de la TVA dus, dans les circonstances telles que celles du cas de l’espèce, est compatible avec la sixième directive et, en particulier, avec son article 27, paragraphes 1 et 5».


1 – Langue originale: le portugais.


2 – JO L 76, p. 1, ci-après la «directive 92/12/CEE» ou «directive sur les accises».


3 – JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive».


4 – JO L 291, p. 40, ci-après la «directive sur les tabacs manufacturés».


5 – Tel qu’en vigueur avant les modifications introduites par la directive 2004/7/CE du Conseil, du 20 janvier 2004 (JO L 27, p. 44).


6 – JO L 194, p. 16, ci-après la «neuvième directive».


7 – Cet article stipule que peuvent demander des timbres d’accises auprès de l’inspecteur, notamment, l’entrepositaire agréé pour les produits du tabac et l’opérateur qui appose des timbres d’accises sur des produits du tabac en dehors du territoire des Pays-Bas.


8 – Cet article 28 du code de la TVA prévoit un mode de perception de la TVA sur les produits du tabac analogue à celui qui s’applique aux droits d’accises. Il détermine que le taux de la TVA applicable sur ces produits est de 19/119e du prix de détail pris en compte pour le calcul des droits d’accises, et que cette TVA n’est pas susceptible de faire l’objet de déduction.


9 – La situation dans l’affaire British American Tobacco et Newman Shipping (arrêt du 14 juillet 2005, C-435/03 non encore publié au Recueil) est précisément celle d’un vol de produits du tabac d’un entrepôt, sans bandelettes fiscales.


10 – Selon l’article 79 de la loi néerlandaise sur les droits d’accises, s’il avait été démontré que les timbres en espèce avaient été détruits, van Landewijck aurait le droit au remboursement ou à la compensation des montants de l’accise payés. Cela est compréhensible du fait que, dans ce cas-là, mais non dans le cas de simple perte, le risque d’utilisation abusive des timbres serait exclu.


11 – Aussi du point de vue du calcul de l’assurance appropriée, le demandeur, après délivrance des timbres, est dans une situation beaucoup plus favorable que l’administration fiscale.


12 – Voir article 21, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive sur les droits d’accises, tel que modifié par la directive 94/74/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 365, p. 46), selon lequel «[s]ans préjudice des dispositions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte du présent article et d’éviter toute fraude, évasion et abus, les États membres veillent à ce que les marques ne créent pas d’entrave à la libre circulation des produits soumis à accise».


13 – Voir, par exemple, arrêts du 26 avril 1988, Krücken (316/86, Rec. p. 2213, point 22), et du 27 septembre 1979, Eridania (230/78, Rec. p. 2749, point 31).


14 – Arrêts du 11 juillet 1989, Schräder (265/87, Rec. p. 2263, point 21), et, plus récemment, du 10 mars 2005, Tempelman et van Schaijk (C-96/03 et C-97/03, Rec. p. I-1895, point 47).


15 – Voir en ce sens, arrêts du 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma (C-107/97, Rec. p. I-3367, point 65), et du 11 juillet 2002, Marks & Spencer (C-62/00, Rec. p. I-6325, point 44).


16 – Voir, arrêts du 7 décembre 1993, ADM Ölmühlen (C-339/92, Rec. p. I-6473, point 15), et Tempelman et van Schaijk, précité, point 47.


17 – Voir, par analogie, arrêt du 27 janvier 1988, Danemark/Commission (349/85, Rec. p. 169, point 19), où la Cour a dit que, «à défaut de toute sanction attachée à l’inobservation de ce délai, celui-ci ne peut être considéré, compte tenu de la nature de la décision d’apurement des comptes dont l’objet essentiel est de s’assurer que les dépenses engagées par les autorités nationales l’ont été selon les règles communautaires, que comme un délai d’ordre, sous réserve de l’atteinte aux intérêts d’un État membre».


18 – C-74/91, Rec. p. I-5437, point 21.


19 – Dans cette même ligne voir arrêt Direct Cosmetics (5/84, Rec. 617, point 22) et arrêt du 11 juillet 1991, Lennartz (C-97/90, Rec. p. I-3795, point 33), lequel affirme que «[d]ans la mesure où une dérogation n’a pas été établie en conformité avec l’article 27, qui impose un devoir de notification aux États membres, les autorités fiscales nationales ne sauraient opposer à un assujetti une disposition dérogatoire au système de la sixième directive».


20 – Arrêts du 10 avril 1984, Commission /Belgique (324/82, Rec. p. 1861, point 29), du 29 mai 1997, Skripalle (C-63/96, Rec. p. I-2847, point 24), et British American Tobacco et Newman Shipping, précité, point 44.


21 – Arrêts du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi (C-177/99 et C-181/99, Rec. p. I-7013, point 43), et du 29 avril 2004, Sudholz (C-17/01, Rec. p. I-4271, point 46).


22 – Arrêt du 29 avril 2004, Gemeente Leusden et Holin Groep (C-487/01 et C-7/02, non encore publié au Recueil, point 76).


23 – Voir points 42 et 48 du présent arrêt.