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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 16 mars 2006 (1)

Affaire C-98/05

De Danske Bilimportører

contre

Skatteministeriet

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (Danemark)]

«Sixième directive TVA – Article 11, A – Base d’imposition – Taxe d’immatriculation des véhicules automobiles»





I –    Introduction

1.     Dans le cadre de la présente procédure, l’Østre Landsret (Danemark) demande à la Cour d’interpréter l’article 11, A, de la sixième directive TVA (2) (ci-après la «sixième directive») en ce qui concerne le rapport entre la TVA et la taxe d’immatriculation des véhicules automobiles.

2.     Il s’agit déjà de la deuxième demande de décision préjudicielle qui tire son origine du même litige au principal. Dans l’arrêt De Danske Bilimportører I (3), la Cour a déjà jugé que la taxe d’immatriculation n’est pas une taxe d’effet équivalent à un droit de douane au sens de l’article 25 CE, parce qu’elle n’est pas perçue lors de l’importation, mais lors de l’immatriculation et qu’elle ne relève pas non plus de l’article 28 CE. L’interdiction des impositions intérieures discriminatoires frappant des produits importés, énoncée à l’article 90 CE, ne trouve pas non plus application en l’absence de production automobile danoise concurrente des importations (4).

3.     La question qui se pose en l’espèce est de savoir si, lors de la livraison d’un véhicule automobile, la taxe d’immatriculation relève de l’assiette de la TVA. Actuellement, l’administration fiscale danoise applique d’abord la TVA au prix de vente du véhicule à immatriculer et perçoit ensuite la taxe d’immatriculation sur le montant total. De l’avis de la demanderesse au principal, la taxe d’immatriculation doit au contraire être incluse dans l’assiette de la TVA. Le montant de la taxe d’immatriculation étant progressif, l’ordre dans lequel les deux taxes sont appliquées au prix influe sur le montant total de la charge fiscale.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

4.     La base d’imposition des opérations intérieures est régie par l’article 11, A, de la sixième directive, qui dispose notamment:

«1. La base d’imposition est constituée:

a)       pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations;

[…]

2. Sont à comprendre dans la base d’imposition:

a)       les impôts, droits, prélèvements et taxes, à l’exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même;

b)       les frais accessoires tels que les frais de commission, d’emballage, de transport et d’assurance demandés par le fournisseur à l’acheteur ou au preneur. Les États membres peuvent considérer comme frais accessoires ceux faisant l’objet d’une convention séparée.

3. Ne sont pas à comprendre dans la base d’imposition:

[…]

c)       les montants reçus par un assujetti de la part de son acheteur ou de son preneur, en remboursement des frais exposés au nom et pour le compte de ces derniers et qui sont portés dans sa comptabilité dans des comptes de passage. Cet assujetti doit justifier le montant effectif de ces dépenses et ne peut pas procéder à la déduction de la taxe qui les a éventuellement grevées.»

B –    Le droit national

5.     La taxe d’immatriculation est perçue en vertu de la loi relative à l’obligation d’immatriculation des véhicules automobiles (lov om registreringspligt af motorkøretøjer m.v., ci-après la «loi relative à la taxe d’immatriculation») (5). Aux termes de l’article 1er de cette loi, la taxe d’immatriculation frappe les véhicules automobiles qui doivent être immatriculés en application du code de la route. La taxe d’immatriculation est exigible lors de la présentation du véhicule à l’immatriculation. À défaut d’immatriculation (et, partant, si la taxe n’est pas acquittée), les véhicules automobiles ne sont pas autorisés à circuler sur la voie publique.

6.     En vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe d’immatriculation, la valeur imposable d’un véhicule automobile neuf est son prix courant, taxe sur la valeur ajoutée comprise, mais sans la taxe prévue par cette loi. Le prix courant est déterminé sur la base des listes de prix des importateurs, auxquels on ajoute la marge du distributeur. La valeur des véhicules automobiles d’occasion, et notamment de ceux qui sont importés à titre de biens personnels dans le cadre d’un déménagement, est estimée conformément à l’article 10 de la loi relative à la taxe d’immatriculation. On utilise pour cela le prix courant du véhicule, TVA comprise, mais hors taxe d’immatriculation.

7.     La taxe d’immatriculation est due en outre sur les véhicules automobiles qui sont reconstruits, par exemple après un accident de la circulation, et qui ne sont ensuite plus identiques, d’un point de vue fiscal, au véhicule initial pour lequel la taxe avait déjà été acquittée. Dans ce cas, la taxe est également liquidée sur la base de la valeur marchande du véhicule, TVA comprise.

8.     En vertu de l’article 14 de la loi relative à la taxe d’immatriculation, quiconque vend à titre professionnel des véhicules soumis à la taxe peut se faire enregistrer auprès des autorités fiscales et douanières. À la différence des vendeurs de différents produits soumis à accise, les vendeurs de véhicules automobiles ne sont toutefois pas tenus de se faire enregistrer. Des particuliers peuvent donc demander eux-mêmes l’immatriculation. Les distributeurs enregistrés bénéficient simplement de l’avantage consistant dans le fait qu’ils ne sont pas tenus de payer la taxe d’immatriculation au comptant lors de la présentation du véhicule, mais qu’ils peuvent également l’acquitter par encaissement bancaire.

III – Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

9.     De Danske Bilimportører, la demanderesse au principal (ci-après «DBI»), est une association professionnelle danoise d’importateurs de voitures. Elle a acheté le 14 janvier 1999 un véhicule neuf destiné à être utilisé par son directeur. Comme cela est habituel lors d’un achat auprès d’un importateur ou de son distributeur agréé, le vendeur a fait immatriculer le véhicule au nom de l’acheteur et a fourni les plaques d’immatriculation. Il a ensuite livré le véhicule immatriculé à l’acheteur.

10.   La facture présentée par le vendeur à DBI indiquait un prix total du véhicule, taxe d’immatriculation (297 456 DKK) et TVA comprises, de 498 596 DKK, ce qui correspondait au prix à la consommation habituel. Le prix se décomposait précisément comme suit:

1)      le prix final réclamé par le distributeur à l’acheteur pour le véhicule, hors TVA et taxe,

2)      la TVA au taux normal de 25 % sur le prix mentionné au point 1,

3)      la taxe d’immatriculation calculée, sous réserve de certaines déductions et de certains ajustements, sur la somme des éléments des points 1 et 2.

11.   De l’avis de DBI, le prix total aurait en revanche dû être calculé de la manière suivante:

1)      le prix final du distributeur,

2)      la taxe d’immatriculation,

3)      la TVA calculée sur les éléments visés aux points 1 et 2.

12.   Le mode de calcul réclamé par DBI aboutirait à une charge fiscale inférieure de 14 899 DKK. La différence s’explique par le fait que la taxe d’immatriculation est progressive.

13.   Dans ce cadre, l’Østre Landsret a posé à la Cour, par ordonnance du 11 février 2005, les cinq questions préjudicielles suivantes, conformément à l’article 234 CE.

«1)      Les dispositions combinées de l’article 11, A, paragraphe 2, sous a), et de l’article 11, A, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive TVA doivent-elles être interprétées en ce sens qu’une taxe d’immatriculation des véhicules automobiles (voitures de tourisme) relève de l’assiette TVA lorsqu’un contrat de vente prévoyant la livraison d’un véhicule neuf destiné au transport de personnes est conclu, dès lors que, conformément au contrat de vente et à l’usage auquel le destine l’acheteur, le véhicule est livré par le distributeur à l’acheteur sous forme immatriculée et pour un prix global qui comprend tant le prix payé au distributeur que la taxe?

2)      L’État membre peut-il aménager son système fiscal de telle sorte que la taxe d’immatriculation soit considérée comme un débours que le distributeur paie pour le compte de l’acheteur final, si bien que c’est l’acheteur final qui est le contribuable direct?

3)      Le fait qu’une voiture de tourisme puisse être achetée et livrée sans que la taxe d’immatriculation ait été acquittée, ce qui se produit lorsque l’acheteur n’a pas l’intention d’utiliser la voiture pour le transport de personnes ou de marchandises dans une zone à laquelle le code de la route s’applique, a-t-il une incidence pour les questions 1 et 2?

4)      Le fait que, dans une mesure non négligeable, des véhicules d’occasion sont importés, notamment à titre de biens personnels, par l’utilisateur final qui paie lui-même la taxe d’immatriculation sans l’intervention d’un distributeur, a-t-il une incidence?

5)       Le point de savoir si le fait générateur de la taxe d’immatriculation intervient et si la taxe devient exigible – le cas échéant à titre de débours – avant l’intervention du fait générateur de la TVA et le moment où celle-ci devient exigible a-t-il une incidence?»

IV – Analyse juridique

14.   L’élément central de la présente demande de décision préjudicielle est constitué par la première question, qui porte sur l’interprétation des dispositions de l’article 11, A, de la sixième directive, relatives à la base d’imposition, en ce qui concerne l’inclusion ou l’exclusion d’une taxe telle la taxe danoise d’immatriculation des véhicules automobiles. Les deuxième à cinquième questions portent sur des aspects secondaires, mais pas véritablement distincts, qui peuvent jouer un rôle pour l’appréciation de la taxe en cause. Il convient dès lors d’examiner ensemble les différentes questions.

A –    Observations liminaires sur l’interprétation de l’article 11, A, de la sixième directive

15.   En vertu de la règle fondamentale de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, la contrepartie, à savoir, en règle générale, le prix payé, constitue la base d’imposition d’une livraison à l’intérieur du pays. Les paragraphes 2 et 3 précisent les montants qui sont à comprendre (paragraphe 2) ou qui ne sont pas à comprendre (paragraphe 3) dans la base d’imposition. Ces dispositions doivent par conséquent être examinées en priorité (6). L’idée de base qui est exprimée au paragraphe 1 conserve toutefois de l’importance pour l’interprétation des paragraphes 2 et 3.

16.   Conformément à l’article 11, A, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, les impôts et taxes doivent en particulier être compris dans la base d’imposition. Cette disposition surprend à première vue. En effet, elle aboutit à ce qu’un impôt ou une taxe soit lui-même soumis à la TVA, bien que le paiement d’un impôt ne crée pas en soi de valeur ajoutée.

17.   La règle s’explique si on l’interprète à la lumière de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive et si on l’applique uniquement aux taxes qui sont si étroitement liées à la livraison du bien qu’elles ont été intégrées dans la valeur de cette opération. La contrepartie, qui constitue le critère général de l’imposition, doit par conséquent se rapporter à la livraison du bien, y inclus les taxes ou impôts compris dans la valeur de celui-ci. En effet, il ressort en particulier de la jurisprudence que seul relève de l’assiette au titre de la contrepartie ce qui présente un lien direct avec l’opération (7).

18.   Ce qui est déterminant pour l’inclusion d’une taxe dans la valeur du bien livré, c’est de savoir si l’opérateur a acquitté la taxe en son nom et pour son propre compte. Si tel est le cas, la contrepartie qui entre en ligne de compte pour la base d’imposition inclut le montant de la taxe en question. Ainsi, les accises sur les huiles minérales, l’alcool et les boissons alcooliques ainsi que sur les tabacs manufacturés, pour lesquels la directive 92/12/CEE (8) a introduit un régime général, relèvent de l’assiette de la TVA. En effet, ces impôts doivent en règle générale être payés par celui qui met la marchandise en libre pratique.

19.   En revanche, les taxes ne font pas partie de la base d’imposition si elles ne constituent que des comptes de passage au sens de l’article 11, A, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive. Le libellé, très large, de la disposition englobe tout type de «montants» et donc également des taxes. En effet, si l’assujetti à la TVA paie une taxe au nom et pour le compte de l’acheteur et si le montant en question est inscrit dans sa comptabilité dans des comptes de passage, la taxe n’est pas intégrée dans la prestation de l’assujetti. Par conséquent, en remboursant la taxe avancée, l’acheteur ne rétribue pas une prestation de l’assujetti (9). Dans ce cas de figure, c’est en réalité l’acheteur qui acquitte lui-même la taxe; l’assujetti n’intervient que pour l’exécution du paiement.

20.   En revanche, le moment où la taxe doit être acquittée n’est pas un critère déterminant en soi. Certes, une taxe acquittée après la livraison n’est généralement plus à considérer comme relevant de la base d’imposition. Toutefois, toutes les taxes payées avant la livraison (10) ne sont pas à comprendre dans la base d’imposition. En effet, si la taxe relève des comptes de passage au sens de l’article 11, A, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive, elle n’entre pas dans la base d’imposition, même si le livreur l’a payée avant la livraison.

21.   Les parties s’accordent plus ou moins sur l’interprétation abstraite de l’article 11, A, de la sixième directive. En revanche, ce qui est litigieux, c’est de savoir comment apprécier concrètement une taxe ayant les caractéristiques de la taxe d’immatriculation danoise.

B –    Sur la qualification de la taxe d’immatriculation danoise

1.      Le point de vue des parties

22.   Les gouvernements danois et néerlandais, ainsi que la Commission, estiment que la base d’imposition de la TVA n’inclut pas la taxe d’immatriculation parce qu’elle ne se rattache pas à la livraison, mais à l’immatriculation (11). Les gouvernements en question considèrent la taxe comme un compte de passage. Le distributeur déclare le véhicule pour le client, au nom duquel l’immatriculation est d’ailleurs opérée.

23.   De l’avis de DBI, la taxe d’immatriculation est au contraire une taxe frappant une marchandise qu’il y a lieu d’inclure dans l’assiette. L'application de la taxe d’immatriculation ne revient pas à imposer l’utilisation du véhicule sur la route, mais le véhicule lui-même. Il n’est pratiquement pas possible d’utiliser un véhicule automobile sans immatriculation.

24.   DBI considère la taxe d’immatriculation comme un élément du prix. Selon elle, l’immatriculation et l’achat ne constituent pas des actes distincts, c’est au contraire un véhicule déjà immatriculé qui est acheté. La taxe d’immatriculation est exigible avant l’opération faisant naître la TVA – la livraison du véhicule. Il n’est pas possible de tirer des arrêts Weigel et Lindfors des conclusions applicables au présent problème, car ces affaires portaient sur l’interprétation de la directive 83/183/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, relative aux franchises fiscales applicables aux importations définitives de biens personnels des particuliers en provenance d’un État membre (JO L 105, p. 64).

25.   DBI fait valoir que le distributeur, qui présente le véhicule à l’immatriculation, ne paie pas la taxe pour le compte d’un tiers, mais est lui-même l’assujetti.

2.      Appréciation

26.   Sous réserve de certaines exceptions, la taxation des véhicules automobiles n’a pas été harmonisée. Les États membres sont donc libres d’exercer leur compétence fiscale en ce domaine, à condition de l’exercer dans le respect du droit communautaire (12).

27.   Par ailleurs, la sixième directive ne restreint pas les États membres dans l’aménagement des autres taxes qui sont perçues lors de la livraison ou de l’immatriculation des véhicules automobiles, à condition que ces taxes n’aient pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires et qu’elles ne donnent pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière (article 33, paragraphe 1, de la sixième directive) (13). Selon la façon dont celles-ci sont aménagées, des conséquences juridiques différentes peuvent cependant découler de la sixième directive pour ce qui est du traitement de telles taxes nationales du point de vue de la TVA.

28.   Il n’est par conséquent pas possible de se prononcer de manière générale sur le traitement, du point de vue de la TVA, de taxes nationales frappant les véhicules automobiles. Dans chaque cas, la taxe nationale considérée doit au contraire être appréciée eu égard à ses caractéristiques propres.

29.   Toutefois, comme le relève à juste titre le gouvernement danois, il n’appartient pas à la Cour d’interpréter dans ce contexte le droit fiscal national. La Cour peut cependant interpréter la sixième directive et prendre en considération, dans ce cadre, les caractéristiques de la législation nationale que la juridiction de renvoi a portées à sa connaissance.

30.   Un premier élément qui revêt une importance fondamentale à cet égard est que la taxe litigieuse est perçue lors de l’immatriculation du véhicule automobile. La Cour a confirmé à plusieurs reprises la qualification de taxe d’immatriculation et en a tiré diverses conséquences juridiques.

31.   Dans l’arrêt De Danske Bilimportører I, elle en a déduit qu’il ne s’agit pas d’une taxe à l’importation, mais d’une redevance intérieure (14). Dans l’arrêt du 16 juin 2005, Commission/Danemark (15), elle a transposé à la taxe d’immatriculation danoise des constatations opérées dans les arrêts Weigel et Lindfors, précités. Elle a conclu que la taxe ne relevait pas de l’article 1er de la directive 83/183 (16). Dans ce contexte, la Cour s’est également référée à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 83/183, qui exclut expressément du champ d’application de la directive les taxes concernant l’utilisation de biens à l’intérieur du pays (17).

32.   La thèse de DBI, selon laquelle la taxe d’immatriculation se rattache en fait à la livraison d’un véhicule et non à son utilisation, ne saurait par conséquent être retenue. Le fait que les déclarations de la Cour se situent dans un autre contexte juridique ne change rien à la qualification effective de la taxe. De plus, s’il était exact que la taxe d’immatriculation est effectivement une taxe liée au produit, la Cour aurait dû, dans l’arrêt De Danske Bilimportører I, l’examiner au regard de l’article 25 CE et non de l’article 90 CE. En effet, en tant que taxe liée au produit, elle rendrait l’importation plus difficile.

33.   Certes, il est rare en pratique que la livraison d’un véhicule neuf et son immatriculation soient dissociées, parce que les distributeurs épargnent aux acheteurs la peine d’avoir à présenter le véhicule auprès des autorités compétentes pour l’immatriculation. En droit, la livraison et l’immatriculation sont toutefois deux opérations distinctes (18).

34.   D’une part, il est possible d’acquérir un véhicule automobile non immatriculé auprès d’un distributeur danois. En effet, il n’y a pas d’obligation légale pour un distributeur de ne vendre que des véhicules immatriculés et taxés. C’est pour cette raison que les distributeurs automobiles ne sont pas nécessairement enregistrés auprès des autorités fiscales.

35.   Le distributeur livrera par exemple un véhicule non immatriculé dans les cas plutôt rares dans lesquels le client souhaite faire immatriculer lui-même le véhicule ou dans lesquels l’immatriculation n’est pas nécessaire parce que le véhicule n’est pas destiné à être utilisé sur la voie publique. L’immatriculation n’est pas nécessaire lorsque le véhicule est uniquement utilisé sur le site d’une entreprise ou exposé dans un musée. Par ailleurs, l’immatriculation au Danemark n’est pas nécessaire lorsque le client entend exporter le véhicule hors du Danemark pour l’utiliser au lieu de sa résidence dans un autre État membre.

36.   D’autre part, dans certains cas des véhicules automobiles sont immatriculés alors qu’ils n’ont pas été directement livrés par un distributeur au Danemark, en particulier lorsque le véhicule est importé par son propriétaire – par exemple à titre de bien personnel dans le cadre d’un déménagement – à partir d’un autre État membre ou lorsqu’un véhicule reconstruit est à nouveau destiné à être utilisé sur la route. Le paiement de la taxe d'immatriculation au Danemark peut également être nécessaire lorsqu’un véhicule, qui est déjà immatriculé dans un autre État membre, est utilisé pendant une période relativement longue au Danemark par une personne y ayant sa résidence (19).

37.   DBI indique que la taxe n’est rattachée à l’immatriculation que parce que cela permet une perception effective de la taxe. Les motifs pour lesquels un législateur national détermine concrètement un fait générateur ne sont toutefois pas pertinents pour le traitement de la taxe du point de vue de la TVA.

38.   Même si l’immatriculation n’est pas indissociable de la livraison, il n’est cependant pas exclu qu’elle fasse partie de l’opération globale effectuée par le vendeur. Cela semble à première vue être corroboré par plusieurs circonstances de fait qui sont relevées par DBI. Ainsi, les prix des véhicules indiqués dans la publicité incluent généralement la taxe d’immatriculation. En outre, le contrat qui est conclu porte en général sur la livraison d’un véhicule immatriculé.

39.   Ces circonstances ne fournissent toutefois aucun éclaircissement pour ce qui est de la qualification de l’élément décisif de l’opération, c’est-à-dire le point de savoir si le vendeur a acquitté la taxe d’immatriculation en son propre nom ou au nom et pour le compte du client.

40.   En droit, cette question doit être résolue à l’aune de l’article 11, A, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive et, partant, de la notion communautaire de l’action au nom et pour le compte d’autrui et non des dispositions de droit civil relatives à la représentation et au mandat, qui diffèrent d’un ordre juridique à l’autre.

41.   De surcroît, l’opération doit être appréciée au regard d’éléments objectifs et ne saurait dépendre des seules stipulations contractuelles convenues entre le distributeur et l’acheteur. Dans le cas contraire, les parties seraient libres de déterminer quels facteurs entrent dans la base d’imposition.

42.   Il ressort des indications du gouvernement danois que la loi relative à la taxe d’immatriculation aménage l’immatriculation de telle sorte que le vendeur déclare certes le véhicule en vue de l’immatriculation, mais que l’immatriculation est ensuite opérée au nom du client. Cette interprétation est corroborée par le fait que le distributeur ne présente un véhicule à l’immatriculation que lorsqu’un contrat de vente portant sur le véhicule en question a été conclu avec un acheteur. En outre, l’immatriculation est le préalable à l’utilisation du véhicule sur la voie publique, qui ne présente en définitive un intérêt que pour le client lui-même. Enfin, la taxe d’immatriculation est facturée au client dans son intégralité et à titre d’élément distinct. Si l’immatriculation est effectuée au nom du client, il est à supposer que la taxe est également payée en son nom et qu’elle constitue un compte de passage dans la comptabilité du distributeur.

43.   Un tel aménagement du régime de la taxe est parfaitement conforme à la sixième directive, qui comporte à l’article 11, A, paragraphe 3, sous c), une disposition expresse pour les comptes de passage, qui est également applicable aux taxes.

44.   Toutefois, d’autres formes de taxes sur les véhicules, qui sont à comprendre dans la base d’imposition de la TVA, sont également licites. Ainsi, la taxe néerlandaise litigieuse dans l’arrêt Wisselink e.a. (20) était perçue, en tant que taxe à la consommation, sur la livraison et l’importation des véhicules, ce que la Cour a considéré comme licite. Elle relevait par conséquent de la base d’imposition de la TVA (21). On ne saurait cependant en tirer de conclusions pour le traitement, du point de vue de la TVA, de la taxe danoise qui est rattachée à l’immatriculation.

45.   Certes, DBI conteste que, en vertu de la législation danoise relative à la taxe, le distributeur acquitte la taxe d’immatriculation au nom de son client. Il appartient à la juridiction de renvoi d’interpréter en dernière analyse le droit national et d’éclaircir cette question.

46.   Les gouvernements danois et néerlandais, ainsi que la Commission, estiment par ailleurs que l’inclusion de la taxe d’immatriculation dans la base d’imposition de la TVA, réclamée par la demanderesse, enfreindrait le principe de neutralité de la TVA. La livraison d’un véhicule que le distributeur a au préalable fait immatriculer serait traitée différemment de la livraison d’un véhicule que le client fait immatriculer lui-même après la livraison.

47.   Le principe de neutralité de la TVA énonce en substance que des faits similaires doivent être taxés de la même façon (22). Si l’on se ralliait au point de vue de DBI, les opérations ne seraient pas similaires parce que, dans un cas, un véhicule non immatriculé est livré et, dans l’autre cas, un véhicule immatriculé est livré, l’immatriculation étant alors considérée comme faisant partie intégrante de la livraison. Or, comme nous l’avons déjà constaté, l’immatriculation ne fait en réalité pas partie de l’opération du distributeur. L’opération qu’il effectue consiste donc en tous les cas uniquement à livrer un véhicule automobile. En conséquence, il ne serait pas compatible avec le principe de neutralité de la TVA que des opérations aussi semblables soient taxées différemment selon que le véhicule est présenté à l’immatriculation par le distributeur avant la livraison ou par l’acheteur après la livraison.

48.   Enfin, le gouvernement danois signale qu’il y aurait un risque de discrimination des véhicules d’occasion importés si la taxe d’immatriculation était appliquée avant la TVA.

49.   Faute d’harmonisation des taxes d’immatriculation des véhicules automobiles, les États membres sont libres de choisir la valeur de référence sur laquelle ils assoient la taxe. Toutefois, comme la Cour l’a constaté, en particulier dans l’arrêt du 11 décembre 1990, Commission/Danemark, précité, l’article 90 CE interdit d’utiliser en tant que base d’imposition, pour les voitures d’occasion importées, une valeur plus défavorable que pour les véhicules acquis sur le territoire national (23). Il ne serait par conséquent pas licite de faire dépendre la taxe d’immatriculation, pour les véhicules d’occasion importés, de la valeur à la date de référence y compris la TVA qui y est incluse, tandis que la taxe d’immatriculation serait calculée, pour les véhicules acquis sur le territoire national, en fonction du prix hors TVA.

50.   Cependant, une telle discrimination peut également être évitée si l’on applique la taxe d’immatriculation à la valeur de référence des véhicules d’occasion, déduction faite de la TVA y afférente. Il est d’ailleurs loisible au législateur national d’appliquer la taxe d’immatriculation au prix net (hors TVA). En effet, l’utilisation du prix net à titre d’assiette de la taxe d’immatriculation peut avoir lieu indépendamment du point de savoir si la taxe d’immatriculation est comprise dans la base d’imposition de la TVA ou non. On ne peut donc pas tirer de conclusions de l’interdiction des impositions intérieures discriminatoires frappant les marchandises importées pour ce qui est de l’interprétation des règles relatives à la base d’imposition de la TVA.

V –    Conclusion

51.   Pour conclure, nous proposons d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles de l’Østre Landsret:

«Une taxe d’immatriculation des véhicules automobiles (véhicules de tourisme) que le vendeur acquitte au nom de son client avant la livraison, qui est portée dans sa comptabilité dans des comptes de passage et qu’il facture ensuite au client ensemble avec le prix du véhicule n’est pas une taxe qui est à comprendre dans la base d’imposition de la TVA conformément à l’article 11, A, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, mais un montant qui n’est pas à comprendre dans la base d’imposition en application de l’article 11, A, paragraphe 3, sous c), de ladite directive.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


3 – Arrêt du 17 juin 2003 (C-383/01, Rec. p. I-6065, points 32, 34, 35 et 42). En outre, la législation danoise relative à la taxe d’immatriculation des véhicules automobiles a déjà fait l’objet des arrêts du 11 décembre 1990, Commission/Danemark (C-47/88, Rec. p. I-4509); du 16 juin 2005, Commission/Danemark [C-138/04, non publié au Recueil, mais accessible en langues danoise et française sur le site de la Cour (www.curia.eu.int)], et du 15 septembre 2005, Commission/Danemark (C-464/02, Rec. p. I-7929).


4 – Arrêts précités note 3 De Danske Bilimportører I (points 38 et 39) et du 11 décembre 1990, Commission/Danemark (point 17).


5 – Voir, de manière générale, sur les taxes d’immatriculation au Danemark et dans d’autres États membres, les conclusions de l’avocat général Jacobs du 27 février 2003 dans l’affaire De Danske Bilimportører I (arrêt précité note 3, points 10 et suiv.).


6 – Arrêts du 27 mars 1990, Boots Company (C-126/88, Rec. p. I-1235, points 15 et 16), et du 3 juillet 2001, Bertelsmann (C-380/99, Rec. p. I-5163, point 15).


7 – Arrêts du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics (230/87, Rec. p. 6365, point 11), et du 2 juin 1994, Empire Stores (C-33/93, Rec. p. I-2329, point 12), et Bertelsmann (précité note 6, point 17).


8 – Directive du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), modifiée en dernier lieu par la directive 2004/106/CE du Conseil, du 16 novembre 2004 (JO L 359, p. 30).


9 – Voir conclusions de l’avocat général Gulmann dans l’affaire Bally (arrêt du 25 mai 1993, C-18/92, Rec. p. I-2871, point 15).


10 – À cet égard, il y a lieu de considérer comme moment de la livraison celui de la remise effective du véhicule et non de la conclusion du contrat de vente, car la notion communautaire de livraison suppose le transfert du pouvoir de disposer en fait du bien (voir arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285, points 7 et 8, et du 6 février 2003, Auto Lease Holland, C-185/01, Rec. p. I-1317, point 32).


11 – Les parties se réfèrent dans ce contexte aux arrêts du 29 avril 2004, Weigel (C-387/01, Rec. p. I-4981, point 47), et du 15 juillet 2004, Lindfors (C-365/02, Rec. p. I-7183, point 26).


12 – Arrêts du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C-451/99, Rec. p. I-3193, point 40), et du 5 septembre 2005, Commission/Danemark (précité note 3, point 74).


13 – Arrêt du 13 juillet 1989, Wisselink e.a. (93/88 et 94/88, Rec. p. 2671, point 13).


14 – Précité note 3, point 34.


15 – Précité note 3, points 13 et 14.


16 – Précitée point 24.


17 – Arrêt du 16 juin 2005, Commission/Danemark (précité note 3, point 15).


18 – Les constatations de la Cour dans l’arrêt du 4 février 1988, Commission/Belgique (391/85, Rec. p. 579, points 25 et 26), ne sauraient être invoquées à l’appui de la thèse selon laquelle la TVA et la taxe d’immatriculation sont à considérer comme formant un ensemble, même si elles reposent d’un point de vue formel sur des faits générateurs distincts. Ces déclarations se rattachent aux circonstances particulières à cette affaire, qui se distingue de la présente affaire par le fait que les deux taxes étaient liées par un mécanisme d’imputation. La taxe d’immatriculation complémentaire belge servait en fait à compenser un moins-perçu de TVA résultant d’une correction, conforme au droit communautaire, de la base d’imposition.


19 – Voir, sur ce cas de figure, arrêt du 5 septembre 2005, Commission/Danemark (précité note 3).


20 – Précité note 13.


21 – Ibidem, point 22.


22 – Arrêts du 7 septembre 1999, Gregg (C-216/97, Rec. p. I-4947, point 20); du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, Rec. p. I-6833, point 30), et du 17 février 2005, Linneweber et Akritidis (C-453/02 et C-462/02, Rec. p. I-1131, point 24).


23 – Arrêt précité note 3, points 21 et 22.