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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE. Kokott

présentées le 11 janvier 2007 (1)

Affaire C-184/05

Twoh International BV

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Sixième directive TVA – Article 28 quater, A, sous a) – Livraison intracommunautaire – Exonération – Conditions sur le plan de la preuve – Directive 77/799/CEE – Règlement (CEE) n° 218/92»





I –    Introduction

1.        Par sa décision de renvoi, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) sollicite l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil (2) ainsi que d’autres instruments juridiques organisant l’assistance mutuelle des administrations fiscales. Il s’agit, en substance, de savoir si l’administration fiscale est tenue de recueillir des informations dans un autre État membre lorsqu’un assujetti ne peut pas démontrer lui-même avoir accompli une livraison intracommunautaire exonérée, parce que l’acquéreur établi dans un autre État membre ne lui a pas remis les déclarations ou documents requis à cet effet. Les questions sont étroitement liées à celles soulevées dans les affaires Teleos e.a. (C-409/04) et Collée (C-146/05), pendantes devant la Cour, dans lesquelles je présente également des conclusions ce jour.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

2.        La directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (3) a inséré dans la sixième directive un nouveau titre XVI bis, intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres», sous lequel figurent les articles 28 bis à 28 quaterdecies. Ces dispositions sont toujours applicables, car la taxation des livraisons de biens entre entreprises n’a pas encore été, à ce jour, l’objet d’une réglementation fiscale communautaire définitive dans le cadre des échanges entre les États membres.

3.        L’article 28 quater, A, de la sixième directive régit l’exonération des livraisons intracommunautaires de biens. Il énonce, notamment:

«[…] dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)      les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

[…]»

4.        L’article 22 de la sixième directive fixe les formalités qui incombent au redevable de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») et prévoit, notamment, dans la version de cette directive applicable en l’espèce (4):

«2.a) Tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la taxe sur la valeur ajoutée et son contrôle par l’administration fiscale.

[…]

3.a)      Tout assujetti doit délivrer une facture, ou un document en tenant lieu, pour les livraisons de biens et les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie. Tout assujetti doit également délivrer une facture, ou un document en tenant lieu, pour les livraisons de biens visées à l’article 28 ter, titre B, paragraphe 1, et pour les livraisons de biens effectuées dans les conditions prévues à l’article 28 quater, titre A. L’assujetti doit conserver un double de tous les documents émis.

[…]

4.a)      Tout assujetti doit déposer une déclaration dans un délai à fixer par les États membres. […]

b)      Dans la déclaration doivent figurer toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, le cas échéant, et dans la mesure où cela apparaît nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées.

c)      Dans la déclaration doivent également figurer:

–        d’une part, le montant total, hors taxe sur la valeur ajoutée, des livraisons de biens visées à l’article 28 quater, titre A, et au titre desquelles la taxe est devenue exigible au cours de la période.

[…]

6.       [….]

b)      Tout assujetti identifié à la taxe sur la valeur ajoutée doit également déposer un état récapitulatif des acquéreurs identifiés à la taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a livré des biens dans les conditions prévues à l’article 28 quater, titre A, points a) et d), […]

[…]

Dans l’état récapitulatif doivent figurer:

[…]

–        le numéro par lequel chaque acquéreur est identifié à la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre État membre et sous lequel les biens lui ont été livrés, […]

[…]

8.      Les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.»

5.        Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 77/799/CEE du Conseil (5) s’applique en particulier aux informations intéressant l’établissement correct des TVA. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 77/799 énonce:

«L’autorité compétente d’un État membre peut demander à l’autorité compétente d’un autre État membre de lui communiquer les informations visées à l’article 1er paragraphe 1 en ce qui concerne un cas précis. L’autorité compétente de l’État requis n’est pas tenue de donner une suite favorable à cette demande lorsqu’il apparaît que l’autorité compétente de l’État requérant n’a pas épuisé ses propres sources habituelles d’information, qu’elle aurait pu, selon les circonstances utiliser pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à l’obtention du résultat recherché.»

6.        Conformément à l’article 3 de la directive 77/799, les États membres échangent dans certains cas automatiquement des informations. Aux termes de l’article 4 de cette directive, les États membres doivent de surcroît s’échanger spontanément des informations dans des cas de figure particuliers.

7.        Le règlement (CEE) n° 218/92 du Conseil (6) prévoit à son article 4 que l’autorité compétente de chaque État membre dispose d’une base de données électronique dans laquelle elle stocke et traite les informations qu’elle recueille conformément à l’article 22, paragraphe 6, sous b), de la sixième directive. Les États membres s’échangent mutuellement certaines informations ou peuvent y avoir directement accès grâce à ces bases de données.

8.        L’article 5 du règlement n° 218/92 régit comme suit l’échange de compléments d’informations dans des cas précis:

«1. Lorsque les informations fournies au titre de l’article 4 sont insuffisantes, l’autorité compétente d’un État membre peut, à tout moment et pour des cas précis, demander un supplément d’informations. L’autorité requise fournit les informations le plus rapidement possible et au plus tard trois mois après réception de la demande.

2. Dans le cas visé au paragraphe 1, l’autorité requise fournit à l’autorité requérante au moins les numéros, les dates et les montants des factures relatives à des opérations déterminées effectuées entre personnes dans les États membres concernés.»

9.        Conformément à l’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 218/92, l’autorité requise d’un État membre ne doit toutefois fournir les informations qu’à la condition que:  

«–      le nombre et la nature des demandes d’information introduites par cette autorité requérante au cours d’une période donnée n’imposent pas de charges administratives disproportionnées à cette autorité requise,

–      cette autorité requérante ait épuisé les sources habituelles d’information, qu’elle aurait pu, selon les circonstances, utiliser pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à l’obtention du résultat recherché,

–      cette autorité requérante ne demande assistance que si elle est en mesure de prêter une assistance similaire à l’autorité requérante d’un autre État membre.»

10.      Les règles d’assistance mutuelle dans le domaine de la TVA ont été synthétisées avec effet au 1er janvier 2004 dans le règlement (CE) n° 1798/2003 du Conseil (7). L’article 5 de ce règlement régit les demandes d’informations. Son article 40 soumet la communication d’informations à une clause de réserve analogue à celle fixée à l’article 2, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive 77/799 et à l’article 7 du règlement n° 218/92.

B –    Le droit national

11.      En vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la loi de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting 1968), du 28 juin 1968 (Staatsblad 1968, n°329), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la «loi de 1968»), lu en combinaison avec le point 9 du tableau II, sous a), annexé à cette loi, le taux de TVA applicable aux livraisons intracommunautaires est de zéro. Selon l’article 12 de l’arrêté d’application de la loi de 1968 (Uitvoeringsbesluit omzetbelasting 1968), cette exonération ne joue que lorsque les conditions requises à cet effet ressortent des pièces justificatives des livres ou des documents.

12.      L’article 4, paragraphe 3, de l’arrêté du secrétaire d’État aux Finances relatif à la taxation des livraisons intracommunautaires (Besluit van de Staatssecretaris van Financiën), du 20 juin 1995 (ci-après la «communication 38») (8), soumet la preuve de la livraison intracommunautaire dans les transactions avec enlèvement des marchandises aux conditions suivantes:

«Si des marchandises sont livrées à un client étranger ‘départ usine’ ou ‘départ entrepôt’ (transactions avec enlèvement des marchandises), le caractère intracommunautaire de la livraison ne pourra pas ressortir d’une lettre de voiture ou des propres documents de transport du fournisseur.

On peut néanmoins concevoir des circonstances dans lesquelles le fournisseur peut être convaincu dans ce cas-là aussi que le client étranger transportera les marchandises dans un autre État membre. Outre les documents établis et les données consignées administrativement, il doit également s’agir dans ce cas d’un client régulier, à moins que le fournisseur ne sache que les livraisons intracommunautaires qu’il a faites à ce client ont suscité des problèmes, lequel client a au reste délivré la déclaration visée ci-après.

Cette déclaration écrite, qui doit être signée par celui qui réceptionne les marchandises, devra au moins indiquer le nom du client et, si le client ne réceptionne pas personnellement les marchandises, le nom de la personne qui se charge de la réception au nom du client, le numéro d’immatriculation du véhicule qui acheminera les marchandises, le numéro de la facture spécifiant les marchandises livrées, le lieu vers lequel le client acheminera les marchandises, ainsi que l’engagement du client de fournir sur demande de l’administration fiscale toute information complémentaire sur la destination des marchandises. Un modèle de déclaration est joint en annexe.

Si les transactions avec enlèvement des marchandises ne concernent pas un client régulier et si celles-ci sont payées au comptant, alors que le fournisseur ne dispose d’aucun document étayant le caractère intracommunautaire de la livraison, c’est-à-dire lorsqu’aucun document autre qu’une facture établie au nom d’un client étranger (mentionnant le numéro d’identification TVA du client) ne fait apparaître le caractère intracommunautaire de la livraison, le fournisseur ne pourra justifier en l’état le bénéfice du taux zéro. Dans ces circonstances, le fournisseur peut éviter le risque d’un rappel de TVA en facturant la TVA néerlandaise à l’acheteur. Lorsqu’il transfère les marchandises vers un autre État membre, l’acheteur devra en faire la déclaration à l’administration fiscale néerlandaise. Sur cette déclaration il pourra déduire la TVA néerlandaise facturée.»

III – Le litige au principal et la question préjudicielle

13.      La société Twoh International BV (ci-après «Twoh») a reçu un rappel de TVA avec majoration pour des livraisons qu’elle avait faites au cours de l’année 1996. Twoh estime que ces livraisons étaient exonérées de TVA en tant que livraisons intracommunautaires. L’administration fiscale néerlandaise a néanmoins refusé cette exonération, parce que Twoh était incapable de produire des preuves suffisantes de l’acheminement ou de l’expédition des marchandises vers un autre État membre. Twoh a rétorqué que les autorités compétentes néerlandaises devaient recueillir des informations auprès des autorités fiscales de l’État membre de destination au titre de la directive 77/799 et du règlement n° 218/92, afin d’avoir la confirmation du caractère intracommunautaire des livraisons. L’administration fiscale néerlandaise a refusé de le faire. Twoh a (largement) succombé dans ses premiers recours formés contre le rappel de TVA.

14.      Twoh s’étant pourvue en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden, celui-ci a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, par décision du 22 avril 2005, la question préjudicielle suivante:

«L’article 28 quater, A, initio et sous a), de la sixième directive – lu conjointement avec la directive [77/799] et avec le règlement [n° 218/92] – doit-il être interprété en ce sens que, si l’État membre d’arrivée ne fournit pas spontanément des informations jugées utiles, l’État membre de départ de l’expédition ou de l’acheminement des marchandises doit demander des informations au prétendu État membre d’arrivée des marchandises et en tirer les enseignements dans l’examen de la preuve de l’expédition ou de l’acheminement des marchandises?»

15.      Dans la procédure devant la Cour, des observations ont été présentées par Twoh, les gouvernements néerlandais et français, l’Irlande, les gouvernements italien, polonais et portugais ainsi que par la Commission des Communautés européennes.

IV – Analyse juridique

16.      Ainsi que je l’ai exposé dans les conclusions présentées ce jour dans l’affaire Teleos e.a., précitée, l’exonération d’une livraison intracommunautaire au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive suppose que l’objet livré soit acheminé ou transporté dans un autre État membre et qu’il ait de ce fait quitté physiquement l’État membre de livraison (9).

17.      Il convient de considérer, à cet égard, que la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA et que, dérogeant à ce principe général, les exonérations de la TVA sont d’interprétation stricte (10). Il appartient à celui qui invoque une dérogation de cette nature de prouver que ses conditions d’application sont réunies. Afin de garantir une application conforme de la sixième directive, l’auteur de la livraison ne doit pas pouvoir s’affranchir de l’obligation d’apporter la preuve que les marchandises ont été acheminées hors de l’État membre de livraison, preuve qui conditionne l’exonération de la livraison intracommunautaire.

18.      Ainsi qu’il ressort de la phrase introductive de l’article 28 quater, A, de la sixième directive, c’est aux États membres qu’il appartient de définir les conditions de forme que doit respecter la preuve pour réunir les conditions d’exonération d’une livraison intracommunautaire (11). Les États membres ont de plus la faculté, conformément à l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, d’imposer aux assujettis d’autres obligations qu’ils estiment nécessaires afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et d’éviter toute fraude fiscale (12). Dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que la sixième directive laisse aux États membres sur ce point, ceux-ci doivent toutefois respecter les principes du traité CE, l’objet et la finalité de cette directive même ainsi que les principes généraux du droit, tels que le principe de proportionnalité (13).

19.      Dans la législation néerlandaise, la communication 38 définit plus avant les conditions auxquelles la preuve doit répondre pour les transactions avec enlèvement des marchandises. Ni le juge de renvoi ni aucune des parties à la procédure n’ont mis en doute la conformité de ces règles avec la sixième directive ou avec des principes généraux de droit.

20.      D’après les éléments de fait constatés par les juges, Twoh n’est pas parvenue dans le litige au principal à apporter des preuves répondant aux règles fixées par la communication 38 pour établir que les objets livrés ont été transportés par l’acheteur des Pays-Bas vers un autre État membre. Twoh estime toutefois que l’administration fiscale est tenue, au titre de la directive 77/799 et du règlement n° 218/92 de recueillir auprès des autorités des États membres de destination des informations pour corroborer le caractère intracommunautaire des livraisons.

21.      On ne saurait suivre Twoh dans son raisonnement.

22.      La directive 77/799 doit favoriser l’assistance administrative et l’échange d’informations entre les États membres pour lutter contre la fraude fiscale (14). Le règlement n° 218/92 complétant la directive 77/799 dans le domaine des impôts indirects contribue lui aussi à cet objectif (15). Le système d’échange d’informations mis en place par ce règlement était devenu nécessaire à la suite, en particulier, de la création du marché intérieur et de la suppression des contrôles internes aux frontières qui en découlait, et il doit prévenir des pertes de recettes fiscales dans l’application du régime transitoire de la sixième directive visant les échanges intracommunautaires (16).

23.      Ces instruments juridiques visent ainsi, en premier lieu, une coopération entre les autorités fiscales des États membres et ne confèrent aucun droit au particulier, abstraction faite de l’information sur le numéro d’identification TVA qui peut être obtenue au titre de l’article 6, paragraphe 4, du règlement n° 218/92. L’échange d’informations entre les États membres ne sert pas à affranchir les assujettis des obligations qui leur incombent en ce qui concerne les preuves exigées en vertu de la sixième directive. Les informations permettent auxdites autorités de vérifier les indications et preuves fournies par les assujettis, mais ne doivent pas les remplacer. Il découle des seuls termes des articles 2, paragraphe 1, de la directive 77/799 et 5 du règlement n° 218/92 que les autorités d’un État membre ont la faculté et non pas l’obligation de solliciter des informations.

24.      De plus, l’autorité requise de l’État membre n’est pas tenue, dans certaines circonstances, de fournir des informations, ainsi que la Commission le relève. C’est ainsi que, selon l’article 7 du règlement n° 218/92, les informations qui y sont visées ne doivent être fournies que si le nombre et la nature des demandes d’information introduites par la même autorité requérante au cours d’une période donnée n’impose pas de charges administratives disproportionnées à l’autorité requise et si l’autorité requérante a épuisé ses propres sources d’information (17).

25.      S’il existait une obligation de recueillir des informations sur l’acquisition intracommunautaire dans l’État membre de destination chaque fois que l’auteur d’une livraison intracommunautaire est démuni de sa preuve, le nombre de demandes pourrait enfler à tel point que les autorités requises rejettent les demandes au titre de l’article 7 du règlement n° 218/92 pour surcroît de charges administratives.

26.      Indépendamment de telles considérations d’ordre pratique, les informations des autorités fiscales de l’État membre de destination ne sont pas non plus absolument aptes à apporter la preuve requise pour exonérer une livraison intracommunautaire au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive.

27.      Ainsi que je l’ai en effet exposé dans les conclusions présentées dans l’affaire Teleos e.a., précitée, les autorités fiscales de l’État membre de livraison et celles de l’État membre de destination vérifient indépendamment les unes des autres si les conditions d’exonération d’une livraison intracommunautaire ou de taxation d’une acquisition intracommunautaire sont réunies (18). Le fait que l’acquisition intracommunautaire de biens soit déclarée dans l’État membre de destination n’est, par conséquent, qu’un indice montrant que ces objets ont effectivement quitté physiquement l’État membre de livraison. Si les autorités fiscales compétentes de ce dernier État disposent d’informations sur ce point, parce que les autorités de l’État membre de destination les lui ont spontanément communiquées (19), cela peut en tout cas étayer un peu plus le droit à l’exonération de la livraison intracommunautaire (20).

28.      Je ne perds pas de vue que, dans l’analyse défendue ici, un assujetti se trouvant dans la situation de Twoh est privé de l’exonération de la livraison alors que ce n’est qu’en raison de la négligence de son cocontractant qu’il ne peut pas démontrer que les biens ont été transportés hors de l’État membre de livraison. Mais si le fournisseur s’en remet à l’acquéreur pour évacuer les marchandises, il court délibérément le risque d’être démuni des preuves sur ce point lorsque l’acquéreur ne les lui fournit pas. Dans cette situation, l’administration fiscale ne peut rien faire. Le fournisseur doit plutôt s’en tenir à son cocontractant et se procurer les preuves auprès de ce dernier ou lui réclamer la TVA s’il ne produit pas la preuve du transport desdites marchandises hors de l’État membre de livraison. Le fournisseur peut se prémunir contre des risques de cette nature en exigeant la constitution en sa faveur d’une garantie à hauteur de la TVA et en la libérant trait pour trait contre la remise des documents de transport.

29.      Dans une situation comme celle-ci, une autorité fiscale n’est dès lors pas tenue de demander aux autorités compétentes d’un autre État membre si elles ont connaissance de déclarations fiscales y attestant l’acquisition intracommunautaire de certains biens.

V –    Conclusion

30.      Par ces motifs, je propose de répondre à la question posée de la manière suivante:

«Celui qui sollicite l’exonération d’une livraison intracommunautaire au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: – assiette uniforme, doit prouver que l’acquéreur a obtenu le pouvoir de disposer comme un propriétaire du bien livré qui a été acheminé ou transporté dans un autre État membre et que le bien a de ce fait physiquement quitté l’État membre de livraison.

Les autorités fiscales de l’État membre de livraison ne sont pas tenues, au titre de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et indirects, ainsi que du règlement (CEE) n° 218/92 du Conseil, du 27 janvier 1992, concernant la coopération administrative dans le domaine des impôts indirects (TVA), de solliciter des autorités fiscales de l’État membre de destination des informations lorsque l’assujetti n’a pas pu apporter lui-même la preuve de l’expédition ou du transport des biens.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Directive du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»).


3 – JO L 376, p. 1.


4 – Voir article 28 nonies de la sixième directive, introduit par la directive 91/680 et modifié par la directive 95/7.


5 – Directive du 19 décembre 1977 concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et indirects (LO L 336, p. 15), telle que modifiée par la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992 (JO L 76, p. 1, ci-après la «directive 77/799»). Depuis l’entrée en vigueur de la directive 2003/93/CE du Conseil, du 7 octobre 2003, modifiant la directive 77/799 (JO L 264, p. 23), la directive 77/799 ne couvre plus la TVA.


6 – Règlement du 27 janvier 1992 concernant la coopération administrative dans le domaine des impôts indirects (TVA) (JO L 24, p. 1).


7 – Règlement du 7 octobre 2003 concernant la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée et abrogeant le règlement n° 218/92 (JO L 264, p. 1).


8 – V-N 1995, p. 2324.


9 – Voir, en particulier, points 45 et 59.


10 – Conclusions dans l’affaire Teleos e.a. (précitée point 63).


11 – Voir en ce sens, également, ordonnance du 3 mars 2004, Transport Service (C-395/02, Rec. p. I-1991, points 27 et 28), ainsi que arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C-255/02, Rec. p. I-1609, points 90 et 91). Voir, également, développements aux points 20 et suivants de mes conclusions de ce jour dans l’affaire Collée, précitée.


12 – Arrêt Halifax e.a. (précité point 92).


13 – Voir en ce sens, également, à propos du droit à la déduction de la TVA versée en amont, arrêts du 18 décembre 1997, Molenheide e.a. (C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Rec. p. I-7281, point 48), et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C-110/98 à C-147/98, Rec. p I-1577, point 52), ainsi que, pour l’article 21, paragraphe 3, de la sixième directive, arrêt du 11 mai 2006, Federation of Technological Industries e.a. (C-384/04, Rec. p. I-4191, point 29).


14 – Voir premier considérant de la directive 77/799. Le nouveau régime mis en place par le règlement n° 1798/2003 n’a rien changé à cet objectif (voir premier considérant de ce règlement).


15 – Voir quatrième considérant du règlement n° 218/92.


16 – Voir premier à troisième considérants du règlement n° 218/92.


17 – Voir, également, article 2, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive 77/799.


18 – Point 90.


19 – En l’espèce, les autorités fiscales néerlandaises n’ont incontestablement pas disposé sur ce point d’informations qui auraient été transmises spontanément. On peut également douter que les données relatives à l’imposition d’acquisitions intracommunautaires par l’État membre de destination fassent partie des informations qui doivent être automatiquement fournies. Ce n’est pas l’État membre de destination qui doit fournir à l’État membre de livraison les informations nécessaires à l’exonération de la livraison intracommunautaire. C’est plutôt ce dernier État qui doit, conformément à l’article 4 du règlement n° 218/92, transmettre à l’État membre de destination les informations qu’il a obtenues au titre de l’article 22, paragraphe 6, sous b) de la sixième directive, (à savoir les données que le fournisseur a sur l’acquéreur), afin de permettre à ces autorités d’assurer que cette acquisition soit imposée.


20 – Voir conclusions dans l’affaire Teleos e.a. précitée (point 91).