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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 4 mai 2006 (1)

Affaire C-251/05

Talacre Beach Caravan Sales Ltd

contre

Commissioners of Customs & Excise

[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), Royaume-Uni]

«Sixième directive TVA – Article 28 – Taux réduit (taux zéro) – Livraison de caravanes – Exclusion, du champ d’application du taux zéro, de l’équipement fourni avec les caravanes»





I –    Introduction

1.     L’article 28 de la sixième directive TVA (2) (ci-après la «sixième directive») autorise les États membres, à certaines conditions, à maintenir temporairement des taux réduits de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»). Le Royaume-Uni, en application de cette disposition, soumet la livraison de certaines caravanes à un taux de 0 % (exonération de la TVA avec déduction de la taxe payée en amont, procédé également appelé «zero-rating»). Le taux zéro ne s’applique cependant pas à l’équipement intérieur, susceptible d’être démonté («removable contents» (3)), de ces mêmes caravanes.

2.     C’est ce point que conteste Talacre Beach Caravan Sales Ltd (ci-après «Talacre» ou l’«appelante») dans l’affaire au principal. Elle estime en effet que la caravane et l’équipement intérieur constituent une livraison. Or, en application des principes de la sixième directive, on ne pourrait appliquer à une livraison unique qu’un seul taux de TVA. Dans le cas présent, ce serait le taux zéro, qui est le taux applicable à la principale composante de la livraison, la caravane.

3.     La Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a saisi la Cour à titre préjudiciel pour savoir si cette analyse de l’appelante est exacte. Selon la juridiction de renvoi, les dispositions nationales, qui imposent la taxation séparée, au taux normal, de la livraison de l’équipement intérieur, devraient dans ce cas rester sans application.

II – Cadre juridique

A –    Dispositions pertinentes de la sixième directive

4.     L’article 12, paragraphe 3, de la sixième directive (4) réglemente le taux normal de la TVA, lequel ne peut être inférieur à 15 %, ainsi que les taux réduits susceptibles d’être appliqués à certaines prestations visées à l’annexe H.

5.     L’article 28, paragraphe 2, de la sixième directive (5) permet, à titre transitoire, d’y déroger:

«Nonobstant l’article 12 paragraphe 3, les dispositions ci-après sont d’application au cours de la période transitoire visée à l’article 28 terdecies [(6)].

a)      Les exonérations avec remboursement de la taxe payée au stade antérieur et les taux réduits inférieurs au taux minimal fixé à l’article 12 paragraphe 3 en matière de taux réduits, qui étaient applicables au 1er janvier 1991 et qui sont en conformité avec la législation communautaire et qui répondent aux critères visés à l’article 17 dernier tiret de la deuxième directive du 11 avril 1967 [(7)], peuvent être maintenues.»

B –    Droit national

6.     L’article 30 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée de 1994 (Added Value Tax Act 1994) réglemente plus en détail les prestations exonérées ouvrant droit à déduction de la taxe acquittée en amont («zero-rating»). En ce qui concerne les prestations soumises au taux zéro, le paragraphe 2 de ladite disposition renvoie à l’annexe 8 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée. À l’intérieur du groupe 9 de cette annexe, le point 1 vise les «caravanes excédant les limites de gabarit actuellement autorisées pour la circulation sur les routes d’une remorque tractée par un véhicule à moteur qui a un poids à vide inférieur à 2 030 kilogrammes».

7.     Il découle d’une note, ayant force de loi (8), au point 1 que l’exonération pour les caravanes ne s’étend pas à leur équipement intérieur susceptible d’être démonté («removable contents»).

III – Faits et question préjudicielle

8.     Talacre exploite des parcs de loisirs et vend dans ce cadre de grandes caravanes résidentielles neuves, installées dans ses parcs. Les caravanes en stock sont proposées aux clients complètement équipées et meublées. Les clients ne peuvent plus exercer aucune influence sur l’équipement.

9.     Les factures adressées par le fabricant des caravanes à Talacre indiquent séparément le prix des caravanes hors TVA, ainsi que le prix de l’équipement intérieur (9) majoré de la TVA au taux normal. Talacre, à son tour, vend les caravanes aux consommateurs finals pour un prix global qui comprend en outre les frais d’emplacement. Le prix n’est alors pas décomposé selon les différents biens, ni la TVA n’est-elle mentionnée sous une forme quelconque.

10.   Talacre a, en vain, demandé aux Commissioners of Costums & Excise le remboursement de la TVA acquittée au titre de l’équipement intérieur des caravanes. L’appelante n’a pas davantage réussi à convaincre la juridiction de première instance du bien-fondé de son point de vue, selon lequel il convenait d’appliquer le taux zéro aux caravanes dans leur ensemble, y compris l’équipement intérieur.

11.   Par ordonnance du 24 mai 2004, parvenue à la Cour une bonne année plus tard, le 14 juin 2005, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), saisie de l’appel introduit par Talacre, a soumis à la Cour la question ci-après en vue d’une décision à titre préjudiciel en vertu de l’article 234 CE:

«Lorsque, sur le fondement de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive du Conseil (77/388/CEE) et en application de sa législation nationale, un État membre a exercé son droit de dérogation afin d’appliquer un taux zéro à la livraison de certains biens, mais qu’il a, dans la même loi, exclu certains biens du champ d’application du taux zéro (‘biens exclus’), le fait qu’il y a une seule livraison de biens (y compris les biens exclus) empêche-t-il l’État membre de percevoir la TVA sur la fourniture des biens exclus au taux normal?»

IV – Appréciation juridique

12.   Il n’est pas contesté que la disposition nationale en cause constitue une exonération, largement conforme aux exigences du régime transitoire instauré par l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive (10). Il convient en particulier de partir du principe que, le 1er janvier 1991, le taux zéro s’appliquait déjà à certaines caravanes et que la règle a été adoptée pour des raisons d’intérêt social bien définies et en faveur des consommateurs finals au sens de l’article 17 de la deuxième directive TVA (11).

13.   Par ailleurs, aux fins de la demande de décision préjudicielle (12), il est constant que l’application du taux zéro à l’équipement intérieur est exclue dans la présente constellation, du fait que l’exception à la dérogation édictée à la note au point 1 du groupe 9 de l’annexe 8 à la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée vient à jouer.

14.   Seul reste donc à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la sixième directive exige de qualifier la livraison d’une caravane et de son équipement intérieur comme prestation globale soumise à un seul taux de TVA, à savoir au taux zéro, applicable à la caravane, la principale composante de la livraison. En d’autres termes, la question est de savoir si la directive fait obstacle à une réglementation nationale en vertu de laquelle la livraison de caravanes et celle de leur équipement intérieur relèvent de différents taux de TVA.

A –    Sur l’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive

15.   L’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive autorise les États membres à maintenir temporairement les exonérations applicables au 1er janvier 1991. La directive renvoie ainsi aux réglementations nationales. Le contenu de celles-ci est par conséquent décisif pour déterminer les prestations exonérées de la taxe. En vertu de la réglementation en cause du Royaume-Uni, seule la caravane elle-même est exonérée de la taxe, non son équipement intérieur.

16.   Par principe, il convient d’observer strictement cette règle nationale et, conformément aux termes clairs de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, on ne saurait l’étendre, comme le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission le relèvent à juste titre; seule une réduction du domaine de l’exonération serait éventuellement possible (13). L’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive s’assimile en effet à une clause de «stand still». Cette disposition figurait déjà dans la version initiale de la directive et permettait à l’époque le maintien en vigueur des dérogations existant au 31 décembre 1975. Elle visait à éviter que la suppression immédiate des avantages non repris dans la directive n’entraînât des situations sociales difficiles (14).

17.   Les exonérations nationales dont l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive autorise le maintien dérogent à plusieurs égards au système mis en place par la directive et sont dès lors d’interprétation stricte (15).

18.   Ce système se caractérise par les traits suivants: en principe, toutes les opérations effectuées par un assujetti à titre onéreux sur le territoire national, ainsi que l’importation de biens, sont soumises à TVA (article 2 de la sixième directive). En règle générale, le taux normal de la taxe, défini plus en détail à l’article 12, paragraphe 3, sous a), premier alinéa, de la sixième directive s’applique alors.

19.   La sixième directive prévoit cependant elle-même toute une série d’exceptions à ce principe, souvent motivées par des considérations de politique sociale. Ainsi, les États membres peuvent soumettre certaines opérations à un taux réduit (16). D’autres opérations sont totalement exonérées de la TVA par l’article 13 de la sixième directive.

20.   Abstraction faite de certaines options ouvertes aux États membres, la sixième directive établit un catalogue exhaustif des opérations exonérées ou taxées à un taux réduit, et ce dans le but d’harmoniser l’assujettissement à la TVA aussi largement que possible et d’exclure ainsi des distorsions de la concurrence. En outre, l’harmonisation garantit un même niveau des recettes provenant de la TVA dans les différents États membres, tout comme des contributions aux ressources propres de la Communauté.

21.    Par dérogation, l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive permet d’avantager des opérations qui ne font pas partie des opérations exonérées ou taxées à un taux réduit définies par la sixième directive elle-même. Ce sont, au contraire, des avantages supplémentaires non harmonisés, accordés pour des raisons d’intérêt social, qui relèvent de choix politiques des États membres (17). C’est de cela qu’il s’agit en l’espèce.

22.   L’avantage en cause dans la présente affaire déroge par ailleurs au système de la directive de par ses modalités. La directive connaît uniquement certains taux réduits, qui ne peuvent être inférieurs à 5 %. Lorsque ces taux sont d’application, le droit à déduction de la taxe acquittée en amont reste entier. En revanche, dans le cas d’une exonération totale de la TVA en vertu de l’article 13 de la sixième directive, la déduction de la taxe acquittée en amont est exclue (18). Seule la plus-value ajoutée au cours de la dernière étape avant la livraison au consommateur final est alors exonérée de la taxe.

23.   En revanche, le «zero-rating» applicable dans l’affaire au principal confère un avantage plus important. D’un point de vue formel, la prestation soumise au taux zéro est considérée comme taxée, ce qui ouvre droit à déduction de la taxe acquittée en amont. Ainsi, dans le cadre de cette forme particulière d’exonération, est exonérée non pas uniquement la plus-value qui vient s’ajouter lors de la livraison au consommateur final, mais également la valeur ajoutée lors des étapes précédentes. Une exonération aussi étendue est fondamentalement étrangère à la sixième directive (19). Dans le système de la sixième directive, seules les livraisons intracommunautaires sont exonérées en conférant néanmoins un droit à déduction de la taxe acquittée en amont (20). Dans ce contexte, le «zero-rating» n’a toutefois pas pour effet de conférer un avantage, mais ne fait que tirer les conséquences du fait que l’obligation à la taxe pèse désormais sur l’acquéreur dans l’État de destination.

B –    Sur la conformité de l’exonération nationale au droit communautaire

24.   L’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive permet uniquement de maintenir des exonérations qui sont en conformité avec la législation communautaire. Cette condition, qui n’a été expressément insérée dans la directive qu’en 1992, peut uniquement être comprise en ce sens que le régime national doit satisfaire aux exigences du droit communautaire par ailleurs, donc, dans la mesure où l’article 28 lui-même n’autorise pas de dérogation, par exemple en ce qui concerne le taux ou le droit à déduction de la taxe acquittée en amont.

25.   Il entre dans les compétences de la Cour de contrôler si les conditions auxquelles l’article 28 de la sixième directive soumet le maintien de telles dispositions nationales sont satisfaites. L’étendue de son contrôle est alors limitée, dans la mesure où le droit communautaire confère aux États membres une certaine marge de décision, par exemple pour déterminer les objectifs sociaux poursuivis par l’exonération (21). Cette limitation ne fait cependant pas obstacle au contrôle du respect du droit communautaire par ailleurs. Ainsi, la Cour a déjà examiné des dérogations nationales au regard du respect du principe de neutralité fiscale (22).

26.   Talacre estime qu’il est contraire aux principes du droit communautaire en matière de traitement des prestations complexes d’appliquer le taux zéro uniquement à la livraison de l’enveloppe extérieure de la caravane, mais non à l’équipement intérieur avec lequel celle-ci est livrée.

1.      Sur la jurisprudence de la Cour en matière de prestation complexe

27.   La sixième directive ne contient pas de disposition spécifique sur le point de savoir à quelles conditions plusieurs prestations connexes sont à considérer comme une prestation globale (23). Dans l’arrêt CPP (24), la Cour a cependant formulé à propos de cette question les observations fondamentales suivantes:

«À cet égard, compte tenu de la double circonstance que, d’une part, il découle de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive que chaque prestation de service doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d’autre part, la prestation constituée d’un seul service au plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA, il importe de rechercher les éléments caractéristiques de l’opération en cause pour déterminer si l’assujetti livre au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique.»

28.   Par conséquent, lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question, aux fins de déterminer si l’on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d’une prestation unique (25). Deux objectifs s’opposent alors. D’une part, il convient d’apprécier de manière différenciée les différentes composantes de cette prestation en fonction de leur nature. D’autre part, décomposer de manière trop détaillée une prestation complexe en prestations distinctes qu’il y a lieu de qualifier séparément rendrait d’autant plus difficile l’application des dispositions en matière de TVA (26).

29.   On est en présence d’une prestation unique notamment dans l’occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale, alors que, à l’inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (27). Une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (28).

30.   Il en va de même lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (29).

31.   La question de l’étendue d’une opération, du point de vue de la TVA, peut alors revêtir une importance particulière non seulement pour localiser le lieu des opérations taxables, mais aussi pour l’application du taux de taxation ou des dispositions relatives à l’exonération prévues par la sixième directive (30). Lorsque la principale composante d’une prestation globale bénéficie d’une exonération, celle-ci, en application des principes exposés ci-dessus, peut également s’étendre aux éléments subordonnés de la prestation qui, seuls, seraient des opérations assujetties (31).

32.   En outre, on ne peut appliquer qu’un taux de TVA à une prestation (complexe). En effet, si l’on retenait que l’on est en présence d’une seule prestation, mais décomposait néanmoins l’assiette de la taxe pour appliquer plusieurs taux de TVA, cela irait à l’encontre du but de la jurisprudence en matière de prestations complexes, qui est de sauvegarder le bon fonctionnement du système de la TVA.

33.   Dans l’arrêt Commission/France (32) (C-384/01), la Cour semble toutefois accepter qu’un «seul aspect» d’une livraison se voie appliquer un taux réduit. L’arrêt portait sur la taxation à un taux réduit des abonnements relatifs aux livraisons d’électricité et de gaz, alors que le prix payé en contrepartie des quantités effectivement consommées continuait à relever du taux normal.

34.   Dans cette procédure en manquement, la Cour a toutefois principalement examiné la question de savoir si la Commission avait apporté la preuve de ce que l’application du taux réduit entraînait une distorsion de la concurrence. Pour cette raison, on peut difficilement tirer de cette décision des conclusions générales au regard de la question qui nous intéresse en l’espèce. Au contraire, la Cour a confirmé tout récemment que la qualification de prestation complexe était d’importance aux fins de l’application du taux de TVA (33). Or, s’il y avait lieu d’appliquer différents taux aux différentes prestations composant une prestation complexe, la qualification de prestation globale serait justement sans incidence sur le taux applicable.

2.      Possibilité de transposer la jurisprudence en matière de prestations complexes à la constellation se présentant en l’espèce

35.   Si l’on appliquait les principes développés par la jurisprudence à propos des prestations complexes sans tenir compte de la constellation particulière de l’espèce, le résultat en serait que les caravanes et leur équipement intérieur constituent effectivement une livraison unique. Cette livraison relèverait alors d’un seul taux de TVA, à savoir le taux applicable à la principale composante de la livraison. À supposer que cette principale composante soit la caravane, il y aurait lieu d’étendre le taux zéro à la livraison accessoire de l’équipement intérieur (34).

36.   Or, cette extension de l’exonération irait dans la présente situation à l’encontre des objectifs poursuivis par l’article 28 de la sixième directive, exposés en introduction. Il est possible de dénouer ce conflit entre le principe, en vertu duquel on ne peut étendre des exonérations nationales au sens de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, et les règles développées par la jurisprudence concernant le traitement des prestations complexes en confrontant l’objet et le but des deux principes.

37.   Les règles mises en place par l’arrêt CPP et les autres décisions en la matière reposent sur la considération qu’une décomposition trop détaillée des opérations pourrait nuire au bon fonctionnement du système de la TVA. À cette préoccupation fait face le souhait de limiter les dérogations nationales aux règles de la sixième directive à ce qui est absolument nécessaire.

38.   Lors de la mise en balance de ces objectifs, il convient d’accorder à l’intérêt de ne pas saper l’harmonisation réalisée par la sixième directive en étendant les dérogations nationales la priorité sur les objectifs poursuivis par la Cour lorsqu’elle a fixé les règles de détermination de l’étendue d’une opération. En effet, ces règles n’ont au fond été développées que pour des raisons pratiques et n’ont pas de caractère absolu.

39.   La Cour a ainsi souligné dans l’arrêt CPP que, eu égard à la diversité des transactions commerciales, il est impossible de donner une réponse exhaustive quant à la manière d’aborder correctement la question de la détermination de l’étendue d’une prestation dans tous les cas (35). On ne saurait donc appliquer les règles énoncées dans l’arrêt CPP de façon mécanique. Pour déterminer l’étendue d’une prestation, il convient au contraire de prendre en considération l’ensemble des circonstances, y compris le contexte juridique particulier. Dans le cas présent, il faut tenir compte de la particularité résultant du fait que le Royaume-Uni a défini les modalités de l’exonération d’une certaine façon, conformément à ses choix de politique sociale, et que si, selon le régime transitoire de l’article 28 de la sixième directive, les avantages nationaux peuvent continuer d’exister, on ne saurait les étendre.

40.   Une exonération nationale en vertu de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive ne peut légalement être appliquée qu’à condition d’être nécessaire – d’après l’État membre – pour des raisons d’intérêt social bien définies et en faveur des consommateurs finals. Le Royaume-Uni a constaté à cet égard qu’il convenait de soumettre au taux zéro uniquement la livraison de caravanes. Il n’a pas considéré qu’il était justifié d’un point de vue social d’inclure également l’équipement intérieur. On ne saurait simplement passer outre cette appréciation du législateur national.

41.   Par ailleurs, le bon fonctionnement du système de la TVA ne sera pas sérieusement mis en cause si la livraison des caravanes et celle de leur équipement intérieur doivent être traitées – éventuellement en s’écartant des principes énoncés dans l’arrêt CPP – comme des opérations taxées séparément. En particulier, il n’apparaît pas que la nécessité d’indiquer spécifiquement les différentes composantes du prix et d’appliquer des taux de TVA différents créerait des difficultés majeures, car, actuellement, le fabricant des caravanes facture déjà ces deux éléments de la prestation séparément à Talacre.

42.   Enfin, il est certes vrai que la Cour a déjà accepté d’étendre l’exonération dont bénéficiait la principale composante d’une prestation complexe aux prestations accessoires connexes (36). Comme le gouvernement du Royaume-Uni l’a cependant fait observer à juste titre, il s’agissait alors d’exonérations en vertu de l’article 13 de la sixième directive, c’est-à-dire d’exonérations ancrées dans le système de la directive et dont l’application exclut la déduction de la taxe acquittée en amont. En revanche, les exonérations nationales autorisées par l’article 28 de la sixième directive se meuvent en dehors du cadre harmonisé. Elles ne poursuivent pas les mêmes objectifs que les exonérations prévues par la sixième directive elle-même et diffèrent de ces dernières quant à leurs modalités. De ce fait, il y a lieu de veiller dans ce type de cas plus fortement à ne pas étendre le domaine de ces exonérations.

43.   En résumé, nous pouvons dresser le constat suivant: on ne saurait comprendre les règles en matière de détermination de l’étendue d’une opération en ce sens qu’elles imposent d’étendre une exonération nationale telle que visée à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive à des biens que le droit national exclut expressément du domaine d’application de cette exonération.

44.   À titre subsidiaire, le Royaume-Uni, soutenu par la Commission, fait encore valoir que les caravanes et leur équipement intérieur ne constituent en réalité pas une prestation complexe au sens où l’entend la jurisprudence, car les biens sont matériellement et économiquement dissociables (37). La Commission partage ce point de vue et souligne en particulier que la disposition en cause vise les équipements susceptibles d’être démontés.

45.   Dans la mesure où la jurisprudence relative aux prestations complexes ne peut de toute manière pas être transposée de façon mécanique à la constellation en cause dans la présente affaire, cette question peut rester ouverte. Ce n’est que dans le cas où la Cour devrait ne pas faire sienne l’analyse que nous proposons qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de décider si, éventuellement, on n’est pas en présence d’une prestation complexe. Plaiderait cependant contre cette thèse que, du point de vue du consommateur moyen, une caravane sans équipement intérieur, ou encore l’équipement intérieur sans la caravane, n’a que peu d’utilité, même si ces biens peuvent en principe être livrés séparément.

V –    Conclusion

46.   Par conséquent, nous proposons de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par la Court of Appeal:

«Les règles régissant la détermination de l’étendue d’une opération ne font pas obstacle à une exonération d’un État membre en vertu de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme qui soumet la livraison de certains biens au taux zéro et exclut d’autres biens du champ d’application de ce taux zéro, y compris dans le cas où les biens couverts par l’exonération et les biens qui en sont exclus sont livrés ensemble.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


3 – Lorsque, simplifiant, nous parlerons ci-après de l’équipement intérieur, nous viserons par là la notion, bien établie en droit national, de «removable contents».


4 – Le taux normal minimum a été instauré, pour une durée limitée, et fixé à cette hauteur par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, modifiant la directive 77/388 et portant mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 384, p. 47). La durée d’application du taux normal minimum a été prorogée à plusieurs reprises par la suite, en dernier lieu jusqu’en 2010 par la directive 2005/92/CE du Conseil, du 12 décembre 2005, modifiant la directive 77/388 en ce qui concerne la durée d’application du taux normal minimum de TVA (JO L 345, p. 19).


5 – Tel que modifié par la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388 (rapprochement des taux de TVA) (JO L 316, p. 1).


6 –      Aux termes de l’article 28 terdecies, paragraphe 4, deuxième phrase, de la sixième directive, l’application du régime transitoire est automatiquement prorogée jusqu’à la date d’entrée en vigueur d’un régime définitif, qui, à ce jour, n’a pas encore été adopté.


7 –      Le passage ainsi visé de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires – Structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71 p. 1303, ci-après la «deuxième directive TVA»), abrogée, énonçait: «En vue du passage des systèmes actuels de taxes sur le chiffre d’affaires au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, les États membres ont la faculté […] de prévoir, jusqu’au moment de la suppression des taxations à l’importation et des détaxations à l’exportation pour les échanges entre les États membres, pour des raisons d’intérêt social bien définies et en faveur des consommateurs finals, des taux réduits ou même des exonérations avec remboursement éventuel des taxes payées au stade antérieur, dans la mesure où l’incidence globale de ces mesures ne dépasse pas celle des allégements appliqués dans le régime actuel».


8 – L’article 96 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée dispose que les annexes sont à interpréter en conformité avec les notes qui y figurent.


9 – L’équipement intérieur standard comprend: salles de bains, revêtements de sol, tringles à rideau, rideaux, placards, cuisines équipées (y compris appareils de cuisson), ensembles de salon, tables à manger, chaises, tabourets, tables basses, écrans, miroirs, armoires, lits et matelas.


10 – Le gouvernement du Royaume-Uni renvoie à ce propos à l’arrêt du 21 juin 1988, Commission/Royaume-Uni (416/85, Rec. p. 3127, en particulier points 34 et suiv.); à l’époque, la Commission n’avait pas critiqué l’exonération en cause en l’espèce.


11 – Précitée à la note 7.


12 – Dans le cadre de la procédure au principal, le point de savoir quels objets sont à considérer comme «removable contents» semble encore être contesté.


13 – Voir arrêts du 29 avril 1999, Norbury Developments (C-136/97, Rec. p. I-2491, point 19), et du 13 juillet 2000, Idéal tourisme (C-36/99, Rec. p. I-6049, point 31).


14 – Proposition de la sixième directive du Conseil en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, présentée par la Commission le 29 juin 1973, Bulletin des Communautés européennes, supplément 11/73, p. 31.


15 – La Cour a souligné à plusieurs reprises qu’il convenait d’interpréter de façon restrictive les régimes particuliers prévus par la sixième directive (ainsi, le régime particulier dont bénéficient les producteurs agricoles: arrêts du 26 mai 2005, Stadt Sundern, C-43/04, Rec. p. I-4491, point 27, et du 15 juillet 2004, Harbs, C-321/02, Rec. p. I-7101, point 27, tout comme le régime particulier applicable aux agences de voyages: arrêt du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin, C-308/96 et C-94/97, Rec. p. I-6229, point 34).


16 – Voir article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, lu en liaison avec l’annexe H, ainsi que sous b) et c), de la sixième directive.


17 – Cela a une incidence sur l’étendue du contrôle opéré par la Cour (à ce sujet, voir point 25 ci-après).


18 – Cela résulte déjà du libellé de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, qui accorde le droit de déduire la taxe acquittée en amont «[d]ans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de[s …] opérations taxées [de l’assujetti]». À propos du lien entre déduction de la taxe acquittée en amont et assujettissement des opérations à la TVA, voir également arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki (C-184/04, non encore publié au Recueil, point 24).


19 – Voir Terra et Kajus, Introduction to European VAT and other indirect taxes 2005, vol. 1, 16.2, p. 712 et suiv.


20 – Voir article 28 ter, A, sous a), lu en liaison avec l’article 17, paragraphe 2, sous d), tel que modifié par l’article 28 septies, de la sixième directive.


21 – La Cour contrôle uniquement si la détermination des raisons d’intérêt social, par une dénaturation de cette notion, aboutirait à des mesures qui se situeraient, par leurs effets et leurs objectifs véritables, en dehors du cadre communautaire (voir arrêt Commission/Royaume-Uni, précité à la note 10, point 14).


22 – Arrêt du 3 mai 2001, Commission/France (C-481/98, Rec. p. I-3369, point 21).


23 – Voir nos conclusions dans l’affaire Levob Verzekeringen et OV Bank (arrêt du 27 octobre 2005, C-41/04, Rec. p. I-9433, point 65).


24 – Arrêt du 25 février 1999 (C-349/96, Rec. p. I-973, point 29). Voir, également, arrêt LevobVerzekeringen et OV Bank (précité à la note 23, point 20).


25 – Arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 23, point 19), qui renvoie aux arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien (C-231/94, Rec. p. I-2395, points 12 à 14) et CPP (précité à la note 24, points 28 et 29).


26 – Voir nos conclusions dans l’affaire Levob Verzekeringen et OV Bank (précitée à la note 23, point 66). Dans certaines conclusions, on distingue même une tendance à faire primer dans ce type de situation l’aspect pratique sur la précision: voir conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire Faaborg-Gelting Linien (arrêt précité à la note 25, point 14) et de l’avocat général Fennelly dans les affaires Dudda (arrêt du 26 septembre 1996, C-327/94, Rec. p. I-4595, point 35) et CPP (précitée à la note 24, points 47 et suiv.).


27 – Arrêts CPP (précité à la note 24, point 30); du 15 mai 2001, Primback (C-34/99, Rec. p. I-3833, point 45), et Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 23, point 21).


28 – Arrêts CPP (précité à la note 24, point 30) et Madgett et Baldwin (précité à la note 15, point 24).


29 – Arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 23, point 22).


30 – Arrêts CPP (précité à la note 24 , point 27) et Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 23, point 18).


31 – À ce propos, voir arrêt du 13 juillet 1989, Henriksen (173/88, Rec. p. 2763). Dans cette affaire, la Cour a étendu l’exonération prévue à l’article 13, B, sous b), de la sixième directive pour l’affermage et la location de biens immeubles à l’emplacement de parking loué avec l’immeuble d’habitation, bien que la location d’emplacements de parking en tant que telle soit une opération assujettie. De même, dans l’arrêt CPP (précité à la note 24), la question se posait de savoir s’il convenait d’étendre l’exonération des prestations d’assurance en vertu de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive à certaines prestations accessoires connexes à la prestation d’assurance.


32 – Arrêt du 8 mai 2003 (Rec. p. I-4395, point 26).


33 – Arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 23, point 18).


34 – Alternativement, il serait également possible de parvenir à un résultat conforme aux principes en matière de taxation des prestations complexes en soumettant l’ensemble de la livraison composée de la caravane et de l’équipement intérieur au taux normal. Tout effet direct des directives au détriment des particuliers étant exclu, l’intervention du législateur serait nécessaire pour réaliser cette solution en abrogeant l’exonération.


35 – Arrêt CPP (précité à la note 24, point 27).


36 – À ce sujet, voir point 31 ci-dessus.


37 – Le gouvernement renvoie à ce propos à l’arrêt du 23 février 1988, Commission/Royaume-Uni (353/85, Rec. p. 817, point 33), lequel ne fournit guère d’indications utiles au regard du présent contexte.