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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 25 octobre 2007 (1)

Affaire C-132/06

Commission des Communautés européennes

contre

République italienne


«Amnistie de TVA ? Exemption de vérification – Relation entre les sommes dues et les sommes perçues – Compatibilité avec la sixième directive»





1.        La Commission des Communautés européennes demande qu’il plaise à la Cour constater que la République italienne n’a pas respecté les obligations qui lui sont imposées par la sixième directive TVA (2) et par l’article 10 CE en ce qu’elle a expressément prévu une renonciation générale à la vérification de transactions imposables effectuées au cours d’une série d’exercices fiscaux.

2.        Les dispositions nationales concernées instaurent une amnistie fiscale aux termes de laquelle, pour autant que certaines déclarations soient effectuées et certaines sommes soient acquittées immédiatement, des absences de déclarations de montants de différentes taxes pour les exercices d’imposition compris entre 1998 (ou dans certains cas 1997) et 2001 ne seront ni poursuivies ni soumises à un examen (3).

3.        La Commission fait valoir que, en ce qui concerne la TVA, l’amnistie est contraire aux dispositions de l’article 2 de la sixième directive, qui exigent que les transactions soient imposées, et aux dispositions de l’article 22, qui imposent diverses obligations en matière de déclaration et de paiement de TVA.

4.        La République italienne soutient que l’amnistie ne donne pas lieu à une renonciation générale, et indiscriminée, à toute vérification; que seul un nombre restreint d’assujettis à la TVA y a eu recours, qu’elle a été extrêmement efficace en termes de taxe récupérée et qu’elle a donc constitué un bon usage de ressources limitées, lequel relève de la latitude nécessairement accordée aux États membres.

 Dispositions communautaires

5.        Aux termes de l’article 10 CE, les États membres ont les obligations générales suivantes: «Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission», ils «s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité».

6.        L’article 2 de la sixième directive dispose ce qui suit:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.       les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.       les importations de biens» (4).

7.        L’article 22 initial de la sixième directive a été remplacé par l’une des dispositions du régime dit «transitoire» figurant au titre XVI, dont le texte applicable se trouve à l’article 28 nonies. Il s’intitule «Obligations en régime intérieur» et est l’article le plus long de la directive (5).

8.        En ce qui concerne le prétendu manquement aux obligations en la présente affaire, la Commission cite initialement trois dispositions de cet article figurant aux paragraphes 4, 5 et 8:

«4. a) Tout assujetti doit déposer une déclaration dans un délai à fixer par les États membres. […]

[…]

5. Tout assujetti doit payer le montant net de la taxe sur la valeur ajoutée lors du dépôt de la déclaration périodique. […]

[…]

8. Les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude […]» (6).

9.        La Commission met ensuite en exergue certaines obligations supplémentaires imposées aux assujettis par l’article 22:

–        la déclaration de tout commencement, tout changement et de toute cessation d’activité en qualité d’assujetti [paragraphe 1, sous a) (7)];

–        la tenue d’une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale [paragraphe 2, sous a) (8)];

–        le dépôt d’un état récapitulatif des transactions intracommunautaires [paragraphe 6, sous b) (9)].

10.      La Commission renvoie enfin à d’autres dispositions de l’article 22 qui imposent des obligations aux États membres:

–        l’identification des assujettis par un numéro individuel [paragraphe 1, sous c), d) et e) (10)];

–        l’adoption des mesures nécessaires pour garantir que les personnes autres que les assujettis qui sont considérées comme redevables de la taxe remplissent toutes les obligations de déclaration et de paiement prévues pour les assujettis (paragraphes 7, 10 et 11 (11)).

 Les dispositions nationales

11.      La Commission critique les articles 8 et 9 de la loi de finances italienne pour 2003 (12). Lesdites dispositions permettent aux assujettis qui n’ont pas déposé de déclarations complètes de déposer des déclarations complémentaires et d’effectuer un paiement qui les dispense de toute responsabilité fiscale supplémentaire pour la période concernée, à savoir les exercices fiscaux compris entre 1998 (ou 1997, dans certains cas) et 2001 inclus. Elles s’appliquent à une multiplicité d’impôts; toutefois, le recours de la Commission ne vise que la TVA. Le résumé suivant des dispositions pertinentes se borne à exposer la situation en ce qui concerne cette taxe.

 L’article 8

12.      L’article 8 permet que des déclarations qui auraient dû être faites avant le 31 octobre 2002 soient «complétées». La procédure a deux variantes régies, respectivement, par les paragraphes 3 et 4.

13.      Au titre de l’article 8, paragraphe 3, le complément implique la présentation d’une déclaration complémentaire pour chacun des exercices fiscaux concernés et le paiement des sommes complémentaires dues en application des dispositions en vigueur au cours de chaque exercice fiscal. En certaines circonstances, lorsque l’acheteur est lui-même redevable de la taxe en amont, mais qu’il omet de la déclarer, le complément ne concerne que la TVA qui n’aurait pas pu être déduite. Cette déclaration complémentaire n’est valable que si elle indique des sommes complémentaires dues s’élevant à un montant d’au moins 300 euros pour chaque exercice fiscal. Les paiements peuvent être scindés en deux versements égaux s’ils dépassent 3 000 euros pour les personnes physiques ou 6 000 euros pour les personnes morales.

14.      L’article 8, paragraphe 4, n’est pas utilisable si l’assujetti n’a rempli de déclaration pour aucun des exercices concernés. Les personnes ayant la possibilité d’invoquer cet article peuvent déposer des déclarations et effectuer des paiements par le biais de certains organismes agréés. Les montants dus peuvent être acquittés par des versements mensuels, mais ils sont alors frappés d’intérêts supplémentaires. La procédure est confidentielle en ce que les montants spécifiques qui sont dus ne sont pas individualisés par rapport aux assujettis.

15.      Au titre de l’article 8, paragraphe 6, lorsque la procédure de l’article 8, paragraphe 3 ou 4, a été suivie, alors, dans la limite du double de la TVA due au titre de la déclaration complémentaire, a) ni l’assujetti ni aucune personne tenue pour solidairement responsable ne fera l’objet d’une vérification fiscale, b) toute sanction fiscale qui aurait pu être infligée est éteinte et c) certaines procédures en matière de fraude fiscale ne peuvent plus être engagées (bien que les procédures pénales déjà engagées ne soient pas éteintes). L’article 8 (6 bis) confirme que des vérifications fiscales peuvent cependant être effectuées pour les sommes dues en plus du montant indiqué à l’article 8, paragraphe 6.

16.      L’article 8, paragraphe 9, permet à ceux qui ont utilisé la procédure confidentielle au titre de l’article 8, paragraphe 4, d’être exemptés de toute autre vérification que celle de la cohérence de leurs déclarations complémentaires.

17.      L’article 8, paragraphe 10, exclut l’application de l’article dans son ensemble dans les cas où, lorsque la loi est entrée en vigueur, a) un avis de redressement avait déjà été émis ou b) une procédure pénale pour fraude avait déjà été engagée pour un exercice fiscal particulier. Cependant, dans certains cas, il est possible de respecter un redressement antérieur et d’utiliser la procédure visée à l’article 8 pour d’autres périodes.

18.      Au titre de l’article 8, paragraphe 12, le dépôt de la déclaration complémentaire ne saurait constituer la dénonciation d’une infraction pénale.

 L’article 9

19.      L’article 9 porte sur le «règlement automatique» en ce qui concerne les années antérieures (13). Les assujettis qui demandent un tel règlement doivent déposer des déclarations pour tous les exercices fiscaux à l’égard desquels des déclarations auraient dû être déposées le 31 octobre 2002 au plus tard.

20.      En vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous b), un règlement automatique implique le paiement, pour chaque exercice fiscal, d’une somme correspondant à 2 % de la TVA sur les opérations de l’assujetti et à 2 % de la TVA en amont déduite durant cet exercice. Ce pourcentage passe à 1,5 % pour une taxe en amont ou en aval qui dépasse 200 000 euros et à 1 % pour les montants supérieurs à 300 000 euros et, lorsque l’application de cette disposition engendre le paiement d’un montant supérieur à 11 600 000 euros, la portion qui dépasse ce chiffre est réduite de 80 %. L’article 9, paragraphe 6, instaure toutefois un chiffre minimal pour les paiements pour chaque exercice, à savoir un montant d’une valeur de 500 euros lorsque le chiffre d’affaires ne dépasse pas 50 000 euros, de 600 euros lorsque le chiffre d’affaires est compris entre 50 000 et 180 000 euros et de 700 euros lorsque le chiffre d’affaires dépasse 180 000 euros.

21.      Pour les exercices individuels pour lesquels aucune déclaration n’a été déposée, l’article 9, paragraphe 8, requiert un paiement forfaitaire d’un montant de 1 500 euros pour les personnes physiques et de 3 000 euros pour les sociétés et les associations, pour chaque exercice fiscal.

22.      Au titre de l’article 9, paragraphe 9, un règlement automatique fait obstacle à des déductions ou à des remboursements complémentaires n’ayant pas fait l’objet d’une demande antérieure par l’assujetti. Il ne fait cependant pas obstacle à certaines vérifications, en particulier celles qui ont trait à la cohérence entre les déclarations faites et les sommes acquittées et à des demandes antérieures de remboursement de la TVA.

23.      L’article 9, paragraphe 10, reflète l’article 8, paragraphe 6. Lorsque la procédure visée à l’article 9 a été suivie, a) ni l’assujetti ni aucune personne tenue pour solidairement responsable ne fera l’objet d’une vérification fiscale, b) toute sanction fiscale qui aurait pu être imposée est éteinte et c) certaines procédures relatives à la fraude fiscale ne peuvent plus être engagées (bien que des procédures pénales déjà engagées ne soient pas éteintes). À la différence de ce qui est prévu à l’article 8, paragraphe 6, ces immunités ne font cependant plus l’objet d’une limite supérieure basée sur le montant de la TVA additionnelle désormais payée ou déclarée.

24.      L’article 9, paragraphe 12, permet un paiement en deux versements égaux lorsque le montant dû dépasse 3 000 euros pour les individus ou 6 000 euros pour les personnes morales.

25.      L’article 9, paragraphe 13, reflète l’article 8, paragraphe 9. Ceux qui ont eu recours à la procédure confidentielle sont exonérés de toute autre vérification que celle de la cohérence de leurs déclarations complémentaires.

26.      L’article 9, paragraphe 14, reflète l’article 8, paragraphe 10. Il exclut l’application de l’article dans son ensemble dans les cas où, lorsque la loi était entrée en vigueur, a) un avis de redressement avait déjà été émis, ou b) une procédure pénale pour fraude avait déjà été engagée en ce qui concerne un exercice fiscal particulier. Cependant, il ajoute une exclusion supplémentaire dans les cas où c) l’assujetti n’a déposé de déclaration pour aucun des exercices fiscaux couverts.

27.      L’article 9, paragraphe 15, limite les exclusions visées à l’article 9, paragraphe 14, sous a) et b), aux exercices fiscaux auxquels elles s’appliquent. Il dispose qu’il ne doit pas y avoir de règlement automatique sur la base de données qui ne correspondent pas à celles qui figurent dans la déclaration déposée. Enfin, il exclut tout remboursement des sommes déjà acquittées, lesquelles doivent être considérées comme des avances sur l’impôt dû.

 La procédure précontentieuse

28.      Considérant que les articles 8 et 9 de la loi de finances pour 2003 étaient incompatibles avec les articles 2 et 22 de la sixième directive, la Commission a envoyé à la République italienne une lettre de mise en demeure, le 19 décembre 2003, au titre de l’article 226 CE. La République italienne a répondu le 30 mars 2004 en contestant toute incompatibilité. La Commission, insatisfaite, a envoyé un avis motivé à la République italienne le 13 octobre 2004 enjoignant celle-ci de se conformer auxdites dispositions dans un délai de deux mois. La République italienne a répondu le 31 janvier 2005 en contestant encore toute incompatibilité. La Commission a formé le présent recours le 8 mars 2006.

 La déclaration demandée

29.      La Commission demande qu’il plaise à la Cour déclarer que, en prévoyant d’une manière expresse et générale, aux articles 8 et 9 de la loi de finances pour 2003, la renonciation à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d’une série de périodes d’imposition, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions des articles 2 et 22 de la sixième directive et de l’article 10 CE. La Commission demande également que la République italienne soit condamnée aux dépens.

30.      La République italienne conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.

 Appréciation

 Recevabilité

31.      La République italienne fait valoir que la Commission a introduit un nouveau grief dans l’avis motivé portant sur une infraction au principe de la neutralité de la TVA et une distorsion de la concurrence qui résulteraient des dispositions contestées. La Commission répond qu’elle ne faisait que rappeler, en réponse aux arguments de la République italienne, la jurisprudence de la Cour en la matière, laquelle est pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer une prétendue infraction aux articles 2 et 22 de la sixième directive.

32.      Dans la mesure où la Commission ne souhaite pas obtenir de déclaration indiquant que les dispositions italiennes enfreignent expressément le principe de neutralité ou distordent la concurrence, sa position semble raisonnable. J’estime donc que rien ne s’oppose à la recevabilité du recours.

 Substance

33.      En la présente affaire, un certain nombre de questions liées opposent les parties et je propose de les examiner sous les intitulés suivants: i) la nature et l’étendue des obligations imposées aux États membres par les articles 2 et 22 de la sixième directive, en particulier en matière de suivi et de contrôle du respect par les assujettis de leurs propres obligations; ii) l’effet, en pratique, des dispositions contestées relatives à l’amnistie (envisagé à la lumière de ces obligations); iii) l’importance à cet égard des diverses modalités de limitation des dispositions d’amnistie, et iv) l’efficacité relative de ces dispositions portant sur l’amnistie, en particulier en termes d’utilisation de ressources par rapport aux montants récupérés, la latitude dont les États membres disposent pour administrer la TVA et la mesure dans laquelle les dispositions relatives à l’amnistie relèvent de ladite latitude.

34.      Bien qu’il serait possible – et intéressant – d’explorer d’autres questions plus générales en ce qui concerne la légalité et/ou les avantages des amnisties de TVA, dont certaines ont été brièvement abordées au cours de la procédure, je ne pense pas qu’il serait utile à la Cour d’examiner plus en détail ces questions générales afin de décider si les dispositions particulières auxquelles la Commission s’oppose sont conformes à la sixième directive. Je restreindrai donc mon analyse essentiellement aux aspects pertinents à l’égard de la déclaration demandée et ne renverrai aux autres questions qu’en tant que considérations d’arrière-plan.

 Les obligations imposées par la sixième directive

35.      J’adhère à la présentation faite par la Commission des obligations imposées à la fois aux assujettis et aux États membres par la sixième directive. De fait, la République italienne semble également accepter les éléments essentiels de ladite présentation, bien qu’elle soutienne que les modalités d’application et de recouvrement relèvent des États membres. La position de la Commission peut être résumée et reformulée comme suit.

36.      Il ressort clairement du préambule de la sixième directive que les «ressources propres» des Communautés comprennent celles «provenant de la TVA et obtenues par l’application d’un taux commun à une assiette déterminée d’une manière uniforme et selon des règles communautaires» (14), qu’il convient «de garantir la neutralité du système commun de taxes sur le chiffre d’affaires quant à l’origine des biens et des prestations de services, pour que soit réalisé à terme un marché commun comportant une saine concurrence et ayant des caractéristiques analogues à celles d’un véritable marché intérieur» (15); et que «[l]es obligations des assujettis devraient être dans la mesure du possible harmonisées pour assurer les garanties nécessaires quant à la perception équivalente de la taxe dans tous les États membres» (16).

37.      La Cour a en outre considéré que la sixième directive devait être interprétée conformément au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA (17) selon lequel des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations ne sauraient être traités différemment en matière de perception de la TVA (18).

38.      Les obligations spécifiques imposées par l’article 22 de la sixième directive sont conçues pour s’assurer que les autorités nationales disposent de toutes les informations nécessaires pour garantir la perception de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale (19). Ces obligations sont le corollaire de la règle figurant à l’article 2 selon laquelle (en l’absence d’exonération spécifique) toutes les opérations qui en relèvent doivent être taxées. Il s’agit là d’une règle générale à laquelle aucun État membre ne peut déroger unilatéralement (20). Bien que l’article 27 de la sixième directive (21) prévoie qu’un État membre puisse demander au Conseil l’autorisation de déroger aux dispositions de la directive «afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales», toute simplification de ce type est subordonnée à la condition selon laquelle elle ne peut influer sur le «montant global des recettes fiscales de l’État membre» (et, en tout cas, il est constant que la République italienne n’a pas demandé d’autorisation en l’espèce).

39.      Chaque État membre a donc l’obligation de prendre toute mesure législative et administrative propre à garantir que la TVA soit intégralement perçue sur son territoire de la même manière que dans d’autres États membres. Bien que l’obligation ne figure pas expressément dans la sixième directive, elle doit être déduite de la mesure dans son ensemble, de l’article 10 CE et de la jurisprudence de la Cour (22). En outre, bien que l’harmonisation ne soit pas totale et que certains aspects administratifs aient par nécessité été laissés à la discrétion des États membres, les obligations visées à l’article 22 de la sixième directive impliquent une harmonisation détaillée au niveau législatif.

40.      Conformément à cette harmonisation, il relève de la responsabilité des États membres de vérifier les déclarations d’impôt, les comptes et les autres documents pertinents ainsi que de calculer et de prélever l’impôt dû. Ils ont une certaine latitude quant au point de savoir de quelle manière il convient de déployer le plus efficacement et le plus équitablement les ressources dont ils disposent lorsqu’ils appliquent la taxe, au moins au cas par cas; toutefois ladite latitude est en tout cas limitée par la nécessité de garantir:

–        que les ressources propres de la Communauté soient prélevées efficacement, et

–        qu’il n’y ait pas de variations significatives de traitement des assujettis soit au sein d’un seul État membre, soit entre États membres.

41.      La République italienne ne conteste pas que les États membres aient l’obligation de surveiller et de vérifier, dans la limite des ressources dont ils disposent, que les assujettis se conforment aux règles relatives à la TVA. Elle conteste toutefois la conclusion selon laquelle les dispositions litigieuses dépasseraient les limites de la latitude légitime qui leur est accordée dans l’exercice de ces fonctions.

42.      Partant, il est nécessaire d’examiner tout d’abord les effets de ces dispositions en pratique.

 Les effets des dispositions contestées

43.      La Commission fait valoir que les dispositions contestées remplacent les relations juridiques normales entourant la responsabilité en matière de TVA par de nouvelles relations qui mettent définitivement un terme à cette responsabilité en la remplaçant par une obligation différente de paiement de montants qui ne présentent aucun lien avec ceux qui auraient dû être calculés et déclarés au titre des règles normales en matière de TVA. Elle décrit l’amnistie comme étant une renonciation «générale, indiscriminée et préalable» au droit de vérification et de redressement, alors que, au titre de la directive, tout arrangement d’amnistie avec des assujettis devrait être décidé au cas par cas. En outre, il y a une grave atteinte au principe de la neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement entre assujettis.

44.      Il faut reconnaître que les dispositions sont complexes; par ailleurs, lors de la procédure, les parties ont exprimé une dissonance d’opinion quant à leurs effets en pratique. Toutefois, au vu des réponses qu’elles ont apportées à des demandes de renseignements plus précis émanant de la Cour, je pense que lesdits effets peuvent être résumés comme suit.

45.      Si un assujetti n’a rempli de déclaration de TVA pour aucun des exercices fiscaux concernés, il ne peut pas bénéficier de l’amnistie au titre de l’article 8, paragraphe 4, ou de l’article 9. Cependant, il peut bénéficier des dispositions d’amnistie au titre de l’article 8 ou de l’article 9, a) s’il a rempli des déclarations (complètes ou incomplètes) pour l’un des exercices fiscaux en question, mais aucune déclaration pour d’autres exercices, ou b) s’il a rempli des déclarations pour tous les exercices fiscaux concernés, mais que certaines de ces déclarations, ou toutes ces déclarations, sont incomplètes ou inexactes.

46.      Lorsqu’un assujetti dépose une déclaration complémentaire, au titre de la procédure de l’article 8, pour un exercice fiscal particulier, et que celle-ci fait apparaître un montant plus important de valeur ajoutée taxable (la différence entre les prestations taxées en amont et les prestations taxées en aval) que celui qu’il avait initialement déclaré, a) il doit alors s’acquitter d’un montant correspondant à celui de la TVA due sur le montant additionnel (d’un minimum de 300 euros) et b) il obtient une immunité le protégeant contre tout redressement ultérieur de sa taxe en aval pour cet exercice, dans la limite du double du montant de TVA additionnelle désormais acquittée.

47.      La procédure de l’article 9 mène à des résultats différents selon qu’une déclaration avait ou non été déposée au départ et selon le montant de la TVA déduite en amont. Cependant, un paiement doit être effectué pour chacun des exercices concernés (qu’une déclaration ait été déposée pour cet exercice ou non, et qu’elle ait été exacte ou non) et il est impossible de déduire des montants supplémentaires. Pour les exercices pour lesquels une déclaration a été déposée, le paiement s’élève à un montant compris entre 1 et 2 % de la TVA en amont initialement déduite, auquel s’ajoute un montant compris entre 1 et 2 % de la TVA en aval initialement déclarée pour cette année (23), avec un minimum de 500, 600 ou 700 euros, en fonction du montant du chiffre d’affaires concerné. Pour chaque exercice pour lequel il n’y a pas eu de dépôt initial de déclaration, un paiement forfaitaire de 1 500 euros pour les personnes physiques et de 3 000 euros pour les sociétés est dû, quel que soit le montant effectivement sous-déclaré ou non déclaré.

48.      Sur cette base, un assujetti qui utilise la procédure visée à l’article 8 paiera un montant correspondant à la totalité de la TVA due sur sa valeur ajoutée précédemment non déclarée et désormais déclarée – mais seulement en ce qui concerne les exercices pour lesquels il n’a pas déposé de déclaration complète et précise. Cependant, il est par là même protégé contre tout redressement ultérieur en ce qui concerne les sommes dues dans la limite du double de ce montant. Partant, il semble improbable qu’il déclare, en pratique, plus de la moitié de sa valeur ajoutée antérieurement non déclarée. Les autorités fiscales récupéreront dans ce cas jusqu’à la moitié de la taxe effectivement due, tout en renonçant à toute possibilité de récupérer l’autre moitié.

49.      Un assujetti qui utilise la procédure de l’article 9 doit s’acquitter d’un paiement pour chacun des exercices compris dans la période concernée, qu’une déclaration précise ait au départ été faite, ou non, pour cet exercice. Si une déclaration (exacte ou inexacte) a été faite, alors le paiement est une petite proportion (jusqu’à 2 %) du montant de la taxe en amont et en aval initialement déclarée; si aucune déclaration n’a été faite, il s’agit d’un paiement forfaitaire d’un montant de 1 500 euros ou 3 000 euros, quel que soit le montant de la TVA qui n’a pas été déclaré. Dans les deux cas, l’assujetti obtient une immunité contre tout redressement ultérieur.

50.      Lorsqu’un assujetti a le choix entre les deux procédures (et souhaite faire usage de l’une de celles-ci), on peut raisonnablement supposer qu’il choisira celle qui lui coûte le moins. Lorsqu’il y a eu un degré limité de «sous-déclaration» ou de «non-déclaration» (et qu’il est donc peut-être plus vraisemblable qu’il soit dû à une erreur commise de bonne foi), la procédure de l’article 8 semble avantageuse en ce qu’elle fournit une immunité contre des contrôles complémentaires en échange du paiement de la moitié du montant de la TVA due. Lorsqu’il a été plus étendu (et qu’il est donc peut-être plus vraisemblable qu’il soit issu d’une fraude intentionnelle), la procédure de l’article 9 fournira une immunité en échange du paiement d’un montant équivalent à une plus petite (et, dans certains cas, très petite (24)) proportion de la taxe due mais non déclarée.

51.      La Commission met en exergue que, aux termes de l’article 9, tout assujetti peut éliminer tout risque de vérification ou de redressement en ce qui concerne une série d’exercices fiscaux en échange d’un paiement ne présentant aucun lien avec le montant de TVA normalement dû à un taux de 20 %. L’amnistie au titre de l’article 8 protège également l’assujetti contre toute vérification ou tout redressement ultérieur, mais en échange d’un paiement plus élevé. Une telle renonciation globale, par les autorités fiscales, à leurs pouvoirs de vérification fausse gravement, selon la Commission, la neutralité du système commun de TVA. Différents assujettis font l’objet d’un traitement très différent en ce qui concerne des transactions comparables, ce qui fausse la saine concurrence.

52.      Une fois encore, je ne peux que partager le point de vue de la Commission selon lequel une disposition législative aux termes de laquelle les commerçants honnêtes et assidus acquittent la TVA dans sa totalité, alors que les commerçants qui agissent frauduleusement ou par négligence peuvent échapper à tout contrôle complémentaire en échange d’un paiement correspondant tout au plus à la moitié, et possiblement à beaucoup moins, de la TVA effectivement due, n’est pas conforme aux obligations imposées aux États membres notamment par les articles 2 et 22 de la sixième directive. Plus particulièrement, les arrangements visés à l’article 9 de la loi de finances italienne pour 2003 négligent complètement les dispositions détaillées de l’article 22 de la sixième directive citées par la Commission (25) en ce qu’ils n’impliquent pas qu’il y ait une déclaration des opérations réellement effectuées et en ce que les montants dus ne sont aucunement liés à la taxe qui aurait dû être déclarée pour ces opérations. En outre, comme la Commission l’indique à juste titre, l’amnistie est plutôt dépourvue de caractère discriminatoire en ce qu’elle ne fait pas de différence entre une «sous-déclaration» occasionnelle et une «sous-déclaration» régulière, entre de petits montants et des montants importants ou entre la négligence et la fraude.

53.      Cependant, la défense de la République italienne repose principalement sur l’argument selon lequel l’amnistie n’est ouverte qu’à une catégorie restreinte d’assujettis et il s’agit d’une mesure efficace qui relève de la latitude dont les États membres disposent pour assurer le recouvrement de montants qui seraient sinon perdus pour les autorités fiscales. Il est donc nécessaire d’examiner ces aspects avant de tirer une conclusion finale.

 Les modalités de limitation des dispositions d’amnistie

54.      La Commission décrit l’amnistie contestée comme étant une renonciation générale et indiscriminée au droit de vérification et de redressement, alors que le gouvernement italien attire l’attention sur certaines limitations de la possibilité de recours aux dispositions d’amnistie. Selon lui, lesdites limitations sont significatives et signifient que l’amnistie ne peut pas être décrite comme étant générale ou indiscriminée.

55.      Tout d’abord, l’amnistie n’est pas disponible pour les assujettis qui n’ont initialement déposé de déclarations de TVA pour aucun des exercices fiscaux concernés (26). La Commission réplique que cette situation est par nature purement marginale.

56.      On peut certes espérer qu’une telle situation soit marginale et la République italienne n’a pas contesté cette qualification. En pratique, il est tout à fait concevable que des entreprises d’une certaine taille, même si elles souhaitent agir frauduleusement vis-à-vis des autorités fiscales, déposent des déclarations suffisamment plausibles afin d’éviter d’attirer l’attention. En revanche, une absence totale de déclaration peut être plus fréquente parmi de plus petits opérateurs qui espèrent en tout cas échapper aux contrôles ou qui ont le sentiment que la fraude est justifiée par une sorte de règle morale de minimis (27). En outre, il est probable que beaucoup d’activités illégales ne seront aucunement déclarées à des fins de TVA, même lorsqu’elles sont en principe soumises à la taxe (28).

57.      Je ne suis donc pas convaincue que l’exclusion soit marginale dans l’ensemble. En ce qui concerne l’économie visible, elle est sans aucun doute marginale, tout simplement dans la mesure où quiconque exerce de manière visible une activité imposable éprouvera le besoin de déclarer ladite activité au moins de manière suffisante pour parer à un contrôle gênant et, ce faisant, ne sera pas exclu de l’amnistie. Cependant, un tel raisonnement ne se vérifie pas en matière d’économie invisible ou souterraine, laquelle a par ailleurs été estimée à plus de 26 % du produit intérieur brut (PIB) en Italie (29).

58.      D’une part, un assujetti (théorique) qui aspire à échapper totalement à l’attention des autorités fiscales est peut-être moins susceptible de chercher la protection d’une amnistie qu’une personne qui est déjà connue des autorités fiscales, mais leur a caché quelque chose. Il est également moins susceptible d’être contrôlé par elles, en particulier si leurs ressources sont limitées, comme le gouvernement italien le fait valoir.

59.      Tout bien considéré, il me semble donc improbable que l’exclusion des assujettis qui n’ont déposé de déclaration pour aucun des exercices fiscaux concernés aura un effet significatif sur le nombre d’entre eux qui bénéficiera ou cherchera à bénéficier de l’amnistie.

60.      Deuxièmement, le gouvernement italien fait valoir que l’amnistie ne peut pas être invoquée lorsque des irrégularités ont déjà été mises en lumière (30). La Commission rétorque que cette exclusion n’est pas complète – dans certains cas, une autre procédure de règlement au titre des articles 15 et 16 de la loi de finances pour 2003 peut être utilisée pour mettre fin à la procédure de redressement et rouvrir la possibilité de recours à l’amnistie – mais le gouvernement italien réplique que l’arrangement en question concerne ceux pour lesquels une telle procédure pouvait encore faire l’objet d’une contestation.

61.      Il ressort du texte des articles 15 et 16 fourni par la République italienne, dans sa duplique, qu’une procédure de redressement qui n’a pas encore atteint le stade d’une ordonnance ou d’une décision définitive peut être interrompue par le paiement d’un montant compris entre 150 euros et, au maximum, 50 % du montant de la taxe réclamée; il ressort, en outre, des articles 8, paragraphe 10, et 9, paragraphe 14, que, une fois qu’un tel paiement a été effectué dans le délai pertinent, l’assujetti peut recourir à l’amnistie au titre de l’article 8 ou de l’article 9.

62.      Partant, l’exclusion invoquée par le gouvernement italien a une étendue limitée. Il est tout naturel qu’une amnistie fiscale qui cherche à déclencher des contributions volontaires, à la place d’une taxe qui aurait normalement été due, mais dont on estime qu’elle est difficile à recouvrer par d’autres moyens, ne devrait pas s’étendre jusqu’à la réouverture, au bénéfice de l’assujetti, d’une procédure qui a déjà été clôturée au bénéfice des autorités fiscales. Cependant, des assujettis faisant l’objet d’une procédure pendante peuvent bénéficier de l’amnistie en payant une portion du montant réclamé dans cette procédure en plus du montant requis au titre de la procédure d’amnistie. L’amnistie sera toujours attractive pour eux si elle signifie qu’ils peuvent gagner une immunité en payant un montant globalement moins élevé que celui qu’ils auraient été susceptibles de payer si la procédure avait été clôturée à leur détriment. Cependant, cela a pour corollaire que les autorités fiscales récupéreront un montant moins élevé que celui qui aurait sinon pu être récupéré, tout en renonçant à toute vérification ultérieure.

63.      Troisièmement, le gouvernement italien souligne que le montant payé au titre de l’amnistie peut être vérifié au regard des chiffres inscrits dans les déclarations effectuées (31) et que, lorsque des demandes de remboursement ont déjà été faites, un recours à la procédure d’amnistie ne fait pas obstacle à une vérification de la validité de ces demandes.

64.      Comme la Commission l’indique à juste titre, la première de ces vérifications est purement formelle et dépend entièrement de l’exactitude des déclarations effectuées – qui est elle-même exclue de toute vérification par la procédure d’amnistie.

65.      Le deuxième type de vérification concerne les demandes de remboursement de TVA, c’est-à-dire les situations où la taxe en amont dépasse la taxe en aval, de telle sorte que la différence entre celles-ci profite à l’assujetti plutôt qu’aux autorités fiscales. Le gouvernement italien affirme que, dans de tels cas, indépendamment de l’amnistie, la vérification peut être étendue au fournisseur qui a émis les factures indiquant la TVA payée en amont et qui est en tout cas redevable de la taxe du fait de l’émission de la facture concernée (32).

66.      Il me semble que cette exclusion de l’immunité de vérification soit à nouveau susceptible d’être marginale. Un commerçant qui a demandé un remboursement de TVA auquel il n’avait pas droit aura agi de la sorte soit avec, soit sans la complicité de ses fournisseurs qui lui auront fourni des factures montrant un montant de TVA payée en amont qui n’aura en fait pas été acquitté aux autorités. S’il y a eu une telle complicité, on peut se demander s’il souhaitera profiter de l’amnistie à moins que la découverte de la fraude ne semble déjà imminente, dans la mesure où il est en possession de documents lui donnant prima facie un droit de remboursement et qu’un recours à l’amnistie impliquerait nécessairement de dénoncer ses associés ayant agi frauduleusement. En cas de fraude «à l’opérateur défaillant» (disparition d’un ou de plusieurs opérateurs sans que la TVA soit déclarée aux autorités), un contrôle des fournisseurs sera par définition infructueux. En revanche, s’il n’y a pas eu de complicité, il est moins vraisemblable que des irrégularités apparaîtront en amont lors de la vérification.

67.      Globalement, les limitations de l’étendue de l’amnistie invoquées par le gouvernement italien ne semblent pas être substantielles, même si elles ne sont pas complètement illusoires.

 L’efficacité de la récupération et la latitude dont les États membres disposent

68.      Il est constant que, au titre du système de TVA, tel qu’il est harmonisé actuellement, les États membres sont responsables du suivi du respect de leurs obligations par les assujettis, de la vérification des déclarations, des comptes et de tout autre document pertinent, ainsi que du calcul et du recouvrement de l’impôt dû. Il n’est pas non plus contesté qu’ils disposent d’une certaine latitude à cet égard, notamment quant à la manière dont il convient de déployer le plus efficacement les ressources dont ils disposent.

69.      La République italienne fait valoir que les dispositions contestées encouragent les déclarations spontanées de montants antérieurement non déclarés par certains assujettis, ce qui libère des ressources pour contrôler les impénitents et fournit globalement un bénéfice plus important que celui qui aurait sinon pu être obtenu. Cela se situe dans les limites de la latitude que la Commission reconnaît elle-même aux États membres lors de la détermination de la manière dont il convient de déployer leurs ressources afin de garantir au mieux le respect et la mise en application des dispositions.

70.      Le gouvernement italien précise qu’un nombre total de 162 000 assujettis a profité de l’amnistie de l’article 8 et 750 000 de l’amnistie de l’article 9. Ce deuxième chiffre représente 13,37 % des 5 309 654 assujettis enregistrés en Italie en 2001 (33). En 2003, la somme totale récupérée (1 938 millions d’euros) s’est élevée à environ 1,9 % de l’ensemble de la TVA (101 890 millions d’euros) perçue au cours de cet exercice. En revanche, les montants de TVA récupérés à la suite de vérifications conventionnelles entre 1999 et 2002 ont été bien moins importants; ils ont varié entre 140 millions d’euros et 357 millions d’euros et ont seulement atteint un total de 1 049 millions d’euros pour la période de quatre ans (34). Selon la République italienne, ces chiffres montrent à quel point le recours est infondé.

71.      La Commission rétorque que ces chiffres indiquent plutôt que bien trop d’assujettis ont profité de l’amnistie et que cela a eu un résultat bien trop limité. Les bénéfices (une récupération accrue et plus efficace) prétendument engendrés par l’amnistie sont illusoires (la proportion récupérée est infime et le seul véritable effet est l’obstacle à la vérification par les autorités fiscales) et, en tout cas, ils sont dépourvus de pertinence compte tenu du caractère contraignant des exigences des articles 2 et 22 de la sixième directive.

72.      La République italienne réplique que les dispositions contestées encouragent les déclarations spontanées; que les ressources peuvent donc être réattribuées pour contrôler des assujettis qui ne tirent pas profit de ces dispositions; que, pour ces personnes, l’article 10 de la loi de finances pour 2003 a prolongé la période de vérification potentielle de deux ans et que les montants récupérés étaient sensiblement plus élevés qu’ils ne l’auraient sinon été. Les avantages sont donc réels et ne sauraient être considérés comme non pertinents. En outre, a) l’amnistie concerne des cas dans lesquels l’absence de présentation de déclaration n’avait pas été détectée et n’aurait peut-être jamais été détectée, b) au titre de l’article 9, l’assujetti doit effectuer un paiement pour chaque exercice fiscal de la série, même si seulement l’un d’entre eux est concerné par l’omission originale; c) la taxe, bien qu’elle soit moins élevée que le montant théoriquement dû, est récupérée immédiatement plutôt qu’à la suite d’une longue procédure d’enquête et de recouvrement.

73.      L’objection de la Commission aux amnisties de TVA ne semble pas être absolue, mais elle est véhémente en ce qui concerne la forme adoptée par les dispositions contestées.

74.      Il peut donc être utile d’examiner brièvement le phénomène en général. Les amnisties fiscales impliquent habituellement une immunité contre les sanctions pénales, les amendes et le paiement d’intérêts (en tout ou partie) – et la Commission accepte explicitement que, en ce qui concerne la TVA, de telles questions relèvent de la compétence des États membres sans que celle-ci soit entravée par le droit communautaire. Tout aussi habituellement, cependant, les amnisties impliquent le paiement intégral des montants dus et n’entraînent pas d’exemption de vérification. L’objectif est généralement d’encourager un paiement volontaire en accordant une immunité contre des sanctions (dont la menace vise à encourager un respect initial des obligations fiscales, mais peut également décourager un respect tardif si le prix de la repentance est trop élevé) tout en s’abstenant d’aller jusqu’à rendre plus avantageux le fait de frauder, et de s’en repentir ultérieurement, que le fait de faire une déclaration initiale exacte et honnête; ainsi que de remettre les assujettis mal intentionnés dans le droit chemin pour l’avenir.

75.      La doctrine (35) suggère que, afin d’être efficace, une amnistie fiscale ne devrait intervenir qu’une seule fois (car une répétition aura pour conséquence que les contribuables adapteront leurs tactiques par anticipation de futures amnisties), qu’elle devrait impliquer le paiement, tout au moins, de la somme due et généralement d’intérêts (faute de quoi la fraude serait perçue comme étant récompensée) et devrait être assortie d’au moins une annonce crédible de contrôles renforcés (faute de quoi l’avantage de la déclaration par rapport au risque de découverte ne sera pas convaincant).

76.      L’amnistie contestée ne semble présenter aucune de ces caractéristiques. Elle a en fait été étendue aux années suivantes (36), créant éventuellement ainsi une attente de futures amnisties et, par là même, diminuant la probabilité de respect des obligations fiscales. En outre, il apparaît que la République italienne a abondamment recouru à des amnisties fiscales par le passé (37). En effet, il a été indiqué qu’elles étaient tellement régulières que l’attente de futures amnisties est devenue un facteur du niveau national peu élevé de respect des règles fiscales (38). Même si, ainsi que la République italienne l’a indiqué au cours de l’audience, il y a en fait eu un accroissement des recettes de TVA au cours des années suivantes, il n’a pas été présenté d’indications permettant d’établir l’existence d’un lien spécifique avec l’amnistie (plutôt qu’avec l’une des nombreuses autres explications possibles) ou l’existence d’un quelconque effet durable.

77.      La République italienne prétend que les montants prélevés s’élèvent presque à 2 % des recettes de TVA. Si l’écart de TVA (la différence entre le montant théoriquement dû et celui qui a effectivement été perçu) peut être évalué à un pourcentage compris entre 35 et 40 % en Italie (39), cela signifie que le montant effectivement perçu se situe aux alentours de 3 à 4  % du montant théoriquement dû mais jamais déclaré (40).

78.      Certes, une autorité fiscale ne peut jamais espérer faire obstacle à toute la fraude fiscale et il n’incomberait pas à la Cour de conseiller la République italienne quant à la manière dont celle-ci pourrait déployer au mieux ses ressources, même si elle disposait de l’expertise nécessaire pour ce faire. Néanmoins, il me semble qu’une méthode qui rapporte apparemment entre 3 et 4 % de la taxe non perçue (et, par là même, laisse intact au moins 95 % du montant non perçu, étant entendu qu’au moins une proportion de ce montant sera définitivement irrécupérable) n’est pas une utilisation manifestement efficace des ressources.

 Analyse globale

79.      Il ne saurait être sérieusement prétendu que les méthodes destinées à engranger des recettes qui sont visées aux articles 8 et 9 de la loi de finances pour 2003 sont, de quelque manière que ce soit, compatibles avec les règles de perception de la TVA qui sont imposées aux États membres par la sixième directive. Rien dans cette directive n’autorise un État membre à percevoir la TVA à la moitié de son taux standard (ce qui est le résultat de l’article 8 en pratique) (41). Elle autorise encore moins à prélever un montant correspondant à 2% de la taxe en amont déclarée, auquel s’ajoute 2 % de la taxe en aval déclarée, au lieu d’un montant totalement non déterminé de TVA qui aurait dû être déclaré mais ne l’a pas été. Enfin, bien que la TVA soit une taxe «autoliquidée», il est clair que les États membres ont l’obligation de contrôler et de garantir le respect des obligations fiscales et qu’ils ne sont pas autorisés à se départir de cette responsabilité en ce qui concerne tout un ensemble d’activités économiques imposables.

80.      Les dispositions d’amnistie contestées s’appliquent théoriquement à l’ensemble du commerce imposable non déclaré en Italie, dont les économistes estiment qu’il représente une portion importante du produit national brut du pays – peut-être entre 25 et 40 %. Selon les chiffres du gouvernement italien, plus de 17 % des assujettis ont en pratique eu recours aux dispositions concernées (42). Leur effet est donc loin d’être négligeable et constitue une sérieuse atteinte à une bonne application de la TVA conformément aux règles d’harmonisation de la sixième directive.

81.      Il ne semble pas non plus crédible de les défendre en alléguant une utilisation efficace des ressources. Au contraire, comme le bon sens et les analyses économiques l’indiquent, elles sont susceptibles d’entraîner une diminution du respect des obligations en matière de TVA (au moins) à moyen et à long terme, car elles récompensent le non-respect au détriment du respect et, au vu du contexte historique, offrent un espoir plausible de traitement similaire à l’avenir.

82.      La déclaration demandée par la Commission devrait donc être accordée.

 Les dépens

83.      Au titre de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Dans la mesure où j’estime que le recours de la Commission devrait être accueilli et qu’elle a demandé une condamnation aux dépens, il s’ensuit que la République italienne devrait être condamnée aux dépens.

 Conclusion

84.      J’estime donc que la Cour devrait:

–        déclarer que, en prévoyant d’une manière expresse et générale, aux articles 8 et 9 de la loi n° 289 du 27 décembre 2002 (loi de finances pour 2003), la renonciation à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d’une série de périodes d’imposition, la République italienne a manqué aux obligations que lui incombent en vertu des dispositions des articles 2 et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ? Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, et de l’article 10 CE;

–        condamner la République italienne aux dépens.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ? Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive», modifiée de nombreuses fois). Le 1er janvier 2007, la sixième directive a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).


3 – L’amnistie concernée a été étendue aux années ultérieures et la Commission a intenté un recours supplémentaire (affaire C-174/07) concernant ladite extension. Le recours concerné est actuellement pendant.


4 –      Ces dispositions figurent désormais à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 2006/112.


5 – Il est notamment remplacé par les articles 213 à 271 de la directive 2006/112.


6 –      Ces dispositions figurent désormais respectivement aux articles 252, paragraphe 1, 206 et 273 de la directive 2006/112.


7 – Article 213, paragraphe 1, de la directive 2006/112.


8 – Bien que la Commission indique le paragraphe 3 comme source; il s’agit de l’actuel article 242 de la directive 2006/112.


9 – Articles 262 et suiv. de la directive 2006/112.


10 – Articles 214 à 216 de la directive 2006/112.


11 – Articles 207, 209, 210, 256 à 258 et 267 de la directive 2006/112.


12 – Legge 289/2002 (GURI du 31 décembre 2002), telle que modifiée.


13 – Il est fait référence à l’arrangement sous l’appellation «condono tombale» («amnistie tombale»), vraisemblablement car les dettes fiscales sont «mortes et enterrées».


14 – Deuxième considérant; huitième considérant du préambule de la directive 2006/112.


15 – Quatrième considérant, absent du préambule de la directive 2006/112.


16 – Quatorzième considérant; quarante-cinquième considérant du préambule de la directive 2006/112.


17 – Voir, par exemple, arrêt du 8 décembre 2005, Jyske Finans (C-280/04, Rec., p. I-10683, point 36).


18 – Arrêt du 16 septembre 2004, Cimber Air (C-382/02, Rec., p. I-8379, point 24).


19 – Voir, par exemple, arrêts du 5 décembre 1996, Reisdorf (C-85/95, Rec., p. I-6257, point 24), et du 17 septembre 1997, Langhorst (C-141/96, Rec., p. I-5073, points 17 et 28).


20 – Voir, par exemple, arrêt du 21 février 1989, Commission/Italie (203/87, Rec., p. 371, point 10).


21 – Article 395 de la directive 2006/112.


22 – Aussi bien la République italienne que la Commission ont cité l’affaire, Commission/Autriche (arrêt du 28 septembre 2006, C-128/05, Rec., p. I-9265), dans le cadre de laquelle la Cour a considéré que la République d’Autriche enfreignait ses obligations en ce qu’elle exonérait complètement des obligations de TVA certains opérateurs de transport international. Voir, également, arrêt du 14 septembre 2006, Stradasfalti (C-228/05, Rec., p.I-8391, point 66; en cette espèce, la Cour a souligné que la République italienne ne pouvait pas imposer unilatéralement aux assujettis une dérogation au droit de déduction.


23 – Le pourcentage est encore plus réduit pour les sommes dues qui dépassent 11 600 000 euros. Celles-ci sont réduites de 80 %, c’est-à-dire à 0,2 % de la taxe en amont et/ou en aval initialement déclarée.


24 – La Commission cite le cas d’un assujetti ayant omis de présenter une déclaration lors d’un exercice fiscal donné pour lequel il aurait dû déclarer 600 000 euros. Au titre de la procédure de l’article 9, le montant maximal dû, en vue de bénéficier d’une immunité totale, s’élève à 3 000 euros– les autorités fiscales subissent donc une perte définitive de 597 000 euros. J’ajoute que la proportion perdue pourrait même être plus exorbitante dans la mesure où la disposition envisage explicitement des paiements qui dépassent 11 600 000 euros.


25 – Voir points 8 à 10, ci-dessus.


26 – Articles 8, paragraphe 4, et 9, paragraphe 14, sous c).


27 – Contrairement à la situation dans certains autres États membres, l’Italie n’a pas de seuil d’enregistrement de TVA, de telle sorte que même les plus petites entreprises ont l’obligation de déclarer la taxe.


28 – Voir, par exemple, arrêt du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C-439/04 et C-440/04, Rec., p. I-6161, point 50 et jurisprudence citée).


29 – Voir, par exemple, le «Bilan automne 2004» de l’Observatoire européen de l’emploi, en particulier points 77 et 106 à 110.


30 – Articles 8, paragraphe 10, et 9, paragraphe 14.


31 – Au titre de l’article 9, paragraphe 9, en particulier tel qu’interprété dans un arrêt de la Corte costituzionale en date du 27 juillet 2005.


32 – Article 54 bis du décret présidentiel n° 633/72; voir article 21, paragraphe 1, sous d) [dans l’article 28, sous g) ] de la sixième directive, article 203 de la directive 2006/112.


33 – Ce calcul semble erroné. 750 000 correspond à 14,125 % de 5 309 654. Les 162 000 de l’article 8 constituent 3,05 % du nombre total d’assujettis.


34 – En comparant ces chiffres aux chiffres relatifs à la totalité de la TVA perçue au cours des mêmes quatre exercices, tels que le gouvernement italien les a transmis, d’après mes calculs, la taxe récupérée à la suite des vérifications a été comprise entre 0,18 et 0,38 % du total perçu au cours d’un exercice donné ou à 0,3 % du total pour la période de quatre ans.


35 – Par exemple, Stella, P., «An economic analysis of tax amnesties», IMF WorkingPaper, 89/42, 1989, et Boise, C. M., «Deferral and the utility of amnesty», George MasonLawReview, 2007, p. 667, en particulier p. 693 et suiv.


36 – Voir note 3 ci-dessus.


37 – En 1998, un document du congrès des États-Unis a indiqué que «l’Italie a effectué plus d’une douzaine d’amnisties fiscales, avec une moyenne récente d’environ une amnistie tous les deux ans». Un article cité par la Commission dans sa requête («De Mita, Il condono fiscale tra genesi politica e limiti costituzionali», Diritto e praticatributaria, 2004, partie I, p. 1449) indique que l’amnistie de 2003 était la 58è depuis 1900.


38 – Maré, M., et Salleo, C. «Is one More Tax Amnesty Really That Bad?Some Empirical Evidence from the Italian 1991 VAT Amnesty», 59è congrès de l’IIPF, Prague, août 2003. Voir aussi Carstensen, K., Gern, K.-J., Kamps, C., et Scheide, J., «Gradual Recovery in Euroland», Kiel Discussion Papers 405:«[…] au cours du premier semestre 2003, l’Italie a prélevé des revenus additionnels correspondant approximativement à 0,8 % du PIB dans le cadre d’une amnistie fiscale à grande échelle. À court terme, l’Italie a pu empêcher un dépassement du seuil du pacte de croissance et de stabilité grâce à cette mesure isolée. À moyen terme, cependant, la probabilité de dépasser le seuil de 3 % augmente. Comme l’expérience le montre, des amnisties fiscales fréquentes – en Italie, il s’agissait de la troisième amnistie en vingt ans – affaiblissent l’honnêteté en matière fiscale. En conséquence, les recettes fiscales sont moins élevées à moyen terme et à long terme qu’elles ne l’auraient été sans l’amnistie».


39 – Keen, M., et Smith, S., «VAT fraud and evasion: what do we know and what can be done», IMF Working Paper 07/31, février 2007, point 19.


40 – C’est-à-dire que 2 % des 60 à 65 % perçus correspondent (à peu près) à un montant compris entre 3 et 4 % des 35 à 40 % non perçus.


41 – En outre, il convient de remarquer que la moitié du taux standard de la République italienne qui s’élève à 20 % est de 10 %, ce qui est moins élevé que le taux standard minimal de 15 % autorisé par l’article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive.


42 – Selon la Commission au cours de l’audience, le nombre de ceux qui ont tiré profit de l’amnistie dépasse considérablement le nombre total d’assujettis dans un État membre de taille moyenne tel que la Belgique.