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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR. Sharpston

présentées le 24 janvier 2008 (1)

Affaire C-484/06

Fiscale eenheid Koninklijke Ahold NV

contre

Staatssecretaris van Financiën

«Arrondi des montants de TVA»





1.        Quel que soit le taux de TVA que l’on applique aux transactions, il se produira toujours des cas – à moins de limiter artificiellement le choix des taux et des prix possibles – dans lesquels le montant dû inclut une fraction de la plus petite unité monétaire de paiement ayant cours (2). En pareilles hypothèses, il sera nécessaire d’arrondir la somme. Se posent alors les questions de savoir s’il faut arrondir à la hausse ou à la baisse et à quel stade cela doit se faire – pour chaque article, chaque ticket de caisse ou facture, chaque déclaration de TVA, etc. Le montant global de la taxe déclarée pourra varier sensiblement en fonction des diverses réponses susceptibles d’être apportées à ces questions.

2.        Dans le cadre de ce renvoi préjudiciel, Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême, Pays-Bas) demande à la Cour si a) la procédure d’arrondi relève du droit national ou du droit communautaire et b), si cette dernière solution doit être retenue, si les États membres doivent autoriser l’arrondi à la baisse par article même dans le cas où différentes opérations sont comprises dans la même facture ou déclaration de TVA (3).

Les règles communautaires en la matière

3.        L’article 2 de la première directive TVA (4), en vigueur à l’époque des faits de cette affaire (octobre 2003), prévoyait que:

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée est appliqué jusqu’au stade du commerce de détail inclus.»

4.        On trouve des dispositions plus détaillées dans la sixième directive (5). Deux d’entre elles concernent l’arrondi – mais en termes de pourcentages et non de montants. L’article 19 (6) porte sur le calcul du prorata de déduction dans l’hypothèse où les biens ou services sont utilisés à la fois pour des opérations taxées et pour des opérations exonérées. Selon l’article 19, paragraphe 1, la part déductible de la taxe doit s’exprimer en pourcentage, arrondi à un chiffre qui ne dépasse pas l’unité supérieure. Quant à l’article 25, paragraphe 3 (7), qui concerne le régime commun forfaitaire applicable aux agriculteurs, il prévoit que les pourcentages de compensation peuvent être arrondis au demi-point le plus proche, inférieur ou supérieur.

5.        Les dispositions suivantes de la sixième directive ont été présentées comme pertinentes pour résoudre les questions posées dans la présente affaire.

6.        L’article 2, point 1 (8), dispose que les livraisons de biens effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA. L’article 5, paragraphe 1 (9), définit la livraison de biens comme le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

7.        En vertu de l’article 10, paragraphes 1 et 2, le fait générateur de la taxe est le fait par lequel les conditions légales nécessaires pour l’exigibilité de la taxe sont réalisées, c’est-à-dire le moment à partir duquel l’administration fiscale est en droit de réclamer la taxe au redevable. Cela se produit en principe au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée (10).

8.        L’article 11 A (11) énonce la règle générale selon laquelle la base d’imposition comprend, en substance, tout ce qui constitue la contrepartie obtenue par le fournisseur, que ce soit de la part du client ou d’une autre source.

9.        L’article 12, paragraphe 3, sous a), exige que les États membres fixent un taux normal de TVA et autorise les taux réduits pour certaines catégories de livraisons (12).

10.      L’article 17, paragraphes 1 et 2 (13), confère à l’assujetti le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable celui de la TVA acquittée pour les biens qu’il utilise aux fins de ses opérations imposables.

11.      L’article 22, paragraphe 3, sous a) (14), oblige l’assujetti à s’assurer qu’une facture est émise pour chaque livraison imposable qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie (ce qui implique donc que cette exigence ne vaut pas pour les livraisons au consommateur final personne physique (15)); et l’article 22, paragraphe 3, sous b), exige que cette facture inclue, entre autres informations, le prix hors taxe et la taxe appliquée avec les taux correspondants ainsi que les exonérations (16). L’article 22, paragraphe 5 (17), exige que les assujettis s’acquittent du montant net de la TVA (c’est-à-dire la taxe en aval moins la charge de taxe payée en amont) lors du dépôt de la déclaration périodique de TVA (18).

12.      La Commission des Communautés européennes attire également l’attention sur certaines dispositions de la directive 98/6/CE (19). En particulier, l’article 2, sous a), de cette directive définit le «prix de vente», dans la vente au détail, comme le prix définitif valable pour une unité du produit ou une quantité donnée du produit, c’est-à-dire comprenant la TVA et toutes les taxes accessoires; et l’article 3, paragraphe 1, exige que le prix de vente soit indiqué pour tous les produits concernés.

Le droit néerlandais

13.      La TVA est régie aux Pays-Bas par la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting) de 1968 et par le décret d’application relatif à la taxe sur le chiffre d’affaires (Uitvoeringsbesluit omzetbelasting) de 1968. Le taux normal de TVA y est de 19 %, et il existe également un taux réduit de 6 %.

14.      À l’époque des faits, il n’existait aucune disposition régissant l’arrondi des montants dus. À partir du 1er juillet 2004, un nouvel article 5 bis a été ajouté au décret d’application:

«Lors du calcul de la taxe sur le prix et sur la valeur douanière, le montant de la taxe due est arrondi arithmétiquement au centime d’euro. Cet arrondi arithmétique au centime est appliqué de telle façon que, pour les montants dont la troisième décimale est le chiffre 5 ou un chiffre supérieur, l’arrondi se fait vers le haut, tandis que, lorsque la troisième décimale n’atteint pas ce chiffre, l’arrondi se fait vers le bas.»

15.      L’exposé des motifs relatif à cet amendement indiquait que la problématique de l’arrondi avait été discutée au sein du comité de la TVA (20) et que la position de la Commission était que, puisque la directive ne contenait pas de dispositions en la matière, les États membres pouvaient, conformément au principe de subsidiarité, légiférer sur la question au niveau national.

16.      L’exposé des motifs indiquait aussi que la méthode prescrite se bornait à exiger un arrondi arithmétique au centime entier, mais que l’on pouvait soit calculer et arrondir la taxe par livraison de biens ou par service fourni, soit appliquer les règles d’arrondi au montant total d’un certain nombre de livraisons considérées ensemble.

17.      L’article 38 de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires exige que les commerçants proposent leurs biens ou services à un prix incluant la TVA, sauf dans le cas où le client est une personne assujettie ou un organe de droit public.

Les antécédents du litige et la procédure

18.      La société Koninklijke Ahold NV (ci-après «Ahold») exploite des supermarchés aux Pays-Bas. En sa qualité de vendeur au détail, elle est tenue de proposer ses articles à des prix incluant la TVA.

19.      En octobre 2003, elle a calculé et déclaré la TVA relative aux ventes de ses supermarchés en prenant pour base le montant total correspondant à chaque ticket de caisse ou «panier d’achats». Elle a réparti le montant total incluant la TVA indiqué sur chaque ticket de caisse en trois sous-totaux correspondant aux articles a) soumis au taux normal, b) soumis au taux réduit et c) pour lesquels aucune TVA n’était due, celle-ci étant déjà versée au titre d’un régime spécial. Elle a multiplié les deux premiers sous-totaux respectivement par 19/119 et 6/106, pour obtenir le montant de la TVA inclus dans le prix (21). Chacun de ces montants a ensuite fait l’objet d’un arrondi arithmétique au centime d’euro entier (inférieur ou supérieur). Les totaux ainsi obtenus ont été déclarés à titre de TVA et utilisés pour calculer le montant de la TVA due (déduction faite de la TVA acquittée en amont).

20.      Cependant, dans deux supermarchés, elle a en outre effectué, pour ses propres besoins, un calcul différent, en prenant comme hypothèse qu’il faudrait a) déterminer le montant de la TVA non pas pour chaque ticket de caisse, mais pour chaque article vendu et b), lorsqu’il y a lieu d’arrondir, le faire systématiquement au centime inférieur le plus proche. Ahold a ainsi calculé que, pour les deux magasins et la période en cause, elle aurait dû payer 1 414 euros de moins que ce qu’elle a effectivement déclaré et payé.

21.      Le recours formé par Ahold contre le refus de remboursement de cette somme est à présent examiné par le Hoge Raad. Ahold fait valoir que toute méthode d’arrondi qui aboutit à un montant de taxe plus élevé que le montant obtenu par la stricte application du taux de TVA correspondant, aussi minime que soit l’écart, est incompatible avec le droit communautaire.

22.      Le Hoge Raad der Nederlanden demande à la Cour de se prononcer sur les questions suivantes:

«1)      L’arrondi de montants de TVA est-il exclusivement soumis au droit national ou bien cette question – compte tenu en particulier [des articles 11 A et 22, paragraphes 3, sous b), et 5, de la sixième directive] – relève-t-elle du droit communautaire?

2)      Dans ce dernier cas, résulte-t-il des dispositions visées des directives que les États membres sont tenus d’autoriser l’arrondi par article vers le bas, même si différentes opérations sont mentionnées sur une facture et/ou sont comprises dans une déclaration?»

23.      Ont présenté des observations écrites Ahold, les gouvernements grec, néerlandais, polonais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission, et tous, à l’exception du gouvernement polonais, ont été représentés à l’audience.

Appréciation

Sur la première question – le droit applicable

24.      Il est clair qu’aucune disposition des directives communautaires en matière de TVA ne régit expressément l’arrondi des montants de TVA. Bien que les articles 11 A et 22, paragraphe 3, sous b), auxquels le Hoge Raad se réfère, soient pertinents pour déterminer les montants de TVA, ils sont loin d’être suffisamment explicites pour permettre de tirer quelque conclusion que ce soit à propos de la manière dont ces montants doivent être arrondis. Dans ces conditions, et puisque la question de l’arrondi est inéluctable, c’est au droit national que doit revenir le soin de fixer en détail les règles nécessaires (22).

25.      Comme l’ont fait observer plusieurs États membres, cette conclusion est également étayée par les dispositions du traité CE relatives à l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires (article 93 CE) et aux directives (article 249, troisième alinéa, CE).

26.      Il est cependant tout aussi clair que, dans un domaine couvert par une directive d’harmonisation, les États membres ne peuvent pas adopter de mesures allant à l’encontre des règles ou des principes fixés par cette directive, ou incompatibles avec ceux-ci ou avec les règles ou principes de rang supérieur applicables en droit communautaire (23).

27.      Autrement dit, la question de l’arrondi n’est pas simplement un problème relevant soit du droit national, soit du droit communautaire; elle doit être réglementée en détail par le droit national, mais dans les limites imposées par le droit communautaire.

Sur la deuxième question – L’arrondi à la baisse par article

28.      Dans ces conditions, la deuxième question consiste essentiellement à demander si les règles communautaires régissant la TVA, et en particulier la sixième directive, imposent, autorisent ou interdisent une règle nationale qui permet aux commerçants d’arrondir la TVA au centime inférieur le plus proche pour chaque article vendu.

29.      À mon avis, une telle règle est incompatible avec les principes régissant la TVA, pour les raisons que je vais exposer. Bien que la question présente un double aspect – arrondi à la baisse et arrondi par article –, les deux sont étroitement liés et je les examinerai ensemble.

30.      Il faut d’abord rappeler que la question se pose devant le Hoge Raad dans le contexte de livraisons à destination du consommateur final, effectuées au prix de détail incluant la TVA. Pour le moment, je limiterai mon analyse à ce contexte – qui, du point de vue de l’arrondi, diffère quelque peu des livraisons faites à d’autres assujettis et des livraisons effectuées à un prix net auquel la TVA vient s’ajouter (24).

31.      Deux exigences me paraissent primordiales: la TVA doit être exactement proportionnelle au prix; et elle doit être neutre pour les commerçants.

32.      La première de ces exigences est expressément formulée à l’article 2 de la première directive. Elle implique que le montant de TVA inclus dans le prix de vente au détail doit représenter, quel que soit le taux de TVA, la part exacte du prix qui résulte de l’application du taux. Lorsque le taux est de 19 %, la proportion exacte de la taxe dans le prix de vente au détail est de 19/119 de ce prix. Telle est la proportion exacte, qu’elle puisse s’exprimer en centimes entiers ou non.

33.      La deuxième exigence découle à la fois de cet article et du système de déduction prévu à l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive. La TVA ne doit peser que sur le consommateur final et non sur les différents commerçants et prestataires de services qui ont contribué au produit final ou entre les mains desquels il a transité (25). Inversement, ces opérateurs sont redevables envers l’administration fiscale de tous les montants de TVA versés par le consommateur final et ne peuvent conserver aucun de ces montants à leur profit.

34.      Pour le consommateur final, qui supporte la charge de la TVA, mais ne la paie pas séparément et ne la déduit pas à un stade ultérieur, il n’est pas nécessaire de déterminer le montant de la taxe inclus dans le prix de vente au détail en termes de centimes entiers. Il peut légitimement vouloir être informé aussi bien du montant que du pourcentage, mais, à cet effet, une indication approximative arrêtée au centime le plus proche suffit. Il n’est nullement nécessaire qu’une telle indication, portée sur un ticket de caisse et non sur une facture de TVA émise conformément à l’article 22, paragraphe 3 de la sixième directive, soit contraignante pour le commerçant ou l’administration fiscale.

35.      Il est, en revanche, très important pour ces deux derniers acteurs que des chiffres exacts soient utilisés dans les calculs visant à déterminer les montants dus.

36.      Conformément à l’article 22, paragraphes 4 et 5, de la sixième directive, le montant de TVA doit être déclaré par l’assujetti dans sa déclaration périodique, où il servira d’élément pour calculer la taxe nette qu’il doit payer lors du dépôt de la déclaration.

37.      Toute élévation du montant déclaré (résultant d’un arrondi à la hausse) implique une augmentation de la taxe nette devant être versée à l’administration fiscale, et toute réduction (résultant d’un arrondi à la baisse) implique une diminution de cette taxe nette (26).

38.      Ainsi, bien que la proportion exacte de taxe incluse dans chaque prix au détail et payée par le consommateur (19/119 de ce prix, dans notre exemple) ne varie pas, l’arrondi du montant au centime supérieur le plus proche dans la déclaration obligerait le commerçant à payer, à partir de son bénéfice, une fraction de centime en plus de ce qui est réellement dû, et l’arrondi au centime inférieur lui permettrait de conserver une fraction de centime à titre de bénéfice supplémentaire.

39.      On pourrait objecter qu’une fraction de centime est un montant minime et n’est pas de nature, en tant que tel, à mettre sérieusement en péril l’intégrité du système de TVA. Cependant, si l’on multiplie une fraction de centime par le nombre d’articles vendus au cours d’une période imposable donnée, l’incidence peut être considérable.

40.      Le calcul d’Ahold montre que, pour deux de ses magasins pendant un mois, la différence aurait été d’environ 1 400 euros Selon ses sites Internet, Ahold exploite plus de 2 000 points de vente au détail de dimensions variées, aux seuls Pays-Bas. Dans ces conditions, l’estimation approximative du gouvernement du Royaume-Uni selon laquelle, «si les quatre plus grandes chaînes de supermarché effectuant des livraisons de biens au Royaume-Uni étaient autorisées à effectuer un arrondi par article vers le bas, sans rien changer au prix payé par le consommateur, cela entraînerait un arrondi vers le bas de la TVA comptabilisée et payée par ces chaînes de supermarchés d’un montant bien supérieur à 70 millions de GBP par an (100 millions d’euros)» semble plausible (27).

41.      Rien ne permet de supposer que l’arrondi à la hausse aboutirait à une distorsion moindre que l’arrondi à la baisse, mais la distorsion pourrait s’avérer plus importante dans les États membres dans lesquels la plus petite unité monétaire ayant cours est plus grande que le centime.

42.      L’arrondi systématique à la baisse ou à la hausse du montant de TVA dû pour chaque article vendu conduirait ainsi à un écart globalement important par rapport au résultat pleinement conforme aux principes de l’exacte proportionnalité et de neutralité de la TVA (28). Avec l’arrondi à la baisse, dans les totaux, d’importantes sommes de TVA seraient payées par les clients et conservées par les détaillants au lieu d’être versées, en tant que sommes dues, à l’administration fiscale; avec l’arrondi à la hausse, des montants similaires seraient prélevés par l’administration chez le détaillant, alors qu’ils ne seraient pas dus et n’auraient pas été payés par les clients.

43.      Par conséquent, les règles communautaires en matière de TVA ne sauraient autoriser – et encore moins exiger – un arrondi systématique à la baisse (ou à la hausse) de la TVA, pratiqué au titre de chaque article vendu par les vendeurs au détail, lors de la comptabilisation de la TVA.

44.      Cette conclusion répond à la deuxième question du Hoge Raad.

45.      Il peut être utile, cependant, d’examiner les types de solutions que l’on pourrait qualifier d’acceptables, en se souvenant que la situation concrètement en cause est celle de la vente au détail au consommateur final à des prix incluant la TVA.

46.      Au moins deux types de méthodes peuvent sembler convenir dans le but de réduire ou de minimiser, si ce n’est d’éliminer complètement, la distorsion que j’ai mise en lumière plus haut. Elles pourraient être appliquées indépendamment ou de façon combinée.

47.      En premier lieu, ainsi que l’ont souligné tous les gouvernements des États membres ayant présenté des observations, la méthode courante de l’arrondi arithmétique dans le cadre de laquelle toute fraction de centime inférieure à 0,5 est arrondie à la baisse, tandis que toute fraction de centime supérieure ou égale à 0,5 est arrondie à la hausse, au centime le plus proche dans les deux cas, est susceptible de réduire la distorsion en question, dans la mesure où les sommes arrondies à la baisse tendent à se compenser avec les sommes arrondies à la hausse (29).

48.      Il n’est pas nécessaire qu’une telle façon de procéder affecte le montant de TVA inclus dans le prix payé par chaque consommateur pour chaque article, qui, à un taux de 19 %, demeure égal à 19/119 du prix de vente au détail (30). Il s’agit plutôt d’un moyen pratique de parvenir à une approximation du total des montants individuels au titre desquels chaque commerçant doit établir une déclaration de TVA à remettre à l’administration fiscale. On pourrait éventuellement accroître encore le degré d’exactitude en calculant le montant de TVA inclus dans le prix de chaque article jusqu’à, disons, la huitième ou dixième décimale et en additionnant les montants ainsi obtenus avant de les arrondir au centime le plus proche, mais cette subtilité semble excessivement compliquée (et contraignante pour les petits commerçants).

49.      En second lieu, et en développement de cette dernière réflexion, aucun arrondi n’est nécessaire aussi longtemps qu’aucun paiement effectif de TVA ne doit être fait, distinct de l’indication des prix incluant la TVA. Ce stade n’est atteint que lors du calcul du montant dû au titre de chaque déclaration périodique de TVA conforme à l’article 22, paragraphe 5, de la sixième directive. Jusque-là, la comptabilité des commerçants peut se contenter d’indiquer uniquement les prix incluant la TVA pour chaque taux de TVA applicable; le montant de la taxe inclus dans ces prix peut être simplement enregistré comme étant égal à 19/119 ou à 6/106 ou à toute autre fraction applicable (la «proportion exacte» requise par l’article 2 de la première directive). Si l’arrondi est cantonné au stade final, le résultat est plus précis et les contraintes de calcul s’en trouvent, de surcroît, réduites.

50.      Si l’effet de l’arrondi est ainsi limité à une fraction de centime pour chaque détaillant, pour chaque taux de TVA et dans chaque déclaration périodique de TVA, il n’y aura pas de distorsion grave entre le montant total de taxe prélevé et le montant total payé par les consommateurs, et cet écart par rapport à la neutralité ne pourra excéder quelques centimes par détaillant.

51.      De plus, si l’arrondi est reporté au dernier stade possible, l’arrondi systématique à la baisse n’affectera pas l’intégrité du système autrement que dans une mesure véritablement négligeable. La Cour a précisé dans l’arrêt Elida Gibbs que, dans le calcul final, le montant revenant à l’administration fiscale ne peut pas excéder la taxe payée par le consommateur final (31). Si ce principe doit être strictement observé, l’arrondi systématique à la baisse au stade de la déclaration paraît être la solution qui respecte le mieux les règles et principes à suivre.

52.      Je voudrais seulement ajouter une dernière remarque ici. Les détaillants doivent, en vertu de la directive 98/6, indiquer les prix incluant la TVA. Comme cela a été expliqué à l’audience, ils fixent ces prix en fonction de considérations de marché: la marge qu’ils entendent réaliser, le prix que le consommateur est prêt à payer et le prix facturé par les concurrents. Il est clair que l’arrondi des montants de TVA peut avoir une incidence sur ces éléments, en particulier lorsqu’il s’agit d’articles à bas prix et représentant un grand volume de transactions. Cependant, la TVA est destinée à être neutre pour les commerçants et les calculs relatifs à la TVA ne devraient pas pouvoir influer sur les décisions commerciales de ce type. À cet égard, il est particulièrement important de se souvenir que les grandes chaînes de supermarchés sont bien mieux équipées pour procéder à de tels calculs que les petits commerçants, si bien que, si l’on admettait la possibilité d’arrondir la TVA sur les articles individuels, cela pourrait fausser la concurrence au profit des premiers et au détriment des seconds.

53.      Pour résumer: i) si les montants doivent être additionnés, l’arrondi arithmétique entraînera moins de distorsions que l’arrondi systématique à la hausse ou à la baisse (et l’arrondi au chiffre pair réduira encore cette distorsion); ii) la distorsion peut être atténuée plus efficacement si l’on calcule les montants dus uniquement après avoir fait la somme des montants individuels incluant la TVA pour chaque période imposable; iii) à ce stade, afin d’éviter tout paiement excédentaire à l’administration fiscale, on peut admettre l’arrondi du montant à l’unité minimale de paiement inférieure la plus proche dans tous les cas.

54.      Je voudrais souligner que les méthodes que j’ai décrites ne doivent pas nécessairement être considérées comme les seules possibilités ouvertes aux États membres. Toute solution qui respecte les règles et principes applicables en la matière – et en particulier qui n’implique pas que le commerçant conserve ou verse une différence entre la proportion exacte de TVA dans le prix de vente au détail et le montant dû à l’administration fiscale – est acceptable.

Les prix hors taxe et les livraisons aux assujettis

55.      L’affaire dont est saisi le Hoge Raad concerne des ventes au détail à des prix incluant la TVA. Les considérations ci-dessus valent dans ce contexte spécifique, et partent du principe que les ventes sont faites au consommateur final. De tels consommateurs, comme je l’ai dit, sont en droit de connaître la part de TVA incluse dans le prix qu’ils ont payé et peuvent être informés de son montant, jusqu’au centime le plus proche. Cette information est souvent donnée sur les tickets de caisse reçus émis par les commerçants, mais il n’est pas nécessaire qu’elle ait un effet obligatoire dans les rapports entre le commerçant et l’administration fiscale.

56.      Cependant, lorsque les ventes sont effectuées à destination d’assujettis qui utiliseront les biens en question pour les besoins de leurs opérations imposables, une facture de TVA devra être émise conformément à l’article 22, paragraphe 3, de la sixième directive. Cette facture doit indiquer à la fois le prix hors taxe et le montant de la taxe, chacun d’eux devant donc être exprimé sous la forme d’un montant susceptible d’être payé.

57.      De telles situations ne concernent habituellement pas les vendeurs au détail, mais les commerçants dont l’activité consiste essentiellement à livrer d’autres assujettis. À la différence des vendeurs au détail, ceux-ci fixent en principe un prix – libellé en centimes entiers – hors taxe, puis appliquent à ce prix la TVA au taux approprié. Afin d’indiquer le montant de la TVA en nombre de centimes entiers, il sera souvent nécessaire, ici aussi, d’arrondir le montant à la hausse ou à la baisse.

58.      Toutefois, en pareille hypothèse, les distorsions que j’ai décrites plus haut ne se produiront pas, ou n’auront que des effets très limités.

59.      En ce qui concerne les opérations individuelles, dans lesquelles la TVA facturée par le vendeur représente la taxe qui sera ensuite déduite par le client, le montant ne handicape ni n’avantage aucune partie, et, parce que la taxe en aval et la taxe en amont se neutralisent du fait du système de déduction, le montant prélevé sur la livraison au consommateur final à l’extrémité de la chaîne de la TVA n’en sera pas affecté.

60.      Dans les cas plus rares où la livraison s’effectue au profit d’un consommateur final, l’opération d’arrondi, bien qu’elle ait un léger effet sur le montant payé par le client et perçu par l’administration fiscale, n’affecte pas la neutralité de la taxe du point de vue du fournisseur. Le montant facturé correspond au montant devant être déclaré à l’administration fiscale, et la fraction correspondant à l’arrondi n’affecte en rien la marge du fournisseur (32).

61.      Il est vrai que l’effet cumulé des arrondis sur de telles transactions peut affecter le montant global des ressources en TVA collectées par l’État membre, mais cet effet sera limité. Le consommateur final obtient ses livraisons dans la très grande majorité des cas auprès de commerçants au détail tenus de vendre à des prix incluant la TVA. Lorsque, occasionnellement, il ne le fait pas, ses achats sont susceptibles de porter sur des valeurs plus importantes, si bien que les arrondis correspondant à moins d’un centime d’euro représenteront, en proportion, une différence bien plus faible. Si l’arrondi se fait arithmétiquement, l’effet à la fois sur les factures de TVA et sur les clients individuels sera restreint.

62.      Lorsque, dans le cadre de transactions individuelles exceptionnelles, un assujetti achète à un détaillant des articles qu’il utilisera pour ses opérations taxées, il demandera une facture indiquant le prix net ainsi que le montant de la taxe, pour la TVA qu’il entendra déduire. Dans ce cas, le détaillant devra procéder à un léger ajustement de son prix afin d’être en mesure de faire figurer ces montants en centimes entiers. Cependant, pour les raisons que j’ai déjà indiquées, cet ajustement sera sans incidences à l’égard des parties et sur le montant de TVA collecté en définitive.

 Conclusion

63.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre ainsi aux questions posées par le Hoge Raad:

«1)      Les directives communautaires en matière de TVA ne réglementent pas en détail l’arrondi des montants de TVA. Une telle réglementation relève par conséquent du droit national, qui doit, néanmoins, respecter à cet égard tous les principes et règles découlant des directives.

2)      Ces règles et principes ne permettent pas aux commerçants au détail d’arrondir à la baisse le montant de la TVA dans le prix incluant la TVA de chaque article vendu, afin de déterminer le montant de la taxe qui doit figurer dans leurs déclarations périodiques.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Dans le présent cas, qui concerne des montants en euros, la plus petite unité est le cent ou centime d’euro, auquel je me référerai, mais le nom de l’unité importe peu.


3 – Des questions comparables ont été posées dans le cadre de l’affaire J. D. Wetherspoon (C-302/07, pendante devant la Cour). Dans cette affaire, il est également demandé c) si la méthode arithmétique commune d’arrondi à la hausse ou à la baisse peut être imposée; d) à quel stade l’arrondi doit avoir lieu; et e) quelles conséquences il faut tirer des principes d’égalité de traitement et de neutralité de la TVA dans le cas où les autorités fiscales n’autorisent que certains opérateurs à arrondir systématiquement vers le bas.


4 – Première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301). À compter du 1er janvier 2007, la première directive a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), dont l’article 1er, paragraphe 2, contient les mêmes dispositions, à quelques variations linguistiques près. L’objectif de la directive 2006/112 est d’assurer que toutes les dispositions communautaires applicables en matière de TVA sont présentées d'une façon claire et rationnelle dans le cadre d’une refonte de la structure et du libellé de la directive, sans que cela provoque, en principe, des changements de fond dans la législation existante (voir troisième considérant de la directive). Les références qui seront faites dans la suite du texte aux dispositions de la directive 2006/112 n’impliquent donc pas une identité de formulation avec les dispositions équivalentes des directives abrogées.


5 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, modifiée à de nombreuses occasions). La sixième directive a été, elle aussi, abrogée et remplacée par la directive 2006/112, mais, pour des raisons de lisibilité, je me référerai à ses dispositions au présent. Le contenu – et dans une grande mesure le libellé – de ces dispositions vaut toujours dans le cadre des dispositions équivalentes de la directive 2006/112


6 – Article 175 de la directive 2006/112.


7 – Articles 295 à 305 de la directive 2006/112, et plus spécialement article 298.


8 – Article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112.


9 – Article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112.


10 – Articles 62, 63 et 66 de la directive 2006/112.


11 – Article 73 de la directive 2006/112.


12 – Articles 96 à 99 de la directive 2006/112.


13 – Articles 167 et 168 de la directive 2006/112.


14 – Le texte applicable de l’article 22 figurait, à l’époque des faits, à l’article 28 nonies de la sixième directive, qui est l’une des dispositions dites transitoires; l’équivalent de l’article 22, paragraphe 3, sous a), figure actuellement à l’article 220 de la directive 2006/112.


15 – Au moins dans le commerce national – l’exigence s’étend à toutes les ventes à distance taxées dans l’État membre de destination et aux livraisons de biens intracommunautaires, quel que soit le type de client.


16 – Cette version de l’article 22, paragraphe 3, sous b), avait, en fait, été abrogée et remplacée à l’époque des faits par effet de la directive 2001/115/CE du Conseil, du 20 décembre 2001, modifiant la directive 77/388 en vue de simplifier, moderniser et harmoniser les conditions imposées à la facturation en matière de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2002, L 15, p. 24), qui prévoyait une liste d’exigences plus précise. La directive 2001/115 est entrée en vigueur le 6 février 2002, mais le délai pour sa transposition par les États membres expirait le 1er janvier 2004. Il semble que la transposition effectuée par le Royaume des Pays-Bas ait pris effet à cette date (loi du 18 décembre 2003, Staatsblad 2003, nº 530, p. 1). Le Hoge Raad mentionne le «dixième tiret de l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive (texte applicable jusqu’au 1er janvier 2004)», mais en réalité seule la version modifiée par la directive 2001/115 contient un dixième tiret exigeant que la facture indique le montant de TVA dû. Toutefois, puisque le point important est que la facture de TVA doit indiquer le montant de TVA sur l’opération, la confusion est sans conséquence. Les dispositions équivalentes figurent à présent à l’article 226 de la directive 2006/112.


17 – Article 206 de la directive 2006/112.


18 – En vertu de l’article 22, paragraphe 4, sous a), la période imposable est fixée par chaque État membre à un, deux ou trois mois, ou à toute autre période n’excédant pas un an, et la déclaration doit être déposée avant l’expiration d’un délai fixé, à nouveau, par l’État membre, qui ne peut pas dépasser de plus de deux mois le terme de chaque période imposable (voir, à présent, article 252 de la directive 2006/112).


19 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs (JO L 80, p. 27).


20 – Prévu à l’article 29 de la sixième directive (article 398 de la directive 2006/112), au sein duquel les représentants des États membres et de la Commission discutent des problèmes d’application de la TVA.


21 – Il faut se souvenir que, dans le cas des prix de vente au détail, la TVA doit être calculée rétrospectivement à partir d’un prix déterminé incluant la TVA et non pas à l’avance à partir d’un prix fictif hors taxe. Un prix de vente au détail incluant la TVA à 19 % est égal à 119 % du prix net hors taxe. Le montant de la TVA ne sera donc pas 19/100 (19 %) mais 19/119 du prix de vente au détail. Le même calcul vaut, mutatis mutandis, pour tout autre taux de TVA.


22 – Pour un exemple comparable, voir arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken, (C-35/05, Rec. p. I-2425, point 38 et jurisprudence citée).


23 – Cette idée a été rappelée à maintes reprises par la Cour dans le domaine fiscal: voir, tout récemment, arrêt du 11 octobre 2007, Hollmann (C-443/06, Rec. p. I–8491, point 33, et jurisprudence citée).


24 – En ce qui concerne ces derniers cas de figure, voir points 55 et suiv. ci-après.


25 – Voir, par exemple, arrêt du 8 février 2007, Investrand (C-435/05, Rec. p. I-1315, point 22 et jurisprudence citée).


26 – Ou, si la taxe en amont excède exceptionnellement la taxe due au titre de la période imposable en question, une augmentation ou une diminution, selon le cas, du montant net que l’administration doit rembourser.


27 – À l’audience, l’avocat du Royaume-Uni a même évoqué des chiffres plus élevés, entre 200 et 800 millions de GBP.


28 – L’arrondi systématique au niveau du ticket de caisse ou du «panier» d’achats doit également avoir un effet notable, bien que moindre, étant donné le grand nombre de tickets émis chaque jour dans tous les États membres.


29 – À l’audience, le Royaume-Uni a cité un cas dans lequel l’arrondi arithmétique aurait conduit à un écart fiscal de plus de 17 000 GBP en six mois pour un seul et même commerçant. Il est également vrai que la méthode arithmétique implique un léger mais néanmoins systématique écart à la hausse dès lors que 0,5 centime est toujours arrondi vers le haut, même si ce chiffre se situe exactement à mi-chemin entre les deux centimes entiers. Cet inconvénient pourrait être atténué en recourant à l’«arrondi bancaire» ou à l’«arrondi au pair», méthode dans laquelle, par exemple, pour arrondir à des chiffres entiers, on arrondit tout nombre finissant exactement par 0,5 sans autre décimale après au pair entier le plus proche. Ainsi, 3,5 devient 4, comme auparavant, mais 2,5 devient 2.


30 – On peut l’indiquer sous une forme arrondie pour l’information du consommateur, ainsi que je l’ai suggéré au point 34 ci-dessus. Des problèmes pourraient néanmoins se poser si le montant arrondi était pris pour le montant réel de TVA inclus dans le prix. Par exemple, un article vendu à 0,28 euro avec une TVA de 19 % comprend 0,0447 euro de TVA (19/119 de 0,28 euro). Si cela est arrondi à 0,04 euro, le prix hors taxe est de 0,24 euro. Or 19 % de 0,24 est égal à 0,0456 euro, qui doit être arrondi à 0,05 EUR, si bien que le prix incluant la TVA aurait dû être de 0,29 euro.


31 – Arrêt du 24 octobre 1996, (C-317/94, Rec. p. I-5339, points 18 à 24, et en particulier point 24). Bien que la langue de procédure ait été l’anglais, il me semble que dans la formulation de la version anglaise – «the tax authorities may not in any circumstances charge an amount exceeding the tax paid by he final consumer» – ne reflète pas fidèlement le français, langue dans laquelle l’arrêt a été initialement rédigé: «l’administration fiscale ne saurait en définitive percevoir un montant supérieur à celui payé par le consommateur final» (c’est moi qui souligne).


32 – Il convient de noter que cette possibilité n’est pas ouverte aux véritables commerçants au détail, qui sont tenus de fixer des prix incluant la TVA (voir directive 98/6).