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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 12 juin 2008 (1)

Affaire C-288/07

The Commissioners of Her Majesty’s Revenue & Customs

contre

Isle of Wight Council,

Mid-Suffolk District Council,

South Tyneside Metropolitan Borough Council,

West Berkshire District Council

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]

«Taxe sur la valeur ajoutée – Activités accomplies par un organismes de droit public – Parkings payants – Distorsions de concurrence»





1.        Les questions qui font l’objet du présent renvoi préjudiciel portent sur l’interprétation du deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2) (ci-après «la sixième directive»), qui prévoit l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») des organismes de droit public pour les activités qu’ils accomplissent en qualité d’autorités publiques, dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. La Cour est ainsi appelée à préciser les conditions de cette dérogation à la règle du non-assujettissement des organismes de droit public pour les activités qu’ils exercent en qualité d’autorités publiques, règle énoncée au premier alinéa dudit article. En d’autres termes, le juge communautaire doit préciser les critères qui président à la réintroduction du principe général de l’assujettissement des activités économiques à la TVA.

I –    Le cadre juridique, les faits au principal et les questions préjudicielles

2.        La procédure au principal concerne l’exploitation par quatre autorités locales du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Isle of Wight Council, Mid-Suffolk District Council, South Tyneside Metropolitan Borough Council et West Berkshire District Council (3), de parcs de stationnement automobile fermés (parking). Le secteur privé fournit des prestations similaires dans chacune des zones administrées par les autorités locales.

3.        Historiquement, les collectivités locales se considéraient assujetties à la TVA sur les paiements effectués par les utilisateurs de ces équipements. La TVA était facturée aux clients et le produit de la taxe était ensuite restitué à l’administration fiscale du Royaume-Uni.

4.        Toutefois, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, les défendeurs au principal estiment avoir droit au remboursement de la TVA précédemment acquittée dans la mesure où, selon cette disposition «[l]es États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions».

5.        Cependant, l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive prévoit, dans les alinéas suivants, qu’en certaines circonstances, ces organismes restent redevables de la TVA. Ainsi est-il indiqué:

«Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d’assujettis notamment pour les opérations énumérées à l’annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.

Les États membres peuvent considérer comme activités de l’autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu des articles 13 ou 28».

6.        Estimant ne pas remplir les conditions de ces différentes dérogations à la règle du non-assujettissement et confortées en ce sens par l’arrêt Fazenda Pública (4), les autorités locales ont demandé le remboursement de la TVA acquittée depuis 2000 aux autorités fiscales compétentes (les Commissioners of Her Majesty’s Revenue & Customs, les requérants au principal). Elles considèrent en effet que leur non-assujettissement ne conduit à aucune distorsion de concurrence et, a fortiori, à aucune distorsion de concurrence qui serait d’une certaine importance, dans les zones qu’elles administrent.

7.        Les Commissioners ont refusé d’effectuer le remboursement. Les recours introduits auprès du VAT and Duties Tribunal par les autorités locales contre cette décision ayant abouti, les requérants ont interjeté appel devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni) qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)       L’expression ‘distorsions de concurrence’ doit-elle être appréciée pour chaque organisme de droit public de telle sorte que, dans le contexte de la présente affaire, elle doive être interprétée par référence au secteur ou aux secteurs dans lesquels ledit organisme exploite des parkings, ou par référence à l’ensemble du territoire national de l’État membre?

2)      Que signifie l’expression ‘conduirait’? En particulier, quel degré de probabilité ou niveau de certitude est-il requis pour que cette condition soit satisfaite?

3)       Que signifie l’expression ‘d’une certaine importance’? En particulier, l’expression ‘d’une certaine importance’ vise-t-elle un effet sur la concurrence qui soit plus que négligeable ou de minimis, un effet ‘notable’ ou un effet ‘exceptionnel’?»

II – Analyse juridique

A –    Sur la première question préjudicielle

8.        Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’hypothèse visée à l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive implique que l’éventuelle distorsion de concurrence induite par le non-assujettissement des organismes publics exerçant certaines activités en tant qu’autorités publiques soit appréciée à un niveau local, supposant la définition des conditions de concurrence sur le marché pertinent, ou si elle doit s’apprécier au regard de la seule activité concernée.

1.      Observations liminaires sur l’économie de l’article 4, paragraphe 5 de la sixième directive

9.        La réponse à la première question appelle un bref rappel de l’économie de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive. La règle établie à cette disposition est celle du non-assujettissement à la TVA des organismes de droit public lorsqu’ils agissent en qualité d’autorités publiques. Par dérogation à cette règle, exposée au premier alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, il est prévu, au deuxième alinéa du même article, que de tels organismes doivent néanmoins s’acquitter de la TVA dès lors que le non-assujettissement des activités en cause conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. Cette exception générale est par ailleurs complétée par le troisième alinéa qui détermine certaines activités pour lesquelles les organismes de droit public, en dépit de l’exercice de ces activités en tant qu’autorités publiques, seront toujours assujettis à la TVA. Toutefois, dans la mesure où ces activités sont négligeables, les États membres peuvent, s’ils le souhaitent, les placer hors du champ d’application de la TVA.

10.      Les différents alinéas de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive sont par conséquent étroitement liés. Ainsi, l’application du deuxième alinéa de cette disposition présuppose de se situer dans le champ d’application visé par le premier alinéa. La Cour a interprété cette disposition comme posant deux conditions cumulatives au non-assujettissement. Il faut, d’une part, que les activités soient exercées par un organisme public et, d’autre part, que lesdites activités soient exercées par cet organisme agissant en qualité d’autorité publique. Il a été par la suite précisé que les activités visées étaient celles accomplies par ces organismes dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier, à l’exclusion des activités qu’ils exercent dans les mêmes conditions juridiques que les opérateurs économiques privés (5).

11.      À ce titre et à l’instar des observations présentées par la Commission des Communautés européennes, il est possible, dans le cas d’espèce, d’émettre des doutes quant à la réunion desdites conditions concernant la fourniture d’emplacement de parking par les autorités locales. Plus exactement, il n’est pas certain que la fourniture d’emplacements de parking hors rue obéisse à un régime juridique propre à l’organisme public. Toutefois, le juge a quo n’ayant pas renvoyé cette question devant la Cour et la vérification de la réalisation desdites conditions revenant à la juridiction nationale (6), il n’est pas utile d’examiner plus avant ce problème.

2.      L’interprétation de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa de la sixième directive

12.      Comme il a été relevé précédemment, la question centrale qui est posée dans la présente affaire invite la Cour à se prononcer sur l’approche qu’il convient de retenir pour déterminer s’il existe une distorsion de concurrence d’une certaine importance visée à l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive, dérogeant au non-assujettissement des organismes de droit public agissant en qualité d’autorités publiques prévu au premier alinéa dudit article.

13.      Les parties se divisent sur ce point. Alors que les défendeurs au principal ainsi que le gouvernement italien plaident en faveur d’une approche concurrentielle, supposant une analyse concrète et préalable du marché pertinent pour déterminer si l’opération visée doit être soumise à TVA, les requérants au principal manifestent leur préférence, quant à eux, pour une approche fiscale reposant sur l’activité concernée. Le Royaume-Uni insiste en outre sur les difficultés d’applications des critères concurrentiels en matière fiscale. L’Irlande tente de réconcilier ces positions en estimant que ces options relèvent d’un choix discrétionnaire des États membres.

14.      Comme il va être démontré, l’approche fiscale doit prévaloir. En effet, le système fiscal établi par la sixième directive vise à assujettir à la TVA toutes activités économiques. Ainsi, l’article 2 de la sixième directive énonce que sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ainsi que les importations de biens. Ce n’est que par dérogation à cette règle générale que certaines activités sont placées hors du champ d’application de la TVA. Dans cette perspective, l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive stipule que les activités accomplies par un organisme public agissant en qualité d’autorité publique échappent à l’assujettissement. En revanche, alors même que les conditions de cette dérogation à l’assujettissement seraient remplies, le législateur communautaire a estimé nécessaire, au troisième alinéa de cet article, de maintenir l’assujettissement pour certaines de ces activités. Dans la mesure où l’article 4, paragraphe 5 de la sixième directive, quel que soit l’alinéa visé, concerne les mêmes organismes agissant en qualité d’autorités publiques, la seule justification à la différenciation du traitement fiscal des activités concernées opérée à ces différents alinéas ne peut reposer que sur la différence de nature de ces diverses activités. Cette position est confirmée par la Cour qui relève que la réintroduction de l’assujettissement prévue au troisième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive vise à garantir que «certaines catégories d’activités économiques dont l’importance découle de leur objet ne soient pas soustraites à la TVA» (7).

15.      En effet, la raison d’être de la dérogation à l’assujettissement des activités économiques à la TVA, prévue à l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive repose sur la présomption faible selon laquelle les activités exercées par les organismes publics en tant qu’autorités publiques sont des activités de nature essentiellement réglementaire liées à l’usage de prérogatives de puissance publique. Dans ces conditions, le non-assujettissement à la TVA de ces activités n’a potentiellement pas d’effet anticoncurrentiel avec celles exercées par le secteur privé, dès lors qu’elles sont généralement assumées à titre exclusif ou quasi exclusif par le secteur public. La neutralité fiscale est ainsi respectée.

16.      Cependant, cette présomption reste une présomption faible. Dans la mesure où la définition des organismes publics agissant en qualité d’autorités publiques repose certes sur des critères communautaires mais qu’elle dépend néanmoins de l’organisation interne de chaque État membre, la probabilité que certaines de ces activités accomplies par lesdits organismes publics soient également confiées au secteur privé reste forte. Des activités de nature essentiellement économique peuvent en effet rentrer dans les conditions de la dérogation, prévue au premier alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, dès lors que le droit national fait intervenir l’organisme public dans le cadre d’un «régime juridique qui lui est particulier», la spécificité d’un tel régime emportant, conformément à la jurisprudence de la Cour, la qualification d’activité exercée en tant qu’autorité publique. Or le non-assujettissement de telles activités, essentiellement économiques, peut devenir source de distorsion de concurrence dans la mesure où lesdites activités sont ou peuvent être généralement exercées, parallèlement voire principalement, par le secteur privé. L’absence d’assujettissement aboutirait alors à un dévoiement du système TVA qui repose avant tout sur le principe de neutralité fiscale.

17.      C’est principalement cette hypothèse que le législateur communautaire a entendu éviter en prévoyant au troisième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive l’assujettissement à la TVA de certaines activités précisément énumérées à l’annexe D de cette directive. Lesdites activités correspondent aux télécommunications; à la distribution d’eau, de gaz, d’électricité et d’énergie thermique; au transport de biens; aux prestations de services portuaires et aéroportuaires; au transport de personnes; aux livraisons de biens neufs fabriqués en vue de la vente; aux opérations des organismes d’intervention agricoles portant sur les produits agricoles et effectuées en application des règlements portant organisation commune du marché de ces produits; à l’exploitation des foires et des expositions à caractère commercial; à l’entreposage; aux activités des bureaux commerciaux de publicité; aux activités d’agences de voyages;aux opérations des cantines d’entreprises, économats, coopératives et établissements similaires et aux activités des organismes de radio-télévision autres que celles visées à l’article 13, A, paragraphe 1, sous q), de la sixième directive. À la lecture de cet alinéa, il apparaît clairement que l’assujettissement s’applique indépendamment de l’existence d’une concurrence effective ou potentielle au niveau de certains marchés locaux sur lesquels lesdites activités peuvent aussi bien être exercées par des organismes publics dans le cadre d’un régime juridique qui leur est particulier. Seule importe la nature de l’activité concernée.

18.      Par conséquent, le deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive qui établit, à l’instar du troisième alinéa de cet article, une dérogation au non-assujettissement, doit être interprété comme participant de la même logique que le troisième alinéa, à savoir: rétablir le principe de l’assujettissement à la TVA des activités de nature économique.

19.      Dans cette perspective, le critère de la distorsion de concurrence intervient dans le seul but d’aider les autorités nationales compétentes à déterminer quelles activités doivent ou non être soumises à la TVA. La notion de distorsion de concurrence n’intervient pas comme un principe régulateur de situations économiques particulières telles que les ententes ou l’abus de position dominante, mais bien comme un critère incident à disposition des États membres pour la mise en œuvre du régime TVA afin qu’ils puissent déterminer l’exercice de quelles activités doit être soumis à TVA (8). Ce critère s’inscrit ainsi dans la politique fiscale communautaire, laquelle vise à assujettir, conformément au principe de neutralité fiscale, toutes activités économiques à la taxe sur la valeur ajoutée.

20.      Par ailleurs, seule cette approche permet de garantir le principe de simplicité lié au besoin de sécurité juridique dans la perception de la taxe. Ces principes seraient fortement compromis par une analyse au cas par cas des situations concurrentielles sur les marchés pertinents. À ce titre et incidemment, l’approche retenue présente l’avantage d’éviter des coûts administratifs particulièrement lourds pour les autorités nationales compétentes.

21.      Aussi, le deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive TVA doit-il être interprété en ce sens qu’il incombe aux États membres, dans le cadre de la marge d’appréciation qui leur est reconnue pour la mise en œuvre de cette disposition (9), de déterminer en fonction des activités concernées s’il existe un risque de distorsion de concurrence si les organismes de droit public les exerçant en tant qu’autorités publiques n’étaient pas assujettis à la TVA.

B –    Sur la deuxième question préjudicielle

22.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de l’expression «conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance» mentionnée dans le deuxième alinéa, de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive. Elle souhaite savoir si cette disposition couvre uniquement la concurrence effective ou si elle s’étend également à la concurrence potentielle.

23.      La prise en compte de la concurrence potentielle se déduit logiquement de l’interprétation retenue dans le cadre de la première question. En effet dans la mesure où la conception par activité s’impose, la situation concurrentielle sur un marché local donné importe peu.

24.      Surtout, la Cour à d’ores et déjà précisée que l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive «envisage ainsi, en vue d’assurer la neutralité de l’impôt, objectif majeur de la sixième directive, la situation où les organismes de droit public exercent, dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier, des activités qui peuvent être également accomplies, en concurrence avec eux, par des particuliers sous un régime de droit privé ou encore sur la base de concessions administratives» (10). Or si seule la concurrence effective devait être prise en considération, la neutralité fiscale ne serait plus préservée dans la mesure où la seule concurrence effective exclut la prise en compte d’une entrée, à terme ou dans l’immédiat, de certains opérateurs privés, lesquels, en toutes hypothèses, seront assujettis à la TVA. Dans ces conditions, il apparaît pourtant clairement que le non assujettissement des opérateurs publics exerçant la même activité que les opérateurs privés, assujettis à la TVA, peut conduire à une distorsion de concurrence d’une certaine importance.

25.      Par ailleurs, comme le souligne l’avocat général Kokott «[m]ême si actuellement aucun concurrent n’offre de prestations concurrentes soumises à la TVA, le risque de distorsions de concurrence peut bien être réel. En effet une situation de départ désavantageuse est susceptible à elle seule de dissuader des concurrents potentiels d’agir sur le marché […].» (11).

26.      Par conséquent et conformément à la position défendue par la Commission, l’expression «conduirait» doit être comprise comme incluant aussi bien la concurrence effective que la concurrence potentielle, pour autant que cette dernière soit réelle.

C –    Sur la troisième question préjudicielle

27.      La troisième question de la juridiction nationale porte sur le sens de l’expression «distorsions de concurrence d’une certaine importance» (12). Cette expression vise-t-elle un effet sur la concurrence qui ne soit pas négligeable ou seulement un effet «exceptionnel» allant au-delà des distorsions qui résulteraient normalement de la coexistence sur le même marché de prestataires taxés et d’autres qui ne le sont pas?

28.      Je dois admettre que ma première intuition serait de répondre: ni l’un ni l’autre. Sans doute est-ce précisément la volonté du législateur communautaire que d’avoir porté sa préférence sur une expression telle que «d’une certaine importance» supposant une distorsion de concurrence qui soit vraisemblablement plus que négligeable, sans toutefois être exceptionnelle. À cet égard, la réponse qui pourrait être formulée à cette question rappelle le commentaire de Bernard Shaw selon lequel «il n’existe pas de question plus difficile à répondre que celle où la réponse est évidente».

29.      En effet, le risque auquel on s’expose en remplaçant un mot par un autre est de choisir une expression tout aussi équivoque. Il me semble plus pertinent de commencer par reconnaître les limites de l’interprétation de certaines notions, qui sont en réalité rétives à toute prédétermination par voie d’interprétation générale et abstraite. Elles n’acquièrent leur signification pleine et entière qu’au moment de leur concrétisation, au cas par cas et à la lumière des objectifs du texte dans lequel elles s’insèrent. Dans cette perspective et dans le présent contexte, l’interprétation de la notion «d’une certaine importance» doit tenir compte de la marge d’appréciation que la sixième directive laisse aux États membres pour déterminer ce que recouvre cette expression dans son contexte d’application (13).

30.      Par ailleurs, bien souvent l’interprétation d’une telle notion ne peut être dégagée que par la voie d’une définition négative mettant en relief davantage ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle est. À ce titre et comme il a été précédemment souligné, les différents alinéas du paragraphe 5 de l’article 4 sont étroitement liés de sorte que l’interprétation de l’un d’entre eux ne peut s’abstraire de celle qui prévaut pour chacun desdits alinéas. Ainsi, considérer que le seul usage de prérogatives de puissance publique, qui caractérisent l’activité comme étant celle d’une autorité agissant en sa qualité d’autorité publique, suffit à exclure l’existence de toute distorsion de concurrence avec notamment des opérateurs privés, reviendrait à priver d’effet utile le deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive. De la même manière, l’exclusion du champ d’application de la TVA reconnue au bénéfice de l’organisme agissant en qualité d’autorité publique ne peut être considérée à elle seule comme impliquant une distorsion de concurrence justifiant l’assujettissement à la TVA au titre du deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive. En effet, seule une distorsion de concurrence d’une certaine importance doit déclencher le paiement de la taxe par l’organisme agissant en qualité d’autorité publique, sauf à priver d’effet utile le premier alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive. Toute autre interprétation risquerait d’inclure pratiquement toutes les opérations ou activités accomplies par une autorité publique, agissant comme telle, dans le champ d’application de la dérogation à la règle du non-assujettissement à la TVA de tels organismes.

31.      L’expression «d’une certaine importance» implique que la distorsion de concurrence sans être négligeable ou exceptionnelle soit hors du commun. Toute autre concrétisation du concept n’est possible qu’au cas par cas et à la lumière des objectifs de la sixième directive qui ont été précisés dans la première partie des présentes conclusions. Aussi doit-on conclure sur ce point que l’interprétation d’une telle notion ressort de la marge d’appréciation des États membres dans la mesure où elle ne peut prendre son sens que dans son contexte d’application pour autant que ladite interprétation respecte les objectifs de la sixième directive, tels qu’ils ont été précisés.

III – Conclusions

32.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées:

«1)      Le deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu’il incombe aux États membres, dans le cadre de la marge d’appréciation qui leur est reconnue pour la mise en œuvre de cette disposition, de déterminer, en fonction des activités concernées, s’il existe un risque de distorsion de concurrence si les organismes de droit public les exerçant en tant qu’autorités publiques n’étaient pas assujettis à la TVA.

2)      L’expression ‘conduirait’ doit être comprise comme incluant aussi bien la concurrence effective que la concurrence potentielle, pour autant que cette dernière soit réelle.

3)      L’expression ‘d’une certaine importance’ implique que la distorsion de concurrence sans être négligeable ou exceptionnelle soit hors du commun. L’interprétation d’une telle notion ressort de la marge d’appréciation des États membres dans la mesure où elle ne peut prendre son sens que dans son contexte d’application pour autant que ladite interprétation respecte les objectifs de la directive 77/388, tels qu’ils ont été précisés.»


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 145, p. 1. Cette directive a fait l’objet de plusieurs modifications successives et a été abrogée par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 (JO L 347, p. 1). Cette dernière directive reprend littéralement à son article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, les dispositions de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive. De même, l’annexe D mentionnée au troisième alinéa dudit article 4, paragraphe 5, est devenue l’annexe I de la directive 2006/112.


3 – Ci-après les «autorités locales» ou les «défendeurs au principal».


4 – Arrêt du 14 décembre 2000 (C-446/98, Rec. p. I-11435).


5 – Arrêt Fazenda Pública, précité (points 16 et 17).


6 – Arrêt du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a. «Carpaneto I» (231/87 et 129/88, Rec. p. 3233, point 16), et arrêt Fazenda Pública, précité (points 23).


7 – Arrêt Carpaneto I, précité (point 26). Souligné par l’auteur.


8 – Voir en ce sens également la position défendue par l’avocat général Mischo aux points 14 et 15 des conclusions présentées dans l’affaire Comune di Carpaneto Piacentino e.a., «Carpaneto II» (arrêt du 15 mai 1990, C-4/89, Rec. p. I-1869).


9 – Pour une confirmation d’un telle marge d’appréciation allouée aux États membres, voir notamment les arrêts précités Carpaneto I (point 23); Carpaneto II (point 13), et Fazenda Pública (points 31 et 32). Il convient également de préciser que la marge d’appréciation reconnue aux États est ainsi plus étendue dans le cadre du deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive TVA que pour la transposition du troisième alinéa où les activités, devant en principe être assujetties, sont préalablement définies par le législateur communautaire.


10 – Arrêt Carpaneto I, précité (point 22). L’objectif de neutralité fiscale poursuivi par cet alinéa a été rappelé avec constance, voir, plus récemment, l’arrêt du 8 juin 2006, Feuerbestattungsverein Halle (C-430/04, Rec. p. I-4999, point 24).


11 – Point 131 des conclusions présentées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 juin 2007, Hutchison 3G e.a. (C-369/04, Rec. p. I-5247).


12 – Souligné par l’auteur.


13 – Pour un raisonnement similaire, voir notamment: arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941, points 25 et suiv.).