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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN Mazák

présentées le 17 juin 2008 (1)

Affaire C-291/07

Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet

contre

Skatteverket

[demande de décision préjudicielle formée par le Regeringsrätten (Suède)]

«Fiscalité — TVA ― Sixième directive 77/388/CEE ― Directive 2006/112/CE — Lieu de la prestation — Services de conseil — Fondation nationale exerçant une activité économique et une activité non économique — Activité non économique ne relevant pas du champ d’application des directives»





1.        Par la présente demande de décision préjudicielle, le Regeringsrätten [Cour suprême administrative (Suède)] demande à la Cour d’interpréter les articles 9, paragraphe 2, sous e), et 21, point 1, sous b), de la sixième directive (2) ainsi que les articles 56, paragraphe 1, sous c), et 196 de la directive 2006/112/CE (3) (ci-après, ensemble, les «dispositions litigieuses»). Le litige au principal porte à la fois sur des exercices comptables à l’époque desquels la sixième directive était applicable et sur des exercices comptables où la directive 2006/112 est applicable.

2.        Le litige au principal concerne Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet [rebondir ― conseil d’aide et de soutien aux personnes victimes d’un licenciement (ci-après la «TRR»)], une fondation de droit suédois, ayant des activités économiques ainsi que d’autres activités, qui entend faire appel à un prestataire de services de conseil établi au Danemark. La juridiction de renvoi demande à se faire préciser, lors de l’application des dispositions litigieuses, dans quelle mesure ladite fondation doit être considérée comme un assujetti, même si les prestations ne sont utilisées que pour ses activités ne relevant pas du champ d’application des directives.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

3.        L’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive dispose que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4.        L’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive dispose qu’est considéré comme assujetti «quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité». L’article 4, paragraphe 2, de cette directive dispose que les «activités économiques […] sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services».

5.        L’article 9 de la sixième directive, relatif au lieu des prestations de services, est rédigé comme suit:

«1. Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

2. Toutefois:

[…]

e)      le lieu des prestations de services suivantes, rendues à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle:

[…]

–        les prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d’études, avocats, experts comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d’informations […]».

6.        Selon l’article 21, point 1, sous b), de la sixième directive, la TVA est due:

«[…]

b)      par le preneur d’un service visé à l’article 9, paragraphe 2, sous e), et effectué par un assujetti établi à l’étranger; toutefois, les États membres peuvent prévoir que le prestataire est solidairement tenu d’acquitter la taxe».

7.        L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 dispose que les opérations suivantes sont soumises à la TVA, à savoir: «les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel».

8.        L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 dispose:

«Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités [...] des professions libérales ou assimilées. […]»

9.        L’article 56, paragraphe 1, de la directive 2006/112 énonce:

«Le lieu des prestations de services suivantes, fournies à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable pour lequel la prestation de services a été fournie ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle:

[…]

c)      les prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d’études, avocats, experts comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d’informations».

10.      L’article 196 de la directive 2006/112 dispose:

«La TVA est due par l’assujetti preneur de services visés à l’article 56 […]».

B –    Le droit national

11.      Le chapitre 1er, article 1er, de la loi 1994:200, relative à la TVA [medvärdesskattelagen (1994:200)] (ci-après la «loi ML») dispose que sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services sur le territoire effectuées dans le cadre d’une activité professionnelle (4).

12.      Le chapitre 5, article 7, de la loi ML dispose que certaines prestations de services, qu’il précise, notamment celles de conseil, fournies par un prestataire établi dans un autre État membre, sont considérées effectuées sur le territoire si le preneur est un commerçant qui a en Suède le siège de son activité économique ou qui y dispose d’un établissement stable pour lequel la prestation de services a été fournie ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. Si le prestataire des services de conseil soumis à la TVA effectués sur le territoire est une société étrangère, la TVA est due par le preneur en application du chapitre 1er, article 2, de la loi ML (5).

13.      La loi ML ne définit pas ce qu’il faut entendre par «commerçant». Par «activité professionnelle», son chapitre 4, article 1er, entend une activité économique commerciale et des produits d’opérations réalisées dans son cadre d’un montant supérieur à 30 000 SEK au cours d’une exercice fiscal. Il ressort du chapitre 13, article 1er, de la loi relative à l’impôt sur les revenus [inkomstskattelagen] que, par activité économique, il faut entendre toute activité indépendante exercée à titre professionnel.

II – Les faits, la procédure et la question préjudicielle

14.      Le litige au principal concerne une fondation établie sur la base de conventions collectives, la TRR, fondée en 1994 par la Svenska Arbetsgivareföreningen [organisation patronale] (aujourd’hui la Svenskt Näringsliv) et le Privattjänstemannakartellen [syndicat des employés et des cadres du secteur privé] [syndicat de travailleurs].

15.      Les statuts de la TRR stipulent que ses objets sont, d’une part, de verser les indemnités de licenciement et de promouvoir toute mesure de nature à faciliter la reconversion des travailleurs qui, pour des motifs précisés, ont été licenciés ou risquent de l’être et, d’autre part, d’apporter conseil et de prêter assistance aux entreprises susceptibles de connaître ou connaissant des situations de sureffectifs, ainsi que de promouvoir la formation des entreprises en matière de ressources humaines. Les conditions d’exercice des activités de la TRR sont plus précisément définies dans un accord entre la Svenskt Näringsliv et le Privattjänstemannakartellen, dit «accord de transition» (Omställningsavtalet).

16.      Les activités sont financées par des cotisations patronales versées par les employeurs liés par cet accord, cotisations qui représentent un pourcentage des rémunérations versées aux salariés couverts par ledit accord. Les employeurs liés à l’accord de transition par un accord dit «de rattachement» s’acquittent d’une cotisation annuelle fixe. Outre les activités régies par l’accord de transition, la TRR est immatriculée en tant qu’assujettie à la TVA pour les prestations de services réalisées lorsque des entreprises procèdent à des externalisations. L’activité assujettie de la TRR représente environ 5 % de ses recettes.

17.      La TRR entend bénéficier de prestations de services de conseil rendues notamment par un prestataire établi au Danemark, services de conseil qui doivent exclusivement être utilisés pour les activités que la TRR exerce dans le cadre de l’accord de transition. Afin de se faire préciser les conséquences fiscales de cette opération, la TRR a introduit une demande de rescrit auprès de la Skatterättsnämnden (commission de droit fiscal) pour savoir si les activités qu’elle exerce dans le cadre de l’accord de transition sont des activités professionnelles et si elle doit être considérée comme un commerçant au sens du chapitre 5, article 7, de la loi ML.

18.      Par décision du 3 mars 2006, la Skatterättsnämnden a répondu que, d’une part, les activités exercées dans le cadre de l’accord de transition ne constituaient pas pour la TRR des prestations de services dans le cadre d’une activité professionnelle, et que, d’autre part, la TRR devait être considérée comme un commerçant au sens du chapitre 5, article 7, de la loi ML.

19.      La TRR a formé un recours contre la décision de la Skatterättsnämnden et demande au Regeringsrätten de dire qu’elle n’est pas un commerçant au sens du chapitre 5, article 7, de la loi ML. La Skatteverket (agence des impôts) demande qu’il plaise au Regeringsrätten confirmer la décision attaquée.

20.      À l’appui de son recours, la TRR fait notamment valoir qu’une immatriculation en tant qu’assujettie à la TVA n’a pas en elle-même pour effet que l’assujetti soit toujours considéré comme un commerçant au sens du chapitre 5, article 7, de la loi ML. Dans le cas d’achats effectués pour les activités en dehors du champ d’application de la sixième directive, la TRR n’est pas un commerçant au sens de cette disposition. La disposition correspondante de la sixième directive, l’article 9, paragraphe 2, sous e), renvoie non pas à la notion de commerçant mais à celle d’assujetti.

21.      Le Regeringsrätten est d’avis que le litige au principal appelle l’interprétation des notions d’«assujetti» et de «redevable pour le paiement de la taxe» en droit communautaire pour l’application de certaines dispositions de la sixième directive et de la directive 2006/112. Le juge de renvoi relève que la notion d’«assujetti» de la sixième directive a été précisée par la Cour dans plusieurs arrêts. En revanche, elle ne s’est pas encore prononcée sur l’interprétation de cette notion pour l’application de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive dans un cas concret tel que celui de l’espèce au principal.

22.      Estimant que les dispositions litigieuses sont imprécises et constatant que la question ne paraît pas avoir été soumise auparavant à la Cour, le Regeringsrätten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 9, paragraphe 2, sous e), et l’article 21, point 1, sous b), de la sixième directive, ainsi que l’article 56, paragraphe 1, sous c), et l’article 196 de la directive 2006/112 doivent-ils être interprétés dans ce sens que, pour leur application, le preneur d’une prestation de services de conseil auprès d’un assujetti dans un autre État membre, preneur qui exerce à la fois des activités économiques et des activités hors domaine de la directive, doit être considéré comme un assujetti, même si ladite prestation n’est utilisée que pour ces dernières?»

23.      La Cour a reçu des observations de la Skatteverket, des gouvernements allemand, grec, italien et polonais, ainsi que de la Commission des Communautés européennes. Les parties n’ont pas sollicité la tenue d’une audience et il n’en a pas été tenu.

III – Appréciation

A –    Les moyens et les conclusions des parties

24.      La TRR n’a pas soumis d’observations à la Cour.

25.      Selon la Skatteverket, les articles 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive et 56, paragraphe 1, de la directive 2006/112 n’exigent pas que l’acquisition soit effectuée par l’assujetti en tant que tel ou qu’elle soit effectuée dans le cadre de son activité économique. En outre, il est conforme à l’objectif des deux directives que les dispositions en question n’exigent pas que le preneur agisse en tant qu’assujetti.

26.      La Skatteverket soutient que, pour l’application des dispositions litigieuses, un assujetti doit être considéré en tant que tel, indépendamment de la destination de la prestation de service achetée. Dès lors, dans le cas de prestations de services achetées par la TRR dans les circonstances de celles de l’espèce au principal, la prestation doit être considérée comme rendue en Suède. La TRR est donc tenue de déclarer et de s’acquitter de la TVA auprès du Trésor suédois. Toutefois, les prestations de services sans lien avec les activités économiques de la TRR n’ouvrent pas de droit à déduction de la TVA.

27.      Les gouvernements allemand, grec et polonais, ainsi que la Commission, ont fait valoir des arguments dans le sens de ceux soutenus par la Skatteverket. En substance, ils concluent que les dispositions litigieuses doivent être interprétées dans le sens que le preneur d’une prestation de services de conseil auprès d’un redevable pour le paiement de la taxe établi dans un autre État membre, preneur qui exerce à la fois des activités économiques et des activités hors domaine des directives, doit être considéré comme un assujetti, même si ladite prestation de service est uniquement utilisée pour les activités hors domaine des directives.

28.      Cependant, le gouvernement italien conclut, en substance, que les dispositions litigieuses doivent être interprétées dans le sens que le preneur d’une prestation de services de conseil auprès d’un assujetti établi dans un autre État membre, preneur qui exerce à la fois des activités économiques et des activités hors domaine des directives, doit être considéré comme un consommateur final, si ladite prestation de service est uniquement utilisée pour les activités hors domaine des directives.

B –    L’analyse

29.      Par sa question, la juridiction de renvoi demande à savoir si les dispositions litigieuses doivent être interprétées dans le sens que le preneur d’une prestation de service auprès d’un redevable pour le paiement de la taxe établi dans un autre État membre, preneur qui exerce à la fois des activités économiques et des activités hors domaine des directives, doit être considéré comme un assujetti, même si ladite prestation de service est uniquement utilisée pour les activités hors domaine des directives.

30.      Les dispositions litigieuses ayant sensiblement la même rédaction dans les deux directives, nous n’examinerons que celles de la seule sixième directive par souci de clarté (6).

31.      Selon l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme «assujetti» quiconque accomplit d’une façon indépendante une des activités économiques mentionnées audit article 4, paragraphe 2. L’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive définit la notion d’«activité économique» comme incluant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services.

32.      Il est de jurisprudence établie que l’article 4 de la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA, englobant tous les stades de la production, de la distribution et de la prestation de service (7). Il est également de jurisprudence bien établie que, compte tenu de la finalité de la sixième directive ― qui est notamment de créer un système commun de TVA sur la base d’une définition uniforme de la notion d’«assujetti» ― cette qualité doit être exclusivement appréciée sur la base des critères énoncés à l’article 4 de ladite directive (8).

33.      C’est ainsi que la Cour a jugé qu’est un assujetti une personne qui a exercé une activité économique indépendante au sens de l’article 4 de la sixième directive, même si ce n’est qu’à titre accessoire (9). Une personne peut être considérée comme assujettie en application de l’article 4 de la sixième directive même si, comme c’est le cas de la TRR, une part importante de son activité se situe en dehors du champ d’application de cette directive.

34.      Dans l’arrêt du 9 mars 2006, Gillan Beach, il a été rappelé que «l’article 9 de la sixième directive contient des règles qui déterminent le lieu de rattachement fiscal des prestations de services. Alors que le paragraphe 1 de cet article édicte à ce sujet une règle de caractère général, le paragraphe 2 du même article énumère une série de rattachements spécifiques. L’objectif de ces dispositions est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes» (10).

35.      Poursuivant, la Cour a dit dans le même arrêt (11) qu’il «convient de rappeler également que, s’agissant du rapport entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 9 de la sixième directive, la Cour a jugé qu’il n’existe aucune prééminence du paragraphe 1 de cette disposition sur le paragraphe 2 de celle-ci. La question qui se pose dans chaque situation consiste à se demander si cette dernière est régie par l’un des cas mentionnés à l’article 9, paragraphe 2, de ladite directive. À défaut, elle relève du paragraphe 1 de cet article».

36.      Il s’ensuit que l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive ne constitue pas une exception à la règle posée par le paragraphe 1 dudit article et qu’il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation stricte.

37.      En outre, la Cour a rappelé dans l’arrêt Gillan Beach précité que, «pour l’interprétation d’une disposition de droit communautaire, il importe de tenir compte non seulement des termes de cette disposition, mais également du contexte de cette disposition et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie» (12). Ainsi, selon la Cour, il convient de garder à l’esprit que l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive pose une règle de conflit permettant de déterminer le lieu d’imposition des prestations de services et, en conséquence, délimite les compétences des États membres. Je note ici qu’il s’ensuit que la notion de «prestations des conseillers» est une notion de droit communautaire appelant une interprétation uniforme pour éviter des situations de double imposition ou de non-imposition (13).

38.      Notons que l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive ne précise pas si un assujetti, preneur d’une prestation de services, doit acquérir cette prestation pour les besoins de son activité économique (14), d’ailleurs, rien dans cette disposition ne permet de penser qu’un tel fait serait déterminant pour les besoins de son application.

39.      Cependant, comme le souligne très justement la juridiction de renvoi, l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive énonce explicitement que sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti «agissant en tant que tel». En outre, l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive dispose expressément que le droit à déduction de la taxe dont l’assujetti est redevable est reconnu dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations assujetties (15).

40.      Quoiqu’il en soit, si les articles 2, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, de la sixième directive visent expressément l’assujetti «agissant en tant que tel» ou des prestations de services utilisées pour les besoins des opérations assujetties, son article 9, paragraphe 2, sous e), ne renferme pas une telle précision. À mon avis, il ne s’agit nullement d’une omission du législateur communautaire. Au contraire, l’absence de référence dans ledit article 9, paragraphe 2, à l’activité économique, à un assujetti agissant en tant que tel ou à des opérations assujetties signifie que, pour la détermination du lieu où est effectuée la prestation de service, le fait que le client exerce en outre des activités hors domaine de la sixième directive ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition (16).

41.      De plus, l’interprétation des dispositions litigieuses proposée précédemment est conforme avec les intérêts d’une simplicité de gestion (des règles sur le lieu de la prestation de service), de perception de la taxe et de prévention de l’évasion fiscale (17). Certes, comme la Skatteverket le souligne très justement, si le preneur d’une prestation de service devait agir en qualité d’assujetti agissant en tant que tel ou si la prestation de service devait être utilisée pour les besoins de ses opérations assujetties, une telle exigence serait de nature à rendre dans bien des cas beaucoup plus difficile, pour les entreprises comme pour les autorités fiscales des États membres concernés, la détermination du lieu de la prestation de service en cause (18).

42.      De plus, du point de vue des aspects pratiques (19) d’une telle interprétation des dispositions litigieuses, dans le cas d’un preneur de prestations de conseillers, la taxe est due lorsque le preneur transmet sa déclaration de TVA à l’administration fiscale de l’État membre où il est établi. Étant un assujetti, il ne peut pas ne pas être déjà immatriculé dans cet État membre pour les besoins des déclarations de TVA. De plus, si les prestations de services sont effectuées pour son activité économique, le preneur peut se prévaloir de son droit à déduction de la taxe imputée en amont. D’un autre côté, le prestataire de services n’a qu’à établir que le preneur est un assujetti (20).

43.      Enfin, à mon avis, une telle lecture des dispositions litigieuses s’impose également en raison du principe de sécurité juridique, car les règles relatives à la détermination du lieu de la prestation de service doivent être prévisibles pour les opérateurs. Ce principe s’impose avec une rigueur particulière, lorsqu’il s’agit de réglementations susceptibles de comporter des conséquences fiscales, afin que les particuliers puissent connaître avec précision les obligations que leur imposent de telles réglementations (21).

44.      Cette interprétation conduirait, en outre, à réduire la charge pesant sur les commerçants opérant dans tout le marché unique. Cela, à son tour, serait de nature à faciliter la libre circulation des biens et des services qui, je le rappelle, est l’un des principaux objectifs du système commun de la TVA (22).

45.      Avant de conclure, je voudrais en peu de mots mentionner que, à la lumière des considérations qui précèdent, il semblerait que, dans son interprétation des dispositions litigieuses (23), le gouvernement italien n’a pas suffisamment tenu compte de leur objet.

46.      Enfin, s’agissant de l’article 21, point 1, sous b), de la sixième directive, qui fait également l’objet de la question préjudicielle posée, il suffit de relever que cette disposition se borne à énoncer que, lorsqu’un service visé à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive est effectué par un assujetti établi à l’étranger, la TVA est due par le preneur. Dès lors, si les conditions posées à l’article 4 de la sixième directive ainsi que celles de l’article 21, point 1, sous b), sont réunies, le preneur est redevable de la TVA à raison des prestations de services dont il bénéficie, indépendamment du fait qu’elles aient été effectuées ou non pour les activités ne relevant pas du champ d’application des directives.

IV – Conclusion

47.      J’ai donc l’honneur de proposer qu’il plaise à la Cour de répondre ainsi à la question préjudicielle posée par le Regeringsrätten:

«Pour déterminer le lieu d’une prestation de services, les articles 9, paragraphe 2, sous e), et 21, point 1, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ― Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, ainsi que les articles 56, paragraphe 1, sous c), et 196 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens que le preneur d’une prestation de services de conseil effectuée par un assujetti établi dans un autre État membre, preneur qui exerce à la fois des activités économiques et des activités hors domaine de ces deux directives, doit être considéré comme un assujetti, même si ladite prestation n’est utilisée que pour ces dernières.»


1 — Langue originale: l’anglais.


2 — Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires -- Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).


3 — Directive du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1). Ensemble, la sixième directive et la directive 2006/112 seront désignées par les «directives». La directive 2006/112 a remplacé et annulé la sixième directive à effet du 1er janvier 2007.


4 — Cette disposition vise à transposer l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive.


5 — Ces dispositions transposent en droit national les dispositions correspondantes des articles 9, paragraphe 2, sous e), et 21, point 1, sous b), de la sixième directive.


6 — En substance, les articles 2, paragraphe 1, 4, 9, paragraphe 2, sous e), et 21, point 1, sous b), de la sixième directive correspondent respectivement aux articles 2, paragraphe 1, 9, 56, paragraphe 1, sous c), et 196 de la directive 2006/112.


7 — Voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1990, van Tiem (C-186/89, Rec. p. I-4363, point 17); du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring (C-305/01, Rec. p. I-6729, point 42), et du 21 avril 2005, HE (C-25/03, Rec. p. I-3123, point 40).


8 — Voir arrêt du 21 avril 2005, HE (précité, point 41 et la jurisprudence citée).


9 — Ibid., point 42.


10 — C-114/05, Rec. p. I-2427, point 14, et jurisprudence citée.


11 — Point 15 et jurisprudence citée.


12 — Point 21 et jurisprudence citée.


13 — S’agissant d’«activités similaires», voir arrêt Gillan Beach précité (point 20 et jurisprudence citée). Sur les «prestations de publicité», voir arrêts du 17 novembre 1993, Commission/France (C-68/92, Rec. p. I-5881, point 14), et du 17 novembre 1993, Commission/Espagne (C-73/92, Rec. p. I-5997, point 12); point 14 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire SPI (arrêt du 15 mars 2001, C-108/00, Rec. p. I-2361).


14 — C’est-à-dire de l’activité assujettie.


15 — Voir arrêt du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen (C-378/02, Rec. p. I-4685, point 32 et jurisprudence citée).


16 — Je souhaite ajouter que, comme il le ressort clairement de ce qui précède, le but de l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive est différent des objectifs poursuivis par ses articles 2, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2.


17 — À la lumière de mon interprétation des dispositions litigieuses et en cas de doutes sur le risque d’évasion fiscale, je relèverais que les articles 21 et 22, paragraphe 7, de la sixième directive autorisent les autorités fiscales des États membres à prendre les mesures nécessaires pour contrer ce risque. Voir, à cet effet, arrêt du 26 septembre 1996, Dudda (C-327/94, Rec. p. I-4595, point 32).


18 — J’admet également que, si contrairement à l’interprétation proposée précédemment, les dispositions litigieuses devaient être considérées comme posant de telles exigences, il serait porté atteinte aux intérêts d’une simplicité de gestion des règles et de facilité de la perception de la taxe dans des situations où la prestation de service est effectuée pour les besoins des deux catégories d’activités exercées par la TRR. Les dispositions litigieuses ne donnent aucune indication sur la manière de procéder à la ventilation requise entre celles-ci.


19 — Cette question est étroitement liée à celle développée au point précédent. Si la répartition de la compétence fiscale entre les États membres est trop complexe, des opérations normalement assujetties risquent d’échapper à l’imposition.


20 — Comme la Skatteverket le remarque à juste titre, un tel régime permet au prestataire de service, tel qu’un prestataire de services de conseiller, d’éviter de devoir s’immatriculer pour les besoins de la TVA dans chacun des États membres où ses clients sont établis.


21 — Voir, à cet égard, point 32 des conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 septembre 1996, Dudda, et la jurisprudence citée, ainsi que le point 12 des conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire Faaborg-Gelting Linien (arrêt du 2 mai 1996, C-231/94, Rec. p. I-2395).


22 — Dans l’affaire au principal, les faits se sont produits avant l’entrée en vigueur de la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services (JO L 44, p. 11). L’article 2 de la directive 2008/8 dispose que l’article 43 de la directive 2006/112 est remplacé par le texte suivant à partir du 1er janvier 2010: «Aux fins de l’application des règles relatives au lieu des prestations de services:


1) un assujetti qui exerce également des activités ou effectue aussi des opérations qui ne sont pas considérées comme étant des livraisons de biens ou des prestations de services imposables conformément à l’article 2, paragraphe 1, est considéré comme assujetti pour tous les services qui lui sont fournis […]» (c’est moi qui souligne).


23 — Voir point 28 des présentes conclusions.