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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 19 novembre 2009 (1)

Affaire C-337/08

X Holding BV

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad (Pays-Bas)]

«Liberté d’établissement – Impôt sur les sociétés – Régime d’imposition de groupe – Entité fiscale composée de sociétés mères résidentes et d’une ou plusieurs de leurs filiales résidentes – Exclusion des filiales non-résidentes – Préservation d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres»





I –    Introduction

1.        Le droit fiscal néerlandais accorde aux sociétés établies sur le territoire national la possibilité de former une entité fiscale avec leurs filiales résidentes. Ce régime a pour effet, notamment, que les bénéfices et les pertes des sociétés intégrées dans l’entité sont consolidés au niveau de la société mère et que les transactions effectuées au sein du groupe restent fiscalement neutres. Les filiales établies dans un autre État membre ne peuvent pas être intégrées dans une entité fiscale.

2.        Le Hoge Raad (Pays-Bas) a des doutes sur le point de savoir si cette différence de traitement des filiales nationales et étrangères est justifiée par les raisons qui ont été développées dans l’arrêt Marks & Spencer (2) et dans les arrêts qui l’ont suivi (3), en particulier afin de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

3.        Les États membres qui sont intervenus à la procédure estiment que les dispositions néerlandaises en matière d’entité fiscale sont compatibles avec la liberté d’établissement. X Holding BV (ci-après «X Holding») et la Commission des Communautés européennes sont d’avis opposé. Elles font valoir que le droit néerlandais permet d’inclure les établissements stables étrangers d’une société néerlandaise dans l’entité fiscale et que, par conséquent, cette possibilité devrait également être accordée aux filiales ayant leur siège dans d’autres États membres.

II – Le cadre juridique

4.        La convention du 5 juin 2001 entre le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (4) (ci-après la «convention tendant à éviter la double imposition») stipule à son article 7, paragraphe 1, conformément au modèle de convention de l’OCDE:

«[l]es bénéfices d’une entreprise d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce son activité d’une telle façon, les bénéfices de l’entreprise sont imposables dans l’autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable».

5.        Lorsqu’un assujetti établi aux Pays-Bas perçoit des revenus qui, en application de l’article 7 de la convention tendant à éviter la double imposition, sont imposables en Belgique, le Royaume des Pays-Bas, en application de l’article 23, paragraphe 2, de cette même convention, exempte ces éléments de revenu en accordant une réduction de leur impôt conformément aux dispositions de la législation néerlandaise visant à éviter la double imposition (5).

6.        L’article 15, paragraphe 1, de la loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés (Wet op de vennootschapsbelasting 1969, ci-après la «Wet Vpb»), dans sa version de 2003, définit l’entité fiscale de la manière suivante:

«Lorsqu’un assujetti (la société mère) est économiquement et juridiquement propriétaire d’au moins 95 % du capital nominal libéré d’un autre assujetti (la filiale), les deux assujettis sont imposés à leur demande comme s’ils formaient une seule entité, c’est-à-dire comme si les activités et le patrimoine de la filiale faisaient partie intégrante des activités et du patrimoine de la société mère. L’impôt est prélevé dans le chef de la société mère. Les assujettis sont alors considérés ensemble comme une entité fiscale. Plusieurs filiales peuvent faire partie d’une même entité fiscale».

7.        En vertu de l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la Wet Vpb, seuls les assujettis établis aux Pays-Bas peuvent former une entité fiscale. L’article 15, paragraphe 4 prévoit une dérogation à cette règle pour les sociétés établies dans l’Union européenne, dans la mesure où elles disposent d’un établissement stable aux Pays-Bas dont les bénéfices sont soumis à l’impôt aux Pays-Bas en vertu d’une convention tendant à éviter la double imposition.

8.        Il ressort des motifs de la décision de renvoi que les dispositions relatives à l’entité fiscale permettent de compenser, au cours d’un même exercice fiscal, des bénéfices et des pertes de différentes entreprises appartenant à l’entité fiscale. En outre, le transfert d’actifs entre deux sociétés appartenant à l’entité fiscale et les services fournis au sein de l’entité restent fiscalement neutres.

9.        Si une filiale n’est pas intégrée dans une entité fiscale, ses pertes ne peuvent pas être compensées avec le bénéfice de la société mère. Les actions dans cette filiale sont une participation pour la société mère. Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de la Wet Vpb, les résultats (positifs ou négatifs) issus de la participation ne sont pas pris en compte dans le calcul du bénéfice. Une perte sur une participation (perte pour réduction de valeur) ne peut donc pas être déduite, en principe, du bénéfice imposable de la société mère. L’article 13d de la Wet Vpb permet toutefois, à certaines conditions, de déduire du bénéfice une perte réalisée à la liquidation d’une participation.

10.      L’article 33 de l’arrêté de prévention de la double imposition de 2001 prévoit, en ce qui concerne le traitement fiscal des bénéfices des établissements stables à l’étranger, que ceux-ci sont additionnés à l’assiette imposable de la maison mère aux Pays-Bas. En même temps, ils sont exonérés d’impôt dans la mesure où un montant correspondant à l’impôt national sur les sociétés au titre de ces bénéfices est déduit de la dette fiscale de la société nationale.

11.      Si la perte d’un établissement stable à l’étranger a conduit à une diminution de l’assiette imposable néerlandaise, l’article 35 de ce même arrêté prévoit que les résultats positifs ultérieurs de l’établissement stable ne seront exonérés que s’ils dépassent les pertes antérieurement déduites (régime de récupération).

III – Les faits au principal, la question préjudicielle et la procédure

12.      X Holding est une société de capitaux ayant son siège aux Pays-Bas. Elle est l’actionnaire unique de F NV (ci-après «F»), société établie en Belgique. F n’a pas d’établissement stable aux Pays-Bas et n’est, au reste, pas assujettie à l’impôt des sociétés aux Pays-Bas.

13.      En 2003, X Holding et F ont demandé à être considérées comme une entité fiscale unique. Leur demande a été rejetée par le fisc au motif que F n’est pas établie aux Pays-Bas. Après avoir vu son recours en première instance rejeté, X Holding s’est pourvue en cassation auprès du Hoge Raad. Elle fonde son recours sur la violation de la liberté d’établissement, garantie aux articles 43 CE et 48 CE.

14.      Le Hoge Raad a saisi la Cour de la question suivante, aux fins d’une décision à titre préjudiciel:

«L’article 43 CE, lu conjointement avec l’article 48 CE, doit-il être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à ce que la réglementation nationale d’un État membre, (…) en vertu de laquelle une société mère et sa filiale peuvent choisir que l’impôt soit prélevé à leur égard dans la société mère établie dans cet État membre comme s’il s’agissait d’un seul assujetti, réserve ce choix aux sociétés qui relèvent, pour l’imposition de leurs bénéfices, de la compétence fiscale de l’État membre en question?»

15.      Dans le cadre de la procédure devant la Cour, des observations ont été présentées par X Holding par les gouvernements néerlandais, allemand, espagnol, français, portugais, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission.

IV – Appréciation juridique

16.      La juridiction de renvoi sollicite une interprétation de l’article 43 CE, lu conjointement avec l’article 48 CE, concernant la compatibilité des dispositions néerlandaises relatives à l’entité fiscale avec la liberté d’établissement.

17.      Les dispositions nationales qui ne trouvent à s’appliquer qu’à la détention d’une participation permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société et d’en déterminer les activités relèvent de la liberté d’établissement (6). Des dispositions qui ne visent que des relations au sein d’un groupe de sociétés concernent par conséquent de manière prépondérante cette liberté fondamentale (7).

18.      La formation d’une entité fiscale en application des dispositions applicables au litige au principal suppose qu’un assujetti (la société mère) soit juridiquement et économiquement propriétaire d’au moins 95 % des parts du capital nominal libéré d’un autre assujetti (la filiale).

19.      Il s’ensuit que les dispositions néerlandaises relatives à l’entité fiscale ne visent que des cas de participation avec influence dominante. Par conséquent, elles relèvent du champ d’application de la liberté d’établissement.

20.      Il n’est pas nécessaire d’effectuer en parallèle un examen à l’aune des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux, même si les opérations en cause pourraient en principe être également vues comme un exercice de cette liberté (8).

A –    Restriction à la liberté d’établissement

21.      La liberté d’établissement comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté européenne, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (9).

22.      Même si, selon leur libellé, les dispositions du traité CE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre d’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation, ou le rende moins attrayant (10).

23.      Les dispositions relatives à l’entité fiscale autorisent l’intégration des seules filiales nationales. Par conséquent, les sociétés néerlandaises et leurs filiales ayant leur siège dans un autre État membre doivent être imposées indépendamment les unes des autres. Une imposition séparée des différentes sociétés d’un groupe d’entreprises présente cependant, selon X Holding, quatre inconvénients par rapport au traitement en tant qu’entité fiscale:

–        Toutes les sociétés doivent effectuer leur propre déclaration d’impôt, ce qui implique des charges supplémentaires par rapport à une déclaration d’impôt unique pour l’ensemble du groupe.

–        Il ne peut y avoir de compensation directe entre les bénéfices et les pertes des sociétés.

–        Il est impossible d’effectuer des réorganisations internes au sein du groupe, telles qu’un transfert de biens économiques par exemple, sans que cela n’ait de conséquences fiscales.

–        Les transactions entre les sociétés ne sont pas fiscalement neutres. Cela augmente les charges administratives en raison, par exemple, de la documentation des prix de transfert.

24.      La formation d’une entité fiscale est donc avantageuse, ainsi que le confirme d’ailleurs la juridiction de renvoi. Elle assimile fiscalement la structure du groupe d’entreprises, qui recouvre plusieurs sociétés, à une société intégrée ayant plusieurs établissements stables. Face à cela, les éventuels inconvénients liés au regroupement en une entité fiscale, comme le fait, par exemple, de ne pouvoir bénéficier qu’une seule fois du taux d’imposition réduit pour les bénéfices inférieurs ou égaux à 22 689 euros, entrent à peine en ligne de compte.

25.      La possibilité de recourir à cette technique fiscalement avantageuse n’est toutefois ouverte aux sociétés mères néerlandaises qu’en ce qui concerne leurs filiales résidentes. Cette différence de traitement en fonction du siège de la filiale est susceptible d’entraver ou de rendre moins attrayantes la création, l’acquisition ou la détention de participations déterminantes dans des sociétés dans un autre État membre. Elle est, par conséquent, constitutive d’une restriction à la liberté d’établissement.

26.      Les gouvernements néerlandais, allemand et portugais objectent toutefois que la situation de la filiale résidente n’est pas comparable avec celle de la filiale qui a son siège dans un autre État membre, étant donné que cette dernière ne relève pas de la compétence fiscale de l’État du siège de la société mère. Elle ne saurait par conséquent être intégrée dans une entité fiscale dont la totalité des bénéfices est imposée au siège de la société mère. Ils en concluent qu’un traitement différent de ces situations n’est constitutif ni d’une discrimination interdite ni, selon le gouvernement néerlandais, d’une restriction de la liberté d’établissement.

27.      Il convient, à ce propos, de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, le siège d’une société au sens de l’article 48 CE sert à déterminer, à l’instar de la nationalité de personnes physiques, son rattachement à l’ordre juridique d’un État. Certes, en droit fiscal, le siège d’une société peut constituer un facteur pouvant justifier des règles nationales qui impliquent une différence de traitement entre contribuables résidents et contribuables non-résidents. Cependant, la résidence n’est pas toujours un facteur justifié de distinction. En effet, admettre que l’État membre d’établissement puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre État membre viderait l’article 43 CE de son contenu (11).

28.      Par conséquent, le fait que la compétence fiscale se rattache au siège ne conduit pas à exclure d’emblée toute comparaison des situations purement nationales avec des situations impliquant d’autres États membres.

29.      Il convient plutôt d’examiner dans chaque situation concrète si la limitation de l’application d’un avantage fiscal aux contribuables résidents est motivée par des éléments objectifs pertinents susceptibles de justifier la différence de traitement (12). Dans le cadre de cet examen des causes de justification, la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition peut, en particulier, être prise en compte de manière nuancée (13).

B –    Justification

30.      Une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (14).

31.      Il est notoire que, dans l’arrêt Marks & Spencer, la Cour a admis que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition constituait un motif impérieux d’intérêt général susceptible de justifier une restriction aux libertés fondamentales (15). À cette fin, elle a d’abord dégagé les éléments connexes que sont le souci d’éviter le risque de double emploi des pertes et la lutte contre l’évasion ou la fraude fiscale (16) (17). La Cour a reconnu ensuite que la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition pouvait constituer un motif justificatif même lorsque ces éléments supplémentaires n’étaient pas présents tous les deux (18).

32.      En reconnaissant ce motif justificatif, la Cour a tenu compte de la circonstance que le prélèvement des impôts directs est un élément central de la compétence des États membres (19). En l’absence d’harmonisation dans le cadre communautaire, il appartient également aux États membres de définir les critères de répartition entre eux de leurs pouvoirs de taxation par la conclusion de conventions visant à éviter la double imposition ou par des mesures unilatérales (20). Ainsi que la Cour l’a également constaté, il n’est pas inutile que les États membres s’inspirent dans ce contexte de la pratique internationale ainsi que des modèles de convention de l’OCDE (21).

33.      Les dispositions relatives à l’entité fiscale vont plus loin que la question du report de pertes ou de bénéfices entre sociétés ou établissements nationaux et étrangers, qui constituait l’enjeu principal des affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Marks & Spencer, Oy AA et Lidl. Ainsi, X Holding identifie en tout quatre avantages liés à la constitution d’une entité fiscale, qui lui sont refusés en ce qui concerne sa filiale étrangère (voir point 23 des présentes conclusions).

34.      S’agissant tout d’abord de la possibilité, évoquée par X Holding, d’une déclaration d’impôt unique pour l’ensemble de l’entité fiscale, il convient de relever qu’une simplification analogue est de toute évidence exclue dans une situation transfrontalière. Pour que des sociétés établies dans différents États membres puissent, conformément à la répartition de la compétence fiscale, être imposées dans leur État de résidence selon les dispositions qui y sont respectivement applicables, elles doivent remettre des déclarations d’impôt distinctes aux fiscs compétents. La seule chose concevable serait que, en cas de constitution d’une entité fiscale transfrontalière, les résultats de la filiale étrangère d’une société néerlandaise soient pris en compte à titre supplémentaire dans la déclaration de la société mère. Toutefois, il ne s’agirait guère d’une simplification pour la filiale, puisque cela ne la dispense pas de remettre une déclaration d’impôt individuelle dans son État de résidence.

35.      Il convient cependant d’examiner s’il est justifié de ne pas accorder, en cas de participations transfrontalières, les autres avantages de l’entité fiscale, notamment la consolidation des résultats avant imposition de la société mère et de la filiale.

1.      Exclusion de la consolidation des bénéfices et des pertes

36.      Les États membres qui sont intervenus considèrent que la limitation du régime de l’entité fiscale aux sociétés résidentes est justifiée aux fins de la préservation d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition.

–        Préservation de la répartition du pouvoir d’imposition

37.      Les États membres mettent en avant le fait que la convention tendant à éviter la double imposition interdit au Royaume des Pays-Bas d’imposer les bénéfices d’une société établie en Belgique. Conformément au principe de territorialité qui détermine la répartition de la compétence fiscale, c’est au Royaume de Belgique que revient, en tant qu’État de résidence, le droit d’imposer les bénéfices de F. Par conséquent, la F ne peut pas être intégrée dans une entité fiscale coiffée par X Holding, assujettie aux Pays-Bas.

38.      X Holding et la Commission ne contestent pas que les bénéfices d’une filiale étrangère ne soient pas imposables aux Pays-Bas. Elles font toutefois observer que la constitution d’une entité fiscale sur le territoire national conduit à assimiler, sur le plan fiscal, les filiales aux établissements stables. Par analogie, elles demandent que les filiales étrangères soient traitées dans le cadre d’une entité fiscale transfrontalière de la même manière que les établissements stables étrangers. Selon X Holding, cette solution était d’ailleurs auparavant retenue dans la pratique et a même été approuvée par le Hoge Raad dans un arrêt de 2002 (22).

39.      Selon elles, les pertes d’un établissement stable étranger peuvent être compensées avec les bénéfices de la maison mère au cours du même exercice fiscal. En vertu de la règle dite «de récupération», les bénéfices de l’établissement stable ne seront pas exonérés aux Pays-Bas, les années suivantes, tant qu’ils n’auront pas rattrapé le montant des pertes reportées. Ce procédé ne porte pas atteinte à la répartition du pouvoir d’imposition, mais évite seulement le désavantage, en termes de trésorerie, qu’impliquerait le fait que les pertes de l’établissement ne puissent être compensées que lors d’un exercice ultérieur avec ses propres bénéfices dans son État de résidence.

40.      À ce sujet, il convient de constater que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres peut rendre nécessaire l’application, aux activités économiques des sociétés établies dans l’un desdits États, des seules règles fiscales de celui-ci, en ce qui concerne tant les bénéfices que les pertes (23). Ainsi le veut, en effet, le principe de la symétrie du traitement fiscal des bénéfices et des pertes (24).

41.      Cependant, l’alternative à l’application intégrale du régime de l’entité fiscale proposée par X Holding et par la Commission revient précisément à une prise en compte isolée des pertes au siège de la société mère.

42.      Or, selon la jurisprudence, la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres serait sensiblement compromise si les sociétés avaient la faculté d’opter pour la prise en compte de leurs pertes dans l’État membre de leur établissement ou dans un autre État membre, l’assiette d’imposition se trouvant augmentée dans le premier État et diminuée dans le second, à concurrence des pertes transférées (25).

43.      La Commission objecte à ce propos que, contrairement à ce qui est le cas dans un pur régime de transfert des pertes («group relief»), tel que celui qui a été examiné dans l’arrêt Marks & Spencer, précité, l’intégration de filiales étrangères dans une entité fiscale ne permet pas de déplacer à volonté les pertes d’un État vers l’autre. Elle ajoute que l’entité fiscale à laquelle les pertes pourraient être exclusivement imputées est toujours imposable au siège de la société mère.

44.      Cet argument de la Commission n’écarte toutefois pas le risque d’atteinte à la répartition du pouvoir d’imposition qu’entraînerait l’admission d’une entité fiscale transfrontalière au sens souhaité par X Holding.

45.      Étant donné que les assujettis peuvent librement constituer une entité fiscale et la dissoudre tout aussi librement, le groupe d’entreprises pourrait choisir à son gré le régime fiscal applicable aux pertes de la filiale et le lieu où celles-ci seraient prises en compte. Si F n’était pas intégrée dans l’entité fiscale, ses pertes seraient prises en compte exclusivement à son siège en Belgique. Si, en revanche, X Holding et F pouvaient constituer une entité fiscale de la manière précédemment décrite, les pertes de F réduiraient le bénéfice imposable aux Pays-Bas de X Holding.

46.      Le fait que, dans le modèle défendu par X Holding et la Commission, le transfert des pertes ne soit en quelque sorte possible que dans un sens, à savoir uniquement de la filiale étrangère à la société mère établie aux Pays-Bas, ne change rien à l’atteinte à la répartition du pouvoir d’imposition, qui a été décrite ci-dessus. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lidl Belgium, la Cour devait également apprécier uniquement le traitement des pertes des établissements stables étrangers dans le cadre de l’imposition de la société principale résidente. Nous savons qu’elle a considéré, pour des motifs tenant à la répartition des droits d’imposition, que la prise en compte des pertes ne s’imposait pas (26).

47.      Il convient toutefois d’examiner si une exclusion totale des filiales établies dans un autre État membre du système de consolidation des résultats de l’entité fiscale n’est pas disproportionnée, parce qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire aux fins de la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition.

48.      Dans cette mesure, il convient de tenir compte du fait que les dispositions relatives à l’imputation des pertes des établissements stables étrangers ne produisent qu’un effet momentané en raison du régime de récupération. L’application de ces dispositions à des filiales étrangères pourrait par conséquent constituer un moyen moins contraignant que l’exclusion totale du transfert des pertes. Cela sera le cas si un tel dispositif entrave moins la liberté d’établissement, mais tient encore adéquatement compte de la répartition du pouvoir d’imposition.

49.      Dans l’arrêt Lidl Belgium, la Cour a toutefois considéré, contrairement à ce qui avait été proposé dans les conclusions de l’avocat général Sharpston (27), qu’il n’était pas nécessaire, afin d’éviter un désavantage de trésorerie, d’appliquer un système de transfert provisoire de pertes conjugué à un régime de récupération lors d’exercices ultérieurs.

50.      Naturellement, il est loisible aux États membres d’appliquer de telles dispositions avantageuses pour les établissements fixes ayant leur siège dans un autre État membre (28). Toutefois, la liberté d’établissement ne les y oblige pas. En effet, lorsqu’un État membre accepte la compensation temporaire des pertes d’un établissement stable à l’étranger avec les bénéfices de l’entreprise résidente, il renonce à une imposition immédiate de ces bénéfices. En prenant en compte les pertes étrangères, il accepte donc de subir de son côté un désavantage de trésorerie, alors même qu’il est tenu, en application de la convention tendant à éviter la double imposition, d’exonérer les bénéfices de l’établissement stable (29). Aussi, tant que les bénéfices n’ont pas été imposés lors d’exercices ultérieurs conformément au régime de récupération, la symétrie de l’imposition des bénéfices et des pertes n’est pas garantie (30).

51.      Le fait qu’un État membre décide d’admettre l’imputation temporaire de pertes d’un établissement stable étranger au siège principal de l’entreprise ne signifie pas qu’il doive étendre cet avantage aux filiales étrangères. En effet, les établissements stables et les filiales situés dans un autre État membre ne se trouvent pas dans une situation comparable en ce qui concerne la répartition du pouvoir d’imposition.

52.      Il convient, cela étant, de tenir compte du fait que la compétence fiscale se rattache en général à deux critères, à savoir, d’une part, le siège d’une entreprise et, d’autre part, le lieu de son activité économique. Une société est intégralement assujettie dans l’État dans lequel elle est établie pour l’ensemble des bénéfices qu’elle réalise à travers le monde. Simultanément, elle est partiellement assujettie dans les États dans lesquels elle n’a pas de siège mais exerce une activité économique, pour ce qui concerne les bénéfices respectivement réalisés dans ces pays.

53.      La filiale, en tant que personne morale autonome, est intégralement assujettie dans l’État où elle a son siège. L’État du siège de la société mère n’a pas de droit d’imposition des bénéfices non distribués de la filiale non résidente. En revanche, un établissement stable n’est pas une personne morale autonome. Ses bénéfices sont assimilés à des bénéfices de la société qui l’entretient et sont intégralement imposables au siège principal de cette société. Simultanément, l’État dans lequel est situé cet établissement stable a un droit d’imposition partiel, limité à ces bénéfices.

54.      L’article 7, paragraphe 1, de la convention tendant à éviter la double imposition procède à une répartition de la compétence fiscale qui est conforme à ces principes. Afin d’éviter une double imposition des bénéfices des établissements stables, l’article 23, paragraphe 2, de ladite convention oblige l’État du siège principal de la société à exempter ces éléments de revenu de l’impôt. Même si cet État membre met ainsi sa compétence fiscale en retrait afin d’éviter la double imposition, celle-ci n’en continue pas moins d’exister de manière latente. Cela apparaît de manière particulièrement nette lorsque la méthode de l’imputation est choisie à la place de la méthode de l’exemption pour éviter la double imposition.

55.      Lorsqu’elle crée une filiale étrangère, la société mère quitte pour ainsi dire le domaine de la compétence fiscale de l’État de son siège et soumet cette filiale à une obligation fiscale intégrale dans l’État membre d’accueil. Lorsqu’elle crée un établissement stable, l’entreprise se soumet certes aussi à la compétence fiscale de l’État d’accueil, mais sans toutefois totalement soustraire cette partie de l’entreprise à la compétence fiscale de l’État d’origine.

56.      L’application par analogie des règles régissant le traitement fiscal des établissements stables étrangers aux filiales étrangères aurait par conséquent pour effet d’étendre la compétence fiscale de l’État du siège de la société mère (31).

57.      X Holding prétend toutefois que cette extension de la compétence fiscale ne serait pas défavorable à l’État du siège de la filiale si elle se limitait à une compensation temporaire des pertes de la filiale avec les bénéfices de la société mère. On objectera à cela que la prise en compte isolée des pertes de la filiale non-résidente affecte le droit de l’État du siège de la société mère d’imposer les bénéfices de celle-ci, et qu’elle est contraire à l’idée de l’imposition symétrique des bénéfices et des pertes.

58.      Certes, l’article 43, premier alinéa, seconde phrase, CE laisse expressément aux opérateurs économiques la possibilité de choisir librement la forme juridique appropriée pour l’exercice de leurs activités dans un autre État membre. Ce libre choix ne doit pas être limité par des dispositions fiscales discriminatoires dans l’État d’accueil (32).

59.      S’agissant des obligations de l’État membre d’origine, la Cour a cependant relevé que l’autonomie fiscale dont bénéficient en l’état actuel du droit communautaire les États membres implique que ces derniers sont libres de déterminer les conditions et le niveau d’imposition des différentes formes d’établissement des sociétés nationales opérant à l’étranger, sous réserve de leur accorder un traitement qui ne soit pas discriminatoire par rapport aux établissements nationaux comparables (33).

60.      La Cour considère, par conséquent, que le seul critère de comparaison pour le traitement fiscal des activités étrangères d’une société nationale est constitué par les règles applicables à la forme d’établissement correspondante sur le territoire national. Les établissements stables nationaux doivent être comparés avec les établissements stables étrangers et les filiales nationales avec les filiales étrangères. En revanche, le droit communautaire n’exclut pas que l’État membre d’origine applique aux établissements stables étrangers un autre régime fiscal qu’aux filiales étrangères.

61.      Ces constatations concernant les obligations de l’État membre d’accueil, d’une part, et de l’État membre d’origine, d’autre part, ne se contredisent pas, mais correspondent aux portées différentes des pouvoirs d’imposition.

62.      Étant donné que, en règle générale, l’État membre d’accueil soumet à l’impôt toute activité économique exercée sur son territoire, que celle-ci soit exercée par une filiale (contribuable résident) ou par un établissement stable ayant son siège (principal) dans un autre État membre (contribuable non résident), il ne peut pas traiter ces formes d’établissement différemment lors du prélèvement de l’impôt. En revanche, l’État membre d’origine n’a que le droit d’imposer un établissement stable étranger et non, par contre, celui d’imposer une filiale établie dans un autre État membre. Pour cette raison, l’État membre d’origine n’est pas tenu d’appliquer le même traitement à ces deux formes d’établissement à l’étranger lors du prélèvement de l’impôt.

63.      Il convient, par conséquent, de retenir à titre de conclusion intermédiaire que la restriction à la liberté d’établissement qui résulte du fait qu’une filiale établie dans un autre État membre ne peut pas être intégrée, aux fins de la consolidation des résultats, dans une entité fiscale en vertu du droit néerlandais, est justifiée pour préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres.

–        Risque d’une double prise en compte des pertes

64.      La Cour a par ailleurs admis que les États membres doivent pouvoir faire obstacle au risque d’une double prise en compte des pertes (34).

65.      Selon la juridiction de renvoi et les gouvernements qui sont intervenus dans la procédure, ce risque serait réel si les pertes de F pouvaient être compensées avec les bénéfices de X Holding dans le cadre d’une entité fiscale aux Pays-Bas. Selon eux, il est en effet concevable que les pertes de F soient simultanément prises en compte en Belgique, par exemple dans le cadre d’une intégration dans une entité fiscale dans ce pays, ou bien encore par transfert à un tiers ou par un report de pertes sur un exercice fiscal antérieur ou ultérieur.

66.      X Holding fait valoir, à ce propos, que le régime de récupération exclut que les pertes imputées dans le cadre d’une entité fiscale aux Pays-Bas puissent être utilisées plusieurs fois par le biais d’un report des pertes de F. Elle ajoute que le droit belge fait obstacle à toutes les possibilités d’emploi supplémentaire des pertes envisagées par le Hoge Raad. La Commission complète en précisant qu’une compensation des pertes aux Pays-Bas peut être subordonnée à la preuve que ladite perte n’a pas déjà fait l’objet d’une prise en compte dans l’État du siège de la filiale.

67.      Il se peut effectivement, dans les conditions décrites par la juridiction de renvoi et les gouvernements qui sont intervenus, que des pertes soient imputées à la fois au siège de la société mère et au siège de la filiale au cours d’un même exercice fiscal (35).

68.      L’exclusion des filiales étrangères d’une entité fiscale néerlandaise est de nature à écarter ce risque de double prise en compte des pertes, mais pourrait toutefois aller au-delà de ce qui est nécessaire.

69.      En effet, les règles nationales ne permettent pas l’intégration d’une filiale étrangère dans une entité fiscale même lorsque les entreprises prouvent que les modalités du droit fiscal dans l’État membre du siège de la filiale excluent une double prise en compte des pertes. Ainsi que le propose la Commission, il serait par ailleurs possible d’envisager une mesure moins restrictive, consistant à prendre en compte les pertes étrangères lorsque l’assujetti peut prouver que les pertes au siège de la filiale ne font effectivement pas l’objet d’un autre emploi (36). L’État du siège de la société mère devrait toutefois également pouvoir vérifier ces informations, en application, par exemple, de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance (37) (38).

70.      Une prise de position définitive sur cette question n’est toutefois pas nécessaire, étant donné que, en tout état de cause, l’exclusion de la formation d’entités fiscales transfrontalières aux fins de l’imputation des pertes est justifiée afin de préserver la répartition du pouvoir d’imposition. Cette cause de justification opère même si elle n’est pas accompagnée d’un risque de double prise en compte des pertes, ou si ce risque peut être écarté d’une autre manière (39).

–        Risque d’évasion fiscale

71.      Enfin, en ce qui concerne le troisième élément de la triade justificative de l’arrêt Marks & Spencer, à savoir le risque d’évasion fiscale (40), je rappelle que j’ai déjà eu l’occasion, dans mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Oy AA, d’attirer l’attention sur le fait que je ne considère pas cet élément comme un motif justificatif autonome lorsqu’il s’agit d’exclure des reports de bénéfices transfrontaliers (41). Il en va de même dans le cas de l’imputation de pertes d’une filiale étrangère lors de l’imposition de la société mère résidente.

72.      Si l’on entend par évasion fiscale le fait qu’une entreprise puisse librement choisir, au mépris de la répartition du pouvoir d’imposition, l’État dans lequel ses bénéfices sont imposés, cette cause de justification opère également en l’espèce. En effet, si un groupe d’entreprises pouvait à sa guise intégrer des filiales étrangères dans l’entité fiscale, ou de nouveau les retirer du périmètre de consolidation, ces sociétés pourraient orienter la prise en compte des pertes et influer sur l’assiette d’imposition au siège de l’entité fiscale (42).

2.      Réorganisation et transfert de biens économiques fiscalement neutres

73.      X Holding fait encore valoir que l’absence de possibilité de former une entité fiscale empêche les sociétés non seulement de compenser leurs pertes, mais aussi de se réorganiser de manière fiscalement neutre. En particulier, dans une telle hypothèse, un transfert de biens économiques entre une société mère néerlandaise et sa filiale établie dans un autre État membre a nécessairement des conséquences fiscales.

74.      Il ressort déjà de l’examen qui précède que le respect de la liberté d’établissement n’exige pas nécessairement une extension du régime de l’entité fiscale, dans ses principales modalités en tout cas, aux groupes d’entreprises transfrontaliers. La juridiction de renvoi envisage toutefois la possibilité de n’appliquer que des aspects partiels de ce régime dans une situation transfrontalière. Il semble néanmoins douteux que des réorganisations ou des transferts de biens économiques puissent s’effectuer entre les entreprises de manière fiscalement neutre s’il n’y a pas, concomitamment, de consolidation des bénéfices et des pertes de ces entreprises.

75.      Dans la mesure où la juridiction de renvoi envisagerait toutefois de retenir cette solution, il convient tout d’abord d’attirer l’attention sur le fait que les conséquences fiscales des réorganisations transfrontalières ont été harmonisées par la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (43). Par conséquent, d’éventuels obstacles à l’exercice de la liberté d’établissement dans le cadre d’opérations relevant du champ d’application de cette directive, dont rien toutefois, dans ce qui a été exposé dans la présente affaire, n’indique la présence, devraient en principe avoir été éliminés dans une large mesure.

76.      En revanche, le droit communautaire n’a pas réglé de manière plus détaillée la question de savoir comment il convient de traiter fiscalement les plus-values latentes lors d’un transfert transfrontalier de biens économiques ou de participations qui ne se déroule pas dans le cadre d’une opération relevant de la directive 90/434. Il pourrait y avoir restriction à la liberté d’établissement, dans la mesure où de telles opérations sont traitées de manière moins favorable que les transferts entre sociétés résidentes, par exemple parce que des plus-values latentes doivent être constatées et imposées à ce moment-là alors que ce n’est pas le cas dans le cadre de transferts nationaux.

77.      Une telle restriction peut toutefois être justifiée afin de préserver la répartition du pouvoir d’imposer entre les États membres.

78.      Il convient de remarquer, à ce propos, que le transfert de biens économiques entre deux entreprises résidentes n’affecte pas la compétence fiscale de l’État concerné. Si des plus-values latentes sont transférées à cette occasion, elles demeurent sous l’emprise fiscale de cet État. En cas de réalisation ultérieure, les bénéfices pourront encore être imposés dans cet État-là.

79.      Si l’on retient que la plus-value latente d’un bien économique est en principe imposable dans l’État dans lequel elle est née (44), un transfert transfrontalier de biens économiques est susceptible d’affecter la répartition du pouvoir d’imposition. Si celui-ci s’accompagne en effet d’un transfert de plus-values latentes dans un autre État membre, l’État sur le territoire duquel celles-ci ont été constituées n’a plus la possibilité d’imposer sans autre formalité les bénéfices ultérieurement réalisés grâce à la liquidation de ces plus-values.

80.      Les règles censées empêcher ce type d’atteinte à la répartition du pouvoir d’imposition doivent cependant être propres à garantir la réalisation de l’objectif en cause et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (45).

81.      Le cas échéant, il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner dans quelle mesure les dispositions nationales applicables au transfert de biens économiques et au traitement fiscal des plus-values latentes, sur lesquelles la Cour n’a aucune information, sont conformes à ces principes.

3.      Neutralisation des transactions au sein d’une entité fiscale

82.      Enfin, X Holding attire encore l’attention sur le fait que les transactions entre des entreprises résidentes qui forment une entité fiscale sont fiscalement neutres, tandis que des transactions similaires transfrontalières entre des entreprises liées qui n’ont pas la possibilité de former une entité fiscale sont prises en compte lors de l’imposition.

83.      Pour éviter le déplacement de matière imposable d’un État membre à un autre à la suite de transactions transfrontalières, il est nécessaire que ces transactions s’effectuent aux conditions du marché et qu’elles soient passées en écriture dans les bilans fiscaux (46). Certes, les charges administratives supplémentaires liées à la documentation des prix de transfert rendent plus difficiles les transactions entre des entreprises liées ayant leur siège dans des États membres différents. Toutefois, des dispositions nationales relatives aux prix de transfert sont, dans la mesure où elles sont constitutives d’une restriction à la liberté d’établissement, justifiées aux fins de la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition, à condition qu’elles respectent le principe de proportionnalité.

V –    Conclusion

84.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle du Hoge Raad:

L’article 43 CE, lu conjointement avec l’article 48 CE, ne fait pas obstacle aux dispositions d’un État membre qui donnent à une société nationale et à une ou plusieurs de ses filiales établies sur le territoire national la possibilité de former une entité fiscale permettant que l’impôt soit prélevé à leur égard dans la société mère comme s’il s’agissait d’un seul assujetti, mais qui n’autorisent pas l’intégration dans une entité fiscale des filiales ayant leur siège dans un autre État membre.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-10837).


3 – Voir en particulier arrêts du 7 septembre 2006, N (C-470/04, Rec. p. I-7409); du 18 juillet 2007, Oy AA (C-231/05, Rec. p. I-6373), et du 15 mai 2008, Lidl Belgium (C-414/06, Rec. p. I-3601).


4 – Trb. 2001, 136.


5 – Voir, à ce sujet, dispositions de l’arrêté de prévention de la double imposition de 2001 (Besluit voorkoming dubbele belasting 2001), présentées aux points 10 et 11 des présentes conclusions.


6 – Voir arrêts du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787, point 21); Oy AA (précité à la note 3, point 20); du 2 octobre 2008, Heinrich Bauer Verlag (C-360/06, Rec. p. I-7333, point 27), et du 22 décembre 2008, Truck Center (C-282/07, non encore publié au Recueil, point 25).


7 – Voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C-446/04, Rec. p. I-11753, point 118), et Oy AA (précité à la note 3, point 23).


8 – Voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196/04, Rec. p. I-7995, point 33); Oy AA (précité à la note 3, point 24), ainsi que du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha (C-303/07, non encore publié au Recueil, point 35).


9 – Arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 35); Marks & Spencer (précité à la note 2, point 30), ainsi que Aberdeen Property Fininvest Alpha (précité à la note 8, point 37).


10 – Arrêts du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 21); Marks & Spencer (précité à la note 2, point 31), ainsi que du 27 novembre 2008, Papillon (C-418/07, non encore publié au Recueil, point 16).


11 – Voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273, point 18); du 13 juillet 1993, Commerzbank (C-330/91, Rec. p. I-4017, point 13); du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 42); Marks & Spencer (précité à la note 2, point 37); Oy AA (précité à la note 3, point 30), ainsi que Papillon (précité à la note 10, point 26).


12 – Arrêt Marks & Spencer (précité à la note 2, point 38).


13 – Voir point 27 de mes conclusions du 12 septembre 2006 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Oy AA, précité.


14 – Voir arrêts Marks & Spencer (précité à la note 2, point 35); Lidl Belgium (précité à la note 3, point 27), ainsi que Aberdeen Property Fininvest Alpha (précité à la note 8, point 57).


15 – Arrêt Marks & Spencer (précité à la note 2, point 45).


16 – Dans la version française des arrêts pertinents, donc dans la version du délibéré, la notion d’«évasion fiscale» est uniformément employée. Ainsi, les termes «Steuerflucht» et «Steuerumgehung» semblent-ils n’être que deux traductions, équivalentes, de la même notion française. Je ne parlerai donc que d’évasion fiscale dans la suite des présentes conclusions.


17 – Arrêt Marks & Spencer (précité à la note 2, points 47, 49 ainsi que 51).


18 – Arrêts Oy AA (précité à la note 3, point 60), et Lidl Belgium (précité à la note 3, point 40).


19 – Voir arrêts Marks & Spencer (précité à la note 2, point 29); Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (précité à la note 8, point 40), ainsi que Aberdeen Property Fininvest Alpha (précité à la note 8, point 24).


20 – Voir arrêts du 12 mai 1998, Gilly (C-336/96, Rec. 1998, p. I-2793, points 24 et 30) ; du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden (C-513/03, Rec. p. I-1957, point 47), ainsi que Oy AA (précité à la note 3, point 52).


21 – Arrêts Gilly (précité à la note 20, point 31) ; van Hilten-van der Heijden (précité à la note 20, point 48), et Lidl Belgium (précité à la note 3, point 22).


22 – Arrêt du 24 mai 2002 (n° 37 220, BNB 2002/320).


23 – Voir arrêts Marks & Spencer (précité à la note 2, point 45); Oy AA (précité à la note 3, point 54), ainsi que Lidl Belgium (précité à la note 3, point 31).


24 – Voir, à ce sujet, arrêts Lidl Belgium (précité à la note 3, point 33), ainsi que du 23 octobre 2008, Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt (C-157/07, Rec. p. I-8061, points 42 et 44).


25 – Voir arrêts Marks & Spencer (précité à la note 2, point 46), ainsi que Oy AA (précité à la note 3, point 55).


26 – Arrêt précité à la note 3, points 31 à 34.


27 – Points 23 et suivants des conclusions du 14 février 2008 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lidl Belgium, précité.


28 – La Cour a d’ailleurs considéré, dans l’arrêt Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt (précité à la note 24, point 43), qu’un régime de ce type était cohérent.


29 – Il convient, ce faisant, de souligner que le présent cas de figure n’est pas comparable avec la situation qui est à l’origine de l’arrêt du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz (C-347/04, Rec. p. I-2647). La Cour y a émis des critiques sur un désavantage de trésorerie qui résultait de l’application de règles d’amortissement différentes concernant la valeur des participations nationales et étrangères. Il s’agissait donc dans chaque cas de pertes de la société mère, lesquelles devaient être prises en compte, fiscalement, dans l’État où celle-ci était établie (voir point 48 de l’arrêt). Dans le cas présent, l’enjeu porte au contraire sur la prise en compte au siège de la société mère des pertes d’une filiale qui est assujettie à l’impôt sur les sociétés dans un autre État membre.


30 – L’avocat général Sharpston le reconnaît également mais, en définitive, donne priorité à la liberté d’établissement sur l’atteinte temporaire à la répartition du pouvoir d’imposer (points 24 et 25 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lidl Belgium, précité).


31 – Une telle extension de la compétence fiscale de l’État du siège d’une société aux bénéfices de sa filiale étrangère n’est toutefois pas totalement exclue en droit communautaire. Elle peut, pour des raisons tenant à la lutte contre les abus, être justifiée dans des cas étroitement délimités (voir arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas [précité à la note 8, point 59]). Nous ne sommes toutefois pas, en l’espèce, en présence de ce type de situation exceptionnelle.


32 – Voir arrêts Commission/France (précité à la note 11, point 22); du 23 février 2006, CLT-UFA (C-253/03, Rec. p. I-1831, point 14); Oy AA (précité à la note 3, point 40), ainsi que ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer (C-439/07 et C-499/07, non encore publiée au Recueil, point 77).


33 – Arrêt du 6 décembre 2007, Columbus Container Services (C-298/05, Rec. p. I-10451, points 51 et 53), ainsi que ordonnance KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer (précitée à la note 32, point 80).


34 – Arrêts Marks & Spencer (précité à la note 2, point 47), Rewe Zentralfinanz (précité à la note 29, point 47), ainsi que Lidl Belgium (précité à la note 3, point 35).


35 – Voir également, sur le risque de double prise en compte des pertes dans le cas de groupes d’entreprises, arrêt Papillon (précité à la note 10, points 46 et suivants).


36 – Voir, en ce sens, arrêt Papillon (précité à la note 10, points 55 et suivants).


37 – JO L 336, p. 15, modifiée en dernier lieu par la directive 2006/98/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, portant adaptation de certaines directives dans le domaine de la fiscalité, en raison de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (JO L 363, p. 129).


38 – Cette directive n’est pas applicable dans le cas d’États tiers, y compris les États de l’Espace économique européen. Dans ces cas, toutefois, des clauses d’échange de renseignements comprises dans des conventions préventives de la double imposition pourraient garantir l’échange d’informations nécessaire au contrôle (voir, sur ce sujet, points 75 et suivants de mes conclusions du 16 juillet 2009 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 novembre 2009, Commission/Italie, C-540/07, non encore publié au Recueil).


39 – Voir point 32 des présentes conclusions, avec des références supplémentaires. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lidl Belgium, précité, cette cause de justification n’a, de manière révélatrice, même pas été invoquée.


40 – Arrêt précité à la note 2, point 49.


41 – Conclusions précitées à la note 13, points 62 et 63.


42 – Voir points 42 et 45 des présentes conclusions.


43 – JO L 225, p. 1, modifiée en dernier lieu par la directive 2006/98.


44 – Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2006, N (C-470/04, Rec. p. I-7409, point 46), ainsi que point 47 de mes conclusions du 30 mars 2006 dans cette affaire.


45 – Voir point 30 des présentes conclusions et jurisprudence citée.


46 – Pour plus de détails sur les dispositions nationales destinées à garantir le respect du principe de pleine concurrence, voir mes conclusions du 10 septembre 2009 dans l’affaire SGI (C-311/08, non encore publiées au Recueil).