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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁn MazÁk

présentées le 12 avril 2011 (1)

Affaires jointes C-180/10 et C-181/10

Jarosław Słaby

contre

Minister Finansów (C-180/10),

et

Emilian Kuć,

Halina Jeziorska-Kuć

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (C-181/10)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne)]

«Taxe sur la valeur ajoutée – Assujetti – Activité économique – Vente d’un terrain acquis comme terrain agricole et transformé ensuite en terrain à bâtir»





1.        La personne qui vend graduellement des parcelles faisant, à l’origine, partie d’un terrain acquis en tant que terrain agricole pour les besoins d’une activité d’exploitation agricole, dont l’affectation a ultérieurement été modifiée dans le plan d’aménagement local par un reclassement en terrain destiné à la construction de logements de vacances ou à des constructions à usage d’habitation et de services, doit-elle être considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»)?

2.        La réponse à ladite question présente une importance tant pour M. Słaby (demandeur au principal dans l’affaire C-180/10) que pour M. Emilian Kuć et Mme Halina Jeziorska-Kuć (demandeurs au principal dans l’affaire C-181/10), qui ont sollicité un rescrit fiscal auprès des autorités fiscales compétentes au sujet de l’assujettissement à la TVA de la vente de terrains.

3.        En ce qui concerne M. Słaby, il s’agit de la vente graduelle des parcelles faisant partie d’un terrain acquis en 1996. À cette époque, ledit terrain était classé en zone agricole dans les plans d’aménagement du territoire. M. Słaby, en tant que personne physique n’exerçant pas d’activité économique, l’aurait acquis avec l’intention d’y exercer une activité agricole, activité qu’il aurait poursuivie de 1996 à 1998. En 1997, à la suite d’une modification du plan d’aménagement du territoire, le terrain en question a été requalifié en terrain destiné à la construction de logements de vacances. En 1999, M. Słaby l’a divisé en 64 parcelles qu’il a entrepris de vendre. La première parcelle a été vendue en 2000.

4.        Dans le cas de M. et Mme Kuć, il s’agit de la vente occasionnelle de parcelles faisant partie de leur exploitation agricole. Plus précisément, ils ont réalisé, en 2004, 13 transactions de vente de parcelles, dont 9 après le 1er mai 2004, 14 transactions analogues en 2005 et 20 en 2006. M. et Mme Kuć ont acquis leur exploitation agricole en tant que terrain agricole non autorisé à la construction et ont utilisé ce terrain pour les besoins d’une activité agricole. À ce titre, ils se sont enregistrés en tant qu’assujettis à la TVA soumis au régime forfaitaire, après avoir reçu en 2004 un rescrit en ce sens de l’administration fiscale. À la suite d’une modification du plan d’aménagement local, une partie des terrains agricoles a été affectée à des constructions à usage d’habitation et de services.

5.        Dans chacun des deux cas, les autorités fiscales compétentes ont conclu que la vente desdits terrains était assujettie à la TVA. Contestant cette interprétation, M. Słaby ainsi que M. et Mme Kuć ont saisi un tribunal administratif de recours.

6.        Le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) (Pologne) a déféré à la Cour trois questions préjudicielles, dont une concerne M. Słaby et deux M. et Mme Kuć, dans le cadre des recours en cassation formés à l’encontre des jugements des tribunaux administratifs.

7.        La question relative à l’affaire opposant M. Słaby au Minister Finansów (ministre des Finances) (affaire C-180/10) est libellée comme suit:

«Une personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre, avant d’y mettre fin en raison d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de sa volonté, qui requalifie ce bien en bien privé, le divise en parcelles plus petites (terrains destinés à la construction de logements de vacances) et entreprend de les céder, doit-elle être considérée de ce fait comme assujettie à la TVA au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE [(2)] et de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE [(3)], et redevable de cette taxe au titre de l’exercice d’une activité commerciale?»

8.        Les deux questions posées dans le cadre du litige opposant M. et Mme Kuć au Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (directeur de la chambre fiscale de Varsovie) (affaire C-181/10) sont libellées comme suit:

«1)      Convient-il d’appliquer à un agriculteur forfaitaire au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive 2006/112 qui vend des parcelles utilisées pour son activité agricole, destinées, selon le plan d’aménagement de la commune, à des constructions à usage d’habitation et de services mais qui ont été acquises en tant que terrains agricoles (exonérés de TVA), l’article 16 de cette directive, selon lequel l’affectation d’actifs d’une entreprise aux besoins privés de l’assujetti ou à des fins étrangères à son entreprise n’est assimilée à une livraison effectuée à titre onéreux que lorsque ces actifs ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA?

2)      Un agriculteur forfaitaire au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive 2006/112 qui vend des parcelles utilisées antérieurement pour son activité agricole, destinées, selon le plan d’aménagement de la commune, à des constructions à usage d’habitation et de services mais qui ont été acquises en tant que terrains agricoles (exonérés de TVA) doit-il être considéré comme un assujetti redevable de la TVA au titre de cette vente conformément au régime normal?»

 Cadre juridique

 Directive 2006/112 (4)

9.        Conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112 (5), sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

10.      L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 (6) est libellé comme suit:

«Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

11.      L’article 16, premier alinéa, de la directive 2006/112 prévoit:

«Est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux le prélèvement, par un assujetti, d’un bien de son entreprise qu’il destine à ses besoins privés ou ceux de son personnel, qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA.»

12.      L’article 296, paragraphe 1, de la directive 2006/112 dispose:

«Les États membres peuvent appliquer aux producteurs agricoles pour lesquels l’assujettissement au régime normal de la TVA ou, le cas échéant, au régime particulier prévu au chapitre 1 se heurterait à des difficultés, un régime forfaitaire visant à compenser la charge de la TVA payée sur les achats de biens et services des agriculteurs forfaitaires, conformément au présent chapitre.»

 Réglementation nationale

13.      L’article 15 de la loi du 11 mars 2004 relative à la taxe sur les biens et services (ci-après la «loi sur la TVA») est rédigé comme suit:

«1.    Sont considérées comme assujetties les personnes morales, les entités organisationnelles n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui accomplissent, d’une façon indépendante, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.     Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées, même lorsque l’activité n’a été exercée qu’une seule fois mais qu’il ressort des circonstances que l’intention était de l’accomplir de manière répétée. Est également considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[…]»

14.      L’article 43 de la loi sur la TVA dispose:

«1.   Sont exonérés de taxe:

[…]

3)      la livraison par un agriculteur forfaitaire de produits agricoles issus de son activité agricole et la prestation de services agricoles par un agriculteur forfaitaire;

[…]

9)      la livraison de biens immeubles non bâtis autres que les terrains à bâtir et destinés à une construction.

[…]»

 Appréciation

 Sur la question préjudicielle dans l’affaire C-180/10

15.      Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la définition de la notion d’«assujetti à la TVA» figurant à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 couvre également une personne telle que M. Słaby qui, à partir de 2000 (7), a vendu graduellement 64 parcelles destinées, au sens du plan d’aménagement du territoire, à la construction de logements de vacances.

16.      La situation factuelle de M. Słaby peut être caractérisée comme suit:

–        le terrain en question a été acquis par M. Słaby en 1996 en tant que terrain agricole;

–        une activité agricole a effectivement été exercée sur ce terrain de 1996 à 1998;

–        en 1997, le terrain en question a été requalifié en terrain destiné à la construction de logements de vacances, à la suite d’une modification du plan d’aménagement du territoire, et

–        en 1999, après la cessation de l’activité agricole sur ledit terrain et la requalification de ce terrain en bien privé, M. Słaby l’a divisé en 64 parcelles et a entrepris de les vendre.

17.      Étant donné que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 définit la notion d’assujetti par référence à celle d’activité économique ou, pour le dire autrement, que l’exercice d’une telle activité implique la qualification d’assujetti (8), le point clé de la réponse à la question posée consiste à savoir si l’opération consistant à vendre graduellement des parcelles à bâtir constitue une activité économique.

18.      Cette notion d’«activité économique» est définie à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112 comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services et, en particulier, les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. Ce concept d’«exploitation» se réfère, conformément aux exigences du principe de neutralité du système commun de TVA, à toutes ces opérations, quelle que soit leur forme juridique (9).

19.      Il n’apparaît guère contestable, selon nous, que la vente d’un terrain à bâtir constitue l’une des modalités de l’exploitation d’un tel bien corporel (10), et ce tout particulièrement si l’on tient compte de ce que la vente d’un terrain à bâtir en tant que livraison de biens effectuée à titre onéreux représente l’une des opérations soumises à la TVA au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112, en liaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci.

20.      Il reste donc à déterminer si la vente graduelle des parcelles a été réalisée en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

21.      À cet égard, il ne faut pas oublier que la question de savoir si l’activité en question a été réalisée en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence constitue une question de fait qui doit être appréciée par la juridiction de renvoi en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire (11). Eu égard au caractère objectif du champ couvert par les notions d’assujetti et d’activité économique, dans le cadre de cette appréciation, les buts ainsi que les résultats de l’activité en question sont dépourvus de pertinence (12).

22.      La Cour s’est déjà penchée sur la question de savoir si l’exploitation d’un bien avait été réalisée en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt van Tiem (13). Dans cet arrêt, la Cour a déclaré que l’exploitation d’un bien consistant dans la concession d’un droit de superficie sur un bien immeuble doit être considérée comme réalisée en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, même si ladite concession avait été faite pour une période déterminée.

23.      En l’espèce, l’exploitation d’un bien consiste en la vente graduelle de 64 parcelles à bâtir qui formaient, à l’origine, un terrain agricole. Il ressort de la décision de renvoi que le propriétaire du terrain a divisé ce bien en vue de le vendre graduellement sous forme de parcelles.

24.      Nous estimons que ce fait lui-même, à savoir la division d’un terrain, préalablement à sa vente, sous forme de parcelles, témoigne en faveur de la conclusion que le propriétaire dudit terrain a agi avec l’intention de réaliser de manière répétée des opérations de vente des parcelles en question et, par conséquent, d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. Cette conclusion repose non pas sur l’ampleur des ventes des parcelles, mais sur le caractère répété de ces opérations.

25.      Cette conclusion est valable indépendamment de la question de savoir si le propriétaire d’un terrain l’a acquis avec l’intention de le revendre. Si l’on admettait l’argument de M. Słaby, également repris par la juridiction nationale de première instance, selon lequel l’essentiel, en l’espèce, était que le terrain graduellement vendu sous forme de parcelles n’avait pas été acquis avec l’intention de le revendre, cela reviendrait au final à remettre en cause le principe de neutralité du système commun de TVA qui s’oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA (14). En effet, comme la République de Pologne l’a fait observer à juste titre, les opérations consistant à vendre des parcelles à bâtir effectuées par une personne qui a acquis lesdites parcelles en tant que terrain agricole avec l’intention d’y exercer une activité agricole ne diffèrent pas de celles effectuées par une personne qui a acquis un terrain agricole avec l’intention de le revendre après une modification du plan d’aménagement du territoire.

26.      Il convient donc de constater que l’intention de l’acheteur lors de l’acquisition d’un terrain, qui a ultérieurement été divisé avant d’être revendu graduellement, est sans incidence sur la qualification desdites ventes en tant qu’activité économique au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112.

27.      Étant donné que, dans la question posée, la juridiction de renvoi a mis l’accent sur le fait que le terrain en cause, antérieurement à sa vente, a été requalifié en bien privé par rapport à l’activité agricole exercée par le propriétaire dudit terrain, il convient de rechercher encore si M. Słaby n’a pas réalisé la vente graduelle dudit terrain sous forme de parcelles à titre privé. En effet, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, un assujetti qui effectue une opération à titre privé n’agit pas en tant qu’assujetti et, par conséquent, une telle opération n’est pas soumise à la TVA (15).

28.      Certes, il est vrai que, selon la ligne jurisprudentielle découlant de l’arrêt Armbrecht (16), lorsqu’un assujetti à la TVA vend un bien dont il avait choisi de ne pas affecter une partie à son entreprise, la réservant à son usage privé, il n’agit pas, pour ce qui concerne la vente de cette partie, en qualité d’assujetti. Par conséquent, une telle opération ne tombe pas sous le coup de la TVA.

29.      Il convient néanmoins d’observer qu’une telle division des biens est réalisée à l’égard des activités au titre desquelles une personne est considérée comme assujettie à la TVA.

30.      Or, en l’espèce, M. Słaby a qualifié le terrain, qui fait l’objet de la vente graduelle sous forme de parcelles, en bien privé à l’égard de son activité agricole. M. Słaby est toutefois considéré comme assujetti à la TVA non pas au titre de son activité agricole, mais au titre de l’activité de vente graduelle des parcelles.

31.      Pour cette raison, l’argument selon lequel M. Słaby a qualifié le bien vendu en bien privé n’est pas pertinent en l’espèce.

32.      En résumé, pour déterminer si une personne est assujettie à la TVA au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112, il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si l’exploitation du bien en cause sous forme de sa vente graduelle est réalisée en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment des indices de l’intention de réaliser de manière répétée lesdites opérations. À cet égard, est dépourvu de pertinence le fait que le bien en cause n’a pas été acquis dans l’intention de le vendre ou le fait que le bien en cause a été qualifié par son propriétaire en bien privé à l’égard d’une activité distincte de celle en vertu de laquelle la personne est considérée comme assujettie à la TVA.

 Sur les questions préjudicielles dans l’affaire C-181/10

33.      Nous sommes d’avis qu’il convient d’inverser l’ordre des questions, eu égard au lien entre la question posée dans l’affaire
C-180/10 et la seconde question posée dans l’affaire C-181/10.

 Sur la seconde question

34.      Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, comme dans l’affaire C-180/10, si M. et Mme Kuć doivent être considérés comme assujettis à la TVA au titre des 47 opérations liées à la vente de parcelles entre 2004 et 2006.

35.      M. et Mme Kuć, comme M. Słaby, ont vendu des parcelles acquises, à l’origine, en tant que terrain agricole. Ils ont utilisé le terrain en question à des fins agricoles, même après le reclassement des parcelles en terrains destinés à des constructions à usage d’habitation et de services, à la suite d’une modification du plan d’aménagement du territoire. À la différence de M. Słaby, ils se sont enregistrés en tant qu’assujettis à la TVA soumis au régime forfaitaire au titre de leur activité agricole.

36.      À la lumière de la réponse proposée dans l’affaire C-180/10, également dans la présente affaire, la juridiction nationale doit apprécier si l’exploitation du bien en cause sous forme de sa vente graduelle est réalisée en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment des indices de l’intention de réaliser de manière répétée lesdites opérations.

37.      À titre surabondant, il y a lieu de relever que l’argument avancé par M. et Mme Kuć, selon lequel ils n’ont aucune intention de continuer à vendre des parcelles à l’avenir, est dénué de pertinence.

38.      Si, aux termes de son appréciation, la juridiction nationale parvenait à la conclusion que les opérations de vente en question ont été réalisées en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, M. et Mme Kuć seraient assujettis à la TVA non pas uniquement au titre de leur activité agricole, mais également au titre desdites opérations elles-mêmes.

39.      Dans un tel cas, M. et Mme Kuć seraient assujettis à la TVA pour les opérations de vente des parcelles se rattachant à un bien foncier agricole selon le régime normal, nonobstant leur qualité de producteurs agricoles auxquels s’applique le régime forfaitaire visé au chapitre II du titre XII de la directive 2006/112. Cette conclusion est corroborée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle les opérations autres que la livraison de produits agricoles et la fourniture de prestations de services agricoles, accomplies par l’agriculteur forfaitaire dans le cadre de l’exploitation agricole, restent soumises au régime général de la directive 2006/112 (17).

 Sur la première question

40.      Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 16 de la directive 2006/112 selon lequel est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux le prélèvement, par un assujetti, d’un bien de son entreprise qu’il destine à ses besoins privés ou à ceux de son personnel, qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA, est applicable à un agriculteur forfaitaire, au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive 2006/112, qui vend des parcelles utilisées pour son activité agricole, destinées, selon le plan d’aménagement de la commune, à des constructions à usage d’habitation et de services mais qui ont été acquises en tant que terrains agricoles (exonérés de la TVA).

41.      À cet égard, nous estimons que l’article 16 de la directive 2006/112 ne s’applique pas aux transactions réalisées par M. et Mme Kuć consistant en une vente graduelle des parcelles faisant partie de leur bien foncier agricole.

42.      Comme l’a relevé à juste titre la Commission européenne dans ses observations écrites, lorsque des éléments d’un bien foncier agricole faisant partie intégrante de l’exploitation agricole d’un agriculteur forfaitaire changent de destination et que ces éléments cessent d’être affectés à la production agricole pour permettre leur cession progressive, il s’agit toujours et encore de l’exploitation, réalisée à des fins économiques, d’un bien destiné à l’entreprise de l’assujetti en question. Il ne s’agit pas, par conséquent, de l’exploitation de biens que l’assujetti destine à ses besoins privés ou qu’il affecte à des fins étrangères à son activité économique, comme l’exige l’article 16 de ladite directive.

 Conclusion

43.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Naczelny Sąd Administracyjny:

«1)      Pour déterminer si une personne est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si l’exploitation du bien en cause sous forme de sa vente graduelle est réalisée en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment des indices de l’intention de réaliser de manière répétée lesdites opérations. À cet égard, est dépourvu de pertinence le fait que le bien en cause n’a pas été acquis dans l’intention de le vendre ou le fait que le bien en cause a été qualifié par son propriétaire en bien privé à l’égard d’une activité distincte de celle en vertu de laquelle la personne est considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.

2)      La personne est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée pour les opérations de vente des parcelles se rattachant à un bien foncier agricole selon le régime normal, nonobstant sa qualité de producteur agricole auquel s’applique le régime forfaitaire visé au chapitre II du titre XII de la directive 2006/112.

3)      L’article 16 de la directive 2006/112 ne s’applique pas à un agriculteur forfaitaire au sens de l’article 295 de ladite directive, qui vend graduellement des parcelles destinées à une construction à usage d’habitation et de services issues de la division d’un bien foncier agricole.»


1 – Langue originale: le français.


2 –      Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).


3 –      Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).


4 – Compte tenu de la période durant laquelle les faits à l’origine de l’affaire C-180/10 se sont déroulés, tant la sixième directive que la directive 2006/112, qui l’a abrogée et remplacée à compter du 1er janvier 2007, sont applicables. Nous ne nous référerons aux fins des présentes conclusions qu’aux dispositions pertinentes de la directive 2006/112, dès lors que lesdites dispositions sont en substance analogues aux dispositions correspondantes de la sixième directive.


5 – Cette disposition correspond à l’article 2, point 1, de la sixième directive.


6 – Ladite disposition correspond à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive.


7 – À cet égard, il convient de noter que nous partons de l’hypothèse que la vente des parcelles s’est poursuivie également après le 1er mai 2004, même si cela n’est pas précisé explicitement dans la décision de renvoi. Si tel n’était pas le cas, la Cour ne serait pas en mesure de répondre à la question posée.


8 – Voir, par analogie, arrêt du 3 mars 2005, Fini H (C-32/03, Rec. p. I-1599, point 19).


9 – Arrêts du 21 avril 2005, HE (C-25/03, Rec. p. I-3123, point 39); du 26 juin 2007, Hutchison 3G e.a. (C-369/04, Rec. p. I-5247, point 32), et du 6 octobre 2009, SPÖ Landesorganisation Kärnten (C-267/08, Rec. p. I-9781, point 20).


10 – La Cour a déjà considéré comme une exploitation de bien corporel, par exemple, la location d’un bien corporel (arrêt du 26 septembre 1996, Enkler, C-230/94, Rec. p. I-4517, point 21) ou l’octroi d’un droit de superficie sur un bien immeuble par le propriétaire de ce bien à une autre personne (arrêt du 4 décembre 1990, van Tiem, C-186/89, Rec. p. I-4363, point 19). Au contraire, l’activité consistant à délivrer des autorisations permettant aux opérateurs économiques qui en sont bénéficiaires de procéder à l’exploitation des droits d’utilisation en résultant en offrant au public leurs services sur le marché des télécommunications mobiles contre rémunération ne constitue pas l’exploitation d’un bien corporel (arrêt du 26 juin 2007, T-Mobile Austria e.a., C-284/04, Rec. p. I-5189, point 44). Il en va de même pour les activités consistant à assurer des activités de relations publiques, d’information, d’organisation d’événements, de livraisons de matériels publicitaires à d’autres sections d’un parti politique ainsi qu’à réaliser un bal annuel (arrêt SPÖ Landesorganisation Kärnten, cité note 9, points 18 et 21).


11 – Voir, en ce sens, arrêt Enkler (cité note 10, points 24 et 30).


12 – Voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2006, University of Huddersfield (C-223/03, Rec. p. I-1751, point 47), et T-Mobile Austria e.a., (cité note 10, point 35).


13– Cité note 10.


14 – Arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C-288/07, Rec. p. I-7203, point 42).


15 – Arrêts du 4 octobre 1995, Armbrecht (C-291/92, Rec. p. 2775, points 16 et 17), et du 8 mars 2001, Bakcsi (C-415/98, Rec. p. I-1831, point 24).


16 – Cité note 15.


17 – Voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2004, Harbs (C-321/02, Rec. p. I-7101, points 31 et 36), et du 26 mai 2005, Stadt Sundern (C-43/04, Rec. p. I-4491, point 20).