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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 1er mars 2012 (1)

Affaire C-334/10

X

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«TVA — Sixième directive — Déduction de la taxe payée en amont — Transformations apportées à un bâtiment d’une entreprise pour en utiliser temporairement certaines parties à titre privé — Assujettissement de l’usage privé»






I –    Introduction

1.        Parmi la vaste jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont dans le système commun de TVA, un domaine spécial et assorti d’une jurisprudence détaillée s’est très tôt développé: il traite exclusivement de la déduction de la taxe lors de l’acquisition de biens d’investissement utilisés à des fins tant professionnelles que privées de l’assujetti (2). Sont essentiellement concernés des bâtiments et des automobiles qu’un assujetti utilise pendant des années, tant à titre professionnel qu’à titre privé. Seule l’utilisation professionnelle de ces biens est pertinente aux fins de l’imposition de la valeur ajoutée générée par l’entreprise et ce n’est donc qu’à ce titre que l’imposition de ces biens en amont doit être neutralisée. Cependant, la mise en œuvre sur un plan fiscal et pratique de ce principe simple comporte certaines difficultés.

2.        Dans ce contexte, la question du droit à déduction pour un bâtiment construit d’emblée pour être utilisé à des fins tant professionnelles que privées a déjà été tranchée. L’assujetti peut alors faire valoir l’intégralité du droit à déduction de l’impôt payé en amont pour la construction du bâtiment, mais, en guise de compensation, il devra ensuite s’acquitter de l’impôt correspondant à l’utilisation du bâtiment à des fins privées (3). Il en résulte alors que, au fil du temps, la déduction initiale est en partie rectifiée.

3.        Mais — ainsi que s’enquiert la demande de décision préjudicielle en l’espèce — quid de la déduction dans le cas de transformations ultérieures apportées à un bâtiment initialement utilisé à des fins strictement professionnelles afin que ledit bâtiment soit également utilisé en partie et temporairement seulement comme une résidence privée?

II – Le cadre juridique

A –    Droit de l’Union

4.        L’article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (4), dans sa version applicable pour l’année 2000 (ci-après la «sixième directive») (5), régit la «[n]aissance et [l’]étendue du droit à déduction» en disposant notamment ce qui suit:

«[…]

2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]»

5.        Le chiffre d’affaires de l’assujetti est normalement imposé selon l’article 2 de la sixième directive, lequel dispose notamment:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

[…]»

6.        L’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive étend l’obligation fiscale de l’article 2, point 1, de la sixième directive comme suit:

«2. Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a)      l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b)      les prestations de services à titre gratuit effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

[…]»

7.        Le titre VIII, «Base d’imposition», de la sixième directive contient l’article 11, qui dispose:

«A. À l’intérieur du pays

1. La base d’imposition est constituée:

[…]

c)      pour les opérations visées à l’article 6 paragraphe 2, par le montant des dépenses engagées par l’assujetti pour l’exécution de la prestation de services;

[…]»

B –    Droit néerlandais

8.        Selon la juridiction de renvoi, l’article 15 de la loi de 1968 sur la TVA (Wet op de omzetbelasting 1968) donne à l’entrepreneur le droit de déduire la TVA pour des prestations de services effectuées aux fins de l’entreprise.

III – Les faits et les questions préjudicielles

9.        La légalité d’un redressement fiscal, portant sur la TVA de l’an 2000, est contestée en l’espèce.

10.      L’assujetti est un partenariat commercial sans personnalité juridique, mais qui est néanmoins la requérante dans le litige au principal. En 2000, elle exerçait un commerce de gros de peintures pour automobiles. Ses deux seuls associés sont un couple marié.

11.      En 1999, ce couple a acquis un hangar et il l’a utilisé dans le cadre de son commerce de gros. Au commencement de l’année 2000, une partie du grenier du hangar a été aménagée pour servir d’habitation provisoire aux deux associés et à leurs enfants. À cette fin, deux lucarnes de fronton ont été installées ainsi qu’un vestibule, une salle de bain et des toilettes. La TVA a été facturée sur ces travaux.

12.      Le grenier ainsi transformé a été utilisé pendant 23 mois en tant que logement. Il a ensuite été aménagé pour être utilisé par l’entreprise et il a servi de bureau et de local de formation. Les lucarnes, le vestibule, la salle de bain et les toilettes ont été laissés en l’état.

13.      L’assujetti a déduit l’intégralité de la TVA payée pour les travaux d’aménagement du grenier. Cependant, l’administration fiscale néerlandaise a refusé la déduction pour la partie des travaux portant sur les lucarnes et le vestibule au motif que seule l’installation de la salle de bain et des toilettes avait également servi aux besoins de l’entreprise.

14.      Cette décision a été confirmée par la juridiction de première instance au motif que les travaux d’installation des lucarnes et du vestibule n’avaient été réalisés que dans le but exclusif de permettre aux deux associés et à leurs enfants d’y résider.

15.      L’assujetti conteste ce jugement par son pourvoi en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden, qui a renvoyé à titre préjudiciel à la Cour les questions suivantes:

«Un assujetti qui utilise temporairement pour ses besoins privés une partie d’un bien d’investissement affecté à son entreprise dispose-t-il — au titre de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a) et b), de l’article 11, A, paragraphe 1, sous c), et de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive — du droit à déduction de la TVA en amont sur les dépenses engagées pour effectuer des transformations durables dans le seul but d’une utilisation à des fins privées? La réponse à cette question serait-elle différente dans l’hypothèse où l’acquisition du bien d’investissement aurait été grevée de la TVA et que celle-ci aurait été déduite par l’assujetti?»

16.      Dans la procédure devant la Cour, le gouvernement néerlandais et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Il n’y a pas eu de procédure orale.

IV – Appréciation juridique

17.      Les deux questions préjudicielles, que nous traiterons ensemble ci-après, portent sur l’existence d’un droit à déduction dans le cas de figure décrit par la juridiction de renvoi.

18.      En l’espèce, les conditions du droit à la déduction de l’impôt payé en amont découlent de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive. D’après cette disposition, d’une part, l’assujetti doit avoir bénéficié de la part d’un autre assujetti de prestations de services pour lesquelles il a payé la TVA (opérations en amont). D’autre part, ces opérations en amont doivent être utilisées pour les besoins de ses opérations imposables (opérations en aval).

19.      Les opérations en amont pour lesquelles le droit à la déduction est litigieux en l’espèce sont uniquement les services perçus pour l’aménagement du grenier, en ce qui concerne l’installation de deux lucarnes de fronton et d’un vestibule (ci-après les «transformations»).

20.      En revanche, les questions préjudicielles ne portent pas sur le droit à la déduction pour l’acquisition du bâtiment préexistant auquel les transformations ont été apportées. Le traitement TVA de l’acquisition de ce bâtiment n’a d’importance — dans le cadre de la seconde question préjudicielle — que dans la mesure où il pourrait avoir une incidence sur la déduction opérée pour les transformations.

21.      En vertu de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, ces transformations doivent être utilisées aux fins d’opérations en aval imposables pour pouvoir ouvrir un droit à la déduction de la taxe payée en amont. Étant donné que, pour les transformations, c’est une utilisation à titre privée qui prédominait initialement, suivie néanmoins ultérieurement par une utilisation professionnelle du grenier en tant que bureau et local de formation, il convient de plus de suivre la jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie pour un usage privé; c’est ce que toutes les parties ont à juste titre souligné.

22.      Nous exposerons dans un premier temps (partie A) la jurisprudence précitée, dont les conditions d’une déduction ne découlent pas directement des dispositions de la sixième directive; dans un deuxième temps, nous examinerons si cette jurisprudence peut être appliquée en l’espèce (partie B).

A –    La jurisprudence relative au droit à déduction en cas de biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées

1.      L’affectation d’un bien d’investissement

23.      Selon une jurisprudence constante — qui remonte jusqu’à l’arrêt Lennartz (6) — en cas d’utilisation d’un bien d’investissement à des fins tant professionnelles que privées, l’intéressé a le choix, pour les besoins de la TVA, soit d’affecter ce bien dans sa totalité au patrimoine de son entreprise, soit de le conserver dans sa totalité dans son patrimoine privé en l’excluant ainsi complètement du système de la TVA, soit encore de ne l’intégrer dans son entreprise qu’à concurrence de l’utilisation professionnelle effective (7).

24.      Si l’assujetti choisit de traiter des biens d’investissement utilisés à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées comme des biens d’entreprise, la TVA due en amont sur l’acquisition de ces biens est en principe intégralement et immédiatement déductible (8).

25.      Sont ainsi concernées non seulement la taxe en amont qui est due lors de la vente d’un bien fini, mais également — ce qui est notamment pertinent en matière d’immeubles — la taxe en amont due pour la fabrication du bien (9), par exemple pour l’acquisition de matériaux de construction ou pour le recours à des services de construction. Dans un tel cas, les questions de l’affectation et de l’utilisation du bien porteront nécessairement sur le produit réalisé et non sur les services perçus pour la construction.

2.      L’utilisation pour des opérations en aval imposables

26.      Lorsqu’un bien à utilisation mixte est totalement affecté à l’entreprise, la conséquence est que la partie de l’utilisation qui est faite pour un usage privée sera taxée conformément à l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive ensemble avec l’article 2, point 1 (10). Il s’agit ainsi d’empêcher que l’assujetti ne profite d’un avantage indu par rapport au consommateur final (11) et que l’utilisation finale à des fins privées n’échappe à la taxe (12).

27.      Dans ce contexte, l’utilisation du bien à des fins privées constitue une opération en aval taxée au sens de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive (13). Les exigences posées par cette disposition pour la déduction de la taxe payée en amont sont donc également remplies pour la partie du bien d’investissement utilisée à titre privé. Si, en revanche, il n’est pas possible de taxer l’utilisation privée, le droit à la déduction ne pourra pas être donné, malgré l’affectation totale du bien à l’entreprise. Une telle situation peut survenir lorsque la condition de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), n’est pas remplie (14).

28.      Par ailleurs, d’après l’arrêt Puffer, la jurisprudence relative à la déduction de l’impôt pour des biens utilisés en partie à des fins privées n’est pas non plus applicable lorsque le bien d’investissement est certes utilisé en partie à des fins privées et en partie pour les besoins de l’entreprise, mais que, pour la partie concernant l’entreprise, l’assujetti utilise exclusivement le bien d’investissement pour des opérations en aval exonérées d’impôt (15). Dans un tel cas, même s’il y a bien une utilisation mixte du bien, il n’existe cependant, dans la partie de l’utilisation correspondant à l’entreprise, aucune opération imposable. Il en résulte que, en vertu de la jurisprudence, l’utilisation du bien pour les besoins de l’entreprise doit être taxée — du moins en partie — avant même que puisse naître un droit à la déduction pour un bien d’investissement d’utilisation mixte.

29.      Par conséquent, pour apprécier l’existence d’un droit à déduction au titre de l’acquisition ou de la construction d’un bien d’investissement utilisé pour partie à des fins privées, il convient de vérifier la taxation tant de l’usage du bien pour les besoins de l’entreprise que de son usage à des fins privées.

3.      La finalité

30.      La jurisprudence exposée a été plusieurs fois contestée en son principe, mais, après examen approfondi, la Cour l’a confirmée de façon répétée (16).

31.      Le fait d’octroyer à l’assujetti, en cas d’utilisation mixte d’un bien d’investissement, l’affectation totale du bien à l’entreprise et partant, en principe, la déduction totale de la taxe payée en amont malgré l’utilisation partiellement privée a pour objectif de lui permettre de modifier ultérieurement, sans désavantages fiscaux, une modification de l’utilisation sous forme d’une augmentation de la proportion correspondant à l’entreprise (17).

32.      En effet, si, dans le cas d’un usage mixte du bien d’investissement, l’assujetti avait uniquement la possibilité de l’affecter partiellement à proportion de l’usage pour les besoins de l’entreprise, la déduction pour la partie utilisée à titre privée serait définitivement exclue. La partie du bien utilisée à titre privée demeurerait alors dans le patrimoine privé. Une utilisation ultérieure à des fins professionnelles de la partie du bien affectée au patrimoine privé n’est pas susceptible de donner lieu a posteriori à un droit à déduction. Aucun mécanisme de régularisation en ce sens n’est prévu dans la sixième directive (18).

33.      Par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009, modifiant diverses dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (19), le législateur de l’Union a entre-temps résolu le problème, mais uniquement pour des périodes ultérieures à celles pertinentes dans le litige au principal (20). En vertu de l’article 168 bis inséré dans la directive — actuellement en vigueur — 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (21), dans le cas d’un bien immeuble — ou de tout autre bien, au choix des États membres — utilisé de façon mixte, seul un droit à déduction partiel est désormais octroyé. Cependant, cette exclusion partielle du droit à la déduction est désormais assortie d’une possibilité de correction si les proportions des utilisations sont ultérieurement modifiées.

B –    L’application de la jurisprudence au cas d’espèce

34.      Il reste donc à vérifier si, en vertu de la jurisprudence citée relative au droit à déduction pour des biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées, un assujetti se trouvant dans le cas de figure du litige au principal est autorisé à déduire la totalité de la taxe payée en amont pour les transformations.

35.      Ainsi que la Commission l’a à juste titre exposé, il n’y aurait aucun doute à cet égard si les transformations avaient été effectuées avant l’acquisition du bâtiment. En acquérant un bâtiment destiné à être utilisé en partie comme entrepôt et en partie comme logement, l’assujetti aurait été en droit d’affecter la totalité du bâtiment à l’entreprise, si bien qu’il aurait eu le droit de déduire intégralement la taxe payée en amont, l’utilisation du logement à des fins privées devant être taxée postérieurement.

36.      Il en aurait été de même si l’assujetti avait lui-même construit le bâtiment et avait prévu dès le début une partie du bâtiment destinée à servir de logement.

37.      Dans ce contexte, il convient de déterminer si le seul fait que les transformations ne sont intervenues qu’a posteriori peut emporter une autre réponse concernant le droit à la déduction de la taxe payée en amont. À cet égard, il convient en premier lieu de vérifier (dans une section 1, ci-dessous) si, compte tenu des transformations, il est permis à l’assujetti d’affecter totalement un bien d’investissement au patrimoine de l’entreprise. En second lieu, c’est la taxation tant de l’utilisation pour les besoins de l’entreprise que de l’utilisation à titre privé qui doit être vérifiée (dans une section 2).

1.      L’affectation d’un bien d’investissement à l’entreprise

38.      Ainsi qu’il a été dit, le droit à la déduction de la taxe payée en amont pour des services de construction d’un bien d’investissement s’apprécie en fonction de l’affectation du bien d’investissement fabriqué au patrimoine de l’entreprise (22). En ce qui concerne le bien d’investissement réalisé, il doit exister un droit de l’affecter intégralement au patrimoine de l’entreprise. C’est alors seulement qu’existera un droit de principe de déduire intégralement la taxe payée en amont pour les services de construction du bien.

39.      Dans la mesure où il est question, en l’espèce, de transformations d’un bâtiment existant, il y a d’abord lieu de déterminer ce qu’il convient de considérer comme le bien d’investissement construit [sous a) et b) ci-après], avant de pouvoir vérifier s’il existe un droit de l’affecter en totalité à l’entreprise [sous c)].

a)      Le traitement unitaire ou distinct des transformations

40.      Il existe en l’espèce deux perspectives possibles: on peut considérer les transformations comme des frais de construction — postérieurs — du bâtiment ou comme des frais de construction d’un bien d’investissement distinct.

41.      Si l’on devait considérer les transformations comme une partie des frais de construction de l’ensemble du bâtiment, le droit à déduction de la taxe payée en amont concernant ces frais dépendrait de l’affectation du bâtiment ayant subi les transformations. Si le bâtiment était affecté en totalité à l’entreprise, il existerait en principe un droit à déduire intégralement la taxe payée en amont pour les transformations.

42.      Dans ce contexte, il serait d’emblée indifférent que les transformations aient servi à créer un logement destiné à un usage purement privé. En effet, en vertu de la jurisprudence sur le droit à déduction en cas de biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées, lorsqu’un assujetti perçoit une multitude de biens et de services pour construire un bâtiment, on n’apprécie pas non plus le droit à déduction pour chacune des opérations en amont prise de façon individuelle (23).

43.      Un assujetti peut au contraire affecter dans sa totalité à l’entreprise le bâtiment qu’il a construit. En conséquence, il a en principe le droit de déduire la totalité de la taxe payée en amont au titre de toutes les opérations en amont qui ont servi à la construction du bâtiment. Il est ainsi quand bien même il serait normalement possible d’identifier des opérations en amont particulières qui ont exclusivement servi à des fins privées — comme la livraison d’une fenêtre qui aurait été installée dans la partie utilisée à titre privée.

44.      Même la jurisprudence — citée par la juridiction de renvoi — dans l’affaire Bakcsi ne s’oppose pas directement à un traitement commun des transformations postérieures et des coûts de construction initiaux. Dans cette affaire, la Cour a certes considéré que l’affectation d’un bien d’investissement n’a pas d’incidence sur l’appréciation de l’existence d’un droit à déduction au titre des opérations en amont utilisées pour l’exploitation et l’entretien de ce bien d’investissement (24). Ainsi, le droit à déduction au titre des opérations en amont utilisées pour l’exploitation et l’entretien notamment d’un bâtiment est une question devant être dissociée de l’affectation ou non du bâtiment à l’entreprise.

45.      Cependant, la juridiction de renvoi a déjà souligné, elle-même, que les dépenses de transformation du cas d’espèce ne peuvent pas être qualifiées de frais d’exploitation ou d’entretien (25). Nous sommes également d’avis que ces transformations ne constituent pas des opérations en amont servant à l’utilisation du bâtiment ou à sa conservation en état de fonctionnement, mais qu’elles arrangent le bâtiment même en modifiant sa forme et ses possibilités d’utilisation. Il en résulte que l’arrêt Bakcsi n’est pas applicable en l’espèce.

46.      Il découle cependant de cette jurisprudence qu’en principe l’affectation à l’entreprise d’une opération en amont doit être appréciée de façon distincte pour chaque opération.

47.      Ce point de vue correspond du reste à la jurisprudence constante en matière de taxation des opérations en aval. Selon celle-ci, il découle de l’article 2 de la sixième directive que chaque livraison ou prestation doit normalement être considérée comme distincte et indépendante (26).

48.      Il convient en outre de tenir compte de la jurisprudence selon laquelle seule une personne, qui a la qualité d’assujetti et qui agit en tant que tel au moment où elle bénéficie d’une opération en amont, dispose d’un droit à déduction (27). Lorsqu’un assujetti acquiert un bien exclusivement pour des besoins privés, il agit à titre privé et non pas en tant qu’assujetti au sens de la sixième directive (28).

49.      Cependant, si l’on faisait dépendre la déduction au titre de chacune des transformations postérieures de l’affectation du bâtiment, il faudrait également autoriser une déduction au titre de transformations ultérieures servant durablement à des fins purement privées. Dans un tel cas, la jurisprudence citée ne serait à notre avis plus respectée. En effet, une opération en amont entièrement et durablement utilisée à des fins privées ne peut pas être considérée comme l’action d’un assujetti. S’il en était autrement, la distinction nécessaire dans le système de la TVA entre l’action d’une personne en tant qu’assujetti et son action à titre privé ne serait plus possible.

50.      De plus, les conséquences d’une approche unitaire pour le traitement aux fins de la TVA du bâtiment et des transformations postérieures seraient également incompatibles avec le principe de neutralité de l’impôt. En vertu de ce principe, l’assujetti ne doit supporter la charge de la TVA que lorsque celle-ci se rapporte à des biens ou à des services que cette personne utilise pour sa consommation privée et non pas pour ses activités professionnelles taxables (29).

51.      Mais un traitement commun du bâtiment et des transformations postérieures aurait également pour conséquence qu’un assujetti qui apporterait à un bâtiment des transformations durables, motivées uniquement par les besoins de son entreprise, ne pourrait faire valoir à ce titre aucun droit à déduction, si le bâtiment avait précédemment été affecté au patrimoine personnel. L’assujetti aurait ainsi à supporter de façon définitive la TVA payée pour les transformations, quand bien même le résultat de ces transformations serait utilisé pour l’activité de l’entreprise.

52.      Dans ce contexte, le traitement unitaire — implicitement reconnu par la jurisprudence relative au droit à déduction pour la fabrication des biens d’investissement partiellement utilisés à titre privé (30) — des opérations en amont servant à la construction d’un bâtiment à utilisation mixte constitue une exception qui se justifie pour des raisons pratiques, notamment au vu de la grande proximité temporelle des opérations de construction. Ce traitement unitaire tient compte du fait que, pour la multitude des opérations en amont nécessaires à la construction d’un bâtiment, l’affectation de chacune des opérations en amont à des fins respectivement privées ou professionnelles entraînerait d’immenses difficultés de distinction et des ressources administratives considérables. Or, tel n’est pas le cas dans le rapport entre la construction initiale d’un bâtiment et ses transformations ultérieures, qui peuvent être considérées de façon distincte, étant donné qu’elles sont faciles à distinguer et qu’elles ne sont pas rapprochées dans le temps.

53.      La jurisprudence de la Cour reconnaît par ailleurs depuis longtemps que diverses parties d’un même bien peuvent être distinctement affectées au patrimoine privé ou à celui de l’entreprise (31). En matière de TVA, il n’est donc pas anormal de traiter différemment des parties d’un bâtiment.

54.      Il en résulte que, dans le cas de transformations postérieures du bien d’investissement, le droit à déduction de la taxe payée en amont ne devrait pas dépendre de l’affectation du bien d’investissement lui-même. Nous partageons à cet égard le point de vue du gouvernement néerlandais selon lequel le seul fait que le bâtiment en tant que tel a été affecté à la partie correspondant à l’entreprise de l’assujetti ne signifie pas automatiquement que les transformations relèvent également de la partie correspondant à l’entreprise.

b)      Les mesures de transformation considérées comme un bien d’investissement distinct

55.      Dès lors que le droit à déduction au titre des transformations postérieures doit donc en principe être apprécié indépendamment de l’affectation du bâtiment, la question se pose ensuite de savoir si un bien d’investissement distinct a été créé par ces transformations.

56.      À cet égard, il semble de prime abord évident que toutes les mesures de transformation ayant servi à créer le logement dans le grenier ont contribué conjointement à la construction d’un nouveau bien d’investissement, à savoir le logement. On y compte non seulement les lucarnes et le vestibule, qui ont résulté des transformations litigieuses dans la procédure au principal; même la salle de bain et les toilettes, pour la construction desquelles l’assujetti a déjà bénéficié du droit à déduction, feraient alors partie de ce bien d’investissement distinct.

57.      La question de savoir si, aux fins de la détermination du bien d’investissement pertinent, l’installation des lucarnes et du vestibule doit être distinguée de l’installation de la salle de bain et des toilettes constitue une appréciation des circonstances de fait qui appartient à la juridiction de renvoi. L’élément décisif pour cette appréciation consiste à savoir si les travaux de transformation concernant les lucarnes, le vestibule, la salle de bain et les toilettes se trouvaient réunis dans un cadre factuel et temporel étroit, comparable au lien étroit unissant les prestations de construction d’un bâtiment.

58.      En tout état de cause, il n’existe à notre avis aucune raison pertinente de ne pas considérer le logement aménagé dans son ensemble, ou seulement les lucarnes et le vestibule, comme un bien d’investissement distinct.

59.      Ainsi que l’avocat général Mengozzi l’a déjà développé, les éléments essentiels de la définition du bien d’investissement — telle qu’applicable dans le contexte de la jurisprudence relative au droit à déduction pour des biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées — sont le caractère durable de ce bien et l’amortissement concomitant de ses coûts d’acquisition (32). Ces conditions seraient remplies tant par le logement aménagé que par les lucarnes et le vestibule qui ont été installés par les travaux de transformation litigieux en l’espèce.

60.      Ce constat n’est pas remis en cause par le fait que tant le logement que les lucarnes et le vestibule font partie d’un autre bien d’investissement.

61.      L’avocat général Mengozzi a certes jugé préférable, s’agissant de biens qui sont incorporés au bien d’investissement postérieurement à son acquisition, mais qui augmentent sa valeur, que, pour des raisons tenant à la simplicité du régime commun de la TVA, ne soit pas appliquée la jurisprudence relative au droit à déduction pour des biens d’investissement utilisés en partie à titre privé, mais que la TVA acquittée en amont soit répartie de façon immédiate; mais il ne visait que des dépenses de remplacement, à savoir le remplacement d’une partie existante d’un bien d’investissement par une nouvelle (33).

62.      Or, le cas d’espèce ne concerne pas de telles dépenses de remplacement, mais la construction de nouvelles parties du bâtiment, qui n’existaient pas précédemment. Dès lors que la construction de nouvelles parties d’un bâtiment qui seront utilisées de façon mixte ne devrait pas être très fréquente, il n’y a du reste pas lieu de considérer que la prise en compte aux fins de la TVA de plusieurs biens d’investissement au sein d’un immeuble constitue une tâche trop complexe.

63.      Au vu du constat que même les lucarnes et le vestibule peuvent à eux seuls constituer un bien d’investissement distinct, il est en fin de compte superfétatoire d’apprécier s’il convient d’appliquer également à d’autres biens en tant que biens d’investissement la jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie à titre privé (34).

c)      L’utilisation partiellement privée

64.      Enfin, le droit existant en principe de déduire la totalité de la taxe payée en amont pour les transformations dépend également de ce que le bien d’investissement construit — à savoir, en l’espèce, soit le logement aménagé, soit les lucarnes et le vestibule — est utilisé tant pour les besoins de l’entreprise qu’à des fins privées. Le bien d’investissement pourrait alors être affecté dans sa totalité à l’entreprise.

65.      Si la juridiction de renvoi constate que c’est l’ensemble du logement aménagé qui doit être considéré comme un bien d’investissement distinct, une telle affectation à l’entreprise sera possible. En effet, il semble établi, dans le litige au principal, que des parties du logement aménagé — à savoir la salle de bain et les toilettes — ont été également utilisées, d’emblée, pour les besoins de l’entreprise (35). Les transformations — litigieuses dans la procédure au principal — visant à installer les lucarnes et le vestibule feraient alors partie de la construction d’un bien utilisé tant à des fins privées que pour les besoins de l’entreprise. Dans un tel cas, le logement aménagé ne devrait pas être traité autrement que ne le serait un bâtiment construit pour un usage mixte. À cet égard, l’objectif poursuivi par l’installation des lucarnes et du vestibule, considérés séparément, est sans importance, puisque c’est l’utilisation mixte du bien d’investissement dans son ensemble qui est décisive (36).

66.      Mais la juridiction de renvoi ne vise dans ses questions préjudicielles que la déduction pour des transformations effectuées exclusivement aux fins d’un usage privé. Au vu de nos considérations précédentes, cette question est justifiée dès lors que les lucarnes et le vestibule constituent un bien d’investissement distinct. Afin de répondre à la question préjudicielle dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait à une telle conclusion dans le cadre de son appréciation matérielle, nous poursuivrons par la suite cet examen en supposant que les lucarnes et le vestibule constituent un bien d’investissement distinct.

67.      Le cas d’espèce présente alors une particularité par rapport à la jurisprudence antérieure relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées. En effet, les lucarnes et le vestibule ont été utilisés, au fil du temps, pour des besoins différents: d’après les faits exposés par la juridiction de renvoi, les deux époux ont dans un premier temps utilisé les lucarnes et le vestibule à des fins exclusivement privées dans le cadre de leur logement privé, puis, par la suite, exclusivement pour des besoins de l’entreprise dans le cadre de l’utilisation du grenier comme local de bureaux et de formation. Il convient dès lors d’examiner par la suite de façon plus approfondie si l’on peut considérer qu’il y a dans ce cas un usage mixte au sens de la jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées.

i)      L’arrêt Lennartz

68.      Dans ce contexte, c’est à juste titre que le gouvernement néerlandais a souligné la nécessité de vérifier si le couple d’époux a même agi en tant qu’assujetti, lorsqu’il a bénéficié des prestations de transformation. En effet, seule une personne, qui a la qualité d’assujetti et qui agit en tant que tel au moment où elle bénéficie d’une opération en amont, dispose d’un droit à déduction (37). Or, d’après la jurisprudence, lorsqu’un assujetti acquiert un bien exclusivement pour des besoins privés, il agit à titre privé et non pas en tant qu’assujetti au sens de la sixième directive (38).

69.      Si l’on ne considérait que l’usage initial, il en résulterait que les époux n’ont fait réaliser les transformations que pour un usage privé et, partant, qu’ils n’ont pas agi en tant qu’assujetti et n’ont donc pas droit à déduction.

70.      Si l’on ne considérait que l’usage initial, la jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie à titre privé serait du reste inapplicable. Il n’y aurait alors aucun usage mixte, pas plus qu’il n’existerait — en même temps que l’usage privé — une utilisation taxée du bien d’investissement pour les besoins de l’entreprise.

71.      Pour trancher si un usage initialement purement privé, puis purement professionnel, peut être considéré d’emblée comme une utilisation servant en partie des besoins de l’entreprise, il nous semble utile de retourner là où tout avait commencé: à l’arrêt Lennartz.

72.      C’est dans cet arrêt que la Cour a posé les fondements de sa jurisprudence constante depuis lors en matière de déduction de la taxe payée en amont pour des biens utilisés en partie à des fins privées. C’est également dans cet arrêt qu’elle s’est exprimée sur des questions d’une utilisation professionnelle qui ne commencerait qu’ultérieurement. La Cour y a considéré que l’existence d’un droit à déduction dépend uniquement de la qualité en laquelle un particulier agit au moment où il utilise les prestations en amont (39). Un particulier qui acquiert des biens pour les besoins d’une activité économique le fait en tant qu’assujetti, même si les biens ne sont pas immédiatement utilisés pour ces activités économiques (40).

73.      Le point de savoir si des opérations en amont sont réalisées pour des besoins ultérieurs de l’entreprise est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, parmi lesquelles figurent la nature des biens visés et la période écoulée entre l’acquisition des biens et leur utilisation aux fins des activités économiques de l’assujetti (41).

74.      Bien que cet arrêt figure tout au début de la jurisprudence développée sur la déduction en cas d’usage mixte d’un bien d’investissement, il contient déjà les principaux repères.

75.      Ainsi qu’il a déjà été démontré, la raison pour laquelle a été développée la jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées est l’absence d’une possibilité de régularisation par l’assujetti dans le cas d’un usage professionnel ultérieur d’un bien affecté au patrimoine privé. Si un assujetti acquiert des biens pour les affecter à son patrimoine privé, la déduction est définitivement exclue, même si ce bien est ultérieurement utilisé pour les besoins de l’entreprise (42).

76.      Dans ce contexte, il ne serait pas justifié de refuser totalement le droit à déduction à un assujetti qui effectue des investissements dont il est établi qu’ils ne seront certes pas utilisés immédiatement, mais ultérieurement dans leur totalité pour les besoins de l’entreprise. L’utilisation initialement purement privée, puis ensuite purement professionnelle, constitue en réalité le cas de figure comportant les plus grands désavantages fiscaux qu’un assujetti peut subir lors du changement de l’utilisation d’un bien; la prévention de ces désavantages est la raison pour laquelle a été développée la jurisprudence relative à la déduction de la taxe payée en amont pour des biens d’investissement utilisés en partie à des fins privées.

77.      Ces déductions tirées du début de la jurisprudence nous semblent du reste compatibles avec le plus récent arrêt en la matière, qui est l’arrêt Puffer.

78.      Certes, la Cour y a considéré que la déduction est exclue pour des biens d’investissement utilisés en partie à titre privé par des assujettis qui ne réalisent que des opérations exonérées. Cependant, dans un tel cas, compte tenu de l’exonération de son activité, l’assujetti ne réalise pas, ni à l’avenir, des opérations imposables. Du reste, au vu de la finalité de la jurisprudence relative à la déduction pour des biens d’investissement utilisés en partie à titre privé, il n’y a aucune raison de l’appliquer au cas d’une activité entièrement exonérée, puisque, d’après l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, l’utilisation professionnelle d’un bien n’ouvre à aucun moment le droit à déduction.

79.      Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Le commerce de peintures pour automobiles, pratiqué par l’assujetti, ne constitue pas une activité exonérée de l’impôt.

ii)    La preuve de l’utilisation ultérieure pour les besoins de l’entreprise

80.      Il va de soi qu’une ouverture du droit d’affecter totalement un bien d’investissement au patrimoine de l’entreprise malgré un usage initialement et exclusivement privé fait naître un certain risque d’abus.

81.      Cela est d’autant plus vrai eu égard au fait que, en vertu de la jurisprudence, la finalité inhérente à une opération en amont résulte uniquement de la volonté d’utilisation de l’assujetti — confirmée par des éléments objectifs — au moment de l’opération en amont et non de l’utilisation ultérieure réelle de l’opération en amont. C’est ce que la Cour a expressément considéré dans le cas de premières dépenses d’investissement effectuées par un assujetti avant le commencement effectif de son activité économique (43). Il n’y a, à notre avis, aucune raison d’adopter une approche différente dans le cas de dépenses d’investissement réalisées ultérieurement dans le cadre de l’activité économique en cours.

82.      Il convient cependant de noter que, même d’après cette jurisprudence, il doit exister des éléments objectifs démontrant l’intention de l’assujetti d’utiliser ultérieurement pour les besoins de l’entreprise un bien d’investissement utilisé dans un premier temps à titre purement privé. Parmi ces éléments objectifs, l’arrêt Lennartz citait déjà la nature du bien et la période jusqu’à l’utilisation professionnelle projetée (44).

83.      Il en découle qu’il existe des biens d’investissement — comme par exemple un sauna installé a posteriori dans l’entrepôt d’un commerce de gros de peintures automobiles — qui, compte tenu de leur nature, ne peuvent normalement servir dans l’entreprise concernée qu’à un usage privé. De plus, la possibilité de prouver objectivement une intention d’utilisation professionnelle ultérieure sera d’autant plus faible qu’elle est éloignée dans le futur.

84.      Il convient en outre de souligner que la simple possibilité d’un usage ultérieur pour les besoins de l’entreprise n’est en aucun cas suffisante. Elle ouvrirait un droit à déduction pour toutes les opérations en amont réalisées par un assujetti. L’utilisation à titre professionnel projetée à l’avenir doit être concrète et démontrable. À cet égard, il convient de considérer qu’un usage privé initial laisse en principe présumer une intention d’utilisation exclusivement privée. L’assujetti devrait réfuter cette présomption au moyen d’éléments objectifs.

85.      En l’espèce, il est établi que les transformations ont été initialement apportées à des fins exclusivement privées, à savoir l’installation de parties d’un logement. Il s’en est suivi une utilisation professionnelle des locaux, en tant que bureau et salle de formation. Dans la mesure où tant le vestibule que les lucarnes sont restés en l’état après la conversion des locaux pour l’usage professionnel, les transformations ont été ultérieurement utilisées pour les besoins de l’entreprise.

86.      À notre avis, néanmoins, il ne ressort pas clairement de l’exposé des faits du litige au principal si lors des travaux de transformation, c’est-à-dire lors des opérations en amont, cette utilisation ultérieure pour les besoins de l’entreprise était déjà prévue et prouvée par des éléments objectifs.

87.      D’une part, la question préjudicielle vise des transformations réalisées exclusivement en vue d’un usage privé. Si on l’interprétait en ce sens qu’une utilisation pour les besoins de l’entreprise n’était pas prévue au moment des travaux de transformation, la déduction de la taxe payée en amont serait exclue d’emblée. Lors des opérations en amont, le couple n’aurait ainsi pas agi comme un assujetti, dans la mesure où il n’aurait lié ces opérations qu’à des fins privées. Il n’existerait alors aucun droit à déduction pour les transformations.

88.      D’autre part, selon l’exposé de la juridiction de renvoi, l’utilisation d’une partie du hangar comme logement du couple n’était prévue, dès le début, qu’à titre temporaire. Les époux auraient donc pu avoir des projets sur la façon d’utiliser les transformations, une fois le logement vidé. Qui plus est, le jugement de première instance, joint à l’ordonnance de renvoi, pourrait être interprété en ce sens que l’utilisation ultérieure pour les besoins de l’entreprise était prévue dès le début (45).

89.      Aussi appartient-il en fin de compte à la juridiction de renvoi de trancher, en tant que question matérielle, le point de savoir si l’intention d’utiliser ultérieurement les lucarnes et le vestibule pour les besoins de l’entreprise existait dès le début et si cette intention était établie par des éléments objectifs.

2.      L’utilisation pour des opérations en aval taxées

90.      Si la juridiction de renvoi constate que l’intention d’utiliser ultérieurement les lucarnes et le vestibule pour les besoins de l’entreprise existait dès la perception des opérations en amont ou si elle considère que c’est l’ensemble du logement aménagé qui constitue le bien d’investissement pertinent, la société assujettie dispose, conformément à la jurisprudence relative à la déduction pour des biens d’investissement utilisés en partie à titre privé, du droit d’affecter en totalité ces biens à l’entreprise.

91.      Pour avoir également le droit de déduire totalement la taxe payée en amont, l’assujetti aurait dû avoir l’intention d’utiliser les transformations en totalité pour des opérations en aval taxées, conformément à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive. Cela dépend en l’espèce de l’usage qu’il projetait de faire du bien d’investissement construit.

92.      Dans la mesure où l’intention était d’utiliser le bien d’investissement pour des besoins de l’entreprise — à savoir, en ce qui concerne le logement aménagé, pour l’usage en partie par l’entreprise de la salle de bain et des toilettes et, en ce qui concerne les lucarnes et le vestibule, dès leur utilisation en tant que composantes du bureau et du local de formation — les opérations en aval sont imposées dans le cadre de l’activité commerciale de l’assujetti, conformément à l’article 2, point 1, de la sixième directive.

93.      Dans la mesure où l’intention était d’utiliser le bien d’investissement à des fins privées, on peut envisager une imposition des opérations en aval conformément aux dispositions de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, ensemble avec l’article 2, point 1, de la sixième directive.

a)      L’utilisation d’un bien conformément à l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive

94.      En vertu de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive, l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti est imposable.

95.      Dès lors, si le logement aménagé ou bien les lucarnes et le vestibule constituent un bien d’investissement distinct pouvant être affecté en totalité à l’entreprise, leur usage privé pour les besoins des époux doit être taxé séparément.

96.      En outre, compte tenu de cette autonomie, il est insignifiant que le bien d’investissement auquel sont liés le logement aménagé ou bien les lucarnes et le vestibule ait donné droit à une déduction totale ou partielle de la TVA. Aussi convient-il de répondre à la seconde question du Hoge Raad que le fait de savoir si, lors de l’acquisition du bien d’investissement, la TVA a été facturée à l’assujetti et si ce dernier l’a déduite est indifférent pour la réponse à la première question préjudicielle.

97.      Du reste, en l’espèce, l’usage privé du logement aménagé ou bien des lucarnes et du vestibule n’est pas non plus exonéré d’impôt.

98.      Certes, la Cour doit encore trancher, dans l’affaire BLM (C-436/10, pendante devant la Cour), si l’article 13, B, sous b), de la sixième directive, qui exonère de l’impôt la location de biens immeubles, est applicable à l’utilisation d’une partie d’un bâtiment pour des besoins privés, cette utilisation étant en principe imposable en vertu de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive. Toutefois, la question s’y pose dans le cas de figure particulier d’un utilisateur d’une partie d’un bâtiment qui est juridiquement distinct de la société assujettie.

99.      Or, en l’espèce, d’une part, la société assujettie n’a pas de personnalité juridique; d’autre part, les questions préjudicielles considèrent que l’assujetti utilise le bien d’investissement pour ses propres besoins et non pour une autre personne. Pour un tel cas de figure, il a déjà été jugé que l’exonération de l’impôt par l’article 13, B, sous b), de la sixième directive ne s’applique pas au fait générateur de la taxe visé à l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive (46).

100. Il en résulte donc que, conformément à l’article 2, point 1, ensemble avec l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive, l’utilisation projetée du bien d’investissement à des fins privées est également taxée.

b)      La prestation de services à titre gratuit effectuée par l’assujetti, au sens de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous b), de la sixième directive

101. En revanche, la disposition de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous b), de la sixième directive ne peut pas s’appliquer en l’espèce.

102. Les opérations en aval ne consistent pas en l’utilisation des services de transformation par les époux, ainsi qu’il a été en partie soutenu. Ces services doivent avoir été rendus à la société assujettie, pour pouvoir ouvrir un droit à déduction. Ils constituent donc les opérations en amont.

103. Les opérations en aval sont au contraire constituées de l’utilisation des biens construits par les opérations en amont, à savoir du logement aménagé ou bien des lucarnes et du vestibule. Dans la mesure où il s’agit donc de l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise, la disposition de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive est la seule qui lui soit applicable.

V –    Conclusion

104. Compte tenu des considérations précédentes, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Hoge Raad der Nederlanden comme suit:

«Un assujetti qui utilise temporairement pour ses besoins privés une partie d’un bien d’investissement affecté à son entreprise, dispose en vertu de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans sa version applicable pour l’année 2000, du droit à déduction de la TVA en amont sur les dépenses engagées pour effectuer des transformations durables dans le seul but d’une utilisation à des fins privées et par lesquelles est créé un bien d’investissement distinct, dès lors que l’assujetti a au moment de la réalisation des transformations l’intention, établie par des éléments objectifs, d’utiliser le bien d’investissement ainsi créé pour des besoins des opérations taxées de son entreprise, même si cette utilisation ne doit avoir lieu que consécutivement à l’utilisation à titre privé. Ce droit à déduction existe indépendamment du point de savoir si, lors de l’acquisition du bien d’investissement auquel les transformations ont été apportées, la TVA a été facturée à l’assujetti et si ce dernier l’a déduite.»


1 —      Langue originale: l’allemand.


2 —      Pour la première fois dans l’arrêt du 11 juillet 1991, Lennartz (C-97/90, Rec. p. I-3795), et récemment dans l’arrêt du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt (C-118/11).


3 —      Voir, à cet égard, davantage de détails aux points 23 et suiv.


4 — JO L 145, p. 1.


5 —      Pour l’année 2000, il convient d’appliquer l’article 17 de la sixième directive dans sa rédaction de l’article 28 septies de la directive, qui a été introduite par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1), et modifiée, pour autant que cela est pertinent en l’espèce, par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388 et portant nouvelles mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée — champ d’application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en œuvre (JO L 102, p. 18). Cette version est applicable en l’espèce, car les travaux de transformation au sujet desquels le droit à déduction fait débat dans le litige au principal ont été réalisés en l’an 2000.


6 —      Arrêt précité note 2, point 35.


7 —      Arrêts du 4 octobre 1995, Armbrecht (C-291/92, Rec. p. I-2775, point 20); du 8 mars 2001, Bakcsi (C-415/98, Rec. p. I-1831, point 25); du 8 mai 2003, Seeling (C-269/00, Rec. p. I-4101, point 40); du 21 avril 2005, HE (C-25/03, Rec. p. I-3123, point 46); du 14 juillet 2005, Charles et Charles-Tijmens (C-434/03, Rec. p. I-7037, point 23); du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki (C-184/04, Rec. p. I-3039, point 34); du 14 septembre 2006, Wollny (C-72/05, Rec. p. I-8297, point 21); du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie (C-515/07, Rec. p. I-839, point 32); du 23 avril 2009, Puffer (C-460/07, Rec. p. I-3251, point 39), et Eon Aset Menidjmunt (précité note 2, point 53).


8 —      Arrêt Puffer (précité note 7, point 40 et jurisprudence citée); voir déjà arrêt Lennartz (précité note 2, point 35).


9 —      Arrêts Seeling (précité note 7, points 43 et 47), Wollny (précité note 7, point 24) et Puffer (précité note 7, point 42).


10 —      Arrêt Puffer (précité note 7, point 41 et jurisprudence citée).


11 —      Arrêts Wollny (précité note 7, point 32) et Puffer (précité note 7, point 54); en ce sens, déjà, voir arrêt du 26 septembre 1996, Enkler (C-230/94, Rec. p. I-4517, point 33).


12 —      Arrêt du 27 juin 1989, Kühne (50/88, Rec. p. 1925, point 29).


13 —      Arrêt Puffer (précité note 7, point 41 et jurisprudence citée).


14 —      Arrêt Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie (précité note 7, points 38 à 40); il en ressort qu’il n’existe aucun droit à déduction de l’impôt payé en amont dans la mesure où le bien d’investissement est utilisé pour une activité échappant au champ d’application du régime de la TVA, mais qui ne peut pas être considérée comme étant effectuée à des «fins étrangères» à l’entreprise au sens de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive.


15 —      Voir, en ce sens, arrêt Puffer (précité note 7, point 49).


16 —      Arrêts Charles et Charles-Tijmens (précité note 7) et Puffer (précité note 7); en ce qui concerne plus particulièrement les terrains, voir arrêt Seeling (précité note 7).


17 —      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs du 10 novembre 1992 dans l’affaire Mohsche (arrêt du 25 mai 1993, C-193/91, Rec. p. I-2615, point 18) et du 6 avril 1995 dans l’affaire Armbrecht (arrêt du 4 octobre 1995, C-291/92, Rec. p. I-2775, points 39 et 49).


18 —      Arrêt Puffer (précité note 7, point 44): dans ce contexte, il convient également d’admettre d’éventuels avantages financiers (de liquidité) que cette disposition pourrait faire naître pour l’assujetti par rapport à un consommateur final: voir, en ce sens, arrêt Puffer (précité, points 55 à 57); voir également arrêt Wollny (précité note 7, point 38).


19 —      JO L 10, p. 14.


20 —      En vertu de son article 2, la directive 2009/162 devait être transposée pour le 1er janvier 2011.


21 —      JO L 347, p. 1.


22 —      Voir supra, point 25.


23 —      Voir supra, point 25.


24 —      Arrêt précité note 7, point 33.


25 —      Ordonnance de renvoi, sous 3.4.6.


26 —      Arrêt du 19 novembre 2009, Don Bosco Onroerend Goed (C-461/08, Rec. p. I-11079, point 35 et jurisprudence citée); voir, déjà, arrêt du 25 février 1999, CPP (C-349/96, Rec. p. I-973, point 29), concernant les prestations de services.


27 —      Voir, en ce sens, arrêts Lennartz (précité note 2, point 8) et du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen (C-378/02, Rec. p. I-4685, point 32).


28 —      Arrêt du 6 mai 1992, De Jong (C-20/91, Rec. p. I-2847, point 17).


29 —      Arrêt HE (précité note 7, point 48).


30 —      Voir arrêts, précités note 7, Seeling (points 43 et 47), Wollny (point 24) et Puffer (point 42).


31 —      Arrêt Armbrecht (précité note 7, points 19 et 20).


32 —      Conclusions du 22 décembre 2008, dans l’affaire Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie (précitée note 7, point 67).


33 —      Ibidem, point 73.


34 —      Ibidem, points 59 et suiv.


35 —      Voir, à cet égard le jugement du Gerechtshof te Leeuwarden, du 7 septembre 2007, BK 1024/04, point 2.5; en tant que décision de première instance, ce jugement a été joint à l’ordonnance de renvoi.


36 —      Voir supra, points 42 et 43.


37 —      Voir, en ce sens, arrêts Lennartz (précité note 2, point 8) et Waterschap Zeeuws Vlaanderen (précité note 27, point 32).


38 —      Arrêt De Jong (précité note 28, point 17).


39 —      Arrêt Lennartz (précité note 2, point 8); voir, également, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki (C-184/04, Rec. p. I-3039, point 38).


40 —      Arrêt Lennartz (précité note 2, point 14).


41 —      Voir, en ce sens, arrêts Lennartz (précité note 2, point 21), Bakcsi (précité note 7, point 29) et Eon Aset Menidjmunt (précité note 2, point 58).


42 —      Point 75 des conclusions de l’avocat général Jacobs du 20 janvier 2005 dans l’affaire Charles et Charles-Tijmens (précitée note 7).


43 —      Arrêt du 8 juin 2000, Breitsohl (C-400/98, Rec. p. I-4321, points 34 et 35); voir, également, arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 45 et jurisprudence citée).


44 —      Arrêt précité note 2, point 21.


45 —      Voir jugement du Gerechtshof te Leeuwarden, du 7 septembre 2007, BK 1024/04, point 2.3.


46 —      Arrêt Seeling (précité note 7).