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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 1er décembre 2011 ( 1 )

Affaires jointes C-578/10 à C-580/10

Staatssecretaris van Financiën

contre

L. A. C. van Putten (C-578/10),

P. Mook (C-579/10),

G. Frank (C-580/10)

[demande de décision préjudicielle

formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Taxation des véhicules non immatriculés à l’intérieur du pays, mais mis à la disposition de résidents — Article 63 TFUE — Libre circulation des capitaux — Article 21 TFUE — Droit des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement»

I – Introduction

1.

Ensemble avec la citoyenneté de l’Union, les libertés fondamentales semblent déployer un écran de protection complet pour les activités transfrontalières des citoyens de l’Union. Les présentes affaires indiquent toutefois la possibilité d’une faille, à savoir le prêt à usage transfrontalier sans contrepartie d’une chose, en l’espèce d’une voiture particulière.

2.

Si l’on peut ranger cette situation sous une des libertés fondamentales, y compris la libre circulation des citoyens de l’Union, le droit de l’Union limite d’éventuelles charges fiscales pour l’utilisation dudit véhicule dans l’État d’accueil ( 2 ). Cependant, le Royaume des Pays-Bas part de l’idée qu’aucune liberté fondamentale n’est applicable. Il taxe l’utilisation à l’intérieur du pays d’une voiture louée à l’étranger comme une première immatriculation et réclame environ la moitié de la valeur de la voiture au titre de la taxe d’immatriculation.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

Le cadre juridique de l’Union est déterminé par la libre circulation des citoyens de l’Union, visée à l’article 21 TFUE, et par la libre circulation des capitaux, visée à l’article 63 TFUE.

4.

Dans le cadre de l’examen de la libre circulation des capitaux, il faut se référer à la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité ( 3 ). Elle contient, à l’annexe I, une nomenclature des mouvements de capitaux qui, sous la rubrique XI, inclut les mouvements de capitaux à caractère personnel. Y sont mentionnées, entre autres, les transactions suivantes:

«A.

Prêts

B.

Dons et dotations

[…]

D.

Successions et legs

[…]»

5.

Le troisième alinéa de l’introduction de cette nomenclature indique toutefois qu’elle n’est pas exhaustive:

«La présente nomenclature n’est pas limitative de la notion de mouvement de capitaux, d’où la présence d’une rubrique XIII — F ‘Autres mouvements de capitaux: Divers’. Elle ne saurait donc être interprétée comme restreignant la portée du principe d’une libération complète des mouvements de capitaux, tel qu’énoncé à l’article 1er de la directive.»

B – Le droit néerlandais

6.

Le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) présente la situation en droit néerlandais, sur la base de la loi de 1992 sur la taxe sur les voitures particulières et les motos (Wet op de belasting van personenauto’s en motorrijwielen 1992, ci-après la «loi de 1992»), de la manière suivante.

7.

Sous le nom de «taxe sur les voitures particulières et les motos» (belasting van personenauto’s en motorrijwielen, ci-après la «taxe auto»), une taxe est perçue aux Pays-Bas sur les voitures particulières et les motos (article 1er, paragraphe 1, de la loi de 1992). La taxe auto est perçue à l’occasion des immatriculations des voitures particulières et des motos dans le registre néerlandais de l’immatriculation, ainsi qu’à l’occasion de la première utilisation de la voie publique aux Pays-Bas avec une voiture particulière ou une moto non enregistrées ou non enregistrées aux Pays-Bas, qui sont, en fait, à la disposition d’une personne physique domiciliée aux Pays-Bas ou d’un organisme qui y est établi.

8.

Le taux de la taxe pour une voiture particulière est — compte non tenu des augmentations ou des réductions mentionnées à l’article 9, paragraphe 1, de la loi de 1992 — de 45,2 % du prix catalogue net, c’est-à-dire du prix catalogue diminué de la taxe sur le chiffre d’affaires (taxe sur la valeur ajoutée) comprise dans ce prix. On entend par prix catalogue aux Pays-Bas le prix indiqué par le fabricant ou l’importateur au revendeur comme étant le prix qu’il convient, de son point de vue, de réclamer à l’acheteur final. En ce qui concerne les voitures particulières neuves (c’est-à-dire les voitures particulières autres que les voitures d’occasion), le prix catalogue est celui du début du jour auquel un numéro d’immatriculation a été attribué. En ce qui concerne les voitures d’occasion, le prix catalogue applicable est celui du moment où la voiture particulière a été utilisée pour la première fois aux Pays-Bas ou en dehors de ce pays. C’est ce dernier prix catalogue qui s’applique également lorsque la taxe auto est due lors de la première utilisation de la voie publique avec une auto qui n’est pas enregistrée aux Pays-Bas.

9.

En ce qui concerne le prélèvement de la taxe auto sur les voitures particulières d’occasion, il est tenu compte de la période d’utilisation déjà écoulée (article 10 de la loi de 1992). En fonction du moment auquel le véhicule a été utilisé pour la première fois, le montant de ladite taxe est réduit d’un pourcentage déterminé.

III – Les faits et les décisions de renvoi

10.

Mme van Putten et M. Mook ont la nationalité néerlandaise, Mme Frank est allemande. Tous trois vivaient aux Pays-Bas lorsque des fonctionnaires de l’administration fiscale ont constaté qu’ils conduisaient sur la voie publique une voiture particulière qui était munie d’une plaque d’immatriculation non pas néerlandaise, mais belge ou allemande.

11.

Le véhicule dans lequel Mme van Putten a été appréhendée était la propriété de son père résidant en Belgique. Lorsqu’elle a été contrôlée le 28 mars 2005, elle utilisait le véhicule temporairement aux Pays-Bas à des fins privées. On lui a ensuite réclamé une taxe à hauteur de 5955 euros.

12.

M. Mook utilisait un véhicule qui était la propriété d’un membre de sa famille résidant en Allemagne. Le jour du contrôle, le 19 août 1999, il était allé chercher le véhicule en Allemagne et l’utilisait temporairement aux Pays-Bas à des fins privées. Sa taxe s’élevait à 4097 NLG, c’est-à-dire 1859 euros.

13.

Le véhicule qu’utilisait Mme Frank était la propriété d’un ami résidant en Allemagne et avait été conduit par ce dernier aux Pays-Bas à l’occasion d’un séjour chez celle-ci. Lors du contrôle du 18 janvier 2005, Mme Frank utilisait le véhicule temporairement aux Pays-Bas à des fins privées. On lui a imposé une taxe de 6709 euros.

14.

Pour déterminer si cette taxation est appliquée à bon droit, le Hoge Raad der Nederlanden demande si les situations de fait des trois affaires relèvent du droit de l’Union:

Affaire C-578/10:

«Au vu de l’article 18 CE (devenu article 21 TFUE), la situation dans laquelle un État membre soumet la première utilisation d’un véhicule automobile sur le réseau routier de son territoire à une taxe, dans un cas dans lequel ce véhicule est immatriculé dans un autre État membre [et] est emprunté à un résident de cet autre État membre et [où] un résident du premier État membre circule sur le territoire de ce premier État membre avec le véhicule en question, est-elle une situation régie par le droit communautaire?»

Affaire C-579/10:

«Au vu de l’article 18 CE (devenu article 21 TFUE), la situation dans laquelle un État membre soumet la première utilisation d’un véhicule automobile sur le réseau routier de son territoire à une taxe, dans un cas dans lequel ce véhicule est immatriculé dans un autre État membre [et] est emprunté à un résident de cet autre État membre et [où] un résident du premier État membre circule à des fins privées entre ce premier État membre et l’autre État membre avec le véhicule en question, est-elle une situation régie par le droit communautaire?»

Affaire C-580/10:

«Au vu de l’article 18 CE (devenu article 21 TFUE), la situation dans laquelle un État membre soumet la première utilisation d’un véhicule automobile sur le réseau routier de son territoire à une taxe, dans un cas dans lequel ce véhicule est immatriculé dans un autre État membre [et] est emprunté à un résident de cet autre État membre et [où] un résident du premier État membre qui a la nationalité de l’autre État membre circule à des fins privées sur le territoire de ce premier État membre avec le véhicule en question, est-elle une situation régie par le droit communautaire?»

15.

Par ordonnance du 1er février 2011, le président de la Cour a joint les trois affaires. Le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et la Commission européenne ont participé à la procédure en déposant des observations écrites. Il n’y a pas eu d’audience.

IV – Appréciation en droit

16.

La taxation des véhicules automobiles n’a pas été harmonisée et diffère considérablement d’un État membre à l’autre. Les États membres sont donc libres d’exercer leur compétence fiscale en ce domaine, à condition de l’exercer dans le respect du droit communautaire ( 4 ).

17.

À cet égard, la décision de renvoi vise uniquement la compatibilité de ladite taxation avec la liberté de circuler des citoyens de l’Union. Étant donné toutefois que d’autres libertés fondamentales ont priorité par rapport à cette disposition ( 5 ), j’examinerai tout d’abord la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux.

A – Sur la libre prestation des services

18.

Le prêt à usage transfrontalier d’une voiture pourrait être un service au sens de l’article 57 TFUE. D’après cette disposition, les prestations de services sont des prestations fournies normalement contre rémunération.

19.

Si l’on n’envisage que de manière abstraite la mise à disposition d’une voiture aux fins d’une utilisation, cela pourrait être considéré comme une prestation de services. En effet, cela s’effectue normalement contre rémunération, par exemple comme voiture de location ( 6 ) ou au moyen du leasing ( 7 ).

20.

En revanche, si l’on envisage la forme juridique concrète de la mise à disposition, il ne s’agit pas d’une prestation effectuée à titre onéreux. En l’espèce, les véhicules sont effectivement mis à disposition par le biais d’un prêt gratuit.

21.

Dans le cadre de la qualification d’activités aux fins de l’application de la libre prestation des services, la Cour, en cas de doute, envisage les circonstances concrètes de la prestation. Lorsque celle-ci n’est pas de nature économique, la Cour écarte l’application de cette liberté. Ainsi, elle l’applique non pas à la fréquentation d’écoles d’État qui sont financées par des fonds publics, mais bien à la fréquentation d’écoles qui sont essentiellement financées par des moyens privés ( 8 ).

22.

De la même manière, il convient également d’envisager les circonstances concrètes lors de la mise à disposition de voitures. Par conséquent, la libre prestation des services n’est pas applicable au prêt gratuit en l’espèce ( 9 ).

B – Sur la libre circulation des capitaux

23.

À première vue, l’application de la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63 TFUE semble également éloignée. Néanmoins, il existe des transactions qui, par leur nature, s’apparentent à un prêt gratuit et qui relèvent de cette liberté, à savoir la transmission par héritage et le don de biens.

24.

S’agissant de l’article 63 TFUE, il est de jurisprudence constante que, en l’absence, dans le traité FUE, de définition de la notion de «mouvements de capitaux», la nomenclature de l’annexe I de la directive 88/361 conserve une valeur indicative, étant entendu que, conformément au troisième alinéa de l’introduction de cette annexe, la nomenclature qu’elle contient n’est pas limitative de la notion de mouvements de capitaux ( 10 ).

25.

À cet égard, la Cour a déjà jugé que les successions et les dons, qui relèvent de la rubrique XI de l’annexe I de la directive 88/361, intitulée «Mouvements de capitaux à caractère personnel», constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 TFUE, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ( 11 ).

26.

L’élément transfrontalier nécessaire est évident en l’espèce. Les véhicules ont été prêtés par des personnes qui vivent dans un autre État membre à des personnes qui vivent aux Pays-Bas et qui y utilisent lesdits véhicules.

27.

Ce qui est toutefois déterminant c’est de savoir si le prêt à usage transfrontalier peut être considéré comme un mouvement de capitaux.

28.

En ce qui concerne la déductibilité fiscale d’une somme reflétant la valeur de dons faits à des personnes tierces résidant dans un autre État membre, la Cour a déclaré qu’il n’est pas pertinent de savoir, afin de déterminer si la législation nationale en cause relève des dispositions du traité relatives aux mouvements de capitaux, si les dons sous-jacents ont été effectués en espèces ou en nature ( 12 ).

29.

La mise à disposition d’un véhicule aux fins d’une utilisation gratuite ne se distingue pas fondamentalement d’un don en nature. On doit certes restituer la chose, mais on peut l’utiliser temporairement à titre gratuit. Cet avantage en termes d’utilisation est obtenu par le bénéficiaire — tout comme dans le cas d’un don — de manière définitive. Cela peut représenter une valeur économique non négligeable, qui peut être déterminée de manière précise par une comparaison avec les coûts d’une voiture de location correspondante.

30.

L’arrêt relatif aux dons en nature ( 13 ) ne concernait certes pas des mesures à charge du bénéficiaire du don, mais leur prise en considération fiscale dans le chef du donateur. Toutefois, au regard de la libre circulation des capitaux, il importe peu de savoir s’il y a des restrictions dans le chef du prestataire ou dans le chef du bénéficiaire. Ainsi, la plupart des affaires en matière de succession concernaient la taxation de l’héritier ( 14 ).

31.

Par conséquent, le prêt à usage transfrontalier à titre gratuit d’une voiture est un mouvement de capitaux au sens de l’article 63 TFUE.

32.

Les définitions typiques d’une restriction aux mouvements de capitaux en cas de transactions à titre gratuit ne sont toutefois pas pertinentes pour les cas d’espèce. La taxation de l’utilisation de véhicules par des résidents ne peut dissuader les non-résidents de faire des investissements dans l’État membre ou de maintenir de tels investissements ( 15 ), et elle ne diminuera pas non plus la valeur de la succession ( 16 ).

33.

Cependant, cette taxation est susceptible de dissuader le bénéficiaire du véhicule emprunté d’accepter et d’utiliser l’avantage. La taxe peut en effet être plusieurs fois supérieure à la valeur de l’utilisation. Cette entrave à l’acceptation d’une prestation transfrontalière à titre gratuit limite la libre circulation des capitaux ( 17 ).

34.

Par ailleurs, du point de vue du bénéficiaire du prêt, il s’agit à tout le moins d’une pénalisation du prêt transfrontalier par rapport au prêt à l’intérieur des frontières. Étant donné que, dans le cas d’un prêt à l’intérieur des frontières, la taxe d’immatriculation a déjà été payée pour le véhicule, le bénéficiaire ne doit pas craindre d’être soumis à la taxe ( 18 ). Le Hoge Raad der Nederlanden ne demande pas dans quelle mesure ce traitement défavorable est justifié. Par ailleurs, les remarques justificatives énoncées ci-dessus ( 19 ) s’appliquent aussi ici.

35.

Par conséquent, il convient de répondre aux questions préjudicielles qu’une taxe qu’un État membre perçoit lorsqu’une personne résidant sur son territoire utilise sur son réseau routier et à des fins privées une voiture qui a été immatriculée dans un autre État membre et qui a été empruntée à un résident de cet autre État membre restreint la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63 TFUE.

C – Sur la liberté de circuler des citoyens de l’Union

36.

Pour l’hypothèse où la Cour ne suit pas mon avis sur l’application de la libre circulation des capitaux, j’examine, à titre subsidiaire, la question de savoir si la liberté de circuler des citoyens de l’Union est applicable.

37.

L’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union. Par conséquent, Mme van Putten, M. Mook et Mme Frank sont citoyens de l’Union. Ainsi que la Cour l’a relevé à plusieurs reprises, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres ( 20 ).

38.

En vertu de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. L’application de cette disposition soulève en l’espèce deux problèmes, qui sont imbriqués. Premièrement, la juridiction de renvoi pose la question de savoir s’il s’agit d’une situation purement interne. Deuxièmement, se pose la question de savoir si la taxation de l’utilisation de véhicules empruntés et immatriculés à l’étranger restreint le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

1. Sur l’exclusion d’une situation purement interne

39.

La citoyenneté de l’Union n’a pas pour objectif d’étendre le champ d’application matériel du traité également à des situations internes n’ayant aucun rattachement au droit communautaire ( 21 ).

40.

Contrairement à l’opinion du Royaume des Pays-Bas, je considère toutefois évident que la présente affaire ne concerne pas des faits purement nationaux. La taxation néerlandaise vise uniquement des véhicules étrangers, étant donné qu’elle se rattache au fait que les voitures utilisées ne sont pas immatriculées aux Pays-Bas. Par conséquent, elle s’applique en pratique au prêt à usage transfrontalier à titre gratuit de véhicules à des personnes résidant aux Pays-Bas. En revanche, en cas de prêt à usage à titre gratuit à l’intérieur du pays, cette taxe ne s’applique pas, étant donné que, dans ce cas, les véhicules seraient immatriculés aux Pays-Bas ( 22 ).

2. Sur la restriction de l’article 21, paragraphe 1, TFUE

41.

Se pose toutefois la question de savoir si la liberté de circuler des citoyens de l’Union n’est pas restreinte.

42.

En se basant sur le texte de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, le Hoge Raad der Nederlanden ( 23 ) défend l’opinion selon laquelle la taxation porte atteinte au domaine de protection de cette disposition. Le droit de circuler librement sur le territoire des Pays-Bas est restreint par la taxation de l’utilisation des véhicules. Les personnes concernées ne peuvent utiliser les véhicules à des fins de déplacement que si elles s’acquittent de la taxe auto.

43.

Milite en faveur de cette thèse un arrêt dans lequel la Cour a déjà envisagé une restriction lorsqu’une région belge adopte des réglementations qui rendent moins attractif pour les citoyens des autres régions belges le fait de se domicilier à un endroit déterminé de Belgique ( 24 ). La portée de la liberté de circuler des citoyens de l’Union ne serait limitée que par l’exclusion de faits purement internes, c’est-à-dire des Belges qui n’ont jamais exercé leur liberté de circuler ( 25 ).

44.

En l’espèce, je ne considère toutefois pas raisonnable d’approfondir cette jurisprudence — qui ne va pas sans poser de problème ( 26 ) — puisqu’il y a suffisamment de points de rattachement à la libre circulation transfrontalière.

45.

La liberté de franchir les frontières des États membres est incontestablement protégée par la liberté fondamentale visée à l’article 21 TFUE. Les facilités ouvertes par le traité en matière de libre circulation ne pourraient produire leurs pleins effets si un ressortissant d’un État membre pouvait être dissuadé d’en faire usage par les obstacles mis à son séjour dans l’État membre d’accueil en raison d’une réglementation de son État d’origine pénalisant le fait qu’il les a exercées ( 27 ). Par conséquent, l’article 21 TFUE s’oppose à des mesures susceptibles d’empêcher un citoyen de l’Union de se déplacer dans d’autres États membres, ou d’avoir des effets dissuasifs ou de rendre moins attractif l’exercice de cette liberté ( 28 ).

46.

Les présentes affaires contiennent des restrictions à la libre circulation transfrontalière, étant donné que l’on applique à l’utilisation interne de véhicules empruntés gratuitement à l’étranger une taxe à hauteur de la moitié de la valeur du véhicule. Cette taxation de l’utilisation occasionnelle d’un véhicule emprunté à l’étranger équivaut à une interdiction de cette utilisation. En étant fixée à environ la moitié de la valeur du véhicule, ladite taxe correspond en effet à plusieurs fois la valeur économique de l’utilisation.

47.

Ce faisant, il importe peu de savoir si, dans un cas concret, les citoyens de l’Union eux-mêmes, en rapport avec le prêt à usage du véhicule, ont franchi les frontières entre les États membres et si ce passage des frontières a été rendu moins attractif par cette même taxation. Au contraire, il suffit que la taxe en cause restreigne les relations transfrontalières des citoyens de l’Union concernés.

48.

Le prêt à usage gratuit de véhicules — mais également d’autres objets — est l’expression des relations entre les parties, qu’elles soient de nature familiale ou amicale ( 29 ).

49.

Lorsque ces relations dépassent les frontières des États membres, elles se fondent généralement sur le fait que des personnes ont franchi auparavant ces frontières. Ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, la liberté fondamentale visée à l’article 21 TFUE doit protéger précisément les activités transfrontalières non économiques des citoyens de l’Union et donc notamment les relations transfrontalières sociales.

50.

Un État membre qui perçoit une taxe à l’occasion du prêt à usage transfrontalier à titre gratuit de véhicules porte ainsi atteinte à la réalisation de la liberté de circuler. Par conséquent, cette taxation est une restriction de la liberté fondamentale visée à l’article 21 TFUE.

51.

Dans l’hypothèse où la Cour ne constate aucune restriction à la libre circulation des capitaux, elle devrait donc répondre aux questions préjudicielles en ce sens qu’une taxe qu’un État membre perçoit lorsqu’une personne résidant sur son territoire utilise sur son réseau routier et à des fins privées une voiture qui a été immatriculée dans un autre État membre et qui a été empruntée à un résident de cet autre État membre restreint la liberté de circuler des citoyens de l’Union visée à l’article 21, paragraphe 1, TFUE.

D – Sur la justification de la restriction

52.

Certes, la République de Finlande s’est employée à justifier une éventuelle restriction, bien que le Hoge Raad der Nederlanden n’ait rien demandé en ce sens. Même l’Advocaat-Generaal van Hilten n’a pas proposé de questions en ce sens, mais n’a fait qu’à peine exprimer ses doutes quant à la possibilité d’une justification ( 30 ).

53.

Par conséquent, je souhaiterais uniquement ajouter les observations suivantes.

54.

Selon une jurisprudence constante, un État membre peut soumettre à une taxe d’immatriculation un véhicule mis à la disposition d’une personne résidente par une société établie dans un autre État membre lorsque ce véhicule est destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire du premier État membre à titre permanent ou est, en fait, utilisé de cette façon ( 31 ). Si l’on ne peut pas établir une utilisation permanente ou une destination correspondante, une taxation nécessite, premièrement, une «autre» justification ( 32 ) et, deuxièmement, elle ne peut être que proportionnelle à la durée de l’utilisation dans l’État membre concerné ( 33 ).

55.

Étant donné que la réglementation néerlandaise vise vraisemblablement à lutter contre l’évasion fiscale, il convient de faire observer que la Cour a déjà déclaré qu’une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscale ne saurait être fondée sur la circonstance qu’un employeur établi dans un autre État membre met un véhicule de société à la disposition d’un travailleur résidant dans l’État membre concerné à des fins professionnelles, voire professionnelles et privées. Une telle présomption ne saurait ainsi justifier une mesure fiscale portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité ( 34 ).

56.

Par conséquent, cela milite fortement en faveur de l’hypothèse que même le prêt à usage à titre gratuit d’un véhicule depuis un autre État membre ne saurait être retenu comme motif pour supposer l’existence d’une évasion fiscale.

57.

En revanche, il ne semble pas exclu, en raison du risque d’une évasion fiscale, de surveiller de manière appropriée le prêt à usage à titre gratuit de véhicules en provenance d’autres États membres et de sanctionner efficacement le contournement des mesures de surveillance. Étant donné toutefois que la décision de renvoi ne fait pas référence à des réglementations correspondantes, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les conditions d’un tel système.

V – Conclusion

58.

Par conséquent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«Une taxe qu’un État membre perçoit lorsqu’une personne résidant sur son territoire utilise sur son réseau routier et à des fins privées une voiture qui a été immatriculée dans un autre État membre et qui a été empruntée à un résident de cet autre État membre restreint la libre circulation des capitaux visée à l’article 63 TFUE.»


( 1 )   Langue originale: l’allemand.

( 2 )   Ordonnance du 27 juin 2006, van de Coevering (C-242/05, Rec. p. I-5843, points 23 à 29 et jurisprudence citée).

( 3 )   JO L 178, p. 5.

( 4 )   Arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C-451/99, Rec. p. I-3193, point 40).

( 5 )   Voir, en ce qui concerne les prestations de services, arrêt du 16 décembre 2010, Josemans (C-137/09, Rec. p. I-13019, point 53), ainsi que, en ce qui concerne la libre circulation des capitaux, arrêt du 31 mars 2011, Schröder (C-450/09, Rec. p. I-2497, points 28 et suiv.).

( 6 )   Voir ordonnance van de Coevering (précitée à la note 2).

( 7 )   Voir arrêt Cura Anlagen (précité à la note 4).

( 8 )   Arrêt du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz (C-76/05, Rec. p. I-6849, points 38 et suiv. ainsi que jurisprudence citée). Voir également, en ce qui concerne les informations non économiques relatives aux cliniques pratiquant l’avortement, arrêt du 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland (C-159/90, Rec. p. I-4685, point 26).

( 9 )   Voir également, en ce sens, Advocaat-Generaal van Hilten, Bijlage bij de conclusies van 4 septembre 2009 in de zaken met rolnummers 08/04259, 08/04991, 09/01256 et 09/01693 (annexe à la décision de renvoi no 3.1.5).

( 10 )   Arrêt Schröder (précité à la note 5, point 25 et jurisprudence citée).

( 11 )   Arrêt Schröder (précité à la note 5, point 26 et jurisprudence citée).

( 12 )   Arrêt du 27 janvier 2009, Persche (C-318/07, Rec. p. I-359, points 25 et suiv.).

( 13 )   Précité à la note 12.

( 14 )   Voir arrêts Schröder (précité à la note 5) ainsi que du 15 septembre 2011, Halley (C-132/10, Rec. p. I-8353).

( 15 )   Arrêt Schröder (précité à la note 5, point 30 et jurisprudence citée).

( 16 )   Arrêt du 10 février 2011, Missionswerk Werner Heukelbach (C-25/10, Rec. p. I-497, point 22).

( 17 )   Voir, en ce sens, arrêt Persche (précité à la note 12, points 38 et suiv.).

( 18 )   Voir informations relatives au droit néerlandais au point 7 des présentes conclusions.

( 19 )   Voir points 54 et suiv. des présentes conclusions.

( 20 )   Arrêt du 2 octobre 2003, Garcia Avello (C-148/02, Rec. p. I-11613, point 22).

( 21 )   Arrêts du 5 juin 1997, Uecker et Jacquet (C-64/96 et C-65/96, Rec. p. I-3171, point 23), ainsi que Garcia Avello (précité à la note 20, point 26).

( 22 )   Voir informations relatives au droit néerlandais au point 7 des présentes conclusions.

( 23 )   À l’inverse, voir Advocaat-Generaal van Hilten, Bijlage bij de conclusies van 4 septembre 2009 in de zaken met rolnummers 08/04259, 08/04991, 09/01256 et 09/01693 (annexe à l’ordonnance de renvoi no 5.2.2.3.), qui propose de demander à la Cour si l’article 21, paragraphe 1, TFUE vise également la liberté de circuler sur le territoire d’un État membre.

( 24 )   Arrêt du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon (C-212/06, Rec. p. I-1683, point 41).

( 25 )   Arrêt Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon (précité à la note 24, points 37 et suiv.).

( 26 )   Voir point 146 et note en bas de page 118 ainsi que, de manière plus générale, points 135 et suiv. des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano (C-34/09, Rec. p. I-1177).

( 27 )   Arrêts du 29 avril 2004, Pusa (C-224/02, Rec. p. I-5763, point 19), ainsi que du 26 octobre 2006, Tas-Hagen et Tas (C-192/05, Rec. p. I-10451, point 30).

( 28 )   Arrêt du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne (C-152/05, Rec. p. I-39, points 24, 26 et 30).

( 29 )   Au point 128 des conclusions qu’elle a présentées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ruiz Zambrano (précité à la note 26), l’avocat général Sharpston a également souligné à juste titre la composante humaine de la citoyenneté et de l’Union.

( 30 )   Précité à la note 23 (point 3.5).

( 31 )   Ordonnance van de Coevering (précitée à la note 2, point 24 et jurisprudence citée).

( 32 )   Arrêts du 15 septembre 2005, Commission/Danemark (C-464/02, Rec. p. I-7929, point 79); du 23 février 2006, Commission/Finlande (C-232/03, point 48), et ordonnance van de Coevering (précitée à la note 2, point 26).

( 33 )   Arrêt Cura Anlagen (précité à la note 4, point 69) et ordonnance van de Coevering (précitée la note 2, point 27).

( 34 )   Arrêts Commission/Danemark (précité à la note 32, point 81) ainsi que du 15 décembre 2005, Nadin et Nadin-Lux (C-151/04 et C-152/04, Rec. p. I-11203, point 46).