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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Eleanor SHARPSTON

présentées le 26 janvier 2012 (1)

Affaires jointes C-621/10 et C-129/11

ADSITS Balkan and Sea Properties (C-621/10),

OOD Provadinvest (C-129/11)

contre

Direktor na Direktsia ‘Obzhalvane I upravlenie na izpalnenieto’ — Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite

[demandes de décision préjudicielle
formées par l’Administrativen sad Varna (Bulgarie)]

«TVA — Opérations entre personnes liées — Étendue de la faculté des États membres, prévue par la directive 2006/112/CE, de prélever la taxe sur la valeur normale — Possibilité d’appliquer directement la directive lorsque la législation nationale va au-delà du cadre de cette faculté»





1.        Par ces demandes de décision préjudicielle, l’Administrativen sad Varna (cour administrative de Varna) (Bulgarie) souhaite obtenir des précisions sur les limites de la faculté qu’ont les États membres, en vertu de l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE (2), de s’écarter, dans certains cas, de la règle générale en matière de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») — selon laquelle la base d’imposition est constituée par la contrepartie effectivement obtenue par le fournisseur ou le prestataire — pour calculer la TVA sur la base de la valeur normale de la livraison ou de la prestation. La juridiction de renvoi souhaite également savoir si la législation bulgare, qui a fait usage de cette faculté au-delà des seuls cas de figure prévus par la directive 2006/112, est compatible avec celle-ci et, dans la négative, si l’article 80, paragraphe 1, de ladite directive est d’effet direct et donc applicable directement par une juridiction nationale.

 La législation de l’Union européenne en matière de TVA

2.        Le principe général du système de TVA est énoncé à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/112:

«Le principe du système commun de TVA est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des opérations intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

Le système commun de TVA est appliqué jusqu’au stade du commerce de détail inclus.»

3.        L’article 73 de la directive 2006/112 (3) énonce la règle générale permettant de déterminer la base d’imposition de la TVA:

«Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77 [(4)], la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations.»

4.        L’article 80 de la directive 2006/112 autorise une autre exception à cette règle générale:

«1.      Afin de prévenir la fraude ou l’évasion fiscales, les États membres peuvent prendre des mesures pour que, pour les livraisons de biens et les prestations de services à des bénéficiaires avec lesquels il existe des liens familiaux ou d’autres liens personnels étroits, des liens organisationnels, de propriété, d’affiliation, financiers ou juridiques tels que définis par l’État membre, la base d’imposition soit constituée par la valeur normale de l’opération dans les cas suivants:

a)      lorsque la contrepartie est inférieure à la valeur normale et que le destinataire de la livraison ou de la prestation n’a pas le droit de déduire entièrement la TVA en vertu des articles 167 à 171 et des articles 173 à 177 [(5)];

b)      lorsque la contrepartie est inférieure à la valeur normale et que le fournisseur ou prestataire n’a pas le droit de déduire entièrement la TVA en vertu des articles 167 à 171 et des articles 173 à 177 et que la livraison ou la prestation fait l’objet d’une exonération en vertu des articles 132, 135, 136, 371, 375, 376 et 377, de l’article 378, paragraphe 2, de l’article 379, paragraphe 2, et des articles 380 à 390 ter [(6)];

c)      lorsque la contrepartie est supérieure à la valeur normale et que le fournisseur ou prestataire n’a pas le droit de déduire entièrement la TVA en vertu des articles 167 à 171 et des articles 173 à 177.

Aux fins du premier alinéa, les liens juridiques peuvent inclure la relation établie entre un employeur et un salarié, la famille du salarié ou d’autres personnes qui lui sont proches.

2.      Lorsqu’ils font usage de la faculté prévue au paragraphe 1, les États membres peuvent définir les catégories de fournisseurs, prestataires, acquéreurs ou preneurs auxquelles les mesures s’appliquent.

[…]»

5.        Il est utile de comprendre pourquoi cette faculté de dérogation a été introduite (7).

6.        En règle générale, les opérateurs économiques n’ont aucun intérêt à fixer les prix sur la base du montant de TVA qui grèvera leurs livraisons ou leurs prestations, en particulier lorsque les deux parties sont des assujettis qui ont le droit de déduire entièrement la TVA acquittée en amont (8). Si ce n’est pas le cas, on peut envisager, dans l’hypothèse d’un accord du fournisseur ou du prestataire et du client sur un prix majoré ou minoré artificiellement, des situations caractérisées par une réduction de la charge fiscale globale que représente la TVA et donc du montant de TVA perçu. Deux cas de figure en particulier doivent être relevés.

7.        Le premier concerne l’hypothèse du client qui ne bénéficie pas du droit de déduire entièrement la TVA (il peut s’agir du consommateur final, d’un assujetti qui utilise des livraisons ou des prestations pour ses opérations exonérées, ou encore d’un assujetti mixte dont le droit à déduction n’est que proportionnel (9)). Ce client a tout intérêt à payer moins de TVA sur les biens et les services qu’il utilise en les achetant à des prix artificiellement bas. Telle est la situation envisagée par l’article 80, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112.

8.        Le second cas de figure se présente lorsque le fournisseur ou le prestataire est un assujetti mixte dont le droit à déduction de la TVA dépend du prorata de ses opérations taxées par rapport au total de ses opérations. Le prorata de TVA déductible augmentera dès lors que la valeur de ses opérations exonérées sera artificiellement réduite ou que la valeur de ses opérations taxées sera artificiellement augmentée (il s’agit des situations envisagées à l’article 80, paragraphe 1, sous b) et c) respectivement (10)).

9.        De tels arrangements ne sont toutefois guère probables, sauf si les deux parties sont liées si étroitement que le prix effectivement facturé, hors TVA, n’a pour elles globalement aucune signification d’un point de vue financier — dans des circonstances normales, d’un point de vue commercial, il est absurde pour un fournisseur ou un prestataire d’accepter un prix artificiellement bas ou pour un client d’accepter un prix artificiellement élevé. L’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 limite donc la faculté d’asseoir la taxe sur la valeur normale aux livraisons ou aux prestations «à des bénéficiaires avec lesquels il existe des liens familiaux ou d’autres liens personnels étroits, des liens organisationnels, de propriété, d’affiliation, financiers ou juridiques».

10.      L’article 72 de la directive 2006/112 définit la «valeur normale» comme «le montant total qu’un acquéreur ou un preneur, se trouvant au stade de commercialisation auquel est effectuée la livraison de biens ou la prestation de services, devrait payer, dans des conditions de pleine concurrence, à un fournisseur ou prestataire indépendant sur le territoire de l’État membre dans lequel l’opération est imposable, pour se procurer à ce moment les biens ou les services en question».

 La législation bulgare en matière de TVA

11.      La juridiction de renvoi mentionne un certain nombre de dispositions de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Zakon za danak varhu dobavenata stoynost, ci-après le «ZDDS») de 2006. En particulier:

–        en vertu de l’article 27, paragraphe 3, point 1, lors d’une livraison entre personnes liées, la base imposable est la valeur normale;

–        en vertu de l’article 45, paragraphe 1, le transfert du droit de propriété ou de droits réels limités sur des biens immeubles constitue une livraison exonérée;

–        l’article 45, paragraphe 5, point 2, prévoit que l’article 45, paragraphe 1, ne s’applique pas au transfert du droit de propriété ou d’autres droits réels ni à la location d’équipements, machines, accessoires ou bâtiments durablement fixés au sol ou construits sous la surface du sol;

–        selon l’article 70, paragraphe 5, lorsqu’une taxe a été calculée sans respecter la loi, aucun droit à déduction de la TVA acquittée en amont ne peut être invoqué.

12.      Il y a lieu de citer, en tant que réglementation également pertinente, certaines dispositions complémentaires du Danachno-osiguritelen protsesualen kodeks (code de procédure fiscale et de la sécurité sociale, ci-après le «DOPK»). En particulier:

–        le paragraphe 1, point 3, définit les «personnes liées» aux fins de l’application de l’article 27, paragraphe 3, point 1, du ZDDS (de façon plus détaillée que l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, tout en respectant la latitude accordée par cette disposition);

–        selon le paragraphe 1, point 8, la valeur normale est le montant, hors TVA et droits d’accises, qui serait payé dans les mêmes conditions pour un bien ou pour un service identiques ou similaires entre des personnes qui ne sont pas liées;

–        le paragraphe 1, point 10, énumère cinq méthodes de détermination des valeurs normales dont les modalités d’application sont fixées par décret du ministre des Finances.

 Les faits, la procédure et les questions déférées

 Affaire ADSITS Balkan and Sea Properties (C-621/10)

13.      En 2009, l’ADSITS Balkan and Sea Properties (ci-après «Balkan and Sea»), société d’investissement immobilier, a acheté un certain nombre de biens immobiliers dans le village de Ravda à l’EOOD Ravda tur, pour un montant total de 21 318 852 BGN (11). L’EOOD Ravda tur est une société à responsabilité limitée à un seul associé, liée à Balkan and Sea au sens du paragraphe 1, point 3, des dispositions complémentaires du DOPK. La TVA a été calculée sur ce prix (12) et Balkan and Sea a voulu déduire cette taxe du montant de la TVA due au titre de ses opérations imposables en aval.

14.      Selon une expertise demandée par les autorités fiscales, la valeur normale des biens a été estimée à 21 216 300 BGN. Elles ont donc considéré que la valeur de l’opération avait été augmentée de 102 552 BGN, que la TVA calculée sur la base de ce montant avait été calculée sans respecter la loi au sens de l’article 70, paragraphe 5, du ZDDS et qu’il n’y avait donc aucun droit à déduction au titre de cette partie de la taxe, d’un montant de 20 510,42 BGN (13).

15.      Le recours de Balkan and Sea à l’encontre de cet avis d’imposition est désormais devant l’Administrativen sad Varna qui a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter l’article 80, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 […] en ce sens que, lors d’une livraison entre personnes liées, lorsque la contrepartie est supérieure à la valeur vénale, la base imposable est la valeur [normale] de la transaction seulement lorsque le fournisseur n’a pas le droit de déduire en totalité la TVA payée sur l’achat/la vente des marchandises faisant l’objet de la livraison?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 80, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 […] en ce sens que, lorsque le fournisseur a exercé le droit de déduire en totalité la TVA payée pour les marchandises et services qui font l’objet d’une livraison ultérieure entre des personnes liées à un prix supérieur à la [normale] et que ce droit à déduction n’est pas corrigé en vertu des articles 173 à 177 [(14)] de la directive, alors, l’État membre ne peut pas prendre de mesures prévoyant que la base imposable est uniquement la valeur [normale]?

3)      L’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 […] énumère-t-il de manière limitative les cas de figure dans lesquels sont réunies les conditions permettant à l’État membre de prendre des mesures selon lesquelles la base imposable est la valeur [normale] de la transaction?

4)      Une disposition de droit national comme celle de l’article 27, paragraphe 3, point 1, du ZDDS est-elle admissible dans d’autres circonstances que celles énumérées à l’article 80, paragraphe 1, sous a), b) et c), de la directive 2006/112 […]?

5)      Dans un cas tel que celui en l’espèce, la disposition de l’article 80, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 […] a-t-elle un effet direct et la juridiction nationale peut-elle l’appliquer directement?»

 Affaire OOD Provadinvest (C-129/11)

16.      OOD Provadinvest (ci-après «Provadinvest») est une société anonyme ayant pour activité la location de parcelles de terrains agricoles pour l’exploitation de serres sous forme de structures en acier recouvertes de polyéthylène (ou de structures en polyéthylène — la nature précise de ces structures n’est pas tout à fait claire dans la décision de renvoi). En 2009, elle a ainsi vendu trois terrains, ayant chacun une superficie d’environ six hectares, avec les structures de serres érigées sur ces terrains et toutes les améliorations et les cultures permanentes qui s’y trouvaient. Deux de ces terrains ont été vendus à l’un de ses associés et le troisième à son représentant. Le prix était à chaque fois de 25 000 BGN et aucune TVA n’était indiquée sur les factures.

17.      Les terrains, les structures de serres, les améliorations et les cultures ont été estimés par un expert qui a déterminé la valeur normale des structures érigées sur les trois terrains à un total de 392 700 BGN.

18.      Sur cette base, les autorités fiscales ont considéré que les opérations consistaient à la fois en des livraisons exonérées (terrains) et en des livraisons imposables (accessoires, améliorations et cultures). S’agissant des livraisons imposables, dans la mesure où les parties étaient liées au sens du paragraphe 1, point 3, des dispositions complémentaires du DOPK, la base d’imposition était la valeur normale telle qu’estimée par l’expert. Les autorités fiscales ont donc fixé la TVA à 78 540 BGN.

19.      Le recours de Provadinvest à l’encontre de cet avis d’imposition se trouve désormais devant l’Administrativen sad Varna qui a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter l’article 80, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2006/112 […] en ce sens que, lors d’une livraison entre personnes liées, lorsque la contrepartie est inférieure à la valeur normale, la base d’imposition est la valeur [normale] de l’opération seulement lorsque le fournisseur ou l’acheteur n’ont pas le droit de déduire en totalité une TVA en amont sur l’achat et/ou la création des biens faisant l’objet de la livraison?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 80, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2006/112 […] en ce sens que, lorsque le fournisseur a exercé un droit de déduire une TVA en amont en totalité sur les biens et les services faisant l’objet d’une livraison ultérieure entre des personnes liées d’une valeur inférieure à la valeur [normale], alors que ce droit à une déduction de TVA en amont n’a pas été corrigé en vertu des articles 173 à 177 [(15)] de la directive et que la livraison est insusceptible d’exonération en vertu des articles 132, 135, 136, 371, 375, 376, 377, 378, paragraphe 2, 379, paragraphe 2, ou 380 à 390 de la directive, l’État membre ne peut pas prendre de mesures prévoyant que la base d’imposition est seulement la valeur normale?

3)      Convient-il d’interpréter l’article 80, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2006/112 […] en ce sens que, lorsque l’acheteur a exercé un droit de déduire une TVA en amont en totalité sur les biens et les services faisant l’objet d’une livraison ultérieure entre des personnes liées d’une valeur inférieure à la valeur [normale], alors que ce droit à déduction d’une TVA en amont n’est pas corrigé en vertu des articles 173 à 177 de la directive, l’État membre ne peut pas prendre de mesures prévoyant que la base d’imposition est uniquement la valeur normale?

4)      L’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 […] énumère-t-il de manière limitative les cas de figure dans lesquels sont réunies les conditions permettant à l’État membre de prendre des mesures selon lesquelles la base imposable est la valeur [normale] de la transaction?

5)      Une disposition de droit national telle que celle de l’article 27, paragraphe 3, point 1, du ZDDS est-elle admissible dans d’autres situations que celles énumérées à l’article 80, paragraphe 1, sous a), b) et c), de la directive 2006/112 […]?

6)      Dans un cas tel que celui en l’espèce, la disposition de l’article 80, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2006/112 […] a-t-elle un effet direct et la juridiction nationale peut-elle l’appliquer directement?»

20.      Des observations écrites ont été présentées à la Cour par le gouvernement bulgare dans l’affaire C-621/10 et par la Commission européenne dans les deux affaires. Ni Balkan and Sea ni Provadinvest n’ont présenté d’observations. Nul n’ayant souhaité être entendu en ses observations orales, aucune audience n’a été tenue.

 Analyse

 Remarques préliminaires

21.      Bien que la question de la recevabilité de ces demandes de décision préjudicielle n’ait pas été soulevée, force est de constater que les décisions de renvoi ne sont pas, s’agissant de l’exposé des circonstances des procédures au principal, aussi détaillées que ce que l’on pourrait souhaiter. En particulier, il aurait été préférable que la juridiction de renvoi soit, dans un cas comme dans l’autre, plus explicite sur la question de l’étendue concrète du droit à déduction de la TVA dont bénéficiait chaque partie aux opérations litigieuses et/ou qu’elle a exercé.

22.      Néanmoins, il ressort des décisions de renvoi que la disposition pertinente du droit national, à savoir l’article 27, paragraphe 3, point 1, du ZDDS, n’énonce aucune condition, quant à son applicabilité, en ce qui concerne l’étendue du droit à déduction des parties liées. De plus, la formulation des questions elle-même montre que, selon la juridiction de renvoi, les circonstances des procédures au principal, si elles relèvent du champ d’application de l’article 27, paragraphe 3, point 1, du ZDDS, ne relèvent pas en revanche de celui de l’article 80, paragraphe 1, sous a), b) ou c), de la directive 2006/112, en tout cas si l’on s’en tient à une interprétation stricte et littérale de son libellé — en d’autres termes, que les parties concernées par les opérations bénéficiaient dans les deux cas d’un plein droit à déduction.

23.      La première des questions déférées dans les deux affaires cherche à savoir, pour l’essentiel, si la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 concerne uniquement les situations dans lesquelles le fournisseur ou le prestataire, ou bien le client, selon le cas, ne dispose pas d’un plein droit de déduction. La deuxième question de l’affaire C-621/10 et les deuxième et troisième questions de l’affaire C-129/11 visent à déterminer si, lorsqu’un tel fournisseur, prestataire ou client, selon le cas, a exercé son droit de déduire entièrement la TVA, il est exclu que les États membres puissent retenir la valeur normale comme base imposable. La troisième question de l’affaire C-621/10 et la quatrième question de l’affaire C-129/11 cherchent à savoir si l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 énumère de manière limitative les cas de figure dans lesquels un État membre peut considérer la valeur normale comme la base d’imposition. La quatrième question de l’affaire C-621/10 et la cinquième question de l’affaire C-129/11 visent à déterminer si une disposition nationale prévoyant que la valeur normale constitue le montant imposable pour toutes les opérations réalisées entre des personnes liées peut être admise dans des cas de figure autres que ceux énumérés à l’article 80, paragraphe 1, de ladite directive.

24.      Toutes ces questions visent à déterminer l’étendue de la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 et je les traiterai ensemble.

25.      La dernière question déférée dans chacune des deux affaires est celle de l’effet direct des dispositions de l’article 80, paragraphe 1, et de leur applicabilité directe par les juridictions nationales. Il s’agit d’une problématique différente que j’aborderai séparément.

26.      Enfin, j’examinerai deux points qui, bien qu’ils n’aient pas été soulevés dans les décisions de renvoi, pourraient être utiles à la juridiction nationale dans l’adoption d’une décision finale: dans l’affaire C-621/10, l’évaluation de la valeur normale et, dans l’affaire C-129/11, la question de savoir dans quelle mesure les opérations doivent être considérées comme exonérées ou imposables.

 L’étendue de la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112

27.      Il me semble clair — et cette analyse est du reste partagée tant par le gouvernement bulgare que par la Commission — que la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 est limitée aux cas de figure mentionnés clairement dans ses dispositions. Par conséquent, un État membre ne saurait adopter une législation prévoyant que la base d’imposition sera constituée de la valeur normale pour toutes les opérations réalisées entre des personnes liées, indépendamment de l’existence de ces cas de figure.

28.      Premièrement, l’article 73 de la directive 2006/112 énonce une règle générale claire, à savoir que la base d’imposition est constituée de la contrepartie réelle de l’opération. Cette contrepartie constitue la valeur subjective, à savoir réellement perçue, et non une valeur estimée selon des critères objectifs (16). Toute disposition qui déroge à une règle générale — tel l’article 80 de la directive 2006/112 — est d’interprétation stricte (17).

29.      Deuxièmement, l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 précise que cette faculté de dérogation a pour objectif de «prévenir la fraude ou l’évasion fiscales». Cet objectif est explicité par le troisième considérant de la directive 2006/69 — «de manière à garantir que le recours à des parties liées aux fins de bénéficier d’avantages fiscaux n’engendre pas de pertes de recettes fiscales» — et le vingt-sixième considérant de la directive 2006/112 — «[p]our garantir que le recours à des parties liées aux fins de bénéficier d’avantages fiscaux n’engendre pas de pertes de recettes fiscales».

30.      Lorsque des biens ou des services sont fournis à un prix artificiellement bas ou élevé entre des parties qui, l’une comme l’autre, ont le droit de déduire entièrement la TVA grevant une telle opération — en d’autres termes, lorsque le fournisseur ou le prestataire et le client réalisent uniquement des opérations imposables —, il n’y a pas à ce stade de fraude ou d’évasion fiscales. En ce qui concerne l’opération elle-même, la taxe est totalement neutre pour les deux parties et le restera quel que soit le prix facturé. Il n’y a pas non plus de «perte» fiscale à ce stade. Ce n’est qu’au bout de la chaîne des opérations de livraison ou de prestation de services, au niveau du consommateur final — ou, sans aller jusqu’au bout de cette chaîne, avec un assujetti mixte qui ne dispose que d’un droit de déduction au prorata —, qu’un prix artificiellement bas ou artificiellement élevé peut entraîner des pertes fiscales. C’est à ce stade uniquement que le montant total de TVA due sur l’intégralité de la chaîne des opérations est «figé» de manière définitive — et ce montant est uniquement déterminé par le prix final, indépendamment des sommes facturées aux étapes antérieures de cette chaîne (18).

31.      Troisièmement, le troisième considérant de la directive 2006/69 et le vingt-sixième considérant de la directive 2006/112 précisent que les États membres devraient intervenir «dans des circonstances particulières limitées». Cette limitation a été explicitée à l’article 11, A, sous 6), de la sixième directive, qui précisait que cette faculté «ne s’applique que dans les cas suivants». Bien que le terme «que» ne figure plus à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, il ressort clairement du troisième considérant de celle-ci que la refonte du texte n’a pas entraîné de modification substantielle.

32.      Enfin, l’article 80, paragraphe 2, de la directive 2006/112 autorise expressément les États membres qui font usage de cette faculté à limiter les catégories de fournisseurs, prestataires, acquéreurs ou preneurs auxquelles les mesures s’appliquent. Il s’ensuit, nécessairement, que les États ne sont pas autorisés à étendre ces catégories en faveur, par exemple, d’assujettis bénéficiant d’un plein droit de déduction.

33.      En conséquence, l’article 80, paragraphe 1, sous a), b) et c), de la directive 2006/112 énumère limitativement les cas de figure dans lesquels un État membre peut prélever la TVA grevant une opération sur sa valeur normale plutôt que sur la contrepartie réellement versée. Ces dispositions n’autorisent pas l’État membre à retenir la même solution lorsque le fournisseur ou le prestataire, ou le client, selon le cas, a le droit de déduire entièrement la TVA.

34.      Il s’ensuit qu’une disposition nationale qui impose de prélever la TVA sur la base de la valeur normale dans tous les cas où les parties sont liées n’est pas autorisée par la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, à tout le moins en ce qu’elle s’applique lorsque la partie concernée a le droit de déduire entièrement la TVA.

35.      J’observe à cet égard qu’en 2010, le gouvernement bulgare a reçu de la Commission une lettre de mise en demeure concernant l’incompatibilité de l’article 27, paragraphe 3, du ZDDS avec les articles 73 et 80 de la directive 2006/112. Le gouvernement bulgare a reconnu le bien-fondé de la position de la Commission et s’est engagé à modifier cette disposition pour le 1er janvier 2012.

 Les conséquences de la non-conformité de la législation nationale

36.      Dans la dernière question posée dans chaque affaire, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’effet direct de l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, et sur son applicabilité directe par les juridictions nationales. Le gouvernement bulgare et la Commission ont traité cette question comme s’agissant en fait de savoir dans quelle mesure Balkan and Sea et/ou Provadinvest peuvent se prévaloir de l’article 80, paragraphe 1, de cette directive pour contester les avis d’imposition émis par les autorités fiscales. Pour autant, je ne crois pas qu’il s’agisse de la meilleure façon d’aborder cette problématique.

37.      Mon analyse des questions précédentes m’a amenée à conclure qu’une disposition nationale qui impose que la TVA soit prélevée sur la valeur normale dans tous les cas où les parties sont liées n’est pas autorisée par la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, à tout le moins en ce qu’elle s’applique lorsque la partie concernée a le droit de déduire entièrement la TVA (19).

38.      Selon une jurisprudence constante, il appartient à la juridiction de renvoi de donner à une disposition de droit interne, dans toute la mesure où une marge d’appréciation lui est accordée par le droit national, une interprétation et une application conformes aux exigences du droit de l’Union (20). Cette obligation s’applique même en l’absence des autres conditions permettant à un particulier de se prévaloir de l’effet direct d’une directive (21). Lorsqu’une telle interprétation n’est pas possible, cette juridiction doit laisser inappliquée toute disposition du droit interne qui serait contraire au droit de l’Union (22).

39.      Par conséquent, il appartiendra à la juridiction nationale de s’efforcer d’interpréter l’article 27, paragraphe 3, du ZDDS de manière à le concilier avec l’usage correct de la faculté prévue à l’article 80 de la directive 2006/112. Si cela est possible, les questions de compatibilité avec la directive ou d’éventuel effet direct de l’une de ses dispositions ne se posent plus. Si cela n’est pas possible, la disposition nationale devra alors être laissée inappliquée.

40.      Dans ce dernier cas, deux possibilités doivent être envisagées. Soit les parties aux opérations en cause dans les procédures au principal avaient le droit de déduire entièrement la TVA, auquel cas il ne s’agissait pas de l’une des hypothèses visées à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, soit elles ne bénéficiaient pas d’un plein droit à déduction, ce qui correspondait donc aux hypothèses visées par cet article.

41.      Si les parties concernées bénéficiaient d’un plein droit à déduction, l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112 ne peut tout simplement pas avoir d’effet direct ou être directement applicable dans des situations qui, selon son libellé même, ne relèvent pas de son champ d’application. En revanche, l’article 73 de cette directive, disposition d’effet direct (23), peut être pertinent. L’article 80, paragraphe 1, de ladite directive autorise les États membres à déroger à la règle générale relative à la détermination de la valeur imposable. En l’absence d’une telle règle dérogatoire, il y a lieu d’appliquer la règle générale de l’article 73 de la directive 2006/112 (24). Cet article peut donc être invoqué par des assujettis et appliqué directement par des juridictions nationales afin de garantir que la base d’imposition, sous réserve des dérogations prévues par la directive, consiste en la contrepartie réelle obtenue.

42.      S’il s’avère, au contraire, que les parties concernées n’étaient pas en droit de déduire entièrement la TVA, il reste à examiner qui, de l’État ou du particulier, cherche à se prévaloir de l’effet direct de l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112.

43.      Dans le premier cas, il ne faut pas oublier qu’un État membre ne peut invoquer, à l’encontre d’un particulier, les dispositions d’une directive ni se prévaloir du fait qu’il n’a pas valablement fait usage d’une faculté prévue par une directive (25).

44.      En revanche, lorsqu’un particulier souhaite invoquer l’effet direct d’une disposition d’une directive à l’encontre d’un État membre qui n’a pas correctement transposé cette disposition, il peut en principe s’en prévaloir, selon une jurisprudence constante, lorsque les dispositions de la directive sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles (26).

45.      À cet égard, on peut se demander si les termes d’une disposition qui n’est qu’une simple faculté et qu’un État membre n’aurait pas correctement transposée peuvent être considérés à cet effet comme «suffisamment clairs, précis et inconditionnels».

46.      Toutefois, il ne me semble pas nécessaire ni même approprié d’aborder cette question dans le contexte des présentes procédures.

47.      Il est vrai que, en théorie, dans le cadre d’une opération relevant de l’un des cas de figure prévus à l’article 80, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, et même s’il a accepté de payer un prix artificiellement augmenté, le client pourrait néanmoins tenter d’invoquer, à l’encontre des autorités fiscales, les dispositions de ce texte afin que l’assiette de la TVA corresponde à la valeur normale de l’opération. Si ce client ne bénéficiait pas lui-même du droit de déduire entièrement la TVA, il serait intéressant pour lui de payer moins de TVA sur l’opération en question.

48.      Cependant, une telle hypothèse ne correspond à aucun des litiges à l’origine des demandes de décisions préjudicielles. Selon une jurisprudence constante, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux (27). En l’occurrence, la question n’est pas simplement hypothétique par rapport aux procédures au principal, elle ne risque guère de se produire dans un contexte normal, puisque cela signifierait que l’une des deux parties liées s’étant mises d’accord sur un prix fixé de manière artificielle, dans le but d’obtenir en définitive un avantage commun, serait revenue sur l’accord.

49.      Dans ces conditions, je propose de ne pas examiner cette hypothèse mais de passer aux deux derniers points qui — bien que n’ayant pas été soulevés par la juridiction de renvoi — me semblent intéressants pour les procédures au principal.

 Évaluation de la valeur normale

50.      Dans chaque cas de figure mentionné à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, les États membres peuvent prendre des mesures pour que la base d’imposition soit constituée par la valeur normale. L’une des conditions nécessaires à cet égard est que la contrepartie réelle soit inférieure ou supérieure à la valeur normale — à savoir «le montant total qu’un acquéreur ou un preneur, se trouvant au stade de commercialisation auquel est effectuée la livraison de biens ou la prestation de services, devrait payer, dans des conditions de pleine concurrence, à un fournisseur ou prestataire indépendant sur le territoire de l’État membre dans lequel l’opération est imposable».

51.      Compte tenu de cette définition et du fait que, dans l’affaire C-621/10, Balkan and Sea a acquis la propriété concernée à un prix qui dépassait celui évalué par les experts agréés de moins de 0,5 %, alors que la législation bulgare prévoit cinq méthodes pour déterminer la valeur normale, il n’est pas exclu que la juridiction nationale ait à s’interroger sur la question de savoir si le prix en question peut réellement être considéré comme supérieur à la valeur normale, selon l’interprétation correcte des dispositions nationales.

 Le caractère imposable ou exonéré des opérations

52.      La Commission a des doutes sur la conclusion à laquelle est parvenue l’autorité fiscale, selon laquelle les opérations de l’affaire C-129/11 seraient à la fois des livraisons exonérées et des livraisons imposables. Je pense également que la juridiction de renvoi devrait examiner cette conclusion à la lumière des dispositions pertinentes de la directive 2006/112 et, le cas échéant, laisser inappliquées toutes les dispositions nationales qui amèneraient une solution incompatible avec cette directive. Les dispositions pertinentes de celle-ci sont les suivantes.

53.      Selon l’article 12:

«1.      Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, […] notamment une seule des opérations suivantes:

a)      la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation;

b)      la livraison d’un terrain à bâtir.

2.      Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme ‘bâtiment’ toute construction incorporée au sol.

Les États membres peuvent définir les modalités d’application du critère visé au paragraphe 1, point a), aux transformations d’immeubles, ainsi que la notion de sol y attenant.

Les États membres peuvent appliquer d’autres critères que celui de la première occupation, tels que celui du délai écoulé entre la date d’achèvement de l’immeuble et celle de la première livraison, ou celui du délai écoulé entre la date de la première occupation et celle de la livraison ultérieure, pour autant que ces délais ne dépassent pas respectivement cinq et deux ans.

3.      Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme ‘terrains à bâtir’ les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres.»

54.      L’article 135, paragraphe 1, de la directive 2006/112 impose aux États membres d’exonérer de la TVA un certain nombre d’opérations dont, en particulier:

«[…]

j)      les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, point a);

k)      les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b);

l)      l’affermage et la location de biens immeubles.» (28)

55.      La première question est celle de savoir si les serres étaient des bâtiments aux fins de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112, c’est-à-dire si elles relevaient de la définition de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, visant «toute construction incorporée au sol». Il s’agit bien sûr d’une question de la compétence de la juridiction nationale, dont la réponse peut dépendre de la nature précise de cette construction. Cependant, il n’est pas improbable que lesdites serres aient pu répondre à cette définition, en tout cas si leur structure était en acier.

56.      Si les serres étaient des bâtiments, chaque opération doit être considérée comme une livraison unique dans la mesure où, aux fins de la TVA, les bâtiments ou les fractions de bâtiment et du sol y attenant ne peuvent être dissociés (29).

57.      Dans ce cas, la question qui se pose ensuite est celle de savoir si la livraison de terrains et de bâtiments est intervenue «avant [leur] première occupation» ou répond à tout autre critère prévu par le droit national, dans le respect des délais, de deux et cinq ans respectivement, visés au troisième alinéa de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2006/112. À cet égard, il est intéressant de relever que Provadinvest a fait valoir devant la juridiction nationale que les serres étaient utilisées depuis plus de 30 ans.

58.      Si la livraison est antérieure à la première occupation, ou répond à tout autre critère valablement applicable, elle peut être considérée comme imposable en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112. Dans la négative, elle doit être exonérée conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous j), de cette directive, sous réserve de l’exercice d’un éventuel droit d’opter pour la taxation.

59.      Si les serres n’étaient pas des bâtiments aux fins de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112, il reste néanmoins à examiner si les opérations doivent être considérées comme des opérations distinctes qui, du point de vue de la TVA, doivent être traitées séparément, ou comme des opérations complexes uniques composées de plusieurs éléments.

60.      Selon la jurisprudence, lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances aux fins de déterminer si l’on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d’une prestation unique. Si chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA. La prestation est unique, notamment, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au client sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel, ou lorsqu’un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale, alors que d’autres éléments doivent être considérés comme accessoires. Il appartiendra au juge national de vérifier si tel est le cas en l’occurrence (30).

61.      Si la juridiction nationale décide, à la lumière de ces considérations, qu’il y a bien eu des livraisons distinctes de terrains et d’autres éléments, la solution retenue par les autorités fiscales semblerait correcte.

62.      Si la juridiction de renvoi estime, en revanche, que chaque opération correspond à une livraison complexe unique constituée d’un élément principal et d’éléments accessoires, l’élément principal sera vraisemblablement la livraison de terrains, et le traitement au titre de la TVA devrait prendre pour base cette livraison.

63.      Dans un cas comme dans l’autre, il sera peut-être nécessaire de déterminer si le terrain relevait de la qualification de terrain à bâtir, telle que définie par l’État membre conformément à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2006/112. Dans l’affirmative, cette livraison peut être taxée en application de l’article 12, paragraphe 1, sous b), de cette directive. Dans la négative, elle doit être exonérée conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous k), de ladite directive,sous réserve là encore de l’exercice d’un éventuel droit d’opter pour la taxation.

 Conclusion

64.      J’estime en conséquence que la Cour devrait répondre en ces termes aux questions posées par l’Administrativen sad Varna:

«L’article 80, paragraphe 1, sous a), b) et c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, énumère limitativement les cas de figure dans lesquels un État membre peut prélever la taxe sur la valeur ajoutée grevant une opération sur la base de sa valeur normale et non de la contrepartie réellement versée.

Ces dispositions n’autorisent pas un État membre à adopter cette solution lorsque le fournisseur ou le prestataire, ou bien le client, selon le cas, bénéficie du droit de déduire entièrement la taxe sur la valeur ajoutée.

Une disposition nationale qui impose de prélever la taxe sur la valeur ajoutée sur la base de la valeur normale de l’opération dans tous les cas où les parties sont liées est incompatible avec l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, à tout le moins en ce qu’elle s’applique lorsque la partie concernée bénéficie du droit de déduire entièrement la taxe sur la valeur ajoutée.

Il appartient à la juridiction nationale de donner à une telle disposition de droit interne, dans toute la mesure où une marge d’appréciation lui est accordée par le droit national, une interprétation et une application conformes à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112. Si une telle interprétation n’est pas possible, la juridiction doit laisser cette disposition inappliquée en ce qu’elle n’est pas compatible avec ce texte.

L’article 73 de la directive 2006/112 est d’effet direct et peut être invoqué par des assujettis et appliqué directement par des juridictions nationales, de manière à garantir que la base d’imposition, sous réserve des dérogations prévues par la directive, consiste en la contrepartie réelle obtenue.

Lorsqu’un État membre n’a pas valablement fait usage de la faculté prévue à l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2006/112, il ne saurait se prévaloir des dispositions de ce texte à l’encontre d’un assujetti pour taxer une opération sur la base de sa valeur normale.»

ANNEXE I

Voir les points 38 et suivants des présentes conclusions:

ANNEXE II

Voir les points 55 et suivants des présentes conclusions:


1 —      Langue originale: l’anglais.


2–      Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).


3–      Ancien article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, modifiée à maintes reprises, ci-après la «sixième directive»).


4 —      Ces articles énoncent un certain nombre de règles particulières pour la détermination de la base d’imposition s’agissant, respectivement, du prélèvement ou de la détention de biens d’entreprise, de l’usage privé de biens d’entreprise ou de services, du transfert vers un autre État membre et des prestations de services d’un assujetti pour les besoins de son entreprise.


5 —      Les articles 167 à 169 concernent le droit des assujettis de déduire la TVA acquittée en amont sur les livraisons et les prestations ayant servi à la réalisation de leurs opérations imposables; les articles 170 et 171 concernent les remboursements de TVA pour certaines opérations transfrontières; les articles 173 à 175 prévoient un système de déduction au prorata lorsque les biens ou les services taxés en amont sont utilisés aussi bien aux fins d’opérations exonérées que pour des opérations imposables, et les articles 176 et 177 prévoient la faculté de ne pas autoriser la déduction de la TVA pour certaines catégories de transactions.


6 —      Les articles 132, 135 et 136 prévoient une exonération de TVA (sans déduction de la taxe en amont) pour certaines catégories de livraisons et de prestations dans tous les États membres (voir, également, point 54 des présentes conclusions); les autres articles cités permettent à certains États membres de continuer à appliquer d’autres exonérations du même type à titre dérogatoire.


7–      En 2006, en tant qu’article 11, A, paragraphe 6, de la sixième directive. Voir article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/69/CE du Conseil, du 24 juillet 2006, modifiant la directive 77/388 en ce qui concerne certaines mesures visant à simplifier la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, et abrogeant certaines décisions accordant des dérogations (JO L 221, p. 9). Les premier et troisième considérants de la directive 2006/69 exposent son objectif qui est de remplacer un certain nombre des dérogations accordées à différents États membres par une disposition générale d’habilitation; les États membres doivent pouvoir intervenir pour modifier la valeur des opérations dans des circonstances particulières limitées, de manière à garantir que le recours à des parties liées aux fins de bénéficier d’avantages fiscaux n’engendre pas de pertes de recettes fiscales. Voir également l’exposé des motifs qui accompagne la proposition de cette directive [COM(2005) 89 final], en particulier p. 5 et 6.


8 —      En vertu des articles 167 et 168 de la directive 2006/112, pour l’essentiel, les assujettis ont le droit de déduire, au moment où elle devient exigible, toute TVA due ou acquittée pour des biens qui leur sont livrés ou des services qui leur sont fournis, à condition que ces biens ou ces services soient utilisés pour les besoins de leurs opérations taxées. La TVA est donc neutre d’un point de vue fiscal pour les opérateurs concernés (voir, également, arrêt du 29 octobre 2009, NCC Construction Danmark (C-174/08, Rec. p. I-10567, points 39 et suivants ainsi que jurisprudence citée).


9 —      Puisque le droit à déduction, conformément aux articles 167 et 168 de la directive 2006/112, ne s’applique que lorsque les biens ou les services sont utilisés aux fins d’opérations imposables, les biens ou les services utilisés aux fins d’opérations exonérées ne donnent pas lieu à déduction. Lorsque l’utilisation de biens ou de services en amont ne peut être rattachée à la réalisation de biens ou de services particuliers en aval par un assujetti qui réalise à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées, les articles 173 et suivants de la directive 2006/112 prévoient la déduction partielle de la TVA en fonction du prorata entre les opérations taxées et celles exonérées.


10 —      Notons que les opérations touchant à l’immobilier (vente, affermage ou location) peuvent être soit imposables, soit exonérées en application de l’article 135, paragraphe 1, sous j) à l), ou de l’article 137, paragraphe 1, sous b) à d) — voir point 54 des présentes conclusions.


11 —      À l’époque, un lev bulgare représentait environ cinquante centimes d’euro.


12 —      Ce dont on peut déduire que l’opération n’était pas exonérée en application de l’article 135, sous j), k) ou 1), ou bien que la taxation résulte de l’option exercée conformément à l’article 137, paragraphe 1, sous b) ou c).


13 —      Le taux de TVA applicable étant de 20 %.


14 —      Cette idée d’une «correction» qui résulterait de ces articles n’est peut-être pas exprimée de manière très heureuse, car les articles cités concernent la déduction au prorata et les restrictions du droit à déduction — voir note en bas de page 5 des présentes conclusions.


15 —      Voir note en bas de page 14 des présentes conclusions.


16–      Voir arrêts du 20 janvier 2005, Hotel Scandic Gåsabäck (C-412/03, Rec. p. I-743, point 21 et jurisprudence citée), ainsi que du 9 juin 2011, Campsa Estaciones de Servicio (C-285/10, Rec. p. I-5059, point 28).


17–      Voir, par exemple, arrêt du 3 mars 2011, Commission/Pays-Bas (C-41/09, Rec. p. I-831, point 58 et jurisprudence citée).


18–      Voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/112.


19 —      Pour un résumé succinct du raisonnement qui va suivre, voir, sous forme de tableau, annexe I des présentes conclusions.


20 —      Voir, par exemple, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a. (C-395/08 et C-396/08, Rec. p. I-5119, point 74).


21–      Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, Rec. p. 1891, points 26 et 27).


22 —      Voir, notamment, arrêt Bruno e.a. (précité à la note 20, point 74).


23–      Arrêt du 11 juillet 2002, Marks & Spencer (C-62/00, Rec. p. I-6325, point 47).


24–      Voir arrêt Campsa Estaciones de Servicio (précité à la note 16, point 40).


25 —      Voir, par exemple, arrêt du 21 octobre 2010, Accardo e.a. (C-227/09, Rec. p. I-10273, points 44 à 47 ainsi que jurisprudence citée). Afin de pouvoir bénéficier d’une telle faculté, les États membres sont tenus d’effectuer le choix de s’en prévaloir (voir arrêt du 15 septembre 2011, Słaby e.a., C-180/10 et C-181/10, Rec. p. I-8461, point 33).


26 —      Voir, par exemple, arrêt du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493, points 30 et 31 ainsi que jurisprudence citée).


27 —      Voir, par exemple, ordonnance du 10 juin 2011, Mohammad Imran (C-155/11 PPU, Rec. p. I-5095, point 21 et jurisprudence citée).


28 —      Il ne s’agit pas d’obligations d’exonération absolues car, en vertu de l’article 137, paragraphe 1, sous b) à d), de la directive 2006/112, les États membres peuvent accorder dans ces cas de figure à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation. L’annexe II des présentes conclusions contient un résumé succinct du raisonnement que je présente ci-après.


29–      Arrêt du 8 juin 2000, Breitsohl (C-400/98, Rec. p. I-4321, point 50).


30–      Voir, par exemple, arrêt du 10 mars 2011, Bog e.a. (C-497/09, C-499/09, C-501/09 et C-502/09, Rec. p. I-1457, points 51 et suivants).