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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 13 septembre 2012 (1)

Affaire C-310/11

Grattan plc

contre

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs

[demande de décision préjudicielle
formée par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (Royaume-Uni)]

«Droit fiscal – Taxe sur la valeur ajoutée – Deuxième directive 67/228/CEE – Article 8, sous a) – Base d’imposition en cas de remboursement d’une partie de la contre-prestation après le moment où s’effectue l’opération»






I –    Introduction

1.      Les entreprises britanniques font preuve de créativité. Leur degré d’inventivité en matière de pratiques commerciales complexes a constamment occupé la Cour dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») et a donné lieu à des arrêts significatifs portant des noms tels que «Naturally Yours», «Elida Gibbs» et, récemment, «Loyalty Management» (2).

2.      La présente demande de décision préjudicielle a également pour objet une technique de distribution différenciée d’entreprises britanniques dont l’invention remonte toutefois à quelques décennies. Cependant, les effets de cette technique de distribution sur la base d’imposition à la TVA pour les années 1973 à 1977 n’ont toujours pas été clarifiés. Pour cette raison, la Cour va devoir de nouveau revenir, dans la présente affaire, sur la genèse du droit de la TVA de l’Union européenne et examiner l’interprétation de normes juridiques dont la validité remonte entre-temps à plus de 30 ans en arrière.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      La deuxième directive 67/228/CEE

3.      Durant la période litigieuse dans la procédure au principal, la TVA était notamment régie en droit de l’Union par la deuxième directive 67/228/CEE (3) (ci-après la «deuxième directive»).

4.      En vertu de l’article 2, sous a), de la deuxième directive, «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti» sont soumises à la TVA.

5.      L’article 5 de la deuxième directive précise ce fait générateur de la manière suivante:

«1.      Est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

2.      Sont également considérées comme une livraison au sens du paragraphe 1:

[...]

c)      la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente;

[...]

5.      Le fait générateur de la taxe a lieu au moment où la livraison est effectuée. [...]»

6.      L’article 8 de la deuxième directive, qui comporte des dispositions concernant la base d’imposition, est libellé de la manière suivante:

«La base d’imposition est constituée:

a)      pour les livraisons et prestations de services, par tout ce qui constitue la contre-valeur de la livraison du bien ou de la prestation de services, tous frais et taxes compris, à l’exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même;

[...]»

7.      Concernant l’article 8, sous a), de la deuxième directive, l’annexe A de celle-ci, qui selon son article 20 fait partie intégrante de ladite directive, précise à son point 13, premier alinéa:

«Par le mot ‘contre-valeur’, il faut entendre tout ce qui est reçu en contrepartie de la livraison du bien ou de la prestation de services [...]»

8.      Enfin, l’article 9 de la deuxième directive règle l’application du taux d’imposition de la manière suivante:

«1.      Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services.

[...]»

2.      La sixième directive 77/388/CEE

9.      La sixième directive 77/388/CEE (4) (ci-après la «sixième directive») a remplacé la deuxième directive au Royaume-Uni le 1er janvier 1978 (5).

10.      Comparée à l’article 8 de la deuxième directive, la sixième directive comporte des dispositions détaillées concernant la base d’imposition. Le neuvième considérant de la sixième directive indique comme motif:

«considérant que la base d’imposition doit faire l’objet d’une harmonisation afin que l’application du taux communautaire aux opérations imposables conduise à des résultats comparables dans tous les États membres».

11.      L’article 11, A, de la sixième directive prévoit, par extraits, à cet égard:

«1.      La base d’imposition est constituée:

a)      pour les livraisons de biens et les prestations de services [...] par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, [...]

[...]»

12.      L’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive comporte en outre une disposition qui réglemente les cas de réduction de la base d’imposition après le moment où s’effectue l’opération:

«En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

Toutefois, en cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger à cette règle.»

B –    Le droit national

13.      Pour la période en cause dans la procédure au principal, l’article 10, paragraphe 2, de la loi de finance de 1972 (Finance Act 1972) prévoyait la réglementation suivante concernant la détermination de la base d’imposition:

«Si la livraison est effectuée en échange d’une contrepartie en espèces, sa valeur correspond au montant de cette contrepartie majorée de la taxe exigible».

14.      Le droit national ne comportait en revanche aucune disposition pour le cas d’une réduction de la base d’imposition après le moment où s’effectue l’opération.

III – La procédure au principal et la question préjudicielle

15.      La requérante au principal est la société Grattan plc (ci-après «Grattan»). Dans la procédure au principal, elle fait valoir, à l’encontre de l’administration fiscale britannique, des demandes de remboursement de TVA tirées à la fois de droits personnels et de droits qui lui ont été cédés. Ces demandes portent sur la TVA acquittée au titre des années 1973 à 1977 en raison d’une activité de plusieurs sociétés opérant dans le secteur de la vente par correspondance (ci-après les «opérateurs de la VPC»).

16.      Les opérateurs de la VPC exploitaient un système de distribution spécifique. Ce système intégrait des personnes décrites comme des «agents» et qui étaient titulaires d’un compte spécial chez les différents opérateurs de la VPC. Les agents percevaient sur ce compte un crédit de 10 % de la somme versée à titre de «commission», à la fois pour leurs propres achats de biens sur catalogue de vente par correspondance (ci-après les «achats propres de l’agent») et pour les achats sur catalogue effectués par des tiers par l’intermédiaire de l’agent (ci-après les «achats de tiers»).

17.      De manière générale, l’agent avait un nombre limité de «clients tiers» et se chargeait de leurs achats en leur communiquant les catalogues de la vente par correspondance, en transmettant leurs commandes aux opérateurs de la VPC, en faisant suivre aux clients tiers les biens commandés et en percevant auprès d’eux le prix catalogue dû par eux.

18.      L’agent pouvait notamment demander à recevoir sous la forme d’un paiement par chèque les sommes créditées à son compte pour ses achats propres et les achats de tiers ou bien compenser le crédit avec le solde débiteur de son compte.

19.      Les montants ainsi payés sur des achats de tiers ont été traités par l’administration fiscale britannique comme la contrepartie d’une prestation de services de l’agent.

20.      Dans la procédure au principal, Grattan conteste ce traitement. En effet, les sommes créditées sur le compte de l’agent réduisaient uniquement le prix qu’il acquittait pour les achats. Cela s’appliquait non pas seulement aux achats propres de l’agent, pour lesquels il n’existe aucune contestation, mais également aux achats de tiers. Les «commissions» diminuaient ainsi la contrepartie a posteriori et donc la base d’imposition pour les fournitures de biens aux agents par les opérateurs de la VPC dès lors que les agents disposaient des sommes créditées à leur compte. Dans cette mesure, les opérateurs de la VPC auraient donc acquitté un trop-plein de TVA entre 1973 et 1977.

21.      Le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (Royaume-Uni), saisi du litige sur la demande de remboursement, est confronté à l’interprétation de la deuxième directive en vigueur à l’époque et cette juridiction se demande si cette directive prescrivait en droit de l’Union une diminution a posteriori de la base d’imposition. Pour cette raison, le First-tier Tribunal (Tax Chamber) pose à la Cour la question préjudicielle suivante:

«En ce qui concerne la période antérieure au 1er janvier 1978, un assujetti dispose-t-il, en vertu d’un effet direct de l’article 8, sous a), de la deuxième directive 67/228/CEE [du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée], et/ou des principes de neutralité fiscale et d’égalité de traitement, du droit de considérer a posteriori la base d’imposition d’une livraison de biens comme réduite lorsque, après le moment où est intervenue cette livraison de biens, le destinataire de la livraison a reçu du fournisseur un crédit qu’il a alors choisi de prendre soit sous la forme d’un paiement en espèces, soit sous la forme d’un crédit à valoir sur des montants dus au fournisseur pour des livraisons de biens déjà effectuées au destinataire?»

IV – Analyse juridique

22.      La juridiction de renvoi ayant indiqué dans sa décision de renvoi que le litige ne porte que sur le remboursement de la TVA pour les seuls montants crédités pour les achats de tiers, il y a lieu d’interpréter la question préjudicielle en tenant compte de cette restriction. Dans les développements qui suivent, nous n’examinerons donc pas les effets au regard du droit de la TVA du paiement de «commissions» pour les achats propres de l’agent.

23.      Il reste donc à examiner si, en vertu du droit de l’Union, les sommes d’abord inscrites au crédit des agents entre 1973 et 1977 pour les achats de tiers et payées ensuite au moyen de chèques ou par compensation ont diminué la base d’imposition de la TVA supportée par les opérateurs de la VPC et si ces derniers disposent à cet égard d’un droit directement applicable.

24.      Durant cette période, la détermination de la base d’imposition était régie par l’article 8 de la deuxième directive. En vertu de l’application combinée de l’article 8, sous a), de cette directive et du point 13 de son annexe A, la base d’imposition est constituée, dans le cas des livraisons de biens en cause dans la procédure au principal, par tout ce qui constitue la contre-valeur de la livraison du bien.

25.      En l’espèce, les opérateurs de la VPC ont d’abord perçu des versements pour le prix de vente. Après la livraison des biens, ils ont eux-mêmes effectué des versements aux agents correspondant aux sommes créditées au compte de ces derniers et payées par la suite. En l’espèce, la seule question qui se pose est celle de savoir si, en vertu de la deuxième directive, les paiements ainsi effectués par les opérateurs de la VPC diminuent la base d’imposition sur leurs livraisons parce que ces opérateurs ont perçu en définitive une somme inférieure.

26.      Comme cela résulte de la décision de renvoi, la juridiction nationale considère que seule la question de la possibilité d’une diminution de la base d’imposition en vertu de l’article 8, sous a), de la deuxième directive postérieurement à la livraison nécessite d’être clarifiée. Selon cette disposition, la première condition d’une diminution de la base d’imposition est toutefois que les paiements effectués par les opérateurs de la VPC visés portent sur des remboursements de parties de la contre-prestation qui entraînent la diminution de la base d’imposition. Il convient donc de traiter tout d’abord cette question (sous titre A) avant d’examiner (sous titre B) si la deuxième directive prévoit une réduction de la base d’imposition après que la livraison a été faite.

A –    Le remboursement de la contrepartie par l’assujetti

27.      En vertu de l’article 8, sous a), de la deuxième directive, la base d’imposition ne peut être réduite d’emblée qu’en raison d’un paiement de l’assujetti lorsque ce paiement constitue le remboursement d’une contrepartie apportée par le bénéficiaire dudit paiement. En effet, tout paiement d’un assujetti à une personne qui a apporté une contrepartie ne peut pas être qualifié de remboursement de cette contrepartie.

28.      Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, à l’aune des faits exposés dans sa décision de renvoi, si les paiements effectués par les opérateurs de la VPC aux agents constituent le remboursement de contreparties. Les faits exposés dans cette décision et les arguments des parties au principal laissent planer un doute sur la qualification des paiements décrits comme remboursements de contreparties. En particulier, les rapports juridiques et de prestation entre les opérateurs de la VPC, les agents et les clients tiers ne semblent pas suffisamment clairs et font manifestement l’objet de contestations entre les parties au principal.

29.      Dans ce contexte, nous estimons qu’il est nécessaire de procéder à quelques renvois à la jurisprudence de la Cour pertinente à cet égard pour permettre à la juridiction de renvoi de rendre dans la procédure au principal une décision conforme à la législation de l’Union sur la TVA. Dans la mesure où la jurisprudence que nous citerons ci-après n’a pas été rendue dans le cadre de la deuxième directive, nous estimons que, en raison de la similitude des normes de la sixième directive qui y sont interprétées, elle est transposable à la deuxième directive (6).

30.      La juridiction de renvoi devrait, en premier lieu, clarifier dans la procédure au principal si les opérateurs de la VPC ont directement vendu aux clients tiers lors des achats de tiers ou bien s’il existait une chaîne d’approvisionnement au sein de laquelle les agents étaient eux-mêmes acheteurs dans le cadre des achats de tiers et ont revendu les biens soit de manière autonome, soit dans le cadre d’une commission à la vente. Les conditions de l’existence d’un remboursement de contrepartie sont différentes dans ces deux cas de figure.

1.      La vente directe de biens par les opérateurs de la VPC aux clients tiers

31.      Si les opérateurs de la VPC ont vendu directement aux clients tiers, comme l’a soutenu le gouvernement du Royaume-Uni, il est clair tout d’abord que les «commissions» octroyées aux agents pour les achats de tiers ne pourraient pas constituer un remboursement de contrepartie de ventes de biens par les opérateurs de la VPC à des clients tiers. Dans ce cas, il serait sans incidence que les opérateurs de la VPC ne reçoivent en définitive que le prix catalogue à payer par le client tiers moins la «commission» versée aux agents. En effet, la Cour a constaté de façon répétée que, dans un cas de figure dans lequel un tiers est compris dans le processus de paiement et a conservé, pour cette raison, une partie du prix de vente acquitté par l’acheteur, l’intégralité du prix constitue toutefois la base d’imposition de la prestation du vendeur à l’acheteur (7). Il ne saurait en aller autrement dans le cas présent si l’agent n’a pas conservé directement une partie du prix de vente acquitté par le client tiers, mais qu’il l’a reçue a posteriori.

32.      Si les opérateurs de la VPC ont vendu directement aux clients tiers, il est également douteux qu’une partie de la contre-prestation pour un autre achat, un achat propre de l’agent, ait été remboursée par la «commission» octroyée à l’agent pour les achats de tiers. En principe, l’existence d’une réglementation correspondante dans le rapport juridique fixant la contrepartie devrait être nécessaire à cet effet. Il est exact que la Cour a constaté, pour la première fois dans l’arrêt Elida Gibbs, qu’une réduction de la base d’imposition doit, sous certaines conditions, également être admise même si la contrepartie prévue au contrat demeure inchangée (8). Selon cette jurisprudence, le paiement de l’assujetti est toutefois conditionné, à tout le moins, par l’acquisition d’une prestation déterminée par le bénéficiaire du paiement. Dans la procédure au principal, il n’existe cependant aucun doute sur l’existence de cette condition en ce qui concerne la base d’imposition des achats propres des agents puisque les sommes inscrites au crédit de l’agent ne semblent pas dépendre d’un achat propre déterminé, notamment parce qu’un paiement par chèque était également possible indépendamment d’un tel achat.

33.      Si un remboursement de la contrepartie devait cependant être constaté pour les achats propres des agents, la juridiction de renvoi devrait alors examiner si une diminution de la base d’imposition n’est pas déjà exclue parce que les «commissions» constituent la rémunération d’un service rendu par les agents aux opérateurs de la VPC. Si ce remboursement constitue lui-même une contrepartie, une diminution de la base d’imposition est exclue en définitive. En effet, c’est alors la valeur du service fourni en échange qui remplace la partie de la contre-prestation remboursée pour déterminer la base d’imposition. La Cour en a déjà jugé ainsi dans le cas d’un rabais dans l’arrêt Naturally Yours Cosmetics (9).

34.      Selon une jurisprudence constante, la supposition que les «commissions» constituaient la rémunération d’une prestation des agents présuppose, premièrement, qu’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées (10). Deuxièmement, il doit exister un lien direct entre le service fourni et la contre-valeur reçue (11). Selon la jurisprudence de la Cour, il existe un lien direct lorsque deux prestations se correspondent à tel point que l’une est la condition de l’autre (12). En l’occurrence, il aurait dû exister entre les opérateurs de la VPC et les agents une convention par laquelle le versement de «commissions» était subordonné à une prestation des agents. En dehors de cela, il ne peut être déduit de la jurisprudence aucune autre condition, par exemple une obligation des agents à agir (13).

2.      La chaîne d’approvisionnement

35.      S’il existait au contraire une chaîne d’approvisionnement, les achats propres de l’agent et les achats de tiers devraient en principe être traités de la même manière. La constatation d’une chaîne d’approvisionnement peut résulter du fait que les agents achetaient l’ensemble des biens des opérateurs de la VPC et les revendaient à leur tour, de manière autonome, aux clients tiers conformément à la description faite par Grattan. Il y aurait également lieu de constater l’existence d’une chaîne d’approvisionnement en vertu de l’article 5, paragraphe 2, sous c), de la deuxième directive (14), si les agents intervenaient pour les opérateurs de la VPC dans le cadre d’une commission de vente, comme l’a indiqué de manière correcte la Commission européenne.

36.      En raison de l’égalité de traitement des achats propres de l’agent et des achats de tiers, la question de l’imputation des écritures de crédit à ces deux types d’achats ne se poserait pas en cas de chaîne d’approvisionnement. Dans ce cas, les «commissions» ne pourraient être qu’une réduction générale de prix désignée de manière susceptible d’induire en erreur et qui ne se réaliseraient toutefois que par le biais d’écritures de crédit et de paiement par chèque ou de la compensation avec d’autres ventes.

37.      Cependant, il conviendrait également de vérifier dans ce cas de figure si les «commissions» constituent la rémunération d’une prestation des agents aux opérateurs de la VPC. Comme nous l’avons déjà indiqué (15), même le remboursement d’une contrepartie ne peut conduire en définitive, dans ce cas, à une diminution de la base d’imposition.

3.      Conclusion provisoire

38.      Dans la mesure où les principes jurisprudentiels exposés ne devraient pas permettre à la juridiction de renvoi d’apprécier la question de savoir s’il y a lieu de constater dans la procédure au principal le remboursement effectif d’une contrepartie, il existerait la possibilité, si nécessaire, de poser à cet égard une question supplémentaire. Dans les développements qui suivent, nous supposerons cependant, pour répondre à la question déférée, qu’il y a lieu de considérer la «commission» versée aux agents pour les achats de tiers comme étant le remboursement de la contrepartie d’achats de biens par les agents et que ce remboursement ne constitue pas, pour sa part, la rémunération d’une prestation fournie aux opérateurs de la VPC.

B –    La réduction de la base d’imposition postérieurement à la livraison

39.      La juridiction de renvoi demande si, dans le cas de figure décrit, l’assujetti dispose, en vertu de l’article 8, sous a), de la deuxième directive ou des principes de la neutralité fiscale et de l’égalité de traitement, d’un droit directement applicable de considérer a posteriori la base d’imposition d’une livraison de biens comme étant réduite. Une telle diminution rétroactive de la base d’imposition en raison des «commissions» versées entraînerait alors une diminution de la dette fiscale, ce qui justifierait les demandes de remboursement litigieuses de Grattan dans la procédure au principal.

1.      Interprétation de la deuxième directive

40.      La dette fiscale d’un assujetti est la conséquence de la réalisation d’un fait générateur fiscal. En l’occurrence, il s’agit de l’article 2, sous a), de la deuxième directive qui soumet à la TVA les livraisons de biens à titre onéreux. Le montant de la dette fiscale résulte de l’application d’un taux d’imposition à la base d’imposition, comme l’indique l’article 9, paragraphe 1, de la deuxième directive. En vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la deuxième directive, le fait générateur se produit au moment où la livraison est effectuée.

41.      Pour cette raison, le gouvernement du Royaume-Uni a soutenu, de manière exacte, que la base d’imposition doit être déterminée au moment où la livraison est effectuée. La Cour a également constaté cela à propos de la disposition similaire de l’article 10, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive (16). En vertu de la deuxième directive, la dette fiscale d’un assujetti prend ainsi naissance à hauteur du montant qui résulte de la base d’imposition déterminée au moment de la livraison.

42.      La détermination de la base d’imposition est régie par l’article 8, sous a), de la deuxième directive. En vertu de cette disposition, la base d’imposition est constituée, dans le cas des fournitures en cause dans l’affaire au principal, de «tout ce qui constitue la contre-valeur de la livraison du bien». La «contre-valeur» ainsi déterminante est constituée, conformément à l’annexe 1, point 13, paragraphe 1, de la deuxième directive, par «tout ce qui est reçu en contrepartie de la livraison du bien».

43.      En premier lieu, se pose ainsi la question de savoir s’il convient également d’inclure, lors de la détermination de la base d’imposition au moment de la fourniture de la contrepartie, les sommes certes reçues par l’assujetti, mais qui doivent être remboursées par la suite à la demande de son cocontractant.

44.      Le libellé des dispositions précitées concernant la détermination de la base d’imposition ne fournit aucune information à cet égard. Toutefois, comme l’a indiqué à bon droit la Commission, il est possible de se référer à la jurisprudence de la Cour concernant l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive pour interpréter l’article 8, sous a), de la deuxième directive. Le libellé et la fonction de ces deux dernières dispositions sont comparables.

45.      En ce qui concerne l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt Freemans, à propos de faits comparables à ceux de l’affaire au principal, que la détermination de la base d’imposition ne doit pas tenir compte des remboursements de contrepartie prévus au contrat mais qui n’ont cependant pas encore eu lieu (17). Selon la jurisprudence, il ne doit en aller autrement que dans le cas exceptionnel (18) dans lequel existe une obligation légale de rembourser des parties de la contre-prestation d’un jeu de hasard (19).

46.      Dans l’arrêt Freemans, précité, la Cour motive sa décision par le principe (20), réitéré dans une jurisprudence constante rendue à propos des deuxième et sixième directives, selon lequel la base d’imposition est constituée par «la contrepartie réellement reçue» (21). Pour cette raison, on ne saurait être convaincu par l’argument de la Commission selon lequel il résulterait du respect de ce principe que les remboursements postérieurs de la contrepartie réduisent la base d’imposition. La signification de ce principe jurisprudentiel dépend en effet du moment de la détermination de la base d’imposition. En d’autres termes, la somme «réellement reçue» par l’assujetti au moment où la base d’imposition est établie est déterminante. Comme le précise davantage le libellé de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, il s’agit de la somme «obtenue ou à obtenir» à cette date par l’assujetti, c’est-à-dire le montant qui doit lui être payé. Cela fait donc une différence qu’un acheteur doive payer d’emblée un prix de vente réduit ou bien qu’il doive d’abord acquitter l’intégralité du prix de vente et qu’il puisse percevoir ultérieurement une partie de la somme sous certaines conditions. En effet, comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Freemans, le remboursement postérieur effectif d’une partie de la contre-prestation demeure incertain (22).

47.      En vertu de l’article 8, sous a), de la deuxième directive, la possibilité d’un remboursement de parties de la contre-prestation postérieurement à la livraison de biens est sans effet sur la détermination de la base d’imposition et donc sur le montant de la dette fiscale qui a pris naissance.

48.      La deuxième directive ne comporte en outre aucune disposition qui prévoit la modification d’une dette fiscale ayant pris naissance. Il en va différemment dans le cas de la déduction de la taxe en amont pour lequel un mécanisme de correction est prévu à l’article 11, paragraphe 3, deuxième et troisième alinéas, de la deuxième directive. Il en va également autrement sous l’empire de la sixième directive dont l’article 11, C, paragraphe 1, prévoit, à compter de l’année 1978, une procédure de réduction a posteriori de la base d’imposition et donc de la dette fiscale résultant de la réalisation d’un fait générateur.

49.      Contrairement aux allégations de Grattan et de la Commission, on ne peut inclure la prescription d’une procédure de rectification a posteriori dans l’interprétation à l’article 8, sous a), de la deuxième directive. Il n’est pas licite de déduire de la réglementation postérieure d’une telle procédure qu’elle s’appliquait déjà sous l’empire de la deuxième directive. En effet, les degrés d’harmonisation des deuxième et sixième directives ne sont pas comparables.

50.      Associée à la première directive 67/227/CEE (23), la deuxième directive devait remplacer les différents systèmes TVA des États membres par un système TVA commun qui suit des règles de base uniformes. Le septième considérant de la directive 67/227 souligne «qu’il est nécessaire de procéder par étapes». Le troisième considérant de la deuxième directive indique qu’«il est possible également d’admettre à titre transitoire certaines différences dans les modalités d’application de la taxe dans les États membres». Le système TVA ainsi introduit dans un premier temps ne comportait donc encore, à maints égards, aucune réglementation exhaustive, et notamment aucune fixation d’une base d’imposition uniforme comme le mentionnera plus tard le titre de la sixième directive. Comme l’indique son neuvième considérant, c’est seulement la sixième directive qui a donc harmonisé de manière exhaustive la base d’imposition.

51.      Il convient donc de retenir que la deuxième directive ne prévoit aucune diminution a posteriori de la base d’imposition ni de réduction consécutive de la dette fiscale à la suite du remboursement de la contrepartie postérieurement à la date de la livraison à laquelle le fait générateur s’est réalisé. Par conséquent, il n’est pas non plus possible de déduire de la deuxième directive un droit directement applicable de l’assujetti.

2.      Le principe de la neutralité fiscale

52.      Le respect du principe de la neutralité fiscale ne conduit pas au demeurant à une conclusion différente.

53.      Il est vrai que, contrairement à ce que le gouvernement du Royaume-Uni a indiqué, ce principe ne constitue pas uniquement une manifestation du principe d’égalité de traitement. Outre cette signification, la Cour utilise également le principe de la neutralité fiscale au sens d’une neutralité d’imposition qui protège l’assujetti puisque seul le consommateur final doit être imposé par le système commun de TVA (24).

54.      Dans cette acception, le principe de la neutralité fiscale n’a toutefois aucune autorité supra-législative (25). Il est donc possible d’y recourir en cas de doute dans l’interprétation, mais il ne saurait élargir ou restreindre les règles de la directive TVA à appliquer (26). Il ne peut notamment pas compenser le fait que la deuxième directive ne comporte aucune disposition comparable à l’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive.

3.      Le principe d’égalité de traitement

55.      Pour finir, la juridiction de renvoi s’est également référée dans sa question préjudicielle au principe d’égalité de traitement. Il ne ressort pas, toutefois, de la décision de renvoi dans quelle mesure ce principe devrait être pertinent en l’espèce.

56.      Ledit principe n’exige en tout cas aucune égalité de traitement dans le temps. Les différents degrés d’harmonisation du système commun de TVA avant et après le 1er janvier 1978 peuvent tout à fait conduire à des bases d’imposition déterminées différemment avant et après cette date. En effet, le principe d’égalité de traitement n’exige pas que des étapes d’harmonisation plus poussées intervenues par le biais de l’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive s’appliquent de manière rétroactive.

V –    Conclusion

57.      Nous proposons donc de répondre à la question du First-tier Tribunal (Tax Chamber) de la manière suivante:

L’article 8, sous a), de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que l’assujetti ne dispose pas d’un droit directement applicable de considérer a posteriori la base d’imposition d’une livraison de biens comme étant réduite lorsque, après le moment où est intervenue cette livraison de biens, le destinataire de la livraison a reçu du fournisseur un crédit qu’il a alors choisi de prendre soit sous la forme d’un paiement en espèces, soit sous la forme d’un crédit à valoir sur des montants dus au fournisseur pour des livraisons de biens déjà effectuées au destinataire.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 –      Voir arrêts du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics (230/87, Rec. p. 6365); du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C-317/94, Rec. p. I-5339), ainsi que du 7 octobre 2010, Loyalty Management UK et Baxi Group (C-53/09 et C-55/09, Rec. p. I-9187).


3 –      Directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 71, p. 1303).


4 –      Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


5 –      Voir articles 1er, paragraphe 2, et 37 de la sixième directive. La prorogation du délai de transposition par la neuvième directive 78/583/CEE du Conseil, du 26 juin 1978, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO L 194, p. 16), ne concernait pas le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.


6 –      Voir également, en ce sens, arrêts du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council (102/86, Rec. p. 1443, point 10), et Naturally Yours Cosmetics, précité (point 10).


7 –      Arrêts du 25 mai 1993, Bally (C-18/92, Rec. p. I-2871, point 14), ainsi que du 15 mai 2001, Primback (C-34/99, Rec. p. I-3833, points 28 et suiv.).


8 –      Précité à la note 2.


9 –      Précité à la note 6. Dans cet arrêt, la Cour a effectivement admis que, en cas de livraison de biens, un rabais conditionné par un service du bénéficiaire, qui donc fournit lui-même une prestation à titre onéreux, a pour effet que la base d’imposition de la livraison de biens se compose de la prestation en argent majorée de la valeur de la prestation de service. La valeur pécuniaire de cette prestation de service doit être fixée à cet égard au niveau du rabais. En conclusion, la base d’imposition de la livraison de biens correspond ainsi au prix de vente sans prise en compte du rabais.


10 –      Arrêts du 3 mars 1994, Tolsma (C-16/93, Rec. p. I-743, point 14); du 27 avril 1999, Kuwait Petroleum (C-48/97, Rec. p. I-2323, point 26), et du 3 mai 2012, Lebara (C-520/10, point 27).


11 –      Voir arrêts du 5 février 1981, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (154/80, Rec. p. 445, point 12); Naturally Yours Cosmetics (précité à la note 6, points 11 et 12), ainsi que Lebara (précité à la note 10, point 27).


12 –      Voir point 32 des conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 juillet 2001, Bertelsmann (C-380/99, Rec. p. I-5163).


13 –      Voir Court of Appeal, jugement du 26 octobre 2001 (EWCA Civ 1542, point 72).


14 –      Voir, à cet égard, point 67 de nos conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 février 2006, Commission/Royaume-Uni (C-305/03, Rec. p. I-1213), concernant le libellé analogue de l’article 5, paragraphe 4, sous c), de la sixième directive.


15 –      Voir point 33 des présentes conclusions.


16 –      Arrêt du 27 octobre 1993, Muys’ en De Winter’s Bouw- en Aannemingsbedrijf (C-281/91, Rec. p. I-5405, point 16).


17 –      Arrêt du 29 mai 2001, Freemans (C-86/99, Rec. p. I-4167, points 27 à 29).


18 –      Ibidem (point 30).


19 –      Voir arrêt du 19 juillet 2012, International Bingo Technology (C-377/11, points 26 à 29 et jurisprudence citée).


20 –      Voir arrêts Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (précité à la note 11, point 13); du 2 juin 1994, Empire Stores (C-33/93, Rec. p. I-2329, point 18), et International Bingo Technology (précité à la note 19, point 25).


21 –      Voir arrêt Freemans (précité à la note 17, point 27).


22 –      Ibidem (point 28).


23 –      Directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO L 71, p. 1301).


24 –      Voir arrêt Elida Gibbs (précité à la note 2, points 19 et 23).


25 –      Voir points 84 à 86 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 octobre 2009, NCC Construction Danmark (C-174/08, Rec. p. I-10567).


26 –      Voir arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank (C-44/11, point 45), concernant le principe de neutralité dans son acception de principe de non-discrimination.