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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 12 septembre 2012 (1)

Affaire C-395/11

BLV Wohn- und Gewerbebau GmbH

contre

Finanzamt Lüdenscheid

[demande de décision préjudicielle
formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Droit de l’État membre autorisé à appliquer une mesure dérogatoire de n’en faire qu’une application partielle – Notion de ‘travaux de construction’»





I –    Introduction

1.        Dans la présente procédure, le Bundesfinanzhof (Allemagne) a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la décision 2004/290/CE du Conseil, du 30 mars 2004, autorisant l’Allemagne à appliquer une mesure dérogatoire à l’article 21 de la sixième directive 77/388/CEE en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (2).

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

2.        L’article 1er de la décision 2004/290 prévoit ce qui suit:

«Par dérogation à l’article 21, paragraphe 1, point a), de la directive 77/388/CEE, modifiée par l’article 28 octies de ladite directive, la République fédérale d’Allemagne est autorisée, avec effet au 1er avril 2004, à désigner comme redevables de la taxe sur la valeur ajoutée les destinataires des fournitures de biens et de services visés à l’article 2 de la présente décision.»

3.        L’article 2 de la décision 2004/290 dispose:

«Le destinataire de la fourniture de biens et de services peut être désigné comme redevable de la TVA dans les cas suivants:

1)      lorsque des services de nettoyage de bâtiments ont été effectués en faveur d’un assujetti, sauf lorsque le destinataire de l’opération ne loue pas plus de deux résidences ou lorsque des travaux de construction sont effectués en faveur d’un assujetti;

2)      lorsque des biens immeubles sont livrés à un assujetti conformément à l’article [1]3, partie B, points g) et h), et lorsque le fournisseur a exercé son droit à faire taxer la livraison.»

4.        L’article 2 de la sixième directive 77/388/CEEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (3) disposait, dans le texte applicable en l’espèce:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.      les importations de biens.»

5.        L’article 5, paragraphes 1 et 5, de la directive 77/388 disposait, dans le texte applicable aux fins de la présente décision:

«1.      Est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

[…]

5.      Les États membres peuvent considérer comme une livraison, au sens du paragraphe 1, la délivrance de certains travaux immobiliers.»

6.        L’article 6 de la directive 77/388 prévoyait, dans le texte applicable en l’espèce:

«Prestations de services

1.      Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5.

[…]»

7.        L’article 1er, point 7, de la directive 2006/69/CE du Conseil, du 24 juillet 2006, modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne certaines mesures visant à simplifier la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, et abrogeant certaines décisions accordant des dérogations (4) énonce ce qui suit:

«7)      À l’article 21, paragraphe 2, dans sa version figurant à l’article 28 octies, le point suivant est ajouté:

‘c)      lorsque les opérations suivantes sont effectuées, les États membres peuvent établir que la taxe est due par l’assujetti qui en est le destinataire:

i)      travaux de construction, y compris les travaux de réparation, de nettoyage, d’entretien, de transformation et de démolition effectués en relation avec des biens immeubles, ainsi que délivrance de travaux immobiliers considérée comme étant une livraison de biens en vertu de l’article 5, paragraphe 5;

[…]’»

8.        L’article 199 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (5) dispose:

«1.      Les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est l’assujetti destinataire des opérations suivantes:

a)      les travaux de construction, y compris les travaux de réparation, de nettoyage, d’entretien, de transformation et de démolition effectués en relation avec des biens immeubles, ainsi que la délivrance de travaux immobiliers considérée comme étant une livraison de biens en vertu de l’article 14, paragraphe 3;

[…]»

B –    La législation nationale

9.        L’article 3, paragraphes 1, 4 et 9, de la loi de 2005 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz 2005, ci-après l’«UStG») dispose:

«1.      Les livraisons d’une entreprise sont des prestations par lesquelles l’entrepreneur ou un tiers mandaté par lui donne au preneur ou à un tiers mandaté par celui-ci la capacité de disposer d’un bien en son nom propre (transfert du pouvoir de disposer du bien).

[...]

4.      Si l’entrepreneur s’est chargé du façonnage ou de la transformation d’un bien et s’il utilise à cet effet des matières qu’il se procure lui-même, la prestation doit être considérée comme une livraison (livraison d’un travail à façon), à condition que ces matières ne constituent pas de simples fournitures ou d’autres biens accessoires. Il en va également ainsi lorsque les biens sont incorporés au sol.

[...]

9.      Sont considérées comme autres prestations les prestations qui ne constituent pas des livraisons. [...]»

10.      L’article 13a, paragraphe 1, point 1, de l’UStG, dans sa version en vigueur à compter du 1er avril 2004, fondée sur la décision 2004/290, prévoit que, dans le cas visé à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, c’est l’entrepreneur qui s’acquitte de la taxe.

11.      L’article 13b, paragraphes 1, point 4, et 2, deuxième phrase, de l’UStG, dans sa version en vigueur à compter du 1er avril 2004, dispose:

«1.      Pour les opérations imposables suivantes, la taxe devient exigible lors de l’émission de la facture, et au plus tard à l’expiration du mois civil suivant l’exécution de la prestation:

[...]

4)      livraisons de travaux à façon et autres prestations visant à construire, réparer, entretenir, modifier ou détruire des bâtiments, à l’exception des prestations de planification et de surveillance.

[...]

2.      [...] Dans les cas visés au paragraphe 1, première phrase, point 4, première phrase, le destinataire de la prestation est redevable de la taxe s’il est un entrepreneur qui fournit des prestations au sens du paragraphe 1, première phrase, point 4, première phrase, de l’UStG.

[...]»

12.      L’article 48, paragraphe 1, troisième phrase, de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) définit les travaux de construction comme «[...] l’ensemble des prestations visant à construire, réparer, entretenir, modifier ou démolir des bâtiments».

III – Les faits et les questions préjudicielles

13.      BLV Wohn- und Gewerbebau GmbH (ci-après «BLV»), qui a porté l’affaire devant la juridiction nationale, est une entreprise qui exerce des activités dans l’acquisition, la viabilisation et la construction de terrains et qui doit être considérée comme un entrepreneur au sens de l’UStG et comme un assujetti selon la directive 77/388 dans sa version en vigueur au cours de l’exercice litigieux.

14.      En septembre 2004, BLV a chargé la société Rolf & Co. oHG (ci-après «Rolf & Co.») de construire, en tant que maître d’œuvre, sur un terrain appartenant à BLV, un immeuble collectif de six logements à un prix forfaitaire.

15.      Rolf & Co. a établi le 17 novembre 2005 une facture finale ne faisant pas apparaître la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») et mentionnant BLV comme redevable de la taxe en tant que destinataire de l’opération.

16.      Dans un premier temps, BLV a versé la TVA pour l’opération réalisée au cours de l’exercice fiscal 2005, puisque, conformément à l’article 13b, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’UStG, ladite taxe était en l’espèce due par le destinataire de la prestation (6).

17.      Par la suite, BLV a demandé au service compétent (le Finanzamt Lüdenscheid) de lui rembourser la somme versée, en affirmant que cette dernière disposition n’aurait pas dû être appliquée en l’espèce et que le redevable unique de la taxe était donc Rolf & Co.

18.      Le rejet de la demande de BLV par ledit service a donné lieu à la procédure au principal; au cours de cette procédure, le Bundesfinanzhof, estimant qu’il y avait un problème d’interprétation de la décision 2004/290, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Outre les services, la notion de travaux de construction, telle qu’entendue à l’article 2, point 1, de la décision 2004/290/CE, comprend-elle aussi les livraisons?

2)      Dans l’hypothèse où l’autorisation de désigner le destinataire de l’opération comme redevable couvre également les livraisons:

L’État membre destinataire de la décision peut-il se contenter d’exercer l’autorisation de manière partielle pour certaines catégories (telles que différents types de travaux de construction) et pour les opérations fournies à certains destinataires?

3)      Dans l’hypothèse où l’État membre est habilité à établir des catégories: l’État membre est-il soumis à des restrictions lors de l’établissement de ces catégories?

4)      Dans l’hypothèse où l’État membre n’est pas habilité à établir des catégories, que ce soit en général (question 2) ou au regard de restrictions qu’il n’a pas observées (question 3):

a)      Quelles conséquences juridiques l’établissement illégal de catégories entraîne-t-il?

b)      L’établissement illégal de catégories a-t-il pour effet d’empêcher l’application de la disposition nationale dans son intégralité ou bien uniquement au profit de certains assujettis?»

IV – La procédure devant la Cour

19.      La Commission européenne ainsi que les gouvernements allemand et finlandais ont déposé des observations écrites.

V –    Sur la première question préjudicielle

20.      Par la première question, le Bundesfinanzhof demande si, outre les services, la notion de «travaux de construction», telle qu’entendue à l’article 2, point 1, de la décision 2004/290, comprend aussi les livraisons.

21.      Selon la juridiction de renvoi, l’importance de cette question tient au fait que, en vertu de la législation et de la jurisprudence allemandes, l’opération en cause (la construction d’un immeuble sur un terrain appartenant à autrui par un entrepreneur utilisant ses propres matériaux) constitue une livraison de biens. Conformément à la législation allemande, le mécanisme de l’autoliquidation, selon lequel le redevable de la taxe est le destinataire de la prestation (en l’espèce BLV) et non celui qui l’a exécutée (Rolf & Co.), s’applique en l’espèce.

22.      Toujours selon la juridiction de renvoi, ce mécanisme déroge à la directive 77/388 (en vertu de laquelle le prestataire est redevable de la taxe) et ne serait par conséquent acceptable que dans la mesure où la décision 2004/290 est applicable, celle-ci ayant expressément autorisé la République fédérale d’Allemagne, conformément à l’article 27 de ladite directive, à appliquer l’autoliquidation lorsque des travaux de construction sont effectués en faveur d’un assujetti (comme cela serait le cas en l’espèce selon le droit allemand). Par conséquent, si l’autorisation prévue par la décision 2004/290 visait les seules prestations de services, et non également les livraisons de biens, le recours à l’autoliquidation ne serait plus permis en l’espèce, étant donné que, en Allemagne, la construction d’un immeuble sur un terrain appartenant à autrui par un entrepreneur utilisant ses propres matériaux est une livraison de biens. Dès lors, BLV ne serait plus le redevable de la taxe, puisque, au lieu du droit allemand, c’est le droit de l’Union qui devrait être appliqué et que, selon ce dernier, le redevable de la TVA est, en règle générale, celui qui exécute la prestation, et non celui qui en est le destinataire.

23.      Pour répondre à la question, il convient tout d’abord de définir les notions de livraison de biens et de prestation de services en droit de l’Union, de façon à les distinguer avec précision, puis d’analyser la notion de travaux de construction, et enfin de mettre en relation cette dernière notion avec les deux premières.

24.      En ce qui concerne le premier aspect, j’observe que, conformément à l’article 2 de la directive 77/388, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel (7).

25.      L’article 5 de la directive 77/388 qualifie de livraison d’un bien le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

26.      L’article 6 considère ensuite comme prestation de services toute opération qui ne peut être qualifiée de livraison.

27.      La notion de livraison d’un bien, ainsi que l’a souligné la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Shipping and Forwarding Enterprise Safe, «ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais […] elle inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien» (8), même si la propriété juridique n’est pas transférée.

28.      Cette analyse de la notion de livraison s’explique eu égard à la finalité de la directive, «qui vise, entre autres, à fonder le système commun de TVA sur une définition uniforme des opérations taxables. Or, cet objectif pourrait être compromis si la constatation d’une livraison de biens, qui est l’une des trois opérations taxables, était soumise à la réalisation de conditions qui varient d’un État membre à l’autre, comme c’est le cas de celles relatives au transfert de propriété en droit civil» (9).

29.      Au contraire, la prestation de services est définie de manière résiduelle, comme étant toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien.

30.      En raison de la difficulté que présente, pour de nombreuses opérations, leur classement en tant que livraison de biens ou prestation de services, la Cour a souvent cherché à déterminer un critère permettant de procéder à cette qualification.

31.      Elle n’est du reste pas parvenue à indiquer un critère distinctif univoque, parce que les opérations assujetties à la TVA sont trop nombreuses et de types trop divers (10), et elle a affirmé que, «[a]fin de déterminer si des opérations constituent des livraisons de biens ou des prestations de services, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question pour en rechercher les éléments caractéristiques» (11) et d’analyser concrètement l’opération en question, afin d’en identifier les éléments prédominants en les distinguant de ceux présentant un caractère mineur ou accessoire (12).

32.      De plus, il convient également de tenir compte du fait que les parties réalisent souvent des opérations extrêmement complexes, qui présentent des aspects susceptibles d’être rattachés tant à la livraison de biens qu’à la prestation de services.

33.      Cette coexistence d’aspects de nature différente dans un seul fait imposable peut signifier aussi bien que plusieurs opérations distinctes ont été réalisées (même si elles sont sans doute liées) ou qu’il s’agit en réalité d’une opération unique qui, parce qu’elle est constituée en même temps d’éléments de nature différente, est une opération mixte et doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services afin d’appliquer la TVA.

34.      La Cour s’est déjà penchée sur la distinction entre prestations unitaires, qui présentent des éléments caractéristiques de la livraison de biens et de la prestation de services, et prestations séparées, en déclarant que, «lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question, aux fins de déterminer, d’une part, si l’on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d’une prestation unique» (13).

35.      Ce faisant, il convient de tenir compte du fait que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 77/388, toute opération «doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d’autre part, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA» (14) et que, après avoir identifié les éléments caractéristiques de l’opération en cause, il y a ensuite lieu de se demander «si l’assujetti livre au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique» (15).

36.      Par conséquent, même si le principe général est que chaque prestation formellement distincte qui pourrait être fournie séparément devrait faire l’objet d’une taxation séparée, dans certaines circonstances, plusieurs opérations autonomes doivent être considérées comme une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes (16).

37.      La Cour a précisé qu’il s’agit d’une prestation unique notamment dans les cas où un ou plusieurs de ses éléments constituent la prestation principale, alors que les autres éléments sont des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale; il convient d’entendre par «prestation accessoire» une prestation qui ne constitue pas une fin en soi pour le destinataire, mais simplement le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation principale (17).

38.      Il y a aussi prestation unique lorsque «deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel» (18).

39.      Après avoir expliqué la différence entre livraison de biens et prestation de services (et entre opérations unitaires et séparées), il convient de caractériser la notion de travaux de construction pour ensuite vérifier si ceux-ci doivent être qualifiés de livraisons de biens ou de prestations de services au regard des principes susmentionnés élaborés par la jurisprudence de la Cour et des dispositions du droit de l’Union applicables en la matière.

40.      Il convient à cette fin de tenir compte tout d’abord du fait que la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (19) contenait déjà, à son annexe A, point 5, une liste de certaines activités considérées comme «travaux immobiliers» (sans cependant donner de définition générale de la notion), telles que la construction de bâtiments, ponts, routes, ports, etc., en exécution d’un contrat de louage d’ouvrage, les travaux de terrassement et plantations de jardins, les travaux d’installation (de chauffage central, par exemple), les réparations portant sur des immeubles, autres que les opérations d’entretien courant.

41.      De plus, l’article 6 de la proposition de sixième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (qui n’a pas ensuite été repris dans le texte définitif de la directive 77/388) considérait comme «travaux immobiliers» tous les travaux relatifs aux bâtiments, ponts, routes, ports et autres ouvrages d’art incorporés au sol tels que la démolition, la construction, y compris les fondations, la fourniture de gros œuvre, les travaux de finition, l’incorporation d’un bien meuble à un immeuble et notamment tous travaux d’installation, les agrandissements, les transformations et la rénovation, les réparations et les travaux d’entretien, sauf les opérations d’entretien courant, ainsi que les travaux relatifs à l’aménagement du sol, tels que les travaux d’infrastructure d’une zone industrielle ou résidentielle, le lotissement, le nivellement des terrains, la pose de canalisations d’eau ou d’égouts, l’installation électrique, les murs de soutènement, la plantation de jardins (20).

42.      Enfin, la République fédérale d’Allemagne, dans la demande qu’elle a présentée en août 2003 (21) en vue de se voir accorder la dérogation ici en cause dans le cas de «travaux de construction», a fait expressément référence à l’article 48 de la loi relative à l’impôt sur le revenu, susmentionné, qui, pour définir la notion de «travaux de construction», précise qu’il s’agit de l’ensemble des prestations de construction, de réparation, d’entretien, de modification ou de démolition des bâtiments.

43.      J’estime que les listes de «travaux immobiliers» figurant dans la directive 67/228 et dans la proposition de sixième directive, bien que dépourvues de valeur contraignante, sont utiles pour interpréter la notion de «travaux de construction» utilisée dans la décision 2004/290, puisque les «travaux de construction» ne sont pas autre chose que des «travaux immobiliers» qui ont cela de particulier qu’ils concernent spécifiquement le secteur de la construction (ainsi qu’il ressort du deuxième considérant de la décision en cause (22)) et sont dès lors des «travaux immobiliers» effectués par des entreprises de construction et qui concernent la construction de bâtiments (23).

44.      On peut par conséquent affirmer, eu égard au contenu de la directive 67/228, de la proposition de sixième directive et de la demande présentée par l’État membre intéressé qui a conduit à l’adoption de la décision 2004/290, que les «travaux de construction» sont des travaux du bâtiment tels que la construction, l’entretien, la réparation, la modification et la démolition de bâtiments et autres structures similaires (en l’espèce il s’agit de la construction d’un immeuble).

45.      Il convient donc d’apprécier si l’ensemble des travaux visés aux points 43 et 44 des présentes conclusions doivent être classés comme livraisons de biens ou comme prestations de services, sur la base, comme l’a indiqué la Cour, de toutes les circonstances concrètes des opérations en cause; cette appréciation doit être effectuée en tenant compte de leurs éléments caractéristiques et prédominants (24).

46.      Aucun problème ne se pose dans le cas où, pour l’exécution de ces travaux, des entrepreneurs différents fournissent des prestations différentes, car chacune d’entre elles sera appréciée de façon autonome et classée par conséquent, selon les cas, comme livraison de biens ou comme prestation de services.

47.      Cependant, la question examinée concerne la situation dans laquelle les travaux sont effectués par un seul assujetti à la taxe, qui fournit une prestation unitaire mixte, constituée d’éléments pouvant être qualifiés de livraison de biens et de prestation de services: c’est pour ce type d’opérations qu’il importe d’apprécier si c’est l’élément de la livraison de biens ou celui de la prestation de services qui prévaut.

48.      Il convient tout d’abord de tenir compte du fait que relèvent essentiellement des travaux immobiliers et de construction susvisés des activités complexes mises en œuvre en recourant habituellement à une organisation d’entreprise et, de manière prédominante, au travail de ceux qui les exécutent.

49.      La terminologie même utilisée aux points 40 à 44 des présentes conclusions (construction, entretien, réparation, modification, démolition, aménagement) montre que, au cœur de ces opérations, se trouve l’activité de l’entrepreneur, qui vise à tenir les engagements pris et se concrétise dans la prestation de services, habituellement la mise à disposition d’une organisation d’entreprise et, en tout état de cause, de travail, tandis que l’élément de livraison de biens, lorsqu’il est présent (dans la démolition, il est en principe absent), joue un rôle secondaire.

50.      Si l’on considère en outre l’objectif concret que l’on entend atteindre au moyen desdites opérations et la manière dont les personnes qui ordonnent les travaux les apprécient typiquement, il est clair que l’objet des accords conclus est principalement l’activité de ceux qui les exécutent (et donc une prestation de services), tandis que les autres aspects (liés à une livraison de biens) tels que la délivrance du bien réalisé, restent à l’arrière-plan et concluent l’ensemble de l’exécution de l’accord, sans en constituer le noyau dur.

51.      L’examen de la situation de l’espèce, à savoir la construction d’un immeuble par un entrepreneur utilisant ses propres matériaux sur un terrain appartenant au maître d’ouvrage, conduit à confirmer ces considérations.

52.      En l’espèce, les deux éléments à évaluer, pour déterminer quel est l’élément principal et quel est l’élément accessoire de la prestation unitaire de construction, sont l’activité mise en œuvre par l’entrepreneur, qui utilise, conformément au schéma caractéristique du contrat d’entreprise (25), son organisation ainsi que son travail et celui de ses employés (prestation de services), et l’utilisation de matériaux de l’entrepreneur, qui appartiendront au maître d’ouvrage à la fin des travaux (livraison de biens).

53.      Il est évident que les matériaux constituent habituellement l’élément accessoire, ne serait-ce que parce que le contrat ne vise pas à leur livraison au maître d’ouvrage, mais à leur transformation définitive pour produire un bien totalement nouveau. Par conséquent, il serait contradictoire de donner une importance principale aux matériaux, puisqu’ils ne constituent qu’un moyen permettant de mener l’activité de construction et que, à la suite de celle-ci, ils cesseront même d’exister de façon autonome.

54.      On parvient à des conclusions identiques si l’on considère la délivrance de l’immeuble construit sur le terrain. Ainsi que nous l’avons expliqué au point 50 des présentes conclusions, celle-ci constitue l’élément conclusif et accessoire d’un processus plus complexe, et le fait que le maître d’ouvrage en devienne propriétaire intervient habituellement lorsque le bâtiment a été réalisé sur un terrain lui appartenant, sans acte de cession de l’entrepreneur, mais en vertu du principe de l’accession.

55.      Ces considérations impliquent manifestement que, en pratique, les éléments que sont l’organisation d’entreprise et le travail, visés aux points 48, 49 et 52 des présentes conclusions, qui se concrétisent dans la fourniture de prestations de services, l’emportent sur l’élément de la livraison de biens, constitué en l’espèce par les matériaux fournis par l’entrepreneur.

56.      Dans l’hypothèse où l’organisation d’entreprise et le travail prévalent, ce qu’entraîne normalement le recours au schéma caractéristique du contrat d’entreprise, les prestations exécutées ont pour but, comme nous l’avons déjà indiqué, une activité matérielle de production qui conduit à la réalisation d’un ouvrage qui n’existait pas auparavant; l’objet de l’activité est essentiellement une obligation de faire et ce n’est que dans cette éventualité qu’il s’agit, au sens propre, d’une opération concernant des «travaux immobiliers» et, partant, des «travaux de construction».

57.      En revanche, si le noyau dur du contrat est constitué par les biens livrés ou, en tout état de cause, l’acquisition de la propriété et non l’activité de construction, alors l’objet dudit contrat est une obligation de donner et non une obligation de faire et il y a matériellement un acte de transfert, normalement une vente, qui ne saurait relever de la catégorie des «travaux immobiliers» ni, par conséquent, des «travaux de construction», mais relève de celle de la livraison de biens.

58.      Il appartient au juge de constater en fait l’existence d’une prestation de services ou d’une livraison de biens et il pourra utiliser un grand nombre de critères à cette fin, pourvu qu’il tienne compte du fait qu’il n’existe pas de critère principal plus important que les autres, car, dans chaque cas particulier, des circonstances différentes, qui doivent faire l’objet d’une évaluation d’ensemble, peuvent avoir de l’importance.

59.      À titre d’exemple, le juge pourra accorder de l’importance a) au fait que le travail prévaut ou non sur les matériaux, en considérant en général la valeur des matériaux utilisés (26), et b) à la volonté des parties, selon que la fourniture des matériaux est un simple moyen pour la production de l’ouvrage et que le travail constitue le but du contrat (comme dans le contrat d’entreprise), ou bien que le travail est l’instrument de la transformation des matériaux tandis que l’obtention de l’ouvrage est l’objectif final de l’accord (ce qui est caractéristique de la vente) (27); de façon plus générale, il pourra prêter attention aux engagements pris par les parties et aux modalités de déroulement de l’opération, telles que le temps utilisé, l’autonomie dans l’exécution du travail et le type de garanties octroyées.

60.      Il pourra notamment être tenu compte du fait que l’ouvrage réalisé et délivré est un produit présentant des caractéristiques originales, c’est-à-dire un objet nouveau (ce qui caractérise les travaux immobiliers et de construction), ou qu’il s’agit au contraire d’un produit de série, tel qu’un préfabriqué.

61.      L’examen du texte de la directive 77/388 aboutit d’ailleurs à la même conclusion que celle formulée aux points 49 et suivants des présentes conclusions.

62.      En premier lieu, ainsi que le relève le gouvernement finlandais, la thèse faisant relever les «travaux de construction» de la catégorie des prestations de services est clairement confirmée de manière formelle à l’article 5, paragraphe 5, sous b), de ladite directive, selon lequel les États membres peuvent considérer comme une livraison de biens la «délivrance de certains travaux immobiliers».

63.      En effet, si le législateur avait considéré les «travaux immobiliers» comme des livraisons de biens et non comme des prestations de services, il n’aurait eu aucune raison de reconnaître aux États membres la possibilité de qualifier de livraison «la délivrance de certains travaux immobiliers».

64.      En revanche, si le législateur avait estimé que ces opérations pouvaient être tantôt des livraisons de biens et tantôt des prestations de services (28), il aurait en toute logique dû donner aux États membres – ce qu’il n’a pas fait – le pouvoir de traiter, de façon générale, lesdits travaux tant comme livraisons de biens que comme prestations de services.

65.      On ne saurait par conséquent partager l’affirmation du gouvernement allemand selon laquelle l’article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388 ne viserait, en mentionnant la «délivrance de certains travaux immobiliers», que les travaux immobiliers qui ne constituent pas déjà des livraisons de biens au sens de la directive 77/388.

66.      En effet, cette considération se fonde sur le point de vue selon lequel les travaux immobiliers seraient normalement par nature des livraisons de biens selon la disposition générale de l’article 5, paragraphe 1, mais, indépendamment des observations déjà formulées ci-dessus, elle ne tient pas compte du fait que l’unique justification d’une disposition comme celle de l’article 5, paragraphe 5, sous b), de la directive 77/388 est au contraire, ainsi que nous l’avons souligné aux points 62 à 64 des présentes conclusions, que, dans le système de ladite directive, les «travaux immobiliers» (29) sont des prestations de services (30).

67.      De plus, lorsque le législateur de l’Union, dans le cadre de la directive 77/388, a voulu donner une importance autonome au moment du transfert de bâtiments nouveaux (comme celui de l’espèce), il l’a fait en le qualifiant expressément de «livraison», par exemple à l’article 4, paragraphe 3, sous a), de cette directive, selon lequel les États membres peuvent considérer également comme assujetti quiconque procède à titre occasionnel à «a) la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation» (31).

68.      Au contraire, dans le cas où la dation intervient à l’issue d’un processus contractuel comme dans l’affaire au principal, elles est considérée non pas isolément, mais comme le moment accessoire d’une opération plus large et complexe qui complète les éléments de la prestation de services, si bien que la directive 77/388 utilise le terme de «délivrance» au lieu de celui de «livraison» [comme à l’article 5, paragraphe 5, sous b)] (32).

69.      L’examen du texte des directives 2006/69 et 2006/112, toutes deux relatives à la TVA, aboutit en outre à classer les travaux immobiliers et de construction en tant que prestations de services.

70.      La première prévoit, à son article 1er, point 7, que le texte suivant est ajouté à l’article 21, paragraphe 2, dans la version qui figure à l’article 28 octies de la directive 77/388:

«c)      lorsque les opérations suivantes sont effectuées, les États membres peuvent établir que la taxe est due par l’assujetti qui en est le destinataire:

i)      travaux [(33)] de construction, y compris les travaux de réparation, de nettoyage, d’entretien, de transformation et de démolition effectués en relation avec des biens immeubles, ainsi que délivrance de travaux immobiliers considérée comme étant une livraison de biens en vertu de l’article 5, paragraphe 5;

[…]»

71.      La seconde énonce, à son article 199:

«Les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est l’assujetti destinataire des opérations suivantes:

a)      les travaux [(34)] de construction, y compris les travaux de réparation, de nettoyage, d’entretien, de transformation et de démolition effectués en relation avec des biens immeubles, ainsi que la délivrance de travaux immobiliers considérée comme étant une livraison de biens en vertu de l’article 14, paragraphe 3;

[...]»

72.      Même si ces deux directives sont postérieures à la directive 77/388 et ne s’appliquent pas en l’espèce, j’estime, comme cela a également été relevé par la juridiction de renvoi (35), que le choix de mentionner explicitement, en plus des opérations spécifiquement énumérées aux points 70 et 71 des présentes conclusions, la délivrance de travaux immobiliers considérée par les États membres comme une livraison de biens, en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388 et de l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2006/112 (36), démontre que les travaux immobiliers et de construction sont classés par l’Union européenne comme étant des prestations de services.

73.      La nature de prestation de services des travaux de construction peut d’ailleurs être déduite de l’article 2 de la décision 2004/290 qui, en prévoyant que le destinataire de la fourniture de biens et de services peut être désigné comme redevable de la TVA dans les cas visés aux points 1 et 2 dudit article, mentionne les travaux de construction au point 1, avec les services de nettoyage de bâtiments, et non au point 2, avec les biens immeubles livrés à un assujetti conformément à l’article 13, B, sous g) et h), de la directive 77/388.

74.      Ainsi, les travaux de construction sont mentionnés dans la première partie de l’article 2 de la décision 2004/290, qui concerne les services (ainsi qu’il ressort de la référence aux services de nettoyage), parce qu’ils sont considérés comme tels, tandis que les livraisons pour lesquelles la dérogation demandée est accordée sont indiquées dans la seconde partie dudit article (37).

75.      On parvient également à des conclusions identiques si l’on tient compte du document de travail de la Commission du 10 juin 2004 (38), qui, ainsi que cette dernière l’a admis (39), a constitué la base des négociations qui ont conduit à la modification de la directive 77/388, en vue de simplifier la perception de la TVA et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, et à l’abrogation de la décision faisant l’objet de la présente affaire.

76.      Au point 4.1 de ce document, la Commission précise que les travaux en question («Arbeiten») sont fondamentalement des prestations de services (40) et que les États membres qui ont appliqué l’article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388 devraient également inclure dans cette catégorie les prestations de services qu’ils considèrent comme des livraisons de biens (41).

77.      De plus, le même point 4.1 du document en question contient une liste des dérogations au système d’identification du redevable de la taxe prévu par la directive 77/388 qui ont été demandées dans le passé par certains États membres et autorisées par le Conseil (comme la dérogation ici examinée), afin de faire peser la TVA sur le destinataire de la prestation; parmi celles-ci, la dérogation accordée à la République d’Autriche par la décision 2002/880/CE (42) revêt une importance particulière.

78.      Il en va ainsi dans la mesure où le deuxième considérant de la décision 2004/290 fait précisément référence à cette dernière dérogation, qui concerne également les travaux de construction («Bauarbeiten») et rattache à ceux-ci certaines opérations, mentionnées dans ledit document de travail, dans lesquelles l’élément de prestation de services prévaut manifestement en raison de l’organisation d’entreprise utilisée, comme le cas du sous-traitant qui a exécuté des travaux dans les secteurs du bâtiment et de la construction métallique ou navale et qui a fourni du personnel à un maître d’ouvrage principal, à un autre sous-traitant ou, de façon générale, à un entrepreneur qui effectue lui-même ses travaux de construction.

79.      Un autre argument en faveur de la thèse qui voit des prestations de services dans les travaux immobiliers et de construction peut être tiré de la directive 67/228 et de la proposition de sixième directive visées aux points 40 et 41 des présentes conclusions.

80.      En effet, il s’avère que, pendant les travaux préparatoires, les travaux immobiliers avaient été qualifiés de livraisons de biens à l’article 5, sous e), suivant la solution déjà adoptée par la directive 67/228 [article 5, paragraphe 2, sous e)], mais que cette solution n’a pas été retenue au moment de l’adoption de la directive 77/388.

81.      Cela montre que le législateur de l’époque avait clairement à l’esprit la problématique en question et que c’est de façon tout à fait délibérée qu’il a décidé de modifier son orientation précédente, exprimée dans la directive 67/228, selon laquelle les «travaux immobiliers» étaient classés parmi les livraisons de biens.

82.      La thèse selon laquelle les travaux immobiliers et de construction devraient être considérés comme des prestations de services trouve également confirmation dans les conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 6 avril 1995 dans l’affaire Armbrecht (43), selon lequel «le pouvoir des États membres de traiter comme une livraison de biens (plutôt que comme une prestation de services) la délivrance par un entrepreneur de travaux immobiliers sur un terrain dont il n’est pas propriétaire découle d’une disposition spécifique inscrite à l’article 5, paragraphe 5, sous b)», avec la conséquence que, à défaut de ladite disposition et de sa mise en œuvre, les travaux immobiliers seraient toujours des prestations de services.

83.      Enfin, bien que conscient que cet argument n’a pas de valeur décisive aux fins de répondre à la question préjudicielle, j’observe que les travaux de construction sont en principe des prestations de services dans de nombreux (44) États membres (45).

84.      Il s’ensuit que, eu égard aux considérations qui ont été exposées, en particulier en raison du fait que l’organisation d’entreprise et le travail prévalent sur l’élément de la fourniture de matériaux (points 55 à 57 des présentes conclusions), les travaux immobiliers et les travaux de construction visés à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388 et à l’article 2, point 1, de la décision 2004/290 doivent être qualifiés de prestations de services.

85.      Le gouvernement allemand, appuyé par la Commission, soutient que, en réalité, les travaux de construction visés par la décision 2004/290 pourraient être indifféremment des livraisons de biens ou des prestations de services et que, s’ils étaient seulement qualifiés de prestations de services, la décision 2004/290 se verrait privée de tout effet utile, dans la mesure où une grande partie des travaux en question ne seraient pas inclus dans la dérogation accordée, s’agissant de livraisons de biens. Ainsi serait, par conséquent, compromis l’objectif de la décision en cause, à savoir la prévention des fraudes fiscales (par exemple certains entrepreneurs frauduleux pourraient ne pas appliquer l’autoliquidation en faisant apparaître l’opération comme une livraison de biens) (46).

86.      Sur ce point, j’estime qu’il est opportun de faire état de certaines remarques sur la législation allemande applicable à la matière et sur la jurisprudence y relative.

87.      Selon l’article 3, paragraphe 4, de l’UStG, les opérations en cause doivent être qualifiées de livraisons de biens lorsqu’elles sont réalisées par l’entrepreneur en utilisant des matériaux qu’il s’est procurés seul, à moins qu’il ne s’agisse de simples fournitures ou d’autres biens accessoires.

88.      En pratique, la distinction entre livraisons de biens et prestations de services dépend de la circonstance selon laquelle la fourniture de matériaux par le constructeur a un caractère principal et non accessoire, et la jurisprudence allemande a interprété cette législation en ce sens que, lorsque l’entrepreneur utilise des matériaux qu’il s’est procurés seul pour construire un immeuble sur un terrain ne lui appartenant pas, il s’agit d’une livraison de biens.

89.      Cela explique pourquoi le gouvernement allemand tend à considérer qu’une interprétation qui limiterait le champ d’application de la décision 2004/290 aux seules prestations de services aurait pour effet d’exclure de son champ d’application de nombreuses opérations de construction.

90.      En fait, il convient de confirmer ce qui a déjà été dit aux points 48 et suivants des présentes conclusions, à savoir que les travaux immobiliers et de construction sont des prestations de services, dans la mesure où il s’agit d’opérations réalisées en utilisant une organisation d’entreprise et dans lesquelles, en tout état de cause, le travail prévaut, et qui ont pour but non pas la livraison de matériaux, mais la mise en œuvre de l’activité de construction (en l’espèce).

91.      Cette conclusion implique que les éléments caractérisant la prestation de services prévalent effectivement par rapport aux éléments caractéristiques de la livraison de biens, faute de quoi il s’agirait non pas de travaux immobiliers et de construction, mais d’une livraison de biens.

92.      Le problème soulevé par la juridiction de renvoi dépend du fait que, en droit allemand, ainsi qu’il ressort de la législation et de la jurisprudence susvisées, pour apprécier si une opération est un travail de construction et, par conséquent, une prestation de services, ou s’il s’agit d’une livraison de biens, on n’utilise pas tous les éléments de chaque cas d’espèce. Au contraire, la loi accorde une attention exclusive aux matériaux fournis par le constructeur et à leur importance, et la jurisprudence ne tient aucun compte d’autres critères, mais qualifie automatiquement de livraisons de biens les opérations comme celles de l’espèce, du seul fait que l’entrepreneur a utilisé ses propres matériaux.

93.      Par ailleurs, cette législation et cette jurisprudence sont contraires à la jurisprudence de la Cour mentionnée au point 31 ainsi qu’aux notes en bas de page 11 et 12 des présentes conclusions, dans la mesure où elles ne distinguent pas les prestations de services des livraisons de biens en déterminant de façon concrète, parmi les multiples éléments d’une espèce, quels sont les éléments prédominants et quels sont les éléments accessoires, mais prennent pour point de référence exclusif la présence ou non de matériaux appartenant au constructeur.

94.      En particulier, bien que le législateur national puisse indiquer aux juridictions les critères à utiliser pour distinguer les livraisons de biens des prestations de services, il ne saurait leur en imposer un seul, et cette distinction ne saurait non plus résulter automatiquement de la présence ou non d’un élément spécifique unique, sans qu’aucun autre aspect de l’espèce ne soit examiné.

95.      Par conséquent, dans l’affaire au principal, affirmer que les travaux de construction sont des prestations de services ne revient pas à compromettre l’effet utile de la décision 2004/290, dès lors que ces travaux incluent toutes les activités de construction qui se concluent par la délivrance d’un bâtiment et présentent les caractéristiques décrites ci-dessus, et donc toute opération complexe, comme celle de l’espèce (47), pour laquelle un problème de fraude fiscale est susceptible de se poser (48).

96.      Au contraire, un problème de fraude fiscale apparaîtrait si l’on suivait la thèse du gouvernement allemand et de la Commission, qui réduirait le champ d’application de cette dérogation.

97.      En effet, l’article 199 de la directive 2006/112, qui régit désormais le mécanisme de l’autoliquidation, prévoit expressément que ce système s’applique à des opérations du secteur de la construction en relation avec des biens immeubles, qui sont mises sur le même plan que la délivrance de travaux immobiliers assimilée à une livraison de biens en vertu de l’article 14, paragraphe 3, de ladite directive (ancien article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388).

98.      Il s’ensuit que, puisqu’il s’agit d’un indice clair de ce que lesdites opérations sont des prestations de services, ainsi que cela a déjà été indiqué au point 72 des présentes conclusions, si les constructions de bâtiments et autres opérations similaires étaient qualifiées de livraisons de biens en Allemagne, elles ne pourraient plus aujourd’hui bénéficier du régime de l’autoliquidation et l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale serait compromis (49).

99.      Eu égard aux considérations exposées, je propose à la Cour de répondre à la première question comme suit:

–        la notion de travaux de construction, telle qu’entendue à l’article 2, point 1, de la décision 2004/290 comprend les seules prestations de services, en particulier parce que l’organisation d’entreprise et le travail prévalent sur l’élément de la fourniture de matériaux;

–        pour apprécier si une opération est un travail de construction, et donc une prestation de services, ou s’il s’agit d’une livraison de biens, la juridiction concernée doit avoir recours à tous les éléments du cas d’espèce;

–        le droit de l’Union fait obstacle à une législation et à une jurisprudence nationales qui accordent une importance exclusive, aux fins de la distinction en question, à un seul élément, en l’occurrence au fait que le constructeur a fourni des matériaux lui appartenant, et qui font découler automatiquement de la présence dudit élément la distinction entre prestations de services et livraisons de biens;

–        le législateur national peut certes indiquer aux juridictions les critères à suivre pour distinguer les livraisons de biens des prestations de services, mais il ne saurait limiter le pouvoir qu’ont celles-ci de distinguer les livraisons de biens et les prestations de services en analysant concrètement tous les aspects du cas d’espèce.

100. La réponse donnée à la première question préjudicielle rend inutile l’examen des deuxième, troisième et quatrième questions, puisque la juridiction de renvoi a demandé que ces dernières ne soient prises en considération que dans l’éventualité où les travaux de construction comprendraient les livraisons de biens.

VI – Sur la limitation des effets de l’arrêt dans le temps

101. Le gouvernement allemand a demandé à la Cour, au cas où cette dernière estimerait que la réglementation nationale concernée n’est pas conforme à l’article 2, point 1, de la décision 2004/290, de limiter dans le temps les effets de son arrêt, dans la mesure où il s’ensuivrait sinon de graves répercussions économiques sur le budget de la République fédérale d’Allemagne et où, en tout état de cause, tant les autorités nationales que les agents économiques concernés avaient cru de bonne foi que la législation allemande était conforme au droit de l’Union.

102. Sur ce point, je relève que, selon la jurisprudence constante de la Cour, ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’il est permis, en application du principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, de limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition que la Cour a elle-même interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Cela ne peut se produire que lorsque deux critères essentiels sont satisfaits, à savoir «la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves» (50).

103. La Cour n’a eu recours à cette solution que «dans des circonstances bien précises, lorsque, d’une part, il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et que, d’autre part, il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission des Communautés européennes» (51).

104. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (52).

105. J’estime tout d’abord à cet égard que les conséquences économiques mentionnées dans les observations du gouvernement allemand ne se produiront pas, ou du moins pas dans la mesure indiquée. En effet, les opérations telles que celle faisant l’objet de la présente affaire devraient en général relever, en tant que prestations de services, du champ d’application de la décision 2004/290, ce qui entraîne l’application du système de l’autoliquidation, s’agissant de travaux de construction (53). En tout cas, dans les rares hypothèses dans lesquelles il ne serait plus possible de recourir à l’autoliquidation, le paiement de la taxe pourrait être demandé à l’auteur de la prestation, ainsi que le souligne le gouvernement finlandais, qui a expliqué qu’il y aurait une lacune en matière fiscale si la taxe n’était plus payée par le bénéficiaire de l’opération et que son auteur n’effectuait pas non plus le versement, puisqu’une telle opération échapperait à la taxe et que les intéressés bénéficieraient d’un avantage non justifié (54).

106. De plus, eu égard aux considérations déjà exposées ci-dessus et auxquelles je renvoie dans leur intégralité, je ne considère pas qu’il s’agisse d’une hypothèse de bonne foi des autorités et des agents économiques concernés, puisque la décision 2002/880 relative à la République d’Autriche (à laquelle la décision 2004/290 fait expressément référence) (55) permettait déjà de déduire quelles étaient les opérations concernées et de comprendre, d’après leur description, qu’il s’agissait de prestations de services.

107. Il convient également de tenir dûment compte du document de travail ultérieur de la Commission, du 10 juin 2004 (point 75 des présentes conclusions), au moins à compter de cette date (56), document dans lequel la Commission a expliqué que les travaux en question étaient fondamentalement des prestations de services.

108. Par ailleurs, le texte de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388 empêchait à l’évidence de qualifier de livraisons de biens les travaux immobiliers et de construction, surtout si l’on tient compte du fait que la directive 77/388 ne reproduisait pas la disposition de la directive 67/228 et de la proposition de sixième directive, qui considérait lesdits travaux comme des livraisons de biens.

109. Par conséquent, j’estime qu’il n’existe pas de motifs valables permettant à la Cour de limiter les effets dans le temps de sa décision.

VII – Conclusion

110. Eu égard aux considérations exposées, je propose à la Cour de répondre au Bundesfinanzhof que:

–        la notion de travaux de construction, telle qu’entendue à l’article 2, point 1, de la décision 2004/290/CE du Conseil, du 30 mars 2004, autorisant l’Allemagne à appliquer une mesure dérogatoire à l’article 21 de la sixième directive 77/388/CE en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, comprend les seules prestations de services, en particulier parce que l’organisation d’entreprise et le travail prévalent sur l’élément de la fourniture de matériaux;

–        pour apprécier si une opération est un travail de construction, et donc une prestation de services, ou s’il s’agit d’une livraison de biens, la juridiction concernée doit avoir recours à tous les éléments du cas d’espèce;

–        le droit de l’Union fait obstacle à une législation et à une jurisprudence nationales qui accordent une importance exclusive, aux fins de la distinction en question, à un seul élément, en l’occurrence au fait que le constructeur a fourni des matériaux lui appartenant, et qui font découler automatiquement de la présence dudit élément la distinction entre prestations de services et livraisons de biens, et

–        le législateur national peut certes indiquer aux juridictions les critères à suivre pour distinguer les livraisons de biens des prestations de services, mais il ne saurait limiter le pouvoir qu’ont celles-ci de distinguer les livraisons de biens et les prestations de services en analysant concrètement tous les aspects du cas d’espèce.


1 – Langue originale: l’italien.


2 – JO L 94, p. 59.


3 – JO L 145, p. 1.


4 – JO L 221, p. 9.


5 – JO L 347, p. 1.


6 – Dans le système de la TVA, c’est habituellement celui qui exécute la prestation qui doit facturer et verser la taxe. Par ailleurs, dans certains secteurs (en premier lieu dans celui du bâtiment, surtout dans les relations entre adjudicataires et sous-traitants, car, souvent, les sous-traitants facturent la TVA et ne la paient pas), il est de plus en plus courant de recourir au régime dit de l’«autoliquidation», selon lequel le redevable de la TVA est le destinataire de ladite prestation (dans l’exemple mentionné, l’adjudicataire). L’article 27 de la directive 77/388 permet au Conseil de l’Union européenne d’autoriser les États membres à déroger à ladite directive pour simplifier la perception de la taxe ou éviter les fraudes. La décision 2004/290 autorise précisément la République fédérale d’Allemagne à faire application du mécanisme qui vient d’être décrit, par dérogation aux dispositions de la directive 77/388 qui obligeraient au contraire à considérer comme redevable de la taxe celui qui exécute la prestation.


7 – Outre les importations de biens, opérations qui ne sont pas pertinentes en l’espèce.


8 – Arrêt du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C-320/88, Rec. p. I-285, point 7); les arrêts du 6 février 2003, Auto Lease Holland (C-185/01, Rec. p. I-1317, point 32), ainsi que du 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping (C-435/03, Rec. p. I-7077, point 35), s’expriment dans les mêmes termes.


9 – Arrêt Shipping and Forwarding Enterprise Safe, précité (point 8).


10 – Arrêt du 25 février 1999, CPP (C-349/96, Rec. p. I-973, point 27).


11 – Arrêt du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien (C-231/94, Rec. p. I-2395, point 12). Voir, dans le même sens, arrêts du 17 mai 2001, Fischer et Brandenstein (C-322/99 et C-323/99, Rec. p. I-4049, point 62); du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank (C-41/04, Rec. p. I-9433, points 19 et 27), ainsi que du 11 février 2010, Graphic Procédé (C-88/09, Rec. p. I-1049, point 18).


12 – Arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité (points 27 et 29).


13 – Ibidem (point 19). Voir, dans les mêmes termes, arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C-111/05, Rec. p. I-2697, point 23).


14 – Arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité (point 20).


15 – Idem.


16 – Arrêt du 21 février 2008, Part Service (C-425/06, Rec. p. I-897, point 51).


17 – Arrêts CPP, précité (point 30); Aktiebolaget NN, précité (point 28), et du 2 décembre 2010, Everything Everywhere (C-276/09, Rec. p. I-12359, point 25).


18 – Arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité (point 22); voir, également, arrêts du 11 juin 2009, RLRE Tellmer Property (C-572/07, Rec. p. I-4983, points 17 à 19); Graphic Procédé, précité (point 19), et du 6 mai 2010, Commission/France (C-94/09, Rec. p. I-4261, point 15).


19 – JO 1967, 71, p. 1303.


20 – Cette énumération s’écarte peu de celles utilisées par les États membres en la matière. En France, par exemple, en l’absence de définition législative, le Conseil d’État (CE, sect., 17 décembre 1976, n° 94852) considère comme des travaux immobiliers les opérations qui concourent directement à l’édification d’un immeuble, et l’administration fiscale (Instr. 4 janvier 2010: BOI 3 A-1-10 du 11 janvier 2010, points 57 et suiv.) a indiqué que lesdits travaux sont les travaux de construction, de démolition, de réparation, de rénovation, d’amélioration, de transformation et d’aménagement portant sur un immeuble bâti ou non bâti (sont cités l’aménagement de jardins et le terrassement de terrains).


21 – Déposée comme annexe 1 des observations du gouvernement allemand.


22 – Qui se lit comme suit: «Des pertes de recettes de TVA considérables ont été constatées dans les secteurs de la construction et des entreprises de nettoyage de bâtiments: la TVA a été dûment facturée, mais n’a pas été versée aux autorités fiscales, alors que le destinataire a exercé son droit à déduction […]».


23 – Il convient de souligner que, dans la version allemande de la directive 77/388 et de la décision 2004/290, les termes «travaux immobiliers» et «travaux de construction» sont tous deux traduits par «Bauleistungen». Du reste, ce terme revêt une nuance différente dans les deux cas, étant donné que, eu égard au deuxième considérant de la décision 2004/290, les «Bauleistungen» en question concernent le secteur de la construction de bâtiments.


24 – Arrêt Aktiebolaget NN, précité (points 21 et 27).


25 – Il ressort de la description figurant dans la décision de renvoi que les parties en cause ont conclu un contrat d’entreprise. C’est pourquoi, le présent développement se concentrera sur ce type de contrat et non sur d’autres qui pourraient être pertinents.


26 – Dans le cas où la valeur des matériaux utilisés dépasserait de beaucoup celle du travail et représenterait une composante significative de la prestation dans son ensemble, il pourrait s’agir non pas de travaux immobiliers, mais d’une vente de ces matériaux.


27 – Le juge appréciera si les parties ont visé le bâtiment en soi ou comme le produit d’une activité; dans le premier cas, il s’agira d’une obligation de donner, dans le second, d’une obligation de faire.


28 – Ce qui aurait évidemment dû être constaté sur la base d’une appréciation concrète au cas par cas.


29 – Et donc, également, les «travaux de construction», qui, ainsi que nous l’avons observé au point 43 des présentes conclusions, font partie des «travaux immobiliers».


30 – La raison pour laquelle une disposition telle que celle de l’article 5, paragraphe 5, sous b), a été introduite est que les «travaux immobiliers» se caractérisent souvent par la présence d’une organisation d’entreprise visant à fournir des services, accompagnée, surtout dans le secteur de la construction, de la livraison de matériaux et de la délivrance d’un bâtiment et éventuellement du sol y attenant. Il est donc logique que les États membres se soient vu donner la possibilité de qualifier de livraisons de biens ces opérations complexes qui, si elles étaient appréciées dans leur ensemble, devraient être des prestations de services.


31 – Cet article se rapporte en effet, du fait de l’expression «avant sa première occupation», aux constructions nouvelles: voir arrêt du 8 juillet 1986, Kerrutt (73/85, Rec. p. 2219, point 16).


32 – Cette distinction terminologique se retrouve dans plusieurs versions linguistiques de la directive 77/388, à savoir la version française, dans laquelle on parle de «livraison d’un bâtiment» [article 4, paragraphe 3, sous a)] et de «délivrance de certains travaux immobiliers» [article 5, paragraphe 5, sous b)], la version anglaise, qui distingue entre «supply before first occupation of buildings» [article 4, paragraphe 3, sous a)] et «the handing over of certain works of construction» [article 5, paragraphe 5, sous b)], la version allemande, qui utilise les expressions «die Lieferung von Gebäuden» [article 4, paragraphe 3, sous a)] et «die Ablieferung bestimmter Bauleistungen» [article 5, paragraphe 5, sous b)], la version néerlandaise, qui mentionne «de levering van een gebouw» [article 4, paragraphe 3, sous a)] et «de oplevering van een werk in onroerende staat» [article 5, paragraphe 5, sous b)], et la version italienne, qui oppose «la cessione, effettuata anteriormente alla prima occupazione, di un fabbricato» [article 4, paragraphe 3, sous a)] et «la consegna di taluni lavori immobiliari» [article 5, paragraphe 5, sous b)].


33 –      Je remarque que les versions anglaise et française utilisent respectivement les termes «work» et «travaux» et la version allemande le terme «Bauleistungen».


34 –      Dans ce cas également, les versions anglaise et française utilisent respectivement les termes «work» et «travaux» et la version allemande le terme «Bauleistungen».


35 – Point b), sous cc), des motifs de la décision de renvoi relatifs à la première question préjudicielle.


36 – En l’absence de cette qualification expresse, il s’agirait de prestations de services.


37 – Le gouvernement allemand soutient que, en réalité, l’article 2 de la décision 2004/290 ne pourrait pas être interprété de cette façon, parce que l’article 1er qui le précède se réfère de façon générale et sans restriction aux fournitures de biens et de services visées à l’article 2 de ladite décision. J’observe que l’article 2 ne fait que préciser l’article 1er et qu’il se borne à indiquer en détail, en les distinguant respectivement aux points 1 et 2, les prestations de services et les livraisons de biens qui font l’objet de la dérogation en cause. L’article 2 respecte ainsi la disposition de l’article 1er, qui se réfère au contraire de façon abstraite aux deux catégories générales en question. On ne saurait non plus partager l’appréciation suggérée par le gouvernement allemand en raison du fait que, au cours du processus d’élaboration de la décision 2004/290, le groupe de travail du Conseil qui en était chargé a inséré à l’article 1er non seulement le terme «services», mais aussi le terme «biens». Cela s’explique en effet par le fait que l’article 2, point 2, mentionne des opérations pouvant être qualifiées de livraisons de biens.


38 – Annexe des observations de la Commission.


39 – Page 4 des observations de la Commission.


40 – «Grundsätzlich nur Dienstleistungen gemeint sind».


41 – «Mitgliedstaaten, die Artikel 5 Absatz 5 der Sechsten MwSt-Richtilinie umgesetz haben, müssen in diese Definition auch die Dienstleistungen einbeziehen, die sie als Lieferung von Gegenständen betrachten».


42 – Décision du Conseil du 5 novembre 2002 autorisant l’Autriche à appliquer une mesure dérogatoire à l’article 21 de la directive 77/388/CEE en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO L 306, p. 24).


43 – Il s’agit du point 15 du deuxième jeu de conclusions présentées dans cette affaire (arrêt du 4 octobre 1995, C-291/92, Rec. p. I-2775).


44 – Par exemple en Bulgarie, en France, en Italie, en Pologne, en Roumanie, en Finlande, en Suède et au Royaume-Uni. La Hongrie et les Pays-Bas ont en revanche utilisé la possibilité de considérer ces travaux comme des livraisons de biens ainsi que le prévoit expressément la directive 77/388 [article 5, paragraphe 5, sous b)] et que l’a confirmé la directive 2006/112 (article 14, paragraphe 3); l’Espagne a qualifié les travaux immobiliers de prestations de services, à moins que la valeur des matériaux utilisés ne dépasse 33 % de l’assiette de la taxe fixée par la loi, faisant ainsi elle aussi usage de la faculté visée à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2006/112. Le choix qu’ont fait l’Espagne, la Hongrie et les Pays-Bas d’utiliser la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 5, sous b), de la directive 77/388 et à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2006/112 pour classer comme livraisons de biens les travaux immobiliers et de construction prouve que, dans ces pays également, sans cette dérogation, ces opérations seraient des prestations de services.


45 – Suivent en revanche une voie apparemment différente l’Irlande, la Grèce, le Portugal et la Slovaquie. L’Irlande applique la règle dite des «2/3», selon laquelle, dans l’hypothèse où la valeur des biens fournis en vertu d’un accord de prestation de services représente plus des 2/3 de la valeur totale de l’accord, ledit accord est considéré, aux fins de la TVA, comme une livraison de biens. La Grèce qualifie de livraisons de biens les travaux sur des immeubles en vertu d’un contrat de louage d’ouvrage. En revanche, le Portugal classe l’opération en question en tant que livraison de biens dans le cas où l’entrepreneur fournit la totalité des matériaux ou lorsque les matériaux fournis par le maître d’ouvrage sont négligeables. Enfin, la Slovaquie considère les travaux de construction comme une prestation de services, mais en distingue la livraison d’une construction ou d’une partie d’une construction en vertu d’un contrat de construction ou d’un contrat similaire, c’est-à-dire la situation dans laquelle un entrepreneur fournit une construction dans son ensemble, et non des services spécifiques. Parmi ces solutions, la solution slovaque reste cohérente avec la possibilité de se prévaloir de la dérogation visée à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 77/388 et à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2006/112, dans un système où lesdits travaux sont des prestations de services, les solutions irlandaise et portugaise introduisent un critère de distinction entre la livraison de biens et les prestations de services, sur la base de l’importance qui est automatiquement accordée à un seul critère (celui de la valeur des biens), sur lequel nous reviendrons aux points 92 à 94 des présentes conclusions, tandis que seule la solution grecque suit une direction différente de celle qui peut être déduite de la directive en la matière.


46 – Il convient du reste de relever que ni le gouvernement allemand ni la Commission n’ont concrètement indiqué quels travaux de construction devraient par nature être considérés comme des livraisons de biens (à part la situation faisant l’objet de la présente affaire).


47 – Qui, selon les seuls éléments qu’on peut déduire de la décision de renvoi, semble relever des prestations de services, s’agissant à première vue d’un marché visant à la construction d’un immeuble.


48 – Je ne partage pas l’affirmation de la Commission selon laquelle relèveraient des travaux de construction des prestations qui, selon les définitions énoncées dans la directive 77/388, seraient classées comme livraisons de biens, parce qu’elle se fonde sur la thèse – qu’il convient de rejeter – que des opérations comme celles de l’espèce seraient toujours des livraisons de biens.


49 – Sur ce point, je dois répéter que l’on ne saurait partager l’affirmation du gouvernement allemand selon lequel il existerait en tout état de cause des livraisons de biens autres que celles mentionnées à l’article 14, paragraphe 3, qui relèveraient cependant des travaux immobiliers et de construction. Si un tel point de vue était fondé, le rappel exprès de ce dernier article à l’article 199 de la directive 2006/112 n’aurait en effet eu aucun sens.


50 – Arrêts du 28 septembre 1994, Vroege (C-57/93, Rec. p. I-4541, point 21); du 10 janvier 2006, Skov et Bilka (C-402/03, Rec. p. I-199, point 51), ainsi que du 3 juin 2010, Kalinchev (C-2/09, Rec. p. I-4939, point 50).


51 – Arrêt du 27 avril 2006, Richards (C-423/04, Rec. p. I-3585, point 42).


52 – Arrêts du 15 mars 2005, Bidar (C-209/03, Rec. p. I-2119, point 68), et Kalinchev, précité (point 52).


53 – Il reste naturellement possible que le juge considère qu’il ne s’agit pas de travaux de construction à la suite d’un examen de toutes les circonstances de l’espèce, mais j’estime que, dans la quasi-totalité des cas, les opérations déjà assujetties à l’autoliquidation continueront de l’être, sans que des redressements soient nécessaires.


54 – Je ne crois pas que les auteurs des prestations subiraient les dommages annoncés par le gouvernement allemand. Hormis le fait que l’hypothèse est essentiellement théorique, j’observe que l’on pourrait en tout état de cause appliquer le régime ordinaire de perception de la TVA auquel les entreprises sont habituellement soumises. Les éventuels litiges pourraient ensuite être facilement résolus par les parties devant les juridictions, sans conséquences pour l’administration fiscale.


55 – Voir points 77 et 78 des présentes conclusions.


56 – La décision 2004/290 date du 30 mars 2004.