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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 28 février 2013 (1)

Affaire C-62/12

Galin Kostov

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane I upravlenie na izpalnenieto» – Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad – Varna (Bulgarie)]

«Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Notion d’assujetti – Assujettissement à la TVA d’une personne physique pour l’exécution de prestations occasionnelles de services non liées à sa profession libérale d’huissier»





I –    Introduction

1.        La présente procédure de renvoi préjudiciel a trait à la notion d’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») sous le régime de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «directive TVA») (2). Elle intervient dans un contexte où un huissier privé a conclu un contrat de mandat conformément auquel il a acquis pour son mandant des propriétés immobilières en Bulgarie, activité qui, selon la juridiction de renvoi, ne présente aucun lien avec l’exercice de sa profession.

2.        La question qui se pose est celle de savoir si cet huissier doit être considéré comme un «assujetti» au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA et doit de ce fait acquitter la TVA sur les transactions liées au contrat de mandat.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

3.        Selon l’article 2 de la directive TVA:

«1.      Sont soumises à la TVA les opérations suivantes:

a)      les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;

[…]

c)      les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;

[…]»

4.        L’article 9 de la directive TVA prescrit ce qui suit:

«1.      Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

2.      Outre les personnes visées au paragraphe 1, est considérée comme un assujetti toute personne qui effectue à titre occasionnel la livraison d’un moyen de transport neuf expédié ou transporté à destination de l’acquéreur par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire d’un État membre mais dans le territoire de la Communauté.»

5.        La directive TVA dispose à son article 12, paragraphe 1:

«Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes:

a)      la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation;

b)      la livraison d’un terrain à bâtir.»

6.        L’article 14 de cette même directive stipule:

«1.      Est considéré comme ‘livraison de biens’, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

2.      Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes:

[…]

c)      la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente.

[...]»

B –    Le droit bulgare

7.        L’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna, Bulgarie) se fonde sur les dispositions suivantes de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Zakon za danak varhu dobavenata stoynost) (ci après le «ZDDS»).

8.        Selon l’article 2 du ZDDS:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.      Toute livraison de biens et toute prestation de services effectuées à titre onéreux;

[…]»

9.        Aux termes de l’article 3 du ZDDS:

«(1)      Est considéré comme assujetti quiconque exerce une activité économique indépendante, quels qu’en soient la finalité ou les résultats.

(2)      L’activité économique indépendante est l’activité des fabricants, des commerçants et des prestataires de services, y compris dans les domaines des activités extractives et agricoles, de même que l’exercice d’une profession libérale, y compris les professions d’huissier privé et de notaire. Est également une activité économique indépendante toute activité exercée régulièrement ou à titre professionnel, moyennant une rémunération, y compris l’exploitation d’un patrimoine matériel ou immatériel, en vue d’en tirer des revenus ayant un caractère de permanence. [...]»

10.      L’article 6, paragraphe 2, point 4, du ZDDS qualifie de livraison de biens «la mise à disposition effective d’un bien à une personne qui agit en son nom et pour le compte d’autrui».

11.      Selon l’article 8 du ZDDS, un service au sens de cette loi est tout ce qui a de la valeur, mais n’est ni une marchandise, ni de l’argent en circulation, ni une devise étrangère, utilisés en tant que moyen de paiement.

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

12.      M. Kostov exerce en Bulgarie la profession d’huissier privé à titre indépendant. Il est immatriculé aux fins de la TVA en vertu de l’article 96, paragraphe 1, du ZDDS.

13.      Le 13 novembre 2008, M. Kostov a conclu un contrat de mandat avec la société Bon Marin AD (ci-après le «contrat en cause au principal»). Aux termes de ce contrat, M. Kostov s’est engagé en qualité de mandataire de Bon Marin AD à présenter des offres dans le cadre de trois procédures de vente aux enchères de trois immeubles partiellement bâtis détenus sous le régime de la propriété étatique privée, gérés par le ministère de la Défense et couvrant une superficie d’environ 40 000 m2 (3). Il s’est aussi engagé, pour le cas où les immeubles lui seraient adjugés, à céder le titre de propriété sur lesdits immeubles à Bon Marin AD.

14.      Le mandant, Bon Marin AD, s’est engagé à fournir les moyens financiers nécessaires aux achats prévus par le contrat, à acquérir les titres de propriété sur les biens que M. Kostov aura obtenus en exécution de son mandat et à lui verser la rémunération convenue à hauteur de 50 000 BGN (environ 25 500 euros).

15.      Ladite rémunération fut payée le jour même de la signature du contrat en cause au principal, qui prévoyait par ailleurs que cette rémunération resterait acquise à M. Kostov au cas où les offres ne seraient pas couronnées de succès.

16.      Au mois de mai 2009, M. Kostov a obtenu de la part de l’État les titres de propriété sur les immeubles visés par le contrat de mandat.

17.      Le 30 juin 2009, avec l’accord du mandataire, Bon Marin AD a cedé à Bleyk Siy Kepital EOOD l’ensemble de ses droits et obligations découlant du contrat en cause au principal.

18.      Le litige en matière de TVA est né d’un avis d’imposition rectificatif établi par l’inspection des impôts compétente pour la ville de Varna. Selon cet avis, M. Kostov avait perçu sa rémunération de 50 000 BGN en échange d’une prestation de services imposable au sens de l’article 12 du ZDDS, l’avait effectuée en qualité d’assujetti à la TVA et devait donc s’acquitter de cet impôt sur ce montant.

19.      À la suite d’un recours administratif, l’avis d’imposition rectificatif a été confirmé par le Direktor na Direktsia «Obzhalvane I upravlenie na izpalnenieto» – Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et gestion de l’exécution» pour la ville de Varna, près l’administration centrale de l’Agence nationale des recettes publiques, ci-après «la défenderesse au principal»).

20.      M. Kostov a formé un recours contre ledit avis en faisant valoir que sa prestation de services était effectuée de manière incidente et en l’absence de lien avec son activité économique indépendante d’huissier privé, seule activité pour laquelle il était immatriculé à la TVA.

21.      Dans ces circonstances, l’Administrativen sad – Varna a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Faut-il qu’une personne physique immatriculée à la TVA, en raison de ses activités d’huissier privé, soit considérée comme un assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive [TVA] et soit obligée d’acquitter la TVA conformément à l’article 193 de la directive [TVA] en ce qui concerne une prestation de services occasionnelle, effectuée en l’absence de lien avec ses activités d’huissier privé?»

IV – La procédure devant la Cour

22.      La demande de décision préjudicielle a été déposée à la Cour le 7 février 2012. Des observations écrites ont été déposées par la défenderesse au principal, les gouvernements bulgare et roumain ainsi que par la Commission européenne.

V –    Analyse

A –    Observations liminaires

23.      Alors que tant la juridiction de renvoi que la défenderesse au principal et les gouvernements bulgare et roumain raisonnent sur la base d’un contrat de mandat et d’une prestation de services par le mandataire, la Commission considère qu’il s’agit en l’espèce d’un contrat de commission au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive TVA puisque, si M. Kostov agissait pour le compte de Bon Marin AD, il aurait agi non pas au nom de cette société, mais en son propre nom. La présente affaire concernerait alors une livraison de biens.

24.      Il y aurait donc pour la Commission deux opérations, l’une de commission-achat (acquisition des immeubles par M. Kostov) et l’autre de commission-vente (livraison des immeubles par les époux Kostov (4) à Bleyk Siy Kepital EOOD), l’assujettissement à la TVA de ces opérations étant alors fonction de l’application ou non des exonérations d’opérations de livraisons de bâtiments ou de biens immeubles non bâtis prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive TVA.

25.      À cet égard, il importe de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation et l’applicabilité de dispositions nationales ou d’établir les faits pertinents pour la solution du litige au principal. En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union européenne et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insère la question préjudicielle, tel que défini par la décision de renvoi (5).

26.      C’est donc à la juridiction de renvoi, qui parle clairement de mandat dans sa décision de renvoi, qu’il appartient de qualifier le contrat en cause au principal. Si, sur la base du droit bulgare, et en application dudit contrat, M. Kostov a participé aux enchères en agissant en son propre nom et pour le compte de Bon Marin AD, et que par conséquent il y aurait lieu de constater l’existence d’un contrat de commission, le régime de TVA applicable serait alors celui de la livraison de biens, au regard notamment, des articles 14, paragraphe 2, sous c), et 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive TVA. Pour ma part, je raisonnerai dans les présentes conclusions à partir de la prémisse de la juridiction de renvoi, à savoir l’existence d’un contrat de mandat et donc d’une prestation de services.

B –    Sur le fond

1.      À titre principal

27.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une personne assujettie à la TVA en sa qualité de titulaire d’une profession libérale l’est uniquement pour les opérations faisant l’objet de ses activités économiques habituelles ou également pour toute autre opération économique pour laquelle elle reçoit une contrepartie, et ce même dans les cas où cette dernière activité n’est exercée qu’à titre purement occasionnel.

a)      Les prestations fournies par M. Kostov relèvent-elles de l’exercice d’une «activité économique» au sens des articles 2 et 9, paragraphe 1, de la directive TVA ou uniquement de sa sphère privée?

28.      Selon la jurisprudence de la Cour, l’assujettissement à la TVA suppose une activité effectuée dans le cadre d’un objectif d’entreprise ou dans un but commercial, caractérisé notamment par un souci de rentabilisation des capitaux investis (6).

29.      Aux termes de cette jurisprudence, «l’activité économique doit donc se comprendre comme une activité susceptible d’être exercée par une entreprise privée sur un marché, organisée dans un cadre professionnel et généralement animée par le souci de générer des profits» (7).

30.      Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, M. Kostov a fourni ses services à Bon Marin AD et à son successeur Bleyk Siy Kepital EOOD en contrepartie d’honoraires d’un montant de 50 000 BGN. Rien dans le dossier n’indique que M. Kostov se soit engagé dans cette activité pour une raison autre que la génération d’un profit ni que la rémunération soit un simple remboursement des dépenses encourues par le mandataire.

b)      M. Kostov a-t-il exercé cette activité en qualité d’«assujetti agissant en tant que tel» (article 2 de la directive TVA) alors même qu’elle ne fait pas partie des activités habituelles de sa profession d’huissier?

31.      Il ressort de la décision de renvoi que, conformément à l’article 2 de la loi sur les huissiers privés (Zakon za chastnite sadebni izpalniteli), ceux-ci se voient confier par l’État l’exécution forcée des créances privées constatées dans un titre exécutoire. En concluant et en exécutant le contrat en cause au principal, M. Kostov n’a donc pas agi en qualité d’huissier privé ni n’a exercé des prérogatives qui lui sont confiées par la loi en tant qu’huissier privé.

32.      Comme l’a relevé la Commission dans ses observations écrites, le libellé de l’article 9 de la directive TVA ne permet pas une interprétation restrictive qui exclurait de l’assujettissement les activités exercées par un assujetti du seul fait qu’elles ne correspondraient pas à son activité habituelle.

33.      Un assujetti à la TVA ne l’est donc pas exclusivement pour les activités qu’il déclare comme étant des activités habituelles, mais il l’est pour toute activité rémunérée qui serait, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, «une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services», y compris les activités qui ne correspondent pas à son activité habituelle.

34.      D’ailleurs, comme le remarque la défenderesse au principal, une autre interprétation conduirait à la conséquence inacceptable que les personnes exerçant une activité économique de manière indépendante pourraient changer de statut de façon arbitraire aux fins de l’application de la directive TVA, à savoir tantôt assujettis, tantôt non-assujettis, en fonction du lien plus ou moins étroit avec l’activité principale.

c)      Quelle est l’incidence en matière de TVA du fait que les prestations en cause n’aient été qu’occasionnelles?

35.      Sans en donner une définition, plusieurs éléments dans la législation ou la jurisprudence de la Cour sont indicatifs d’un régime TVA spécifique des opérations «occasionnelles».

36.      En ce qui concerne le texte même de la directive TVA, les articles 9 et 12 retiennent l’attention à cet égard.

37.      L’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, après avoir défini l’activité économique comme étant «toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées», en donne un exemple selon lequel doit être «en particulier considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence».

38.      La notion de «permanence» utilisée audit article 9 ne pourrait cependant être comprise comme excluant de l’assujettissement à la TVA les activités exercées à titre occasionnel.

39.      Cette notion de permanence n’est d’ailleurs utilisée dans la directive TVA qu’à propos d’un exemple spécifique d’activité économique, à savoir l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel et s’applique non à l’activité elle-même mais aux recettes tirées de cette activité particulière.

40.      L’article 12 de la directive TVA (8) quant à lui, permet (et donc n’oblige pas) les États membres à considérer comme un assujetti «quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa», en citant à titre purement exemplatif («notamment») la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation et la livraison d’un terrain à bâtir.

41.      Dans la mesure où la République de Bulgarie n’a pas fait usage de cette faculté ouverte par l’article 12 de la directive TVA, deux interprétations peuvent être données à cette disposition, à savoir:

–        à défaut pour les États membres de faire usage de la faculté ouverte par l’article 12, les opérations relevant des activités visées à l’article 9 de la directive TVA et effectuées à titre occasionnel ne sont pas soumises à la TVA. Sous réserve de définir le caractère occasionnel d’une activité économique, tel pourrait être le cas des prestations de service effectuées par M. Kostov;

–        comme ledit article 12 permet aux États membres de «considérer comme assujetti» quiconque effectue à titre occasionnel une opération relevant des activités visées à l’article 9 de la directive TVA, cela ne peut, par définition, concerner que des personnes qui ne sont pas déjà assujetties à la TVA. Cette faculté existait déjà dans la sixième directive 77/388/CEE (9), qui précisait à son article 4, paragraphe 3, que les États membres pourraient «considérer également comme assujetti» (10) quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Ces textes ne peuvent concerner M. Kostov. Puisqu’il est assujetti, nul besoin d’avoir à recourir à l’article 12 pour le «considérer» comme tel. Cette interprétation que je privilégie et qui est défendue par la Commission dans ses observations écrites (11), les autres parties ne parlant pas de cet article 12, se concilie avec le champ d’application très large qu’a voulu donner à la TVA le législateur de l’Union et avec une autre prise de position de la Commission selon laquelle il y a une présomption qu’un assujetti à la TVA l’est pour toutes ses activités économiques, sauf si elles ressortent à la sphère de ses activités privées, ce qu’il lui appartiendrait d’établir.

42.      La jurisprudence de la Cour mérite aussi notre attention. Je citerai les arrêts Enkler, Słaby e.a et Rēdlihs (12).

43.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Enkler, précité, Mme Enkler avait demandé l’assujettissement à la TVA pour déduire cette taxe portant sur l’achat d’un camping-car qu’elle avait pourtant presque exclusivement utilisé à des fins privées, la location à des tiers ne représentant que 18 jours sur trois exercices fiscaux et moins de 15 % des kilomètres parcourus.

44.      À première vue, la lecture du point 20 de l’arrêt Enkler, précité, (rendu sous l’empire de la sixième directive mais sur la base de textes qui n’ont pratiquement pas, en tout cas sur le fond, été modifiés par la directive TVA (13)) me semble apporter une réponse claire en indiquant qu’«[i]l convient de relever d’emblée qu’il résulte de la confrontation de l’article 4, paragraphe 2 [devenu l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA], avec l’article 4, paragraphe 3 [devenu l’article 12 de la directive TVA], de la sixième directive que la notion d’activité économique figurant tant à la première qu’à la seconde phrase de l’article 4, paragraphe 2, ne concerne pas des activités exercées à titre occasionnel».

45.      Toutefois, dans la suite de ce même arrêt, la Cour n’a plus utilisé la notion d’activités occasionnelles pour répondre à la question de la juridiction de renvoi, le litige portant d’ailleurs plutôt sur la différence entre une activité exercée en qualité d’entrepreneur et une activité d’ordre purement privé (points 16, 17 et 18 dudit arrêt).

46.      Dans ce contexte, il est important de souligner que la Cour ne s’est pas prononcée elle-même sur le caractère d’«activité économique» au sens de la directive TVA des opérations effectuées par Mme Enkler en indiquant, en vue de trancher cette question, qu’il fallait tenir compte de divers éléments et entre autres de la nature du bien visé, de la liaison avec les activités économiques habituelles, de la durée des activités, de l’importance de la clientèle ou du montant des recettes (points 24 à 29 dudit arrêt).

47.      Dans l’arrêt Słaby e.a., précité, était en cause l’éventuel assujettissement à la TVA de la vente, après sa requalification en terrain constructible à la suite d’une modification urbanistique, d’un terrain agricole acquis en exonération de la TVA par un exploitant agricole.

48.      En examinant l’hypothèse où l’État membre en cause (en l’occurrence la République de Pologne) n’avait pas utilisé la faculté offerte par l’article 12 de la directive TVA pour assujettir les personnes effectuant une opération à titre occasionnel, la Cour a de nouveau examiné «l’ensemble des circonstances» (14) de l’affaire afin de qualifier la vente du terrain en cause, soit comme simple exercice du droit de propriété par son titulaire, agissant dès lors à titre privé, soit comme une activité économique exercée par un assujetti, et ce sans plus utiliser le terme d’«activité occasionnelle».

49.      Plus spécifiquement, la Cour (points 37 et 38 dudit arrêt) indique que le nombre et l’ampleur des transactions ne sont pas à eux seuls déterminants. À ce sujet, on remarque qu’il s’agissait, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Słaby e.a., précité, de la vente d’un seul terrain mais, selon les circonstances, sa qualification en matière de TVA va pouvoir varier.

50.      Ainsi, au point 50 dudit arrêt, la Cour précise qu’«[u]ne personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre requalifié, à la suite d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de la volonté de cette personne, en terrain destiné à la construction ne doit pas être considérée comme assujettie à la TVA au sens des articles 9, paragraphe 1, et 12, paragraphe 1, de la directive TVA, lorsqu’elle entreprend de vendre ledit fonds de terre, si ces ventes s’inscrivent dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de cette personne» (15).

51.      Par contre, selon la Cour (16), les transactions en cause deviennent imposables aux fins de la TVA s’il est constaté que la personne en cause entreprend, en vue de leur réalisation, «des démarches actives de commercialisation» en mobilisant «des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA».

52.      Dans l’arrêt Rēdlihs, précité, dans le cadre de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, la Cour a distingué entre le cas où un particulier utilise un bien d’une manière telle que son activité doive être qualifiée d’«activité économique», c’est-à-dire, en règle générale, lorsque le bien en cause convient à une exploitation exclusivement économique, et le cas où un bien est, en raison de sa nature, susceptible d’être utilisé à des fins tant économiques que privées (17). Sans mêler à cette distinction la notion d’«activité occasionnelle», la Cour a dit pour droit que, lorsque, dans le second cas, l’intéressé entreprend des démarches actives de gestion en mobilisant des moyens analogues à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, l’activité en cause doit être qualifiée d’«activité économique» au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA (18).

53.      Il ressort de ce qui précède que, comme le relève la Commission, la directive TVA ne prévoit, en matière d’assujettissement, aucune exception pour les activités occasionnelles exercées par des assujettis pour autant qu’elles ne ressortent pas à la sphère de leurs activités privées ou ne soient pas menées dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé.

54.      Une exclusion de principe de l’assujettissement à la TVA des activités occasionnelles exercées par un assujetti pourrait d’ailleurs mettre en danger les principes de neutralité et d’égalité de traitement des opérations économiques qui exigent que tous les assujettis soient soumis à la TVA de la même manière pour les mêmes activités (19). Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que, comme je l’ai souligné au point 41 des présentes conclusions, la directive TVA assigne un champ d’application très large à la TVA englobant toutes les activités économiques de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (20).

55.      Par conséquent, des transactions telles que celles effectuées par M. Kostov doivent être soumises à la TVA.

2.      À titre subsidiaire

56.      À titre subsidiaire, si la Cour jugeait que, en principe, les opérations occasionnelles effectuées tant par des non-assujettis que par des assujettis n’étaient pas imposables aux fins de la TVA, sauf à utiliser l’article 12, il y aurait alors lieu d’identifier les critères que la juridiction de renvoi devrait retenir pour qualifier de cette manière les opérations en cause.

57.      Sur la base des critères retenus dans les arrêts précités Enkler, Słaby e.a. et Rēdlihs, j’estime qu’il y aurait alors lieu de retenir, notamment, les éléments suivants dans la présente affaire:

–        même si la juridiction de renvoi estime que les opérations en cause au principal «sont effectuées en l’absence de lien» avec les activités d’huissier privé de M. Kostov, il faut tout de même relever, comme l’ont souligné la défenderesse au principal et le gouvernement bulgare, qu’elles ne sont pas totalement étrangères à la formation et aux qualifications professionnelles de l’intéressé et aux relations de confiance qui doivent exister entre un opérateur économique et un mandataire chargé de mener à bien des acquisitions immobilières;

–        comme dans l’affaire Słaby e.a., précitée, le fait qu’un seul contrat soit en cause n’est pas décisif;

–        il y a lieu de relever que les cocontractants de M. Kostov sont des sociétés, que les bâtiments achetés ont probablement une affectation industrielle ou commerciale et ne sont pas sans importance économique de même que la rémunération de M. Kostov, qu’il conviendrait de comparer avec le reste de ses revenus professionnels (à cet égard, la Commission note dans ses observations que les honoraires d’un montant de 50 000 BGN payés à M. Kostov correspondent à plusieurs années de salaire moyen en Bulgarie (21)), et

–        le contrat en cause au principal permettait à M. Kostov de garder sa rémunération quel que soit le résultat des enchères.

58.      Il appartiendra à la juridiction nationale de relever tous les éléments pertinents dans le dossier en cause au principal et de procéder à une appréciation d’ensemble, afin de déterminer si les activités en cause avaient ou non un caractère occasionnel.

VI – Conclusion

59.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par l’Administrativen sad – Varna de la manière suivante:

–        À titre principal

Une personne physique immatriculée à la taxe sur la valeur ajoutée en raison de ses activités d’huissier privé doit être considérée comme un assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, dès lors obligée d’acquitter la taxe sur la valeur ajoutée portant sur une prestation de services occasionnelle, effectuée en l’absence de lien avec ses activités d’huissier privé.

–        À titre subsidiaire

Afin de décider si une personne physique immatriculée à la taxe sur la valeur ajoutée en raison de ses activités d’huissier privé peut échapper à l’obligation d’acquitter la taxe sur la valeur ajoutée portant sur une prestation de services, parce qu’elle serait occasionnelle et effectuée en l’absence de lien avec ses activités habituelles, la juridiction de renvoi doit apprécier l’ensemble des données de l’espèce, et, notamment, sans qu’un de ces éléments soit à lui seul décisif:

–        la nature et l’affectation des biens visés par les transactions;

–        la liaison des opérations avec la profession de la personne en cause et au cas où elles ne correspondent pas aux activités spécifiques de celle-ci, leur éventuelle liaison avec la formation et les qualifications professionnelles de l’intéressé qui peuvent être déterminantes pour créer les relations de confiance nécessaires pour mener à bien les opérations en cause;

–        l’importance et le type de clientèle;

–        l’ampleur des transactions, et

–        les conditions auxquelles les rémunérations sont soumises ainsi que leur montant.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 347, p. 1.


3 – Le premier terrain couvre une superficie de 12 387 m2 et comprend sept bâtiments dont la superficie totale est de 2 314 m2. Le deuxième terrain couvre une superficie de 12 471 m2 et comprend six bâtiments (cinq entrepôts et un atelier de réparation) dont la superficie totale est de 3 843 m2. Le troisième terrain couvre une superficie de 15 186 m2 et comprend quatre entrepôts dont la superficie totale est de 6 147 m2.


4 – Puisque, comme l’indique la juridiction de renvoi, les immeubles seraient tombés dans la communauté que formaient les époux Kostov conformément à l’article 19, paragraphe 1, du code de la famille.


5 – Voir arrêts du 13 novembre 2003, Neri (C-153/02, Rec. p. I-13555, points 34 et 35), ainsi que du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C-482/01 et C-493/01, Rec. p. I-5257, point 42).


6 – Arrêt du 14 novembre 2000, Floridienne et Berginvest (C-142/99, Rec. p. I-9567, point 28).


7 – Voir, en ce sens, point 10 des conclusions de l’avocat général Maduro dans l’affaire BBL (arrêt du 21 octobre 2004, C-8/03, Rec. p. I-10157). Voir, également, point 19 des conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Wellcome Trust (arrêt du 20 juin 1996, C-155/94, Rec. p. I-3013).


8 – Contrairement à l’article 9, paragraphe 2, de la directive TVA qui oblige à considérer comme un assujetti «toute personne qui effectue à titre occasionnel la livraison d’un moyen de transport neuf expédié ou transporté à destination de l’acquéreur par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire d’un État membre mais dans le territoire de la Communauté».


9 – Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).


10 – C’est moi qui souligne.


11 – Voir Terra, B., et Kajus, J., A Guide to the European VAT Directives: Introduction to European VAT (IBFD 2011), vol. 1, p. 373.


12 – Arrêts du 26 septembre 1996, Enkler (C-230/94, Rec. p. I-4517); du 15 septembre 2011, Słaby e.a. (C-180/10 et C-181/10, Rec. p. I-8461), ainsi que du 19 juillet 2012, Rēdlihs (C-263/11).


13 – Arrêt Rēdlihs, précité (point 23).


14 – Arrêt Słaby e.a., précité (point 38).


15 – Ibidem (point 50).


16 – Ibidem (point 51).


17 – Voir arrêt Rēdlihs, précité (points 34 et 35).


18 – Ibidem (point 36).


19 – Sous réserve de connaître les activités économiques des sociétés mandantes, mais dont il est constaté qu’elles ont acquis des immeubles à vocation essentiellement industrielle ou commerciale, leurs activités ne devraient pas recevoir un traitement différent, du point de vue de la directive TVA, selon qu’elles sont exercées en lien avec des professionnels ou des non-professionnels du secteur.


20 – Arrêt du 28 janvier 2010, Eulitz (C-473/08, Rec. p. I-907, point 24).


21 – Selon l’Institut national de statistique de Bulgarie, le salaire moyen en Bulgarie pour le troisième trimestre de 2012 se situait à hauteur de 754 BGN (environ 385 euros).