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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 5 septembre 2013 (1)

Affaire C-385/12

Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága

[demande de décision préjudicielle formée par le Székesfehérvári Törvényszék (Hongrie)]

«Droit fiscal – Liberté d’établissement – Article 401 de la directive 2006/112/CE – Impôt national sur l’activité de commerce de détail en magasin dans certains secteurs économiques – Taux d’imposition progressif en cas d’une base d’imposition liée au chiffre d’affaires – Comparaison des entreprises liées dans un groupe et dans un système de franchise»






I –    Introduction

1.        En raison de la crise financière et économique des dernières années, les États membres se tournent de plus en plus vers une source traditionnelle de revenus: la perception d’impôts. Cela ne prend pas seulement la forme d’une augmentation du taux des impôts déjà existants, l’on constate aussi l’introduction de nouvelles catégories d’impôts.

2.        La présente demande de décision préjudicielle concerne précisément un tel nouvel impôt. Pour faire face aux besoins de financement accrus de l’État, la Hongrie a institué pour une période de temps limitée un impôt basé sur le chiffre d’affaires de certaines entreprises, mais associé à un taux d’imposition progressif inhabituel pour un tel impôt.

3.        Naturellement, la critique dirigée contre un nouvel impôt ne saurait surprendre. La Cour est cependant saisie ici de la question de savoir si la critique se justifie dans la mesure où elle concerne l’admissibilité d’un tel impôt au regard du droit de l’Union. Les contribuables font notamment valoir, à ce propos, que du fait de son taux progressif, l’impôt fausserait la concurrence au détriment des entreprises étrangères. Il s’agira donc de déterminer si les distorsions de concurrence en question ne font que produire des effets économiques sensibles, ou si elles sont, de surcroît, incompatibles avec le droit de l’Union.

II – Le cadre juridique

4.        En Hongrie, la loi nº XCIV 2010 relative à l’impôt spécial grevant certains secteurs (ci-après la «loi nº XCIV 2010») a soumis l’activité de vente au détail dans certains secteurs économiques à un impôt spécial (ci-après l’«impôt spécial»). Cette loi est entrée en vigueur le 4 décembre 2010 et s’est appliquée rétroactivement à l’activité des assujettis pour toute l’année civile 2010 ainsi que pour un laps de temps consécutif limité.

5.        C’est le chiffre d’affaires net de l’assujetti réalisé pendant l’exercice imposable qui constitue la base d’imposition. Le taux varie en fonction du niveau de la base d’imposition. Jusqu’à un chiffre d’affaires de 500 millions de forints hongrois (HUF) (environ 1,7 million d’euros) le taux est égal à 0 %, puis le taux d’imposition se répartit en trois tranches correspondant à 0,1 %, 0,4 % et enfin 2,5 % pour la tranche excédant 100 milliards de HUF (environ 333 millions d’euros). En raison de cette progressivité, aucun impôt n’est par conséquent perçu jusqu’à un certain niveau de chiffre d’affaires. Dans le cas où un impôt est perçu, le taux moyen d’imposition ainsi que la charge fiscale correspondante en pourcentage sont d’autant plus élevés que le chiffre d’affaires est lui-même élevé.

6.        En vertu de l’article 7 de la loi nº XCIV 2010, les entreprises qui sont réputées liées au sens de la loi hongroise relative à l’impôt sur les sociétés voient leur dette fiscale calculée de la manière suivante: le taux d’imposition est d’abord appliqué au chiffre d’affaires cumulé de tous les assujettis liés. Puis l’impôt dû par chaque assujetti correspond au prorata de sa part dans le chiffre d’affaires total réalisé par l’ensemble des assujettis liés. Sont réputés constituer des entreprises liées au sens de la loi hongroise relative à l’impôt sur les sociétés notamment les assujettis entre lesquels il existe un pouvoir d’influence dominante, exercé par l’un vis-à-vis de l’autre.

III – Le litige au principal et la procédure devant la Cour

7.        Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft. (ci-après «Hervis»), société de droit hongrois, distribue des articles de sport et est soumise à ce titre à l’impôt spécial.

8.        Hervis est liée, au sens de l’article 7 de la loi nº XCIV 2010, à une société mère dont le siège est sis en Autriche, qui réalise, en Hongrie, elle-même ou par le biais d’autres entreprises liées, des chiffres d’affaires dans le secteur du commerce de détail de denrées alimentaires, eux aussi soumis à l’impôt spécial. Du fait de la prise en compte du chiffre d’affaires total du groupe pour l’application du taux, Hervis se voit appliquer un taux moyen d’imposition bien plus élevé que si l’impôt avait été calculé sur la seule base de son propre chiffre d’affaires.

9.        Hervis conteste son imposition au titre de l’exercice 2010, soutenant que la perception de l’impôt spécial serait contraire à plusieurs dispositions du droit de l’Union. Cet impôt désavantagerait de façon discriminatoire les entreprises contrôlées par des étrangers par rapport à celles qui le sont par des Hongrois, ainsi que les opérateurs individuels par rapport aux entreprises exploitées dans le cadre d’un réseau de franchisés. En effet, il s’avérerait que, précisément dans le secteur de la distribution des denrées alimentaires, les sociétés détenues par des Hongrois sont exploitées sous la forme de franchises et qu’elles échappent, pour cette raison, au cumul des chiffres d’affaires aux fins de l’impôt spécial, seul étant pris en compte le chiffre d’affaires de chaque franchisé pour le calcul de l’impôt.

10.      C’est dans ce contexte que le Székesfehérvári Törvényszék (tribunal de Székesfehérvári, Hongrie), saisi d’un recours formé par Hervis, a posé à la Cour la question préjudicielle suivante, conformément à l’article 267 TFUE:

«Le fait qu’un contribuable exerçant une activité de commerce de détail en magasin doive acquitter un impôt spécial sur le montant de son chiffre d’affaires annuel net excédant 500 millions de HUF est-il compatible avec les dispositions relatives au principe général de [non-]discrimination (articles 18 TFUE et 26 TFUE), au principe de la liberté d’établissement (article 49 TFUE), au principe de l’égalité de traitement (article 54 TFUE), au principe d’égalité en ce qui concerne la participation financière au capital des sociétés au sens de l’article 54 (article 55 TFUE), au principe de la libre prestation des services (article 56 TFUE), au principe de la libre circulation des capitaux (articles 63 TFUE et 65 TFUE) et au principe d’égalité en ce qui concerne l’imposition des entreprises (article 110 TFUE)?»

11.      Au cours de la procédure devant la Cour, des observations écrites ont été déposées par Hervis, la Hongrie, la République d’Autriche ainsi que la Commission européenne, qui ont aussi pris part à l’audience qui s’est tenue le 18 juin 2013.

IV – Analyse juridique

A –    Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

12.      Il convient, pour commencer, d’examiner la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, qui est mise en doute par la Hongrie.

13.      La Hongrie soutient que, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence, la décision de renvoi ne contient pas d’éléments expliquant pour quelles raisons la juridiction de renvoi estime qu’une interprétation s’impose des dispositions du droit de l’Union citées dans la question. En particulier, il ne serait pas expliqué de quelle manière l’impôt spécial produirait un effet discriminatoire.

14.      En vertu de la jurisprudence constante de la Cour, le juge national doit définir le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou, à tout le moins, expliquer les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit, en outre, indiquer les raisons qui ont conduit le juge national à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union ainsi que le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (2).

15.      De telles exigences répondent à un double objectif. Elles visent à assurer, d’une part, que la Cour puisse fournir à la juridiction de renvoi une interprétation utile du droit de l’Union et, d’autre part, qu’un minimum d’explications permette aux États membres et aux autres parties intéressées de prendre utilement position dans la procédure régie par l’article 267 TFUE. Puisque seule la décision de renvoi est notifiée aux parties intéressées, celle-ci doit comporter toutes les informations leur permettant de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (3).

16.      Il est vrai que l’on peut effectivement se demander si la présente décision de renvoi répond, en soi, à l’exigence d’explications minimales. Ainsi, en particulier, la juridiction de renvoi n’explique pas en détail sur quels éléments factuels et juridiques la discrimination invoquée par Hervis dans le litige au principal est censée reposer. Non seulement il manque des indications relatives à l’article 7 de la loi nº XCIV 2010, mais on ne trouve pas non plus d’explications sur l’inclusion d’Hervis dans la structure d’un groupe de sociétés ni sur la charge fiscale pesant sur les entreprises détenues respectivement par des nationaux et par des étrangers, ou sur les sociétés opérant au sein ou en dehors d’un réseau de franchisés.

17.      Le contenu d’une demande de décision préjudicielle peut cependant être complété, dans certaines circonstances, par d’autres sources d’information sans que soient remis véritablement en cause les objectifs qui doivent être garantis à travers ces exigences formelles.

18.      Ainsi, en particulier, les observations écrites présentées par les parties au principal peuvent permettre à la Cour de donner une interprétation utile du droit de l’Union (4). Dans la présente affaire, les indications de la juridiction de renvoi ont été suffisamment complétées, tant sur le plan factuel que juridique, par les observations écrites d’Hervis et de la Hongrie.

19.      De plus, les autres parties intéressées ont pu prendre utilement position sur la demande de décision préjudicielle dans cette affaire. On en veut pour preuve, d’abord, le fait que la République d’Autriche et la Commission se sont utilement exprimées en déposant leurs observations écrites (5). Ensuite, les questions de droit qui sont ici en cause avaient déjà fait l’objet, en partie, d’un débat public, en particulier sous la forme de questions parlementaires et de réponses de la Commission (6). Enfin, puisque, de surcroît, une audience de plaidoiries a eu lieu dans cette affaire, les autres parties intéressées ont également été en mesure, au plus tard après avoir eu connaissance des observations écrites déposées dans la procédure devant la Cour, de prendre utilement position au stade de l’audience (7).

20.      La demande de décision préjudicielle est par conséquent recevable.

B –    La réponse à la question préjudicielle

21.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si l’obligation d’acquitter l’impôt spécial, imposée aux assujettis dès lors que leur chiffre d’affaires annuel net excède 500 millions de HUF, est compatible avec diverses dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

22.      Hervis et la République d’Autriche ont soutenu que la question préjudicielle n’avait pas été posée de façon suffisamment nuancée et suggèrent qu’elle soit reformulée. En particulier, la question passerait sous silence le caractère spécial de l’impôt qui, en raison de la forte progressivité du taux et du traitement différent appliqué aux réseaux de franchisés et aux systèmes des succursales, pénaliserait les entreprises de vente au détail contrôlées par des actionnaires étrangers.

23.      Nous ne voyons cependant pas de raison de reformuler la question préjudicielle. Les effets pratiques de la perception de l’impôt spécial, invoqués par Hervis et par la République d’Autriche, sont à prendre compte, comme il se doit, dans le cadre de l’interprétation du droit de l’Union.

24.      En plus des dispositions citées dans la question préjudicielle, la Cour devrait néanmoins examiner aussi l’incidence de l’article 401 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (8) (ci-après la «directive TVA»), dans la présente affaire, afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile (9). En effet, cette disposition concerne spécialement la compatibilité avec le droit de l’Union des taxes sur le chiffre d’affaires (10).

25.      Il nous faut cependant commencer par examiner les dispositions du droit primaire qui sont citées par la juridiction de renvoi.

1.      L’interdiction des discriminations d’ordre fiscal touchant les produits

26.      Il convient d’abord de rechercher si le principe de non-discrimination énoncé à l’article 110 TFUE s’oppose à la perception de l’impôt spécial. En vertu de cette disposition, un État membre ne peut pas frapper directement ou indirectement les produits des autres États membres d’impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires.

27.      Puisque les impositions seulement indirectes sur les produits sont également visées, cette disposition ne couvre pas seulement les impositions frappant le produit en tant que tel. Le respect de l’article 110 TFUE s’impose aussi en cas d’impositions frappant une activité déterminée en relation avec des produits, dans la mesure où elles affectent directement le prix des produits (11).

28.      Certes, on peut tout à fait concevoir que l’impôt spécial ait influé directement sur le prix des produits du fait de sa base d’imposition liée au chiffre d’affaires, pour autant qu’il n’ait pas été perçu rétroactivement pour l’année civile 2010. Toutefois, il n’y a violation de l’article 110 TFUE que lorsque l’imposition frappant le produit importé et celle frappant le produit national similaire sont calculées de façon différente, aboutissant – ne fût-ce qu’indirectement (12) – au moins dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé (13). Or, dans le présent cas, il n’apparaît pas que l’impôt spécial frappe plus lourdement les produits provenant d’autres États membres que les produits nationaux. En effet, même si les entreprises détenues par des étrangers étaient soumises à une imposition plus lourde que les entreprises détenues par des nationaux, il ne semble pas que lesdites entreprises détenues par des étrangers distribuent prioritairement des produits de provenance étrangère.

29.      L’article 110 TFUE ne s’oppose donc pas à un impôt spécial tel que celui décrit par la juridiction de renvoi.

2.      Le droit d’établissement

30.      Il convient ensuite de rechercher si l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, fait obstacle à la perception de l’impôt spécial. En vertu de cette disposition, il est interdit aux États membres de restreindre la liberté reconnue à une société sise dans un État membre de s’établir sur le territoire d’un autre État membre. La liberté d’établissement inclut aussi, conformément à l’article 49, paragraphe 2, TFUE, l’exercice d’une activité professionnelle.

31.      En l’espèce, la société mère d’Hervis pourrait se voir indûment imposer une restriction à son droit d’établissement en Hongrie du fait de la perception de l’impôt spécial. Dans ce cas, Hervis pourrait aussi se prévaloir du droit d’établissement de sa société mère pour échapper à une obligation d’acquitter l’impôt spécial qui serait contraire au droit de l’Union (14).

a)      La discrimination

32.      La liberté d’établissement interdit en principe toute discrimination fondée sur le lieu du siège des sociétés (15). Il y a discrimination en cas d’application de règles différentes à des situations comparables ou bien d’application de la même règle à des situations différentes (16). C’est pourquoi l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, interdit que soit réservé un traitement fiscal différent aux sociétés sises sur le territoire national, d’une part, et à celles sises en dehors du territoire national, d’autre part, si, à l’égard de la mesure nationale en cause, les sociétés concernées se trouvent dans une situation objectivement comparable (17).

33.      À première vue, l’impôt spécial ne crée pas de disparité de traitement au détriment des sociétés hongroises assujetties à l’impôt telles que Hervis, fondée sur le lieu du siège de leur société mère. En effet, les modalités de perception de l’impôt ne diffèrent pas en fonction du lieu du siège de la société mère. La loi nº XCIV 2010 ne traite pas, sur le plan purement formel, les filiales de sociétés hongroises différemment des filiales de sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres.

34.      Cependant, l’article 49 TFUE interdit aussi toute discrimination indirecte ou dissimulée fondée sur le siège de la société. Constitue une discrimination dissimulée l’application d’autres critères de distinction que le siège d’une société qui aboutit cependant, en fait, au même résultat discriminatoire (18).

35.      Hervis, la République d’Autriche et la Commission ont invoqué divers éléments, censés démontrer la discrimination dissimulée opérée à l’encontre de l’activité des sociétés étrangères en Hongrie. Il s’agit d’une prétendue différence de traitement entre les assujettis dont les actionnaires sont des nationaux et ceux ayant un actionnariat étranger, en raison de l’organisation sous la forme de succursales ou d’un système de franchise et du rattachement à un groupe de sociétés ou à un réseau de franchisés. Les parties n’ont, à cette occasion, discuté que partiellement des règles de la loi nº XCIV 2010 proprement dite, et se sont surtout arrêtées les conséquences pratiques de l’impôt spécial pour chaque système de distribution.

36.      Toutefois, seuls sont déterminants pour l’existence d’une discrimination dissimulée les critères en fonction desquels les règles relatives à l’impôt spécial diffèrent. En elles-mêmes, ces règles ne traitent pas différemment le système des succursales de celui des franchisés; les conséquences différentes sur le plan fiscal résultent de la disposition qui distingue en fonction du niveau du chiffre d’affaires de l’assujetti et qui cumule les chiffres d’affaires de l’ensemble de ses magasins. Conformément aux critères de distinction retenus par la loi nº XCIV 2010, sur lesquels les parties ont fondé leurs argumentations, nous allons donc examiner ci-après le critère tiré du montant du chiffre d’affaires de l’assujetti [sous le titre ii)], le critère des assujettis liés [sous le titre iii)], et celui du stade de distribution correspondant au chiffre d’affaires [sous le titre iv)], sous l’angle d’une éventuelle discrimination dissimulée.

i)      Les éléments constitutifs de la discrimination dissimulée

37.      Il faut néanmoins commencer par préciser quelles sont les conditions requises pour qu’il y ait discrimination dissimulée. En effet, la jurisprudence actuelle de la Cour en matière de liberté d’établissement ne permet pas de dire de façon absolument claire dans quels cas un critère de distinction autre que le siège de la société aboutit en fait au même résultat discriminatoire.

38.      Se pose, d’une part, la question de l’intensité que doit revêtir la corrélation entre le critère de distinction choisi et le siège de la société pour que l’on puisse conclure à une inégalité de traitement fondée sur le siège. La Cour a, jusqu’à présent, retenu une concordance dans la plupart des cas (19) mais parfois aussi le simple fait que les étrangers soient affectés de manière prépondérante (20), et a même parlé d’un simple risque de discrimination (21). On peut donc seulement constater qu’une coïncidence à 100 % entre le critère retenu et le siège de la société n’est pas requise (22).

39.      D’autre part, ce n’est pas seulement l’intensité de la corrélation requise dans la jurisprudence qui est incertaine, mais aussi le point de savoir si cette corrélation doit résulter de la nature même du critère de distinction (23) ou si elle peut reposer sur des situations de fait contingentes (24). Un rapport entre la nature même du critère de distinction et le siège de la société supposerait qu’un tel critère comporte un lien systématique avec le siège de la société. Au contraire, dans le cas d’un rapport de fait fortuit, il suffirait que la corrélation existe effectivement dans une situation donnée. Une telle façon de voir implique que la discrimination dissimulée peut alors disparaitre à tout moment en cas de modification de la situation de fait.

40.      Nous suggérons à la Cour de subordonner la reconnaissance d’une discrimination dissimulée à des conditions strictes. En effet, la discrimination dissimulée doit avoir pour effet non pas d’étendre la définition de la discrimination, mais seulement de couvrir également les cas dans lesquels il n’y a pas de discrimination sur le plan strictement formel tout en aboutissant aux mêmes effets.

41.      La corrélation entre le critère de distinction et le siège de la société doit donc pouvoir, en premier lieu, se retrouver dans la très grande majorité des cas. Le simple fait que les étrangers soient affectés de manière prépondérante ne suffit pas.

42.      En second lieu, cependant, il ne serait pas réaliste de circonscrire d’une façon générale la discrimination dissimulée aux cas dans lesquels elle résulte de la nature même du critère de distinction, et non de simples circonstances de fait contingentes.

43.      En effet, la corrélation existant entre un critère de distinction et le siège d’une société comporte toujours également une assise factuelle. Cela vaut aussi pour le critère de distinction classique que représente le domicile d’une personne physique dans le cas des discriminations dissimulées fondées sur la nationalité (25). Si la corrélation entre le domicile et la nationalité résulte de la nature du critère de distinction qu’est le domicile, c’est seulement parce que, dans les circonstances de fait actuelles, ceux qui vivent dans un État membre sont très majoritairement ceux qui en possèdent la nationalité. Dans quelle mesure cela découle de l’existence ou de la nature d’un lien entre le domicile et la nationalité ne peut cependant pas être apprécié indépendamment de la situation de fait actuelle en matière de mobilité des citoyens de l’Union et d’importance des droits appartenant au ressortissant national. Or cette situation pourrait évoluer, si bien que, ici aussi, l’inégalité de traitement qui résulte de façon reconnue de la nature du critère de distinction repose également sur la situation de fait actuelle.

44.      Le fait que, par suite d’une modification de cette situation, une réglementation nationale qui était irréprochable au regard du droit de l’Union lors de son adoption puisse soudainement présenter un caractère discriminatoire ne s’oppose pas à ce que l’on se réfère à la situation de fait actuelle. Pour les besoins du marché intérieur, seule importe l’existence d’une restriction, que le législateur national à l’origine de la règle puisse historiquement se voir reprocher quelque chose à son égard ou non.

45.      Ainsi, une différence de traitement entre les sociétés locales et celles qui ne le sont pas peut résulter aussi d’un simple rapport factuel, assez contingent, entre le critère de distinction et le siège de la société.

46.      En substance, il y a discrimination dissimulée lorsque, dans la situation de fait actuelle, le critère de distinction retenu par la législation nationale est lié dans la très grande majorité des cas à un siège social situé en dehors de l’État membre.

47.      Toutefois, pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une discrimination dissimulée, il faut que, en plus de la disparité de traitement cachée, les catégories entre lesquelles le critère opère une distinction se trouvent placées dans une situation comparable (26). Cela implique de vérifier si la disparité de traitement constatée repose sur des situations différentes, hypothèse qui exclut la discrimination (27). Cette condition supplémentaire empêche aussi que, du seul fait que le critère de distinction soit lié – éventuellement aussi de façon contingente – au siège de la société, les États membres se voient privés de la possibilité de prévoir, dans leurs législations, des différences de traitement objectivement justifiées.

ii)    Le critère tiré du montant du chiffre d’affaires de l’assujetti

48.      Dans ce contexte, il faut maintenant vérifier, dans un premier temps, si le critère tiré du montant du chiffre d’affaires de l’assujetti, que l’impôt spécial utilise pour déterminer le montant du taux d’imposition, représente ou non une discrimination dissimulée à l’encontre des sociétés étrangères.

49.      Selon les règles régissant l’impôt spécial, le taux progresse par tranches en fonction du montant du chiffre d’affaires. Cela a pour conséquence que les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires élevé sont moins bien traitées au titre de l’impôt spécial, du point de vue du taux applicable, que celles qui réalisent un chiffre d’affaires moins important. Ces règles ont aussi pour conséquence que les assujettis qui exercent leur activité par le biais de plusieurs magasins dans le cadre d’un système de succursales auront tendance à se voir réclamer un impôt moyen plus élevé en pourcentage que ceux qui exploitent un unique magasin, comme par exemple les franchisés.

–        L’inégalité de traitement

50.      Pour qu’il y ait discrimination dissimulée, il faut d’abord qu’existe une disparité de traitement entre les assujettis en fonction du lieu du siège de leur société mère. On serait en présence d’une inégalité de traitement cachée entre les sociétés locales et étrangères si, dans la très grande majorité des cas, les assujettis réalisant un chiffre d’affaires élevé étaient gérés par les étrangers, tandis que ceux réalisant un chiffre d’affaires inférieur le sont par des résidents.

51.      Cela ne nous paraît pas s’imposer avec évidence. En principe, il est vrai que les entreprises réalisant un chiffre d’affaires important seront plus enclines à opérer en dehors des frontières nationales sur le marché intérieur, et il peut, de ce fait, exister une probabilité que de telles entreprises cherchent à réaliser d’importants chiffres d’affaires dans un autre État membre et y parviennent. Cependant, les entreprises ayant un chiffre d’affaires élevé peuvent tout aussi bien être gérées par des résidents.

52.      C’est donc à la juridiction de renvoi qu’il incombera de vérifier si, au regard des circonstances de fait, une inégalité de traitement dissimulée a néanmoins eu lieu en Hongrie pendant l’exercice litigieux.

53.      Les données fournies par Hervis, relatives au secteur de l’alimentation, ne suffisent pas pour conclure que tel a été le cas. Elles seraient certes de nature à prouver que, dans le secteur de la vente de denrées alimentaires, les assujettis sont organisés sous forme de succursales contrôlées par des actionnaires étrangers tandis que les chaînes importantes d’approvisionnement alimentaire, qui relèvent de propriétaires nationaux, sont gérées dans le cadre de systèmes de franchise. Cependant, ces données ne concernent qu’une partie du champ d’application de l’impôt spécial et laissent de côté, en particulier, la branche dans laquelle Hervis exerce elle-même son activité. Or une disparité de traitement dissimulée entre les résidents et les étrangers doit être constatée, en principe, pour l’ensemble de la règle en cause et ne peut pas se limiter à une partie déterminée du champ d’application de celle-ci.

54.      Le point de savoir si le cumul des chiffres d’affaires d’Hervis avec ceux qui ont été réalisés par sa société mère dans le commerce des denrées alimentaires est constitutif d’une inégalité de traitement dissimulée n’est, au demeurant, pas seulement décisif pour la légalité du critère du chiffre d’affaires au regard du droit de l’Union, mais devra aussi être examiné dans le cadre de l’analyse du critère consistant dans la prise en compte des entreprises liées (28).

55.      Sous réserve de constatations différentes par la juridiction nationale, il ne paraît donc pas possible d’admettre, en l’état des éléments présentement fournis à la Cour, que le fait d’axer le taux de l’impôt spécial sur le montant du chiffre d’affaires représente une discrimination dissimulée des étrangers par rapport aux résidents.

–        La situation objectivement comparable

56.      Si la juridiction nationale devait néanmoins conclure à l’existence d’une inégalité de traitement dissimulée, il conviendrait de rechercher, alors, si les assujettis réalisant respectivement des chiffres d’affaires élevés et des chiffres d’affaires modestes se trouvent placés dans une situation objectivement comparable au regard de l’impôt spécial.

57.      La Commission estime sur ce point qu’il ne faudrait écarter la situation objectivement comparable, en ce qui concerne en particulier la disparité de traitement entre les structures avec succursales et le système de franchise, que si cette différence de traitement correspondait à une différence de capacité contributive. Or un taux d’imposition plus élevé au titre de l’impôt spécial, résultant de la prise en compte des chiffres d’affaires cumulés réalisés par les entreprises de distribution intégrées avec des succursales, ne correspondrait pas à une capacité contributive plus élevée de la part de ces entreprises. Une telle capacité contributive supérieure ne serait le résultat que d’un bénéfice plus élevé, lequel tient compte non seulement du chiffre d’affaires mais aussi des coûts engagés.

58.      Il convient d’abord d’observer que la différence de traitement entre les assujettis à fort chiffre d’affaires et ceux à faible chiffre d’affaires correspond à la nature même d’un impôt qui détermine son montant en fonction du chiffre d’affaires. Le traitement inégal existe alors aussi dans l’hypothèse où un tel impôt ne prévoit qu’un seul taux uniforme. En effet, les assujettis à chiffre d’affaires élevé acquitteront alors en termes absolus un impôt plus élevé que ceux qui réalisent des chiffres d’affaires modestes.

59.      En l’espèce, se pose par ailleurs la question de savoir si les assujettis à fort et faible chiffres d’affaires se trouvent placés dans une situation objectivement comparable au regard du taux d’imposition. En d’autres termes, il faut se demander si une différence dans les montants du chiffre d’affaires conduit justement, sous l’angle de l’égalité, à l’application de taux différents. Enfin, il faudra vérifier ici s’il existe un motif justifiant la disparité de traitement. Un tel examen est d’ordinaire réalisé au titre de l’examen des motifs justificatifs (29).

60.      Cependant, quelle que soit la qualification théorique donnée à cet examen, nous partageons l’avis de la Commission selon lequel la différence de capacité contributive de l’assujetti peut en principe justifier l’application d’un taux d’imposition différent.

61.      La progressivité du taux de l’impôt constitue, en matière de fiscalité directe sur le revenu, c’est-à-dire d’impôts calculés sur le bénéfice, un mode de différenciation admis. Cependant, contrairement à la Commission, nous ne pensons pas qu’il faille exclure purement et simplement la justification de la progressivité dans le cas des impôts basés sur le chiffre d’affaires. En effet, le montant du chiffre d’affaires peut représenter un indicateur général de la capacité contributive, étant donné qu’il n’est pas possible de réaliser des bénéfices élevés sans un chiffre d’affaires élevé, ou que le rendement d’un surcroît de chiffre d’affaires (rendement marginal) augmente du fait de coûts unitaires fixes diminués.

62.      Le point de savoir si, dans ce contexte, des niveaux de chiffre d’affaires différents justifient l’application de taux fiscaux différents ne peut pas être résolu sans recourir à un examen de la progressivité du taux sous l’angle de la proportionnalité. À cet égard, la juridiction de renvoi devrait obtenir et analyser un certain nombre de données factuelles. En particulier, il lui faudrait déterminer comment se fait la répartition de la charge fiscale moyenne entre tous les assujettis, en tenant compte du taux applicable à chaque tranche du barème, et comment se développent en principe les rendements marginaux des chiffres d’affaires de l’assujetti.

63.      Cependant, abstraction faite du point de savoir si, de cette façon, les assujettis à fort et faible chiffres d’affaires se trouvent dans une situation objectivement comparable au regard du montant du taux, il apparaît que, en l’absence d’une disparité de traitement constatée à l’encontre des sociétés étrangères (30), le critère tiré du niveau du chiffre d’affaires de l’assujetti ne représente pas un critère de distinction constitutif de discrimination dissimulée dirigée contre les sociétés étrangères.

iii) Le critère de la prise en compte des entreprises liées

64.      Il convient en outre de rechercher si le traitement différent réservé aux assujettis qui sont liés d’une manière particulière à d’autres assujettis représente une discrimination dissimulée fondée sur le siège de la société.

65.      Pour déterminer le montant du taux applicable, l’impôt spécial ne distingue pas uniquement en fonction du montant du chiffre d’affaires de l’assujetti. Dans certaines circonstances, les chiffres d’affaires de différents assujettis sont additionnés pour la détermination du taux. Cela se produit pour les assujettis appartenant à un groupe de sociétés et non pour ceux qui sont liés à d’autres assujettis dans le cadre d’un réseau de franchisés. Puisque Hervis est intégrée dans une structure de groupe, qui réalise en Hongrie notamment d’autres chiffres d’affaires dans le secteur du commerce de denrées alimentaires, cela entraîne pour elle un taux d’imposition plus élevé que pour les assujettis qui font simplement partie d’un système de franchise.

66.      Le critère de distinction réside donc ici dans la nature du lien, de société filiale ou de franchisé, existant entre un assujetti et un autre assujetti qui possède une influence sur son activité commerciale. Dans un cas, une entreprise est l’actionnaire principal de l’assujetti, dans l’autre cas, l’entreprise dispose, à certaines conditions, de droits étendus sur la base d’un contrat de franchise.

67.      Il faudrait d’abord que la juridiction nationale constate, au regard de la situation de fait, l’existence d’une discrimination dissimulée entre les entreprises locales et étrangères. Tel serait le cas si, pendant l’exercice litigieux, l’inclusion d’un assujetti dans un groupe de sociétés était associée dans la très grande majorité des cas à un siège de la société mère situé à l’étranger.

68.      Se poserait alors la question de savoir si l’assujetti faisant partie d’un groupe et l’assujetti appartenant à un réseau de franchisés se trouvent dans une situation objectivement comparable. Ce qui importe à cet effet, c’est que, pour le calcul de l’impôt spécial sur la base du chiffre d’affaires, les liens entre une société mère et sa filiale soient objectivement comparables à ceux existant entre le franchiseur et le franchisé.

69.      Or, le caractère comparable des groupes de sociétés et des réseaux de franchisés fait défaut à cet égard, au moins dans le présent cas, du point de vue de l’influence dominante exercée par une société mère sur sa filiale. En raison de cette influence dominante, en effet, les chiffres d’affaires des filiales sont imputables aux sociétés mères. La société mère qui exerce le contrôle a en effet une grande latitude pour décider de réaliser le chiffre d’affaires elle-même ou par l’intermédiaire d’une filiale imposable. Il n’en va pas de même pour le franchiseur, en raison de l’indépendance juridique et économique de chaque franchisé.

70.      C’est pourquoi les assujettis appartenant à un réseau de franchisés et ceux appartenant à un groupe de sociétés ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable au regard du critère du chiffre d’affaires servant de base au calcul de l’impôt spécial.

71.      Le critère de distinction tiré de la prise en compte des entreprises liées ne peut donc pas conduire à la reconnaissance d’une discrimination dissimulée.

iv)    Le critère du stade de distribution auquel correspond le chiffre d’affaires

72.      Il reste enfin à rechercher si le fait de n’imposer que le dernier stade de la distribution ne représente pas une discrimination dissimulée envers les sociétés ayant leur siège dans un autre État membre.

73.      Selon les règles régissant l’impôt spécial, en effet, seule l’activité de commerce de détail dans un magasin est imposée, et non l’activité de vente en gros au stade précédent. Cette distinction explique pourquoi les assujettis qui ont des succursales sont traités différemment du point de vue fiscal de l’ensemble constitué du franchiseur et des franchisés, puisque le chiffre d’affaires du franchiseur n’est pas imposé.

74.      Cette différence est au cœur de la plainte notamment de Hervis, qui soutient que, dans le secteur des denrées alimentaires, auquel Hervis est lié par sa société mère pour les besoins de l’impôt spécial, une disparité de traitement existe entre les entreprises dont les propriétaires sont étrangers et celles dont les propriétaires sont des résidents.

75.      Sous cet angle également, la juridiction nationale devrait vérifier, pour déterminer s’il y a discrimination dissimulée, si dans la très grande majorité des cas, les étrangers opèrent en Hongrie par le biais de succursales alors que les résidents opéreraient directement, ou indirectement en qualité de franchiseurs par le biais d’un système de franchise.

76.      Si cela était établi, il faudrait rechercher si les entreprises qui exploitent un système de succursales et les franchiseurs se trouvent dans une situation comparable au regard de l’impôt spécial.

77.      À ce propos, Hervis et la République d’Autriche soutiennent que le système de franchise hongrois ne se distingue nullement des entreprises de vente au détail organisées en tant que succursales. Cela résulterait en particulier du fait qu’il existe une seule et même façon de procéder pour l’entrée sur le marché, l’approvisionnement en produits, la fixation des prix, la promotion commerciale et le traitement électronique des données.

78.      Pour apprécier si une situation objectivement comparable existe, le fait que les groupes à comparer soient analogues d’un ou de plusieurs points de vue n’est pas déterminant. Ce qui importe, c’est si oui ou non ils se trouvent dans une situation comparable au regard de la réglementation nationale.

79.      Or tel n’est pas le cas des franchiseurs et des entreprises opérant par le biais d’un système de succursales. En effet, si les franchiseurs ne sont pas soumis à l’impôt spécial, c’est qu’ils ne réalisent pas leur chiffre d’affaires auprès du consommateur final, mais uniquement auprès de leurs franchisés. Il faut donc plutôt les comparer aux grossistes ou aux producteurs, dont les services recourent aussi à des entreprises ayant des succursales et qui, eux non plus, ne sont pas soumis à l’impôt spécial. Si un franchiseur devait être redevable de l’impôt spécial sur son chiffre d’affaires, cela aboutirait à une double imposition des produits dans la mesure où l’impôt serait perçu tant au stade du franchiseur qu’à celui du franchisé. En revanche, les entreprises qui exploitent un système de succursales ne subiraient pas une telle double imposition.

80.      Ainsi, le critère distinctif du stade de distribution auquel correspond le chiffre d’affaires ne conduit pas à retenir l’existence d’une discrimination dissimulée.

v)      Conclusion provisoire

81.      Au regard de la liberté d’établissement, les règles régissant l’impôt spécial ne contiennent donc pas, au vu des éléments présentement soumis à la Cour, de disposition discriminant ostensiblement ou de façon dissimulée les sociétés en raison de leur siège sis à l’étranger.

b)      La restriction non discriminatoire

82.      En vertu de la jurisprudence constante, il y a lieu de considérer comme des restrictions à la liberté d’établissement, en dehors des discriminations, toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (31).

83.      Comme nous l’avons cependant déjà indiqué en d’autre occasion, dans le domaine du droit fiscal, un examen au regard de ce critère n’est pas possible, car ce seraient, sinon, toutes les taxes nationales qui devraient passer au crible du droit de l’Union (32).

84.      Non seulement cette approche est partagée par la Cour dans sa jurisprudence, qui n’a jamais examiné l’existence de restrictions non discriminatoires à la liberté d’établissement dans le domaine du droit fiscal, mais le statut particulier du droit fiscal vis-à-vis de l’application des libertés fondamentales trouve également un appui dans les traités. Ainsi, nombre de dispositions du traité FUE concernant la législation de l’Union prévoient des exceptions formelles plus marquées dans le domaine du droit fiscal (33) et insistent sur la souveraineté reconnue aux États membres en matière fiscale.

c)      Conclusion provisoire

85.      Il faut donc constater que, au regard des éléments présentement fournis à la Cour, la société mère d’Hervis ne voit pas, du fait de la perception de l’impôt spécial, sa liberté d’établissement affectée par une restriction interdite.

3.      La libre prestation des services et la libre circulation des capitaux

86.      Étant donné que, dans le cas d’espèce, c’est le droit d’établissement de la société mère d’Hervis qui est concerné, la libre circulation des capitaux ne peut entrer en ligne de compte (34), ainsi que les parties à la procédure l’ont justement fait observer. Au demeurant, indépendamment du caractère concurrent entre la libre prestation des services et la liberté d’établissement, nous ne voyons pas ici en quoi la libre prestation des services pourrait être concernée, puisque l’objet de l’activité d’Hervis est la distribution de produits.

4.      Le principe général de non-discrimination

87.      Le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité trouvant son expression, dans le domaine du droit d’établissement, à l’actuel article 49 TFUE (35), la règle spéciale doit prévaloir et l’article 18 TFUE est inapplicable dans la présente affaire.

5.      La légalité des impôts sur le chiffre d’affaires au regard de la directive TVA

88.      Pour terminer, nous examinerons la pertinence que présente l’article 401 de la directive TVA pour apprécier la légalité de cet impôt spécial au regard du droit de l’Union.

89.      Selon cette disposition, la directive TVA n’interdit pas aux États membres d’instituer des impôts n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires. Il en résulte, a contrario, qu’il est interdit aux États membres de prévoir des impôts présentant un tel caractère (36).

90.      En l’espèce, la question se pose en pratique de savoir si l’impôt spécial, qui est calculé sur la base du chiffre d’affaires, revêt le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens où l’entend l’article 401 de la directive TVA et est donc prohibé en tant que tel par le droit de l’Union. L’impôt spécial a, en effet, pour résultat, du fait de la progressivité de son taux, de fausser sensiblement la concurrence entre les entreprises à fort chiffre d’affaires et celles à faible chiffre d’affaires. Cette distorsion de concurrence ne constitue cependant pas, comme nous l’avons vu, une discrimination à effet transnational (37), si bien que les libertés fondamentales ne font pas obstacle à un tel impôt. Cependant, les instruments du droit de l’Union visant à éliminer pareilles distorsions de la concurrence se composent non pas uniquement du droit des aides, mais aussi – spécifiquement dans le domaine des impôts sur le chiffre d’affaires – des dispositions du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après «TVA»).

91.      Nous n’ignorons pas que la juridiction de renvoi n’a pas posé de question portant sur l’interprétation de l’article 401 de la directive TVA, et que les parties n’ont pas davantage pris position sur cette question devant la Cour. Cela ne saurait surprendre si l’on songe que, selon la jurisprudence constante de la Cour, toute violation de l’actuel article 401 de la directive TVA doit être écartée si une seule de ses quatre conditions essentielles n’est pas remplie par l’impôt national (38). Les quatre caractéristiques essentielles en question sont l’application généralisée, la fixation du montant proportionnellement au prix, la perception à chaque phase du processus de production et de distribution ainsi que l’application d’un mécanisme de déduction de la taxe acquittée en amont, si bien que l’impôt à chaque phase ne concerne que la valeur ajoutée et est répercutée sur le consommateur final (39). Or l’impôt spécial ne présente pas, de toute évidence, la troisième caractéristique, pas plus que la quatrième, puisqu’il n’est perçu qu’au stade de la vente au détail.

92.      Nous allons néanmoins étudier la pertinence de l’article 401 de la directive TVA pour la présente affaire parce que nous sommes convaincue, d’une part, que les modalités théoriques d’application de cette disposition ont besoin d’être amendées pour lui assurer un effet utile [ci-après sous le titre a)]. Si la Cour modifie ainsi éventuellement ces modalités, la compatibilité de l’impôt spécial avec l’article 401 de la directive TVA n’ira, d’autre part, plus de soi [ci-après sous les titres b) et c)].

a)      La raison d’être de l’article 401 de la directive TVA

93.      L’interdiction de percevoir des impôts ayant les caractéristiques de taxes sur le chiffre d’affaires peut s’expliquer par les raisons suivantes: le système commun de TVA de l’Union est censé remplacer les différentes taxes sur le chiffre d’affaires antérieurement en vigueur dans les divers États membres (40). Comme le montrent les quatrième et huitième considérants de la première directive 67/227/CEE (41), auparavant, dans la plupart des États membres, les taxes sur le chiffre d’affaires étaient perçues sous la forme de taxes cumulatives à cascade et non pas sous la forme d’une TVA. Le système commun de TVA doit désormais substituer à toutes les taxes sur le chiffre d’affaires dans l’Union européenne une forme particulière de taxe sur le chiffre d’affaires, à savoir la TVA en vigueur.

94.      Il s’ensuit que le système commun de TVA n’harmonise pas le domaine des TVA mais celui plus vaste des taxes sur le chiffre d’affaires, en imposant une forme particulière de taxe sur le chiffre d’affaires – la TVA actuelle – de manière contraignante. Il serait naturellement contraire à cette harmonisation que les États membres maintiennent d’autres taxes sur le chiffre d’affaires, à côté du système commun de TVA.

95.      Dans ces circonstances, on constate déjà qu’est trop restrictive l’approche actuelle de la jurisprudence selon laquelle un impôt national ne tombe sous le coup de l’interdiction d’instituer des taxes sur le chiffre d’affaires énoncée à l’article 401 de la directive TVA que si cet impôt présente les caractéristiques essentielles de la TVA (42). L’avocat général Léger a déjà souligné que cette approche de la Cour permet paradoxalement aux États membres de réintroduire un système cumulatif à cascade alors que le système commun de TVA vise précisément à éliminer cela (43). En effet, un système cumulatif à cascade ne présente pas les caractéristiques essentielles d’une TVA parce qu’il ne prévoit pas de déduction de la taxe acquittée en amont.

96.      À cela s’ajoute le fait que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un impôt national n’a la nature d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA, et n’est donc prohibé par le droit de l’Union, que s’il compromet le fonctionnement du système commun de TVA (44). Or ce fonctionnement suppose qu’une forme déterminée de taxe sur le chiffre d’affaires – à savoir la TVA actuelle – garantisse des conditions de concurrence identiques dans tous les États membres. Comme le montre le considérant 4 de la directive TVA, l’objectif recherché avec l’introduction du système commun de TVA est d’appliquer dans les États membres des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne faussant pas les conditions de concurrence et n’entravant pas la libre circulation des marchandises et des services. Cela implique d’éliminer dans toute la mesure du possible les facteurs susceptibles de fausser les conditions de concurrence, tant au niveau national qu’au niveau de l’Union.

97.      De façon logique, la Cour a elle-même exigé dans ses derniers arrêts en la matière que, pour toute comparaison des caractéristiques d’une taxe nationale avec celles de la TVA, une attention particulière soit réservée à l’exigence que la neutralité du système commun de TVA soit à tout moment garantie (45). Reste cependant à comprendre pourquoi seul un impôt possédant les caractéristiques essentielles de la TVA pourrait compromettre le fonctionnement du système commun de TVA en faussant les conditions de concurrence. Comme l’a déjà observé à juste titre l’avocat général Stix-Hackl, ce qui est le plus susceptible d’interférer avec le système commun de TVA, c’est une taxe qui, non seulement présente quelques caractères essentiels de la TVA, mais encore présente également des caractéristiques qui entrent en conflit avec elle (46).

98.      Plaide en premier lieu contre l’approche restrictive de la Cour le texte de l’article 401 de la directive TVA qui ne parle pas de nature de TVA, mais de taxe sur le chiffre d’affaires, ce qui est différent. Cependant de surcroît, l’interprétation restrictive de cette disposition lui retire son effet utile, puisqu’elle autorise l’institution de taxes nationales sur le chiffre d’affaires qui – à l’instar d’une taxe sur le chiffre d’affaires cumulative à cascade – compromet le fonctionnement du système commun de TVA en faussant les conditions de concurrence.

99.      On trouve dans la jurisprudence un élément en faveur d’une interprétation plus extensive de l’article 401 de la directive TVA dans la mesure où elle s’est toujours abstenue, d’une manière ou d’une autre, de prendre position sur le point de savoir si d’autres impôts que ceux présentant les caractéristiques essentielles de la TVA pouvaient être interdits au regard du droit de l’Union. En effet, on peut toujours comprendre la position de la Cour comme signifiant que, à tout le moins un impôt qui présente les caractéristiques essentielles de la TVA est incompatible avec l’actuel article 401 de la directive TVA (47). Ainsi, il ne serait pas exclu que d’autres impôts puissent, eux aussi, être incompatibles avec cette disposition (48).

100. En conclusion, il nous semble clair que l’interdiction d’un impôt énoncée par l’article 401 de la directive TVA suppose que l’impôt national présente les caractéristiques non pas d’une TVA, mais d’une taxe sur le chiffre d’affaire. De plus, cette disposition n’interdit, de par sa raison d’être et conformément à la jurisprudence existante, que les impôts compromettant le fonctionnement du système commun de TVA en faussant les conditions de concurrence au niveau national ou au niveau de l’Union.

101. Nous allons brièvement examiner quelles pourraient être les conséquences d’une approche ainsi modifiée de la jurisprudence dans la présente affaire.

b)      Les caractéristiques essentielles d’une taxe sur le chiffre d’affaires

102. Il faudrait d’abord déterminer si l’impôt spécial présente les caractéristiques essentielles d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA.

103. Pour définir les caractéristiques essentielles d’une taxe sur le chiffre d’affaires, on peut prendre pour point de départ les caractéristiques essentielles d’une TVA telles que résultant de la jurisprudence de la Cour. En effet, celles-ci devraient inclure les caractéristiques propres à la notion plus générale qu’est la taxe sur le chiffre d’affaires, auxquelles s’ajoutent celles spécifiques à la TVA.

i)      Le mécanisme de déduction de la taxe acquittée en amont et la répercussion

104. Il faut constater, avec les avocats généraux Mischo et Stix-Hackl, que l’existence d’un droit à déduction ne peut pas faire partie des caractéristiques essentielles d’une taxe sur le chiffre d’affaires (49). Cette caractéristique empêcherait précisément que les États membres se voient interdire de rétablir un système cumulatif à cascade, dont l’élimination est justement voulue par le système commun de TVA.

105. De même, la répercussion de la taxe sur le consommateur final, exigée par la Cour (50), qui est toujours présentée comme la conséquence du droit à déduction (51), n’est pas une condition de la reconnaissance de la nature de taxe sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA. En effet, dans un système cumulatif à cascade, la répercussion de la taxe est incertaine parce que les conditions de concurrence qui prévalent ne sont pas égales. Exiger la répercussion de la taxe aurait, en outre, pour effet que précisément les taxes qui faussent particulièrement la concurrence et ne peuvent être répercutées pour cette raison, du fait des conditions de concurrence très différentes dans lesquelles se trouvent placés les assujettis, ne tomberaient pas sous le coup de l’interdiction de l’article 401 de la directive TVA.

ii)    La perception à chaque stade du processus de production et de distribution

106. La caractéristique consistant dans la perception à chaque stade du processus de production et de distribution ne constitue pas non plus une caractéristique essentielle des taxes sur le chiffre d’affaires (52).

107. Non seulement la Cour en a jugé ainsi dans sa jurisprudence passée (53), mais les systèmes monophasiques sont aussi une alternative au système commun de TVA en vigueur, car ils conduisent en principe au même résultat sur le plan fiscal, du fait de leur application à des chiffres d’affaires réalisés auprès du consommateur final.

iii) La fixation du montant proportionnellement au prix

108. La fixation du montant proportionnellement au prix est l’élément véritablement le plus caractéristique des taxes sur le chiffre d’affaires. Ce n’est que lorsque la taxe a une base d’imposition axée sur le chiffre d’affaires lui-même que l’on peut parler de taxe sur le chiffre d’affaires.

109. Peu importe que le calcul prenne pour base un chiffre d’affaires unique ou le cumul de plusieurs chiffres d’affaires sur une période donnée, comme le fait ici l’impôt spécial. En effet, même un impôt calculé sur le chiffre d’affaires global d’une année produit son effet sur chaque élément distinct du chiffre d’affaires (54).

110. La Cour a certes écarté partiellement, dans des affaires plus anciennes, l’applicabilité de l’interdiction spécifiquement à une taxe qui, comme le présent impôt spécial, frappait des catégories déterminées d’entreprises sur la seule base de leur chiffre d’affaires de l’année entière (55). Une telle conclusion peut cependant aussi avoir été induite par l’idée erronée, que l’on rencontre parfois dans la jurisprudence, que la TVA est perçue sur la valeur ajoutée obtenue sur chaque opération (56). Or du point de vue de la technique fiscale, tel n’est pas le cas puisque la base d’imposition est constituée, selon l’article 73 de la directive TVA, de tout ce qui constitue la contrepartie obtenue.

111. L’impôt spécial remplit donc la condition consistant dans la fixation du montant proportionnellement au prix.

iv)    L’application généralisée

112. Enfin, l’application généralisée fait également partie des caractéristiques essentielles d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA.

113. Cela résulte directement de l’interprétation de l’article 401 de la directive TVA. Cette disposition cite en effet, à titre d’exemples de taxes n’ayant pas la nature d’une taxe sur le chiffre d’affaires, des types particuliers d’impositions tels que les taxes qui se concentrent sur des prestations à contenu particulier comme les assurances, les opérations foncières ou les jeux et les paris. De telles taxes spéciales sur le chiffre d’affaires restent donc admises, y compris après l’introduction du système commun de TVA. Ne sont interdites que les taxes générales sur le chiffre d’affaires. Seules celles-ci ont d’ailleurs une portée et une incidence susceptible de compromettre le fonctionnement du système commun de TVA.

114. La Cour n’a jusqu’à présent considéré comme taxes générales sur le chiffre d’affaires que celles qui appréhendent l’ensemble des opérations économiques dans un État membre (57).

115. Il faut néanmoins relever que même la TVA actuellement en vigueur est loin d’appréhender tous les chiffres d’affaires. Ainsi, les articles 132 et 135 de la directive TVA prévoient un grand nombre d’exonérations pour des prestations particulières, voire pour des branches entières. De ce fait, l’application généralisée d’une taxe ne peut pas requérir que véritablement toutes les opérations soient imposées. Semblable interprétation priverait aussi l’interdiction de l’article 401 de la directive TVA de toute portée pratique (58).

116. En particulier, en présence d’un impôt tel que celui du cas d’espèce qui n’est perçu que sur le dernier stade de la commercialisation, il ne peut pas être exigé qu’il appréhende tous les chiffres d’affaires de toute nature. Du point de vue de l’application généralisée de la taxe sur le chiffre d’affaires, seule se pose la question, pour un tel impôt, de savoir s’il a un caractère général à l’égard des chiffres d’affaires réalisés auprès des consommateurs finals.

117. Indépendamment du point de savoir à partir de quand on peut parler d’application généralisée (59), il manque dans la présente affaire les détails nécessaires à propos du champ d’application de l’impôt. La juridiction nationale indique seulement que l’impôt spécial frappe les activités de commerce de détail dans certains secteurs décrits au moyen de numéros de la nomenclature unifiée des activités économiques applicable en Hongrie. Cela ne permet cependant pas de savoir quelle ampleur revêt l’imposition des chiffres d’affaires réalisés auprès des consommateurs finals.

118. Sur la base des informations fournies, il n’est donc pas possible de déterminer si un impôt tel que l’impôt spécial représente ou non une taxe générale sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA.

c)      La distorsion des conditions de concurrence

119. Pour le cas où il serait constaté que l’impôt spécial constitue une taxe générale sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA, une interdiction par le droit de l’Union supposerait en outre que cet impôt compromette le fonctionnement du système commun de TVA en faussant les conditions de concurrence au niveau national ou au niveau de l’Union.

120. Tel devrait être le cas de l’impôt spécial. En effet, la vente des mêmes produits est soumise, en définitive, du fait de la progressivité du taux, à une imposition de niveau différent selon l’assujetti. Cela ne vaut cependant pas pour ce qui est de la perception rétroactive de l’impôt spécial qui, en raison de son caractère inconnu au moment de la réalisation du chiffre d’affaires, ne pouvait pas fausser la concurrence.

121. En outre, du fait des modalités particulières de perception de l’impôt spécial, la longueur du processus de production et de distribution a une incidence pour l’application de l’impôt, contrairement au principe de base énoncé à l’article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA. En effet, si un grossiste livre des détaillants, personne n’est imposé au titre de l’impôt spécial à barème progressif. En revanche, si l’on réduit d’une étape le processus de distribution, ledit grossiste agissant cette fois en tant que grand distributeur au détail, alors il y aura imposition sur la base du barème progressif. Le traitement différent appliqué aux systèmes de succursales et de franchises est le résultat de cette structure de l’impôt spécial, qui déroge aux principes du système commun de TVA (60).

122. Ainsi, l’impôt spécial compromettrait, en principe, le fonctionnement du système commun de TVA du fait de sa progressivité, en faussant les conditions de concurrence au niveau national. Contrairement à ce qui se passe en matière de libertés fondamentales, ici une distorsion de concurrence transnationale n’est pas requise.

d)      Conclusion provisoire

123. Étant donné le caractère insuffisant des éléments figurant dans la demande de décision préjudicielle en ce qui concerne le caractère général de l’impôt spécial, et compte tenu du fait que l’interprétation de l’article 401 de la directive TVA semble n’avoir joué aucun rôle dans la procédure au principal jusqu’à présent, nous suggérons à la Cour de ne pas rouvrir la procédure orale pour permettre aux parties de prendre position à cet égard.

124. Il nous semble plus approprié, dans cette affaire, de ne résoudre que les questions posées par la juridiction nationale, concernant le droit primaire de l’Union, et par ailleurs de fournir à la juridiction nationale des indications quant à l’opportunité de tenir compte dûment de l’article 401 de la directive TVA. Si la juridiction de renvoi devait estimer que, au regard de la jurisprudence actuelle de la Cour et des considérations ici développées, une violation de l’article 401 de la directive TVA par l’impôt spécial n’est pas à exclure, il lui faudrait alors à nouveau utiliser la voie de la demande de décision préjudicielle.

6.      Conclusion

125. La question préjudicielle doit donc être résolue en ce sens que l’article 49 TFUE lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, applicable dans le présent cas, ne s’oppose pas à la perception de l’impôt spécial, tel que décrit par la juridiction de renvoi. La juridiction de renvoi devra cependant vérifier si l’impôt spécial est compatible avec l’article 401 de la directive TVA.

V –    Conclusion

126. Nous suggérons donc à la Cour de répondre ainsi à la question préjudicielle du Székesfehérvári Törvényzsék:

L’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, applicable au litige au principal, ne s’oppose pas à la perception d’un impôt tel que décrit par la juridiction de renvoi. La juridiction de renvoi devra cependant vérifier si un tel impôt est compatible avec l’article 401 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 –      Arrêt du 21 décembre 2011, Enel Produzione (C-242/10, Rec. p. I-13665, point 32 et jurisprudence citée). Ces exigences sont désormais également énoncées à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour du 25 septembre 2012 (JO L 265, p. 1), qui n’était cependant pas encore applicable à la présente affaire.


3 –      Voir arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C-370/12, points 84 et suiv. et jurisprudence citée).


4 –      Voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 1994, Vaneetveld (C-316/93, Rec. p. I-763, point 14).


5 –      Voir, notamment, arrêts du 21 septembre 1999, Brentjens’ (C-115/97 à C-117/97, Rec. p. I-6025, point 40), et du 10 mars 2009, Heinrich (C-345/06, Rec. p. I-1659, point 35).


6 –      Voir, notamment, les questions parlementaires du 20 décembre 2010 (E-010535/2010), du 2 février 2011 (E-000576/2011) et du 19 janvier 2012 (O-000009/2012) ainsi que la réponse de la Commission du 15 mars 2011 aux questions E-000576/2011 et E-000955/11.


7 –      Voir, en ce sens, arrêts Brentjens’ (précité à la note 5, point 42) et du 11 avril 2000, Deliège (C-51/96 et C-191/97, Rec. p. I-2549, point 38).


8 –      JO L 347, p. 1.


9 –      Sur cette compétence de la Cour, voir arrêts du 20 mars 1986, Tissier (35/85, Rec. p. 1207, point 9), et du 30 mai 2013, Worten (C-342/12, point 30).


10 –      Voir, à ce propos, la réponse de la Commission du 15 mars 2011 aux questions E-000576/11 et E-000955/11, d’où il ressort que la Commission a déjà envisagé, sur la base d’une plainte en ce sens, la possibilité d’une violation de l’article 401 de la directive TVA par l’impôt spécial.


11 –      Arrêts du 8 novembre 2007, Stadtgemeinde Frohnleiten et Gemeindebetriebe Frohnleiten (C-221/06, Rec. p. I-9643, point 43), ainsi que du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C-206/06, Rec. p. I-5497, point 44), qui concernent tous les deux l’article 90 CE.


12 –      Arrêt du 9 mai 1985, Humblot (112/84, Rec. p. 1367, point 14), relatif à l’article 95 CEE; dans le même sens, voir arrêts du 17 septembre 1987, Feldain (433/85, Rec. p. 3521, point 16), et du 3 mars 1988, Bergandi (252/86, Rec. p. 1343, point 28), relatifs à l’article 95 CEE.


13 –      Arrêt Stadtgemeinde Frohnleiten et Gemeindebetriebe Frohnleiten (précité à la note 11, point 49 et jurisprudence citée), relatif à l’article 90 CE.


14 –      Voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 1994, Halliburton Services (C-1/93, Rec. p. I-1137).


15 –      Voir arrêts du 22 décembre 2008, Truck Center (C-282/07, Rec. p. I-10767, point 32), ainsi que du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha (C-303/07, Rec. p. I-5145, point 38 et jurisprudence citée).


16 –      Arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 30); du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C-374/04, Rec. p. I-11673, point 46), et du 2 avril 2009, Elshani (C-459/07, Rec. p. I-2759, point 36).


17 –      Voir, en ce sens, arrêts Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (précité à la note 16, point 46), et Truck Center (précité à la note 15, point 36).


18 –      Voir, notamment, arrêts du 5 décembre 1989, Commission/Italie (C-3/88, Rec. p. 4035, point 8); du 13 juillet 1993, Commerzbank (C-330/91, Rec. p. I-4017, point 14); du 8 juillet 1999, Baxter e.a. (C-254/97, Rec. p. I-4809, point 10); du 25 janvier 2007, Meindl (C-329/05, Rec. p. I-1107, point 21), ainsi que du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C-570/07 et C-571/07, Rec. p. I-4629, points 117 et suiv.).


19 –      Voir arrêts du 7 juillet 1988, Stanton et L’Étoile 1905 (143/87, Rec. p. 3877, point 9); Commerzbank (précité à la note 18, point 15), ainsi que du 22 mars 2007, Talotta (C-383/05, Rec. p. I-2555, point 32); voir, aussi, arrêt Bergandi (précité à la note 12, point 28), relatif à l’article 95 CEE, et arrêt du 26 octobre 2010, Schmelz (C-97/09, Rec. p. I-10465, point 48), en matière de libre prestation de service.


20 –      Arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez (précité à la note 18, point 119).


21 –      Voir arrêts Talotta (précité à la note 19, point 32) ansi que Blanco Pérez et Chao Gómez (précité à la note 18, point 119); voir, aussi, arrêt du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779, point 14), en matière de libre circulation des travailleurs.


22 –      Voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2012, Erny (C-172/11, point 41), en matière de libre circulation des travailleurs.


23 –      Voir arrêts Baxter e.a. (précité à la note 18, point 13) ainsi que Blanco Pérez et Chao Gómez (précité à la note 18, point 119).


24 –      Voir arrêt Commission/Italie (précité à la note 18, point 9); voir arrêt Humblot (précité à la note 12, point 14), en ce qui concerne l’article 95 CEE.


25 –      Voir arrêt Schumacker (précité à la note 16, point 28).


26 –      Voir point 32 des présentes conclusions.


27 –      Voir, en ce sens, arrêt Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (précité à la note 16, point 46).


28 –      Voir points 64 et suiv. des présentes conclusions.


29 –      Voir, à cet égard, points 40 et suiv. de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 février 2013, A (C-123/11).


30 –      Voir points 48 et suiv. des présentes conclusions.


31 –      Arrêts Truck Center (précité à la note 15, point 33); Blanco Pérez et Chao Gómez (précité à la note 18, point 53), ainsi que du 6 septembre 2012, DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. (C-380/11, point 33 et jurisprudence citée).


32 –      Voir, pour plus de détails, point 28 de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt 18 octobre 2012, X (C-498/10).


33 –      Voir, en ce qui concerne les règles du marché intérieur, articles 114, paragraphe 2, TFUE et 115 TFUE; en ce qui concerne la politique industrielle, article 173, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE; en ce qui concerne la politique de l’environnement, article 192, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), TFUE et, en ce qui concerne la politique énergétique, article 194, paragraphe 3, TFUE.


34 –      Voir, à ce sujet, arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation (C-35/11, points 91 et 94).


35 –      Voir arrêt du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 39).


36 –      Voir arrêts du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading (C-200/90, Rec. p. I-2217, point 10 et jurisprudence citée), ainsi que du 17 septembre 1997, UCAL (C-347/95, Rec. p. I-4911, point 32).


37 –      Voir points 48 et suiv. des présentes conclusions.


38 –      Voir arrêts du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co (C-437/97, Rec. p. I-1157, point 23); du 19 septembre 2002, Tulliasiamies et Siilin (C-101/00, Rec. p. I-7487, point 105); du 3 octobre 2006, Banca popolare di Cremona (C-475/03, Rec. p. I-9373, points 27 et suiv.), ainsi que du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a. (C-283/06 et C-312/06, Rec. p. I-8463, point 36); voir aussi, plus ancien, arrêt du 7 mai 1992, Bozzi (C-347/90, Rec. p. I-2947, point 10).


39 –      Arrêts du 8 juin 1999, Pelzl e.a. (C-338/97, C-344/97 et C-390/97, Rec. p. I-3319, point 21); Banca popolare di Cremona (précité à la note 38, point 28), ainsi que KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, point 37).


40 –      Voir arrêts Banca popolare di Cremona (précité note 38, point 23) et KÖGÁZ e.a. (précité note 38, point 31).


41 –      Première directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301).


42 –      Voir arrêt KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, point 36 et jurisprudence citée).


43 –      Voir point 42 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 1997, Solisnor-Estaleiros Navais (C-130/96, Rec. p. I-5053).


44 –      Voir arrêts Banca popolare di Cremona (précité à la note 38, points 23 à 25) ainsi que KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, points 31 et 34); voir, aussi, arrêt du 27 novembre 1985, Rousseau Wilmot (295/84, Rec. p. 3764, point 16).


45 –      Arrêts Banca popolare di Cremona (précité à la note 38, point 29) ainsi que KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, points 38).


46 –      Point 36 des conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Banca popolare di Cremona (précité à la note 38).


47 –      Voir, en ce sens, arrêts Dansk Denkavit et Poulsen Trading (précité à la note 36, point 11); du 26 juin 1997, Careda e.a. (C-370/95 à C-372/95, Rec. p. I-3721, point 14); du 19 février 1998, SPAR (C-318/96, Rec. p. I-785, point 22); Pelzl e.a. (précité à la note 39, point 20), ainsi que KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, points 34 et suiv.).


48 –      Voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1989, Wisselink e.a. (93/88 et 94/88, Rec. p. 2671, point 11), en ce qui concerne un système cumulatif à cascade, ainsi que point 85 des conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pelzl e.a. (précité à la note 39).


49 –      Point 50 des conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Wisselink e.a. (précité à la note 48) ainsi que point 110 des conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Banca popolare di Cremona (précité à la note 38).


50 –      Voir arrêts Careda e.a. (précité à la note 47, points 14 et suiv.) ainsi que KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, points 50 et 57).


51 –      Arrêts Pelzl e.a. (précité à la note 39, point 21); Banca popolare di Cremona (précité à la note 38, point 28), ainsi que KÖGÁZ e.a. (précité à la note 38, point 37).


52 –      Point 50 des conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Wisselink e.a. (précité à la note note 48).


53 –      Voir arrêt Wisselink e.a. (précité à la note 48, points 11 et suiv.).


54 –      Points 44 et 57 des conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pelzl e.a. (précité à la note 39); voir, aussi, points 46 et suiv. des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Banca popolare di Cremona (précité à la note 38), ainsi que point 79 des conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans la même affaire.


55 –      Voir arrêts Rousseau Wilmot (précité à la note 44, point 16) ainsi que Pelzl e.a. (précité à la note 39, point 25); pour une solution différente, voir cependant arrêt Dansk Denkavit et Poulsen Trading (précité à la note 36).


56 –      Arrêts du 19 mars 1991, Giant (C-109/90, Rec. p. I-1385, point 14), et du 16 décembre 1992, Beaulande (C-208/91, Rec. p. I-6709, point 18).


57 –      Arrêts Beaulande (précité à la note 56, point 16); Solisnor-Estaleiros Navais (précité à la note 43, point 17), ainsi que Tulliasiamies et Siilin (précité à la note 38, point 101); voir, aussi, arrêt EKW et Wein & Co (précité à la note 38, point 24).


58 –      Voir, en ce sens, point 21 des conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co (précité à la note 38).


59 –      Voir à ce propos, les différents éléments de solution proposés au point 14 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bozzi (précité à la note 38,) et point 33 des conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SPAR (précité à la note 47).


60 –      Voir points 72 et suiv. des présentes conclusions.