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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 3 juillet 2014 ( 1 )

Affaire C-446/13

Société Fonderie 2A

contre

Ministre de l’Économie et des Finances

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Fiscalité — TVA — Article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive 77/388/CEE — Lieu de la livraison de biens en cas d’expédition ou de transport — Moment où l’expédition à destination de l’acquéreur prend son départ en cas d’interruption pour transformation du bien dans l’État membre de l’acquéreur — Article 28 bis, paragraphes 5, 6 et 7, de la sixième directive 77/388 — Transfert et affectation intracommunautaires d’un bien — Article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive 77/388 — Exonération des livraisons intracommunautaires»

I – Introduction

1.

La présente affaire montre une nouvelle fois la complexité du système de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») dans la taxation des échanges entre les États membres. La solution même d’affaires claires se trouve compliquée par des règles difficilement compréhensibles du droit de la TVA de l’Union.

2.

En l’espèce, une société a vendu des pièces métalliques d’Italie en France. Ces pièces métalliques ayant été peintes en France en cours d’acheminement vers l’acheteur, la question de savoir où la vente doit être taxée, en France ou en Italie, n’est malheureusement pas simple à résoudre.

3.

La présente affaire donne toutefois à la Cour l’occasion de compléter sa jurisprudence sur le départ, l’arrivée, la durée et l’imputation d’un transport dit intracommunautaire ( 2 ).

II – Cadre juridique

4.

À l’époque qui intéresse la procédure au principal, la TVA était régie par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme ( 3 ), dans sa version en vigueur pour l’année 2001 (ci-après la «sixième directive»).

Faits générateurs de la taxe

5.

Aux termes de l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont en principe soumises à la taxe: «les livraisons de biens […] effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel». L’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive définit la livraison d’un bien comme étant «le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire».

6.

Le «régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres» (titre XVI bis de la sixième directive) a créé un fait générateur supplémentaire en son article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive:

«a)

les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel […]».

7.

Le régime transitoire assimile également certaines opérations aux deux faits générateurs de la taxe précités de l’article 2, point 1, et de l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive.

8.

C’est ainsi que l’article 28 bis, paragraphe 5, de la sixième directive prévoit:

«Est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux:

a)

[abrogé]

b)

le transfert par un assujetti d’un bien de son entreprise à destination d’un autre État membre.

Est considéré comme transféré à destination d’un autre État membre, tout bien corporel expédié ou transporté, par l’assujetti ou pour son compte, en dehors du territoire visé à l’article 3, mais à l’intérieur de la Communauté, pour les besoins de son entreprise, autres que les besoins de l’une des opérations suivantes:

[…]

[…]

la livraison de ce bien effectuée par l’assujetti à l’intérieur du pays dans les conditions prévues à l’article […] 28 quater titre A,

[…]»

9.

L’article 28 bis, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive dispose:

«Est assimilée à une acquisition intracommunautaire de biens effectuée à titre onéreux l’affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d’un bien expédié ou transporté, par l’assujetti ou pour son compte, à partir d’un autre État membre à l’intérieur duquel le bien a été produit, extrait, transformé, acheté, acquis au sens du paragraphe 1 ou importé par l’assujetti, dans le cadre de son entreprise, dans cet autre État membre.»

10.

Enfin, l’article 28 bis, paragraphe 7, de la sixième directive impose:

«Les États membres prennent les mesures assurant que sont qualifiées d’acquisitions intracommunautaires de biens les opérations qui, si elles avaient été effectuées à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, auraient été qualifiées de livraisons de biens au sens du paragraphe 5 et au sens de l’article 5.»

Lieu des livraisons et des acquisitions intracommunautaires de biens

11.

Le lieu que le régime TVA assigne à une opération détermine l’État membre auquel revient la TVA née de la réalisation d’un fait générateur.

12.

Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, le lieu d’une livraison de biens est réputé se situer:

«a) dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne: à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. […]»

13.

L’article 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive détermine en revanche le lieu des acquisitions intracommunautaires de biens comme suit:

«Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.»

Exonération

14.

Dans les échanges entre les États membres, l’article 28 quater, A, de la sixième directive exonère dans certains cas la livraison de biens dans un autre État membre:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)

les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

[…]»

Droit à déduction

15.

Enfin, les dispositions relatives au droit à déduction et en particulier aux modalités d’exercice du droit à déduction intéressent également la présente affaire.

16.

Aux termes de l’article 17, paragraphe 2, sous a), tel que remplacé par l’article 28 septies, point 1, de la sixième directive, tout assujetti a le droit de déduire notamment «la taxe sur la valeur ajoutée […] acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont […] livrés et pour les services qui lui sont […] rendus par un autre assujetti» (opérations en amont), «[d]ans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées» (opérations en aval).

17.

Aux termes de l’article 17, paragraphe 3, sous a), tel que remplacé par l’article 28 septies, point 1, de la sixième directive, ce droit à déduction est également accordé lorsque les opérations en aval «relevant des activités économiques […] effectuées à l’étranger […] ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays».

18.

La déduction est opérée globalement par l’assujetti, conformément à l’article 18, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive, «par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration, du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance». Quand le montant des déductions dépasse celui de la taxe due, l’excédent est en principe remboursé conformément à l’article 18, paragraphe 4, de la sixième directive.

19.

L’article 17, paragraphe 4, premier alinéa, premier tiret, tel que remplacé par l’article 28 septies, point 1, de la sixième directive, prévoit toutefois que le «remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée» visé à l’article 17, paragraphe 3, est effectué «en faveur des assujettis qui ne sont pas établis à l’intérieur du pays mais qui sont établis dans un autre État membre, selon les modalités d’application déterminées par la directive 79/1072/CEE».

20.

Aux termes de l’article 1er de cette huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays ( 4 ) (ci-après la «huitième directive»), «est considéré comme un assujetti qui n’est pas établi à l’intérieur du pays l’assujetti […] qui, au cours de la période [de remboursement], n’a eu dans ce pays ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable […] et […] n’a effectué aucune livraison de biens ou prestation de services réputée se situer dans ce pays […]».

III – Procédure au principal

21.

La société Fonderie 2A (ci-après «Fonderie 2A») a son siège en Italie. Elle y a fabriqué au cours de l’année en cause, 2001, des pièces métalliques qu’elle a vendues la même année à la société Atral (ci-après «Atral»), dont le siège était situé en France.

22.

Les pièces métalliques étaient acheminées de Fonderie 2A en Italie à Atral en France par la voie suivante: Fonderie 2A les expédiait tout d’abord à la société Saunier-Plumaz, également établie en France. Celle-ci réalisait, pour le compte de Fonderie 2A, des travaux de peinture sur ces pièces métalliques. Les pièces métalliques étaient ensuite expédiées de l’établissement de Saunier-Plumaz à l’acheteur Atral.

23.

La procédure au principal concerne le remboursement de la TVA française de 44348,49 euros, que la société Saunier-Plumaz a facturée à Fonderie 2A pour les travaux de peinture. Il est constant que Fonderie 2A a en principe un droit à déduction. La question qui est néanmoins contestée est celle de savoir si ce droit fonde également en l’espèce un droit de Fonderie 2A au remboursement de ce montant.

24.

Fonderie 2A fonde ce droit envers l’État français sur les modalités de remboursement fixées dans la huitième directive. Aux termes de l’article 1er, l’application de ces modalités suppose toutefois que Fonderie 2A n’ait réalisé aucune opération taxable en France au cours de la période qui nous intéresse ici.

25.

Le fisc français estime toutefois qu’en réexpédiant les pièces métalliques peintes des ateliers de la société Saunier-Plumaz à Atral, Fonderie 2A a accompli une livraison imposable de biens en France. Si tel est le cas, pour exercer son droit à déduction, Fonderie 2A aurait dû déposer en France une déclaration fiscale dans laquelle elle aurait dû déclarer également la livraison imposable de biens en France. Fonderie 2A n’aurait pu alors déduire de la TVA à verser à ce titre que le montant de la déduction à laquelle elle a droit.

IV – Procédure devant la Cour

26.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État (France), à présent saisi du litige, a adressé la question préjudicielle suivante à la Cour au titre de l’article 267 TFUE:

«Les dispositions de la sixième directive permettant de définir le lieu d’une livraison intracommunautaire doivent-elles conduire à considérer que la livraison d’un bien par une société à un client dans un autre pays de l’Union européenne, après transformation du bien, pour le compte du vendeur, subie dans l’établissement d’une autre société situé dans le pays du client, est une livraison entre le pays du vendeur et le pays du destinataire final ou une livraison au sein du pays de ce dernier, à partir de l’établissement de transformation?»

27.

Dans la procédure devant la Cour, la République française et la Commission européenne ont présenté des observations écrites et orales. La requérante, Fonderie 2A, et la République hellénique se sont limitées à des observations écrites.

V – Appréciation juridique

28.

Le juge de renvoi souhaite savoir où le système de la TVA situe, dans le contexte de l’affaire au principal, le lieu de la livraison des pièces métalliques que le vendeur italien Fonderie 2A a faite à l’acheteur français Atral.

29.

Fonderie 2A estime que ce lieu se trouve en Italie.

30.

Dans ce cas, Fonderie 2A bénéficierait en Italie de l’exonération des livraisons intracommunautaires au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive. L’acheteur Atral devrait alors acquitter une TVA en France sur une acquisition intracommunautaire, au titre de l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, mais pourrait dans le même temps exercer son droit à déduction sur cette TVA ( 5 ).

31.

L’exonération de la taxe dans l’État d’origine et la taxation de l’acquisition dans l’État de destination servent dans le système de la taxation des échanges intracommunautaires à affranchir le bien de toute imposition fiscale de l’État d’origine et à le soumettre exclusivement à la responsabilité fiscale de l’État de destination ( 6 ). Dans le même temps, ce système doit épargner au fournisseur établi dans l’État d’origine les obligations fiscales à remplir dans l’État de destination. À défaut, c’est à l’acquéreur des biens qu’il appartient de remplir ces obligations par la taxation d’une acquisition intracommunautaire.

32.

La République française et la République hellénique ainsi que la Commission estiment en revanche que le système de la TVA situe le lieu de la livraison des pièces métalliques en France.

33.

Dans ce cas, Fonderie 2A devrait acquitter en France, au titre de l’article 2, point 1, de la sixième directive, une taxe sur une livraison de biens à titre onéreux laquelle ne bénéficierait pas d’exonération. Fonderie 2A aurait toutefois pu tout simplement facturer à son acheteur Atral la TVA née puisqu’Atral bénéficierait en principe d’un droit à déduction ( 7 ). Comme Fonderie 2A aurait dû acquitter une taxe sur la livraison en France, Atral ne devrait pas en acquitter sur l’acquisition du bien.

34.

Par conséquent, si le lieu de la livraison des pièces métalliques se trouve en France et non pas en Italie, cela n’a normalement aucune incidence sur la charge fiscale, du point de vue économique, ni pour Fonderie 2A ni pour Atral. Ici aussi la taxation de la vente appartiendrait également à la France qui est l’État de destination. La différence essentielle réside uniquement dans le fait que, dans ce cas, le vendeur Fonderie 2A, établi hors de France, devrait déclarer lui-même l’opération et acquitter la TVA.

35.

Nous estimons également que le système de la TVA situe le lieu de la livraison des pièces métalliques en France. Nous le justifierons par une interprétation de l’article 8 de la sixième directive qui détermine le lieu de la livraison des biens (voir ci-après, sous A).

36.

Même si la Commission aboutit au final à un résultat analogue, il reste que son analyse procède non pas de l’article 8 de la sixième directive mais du transfert et de l’affectation intracommunautaires d’un bien que l’article 28 bis, paragraphes 5 et 6, de la sixième directive érige en faits générateurs. Cette approche dans la réponse à la question ayant été abondamment développée lors de l’audience, nous nous prononcerons de surcroît sur ce point aussi (voir ci-après, sous B).

A – Le lieu de la livraison des biens au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive

37.

Dans le contexte de l’affaire au principal, le lieu de la livraison des biens est déterminé, dans le système de la TVA, par l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive. Aux termes de cette disposition, lorsqu’un bien est expédié, le lieu de la livraison est l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. La République française et la République hellénique ont indiqué à juste titre que cette disposition reçoit application indépendamment de savoir s’il s’agit d’une livraison de biens en dehors d’un pays ou simplement à l’intérieur même d’un pays.

38.

Il convient dès lors de déterminer où, en l’espèce, l’expédition des pièces métalliques à destination de l’acquéreur Atral a pris son départ. L’a-t-elle pris en Italie, lorsque le fournisseur Fonderie 2A a acheminé ces biens en France à la société Saunier-Plumaz pour être peintes, ou seulement en France, lorsque les pièces métalliques peintes ont été réexpédiées à destination de l’acquéreur Atral?

39.

La République française et la République hellénique ont soutenu à cet égard que l’expédition à destination de l’acquéreur ne peut pas prendre son départ avant que le bien soit un produit fini ou se trouve dans un état prêt à la consommation. Comme les pièces métalliques n’auraient acquis cet état qu’après avoir été peintes dans les ateliers de la société Saunier-Plumaz en France, le départ de l’expédition à destination de l’acquéreur ne peut se concevoir qu’à partir de ce moment. Le lieu de la livraison des pièces métalliques est donc, selon elles, en France.

40.

Nous partageons en substance cette analyse.

41.

L’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive parlant du départ de l’expédition «à destination de l’acquéreur», le bien doit en effet se trouver à ce moment-là dans un état conforme au contrat. Cela ne veut certes pas dire qu’il doive s’agir d’un produit fini ou prêt à la consommation, car les produits bruts ou semi-finis peuvent aussi faire l’objet d’une livraison. Néanmoins, si le bien ne se trouve pas encore dans un état conforme au contrat, son expédition ne vise pas encore à le transférer à l’acquéreur au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive mais seulement à le façonner le cas échéant pour obtenir un bien dans l’état conforme au contrat, comme en l’espèce des pièces métalliques peintes.

42.

En se référant ainsi à l’état du bien conforme au contrat, l’on offre un critère clair pour déterminer le départ de l’expédition ou du transport. Il est nécessaire d’avoir un critère clair car il déterminera le lieu où le bien est livré au sens des règles de la TVA et ce lieu décide de l’État membre auquel revient la TVA afférente à la livraison du bien. Il existe là un besoin particulier de sécurité juridique. Autrement, les différences d’appréciation possibles entre l’État d’origine et l’État de destination risquent de créer une double imposition ou une non-imposition. Celles-ci doivent être évitées dans le système commun de la TVA ( 8 ).

43.

De plus, à l’égard de la durée admissible d’un transport intracommunautaire, la Cour a déjà déterminé que la qualification d’une opération de livraison intracommunautaire de biens requiert d’établir un lien temporel et matériel entre la livraison du bien et son transport ( 9 ). Dans le présent contexte aussi l’on doit dès lors exiger un lien matériel entre l’expédition en dehors des frontières du pays et la livraison du bien à l’acquéreur.

44.

Ce lien matériel ne sera pas suffisant si l’expédition en dehors des frontières du pays sert d’abord à façonner le bien. L’expédition aura là un lien matériel avant tout avec le façonnage du bien et non pas avec sa livraison à l’acquéreur. Quand l’on sait que, en l’espèce, ce façonnage aurait pu être accompli par un peintre dans un autre État membre, l’on voit que c’est plutôt par hasard que l’expédition des pièces métalliques est déjà intervenue dans l’État membre de l’acquéreur.

45.

Le lien matériel suffisant de l’expédition du bien ne s’établira donc avec sa livraison que lorsque c’est la marchandise conforme au contrat qui est expédiée à l’acquéreur. Elle ne l’a été en l’espèce qu’en France une fois les pièces métalliques peintes en sorte que ce n’est que là que l’expédition a pris son départ à destination de l’acquéreur. Conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive, le lieu de la livraison des biens se trouve dès lors en France et c’est là aussi qu’ils doivent donc être taxés.

46.

L’on ne peut pas perdre de vue que la solution proposée ici pose des problèmes au fonctionnement du marché intérieur. C’est ainsi qu’en l’espèce le fournisseur Fonderie 2A peut éviter les charges administratives liées à la taxation en France en choisissant un peintre établi en Italie et en expédiant de là les pièces métalliques à l’acquéreur en France. Dans le système de la TVA, le lieu de la livraison des biens se situerait dans ce cas en Italie où Fonderie 2A bénéficierait de l’exonération pour livraisons intracommunautaires au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive ( 10 ). Fonderie 2A s’épargnerait ainsi la taxation de la livraison des pièces métalliques en France. L’on incite de la sorte éventuellement à recourir aux services d’une entreprise établie dans son propre État membre afin d’éviter de remplir des obligations fiscales dans un autre État membre.

47.

Cependant, la solution de rechange serait qu’au final tout transport ou expédition en dehors des frontières du pays d’un bien se trouvant dans un processus de production appelé à déboucher en définitive dans son transport à destination de l’acquéreur puisse bénéficier de l’exonération pour livraisons intracommunautaires. Néanmoins, ce faisant, l’on perdrait en particulier le lien chronologique étroit entre le transport ou l’expédition en dehors des frontières du pays, qui entraînerait l’exonération de la taxe, et la déclaration d’une acquisition intracommunautaire faite par l’acquéreur du bien. La surveillance des échanges intracommunautaires de marchandises, en particulier pour lutter contre la fraude, pourrait s’en trouver fort compromise. À cet égard, la Commission a relevé à juste titre qu’une importance particulière doit être accordée à un contrôle fiscal effectif dans le système de la TVA applicable aux échanges intracommunautaires ( 11 ).

48.

En conclusion, il convient de répondre à la question préjudicielle que le transport ou l’expédition à destination de l’acquéreur, visés à l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive, ne peuvent prendre leur départ que lorsque le bien se trouve dans un état conforme au contrat. Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le lieu de la livraison des pièces métalliques se trouve, dans le système de la TVA, en France.

B – L’importance du transfert et de l’affectation intracommunautaires d’un bien que l’article 28 bis, paragraphes 5 et 6, de la sixième directive érige en faits générateurs

49.

La Commission estime toutefois que cette conclusion ne procède pas de l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive. Elle découlerait plutôt de la prise en compte des faits générateurs que l’article 28 bis, paragraphes 5 et 6, de la sixième directive a retenus dans le transfert et l’affectation intracommunautaires d’un bien, lesquels ont été ignorés à tort, selon elle, dans la procédure au principal.

50.

La Commission analyse l’expédition des pièces métalliques d’Italie pour les faire peindre dans les ateliers de la société Saunier-Plumaz en France en un transfert intracommunautaire soumis en principe à la TVA au titre de l’article 28 bis, paragraphe 5, sous b), de la sixième directive. Dans le même temps, il y a, selon elle, une affectation intracommunautaire par Fonderie 2A dans l’État de destination, à savoir la France, également soumise à la TVA au titre de l’article 28 bis, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive. Ce n’est qu’à la suite de ce transfert et de cette affectation des pièces métalliques que la livraison de ces biens à destination d’Atral est soumise à la TVA, certes en France.

51.

Les faits générateurs invoqués par la Commission n’intéressent toutefois pas la présente procédure.

52.

En effet, la vente des pièces métalliques de Fonderie 2A à Atral répond en tout cas au fait générateur que constitue la livraison de biens à titre onéreux aux termes de l’article 2, point 1, de la sixième directive. Il faut donc fixer le lieu de cette opération dans le système de la TVA. Le lieu d’une livraison de biens se détermine toutefois par les seules dispositions de l’article 8 de la sixième directive. La réalisation d’autres faits générateurs, tels que le transfert ou l’affectation intracommunautaires, n’intéresse par conséquent pas la détermination du lieu d’une livraison de biens soumise à la taxe au titre de l’article 2, point 1, de la sixième directive.

53.

Qui plus est, quand l’on sait, d’une part, qu’en l’espèce la réalisation du fait générateur d’un transfert intracommunautaire au sens de l’article 28 bis, paragraphe 5, sous b), de la sixième directive ne peut absolument pas s’apprécier sans avoir déterminé préalablement le lieu de la livraison des pièces métalliques. Aux termes de l’article 28 bis, paragraphe 5, sous b), troisième tiret, de la sixième directive en effet, ce fait générateur n’est pas réalisé lorsque le bien est expédié pour les besoins de sa livraison par l’assujetti à l’intérieur du pays dans les conditions prévues à l’article 28 quater, A, de la sixième directive. Par conséquent, un transfert intracommunautaire n’est en particulier pas soumis à la taxe lorsqu’il intervient dans le contexte d’une livraison intracommunautaire de biens exonérée visée à l’article 28 quater, A, de la sixième directive.

54.

Or, il y aurait eu une telle livraison intracommunautaire exonérée si le lieu de la livraison des pièces métalliques, visé à l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive, avait dû être fixé en Italie. Contrairement à ce que pense la Commission, le fait que la propriété des pièces métalliques n’ait été transférée à Atral qu’après avoir franchi la frontière n’aurait pas empêché l’exonération au titre de l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive. En effet, ni les termes de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive ni la jurisprudence ( 12 ) ne permettent de dégager une condition liée au moment où la propriété est transférée ( 13 ). Cette disposition prévoit au contraire expressément l’éventualité que les biens soient transportés par le vendeur même. Néanmoins, si le vendeur transporte lui-même les biens en dehors des frontières, l’acquéreur ne peut pas encore être investi à ce moment-là de la capacité de disposer des biens comme un propriétaire.

55.

D’autre part, l’on peut aussi se passer de rechercher si Fonderie 2A a réalisé en l’espèce en France le fait générateur de l’affectation intracommunautaire visée à l’article 28 bis, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive. Sur ce point, le manque de clarté de l’énoncé de la disposition ( 14 ) ainsi que son rapport avec le fait générateur de l’article 28 bis, paragraphe 7, de la sixième directive suscitent des doutes importants. En tout état de cause, la réponse à cette question n’intéresse pas la réponse à la question préjudicielle ni la solution du litige au principal. La livraison des pièces métalliques étant intervenue en France, comme on l’a dit ( 15 ), les modalités de remboursement au titre de la huitième directive sont de toute façon exclues en l’espèce.

VI – Conclusion

56.

En conclusion, nous proposons de répondre comme suit à la question préjudicielle du Conseil d’État:

Il convient d’interpréter l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive en ce sens qu’un transport ou une expédition à destination de l’acquéreur ne peut prendre son départ que lorsque le bien se trouve dans un état conforme au contrat. Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le lieu de la livraison des pièces métalliques se trouve, dans le système de la TVA, en France.


( 1 )   Langue originale: l’allemand.

( 2 )   Voir arrêts EMAG Handel Eder (C-245/04, EU:C:2006:232 ), X (C-84/09, EU:C:2010:693 ), Euro Tyre Holding (C-430/09, EU:C:2010:786 ) et VSTR (C-587/10, EU:C:2012:592 ).

( 3 )   JO L 145, p. 1.

( 4 )   JO L 331, p. 11.

( 5 )   Conformément à l’article 17, paragraphe 2, sous d), tel que remplacé par l’article 28 septies, point 1, de la sixième directive.

( 6 )   Voir plus en détail sur ce point points 19 à 25 de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EMAG Handel Eder ( EU:C:2005:675 ).

( 7 )   Au titre de l’article 17, paragraphe 2, sous a), tel que remplacé par l’article 28 septies, point 1, de la sixième directive.

( 8 )   Voir, sur la détermination du lieu d’une prestation de service, points 23 à 26 et jurisprudence citée de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Welmory (C-605/12, EU:C:2014:340 ).

( 9 )   Arrêt X ( EU:C:2010:693 , point 33).

( 10 )   Voir point 30 des présentes conclusions.

( 11 )   Voir en particulier la phrase introductive de l’article 28 quater, A, de la sixième directive ainsi que le douzième considérant de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1), qui a mis en place le régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres.

( 12 )   Voir arrêts Teleos e.a.(C-409/04, EU:C:2007:548, point 70) et VSTR ( EU:C:2012:592 , points 29 et 30).

( 13 )   La question de savoir quand et où est transféré le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire ne peut avoir d’incidence selon la jurisprudence que lorsqu’un seul transport intracommunautaire doit être imputé à deux livraisons de biens qui se succèdent immédiatement (voir arrêt Euro Tyre Holding, EU:C:2010:786 , point 45). En l’espèce il ne s’agit toutefois que d’une seule livraison de biens.

( 14 )   Voir seulement les différences de termes entre les versions en langues allemande et française de l’article 28 bis, paragraphe 6, de la sixième directive qui évoque l’affectation d’un bien par un assujetti, d’un côté, «dans son entreprise» et, d’un autre côté, de manière plus large, «aux besoins de son entreprise».

( 15 )   Voir points 37 à 48 des présentes conclusions.