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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Nils Wahl

présentées le 10 septembre 2015 (1)

Affaire C-294/14

ADM Hamburg AG

contre

Hauptzollamt Hamburg-Stadt

[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne)]

«Transport – Union douanière et tarif douanier commun – Code des douanes communautaire – Préférences tarifaires – Article 74, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2454/93 – Produits originaires exportés d’un pays bénéficiaire – Condition en vertu de laquelle les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union doivent être ceux qui ont été exportés du pays bénéficiaire dont ils sont considérés comme étant originaires – Lot composé d’un mélange d’huile brute de palmiste provenant de plusieurs pays bénéficiant de la même préférence tarifaire»





1.        Dans l’affaire au principal, de l’huile brute de palmiste en provenance de différents pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, bénéficiant tous des mêmes préférences tarifaires, a été importée dans l’Union européenne. Aux fins du transport, de l’huile originaire de plusieurs de ces pays a été versée dans une seule citerne et déclarée, ainsi mélangée, en vue de sa mise en libre pratique dans l’Union.

2.        Dans ce contexte, se pose la question de savoir comment doit être traité, aux fins de l’application de la préférence tarifaire, un mélange de produits originaires de différents pays. Plus particulièrement, il est demandé à la Cour d’indiquer comment il convient d’interpréter l’article 74, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2454/93 (2) – qui n’autorise aucune modification ou transformation des produits – et, en particulier, la condition en vertu de laquelle les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union doivent être ceux qui ont été exportés du pays bénéficiaire dont ils sont considérés comme étant originaires (ci-après la «condition d’identité»).

I –    Le cadre juridique

A –    Le règlement (CE) n° 732/2008 (3)

3.        L’article 5 du règlement n° 732/2008 dispose:

«1. Les préférences tarifaires prévues s’appliquent aux importations des produits relevant du régime accordé au pays bénéficiaire dont ils sont originaires.

2. Aux fins des régimes visés à l’article 1er, paragraphe 2, les règles concernant la définition de la notion de produits originaires, de la preuve de l’origine et des méthodes de coopération administrative sont celles fixées par le règlement (CEE) n° 2454/93.

[…].»

B –    Le règlement n° 2454/93

4.        Le règlement n° 2454/93 fixe certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 (4).

5.        Au considérant 16 du préambule du règlement n° 1063/2010, qui a modifié le règlement n° 2454/93, le législateur explique qu’il existe un besoin de souplesse étant donné que les règles en vigueur au moment de l’adoption du règlement modificatif imposaient de fournir la preuve que le transport s’effectue directement à destination de l’Union, ce qui peut être difficile à obtenir. L’application de cette exigence avait pour conséquence que certaines marchandises qui étaient accompagnées d’une preuve de l’origine en bonne et due forme étaient actuellement exclues de la préférence. C’est la raison pour laquelle on a estimé qu’il était opportun d’instaurer une nouvelle règle, plus simple et plus souple, qui était ciblée sur le point de savoir si les marchandises présentées à la douane pour la mise en libre pratique dans l’Union sont celles qui ont quitté le pays exportateur bénéficiaire, l’élément principal étant que ces marchandises ne doivent avoir subi ni modification ni transformation d’aucune sorte au cours du trajet.

6.        L’article 72 du règlement n° 2454/93 dispose:

«Sont considérés comme originaires d’un pays bénéficiaire:

a)      les produits entièrement obtenus dans ce pays au sens de l’article 75;

b)      les produits obtenus dans ce pays qui contiennent des matières n’y ayant pas été entièrement obtenues, à condition que ces matières y aient fait l’objet d’ouvraisons ou de transformations suffisantes au sens de l’article 76.»

7.        L’article 74 du règlement n° 2454/93 dispose:

«1. Les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union européenne doivent être ceux qui ont été exportés du pays bénéficiaire dont ils sont considérés comme étant originaires. Ils doivent n’avoir subi aucune modification ou transformation d’aucune sorte, ni fait l’objet d’opérations autres que celles qui sont nécessaires pour assurer leur conservation en l’état avant d’être déclarés en vue de leur mise en libre pratique. Il est possible de procéder à l’entreposage des produits ou des envois et au fractionnement des envois lorsque cela est effectué sous la responsabilité de l’exportateur ou d’un détenteur ultérieur des marchandises et que les produits restent sous la surveillance des autorités douanières du ou des pays de transit.

2. Le respect des dispositions du paragraphe 1 est présumé, à moins que les autorités douanières n’aient des raisons de croire le contraire; en pareil cas, les autorités douanières peuvent demander au déclarant de produire des preuves du respect de ces dispositions, qui peuvent être apportées par tous moyens, y compris des documents de transport contractuels tels que des connaissements, ou des preuves factuelles ou concrètes basées sur le marquage ou la numérotation des emballages, ou toute preuve liée aux marchandises elles-mêmes.

[…].»

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

8.        Le 11 août 2011, ADM Hamburg AG (ci-après «ADM Hamburg») a importé vers l’Allemagne plusieurs lots d’huile brute de palmiste provenant d’Équateur, de Colombie, du Costa Rica et du Panama en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union. L’ensemble de ces pays sont des pays exportateurs SPG (5). L’huile a été transportée dans différentes citernes d’un navire transporteur. Afin de bénéficier d’un traitement préférentiel, ADM Hamburg a présenté des certificats préférentiels en ce qui concerne les pays susmentionnés.

9.        L’affaire au principal concerne seulement un de ces lots (ci-après le «lot en cause»). Le lot en cause contenait un mélange d’huile brute de palmiste originaire de différents pays bénéficiaires.

10.      Le 8 décembre 2011, le Hauptzollamt Hamburg-Stadt (Bureau principal des douanes de Hambourg) a adopté un avis de fixation des droits à l’importation. S’agissant du lot en cause, il a calculé les droits à l’importation sur la base du taux de droits de douane applicable aux pays tiers, c’est-à-dire sans lui appliquer le traitement préférentiel demandé. Le traitement préférentiel a été refusé en raison du fait que, en substance, de l’huile brute de palmiste provenant de différents lots d’importation originaires de différents pays a été mélangée dans une seule citerne.

11.      À la suite du rejet de sa réclamation administrative, ADM Hamburg a formé un recours devant le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne). Étant donné qu’il avait des doutes quant à la manière dont il convient d’interpréter la disposition du droit de l’Union pertinente, le Finanzgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La condition matérielle de l’article 74, paragraphe 1, première phrase, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1), dans sa version résultant du règlement (UE) n° 1063/2010 de la Commission, du 18 novembre 2010 (JO L 307, p. 1), en vertu de laquelle les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union européenne doivent être ceux qui ont été exportés du pays bénéficiaire dont ils sont considérés comme étant originaires, est-elle remplie dans un cas tel que l’espèce, dans lequel plusieurs lots d’huile brute de palmiste provenant de plusieurs pays exportateurs bénéficiaires du système de préférences généralisées, dont ils sont considérés comme étant originaires, n’ont pas été séparés physiquement à l’exportation et à l’importation dans l’Union européenne, mais ont été placés, lors de l’exportation, dans la même citerne du navire transporteur et ont donc été importés sous forme d’un mélange dans l’Union européenne, dans des conditions où il peut être exclu que d’autres produits – notamment des produits qui ne bénéficient d’aucun régime préférentiel – aient été ajoutés dans la citerne du navire de transport à l’occasion du transport de ces produits et jusqu’à leur mise en libre pratique?»

12.      Des observations écrites ont été présentées par ADM Hamburg, le Hauptzollamt Hamburg-Stadt (Bureau principal des douanes de Hambourg) et la Commission européenne. À l’exception du Hauptzollamt Hamburg-Stadt, ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 11 juin 2015.

III – Analyse

A –    La question préjudicielle

13.      La condition en vertu de laquelle les produits qui ont quitté le pays bénéficiaire et les produits présentés à la douane lors de la déclaration de mise en libre pratique dans l’Union doivent être identiques, telle qu’elle figure à l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 2454/93, est-elle remplie lorsque de l’huile brute de palmiste originaire de plusieurs pays et bénéficiant de la même préférence tarifaire a été versée dans la même citerne d’un navire transporteur et importée sous forme d’un mélange dans cette citerne? Voilà, en substance, le point que la juridiction de renvoi demande à la Cour de clarifier dans la présente affaire. La juridiction de renvoi a été amenée à demander à la Cour d’apporter des éclaircissements sur cette question, non seulement parce que la Cour n’a, à ce jour, pas eu l’occasion de clarifier le sens de l’article 74 du règlement n° 2454/93, mais aussi parce que les autorités douanières des États membres ont des opinions divergentes sur ce sujet.

14.      Plus particulièrement, il existe une incertitude quant au point de savoir si le mélange de produits – qui sont, en l’espèce, interchangeables et identiques du point de vue de la substance, en ce qu’il s’agit d’huile brute de palmiste – originaires de différents pays bénéficiaires s’oppose au traitement préférentiel. Pour les raisons que j’exposerai ci-dessous, je considère que tel n’est pas le cas.

B –    Une nouvelle règle, plus souple

15.      Je commencerai par rappeler que, avant la modification de l’article 74 du règlement n° 2454/93, qui a été introduite par le règlement n° 1063/2010, afin qu’un importateur puisse bénéficier d’une préférence, la preuve que le transport s’effectue directement à destination de l’Union s’imposait, ce qui était fréquemment difficile à obtenir. Comme indiqué au considérant 16 du préambule du règlement n° 1063/2010, l’article 74 du règlement n° 2454/93 visait à instaurer une nouvelle règle, plus simple et, fondamentalement, plus souple, ciblée sur le fait que les marchandises déclarées doivent être celles qui ont été exportées.

16.      Je relèverai d’emblée que la condition d’identité telle qu’elle figure à l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 2454/93 doit être examinée non pas de manière isolée, mais comme faisant partie d’un ensemble, à savoir en combinaison avec l’article 74, paragraphe 2, qui dispose que le respect de la condition d’identité «est présumé, à moins que les autorités douanières n’aient des raisons de croire le contraire». En d’autres termes, si les autorités douanières n’ont aucune raison de penser que les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique ne sont pas ceux qui ont été exportés, celles-ci doivent admettre qu’elles ont affaire aux mêmes produits.

17.      Dans l’affaire au principal, l’origine des produits n’est pas contestée. De même, il n’est pas contesté que l’huile se trouvant dans le lot litigieux bénéficierait, si elle n’avait pas été mélangée, du traitement préférentiel. De plus, les produits en cause sont interchangeables et identiques du point de vue de la substance, en ce qu’il s’agit d’huile brute de palmiste. La présomption d’identité prévue à l’article 74, paragraphe 2 ainsi que le fait qu’il n’existe aucun doute quant à l’origine des produits devraient, tel que je le conçois, suffire en eux-mêmes pour résoudre la question qui sous-tend l’affaire au principal.

18.      Certes, il peut être soutenu qu’il est plus difficile pour les autorités douanières d’examiner et de prélever des échantillons des produits qui sont importés lorsque des produits d’origines différentes sont importés sous forme d’un mélange. En effet, il ne faut pas, ici, négliger l’objectif qui consiste à faciliter la tâche des autorités douanières, à savoir vérifier l’origine de produits importés. Cet objectif doit, au contraire, être considéré comme l’un des principes directeurs d’interprétation du code des douanes communautaire et du règlement n° 2454/93 qui vise à appliquer ledit code, notamment parce que ce dernier vise, entre autres, à garantir des procédures rapides et efficaces de mise en libre pratique des produits (6). Il va sans dire qu’il est primordial que les autorités douanières puissent, si nécessaire, examiner les produits afin de vérifier s’ils correspondent au certificat d’origine.

19.      Par conséquent, aux fins du traitement préférentiel, il est indispensable qu’un lien puisse être établi entre le produit, son caractère originaire et un certificat d’origine spécifique. Les certificats d’origine sont d’une importance fondamentale dans l’établissement de ce lien (7). L’importance de la preuve formelle de l’origine (certificat d’origine) a été mise en évidence par la Cour: il est, en effet, de jurisprudence constante que l’exigence d’une preuve valable de l’origine émanant de l’autorité compétente ne saurait être considérée comme une simple formalité pouvant rester inobservée tant que le lieu d’origine est établi par d’autres moyens de preuve (8).

20.      S’agissant de l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi qu’ADM Hamburg a présenté des certificats préférentiels sous forme de certificats d’origine en ce qui concerne l’ensemble des cinq lots (formule A), qui ne sont pas contestés en tant que tels en l’espèce.

21.      À cet égard, les dispositions relatives aux certificats d’origine figurant à l’article 47, sous b), du règlement n° 2454/93 prévoient que le certificat doit comporter toutes les indications nécessaires à l’identification de la marchandise à laquelle il se rapporte, notamment le nombre de colis, les poids brut et net de la marchandise ou son volume. De plus, l’annexe 17 du règlement n° 2454/93 décrit le contenu d’une «formule A». Dans les cases 5, 6 et 9 de la formule doivent être indiqués le numéro du produit, les marques et le nombre de colis ainsi que le poids brut ou une autre quantité. Au verso de la formule, intitulé «notes», il est également indiqué, sous la rubrique II, «Conditions générales», sous b), que chaque article d’un lot doit remplir les conditions requises de manière distincte et à part entière.

22.      Certes, à première vue, le mélange de produits d’origines différentes est peu compatible avec les exigences relatives au contenu des certificats concernés, non seulement en ce qui concerne le poids et la quantité, mais aussi par rapport à l’exigence selon laquelle chaque article doit remplir les conditions requises de manière distincte et à part entière. En ce sens, lorsqu’un produit est mélangé avec un produit ayant une origine différente de sorte qu’il est impossible de pouvoir, à nouveau, séparer physiquement les produits, l’on pourrait soutenir qu’il ne s’agit plus du produit tel qu’il était avant d’être mélangé avec l’autre produit. Par conséquent, l’argument selon lequel le mélange rendrait la vérification de l’origine plus difficile pour les autorités douanières présente un certain attrait. Vu sous cet angle, l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 2454/93 pourrait être interprété en ce sens qu’il exige que les produits correspondant à un certificat d’origine spécifique doivent être transportés d’une manière garantissant leur séparation physique.

23.      Toutefois, je ne considère pas que cela soit une raison suffisante pour exiger la séparation physique, pendant le transport, des lots liés à un certificat d’origine spécifique. Je considère qu’il en est ainsi pour plusieurs raisons.

24.      En premier lieu, il est important de garder à l’esprit que l’article 74 fait partie de la partie I, titre IV, chapitre 2, du règlement n° 2454/93, qui concerne l’origine préférentielle. Plus précisément encore, cette disposition fait partie de la section 1, sous-section 2 de ce chapitre, qui concerne la définition de la notion de «produits originaires», à savoir les produits originaires d’un pays bénéficiaire aux fins de l’application d’une préférence tarifaire (9).

25.      Étant donné que l’ensemble de la sous-section 2 concerne la définition de la notion de «produits originaires», je trouve peu (voire pas du tout) d’éléments indiquant que la condition d’identité vise à garantir autre chose que le fait que les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique soient bien des produits originaires, c’est-à-dire des produits originaires d’un pays bénéficiaire et non pas d’un pays tiers, aux fins de la détermination d’un droit à l’importation (plus élevé ou moins élevé, en fonction de l’origine du produit). Il s’agit là de la seule finalité de l’article 74 du règlement. À l’évidence, cette disposition ne concerne pas, par exemple, l’étiquetage de produits destinés à être vendus à des consommateurs (10).

26.      Comme je l’ai indiqué ci-dessus, il semble constant entre les parties que les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique correspondent effectivement aux certificats d’origine présentés par ADM Hamburg. Aucune allégation allant dans le sens contraire, et encore moins un quelconque élément suggérant que des produits provenant de pays tiers aient été ajoutés au lot en cause, n’ont été présentés devant la juridiction de renvoi.

27.      En second lieu, et surtout, les produits liquides et en vrac constituent un cas à part. Je comprends que, en ce qui concerne ce type de produits, la pratique habituelle est d’émettre des certificats d’origine pour une période déterminée et pour une certaine quantité d’un produit, qui sont ensuite associés à un connaissement («bill of lading»). Ces documents sont dépourvus de pertinence aux fins du transport et, en particulier, du chargement effectif du navire de transport, qui obéit à une logique tout à fait différente (11). C’est la raison pour laquelle le fait que plusieurs certificats d’origine soient liés à des produits transportés dans une seule citerne ou soute de navire, y compris lorsque tous ces produits sont originaires d’un seul et même pays, n’apparaît en rien inhabituel.

28.      À cet égard, il a été précisé lors de l’audience que, non seulement le lot en cause, mais aussi d’autres lots d’huile brute de palmiste importés par ADM Hamburg constituaient des mélanges de facto, bien qu’ils fussent des mélanges d’huile originaire d’un seul pays bénéficiaire. Partant de ce constat, interpréter l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 2454/93, en ce qu’il impose une séparation physique des produits liquides ou en vrac, ne peut qu’aboutir à une distinction injustifiée. Le fait d’exiger une séparation physique au cours du transport (basée sur un critère tel que le pays d’origine ou le certificat d’origine) pour les produits liquides ou en vrac donnerait lieu au traitement défavorable, s’agissant de l’application de la préférence tarifaire, de produits qu’il est difficile, voire impossible, de séparer une fois qu’ils ont été placés dans la même soute (ou citerne). Je ne vois guère comment cela pourrait être justifié: pourquoi le fait de mélanger, dans une citerne ou une soute, des produits qui sont identiques du point de vue de la substance, en ce qu’il s’agit d’huile brute de palmiste, et interchangeables constituerait une «modification ou transformation» contraire à l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 2454/93, lorsque les produits qui sont mélangés sont originaires de plusieurs pays bénéficiaires, mais pas lorsqu’ils sont originaires d’un seul pays?

29.      En ce qui concerne la nécessité de vérifier l’origine qui, à mon avis, constitue le seul argument valable pouvant, a priori, être invoqué pour justifier une séparation physique, je me contenterai d’observer ce qui suit: je ne vois pas pourquoi il serait plus facile de vérifier l’origine sur la base de certificats d’origine dans l’hypothèse où des produits interchangeables (liquides ou en vrac) originaires d’un pays sont transportés sous forme de mélange, et plus difficile lorsque, comme en l’espèce, plusieurs certificats d’origine sont liés à un lot qui contient des produits interchangeables originaires de plusieurs pays bénéficiaires. Dans les deux cas, nous sommes en présence de plusieurs certificats d’origine liés à un mélange de produits liquides ou en vrac.

30.      Ces considérations m’amènent à ma remarque finale. Selon moi, à l’article 74, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 2454/93, le législateur instaure une présomption en faveur du caractère originaire. C’est seulement lorsque les autorités douanières ont des raisons de croire que les produits n’ont pas de caractère originaire que le déclarant doit montrer que le lot contient effectivement les mêmes produits que ceux qui ont été initialement exportés. Cette démonstration peut se faire, comme cette disposition l’indique clairement, par tous moyens, par des documents de transport contractuels tels que des connaissements, des preuves factuelles ou concrètes basées sur le marquage ou la numérotation des emballages, ou toute preuve liée aux marchandises elles-mêmes. En ce sens, le transport de produits sous forme d’un mélange ne s’oppose pas au traitement préférentiel. Or, au risque d’énoncer une évidence, c’est l’importateur (le déclarant) qui supporte le risque d’un droit à l’importation plus élevé, dans l’éventualité où les autorités douanières ne seraient pas convaincues par les preuves qu’il a apportées quant au caractère originaire des produits.

31.      Sur la base de ce qui précède, je considère que, dans les circonstances telles que celles qui sont à l’origine de la présente affaire, où i) les produits qui ont été mélangés sont identiques du point de vue de la substance, en ce qu’il s’agit d’huile brute de palmiste, et interchangeables, ii) ils sont originaires de pays bénéficiant du même traitement préférentiel, et iii) il n’existe aucun doute quant à leur caractère originaire, la condition, en vertu de laquelle les produits exportés et les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union doivent être identiques, telle que prévue à l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 2454/93, est remplie.

IV – Conclusion

32.      Compte tenu des considérations qui précèdent, j’invite la Cour à répondre à la question posée par le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg) de la manière suivante:

La condition d’identité, telle que prévue à l’article 74, paragraphe 1, première phrase, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, dans sa version résultant du règlement (UE) n° 1063/2010 de la Commission, du 18 novembre 2010, en vertu de laquelle les produits déclarés en vue de leur mise en libre pratique dans l’Union européenne doivent être ceux qui ont été exportés du pays bénéficiaire dont ils sont considérés comme étant originaires, est remplie dans les circonstances telles que celles à l’origine de la présente affaire où plusieurs lots d’huile brute de palmiste originaires de différents pays bénéficiant du même traitement préférentiel n’ont pas été séparés physiquement aux fins du transport, mais ont été placés dans la même citerne d’un navire transporteur et, partant, ont été importés dans l’Union, ainsi mélangés dans ladite citerne.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Règlement de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1), dans sa version résultant du règlement (UE) n° 1063/2010 de la Commission, du 18 novembre 2010 (JO L 307, p. 1).


3 – Règlement du Conseil du 22 juillet 2008 appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées pour la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011, et modifiant les règlements (CE) n° 552/97 et (CE) n° 1933/2006, ainsi que les règlements de la Commission (CE) n° 1100/2006 et (CE) n° 964/2007 (JO L 211, p. 1).


4 – Règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le «code des douanes communautaire»), tel que modifié. Ce règlement rassemble dans un seul code une multitude de règlements et de décisions communautaires en matière de droit douanier.


5 – Système de préférences généralisées.


6 – Arrêt Derudder (C-290/01, EU:C:2004:120, point 45). À cet effet, plusieurs dispositions du code des douanes communautaire portent sur l’examen des produits. Par exemple, conformément à l’article 68, sous b), dudit code, pour vérifier des déclarations, les autorités douanières peuvent procéder à l’examen des marchandises et, éventuellement, à un prélèvement d’échantillons en vue de leur analyse ou d’un contrôle approfondi.


7 – Bien que dépourvu de pertinence en l’espèce, il est intéressant de relever qu’une plus grande souplesse a été instaurée dans le système également à cet égard et que les certificats d’origine ne doivent plus être utilisés. Le règlement d’exécution (UE) 2015/428 de la Commission, du 10 mars 2015, modifiant le règlement (CEE) n° 2454/93 et le règlement (UE) n° 1063/2010 en ce qui concerne les règles d’origine relatives au schéma de préférences tarifaires généralisées et aux mesures tarifaires préférentielles pour certains pays ou territoires (JO L 70, p. 12) a instauré un nouveau système pour certifier l’origine des marchandises. Cela se fait grâce à un système d’autocertification au moyen duquel les exportateurs sont enregistrés dans un système électronique, dit «système REX».


8 – Voir, récemment, arrêt Helm Düngemittel (C-613/12, EU:C:2014:52, point 32 et jurisprudence citée).


9 – Voir, à titre d’exemple, les articles 72, 75 et 78 du règlement. Conformément à ces dispositions, les produits entièrement obtenus dans un pays bénéficiaire (tels que des légumes cultivés dans ce pays) sont considérés comme des produits originaires, tandis que des produits qui ne sont pas entièrement obtenus dans ledit pays peuvent obtenir le caractère originaire à condition qu’ils soient ultérieurement suffisamment transformés dans un pays bénéficiaire. Il ressort également des articles 79 et 83 du règlement que des matières non originaires peuvent être mises en œuvre dans la fabrication si elles ne dépassent pas certains pourcentages du produit, alors que, par exemple, l’origine de machines ou de combustible utilisés dans la fabrication d’un produit est sans pertinence pour déterminer le caractère originaire dudit produit.


10 – Comme indiqué au considérant 7 du préambule du règlement (UE) n° 978/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées et abrogeant le règlement (CE) n° 732/2008 du Conseil (JO L 303, p. 1), l’accès préférentiel au marché de l’Union est mis en œuvre pour soutenir les pays en voie de développement dans leurs efforts pour réduire la pauvreté ainsi que pour promouvoir la bonne gouvernance et le développement durable en les aidant à générer, grâce au commerce international, des recettes additionnelles qu’ils pourront ensuite réinvestir pour leur propre développement et pour diversifier leur économie. Le mélange de produits interchangeables provenant de différents pays appartenant au même groupe de pays SPG ne modifie en rien cela.


11 – À cet égard, pour des raisons de sécurité, il peut être nécessaire que les marchandises à transporter soient chargées selon des modalités qui ne correspondent pas aux connaissements. En tout état de cause, il semble peu probable que le nombre de citernes ou de soutes d’un navire corresponde au nombre de lots transportés à un moment donné.