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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 21 janvier 2016 (1)

Affaire C-48/15

État belge

contre

NN (L) International, anciennement ING International SA, succédant aux droits et obligations de ING Dynamic SA

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique)]

«Demande de décision préjudicielle – Libre prestation de services – Libre circulation des capitaux – Taxe annuelle sur les organismes de placement collectif (OPC) – Critère de rattachement de l’impôt – Montants nets placés par des intermédiaires résidents – Comparabilité entre les organismes de placement collectif étrangers et belges – Sanction spécifique applicable aux organismes de placement collectif de droit étranger»





I –    Introduction

1.        Depuis l’année 1993, une taxe annuelle sur les organismes de placement collectif (OPC) est perçue en Belgique sur la base de la valeur de l’actif net desdits organismes (ci-après la «taxe annuelle»). Au moment de son instauration, cette taxe n’était perçue qu’à charge des seuls OPC belges. L’État belge a cependant modifié le critère de rattachement de l’impôt en 2003. Il a soumis à la taxe annuelle non seulement les OPC belges, mais également les OPC étrangers qui commercialisent leurs parts en Belgique. La taxe annuelle est due, pour les deux types d’OPC, sur le total, au 31 décembre de l’année précédente, des montants nets placés en Belgique. En plus de la modification du critère de rattachement de l’impôt en 2003, l’État belge a également introduit une nouvelle sanction spécifique pour les OPC étrangers qui n’acquittent pas les montants dus au titre de la taxe annuelle.

2.        La présente demande de décision préjudicielle est intervenue dans un litige entre NN (L) International, un OPC de droit luxembourgeois, et l’État belge. Le litige concerne le refus de l’administration fiscale belge de rembourser le montant de la taxe annuelle payée par NN (L) International pour l’année 2005. La juridiction de renvoi demande à la Cour de justice si le droit de l’Union fait obstacle à l’application de la taxe annuelle à des OPC étrangers et à l’infliction d’une sanction spécifique aux OPC étrangers qui ne respectent pas ladite obligation fiscale. Les questions posées concernent, en particulier, l’interprétation de la directive 69/335/CEE (2) et de la directive 85/611/CEE (3), la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux. Ces questions offrent une nouvelle fois à la Cour l’occasion d’examiner les tensions qui existent entre la souveraineté fiscale des États membres et l’obligation des États membres de se conformer aux libertés fondamentales garanties par les traités.

II – Cadre juridique

A –    Droit de l’Union

1.      Directive 69/335

3.        L’objectif de la directive 69/335 est de supprimer les obstacles à la liberté de circulation des capitaux en harmonisant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux dans les États membres. Conformément à l’article 1er de la directive 69/335, les États membres perçoivent un droit sur les apports à des sociétés de capitaux qui est harmonisé, nommé «droit d’apport». L’article 4 de la directive 69/335 établit deux listes qui énumèrent les opérations qui sont soumises au droit d’apport et celles qui peuvent y être soumises.

4.        La directive 69/335 prévoit également, conformément à son dernier considérant, la suppression d’autres impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que le droit d’apport ou le droit de timbre. Ces impôts sont énumérés à l’article 10 de la directive qui prévoit que, en dehors du droit d’apport, les États membres ne perçoivent aucune imposition, sous quelque forme que ce soit: «a) pour les opérations visées à l’article 4; b) pour les apports, prêts ou prestations, effectués dans le cadre des opérations visées à l’article 4; c) pour l’immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité, à laquelle une société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs peut être soumise en raison de sa forme juridique».

5.        En vertu de l’article 11 de la directive 69/335, les États membres ne soumettent à aucune imposition, sous quelque forme que ce soit: «a) la création, l’émission, l’admission en bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions, de parts ou autres titres de même nature, ainsi que de certificats représentatifs de ces titres, quel qu’en soit l’émetteur; b) les emprunts, y compris les rentes, contractés sous forme d’émission d’obligations ou autres titres négociables, quel qu’en soit l’émetteur, et toutes les formalités y afférentes, ainsi que la création, l’émission, l’admission en bourse, la mise en circulation ou la négociation de ces obligations ou autres titres négociables».

2.      Directive 85/611

6.        L’objectif de la directive 85/611, tel qu’exposé à son deuxième considérant, est la coordination des législations nationales qui régissent les OPC en vue de rapprocher au sein de l’Union européenne les conditions de concurrence entre ces organismes et d’y réaliser une protection plus efficace et plus uniforme des participants. Comme en dispose le quatrième considérant, la directive établit, pour les OPC situés dans les États membres, des règles minimales communes en ce qui concerne leur agrément, leur contrôle, leur structure, leur activité et les informations qu’ils doivent publier.

7.        L’article 44, paragraphe 1, de la directive 85/611, prévoit qu’«[u]n [organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM)] qui commercialise ses parts dans un autre État membre doit respecter les dispositions législatives, réglementaires et administratives qui sont en vigueur dans cet État et qui ne relèvent pas du domaine régi par la présente directive». En outre, aux termes de l’article 44, paragraphe 3, de la directive, les dispositions visées au paragraphe 1 doivent être appliquées de façon non discriminatoire par les États membres.

B –    Droit belge

8.        La taxe annuelle sur les OPC a été insérée dans le code des droits de succession par la loi portant des dispositions fiscales et financières, du 22 juillet 1993 (4). Par ailleurs, la loi-programme du 22 décembre 2003 (5), entrée en vigueur le 1er janvier 2004, a modifié la taxe annuelle en étendant son champ d’application. Sur la base de cette modification, les OPC étrangers qui commercialisent leurs parts en Belgique ont également été soumis à la taxe annuelle en vertu de l’article 161, alinéa 3, du code des droits de succession, dans sa version applicable aux faits de l’affaire au principal.

9.        Au sujet de la base imposable, l’article 161 bis du code des droits de succession dispose: «1. En ce qui concerne les organismes de placement visés à l’article 161, 1° et 2° [c’est-à-dire les OPC belges], la taxe est due sur le total, au 31 décembre de l’année précédente des montants nets placés en Belgique. […] 2. En ce qui concerne les organismes de placement visés à l’article 161, 3° [c’est-à-dire les OPC étrangers], la taxe est due sur le total au 31 décembre de l’année précédente des montants nets placés en Belgique, à partir de leur inscription auprès de la Commission bancaire, financière et des assurances. […]»

10.      Aux termes de la décision de renvoi, le taux de la taxe annuelle était de 0,07 % de la base imposable pour l’exercice 2006.

11.      L’article 162 du code des droits de succession étend l’applicabilité des sanctions prévues au livre I dudit code à la taxe établie à l’article 161. En particulier, l’article 12, paragraphe 2, du code, dans sa version applicable au moment des faits, établit une sanction spécifique pour les OPC étrangers: le juge peut leur interdire de placer, encore à l’avenir, des parts en Belgique.

III – Faits, procédure et questions préjudicielles posées

12.      NN (L) International est une société d’investissement à capital variable (6). Son siège social est établi au Luxembourg. Aux termes de la décision de renvoi de la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), l’intimée a dûment introduit sa déclaration à la taxe annuelle portant sur les montants nets placés en Belgique en 2005. L’intimée a également acquitté cette taxe dans le délai légal.

13.      Dans le cadre de la procédure en première instance, l’intimée a contesté la légalité de la taxe annuelle et a introduit une demande tendant à la restitution de cette taxe qui s’élevait à 185 739,34 euros. Elle a soutenu que la taxe annuelle violait la directive 69/335 et la directive 85/611, ainsi que les dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux. À titre subsidiaire, l’intimée a fait valoir que la taxe annuelle était contraire à l’article 22 de la convention conclue entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 17 septembre 1970 (ci-après la «convention préventive de la double imposition»). Le premier juge a fait droit à la demande subsidiaire. Il a estimé que la taxe annuelle violait l’article 22 de la convention préventive de la double imposition, la considérant comme un impôt sur la fortune. En conséquence, il a déclaré que la taxe annuelle n’était pas due par NN (L) International. Cependant, le premier juge a déclaré comme non fondé le grief tiré de la violation de la directive 69/335. Il n’a pas pris position sur les autres griefs tirés de la violation du traité CE et de la directive 85/611.

14.      L’administration fiscale belge a interjeté appel contre la décision du premier juge. Elle a fait valoir que la taxe contestée n’est pas visée par la convention préventive de la double imposition et que les articles 160 et suivants du code des droits de succession sont compatibles avec les dispositions du droit de l’Union citées ci-dessus. NN (L) International a demandé la confirmation de la décision du premier juge et a formé un appel incident à titre subsidiaire en ce que le premier juge a écarté le grief pris de la violation de la directive 69/335 et en ce qu’il n’a pas pris position sur les griefs tirés de la violation des autres dispositions du droit de l’Union.

15.      Dans ces conditions, la cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser, à titre préjudiciel, les questions suivantes:

«1)       La directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements des capitaux (JO L 249, p. 25) et plus précisément ses articles 2, 4, 10 et 11 combinés doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à des dispositions de droit national telles que les articles 161 et 162 du code des droits de succession, modifiés par la loi-programme du 22 décembre 2003, relatives à la taxe sur les organismes de placement collectif, en ce que ladite taxe frappe annuellement les organismes de placement collectif constitués sous la forme de société de capitaux dans un autre État membre et commercialisant leurs parts en Belgique, sur le montant total de leurs parts souscrites en Belgique diminué du montant des rachats ou des remboursements de telles souscriptions, avec la conséquence que les sommes collectées en Belgique par de tels organismes de placement collectif sont soumises à ladite taxe tant qu’elles restent à la disposition desdits organismes?

2)       Les articles 49 à 55 et 56 à [60] du traité CE, le cas échéant lus en combinaison avec les articles 10 et 293, deuxième tiret, du traité CE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à ce qu’un État membre modifie de manière unilatérale le critère de rattachement d’un impôt, tel que prévu aux articles 161 et suivants du code des droits de succession, pour remplacer un critère de rattachement personnel fondé sur la résidence du contribuable et consacré par le droit fiscal international par un prétendu critère de rattachement réel qui n’est pas consacré par le droit fiscal international, compte tenu du fait que, pour asseoir sa souveraineté fiscale, l’État membre adopte une sanction spécifique telle que prévue à l’article 162, alinéa 3, du code des droits de succession, à l’égard des seuls opérateurs étrangers?

3)       Les articles 49 et 56 du traité CE, le cas échéant lus en combinaison avec les articles 10 et 293, deuxième tiret, du traité CE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à une imposition telle que celle décrite ci-dessus, qui, dans la mesure où elle ne tient aucunement compte des impositions frappant déjà dans leur État membre d’origine les organismes de placement collectif constitués dans un autre État membre, représente une charge pécuniaire supplémentaire de nature à gêner la commercialisation de leurs parts en Belgique?

4)      La directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 375, p. 3), le cas échéant lue en combinaison avec les articles 10 et 293, deuxième tiret, du traité CE, doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle fait obstacle à une imposition telle que celle décrite ci-dessus dans la mesure où celle-ci porte atteinte à l’objectif principal de la directive de faciliter la commercialisation des parts d’organismes de placement collectif dans l’Union européenne?

5)      Les articles 49 et 56 du traité CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle aux charges administratives occasionnées par la perception d’une imposition telle que celle décrite ci-dessus aux organismes de placement collectif constitués dans un autre État membre qui commercialisent leurs parts en Belgique?

6)      Les articles 49 et 56 du traité CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à une disposition de droit national telle que l’article 162, alinéa 2, du code des droits de succession en ce que cette disposition soumet à une sanction spécifique les organismes de placement collectif constitués dans un autre État membre qui commercialisent leurs parts en Belgique, à savoir l’interdiction prononcée par un juge de placer à l’avenir des parts en Belgique en cas d’omission d’envoi de leur déclaration pour le 31 mars de chaque année ou en cas de non-acquittement de la taxe décrite ci-dessus?»

16.      NN (L) International, le gouvernement belge et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Les parties qui sont intervenues au stade écrit de la procédure ont présenté des observations orales lors de l’audience du 28 octobre 2015.

IV – Appréciation

A –    Recevabilité des questions posées

17.      Dans ses observations écrites, le gouvernement belge fait valoir que les quatrième, cinquième et sixième questions posées à la Cour sont irrecevables. En ce qui concerne la quatrième question, il considère que la décision de renvoi ne donne aucun motif spécifique pour lequel la taxe annuelle devrait être considérée comme contraire à la directive 85/611. S’agissant de la cinquième question, le gouvernement belge estime que la décision de renvoi n’indique pas précisément les dispositions de droit interne imposant des charges administratives et ne donne aucune explication sur la discrimination dont les OPC étrangers seraient en conséquence victimes. La Commission soulève également ce dernier argument dans ses observations, sans toutefois formellement contester la recevabilité de la question. En outre, le gouvernement belge considère que la cinquième question n’a manifestement pas d’intérêt pour la résolution du litige au principal. Enfin, il invoque également l’irrecevabilité de la sixième question au motif que l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession ne fait pas l’objet du litige dont est saisie la juridiction de renvoi. Cette disposition n’aurait aucun rapport avec l’objet du litige au principal. En outre, l’application d’une sanction à l’avenir à l’encontre de NN (L) International serait purement hypothétique.

18.      Selon une jurisprudence constante (7), les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

19.      En application de ces critères à la présente affaire, j’estime que les exceptions d’irrecevabilité concernant les quatrième, cinquième et sixième questions doivent être rejetées. Je partage, toutefois, avec le gouvernement belge l’opinion selon laquelle la cinquième question devrait être considérée comme irrecevable et par conséquent rejetée.

20.      Certes, telle qu’elle est libellée par la juridiction de renvoi, la quatrième question n’indique pas précisément la disposition spécifique de la directive 85/611 pour laquelle une interprétation est demandée. Elle fait uniquement référence à la directive en tant que telle et à ses objectifs. Toutefois, selon une jurisprudence constante (8), il reste réservé à la Cour, en présence de questions formulées de manière imprécise, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale et du dossier du litige au principal les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation, compte tenu de l’objet du litige. Dans la présente affaire, le fait que la question ne contient qu’une référence générale à la directive 85/611 n’empêche pas la Cour de fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union lui permettant de statuer sur l’affaire dont elle est saisie.

21.      En ce qui concerne la sixième question, il ne saurait être soutenu qu’elle est dénuée de pertinence aux fins de la résolution du litige au principal. NN (L) International conteste, dans la procédure au principal, la légalité des articles 160 et suivants du code des droits de succession, à savoir les dispositions qui contiennent le régime applicable à la taxe annuelle en droit belge. La juridiction de renvoi est, partant, appelée à statuer dans un litige qui porte sur la légalité du régime de la taxe annuelle, en ce compris les sanctions spécifiques à infliger aux OPC non-résidents en vertu de l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession. Cette question ne saurait, dès lors, être considérée comme hypothétique ou dénuée de pertinence pour la résolution du litige au principal.

22.      De surcroît, le fait que les sanctions établies en droit national n’ont pas été infligées aux faits spécifiques d’une affaire n’a pas empêché la Cour de répondre à une question préjudicielle par le passé (9). La Cour a souvent dû faire face à des questions qui contiennent des éléments qui portent sur des événements incertains ou des situations éventuelles et a déclaré ces questions recevables dans la mesure où elles présentaient un intérêt pour la solution du litige au principal (10). En termes métaphoriques, si le cœur du litige est actuel et réel, la juridiction de renvoi devrait être habilitée à interroger la Cour sur les contours potentiels de ce cœur. Tel est, a fortiori, le cas si ces contours sont tranchants, à l’instar des sanctions.

23.      Pour ces motifs, il convient de rejeter les arguments invoqués par le gouvernement belge à l’égard de la recevabilité des quatrième, cinquième et sixième questions.

24.      La cinquième question présente une situation différente. Selon une jurisprudence constante (11), et conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour de justice, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Les informations fournies dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à procurer aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité d’exposer des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (12).

25.      Dans la présente affaire, aucune indication dans la décision de renvoi ne permet à la Cour de préciser ce que sont supposées être ces «charges administratives» mentionnées par la juridiction nationale dans la cinquième question. La même incertitude apparaît dans les observations des parties: le gouvernement belge présume que la notion de «charges administratives» renvoie à l’obligation d’introduire une déclaration fiscale auprès des autorités compétentes. La Commission partage cette supposition. Par ailleurs, NN (L) International, qui ne s’exprime pas sur ce point dans ses observations écrites, a brièvement mentionné lors de l’audience qu’il convenait d’entendre par «charges administratives» les coûts internes liés au recueil des informations pertinentes relatives à l’identité et au lieu de résidence des détenteurs de parts.

26.      En fin de compte, la Cour ne dispose pas du cadre factuel ou réglementaire lui permettant d’apprécier les «charges administratives». Les parties n’ont pas correctement analysé ce point. Je pense, pour ce motif, que la cinquième question devrait être déclarée irrecevable.

B –    Appréciation des questions posées

27.      Il convient de souligner d’emblée que la cour d’appel de Bruxelles a posé les six questions à la Cour avant de statuer sur la qualification de la taxe aux fins de l’applicabilité de la convention préventive de la double imposition. Il n’est donc pas demandé à la Cour de proposer une interprétation relative à la qualification de la taxe annuelle. L’analyse de la taxe effectuée dans les présentes conclusions afin de déterminer sa compatibilité avec les dispositions pertinentes du droit de l’Union ne porte pas atteinte à la détermination de la nature de la taxe aux fins de l’application de la convention préventive de la double imposition. Cette tâche incombe à la juridiction nationale.

28.      Mon appréciation sur le fond des questions posées est structurée comme suit: en premier lieu, la compatibilité de la taxe annuelle avec le droit dérivé de l’Union sera examinée (première et quatrième questions). En deuxième lieu, la taxe annuelle sera analysée au regard de sa compatibilité avec le droit primaire, à savoir les libertés fondamentales consacrées par le traité CE (deuxième et troisième questions). En troisième lieu, j’examinerai les sanctions spécifiques imposées aux seuls OPC étrangers et leur compatibilité avec le droit primaire de l’Union (sixième question).

1.      Sur la première question: la directive 69/335

29.      Par sa première question, la cour d’appel de Bruxelles demande si les articles 2, 4, 10 et 11 de la directive 69/335 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la perception d’une taxe sur les OPC étrangers, telle que la taxe annuelle belge. Toutes les parties qui ont soumis des observations à la Cour s’accordent à dire qu’il y a lieu de répondre à la première question par la négative au motif que la directive 69/335 n’est pas applicable à la taxe annuelle.

30.      Je partage ce point de vue.

31.      L’objectif de la directive 69/335 est de supprimer les impôts indirects, autres que le droit d’apport, qui ont les mêmes caractéristiques que ce dernier, à savoir ceux qui frappent les opérations relevant de cette directive (13).

32.      Dans la présente affaire, la taxe annuelle est due sur le total, au 31 décembre de l’année précédente, des montants nets placés en Belgique. Il ressort clairement des travaux parlementaires auxquels les observations écrites du gouvernement belge font référence que la notion de «montants nets placés» doit être comprise comme se référant au patrimoine total de l’OPC diminué des rachats. La notion de «montants placés en Belgique» indique les transmissions (souscriptions, ventes) faites en Belgique à l’intermédiaire d’un établissement financier (14). Le gouvernement belge observe également que la valeur de l’actif net peut être influencée par des facteurs tels que le montant des souscriptions, le montant des remboursements et des dettes, l’évolution de la valeur des actifs sous-jacents, les revenus et les frais.

33.      Dès lors, une telle taxe ne relève manifestement d’aucune des opérations soumises au droit d’apport en vertu de l’article 4 de la directive 69/335. Comme la Cour l’a déjà indiqué, toutes ces opérations sont caractérisées par le transfert de capitaux ou de biens à une société de capitaux dans l’État membre de taxation, ou se traduisent par une augmentation effective du capital ou de l’avoir social des sociétés (15). La taxe annuelle ne relève pas non plus du champ d’application de l’interdiction consacrée à l’article 10 de la directive dans la mesure où elle ne correspond à aucune des opérations imposables qu’énumère l’article 4 de la directive auquel l’article 10, sous a) et b), fait référence. De la même manière, la taxe annuelle n’a aucun lien avec l’immatriculation ou toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité au sens de l’article 10, sous c), de la directive. Enfin, la taxe annuelle n’a aucun rapport avec les opérations visées à l’article 11 de la directive.

34.      Il est, dès lors, évident que la taxe annuelle ne relève pas du champ d’application matériel de la directive 69/335. Celle-ci n’est donc pas applicable aux faits dont est saisie la juridiction de renvoi. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la première question par la négative: la directive 69/335 ne fait pas obstacle à la perception d’une taxe sur les OPC établis dans un autre État membre, telle que la taxe annuelle sur les OPC en cause au principal.

2.      Sur la quatrième question: la directive 85/611

35.      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive 85/611 doit être interprétée en ce sens qu’elle fait obstacle à une imposition telle que la taxe annuelle dans la mesure où celle-ci porte atteinte à l’objectif principal de la directive 85/611 de faciliter la commercialisation des parts d’OPCVM dans l’Union.

36.      S’agissant de cette question, NN (L) International fait valoir que la taxe annuelle entrave la réalisation des objectifs de la directive 85/611. En revanche, le gouvernement belge soutient que la directive 85/611 laisse intacts les pouvoirs des États membres dans le domaine fiscal. La Commission fait également valoir que la directive 85/611 ne contient aucune disposition fiscale et, partant, n’a aucune incidence sur la présente affaire.

37.      Je partage le point de vue exprimé par la Commission et par le gouvernement belge.

38.      La directive 85/611 coordonne les législations nationales régissant les OPCVM. Son objectif est de faciliter la libre circulation des parts d’OPC dans l’Union. Le degré de coordination envisagée par la directive est néanmoins limité. Elle n’établit que des règles minimales communes en ce qui concerne l’agrément, le contrôle, la structure, l’activité des OPCVM dans les États membres et les informations que ces derniers doivent publier (16). En particulier, la directive a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, l’article 53 TFUE). Ce dernier ne concerne pas la fiscalité des OPCVM dans les États membres.

39.      Certes, l’article 44, paragraphe 1, de la directive 85/611 dispose qu’un OPCVM qui commercialise ses parts dans un autre État doit respecter les dispositions législatives, réglementaires et administratives de cet État qui ne relèvent pas du domaine régi par ladite directive. En outre, en vertu de l’article 44, paragraphe 3, de la directive, ces dispositions doivent être appliquées de façon non discriminatoire par les États membres.

40.      L’article 44 de la directive rappelle le principe général et supérieur d’interdiction de toute discrimination sur le fondement de la nationalité ou du lieu de constitution. Cette disposition ne saurait toutefois être considérée comme étendant le champ d’application matériel de la directive 85/611.

41.      En premier lieu, l’article 44 de ladite directive doit être lu dans le contexte de la directive dans son ensemble: tandis que la coordination établie par la directive est fondée sur le principe du contrôle du pays d’origine et de la reconnaissance mutuelle (17), son article 44, paragraphe 1, reconnaît et protège les pouvoirs des États membres d’accueil dans les domaines qui ne sont pas couverts par la directive. Dans ce contexte, l’article 44 de la directive pourrait le mieux être interprété en ce sens qu’il réaffirme les pouvoirs de l’État membre dans tous les domaines qui ne sont pas expressément couverts par la directive, en ce compris la fiscalité.

42.      En second lieu, et principalement, sans préjudice de l’interprétation de la portée de l’article 44, paragraphe 1, de la directive 85/611, la règle de non-discrimination visée à son article 44, paragraphe 3, de la directive, à laquelle NN (L) International fait référence, peut être considérée comme une réaffirmation du principe de non-discrimination déjà consacré par les traités. En conséquence, pour apprécier si la taxe annuelle et la sanction spécifique pour les OPC non-résidents sont discriminatoires, il convient de se placer dans le cadre des dispositions du traité CE relatives aux libertés fondamentales.

43.      La directive 85/611 ne saurait, par conséquent, être invoquée utilement dans la présente affaire. L’obligation générale et, par nature, plutôt abstraite de coopération loyale établie à l’article 10 du traité CE (remplacé, en substance, par l’article 4, paragraphe 3, TUE) ne modifie pas cette conclusion (18). L’article 293 du traité CE (abrogé par le traité de Lisbonne) ne la modifie pas non plus. La Cour a affirmé que cette dernière disposition n’avait pas pour objet de poser une règle juridique opérant comme telle, mais se bornait à tracer le cadre d’une négociation que les États membres engageraient entre eux en tant que de besoin. Dans la ligne de ce raisonnement, la Cour a répété à maintes reprises que, même si l’élimination de la double imposition figure parmi les objectifs du traité CE, cette disposition ne saurait comme telle conférer à des particuliers des droits susceptibles d’être invoqués devant les juridictions nationales (19).

44.      Je propose, dès lors, à la Cour de répondre à la quatrième question comme suit: la directive 85/611 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne fait pas obstacle à l’imposition d’une taxe telle que la taxe annuelle sur les OPC en cause au principal.

3.      Sur les deuxième et troisième questions: la compatibilité de la taxe annuelle avec les libertés fondamentales

45.      Par ses deuxième et troisième questions, que je propose de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions pertinentes du traité CE relatives à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, lues en combinaison avec les articles 10 et 293 du traité CE, font obstacle à la taxe annuelle sur les OPC étrangers. Les doutes de la juridiction de renvoi découlent, en particulier, du fait que l’État belge a remplacé le critère de rattachement de l’impôt précédemment fondé sur la résidence du contribuable par un critère de «rattachement réel». De plus, l’État belge a adopté une sanction spécifique à l’égard des seuls opérateurs étrangers.

a)      La liberté applicable

46.      Dans ses questions, la juridiction nationale fait référence aux articles 49 à 55 et 56 à 60 du traité CE (devenus respectivement les articles 56 à 62, 63 à 66 et 75 TFUE) sans préciser de quelle manière chacune de ces dispositions s’applique en l’espèce. Cependant, comme la Commission le souligne, il semble évident que les dispositions pertinentes applicables au cours de la période en cause sont les articles 49, 56 et 58 du traité CE (devenus respectivement les articles 56, 63 et 65 TFUE).

47.      Comme établi par la Cour, afin de déterminer de quelle liberté fondamentale la législation nationale relève, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (20).

48.      La législation nationale en cause au principal établit une taxe annuelle sur les OPC sur la base de la valeur de leur actif net multipliée par le nombre de parts placées dans l’État membre de taxation. La taxe annuelle pourrait dès lors être considérée comme étant potentiellement de nature à entraver à la fois la libre circulation des capitaux et la libre prestation des services. Il convient, cependant, de noter que la Cour examine la mesure en cause au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (21). Aux fins de cette appréciation, à défaut de définition de la notion de «mouvements de capitaux», la Cour a considéré que l’annexe I de la directive 88/361/CEE (22) contient une liste non exhaustive qui présente une valeur indicative en ce qu’elle cite des opérations qui peuvent constituer des mouvements de capitaux (23). Aux fins de la présente affaire, il convient de remarquer que l’acquisition par des résidents de parts, négociées ou non négociées en Bourse, d’organismes étrangers figure au nombre des mouvements de capitaux énoncés à l’annexe I, point IV, A, de ladite directive, relative aux transactions sur parts d’organismes de placement collectif (24).

49.      Dans la présente affaire, la taxe annuelle est manifestement liée à l’acquisition par des résidents de parts d’organismes de placement au sens de la nomenclature figurant à l’annexe I de la directive 88/361. Dès lors, comme NN (L) International l’a fait valoir dans ses observations écrites, la taxe annuelle peut être considérée comme relevant essentiellement de la libre circulation des capitaux (25).

50.      En conséquence, j’estime que, dans les circonstances de la présente affaire, aux fins de l’appréciation de la compatibilité de la taxe annuelle avec les traités, l’analyse principale devrait porter sur la libre circulation des capitaux plutôt que sur la libre prestation des services (26).

b)      La taxe constitue-t-elle une restriction à la libre circulation des capitaux?

51.      NN (L) International soutient que le critère de rattachement retenu par la législation belge applicable méconnaît les critères de rattachement acceptés au niveau international. En outre, l’intimée soutient que la taxe annuelle constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, au motif qu’elle constitue une charge financière pour l’OPC, susceptible d’affecter les bénéfices des détenteurs de parts. Partant, selon l’intimée, la taxe annuelle est de nature à dissuader les OPC étrangers de commercialiser leurs parts en Belgique ou à limiter cette commercialisation, compte tenu, en particulier, du fait que les OPC luxembourgeois sont déjà redevables d’une taxe d’abonnement dans cet État membre. La Commission maintient toutefois que la taxe annuelle ne constitue pas, en soi, une discrimination dès lors que les OPC belges y sont soumis dans des conditions identiques (27). Le gouvernement belge soutient qu’il est nécessaire de reconnaître le principe de la souveraineté de l’État membre en matière fiscale et rappelle que la double imposition trouve sa source dans l’exercice simultané par plusieurs États de leur souveraineté fiscale. En outre, l’objectif global de l’application de la taxe annuelle aux OPC étrangers serait précisément d’assurer des conditions de concurrence équitables entre les différents produits d’investissement sur le marché belge.

52.      Tout d’abord, il convient de souligner que l’imposition des OPC n’est pas harmonisée au sein de l’Union. En réalité, la fiscalité des États membres en la matière diverge considérablement (28). Compte tenu de cette réalité, le principe de départ et la ligne directrice de l’analyse doivent résider dans la reconnaissance selon laquelle la fiscalité des OPC relève de la compétence des États membres et que, en toute logique, il existe des différences d’un État membre à un autre.

53.      Cependant, comme la Cour l’a établi (29), cet aspect de la compétence des États membres connaît une limite: les règles de fiscalité nationales ne peuvent pas constituer une restriction aux libertés fondamentales. Au titre des mesures interdites à l’article 56, paragraphe 1, du traité CE (devenu l’article 63, paragraphe 1, TFUE), en raison de leur effet restrictif des mouvements de capitaux, figurent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents dudit État membre d’en faire dans d’autres États (30).

54.      En application de ces principes au domaine spécifique de la fiscalité, la Cour a souvent décelé une restriction prohibée à l’article 56, paragraphe 1, du traité CE dans des affaires dans lesquelles les mesures nationales impliquaient un traitement différent entre les résidents et les non-résidents (31). À l’inverse, lorsque la règle fiscale ne faisait aucune distinction entre les contribuables considérés comme étant dans des situations comparables et n’impliquait aucun désavantage (32), la Cour a rejeté l’existence d’une telle restriction (33).

55.      Dans les circonstances de la présente affaire, il est clair que la législation nationale est, comme la Commission l’a fait valoir, appliquée sans distinction aux OPC résidents et non-résidents. En outre, l’application de la taxe annuelle n’implique pas une charge fiscale finalement plus lourde pour les OPC étrangers en Belgique que celle supportée par les OPC belges.

56.      NN (L) International soutient, cependant, que l’application de la taxe annuelle aux OPC étrangers constitue une discrimination prohibée au motif que les cas des OPC résidents et non-résidents, qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, sont traités de la même manière.

57.      Je ne partage pas cette opinion. Certes, en général, depuis Aristote au moins, l’injustice apparaît non seulement lorsque des situations identiques sont traitées différemment, mais également lorsque des situations objectivement différentes sont traitées de la même manière (34). Le problème est que, concrètement, et dans cette affaire en particulier, je ne suis pas convaincu par les arguments avancés par NN (L) International selon lesquels les situations d’OPC étrangers et belges ne sont pas comparables à l’égard du paiement de la taxe annuelle.

58.      Certes, selon une jurisprudence constante dans le domaine de la fiscalité directe telle que l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune, lorsque des différences objectives entre les contribuables peuvent avoir une influence, les résidents et les non-résidents dans l’État de taxation ont souvent été considérés comme ne se trouvant pas dans une situation comparable à l’égard de l’application de certains avantages et régimes fiscaux (35). Ce raisonnement ne peut cependant pas être étendu afin d’exiger un traitement différencié universel entre les opérateurs résidents et non-résidents, obligeant ainsi les États membres à mettre en place un régime fiscal spécial pour les non-résidents. Par conséquent, afin de vérifier si les situations des contribuables résidents et non-résidents sont comparables, il est nécessaire d’apprécier leurs situations objectives à la lumière de leur position à l’égard du régime fiscal en cause. La législation belge soumet la valeur de l’actif net des parts d’OPC commercialisées sur son territoire au cours de l’année civile précédente au même type de taxe. Les entreprises nationales et étrangères exerçant la même activité économique sont donc soumises aux mêmes conditions.

59.      L’élément sur lequel NN (L) International s’appuie pour faire valoir que les situations des OPC étrangers et belges ne sont pas comparables réside dans le fait que les OPC établis au Luxembourg sont déjà soumis à une taxe d’abonnement dans cet État membre. Cependant, la Cour a systématiquement jugé que les conséquences défavorables qui découlent de l’exercice parallèle par différents États membres de leur compétence fiscale ne constituent pas des restrictions à la liberté de circulation dans la mesure où cet exercice n’est pas discriminatoire (36). En conséquence, les États membres ne sont pas tenus d’adapter leur régime fiscal en fonction de celui des autres États membres afin de supprimer la double imposition (37).

60.      Aux fins de la taxation d’une activité économique sur le territoire de la Belgique, les OPC nationaux et étrangers sont absolument comparables. La seule différence qui existe a trait à un domaine qui a été expressément écarté: l’exercice parallèle de la compétence fiscale des États membres. Partant, selon moi, le régime fiscal litigieux ne peut pas constituer une restriction à la libre circulation des capitaux.

61.      Enfin, réitérant les arguments déjà invoqués au point 43 des présentes conclusions, le recours à l’article 10 du traité CE (remplacé, en substance, par l’article 4, paragraphe 3, TUE) et à l’article 293 du traité CE (abrogé par le traité de Lisbonne) ne saurait aboutir à une conclusion différente.

62.      Je propose, dès lors, à la Cour de répondre aux deuxième et troisième questions en affirmant que l’article 56, paragraphe 1, du traité CE ne fait pas obstacle à la législation fiscale d’un État membre telle que la législation en cause au principal qui soumet les OPC résidents et non-résidents à une taxe annuelle sur la base des montants nets placés sur son territoire.

4.      Sur la sanction spécifique applicable aux seuls OPC étrangers

63.      Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande si les articles 49, 56 et 58 du traité CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession. Cette disposition soumet à une sanction spécifique les OPC constitués dans un autre État membre qui commercialisent leurs parts en Belgique: en cas d’omission d’envoi de leur déclaration dans le délai imparti ou de non-acquittement de la taxe annuelle, ils peuvent se voir interdire par un juge de placer «à l’avenir» des parts en Belgique.

64.      NN (L) International et la Commission soutiennent que la sanction prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession constitue une discrimination fondée sur le lieu d’établissement étant donné qu’aucune sanction similaire n’est applicable à l’égard des OPC belges. La Commission a souligné lors de l’audience qu’elle avait l’intention d’ouvrir une procédure d’infraction à ce sujet. En revanche, le gouvernement belge soutient qu’il existe une sanction équivalente pour les OPC nationaux. Il s’agirait de l’article 133 ter du code des droits de succession qui établit, entre autres, la possibilité d’ordonner la fermeture des établissements d’une entreprise dont le dirigeant, membre ou employé, est condamné pour infraction aux dispositions du code des droits de succession. Le gouvernement belge a confirmé lors de l’audience que les sanctions prévues à l’article 133 ter pouvaient également être infligées aux OPC étrangers. Selon le gouvernement belge, il est cependant très difficile d’exécuter ces sanctions ou d’autres types de sanctions, telles que des sanctions pécuniaires, contre des OPC étrangers. Il aurait été jugé nécessaire d’établir une sanction spécifique pour les OPC étrangers pour cette raison. Le gouvernement belge soutient également que la différence de traitement entre les OPC belges et étrangers est autorisée en vertu de l’article 58 du traité CE et justifiée par la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux et du recouvrement de l’impôt.

65.      La sanction spécifique prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession habilite les juges à interdire à des OPC établis dans d’autres États membres d’exercer leurs activités en Belgique même s’ils peuvent légalement poursuivre les mêmes activités dans leur État membre d’origine. Dans ces conditions, la sanction spécifique infligée par le Royaume de Belgique aux seuls OPC étrangers devrait plutôt être examinée au regard de la libre prestation des services consacrée à l’article 49 du traité CE (38).

66.      Il convient de souligner que la sanction prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession, à savoir la sanction applicable aux OPC étrangers, et les sanctions prévues à l’article 133 ter du code des droits de succession, notamment celles généralement applicables, sont différentes quant à leur nature et à leur sévérité. En premier lieu, les sanctions prévues à l’article 133 ter du code des droits de succession peuvent être infligées uniquement après la condamnation de certaines personnes pour des infractions au code. En revanche, aucune intention (fraude) n’est requise pour le déclenchement de la sanction prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession. La négligence semble suffisante. En deuxième lieu, en ce qui concerne la portée temporelle des sanctions, l’article 133 ter dudit code prévoit que les sanctions que ce dernier contient peuvent uniquement être infligées, après une condamnation définitive, pour une durée de trois mois à cinq ans. Tel n’est cependant pas le cas de la durée de la sanction qui peut être infligée en vertu de l’article 162, deuxième alinéa, du même code, pour laquelle il n’existe aucune limite de temps légale. Un OPC étranger pourrait, dès lors, être soumis à une interdiction de commercialiser ses parts en Belgique pour une durée indéfinie.

67.      En conséquence, il est manifeste que ces deux régimes de sanctions diffèrent considérablement s’agissant du type de comportement qu’ils pénalisent, ainsi que de la sévérité et de la durée des interdictions qu’ils imposent. Dans ces conditions, la sanction prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession implique une différence de traitement fondée uniquement sur le lieu d’établissement. Elle constitue, partant, une discrimination directe contraire à l’article 49 du traité CE.

68.      L’examen des dispositions nationales belges du point de vue de la libre circulation des capitaux, eu égard en particulier aux exceptions prévues à l’article 58 du traité CE invoquées par le gouvernement belge, n’aboutit pas à une conclusion différente.

69.      L’article 58, paragraphe 1, sous a), du traité CE, dispose que l’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale, qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence. Cependant, conformément à l’article 58, paragraphe 3, du traité CE, les mesures nationales visées par cette disposition ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux. Il est vrai que ces mesures peuvent être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général. Elles ne peuvent toutefois aller au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs poursuivis par l’État membre (39).

70.      Selon moi, une sanction qui est potentiellement illimitée dans le temps présente, par sa nature, de sérieuses difficultés à remplir les conditions du principe de proportionnalité, en particulier la condition relative à la nécessité.

71.      Pour ces motifs, je suggère que l’article 49 TCE s’oppose à une sanction telle que celle prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession, qui consiste en l’interdiction potentielle, prononcée par le juge, de la commercialisation, à l’avenir, de parts sur le territoire d’un État membre, qui est applicable aux seuls OPC étrangers.

V –    Conclusion

72.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je recommande à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la cour d’appel de Bruxelles:

La directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux ne fait pas obstacle à la perception d’une taxe sur les organismes de placement collectif (OPC) établis dans un autre État membre, telle que la taxe annuelle sur les OPC en cause au principal.

La directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) doit être interprétée en ce sens qu’elle ne fait pas obstacle à l’imposition d’une taxe telle que la taxe annuelle sur les OPC en cause au principal.

L’article 56, paragraphe 1, du traité CE ne fait pas obstacle à la législation fiscale d’un État membre telle que la législation en cause au principal qui soumet les OPC résidents et non-résidents à une taxe annuelle sur la base des montants nets placés sur son territoire.

L’article 49 du traité CE s’oppose à une sanction telle que celle prévue à l’article 162, deuxième alinéa, du code des droits de succession, qui consiste en l’interdiction potentielle prononcée par le juge de la commercialisation, à l’avenir, de parts sur le territoire d’un État membre qui est applicable aux seuls OPC étrangers.


1 – Langue originale: l’anglais.


2–      Directive du Conseil du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25). Cette directive a été abrogée par la directive 2008/7/CE du Conseil, du 12 février 2008 (JO L 46, p. 11). Aux fins de la présente affaire, la directive 69/335 constitue toutefois le droit applicable ratione temporis.


3–      Directive du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 375, p. 3). Cette directive, après avoir été modifiée à plusieurs reprises, a été remplacée par la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009 (OPCVM) (JO L 302, p. 32), telle que modifiée par la directive 2014/91/UE du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014 (JO L 257, p. 186). À nouveau, aux fins de la présente affaire, la directive 85/611 était applicable au moment des faits.


4–      Moniteur belge du 26 juillet 1993, p. 17350.


5–      Moniteur belge du 31 décembre 2003, p. 62160.


6–      Généralement désignée par le terme SICAV (société d’investissement à capital variable).


7–      Voir, récemment, arrêt Pujante Rivera (C-422/14, EU:C:2015:743, point 20 et jurisprudence citée).


8–      Arrêts Haug-Adrion (251/83, EU:C:1984:397, point 9); Arcaro (C-168/95, EU:C:1996:363, point 21); Teckal (C-107/98, EU:C:1999:562, point 34) et ČEZ (C-115/08, EU:C:2009:660, point 81).


9–      Voir arrêt P et S (C-579/13, EU:C:2015:369). Au point 99 des conclusions qu’il a présentées dans cette affaire, l’avocat général Szpunar a indiqué qu’il ressortait de la décision de renvoi ainsi que des observations des parties à la procédure qu’aucune amende n’avait été infligée aux requérantes (C-579/13, EU:C:2015:39).


10–      Voir, entre autres, et par analogie, arrêts X et Y (C-200/98, EU:C:1999:566, points 21 et 22); Bosman (C-415/93, EU:C:1995:463, point 65) ainsi que Gauweiler e.a. (C-62/14, EU:C:2015:400, points 28 et 29).


11–      Voir, entre autres, arrêt Mulders (C-548/11, EU:C:2013:249, point 28 et jurisprudence citée).


12–      Voir, entre autres, ordonnance Mlamali (C-257/13, EU:C:2013:763, point 24 et jurisprudence citée).


13–      Arrêt Optiver e.a. (C-22/03, EU:C:2005:143, point 27).


14–      Chambre des représentants de Belgique, projet de loi-programme, 2003-2004, 51-0473/001, p. 157.


15–      Arrêt Nonwoven (C-4/97, EU:C:1998:507, point 20).


16–      Voir deuxième, troisième et quatrième considérants de la directive 85/611.


17–      Voir point 4 des conclusions que l’avocat général Jääskinen a présentées dans l’affaire Gruslin (C-88/13, EU:C:2014:79).


18–      Voir, à cet égard, arrêts Deutsche Grammophon Gesellschaft (78/70, EU:C:1971:59, point 5); Riseria Geddo (2/73, EU:C:1973:89, point 4) ainsi qu’ordonnance Levy et Sebbag (C-540/11, EU:C:2012:581, points 26 et 28). Voir, également, arrêt 3M Italia (C-417/10, EU:C:2012:184, points 30 et suiv.).


19–      Voir, entre autres, arrêt Gilly (C-336/96, EU:C:1998:221, point 16) ainsi qu’ordonnance Levy et Sebbag (C-540/11, EU:C:2012:581, point 27).


20–      Voir, notamment, arrêts Test Claimants in the FII Group Litigation (C-35/11, EU:C:2012:707, point 90) et Wagner-Raith (C-560/13, EU:C:2015:347, point 31).


21–      Voir, notamment, arrêts Dijkman et Dijkman-Lavaleije (C-233/09, EU:C:2010:397, point 33), ainsi que Fidium Finanz (C-452/04, EU:C:2006:631, point 34).


22–      Directive du Conseil du 24 juin 1988 pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (abrogée par le traité d’Amsterdam) (JO L 178, p. 5).


23–      Arrêt Wagner-Raith (C-560/13, EU:C:2015:347, point 23 et jurisprudence citée).


24–      Arrêts VBV – Vorsorgekasse (C-39/11, EU:C:2012:327, point 21) et Wagner-Raith (C-560/13, EU:C:2015:347, point 24).


25–      Voir, mutatis mutandi, arrêt Wagner-Raith (C-560/13, EU:C:2015:347, point 25).


26–      J’ajoute que l’analyse du point de vue de la libre prestation des services n’aboutirait pas à une conclusion différente en raison de l’uniformité méthodologique de l’appréciation à laquelle il convient de procéder à l’égard de ces libertés. Voir, à cet égard, arrêt Gebhard (C-55/94, EU:C:1995:411, point 37). Voir, pour un examen conjoint des mesures nationales en vertu des articles 21, 45, 49, 56 et 63 TFUE, arrêt Libert e.a. (C-197/11 et C-203/11, EU:C:2013:288, points 37 et suiv.). Voir, également, concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux, arrêts Columbus Container Services (C-298/05, EU:C:2007:754, point 56); Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C-374/04, EU:C:2006:773, point 93) et Test Claimants in the FII Group Litigation (C-446/04, EU:C:2006:774, point 60).


27–      La Commission réserve sa position concernant le taux applicable à certains OPC en vertu de l’article 161 ter, cinquième alinéa, du code des droits de succession, à l’égard duquel elle a annoncé son intention d’ouvrir une procédure d’infraction (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-1144_en.htm). Cette disposition n’est toutefois pas, en tant que telle, visée par la juridiction nationale et ne fait donc pas l’objet du litige au principal.


28–      Voir, notamment, Adema, R., UCITS and Taxation. Towards Harmonization of the Taxation of UCITS, Kluwer Law International, Deventer, 2009.


29–      Voir, notamment, arrêt Commission/Hongrie (C-253/09, EU:C:2011:795, point 42 et jurisprudence citée).


30–      Arrêt van Caster (C-326/12, EU:C:2014:2269, point 25 et jurisprudence citée).


31–      Voir, pour une jurisprudence récente, notamment, arrêts Grünewald (C-559/13, EU:C:2015:109, points 20 et 21); Bouanich (C-375/12, EU:C:2014:138, points 55 et 56); DMC (C-164/12, EU:C:2014:20, points 40 et 43) ainsi que van Caster (C-326/12, EU:C:2014:2269, points 36 et 37).


32–      Voir, notamment, arrêt Viacom Outdoor (C-134/03, EU:C:2005:94, point 37).


33–      Voir, notamment, arrêts X (C-686/13, EU:C:2015:375, points 32 et suiv.); Columbus Container Services (C-298/05, EU:C:2007:754, points 39 et 40) ainsi que Kerckhaert et Morres (C-513/04, EU:C:2006:713, points 17 et suiv.).


34–      Aristotle’s Nicomachean Ethics. A New Translation, traduction de Bartlett, R. C., et Collins, S. D., Book V.3. 1131a20, Chicago, University of Chicago Press, 2011.


35–      Comme cela a été souligné récemment par l’avocat général Wathelet au point 33 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Timac Agro Deutschland (C-388/14, EU:C:2015:533), les cas dans lesquels la Cour a jugé que la non-comparabilité objective des situations respectives des résidents et des non-résidents exonérait la différence de traitement fiscal de toute contrariété avec les libertés de circulation sont finalement très rares. Voir, notamment, arrêts Schumacker (C-279/93, EU:C:1995:31, point 31); D. (C-376/03, EU:C:2005:424, points 31 et suiv.) ainsi que Truck Center (C-282/07, EU:C:2008:762, points 41 et suiv.). Tel n’est toutefois pas le cas en ce qui concerne d’autres systèmes fiscaux qui ne tiennent pas compte des différences objectives entre les contribuables. Voir, à cet égard, arrêts Commission/Belgique (C-250/08, EU:C:2011:793, points 57 et 58) ainsi que Commission/Hongrie (C-253/09, EU:C:2011:795, points 56 et 57).


36–      Voir, à cet égard, notamment, arrêts Kerckhaert et Morres (C-513/04, EU:C:2006:713, point 20); Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C-157/10, EU:C:2011:813, point 38) et Damseaux (C-128/08, EU:C:2009:471, point 27).


37–      Voir, notamment, arrêts Block (C-67/08, EU:C:2009:92, point 31); X (C-302/12, EU:C:2013:756, point 29) ainsi que Damseaux (C-128/08, EU:C:2009:471, points 33 et suiv.).


38–      Voir, notamment, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional (C-42/07, EU:C:2009:519, points 48, 51 et 52).


39–      Voir arrêt Commission/Belgique (C-478/98, EU:C:2000:497, point 41).