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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 5 juillet 2017 ( 1 )

Affaires jointes C-374/16 et C-375/16

Rochus Geissel, en qualité de mandataire liquidateur de RGEX GmbH

contre

Finanzamt Neuss (C-374/16)

et

Finanzamt Bergisch Gladbach

contre

Igor Butin (C-375/16)

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Article 178, sous a) – Droit à déduction – Conditions d’exercice – Article 226, point 5 – Mentions requises sur les factures – Adresse de l’assujetti – Bonne foi quant au respect des conditions applicables à la déduction de la taxe payée en amont – Fraude à la loi ou abus de droit – Procédures nationales – Principe d’effectivité »

I. Introduction

1.

Les présentes affaires soulèvent deux questions relatives à l’interprétation des règles en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

2.

La première question porte sur le point de savoir comment doit être interprétée l’exigence établie à l’article 226, point 5, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ) (ci-après la « directive TVA ») de faire figurer l’adresse de l’assujetti sur une facture. Deux chambres différentes de la juridiction de renvoi, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), demandent si la notion d’« adresse » doit être entendue comme le lieu où l’assujetti exerce son activité économique ou s’il suffit que ce dernier puisse simplement être joint à cette adresse.

3.

La deuxième question soulevée porte sur le point de savoir si, et en vertu de quelles procédures, un assujetti peut invoquer sa bonne foi quant à la régularité formelle des factures, lorsque l’administration estime que l’auteur de ces factures est impliqué dans une fraude ou un abus, aux fins de déduire la TVA en amont.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4.

L’article 168 de la directive TVA dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[…] »

5.

L’article 178 de la directive TVA, applicable à l’époque des faits de l’affaire au principal C-375/16, dispose ( 3 ):

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ;

[…] »

6.

L’article 226 de la directive TVA dispose :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[…]

5)

le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur ;

[…] »

B. Le droit allemand

7.

L’article 14 de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG ») prévoit :

« 1)

Une facture consiste en tout document par lequel est facturée une livraison ou une autre prestation, indépendamment de la dénomination que revêt ce document dans le commerce. L’authenticité de l’origine de la facture, l’intégrité de son contenu et sa lisibilité doivent être garanties. L’authenticité de l’origine signifie que l’identité de celui qui émet la facture est certaine […]

[…]

4)

Une facture doit comprendre les indications suivantes :

1.

le nom complet et l’adresse complète de l’entrepreneur prestataire et du destinataire des prestations […] »

8.

Selon l’article 15 de l’UStG :

« 1)

L’entrepreneur peut déduire les montants suivants :

1.

la taxe légalement due au titre des livraisons et autres prestations effectuées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise. L’exercice du droit à déduction présuppose que l’entrepreneur détienne une facture établie conformément aux articles 14 et 14a […] »

9.

L’article 163 de l’Abgabenordnung (code des impôts, ci-après l’« AO ») dispose :

« L’impôt peut être fixé à un montant inférieur ou ne pas tenir compte d’éléments de la base d’imposition qui le majoreraient, lorsqu’il apparaît que sa perception serait inéquitable dans le cas particulier […] »

10.

L’article 227 de l’AO se lit comme suit :

« Les autorités fiscales peuvent accorder une exonération totale ou partielle des droits résultant d’une dette fiscale, s’il est inéquitable dans une situation donnée de la percevoir ; dans les mêmes conditions, les montants acquittés peuvent être remboursés ou déduits. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

A. Affaire C-374/16

11.

RGEX GmbH est une société à responsabilité limitée qui avait pour activité le commerce de véhicules automobiles. Cette société, constituée en décembre 2007, est en liquidation depuis 2015. M. Rochus Geissel, qui en était l’associé unique et le gérant, représente désormais la société en tant que liquidateur.

12.

Dans sa déclaration de TVA pour l’année 2008, RGEX a fait état, notamment, de livraisons intracommunautaires de véhicules exonérées de taxe et de taxes acquittées en amont d’un montant de 1985443,42 euros concernant 122 voitures acquises auprès d’EXTEL GmbH.

13.

Le Finanzamt (administration fiscale, Allemagne) compétent n’a pas suivi les indications de RGEX et, par décision du 31 août 2010, a fixé le montant de la TVA due pour l’année 2008 sur la base des constatations effectuées lors de deux contrôles spécifiques afférents à la TVA. Il a estimé que les livraisons de voitures vers l’Espagne, déclarées comme exonérées, étaient soumises à la taxe parce que les véhicules concernés avaient été non pas acheminés en Espagne, mais mis sur le marché en Allemagne. Il a également considéré que les taxes acquittées en amont au titre des factures d’EXTEL n’étaient pas déductibles parce que cette dernière était une « société-écran » qui n’avait pas de siège à l’adresse indiquée sur ses factures.

14.

RGEX s’est opposée en vain à cette décision. Par la suite, elle l’a contestée devant le Finanzgericht (tribunal des finances, Allemagne) compétent.

15.

Le Finanzgericht (tribunal des finances) a rejeté dans une large mesure le recours comme non fondé. Il a constaté que, si le siège statutaire d’EXTEL se trouvait bien à l’adresse indiquée sur ses factures, il s’agissait toutefois d’une simple « boîte aux lettres ». EXTEL n’était joignable à l’adresse en cause que par voie postale. Alors qu’un bureau comptable était situé à cette adresse, EXTEL n’y exerçait aucune activité commerciale. Le Finanzgericht (tribunal des finances) a également écarté les arguments de RGEX fondés sur une prétendue confiance légitime. Selon le Finanzgericht (tribunal des finances), l’article 15 de l’UStG ne prévoit pas la protection de la bonne foi quant au respect des conditions applicables à la déduction de la taxe. C’est la raison pour laquelle la protection de la confiance légitime n’est pas prise en compte lors de l’établissement de la taxe, mais uniquement, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure spécifique en équité, au sens des articles 163 et 227 de l’AO.

16.

RGEX a formé un pourvoi en révision contre le jugement du Finanzgericht (tribunal des finances) devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances). Entretenant des doutes quant à la bonne interprétation du droit de l’Union, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La facture exigée aux fins de l’exercice du droit à déduction en vertu des dispositions combinées de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive [TVA] mentionne-t-elle l’“adresse” au sens de l’article 226, point 5, de ladite directive lorsque l’entrepreneur prestataire indique, sur la facture émise pour ses prestations, une adresse où il peut être joint par courrier postal, mais où il n’exerce aucune activité économique ?

2)

Les dispositions combinées de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive [TVA] s’opposent-elles, eu égard au principe d’effectivité, à une pratique nationale en vertu de laquelle la bonne foi du bénéficiaire des prestations quant au respect des conditions applicables à la déduction de la taxe payée en amont n’est prise en considération qu’en dehors de la procédure de fixation de la taxe, dans le cadre d’une procédure distincte introduite pour des motifs d’équité ? Les dispositions combinées de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de ladite directive peuvent-elles être invoquées à cet égard ? »

B. Affaire C-375/16

17.

M. Igor Butin, qui exploite un commerce de véhicules en Allemagne, a fourni, pour déduire la TVA en amont, des factures concernant un certain nombre de véhicules achetés auprès de l’entreprise « Z » et destinés à être revendus. Étant donné que Z ne pratiquait que la vente en ligne, les véhicules étaient remis à M. Butin ou à ses employés pour partie dans la rue où Z avait son siège social – même si Z n’exploitait pas un commerce à cette adresse – et pour partie dans des lieux publics, tels qu’une gare ferroviaire.

18.

Dans le cadre d’un contrôle fiscal effectué auprès de M. Butin, l’inspecteur est parvenu à la conclusion que les montants de la taxe en amont versés au titre des factures de Z ne pouvaient pas être déduits car l’adresse du fournisseur mentionnée par Z sur ces factures était inexacte. Rien n’aurait indiqué la présence d’une entreprise à cette adresse : elle ne servait que d’adresse correspondant à une « boîte aux lettres », à laquelle Z récupérait le courrier. L’inspecteur a affirmé que Z n’avait pas d’établissement stable en Allemagne.

19.

L’administration fiscale compétente a également suivi ce point de vue et, le 13 septembre 2013, elle a adressé un avis d’imposition modifié de TVA pour la période de 2009 à 2011. Par ordonnance du 1er octobre 2013, elle a rejeté la demande de M. Butin visant à obtenir une modification du calcul de la taxe pour des raisons d’équité sur le fondement de l’article 163 de l’AO.

20.

Le Finanzgericht (tribunal des finances), devant lequel M. Butin a contesté cette décision de l’administration fiscale, a fait droit au recours. Il a considéré que la mention de l’adresse au sens de l’article 14, paragraphe 4, première phrase, point 1, de l’UStG ne requiert pas que des activités commerciales y aient lieu. Il a estimé que la jurisprudence contraire du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) était dépassée au vu du progrès technique et de l’évolution des pratiques commerciales. En outre, le Finanzgericht (tribunal des finances) a considéré qu’il convenait de faire droit au recours en ce qui concerne la demande subsidiaire de modification du calcul de la taxe pour des raisons d’équité. Selon lui, M. Butin aurait fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui pour vérifier la qualité d’entrepreneur de Z et l’authenticité des indications figurant sur les factures.

21.

L’administration fiscale a formé un pourvoi en révision contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances). Entretenant des doutes quant à la bonne interprétation du droit de l’Union, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 226, point 5, de la directive [TVA] requiert-il la mention d’une adresse de l’assujetti à laquelle ce dernier exerce ses activités économiques ?

2)

En cas de réponse négative à la première question :

a)

la mention d’une adresse correspondant à une simple boîte aux lettres suffit-elle à remplir les exigences de l’article 226, point 5, de la directive [TVA] ;

b)

quelle adresse un assujetti qui exploite une entreprise (dans le commerce électronique, par exemple) ne disposant pas de local commercial doit-il mentionner sur la facture ?

3)

Dans l’hypothèse où les exigences de forme applicables à la facture en vertu de l’article 226 de la directive [TVA] ne sont pas remplies, la déduction de la taxe payée en amont doit-elle toujours être accordée lorsqu’il n’y a pas de fraude fiscale ou lorsque l’assujetti ne savait pas et ne pouvait pas savoir qu’il était impliqué dans une fraude, ou la protection de la confiance légitime requiert-elle dans ce cas que l’assujetti ait fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui pour vérifier l’authenticité des indications figurant sur la facture ? »

C. La procédure devant la Cour

22.

Par ordonnance du président de la Cour du 22 juillet 2016, les affaires C-374/16 et C-375/16 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt.

23.

Des observations écrites ont été déposées par M. Butin, par les gouvernements allemand et autrichien ainsi que par la Commission européenne.

IV. Analyse

A. Observations liminaires

24.

À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA ( 4 ). Ce principe constitue la traduction, en matière de TVA, du principe d’égalité de traitement ( 5 ).

25.

L’article 168, sous a), de la directive TVA énumère les conditions matérielles du droit à déduction. Pour que les opérateurs puissent se prévaloir de ce droit, trois conditions doivent être réunies. Premièrement, il faut que l’intéressé soit un assujetti au sens de cette directive. Deuxièmement, il faut que les biens ou les services invoqués pour fonder ledit droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées. Troisièmement, il faut que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti ( 6 ).

26.

Quant aux conditions formelles du droit à déduction, l’article 178, sous a), de la directive TVA dispose que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux sections 3 à 6 du chapitre 3 du titre XI de cette directive ( 7 ). Parmi ces dispositions, l’article 226 de la directive TVA est particulièrement pertinent aux fins des présentes affaires : il fournit une liste de mentions devant figurer sur les factures. La cinquième mention de la liste est « le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur ».

27.

Les conditions matérielles de la déduction de la taxe en amont ne sont pas en cause dans la présente procédure. Les questions préjudicielles ne portent que sur le respect des conditions formelles relatives au droit à déduction, à deux points de vue. Premièrement, la juridiction de renvoi souhaite obtenir une interprétation de la notion d’« adresse » au sens de l’article 226 de la directive TVA. Deuxièmement, dans l’hypothèse où la Cour devrait interpréter cette notion comme étant l’adresse où le fournisseur des biens ou des services exerce son activité économique, la juridiction de renvoi souhaite savoir dans quelles circonstances l’assujetti peut néanmoins invoquer sa bonne foi quant au respect des conditions établies par l’article 226, point 5, de la directive TVA.

B. Sur la première question dans l’affaire C-374/16 et les deux premières questions dans l’affaire C-375/16

28.

Par sa première question dans l’affaire C-374/16 ainsi que par les première et deuxième questions dans l’affaire C-375/16, que j’examinerai conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 226, point 5, de la directive TVA s’oppose à une législation nation ale qui subordonne le droit à déduction de la TVA au fait que l’adresse du lieu où l’émetteur exerce son activité économique figure sur la facture.

29.

En effet, selon l’ordonnance de renvoi, l’UStG – tel qu’il est habituellement interprété par les juridictions nationales – exige que l’« adresse » figurant sur la facture soit celle du lieu où l’émetteur exerce son activité économique. En vertu de cette jurisprudence, les factures des deux entreprises dans les affaires au principal ont été considérées comme établies en méconnaissance de l’UStG parce que l’émetteur a uniquement fait figurer une adresse correspondant à une simple boîte aux lettres. Partant, les clients de l’émetteur, tels que les parties requérantes au principal, ne pouvaient pas se fier aux factures émises par ce dernier pour déduire la TVA en amont.

30.

Pour les raisons que je vais expliquer ci-dessous, j’estime que l’article 226, point 5, de la directive TVA s’oppose à une législation nationale qui subordonne le droit de déduire la TVA en amont à la mention sur la facture de l’adresse du lieu où l’émetteur exerce son activité économique.

1.  Quelques principes pertinents

31.

En premier lieu, certains principes importants – qui découlent d’une jurisprudence constante – établissent le contexte dans lequel la notion d’« adresse » doit être appréciée.

32.

La Cour a itérativement jugé que le droit à déduction de la TVA est un élément clef du mécanisme de la TVA établi par la directive TVA et ne peut, en principe, être limité ( 8 ). La déduction de la TVA en amont doit être accordée si les conditions de fond sont satisfaites, même si certaines conditions formelles n’ont pas été respectées par les assujettis. Plus précisément, la Cour a estimé que la détention d’une facture comportant les mentions prévues à l’article 226 de la directive TVA constitue une condition formelle et non pas une condition de fond du droit à déduction de la TVA ( 9 ).

33.

En outre, l’article 226 de la directive TVA précise que, sans préjudice des dispositions particulières de cette directive, seules les mentions citées à cet article doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des articles 220 et 221 de ladite directive. Selon une jurisprudence constante, il n’est dès lors pas loisible aux États membres de lier l’exercice du droit à déduction de la TVA au respect de conditions relatives au contenu des factures, qui ne sont pas expressément prévues par les dispositions de la directive TVA ( 10 ).

34.

Dans les affaires précitées, la Cour a, de manière constante, adopté une approche réaliste et pragmatique en ce qui concerne l’interprétation des règles en matière de TVA, au lieu de suivre une approche plus formaliste. Cette approche semble à l’opposé des mesures nationales qui non seulement interprètent la condition de l’« adresse » sur les factures d’une manière particulièrement stricte et formaliste, mais aussi impliquent des conséquences pouvant être considérables si une telle condition n’est pas remplie.

2.  Interprétation littérale de l’article 226, point 5, de la directive TVA

35.

En second lieu, comme la Commission l’a souligné, aucune disposition dans le texte de la directive TVA ne plaide en faveur d’une interprétation aussi stricte de cette condition.

36.

Le sens habituel de cette notion ( 11 ) recouvre tout type d’adresse, y compris une « simple boîte aux lettres », pour autant que la personne puisse effectivement être contactée à cette adresse.

37.

Les termes généraux utilisés à l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA pour définir un assujetti ( 12 ) militent également en faveur de ce point de vue.

3.  L’interprétation téléologique de l’article 226, point 5, de la directive TVA

38.

En troisième lieu, et de manière plus importante, une interprétation stricte de la notion d’« adresse » ne se justifie pas compte tenu de la fonction de la facture dans le système TVA.

39.

Ainsi que la Cour l’a souligné, la facture représente l’opération économique, ce qui permet à l’administration fiscale compétente de contrôler, premièrement, le paiement de la taxe et la déclaration du montant de la taxe due par l’émetteur de la facture et, deuxièmement, l’existence du droit à déduction de la TVA ( 13 ). De ce dernier point de vue, la facture constitue, en tant que telle, le moyen essentiel de prouver son droit à déduire la TVA en amont.

40.

L’obligation prévue à l’article 226, point 5, de la directive TVA de faire figurer sur la facture l’adresse de l’émetteur doit être interprétée à la lumière de cette double fonction de la facture. La mention de l’adresse de l’émetteur de la facture a pour objectif – en combinaison avec son nom et son numéro d’identification TVA – d’établir un lien entre une opération économique donnée et un opérateur économique spécifique, l’émetteur de la facture ( 14 ). En d’autres termes, elle permet d’identifier l’émetteur de la facture.

41.

Cette identification est essentielle pour permettre à l’administration fiscale de vérifier si le montant de TVA a été déclaré et payé ( 15 ). Dans l’autre sens, l’identification permet également à un assujetti de vérifier si l’émetteur est un assujetti aux fins de l’application des règles en matière de TVA.

42.

Dans ce contexte, je ne saurais partager le point de vue des gouvernements allemand et autrichien selon lequel l’existence d’activités économiques réelles ou la présence tangible de l’exploitation de l’entrepreneur à l’adresse indiquée sur la facture est nécessaire pour permettre d’identifier correctement l’émetteur d’une facture et de le contacter. En effet, conformément à l’article 226 de la directive TVA, la facture doit également comporter un certain nombre d’éléments dans ce but. Parmi eux, le numéro d’identification TVA du fournisseur des biens ou des services est d’une importance particulière. Ce numéro peut être aisément vérifié par l’administration. En outre, la validité de ce numéro peut également être vérifiée, même en ligne, par tout un chacun.

43.

Il convient de ne pas oublier que, pour obtenir un numéro d’identification TVA, les entreprises doivent suivre une procédure d’enregistrement au cours de laquelle elles doivent soumettre un formulaire d’enregistrement TVA local, accompagné de documents justificatifs. Les États membres sont tenus de conserver certaines données en vertu des règles applicables en matière de TVA ( 16 ). Ainsi, les États membres sont tenus de collecter toutes sortes d’informations concernant l’ensemble des opérateurs économiques auxquels un numéro d’identification TVA a été attribué ( 17 ). Il est clair qu’ils n’ont pas à regarder – uniquement ou spécialement – l’adresse figurant sur une facture pour identifier l’émetteur et déterminer où, quand et comment il peut être contacté.

4.  Interprétation en application des conditions actuelles

44.

En quatrième lieu, l’exigence relative à l’exercice d’une activité économique (ou, alternativement, au fait d’avoir des locaux) à l’adresse figurant sur la facture n’est pas – comme l’a souligné la juridiction de renvoi – convaincante à la lumière des différents modes actuels d’organisation des entreprises et des activités économiques. Cela est particulièrement vrai à la lumière des récents développements de l’économie, notamment en raison du commerce électronique, des bureaux partagés et du télétravail.

45.

Compte tenu de cette évolution, il est parfois difficile de localiser une activité en un lieu physique particulier. Ainsi que M. Butin le souligne dans ses observations écrites, il est possible de nos jours d’exploiter une activité d’achat et de revente de biens sur une plateforme Internet avec seulement un ordinateur et une connexion Internet virtuellement à partir de n’importe quel endroit dans le monde.

46.

Par conséquent, la condition relative à l’exercice d’une activité économique à l’adresse figurant sur la facture (ou au fait d’y avoir des locaux) pourrait être problématique à l’égard de ces entreprises qui n’effectuent pas tout ou partie de leurs activités à partir d’un lieu spécifique.

47.

Il ne saurait être soutenu que cette « déconnexion » entre les locaux professionnels et un lieu donné est un phénomène nouveau que le législateur de l’Union européenne n’a pas pris en compte dans la directive TVA telle qu’elle est actuellement en vigueur. La directive TVA a fait l’objet d’une refonte en 2006, lorsque le processus de numérisation avait d’ores et déjà profondément marqué l’économie de l’Union. En effet, un certain nombre de dispositions de cette directive traitent de sujets tels que, par exemple, les communications électroniques et les services offerts par voie électronique ( 18 ).

5.  Interprétation à la lumière de la jurisprudence de la Cour

48.

En cinquième lieu, ainsi que la juridiction de renvoi le fait observer elle-même, l’interprétation « traditionnelle » de l’UStG semble difficilement conciliable avec la jurisprudence récente de la Cour et, notamment, avec l’arrêt PPUH Stehcemp ( 19 ).

49.

Dans cette affaire, la Cour a estimé que le requérant pouvait déduire la TVA en se fondant sur des factures établies par ce qui a été considéré par la juridiction nationale comme étant un opérateur inexistant. Lorsqu’elle a apprécié les faits de l’affaire, la juridiction nationale a constaté « l’état délabré » de l’immeuble désigné, dans le registre des sociétés, comme étant le siège social de la société de l’opérateur. Toutefois, la Cour a estimé que le fait qu’aucune activité économique ne pouvait être exercée au siège de la société « n’exclut pas que cette activité pourrait avoir lieu en d’autres lieux que le siège social ». La Cour a ajouté que « [n]otamment, lorsque l’activité économique en cause consiste en des livraisons des biens réalisées dans le cadre de plusieurs ventes successives, le premier acquéreur et revendeur de ces biens peut se limiter à donner ordre au premier vendeur de transporter les biens en cause directement au second acquéreur […] sans disposer nécessairement lui-même des moyens de stockage et de transport indispensables pour la réalisation de la livraison des biens en cause» ( 20 ).

50.

Cet arrêt permet de soutenir que, aux fins du droit à la déduction de la TVA par le destinataire des biens ou services, il n’est pas exigé que les activités économiques soient exercées à l’adresse figurant sur la facture. Il suffit ainsi que le fournisseur puisse être contacté rapidement et effectivement à cette adresse.

51.

Contrairement aux observations des gouvernements allemand et autrichien, cette position n’est pas remise en question par l’arrêt de la Cour dans l’affaire Planzer Luxembourg ( 21 ).

52.

Cette affaire portait sur un aspect juridique différent de celui en cause dans les affaires au principal. Dans l’arrêt Planzer Luxembourg, la Cour a été invitée à se prononcer sur la question de savoir si une entreprise était véritablement établie dans l’Union européenne. À cette fin, la Cour a notamment interprété les termes « siège de l’activité économique » et « établissement stable » aux fins de la treizième directive TVA ( 22 ). Les critères mentionnés par la Cour dans cette affaire – à laquelle les gouvernements allemand et autrichien font référence – sont dès lors pertinents pour apprécier le véritable établissement d’une entreprise dans l’Union européenne, mais ils ne fournissent aucun élément d’interprétation utile pour déterminer l’adresse qui doit figurer sur les factures.

53.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la première question dans l’affaire C-374/16 ainsi qu’aux deux premières questions dans l’affaire C-375/16 en ce sens que l’article 226, point 5, de la directive TVA s’oppose à une législation nationale qui subordonne le droit à déduction de la TVA à la mention sur la facture de l’adresse du lieu où l’émetteur exerce son activité économique.

C. La deuxième question dans l’affaire C-374/16 et la troisième question dans l’affaire C-375/16

54.

La deuxième question dans l’affaire C-374/16 et la troisième question dans l’affaire C-375/16 portent sur les conséquences qui peuvent résulter de la bonne foi que peut avoir un assujetti dans l’exactitude des factures émises par un autre assujetti. En substance, la juridiction de renvoi demande à la Cour si et, le cas échéant, comment un assujetti peut être en mesure d’invoquer sa bonne foi lorsque l’adresse mentionnée sur la facture est incomplète ou erronée.

55.

Dès lors que ces questions se fondent sur la prémisse selon laquelle un assujetti doit exercer une activité économique à l’adresse figurant sur la facture, il n’y a pas lieu d’y répondre à la lumière de la réponse proposée à la première question dans l’affaire C-374/16 ainsi qu’aux deux premières questions dans l’affaire C-375/16.

56.

Néanmoins, j’aborderai les aspects soulevés par ces questions dans le cas où la réponse de la Cour aux questions qui précèdent s’écarterait du point de vue que j’ai exprimé ci-dessus. Je me concentrerai, en particulier, sur le point de savoir si et, le cas échéant, comment un assujetti pourrait invoquer sa bonne foi dans le fait que l’adresse figurant sur une facture est correcte, lorsque l’administration constate que ce dernier a pu être impliqué dans une fraude ou dans des irrégularités.

1.  Bonne foi en ce qui concerne la régularité de la facture

57.

Le problème de la fraude et des irrégularités semble pertinent dans les présentes affaires puisque les deux ordonnances de renvoi ont soulevé des questions concernant le caractère frauduleux des factures établies par l’émetteur ou des opérations liées à ces factures.

58.

À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt PPUH Stehcemp, la Cour a récemment estimé qu’un assujetti perdait son droit à déduction lorsqu’il savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA. En revanche, lorsque les conditions matérielles et formelles relatives à la naissance et à l’exercice du droit à déduction sont réunies, il n’est pas compatible avec la directive TVA « de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne de livraison, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA» ( 23 ). Il s’agit là de l’expression, en droit de l’Union, du principe auquel la juridiction de renvoi se réfère et qui est celui de la « bonne foi » ou de la « confiance légitime ».

59.

Par conséquent, un assujetti peut se voir refuser le droit à déduction s’il est prouvé qu’il a agi de manière inconsidérée, sans faire preuve de la diligence qui peut être attendue d’un entrepreneur raisonnablement avisé ( 24 ). Il est manifeste que la détermination des mesures pouvant, dans un cas d’espèce, raisonnablement être exigées d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA pour s’assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude commise par un opérateur en amont dépend essentiellement des circonstances dudit cas d’espèce ( 25 ). Toutefois, il n’est pas raisonnable d’obliger un assujetti d’effectuer des vérifications approfondies ou chronophages quant à la précision et à l’exactitude des données formelles qui figurent sur chaque facture émise par ses fournisseurs. Ce ne serait ni pratiquement ni économiquement faisable.

60.

En outre, la Cour a déjà estimé qu’« il incombe, en principe, aux autorités fiscales d’effectuer les contrôles nécessaires auprès des assujettis afin de détecter des irrégularités et des fraudes à la TVA ainsi que d’infliger des sanctions à l’assujetti ayant commis ces irrégularités ou ces fraudes» ( 26 ).

61.

À l’évidence, lorsqu’un assujetti trouve des indices concrets qui semblent révéler l’existence d’une fraude ou d’irrégularités, on pourrait s’attendre à ce qu’il prenne des renseignements supplémentaires sur son fournisseur afin de s’assurer de la fiabilité de celui-ci ( 27 ). Toutefois, en ce cas également, l’administration ne saurait imposer à l’assujetti, compte tenu du risque que le droit à déduction puisse être refusé, d’entreprendre des vérifications complexes et approfondies, en transférant de fait sur lui les actes de contrôle incombant à l’administration ( 28 ). Il est inimaginable par exemple qu’un assujetti soit dans l’obligation de vérifier que l’adresse d’un fournisseur sur une facture est le lieu où ce dernier exerce effectivement ses activités économiques ou possède ses locaux professionnels ou que le fournisseur est légalement ou réellement établi à cette adresse.

62.

Ainsi, le droit à déduction peut être refusé si l’assujetti n’était pas de bonne foi en ce qui concerne l’existence d’une fraude ou d’un abus en la matière (parce qu’il en était informé ou qu’il aurait dû en être informé). Toutefois, il importe de souligner que cela est vrai indépendamment du fait que les factures relatives à ces opérations respectent ou non les conditions formelles.

63.

En d’autres termes, si dans certaines circonstances il existe un devoir de diligence plus complexe, qui exigerait d’un assujetti d’être plus prudent dans ses rapports commerciaux avec un fournisseur, ce devoir ne peut résulter que du fait que l’assujetti était ou aurait dû être informé des éventuelles fraudes ou irrégularités commises par ce dernier. Ce devoir ne peut, à l’inverse, se justifier par le simple fait que l’adresse figurant sur la facture soit incomplète ou erronée ou qu’elle ne soit pas la véritable adresse. Premièrement, à moins d’une erreur manifeste, il est difficile de vérifier l’exactitude d’une adresse. Deuxièmement, une erreur peut également consister en une simple omission, qu’un assujetti pourra difficilement relever.

64.

Dès lors, la jurisprudence de la Cour ne permet pas d’aboutir à une interprétation des règles en matière de TVA telle que celle proposée par la juridiction de renvoi selon laquelle, si les conditions formelles de la déduction ne sont pas remplies, la déduction ne pourrait être accordée que si l’assujetti a pris toutes les mesures qu’il devait raisonnablement prendre pour s’assurer lui-même que le contenu de la facture était correct. Cette interprétation entraînerait, de fait, une restriction significative du droit à déduction, qui n’est pas corroborée par les règles en matière de TVA.

65.

Cette interprétation aurait également pour effet de déplacer indûment la charge de la preuve sur le destinataire des factures concernant une éventuelle implication dans une fraude ou une éventuelle connaissance de celle-ci. Pour poursuivre ce que j’ai énoncé au point 60 ci-dessus, la Cour a considéré qu’« [i]l incombe à l’administration fiscale, ayant constaté des fraudes ou des irrégularités commises par l’émetteur de la facture, d’établir, au vu d’éléments objectifs et sans exiger du destinataire de la facture des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude à la TVA […]» ( 29 ). Dans ce contexte, il convient de souligner qu’il peut ne pas toujours être aisé pour un assujetti de prouver à suffisance de droit qu’il a effectué, selon les termes de la juridiction de renvoi dans l’affaire C-375/16, « tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui pour vérifier l’authenticité des indications figurant sur la facture ».

66.

À la différence de ce que suggère la juridiction de renvoi, cela ne signifie pas que les conditions formelles prévues à l’article 226 de la directive TVA deviennent sans objet. Ainsi que la Commission le souligne à juste titre, même si le respect de toutes ces conditions n’est pas essentiel pour qu’un assujetti se voie accorder le droit à déduction, les États membres peuvent toujours obliger les assujettis à agir pour compléter et/ou rectifier les factures et prévoir des sanctions en cas de non-respect des conditions formelles, à condition que ces mesures n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude, et à condition que ces mesures ne remettent en cause la neutralité de la TVA ( 30 ).

2.  Protection judiciaire effective du droit à déduction

67.

Dans l’affaire C-374/16, la juridiction de renvoi a également soulevé la question de savoir si le fait que le requérant puisse se prévaloir du droit à déduction seulement dans une procédure distincte en équité est conforme à l’article 168, sous a), lu en combinaison avec l’article 178, sous a), de la directive TVA, eu égard au principe d’effectivité. La juridiction de renvoi explique qu’en vertu des règles nationales, le requérant ne peut pas invoquer l’argument de la bonne foi ou de la confiance légitime dans le cadre de la procédure ordinaire de fixation de la taxe mais doit former un recours séparé.

68.

Dès lors que la mention d’une adresse correspondant à une simple boîte aux lettres est conforme à l’article 226, point 5, de la directive TVA, cette question n’est d’aucune pertinence dans les procédures au principal. En effet, si je comprends bien, les parties requérantes dans les affaires au principal devraient pouvoir faire valoir des déductions dans le cadre de procédures fiscales ordinaires, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la procédure spéciale en équité.

69.

En tout état de cause, j’aborderai néanmoins cet aspect, dans le cas où certaines des factures en cause dans les procédures au principal ne seraient pas conformes aux conditions formelles exposées à l’article 226 de la directive TVA pour d’autres raisons.

70.

Conformément au principe de l’autonomie procédurale, en l’absence de réglementation en droit de l’Union, il appartient aux États membres d’établir les procédures internes pour prévenir la fraude à la TVA. À cet égard, il appartient au système juridique interne de chaque État membre de désigner les autorités compétentes pour lutter contre la fraude à la TVA et de prévoir les modalités de procédure destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Toutefois, ces règles ne doivent pas être moins favorables que celles régissant les recours nationaux similaires (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 31 ).

71.

S’agissant du principe d’effectivité, la Cour a estimé que la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales ( 32 ). À cette fin, il y a lieu de prendre en considération les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure. Il appartient, en principe, à la juridiction de renvoi d’apprécier la compatibilité des mesures nationales avec ces principes eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire ( 33 ).

72.

Dans la présente affaire, la Cour ne dispose pas d’informations suffisamment détaillées sur la procédure spéciale en équité (et sur les différences entre cette procédure et la procédure ordinaire de fixation de la taxe) pour être en mesure de trancher la question de savoir si les règles de procédure nationale, telles que celles en cause dans les affaires au principal, sont conformes aux dispositions de la directive TVA. Ainsi, conformément à la jurisprudence mentionnée ci-dessus, il appartient à la juridiction nationale de décider, à la lumière des principes identifiés dans la jurisprudence de la Cour, si le droit d’un assujetti d’invoquer sa bonne foi quant à la régularité formelle des factures est effectivement protégé dans une procédure telle que la procédure spéciale en équité prévue par les articles 163 et 227 de l’AO.

73.

Dans son analyse, la juridiction de renvoi devrait, à mon sens, examiner en particulier la question de savoir si la durée, la complexité et les coûts associés à cette procédure spéciale donnent lieu à des difficultés disproportionnées pour l’assujetti. Ces difficultés sont, sans doute, plus importantes lorsque, pour des recours qui concernent en substance les mêmes problèmes juridiques et/ou des opérations similaires, l’assujetti est dans l’obligation d’engager parallèlement deux ou plusieurs procédures judiciaires ( 34 ).

74.

Même si des orientations plus spécifiques ne peuvent pas être fournies, j’ai néanmoins des doutes quant à la compatibilité des règles de procédure nationales en cause avec le droit de l’Union, à la lumière de certains éléments mentionnés dans l’ordonnance de renvoi. Le droit de demander la déduction de la TVA en amont résulte des dispositions de la directive TVA. Cette faculté existe indépendamment de la question de savoir si les factures concernées sont pleinement conformes à l’article 226 de cette directive.

75.

En d’autres termes, même dans ces circonstances, les autorités n’ont pas de pouvoir discrétionnaire quant à la question de savoir si un assujetti peut déduire la TVA en amont. Ainsi, d’un point de vue procédural, je ne vois aucune différence, en substance, entre la situation d’un assujetti qui a un droit à déduction lorsque les conditions formelles des factures sont remplies et celle dans laquelle un assujetti a un tel droit, en dépit d’une non-conformité formelle. Je ne vois pas pour quelle raison un assujetti ne devrait pas être en mesure d’invoquer un tel droit dans le cadre de la procédure ordinaire relative à la fixation de la taxe.

76.

Toutefois, c’est à la juridiction nationale qu’il appartient de se prononcer sur ce point.

77.

Sur la base des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la deuxième question dans l’affaire C-374/16 et à la troisième question dans l’affaire C-375/16 que, en vertu de leur interprétation conforme, l’article 168, sous a), et l’article 178, sous a), de la directive TVA s’opposent à une législation nationale selon laquelle, lorsque les conditions formelles des factures ne sont pas remplies, la déduction n’est accordée que si l’assujetti prouve qu’il a pris toute mesure qu’il était raisonnablement tenu de prendre afin de s’assurer que le contenu de la facture était correct. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si les règles procédurales nationales en vertu desquelles un assujetti peut invoquer sa bonne foi quant à la régularité de la facture sont conformes au principe d’effectivité, notamment à la lumière de la durée, de la complexité et des coûts liés aux procédures concernées.

V. Conclusion

78.

En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) comme suit :

l’article 226, point 5, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, s’oppose à une législation nationale qui subordonne le droit de déduire la TVA en amont à la mention sur la facture de l’adresse du lieu où l’émetteur exerce son activité économique ;

l’article 168, sous a), et l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 s’opposent à une législation nationale selon laquelle, lorsque les conditions formelles des factures ne sont pas remplies, la déduction n’est accordée que si l’assujetti prouve qu’il a pris toute mesure qu’il était raisonnablement tenu de prendre afin de s’assurer que le contenu de la facture était correct, et

il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si les règles procédurales nationales en vertu desquelles un assujetti peut invoquer sa bonne foi quant à la régularité de la facture sont conformes au principe d’effectivité, notamment à la lumière de la durée, de la complexité et des coûts liés aux procédures concernées.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) JO 2006, L 347, p. 1.

( 3 ) La disposition applicable ratione temporis à l’affaire C-374/16 était celle en vigueur avant la révision de la directive TVA en 2010. Toutefois, cette révision n’a aucune incidence aux fins de la présente procédure dès lors qu’elle n’a pas affecté l’obligation d’inclure l’adresse sur la facture, conformément à l’article 226 de la directive TVA.

( 4 ) Arrêt du 14 février 1985, Rompelman (268/83, EU:C:1985:74, point 19).

( 5 ) Arrêt du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, EU:C:2008:211, point 49).

( 6 ) Voir arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 28).

( 7 ) Voir arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 29).

( 8 ) Arrêt du 15 septembre 2016, Senatex (C-518/14, EU:C:2016:691, point 37 et jurisprudence citée).

( 9 ) Arrêt du 15 septembre 2016, Senatex (C-518/14, EU:C:2016:691, point 38).

( 10 ) Voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos (C-516/14, EU:C:2016:690, point 25), et du 15 juillet 2010, Pannon Gép Centrum (C-368/09, EU:C:2010:441, points 40 et 41).

( 11 ) Voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2015, Commission/Pologne (C-678/13, non publié, EU:C:2015:358, point 46 et jurisprudence citée).

( 12 ) Cette disposition se lit comme suit : « Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité ».

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos (C-516/14, EU:C:2016:690, point 27) qui renvoie aux conclusions de l’avocat général Kokott dans la même affaire (EU:C:2016:101).

( 14 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos (C-516/14, EU:C:2016:101, points 34 et 35).

( 15 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos (C-516/14, EU:C:2016:101, point 34).

( 16 ) Voir, en particulier, l’article 17, paragraphe 1, sous b) du règlement (UE) no 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO 2010, L 268, p. 1). Cette disposition exige des États membres qu’ils stockent dans un système électronique, notamment, « les données portant sur l’identité, l’activité, l’organisation et l’adresse des personnes auxquelles il a attribué un numéro d’identification TVA, recueillies en application de l’article 213 de la directive [TVA], ainsi que la date à laquelle ce numéro a été attribué ».

( 17 ) Voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2012, Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. Wąsiewicz (C-280/10, EU:C:2012:107, points 48 et 49). L’administration nationale peut, en outre, demander toute information susceptible de permettre l’établissement correct de la TVA, de contrôler l’application correcte de la TVA, notamment sur les opérations intracommunautaires, et de lutter contre la fraude à la TVA en coopération avec les administrations des autres États membres, en application du règlement no 904/2010.

( 18 ) Voir, notamment, considérants 46, 47, 56 et 57 de la directive TVA.

( 19 ) Arrêt du 22 octobre 2015 (C-277/14, EU:C:2015:719).

( 20 ) Arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 35).

( 21 ) Arrêt du 28 juin 2007 (C-73/06, EU:C:2007:397).

( 22 ) Treizième directive 86/560/CEE du Conseil, du 17 novembre 1986, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis sur le territoire de la Communauté (JO 1986, L 326, p. 40).

( 23 ) Voir arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, points 48 et 49).

( 24 ) Voir, notamment, arrêts du 27 septembre 2007, Teleos e.a. (C-409/04, EU:C:2007:548, points 65 et 66), du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C-271/06, EU:C:2008:105, points 24, 25 et 27), ainsi que du 21 décembre 2011, Vlaamse Oliemaatschappij (C-499/10, EU:C:2011:871, points 25 et 26).

( 25 ) Voir arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 51).

( 26 ) Voir, notamment, arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 62).

( 27 ) Voir arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 60), ainsi que du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 52).

( 28 ) Voir arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 65), ainsi que du 31 janvier 2013, LVK (C-643/11, EU:C:2013:55, point 62).

( 29 ) Voir arrêt PPUH Stehcemp (C–277/14, EU:C:2015:719, point 50). Voir également arrêt du 6 décembre 2012, Bonik (C-285/11, EU:C:2012:774, point 43).

( 30 ) Voir arrêt du 15 septembre 2016, Senatex (C-518/14, EU:C:2016:691, points 41 et 42), ainsi que conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Senatex (C-518/14, EU:C:2016:91, point 45).

( 31 ) Arrêt du 12 février 2015, Surgicare (C-662/13, EU:C:2015:89, point 26).

( 32 ) Arrêt du 12 février 2015, Surgicare (C-662/13, EU:C:2015:89, point 28).

( 33 ) Arrêt du 12 février 2015, Surgicare (C-662/13, EU:C:2015:89, point 27).

( 34 ) Voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, EU:C:2008:223, point 51).