Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 26 octobre 2017 ( 1 )

Affaire C-533/16

Volkswagen AG

contre

Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky

[demande de décision préjudicielle formée par le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque)]

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Déduction de la taxe versée à des fournisseurs – Livraison de biens non soumis à la TVA – Application de la TVA à des livraisons au moyen de factures séparées – Refus du droit à déduction en raison de l’expiration du délai de forclusion »

1. 

Le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a été examiné par la Cour dans le cadre de nombreux renvois préjudiciels. Dans la présente affaire, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) soulève la question du délai dans lequel la déduction de cette taxe peut être effectuée.

2. 

La problématique dont est saisie la juridiction de renvoi résulte du fait que, entre 2004 et 2010, des fournisseurs ont livré à la société Volkswagen AG certains biens, sans que la TVA soit incluse dans les factures correspondantes. Les parties avaient supposé, à tort, que ces opérations n’étaient pas soumises à la TVA, car il s’agissait d’une compensation financière.

3. 

Une fois l’erreur identifiée, en 2010, les fournisseurs ont mis la TVA à la charge de Volkswagen et dressé – en bonne et due forme cette fois-ci – les factures pertinentes avec la mention de la taxe due. Ils ont parallèlement déposé des déclarations complémentaires de TVA, qu’ils ont versée au Trésor public slovaque (ci-après le « Trésor public »). Volkswagen a souhaité déduire la TVA acquittée, mais les autorités fiscales n’ont fait droit à cette demande que pour certaines des périodes en cause et ont rejeté la demande pour les périodes restantes, car le délai d’exercice de ce droit (cinq ans) était déjà écoulé.

4. 

Le présent renvoi préjudiciel permettra donc à la Cour de décider jusqu’à quel point le droit à déduction de la TVA prévaut lorsque, dans le cadre des livraisons initiales de biens, le paiement de cette taxe n’a pas été demandé et la régularisation effectuée a posteriori porte sur des exercices fiscaux remontant à plus de cinq ans.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive 2006/112/CE

5.

Aux termes de l’article 62, points 1 et 2, de la directive 2006/112/CE ( 2 ):

« Aux fins de la présente directive sont considérés comme :

1)

“fait générateur de la taxe” le fait par lequel sont réalisées les conditions légales nécessaires pour l’exigibilité de la taxe ;

2)

“exigibilité de la taxe” le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté. »

6.

L’article 167 de la directive 2006/112 dispose :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

7.

En vertu de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ».

8.

En vertu de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 [ ( 3 )] ».

2. La directive 2008/9/CE

9.

L’article 2 de la directive 2008/9/CE ( 4 ) dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)

“assujetti non établi dans l’État membre du remboursement”, tout assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE qui n’est pas établi dans l’État membre du remboursement, mais sur le territoire d’un autre État membre ;

[…]

3)

“période du remboursement”, la période visée à l’article 16, couverte par la demande de remboursement ».

10.

L’article 3 de la directive 2008/9 énumère les conditions que doit remplir un assujetti non établi dans l’État membre du remboursement pour que ladite directive soit applicable.

11.

En vertu de l’article 5 de la directive 2008/9 :

« Chaque État membre rembourse à tout assujetti non établi dans l’État membre du remboursement la TVA ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis dans cet État membre par d’autres assujettis, ou ayant grevé l’importation de biens dans cet État membre, dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :

a)

les opérations visées à l’article 169, points a) et b), de la directive 2006/112/CE ».

12.

Aux termes de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2008/9 :

« 2.   Outre les informations visées au paragraphe 1, pour chaque État membre du remboursement et pour chaque facture ou document d’importation, la demande de remboursement inclut les informations suivantes :

[…]

d)

la date et le numéro de la facture ou du document d’importation ;

e)

la base d’imposition et le montant de la TVA, libellés dans la devise de l’État membre du remboursement ».

13.

L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/9 dispose :

« 1.   La demande de remboursement est introduite auprès de l’État membre d’établissement au plus tard le 30 septembre de l’année civile qui suit la période du remboursement. La demande de remboursement est réputée introduite uniquement lorsque le requérant a fourni toutes les informations exigées aux articles 8, 9 et 11. »

B.   Le droit slovaque

1. La loi no 222/2004 sur la TVA

14.

L’article 49, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), de la Zákon č. 222/2004 o dani z pridanej hodnoty ( 5 ) (loi no 222/2004 sur la TVA) dispose :

« (1)   Le droit de déduire la taxe sur un bien ou un service naît, dans le chef de l’assujetti, le jour où la taxe devient exigible pour ce bien ou ce service.

(2)   L’assujetti peut déduire de la taxe dont il est redevable la taxe sur les biens et les services qu’il utilise pour les livraisons de biens et les prestations de services en tant qu’assujetti sous réserve de l’exception prévue aux paragraphes 3 et 7. L’assujetti peut déduire la taxe si celle-ci :

a)

lui est appliquée par un autre assujetti en Slovaquie sur des biens ou des services qui sont fournis ou doivent être fournis à l’assujetti ».

15.

L’article 51, paragraphe 1, sous a), de la loi sur la TVA est libellé comme suit :

« (1)   Le droit à la déduction de la TVA en application de l’article 49 peut être exercé par l’assujetti si :

a)

dans le cadre de la déduction de la taxe en application de l’article 49, paragraphe 2, sous a), l’assujetti dispose d’une facture établie par un assujetti au sens de l’article 71 ».

16.

En vertu de l’article 55a, paragraphe 4, de la loi sur la TVA :

« (4)   Le demandeur exerce son droit au remboursement de la taxe en introduisant une demande de remboursement de la taxe par voie électronique sur le portail électronique dans l’État membre dans lequel il a son siège social, son siège d’exploitation, un établissement ou son domicile, ou dans lequel il séjourne habituellement. La demande de remboursement est introduite au plus tard le 30 septembre de l’année civile qui suit la période du remboursement. La Daňový úrad Bratislava I [administration fiscale de Bratislava I] informe sans retard par voie électronique le demandeur de la date de réception de la demande de remboursement de la taxe. »

17.

Aux termes de l’article 71, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la loi sur la TVA :

« (1)   Aux fins de la présente loi, on entend par :

a)

facture : tout document ou toute communication établi(e) sur support papier ou par voie électronique en application de la présente loi ou d’une loi en vigueur dans un autre État membre régissant l’établissement d’une facture ;

[…]

(2)   Est qualifié de facture également tout document ou communication qui modifie la facture originelle et qui s’y réfère spécifiquement et sans équivoque. »

18.

Aux termes de l’article 45 du code de procédure fiscale (ci-après le « CPF ») :

« (1)   Sous réserve d’une disposition différente dans la présente loi ou dans une loi particulière, il n’est pas possible de prélever la taxe ni la différence de taxe, ou de reconnaître le droit au remboursement de l’excédent de TVA ou au remboursement de la taxe après l’expiration d’une période de cinq ans à dater de l’année où est née l’obligation de déposer une déclaration fiscale ou une déclaration de TVA, ou à dater de l’année où le contribuable était redevable de la taxe sans obligation de déposer une déclaration fiscale ou une déclaration de TVA, ou à dater de l’année où est né, dans le chef du contribuable, le droit au remboursement de l’excédent de TVA ou au remboursement de la taxe ; […] »

II. Les faits et les questions préjudicielles

19.

Entre 2004 et 2010, la société Hella Leuchten-Systeme GmbH, sise à Paderborn (Allemagne), ainsi que les sociétés Hella Slovakia Front Lighting, s.r.o. et Hella Slovakia – Signal Lighting, sises en Slovaquie (ci-après les « fournisseurs Hella ») ont livré à Volkswagen des moules pour la fabrication de phares pour automobiles ( 6 ).

20.

À cet égard, les fournisseurs Hella ont établi des factures hors TVA, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une livraison de biens, mais d’une simple compensation financière.

21.

En 2010, après s’être rendu compte de leur erreur, les fournisseurs Hella ont appliqué la TVA à Volkswagen dans des factures distinctes, établies conformément à l’article 71 de loi sur la TVA, et ils ont introduit des déclarations fiscales complémentaires et versé la TVA calculée au Trésor public.

22.

Par une demande du 1er juillet 2011, fondée sur les articles 55a à 55g de la loi sur la TVA et introduite dans le délai fixé par la directive 2008/9, Volkswagen a demandé à l’administration fiscale de lui accorder le bénéfice d’un remboursement de la TVA.

23.

Par décision du 3 avril 2012, l’administration fiscale a partiellement fait droit à la demande de Volkswagen en lui remboursant une somme de 1536622,92 euros au titre de la TVA pour la période de cinq ans précédant sa demande.

24.

Par cette même décision, l’administration fiscale a rejeté la demande de Volkswagen concernant le solde de la taxe à hauteur de 1354968,83 euros, au motif de l’expiration du délai prévu à l’article 45, paragraphe 1, du CPF (cinq ans à dater de la livraison des biens).

25.

À la suite d’un recours administratif, la Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky (direction des finances de la République slovaque, ci-après la « direction des finances ») a confirmé cette décision du 3 avril 2012.

26.

Volkswagen a introduit un recours contre la décision de la direction des finances devant le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava, République slovaque), qui l’a rejeté. Selon cette juridiction, qui a fait sienne l’argumentation de la direction des finances, le droit au remboursement de la TVA naît pour l’assujetti au moment de la livraison des biens et ce droit doit être exercé dans un délai de cinq ans. En conséquence, le droit au remboursement de la TVA pour la période allant de 2004 à 2006 n’existait plus à la date d’introduction de la demande de remboursement (en 2011).

27.

Volkswagen a fait appel de ce jugement devant le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), en soutenant notamment que l’interprétation du droit national en ce qui concerne la fixation du début du délai de forclusion n’est conforme ni aux dispositions du droit de l’Union ni à la jurisprudence de la Cour.

28.

Le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) indique qu’il est ainsi confronté à deux approches aux fins de la détermination de la date d’expiration du délai d’introduction d’une demande de remboursement de la TVA : a) celle de la direction des finances, conforme à la pratique administrative slovaque, en vertu de laquelle le délai commence à courir le jour de la livraison effective des biens, conformément aux articles 63 et 167 de la directive TVA ; et b) celle de Volkswagen, qui estime que l’exercice du droit à déduction de la TVA exige que deux conditions cumulatives soient remplies : la livraison des biens, en tant qu’opération taxée, et la détention d’une facture ou d’un document susceptible d’en tenir lieu.

29.

Dans ce contexte, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La directive 2008/9 et le droit au remboursement de la taxe doivent-ils être interprétés en ce sens que l’exercice du droit au remboursement de la TVA exige nécessairement le respect de deux conditions cumulatives, à savoir :

i)

la livraison d’un bien ou la fourniture d’un service, et

ii)

l’application de la TVA par le fournisseur sur la facture ?

En d’autres mots, est-il possible que le remboursement de la taxe soit demandé par l’assujetti auquel la TVA n’a pas été appliquée au moyen d’une facture ?

2)

Est-il conforme au principe de proportionnalité ou de neutralité de la TVA que le délai de remboursement de la taxe soit calculé à d’un moment où ne sont pas remplies toutes les conditions matérielles pour l’application du droit au remboursement de la taxe ?

3)

Les dispositions de l’article 167 et de l’article 178, sous a), de la directive TVA s’interprètent-elles, à la lumière du principe de neutralité fiscale, en ce sens que, dans les circonstances du cas d’espèce et sous réserve du respect des autres conditions matérielles et procédurales nécessaires à l’exercice du droit à la déduction de la taxe, elles s’opposent au refus des autorités fiscales de reconnaître à un assujetti le droit au remboursement de la taxe exercé dans le délai prévu par la directive 2008/9, taxe qui lui a été appliquée par le fournisseur sur la facture et qui a été prélevée par ce dernier avant l’expiration du délai de forclusion fixé par le droit national ?

4)

À la lumière du principe de neutralité et du principe de proportionnalité, qui sont des principes fondamentaux du système commun de la TVA, les autorités fiscales slovaques ont-elles dépassé les limites de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif défini par la directive TVA en ce qu’elles ont refusé à l’assujetti le droit au remboursement de la taxe acquittée au motif que le délai de forclusion prévu par le droit national pour le remboursement de la taxe avait expiré alors que, au cours de ce délai, l’assujetti n’a pas pu exercer son droit au remboursement de la taxe et bien que la taxe ait été correctement prélevée et que le risque de fraude fiscale ou de non-acquittement de la taxe ait été totalement écarté ?

5)

Le principe de sécurité juridique, le principe de confiance légitime et le droit à une bonne administration au sens de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation des dispositions du droit national selon laquelle, aux fins du respect du délai de remboursement de la taxe, c’est la date de la décision des autorités fiscales portant sur le remboursement de la taxe qui est déterminante, et non pas la date de l’exercice par l’assujetti du droit au remboursement de la taxe ? »

III. La procédure devant la Cour

30.

L’ordonnance de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 20 octobre 2016.

31.

La direction des finances, le gouvernement slovaque et la Commission européenne ont déposé des observations.

32.

En application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, il a été jugé que la tenue d’une audience n’était pas indispensable.

IV. Résumé des observations des parties

33.

Les mémoires de la direction des finances et du gouvernement slovaque, dont le contenu est similaire, proposent une réponse commune aux quatre premières questions préjudicielles, selon laquelle le droit de l’Union ne s’oppose pas à la législation nationale et à la pratique nationale qui sont en cause au principal.

34.

Premièrement, le gouvernement slovaque considère que le remboursement de la TVA n’est qu’une application spécifique du droit à déduction de la TVA, qui fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut pas être limité ( 7 ). La détermination du moment de naissance du droit au remboursement doit s’effectuer en application des règles relatives à la déduction de la TVA, même si elles ne mentionnent pas expressément le remboursement de la TVA.

35.

En vue de déterminer ce moment, le gouvernement slovaque et la direction des finances invoquent tous deux les articles 62, point 2, 63, 167, 170 et 171 de la directive 2006/112, dont ils déduisent que le délai pour faire valoir le droit au remboursement de la TVA, en rapport avec un bien, naît au moment où la taxe devient exigible, c’est-à-dire avec la livraison du bien.

36.

En revanche, la facture n’a aucune incidence sur la détermination de ce moment et l’article 178, sous a), de la directive TVA ne saurait être interprété en ce sens que le droit à déduction naît avec la détention de la facture. Le fait de conditionner la naissance du délai à la détention de ce document serait contraire aux principes de sécurité juridique, de neutralité fiscale et de proportionnalité.

37.

Deuxièmement, la direction des finances et le gouvernement slovaque déduisent de la lecture des articles 168, 171, 179 et 180 de la directive 2006/112 ainsi que des articles 14, 15 et 16 de la directive 2008/9 que le droit au remboursement de la TVA ne peut être exercé utilement que jusqu’au 30 septembre de l’année civile qui suit l’année au cours de laquelle ce droit est né. Il ne serait pas contraire au droit de l’Union qu’un État membre rejette une demande de remboursement de la TVA introduite après cette date.

38.

Le gouvernement slovaque observe que, conformément à l’article 180 de la directive TVA, les États membres peuvent prolonger le délai pour l’exercice de ce droit ( 8 ), mais pas sans limite dans le temps, ce qui justifierait le fait que le droit national prévoie un délai de forclusion pour le remboursement de la TVA ( 9 ).

39.

Enfin, la direction des finances et le gouvernement slovaque considèrent que la cinquième question préjudicielle est irrecevable, car la juridiction de renvoi n’a pas exposé les faits en cause ni expliqué la pertinence de cette question pour trancher le litige au principal.

40.

La Commission propose une réponse conjointe aux trois premières questions. Selon elle, pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit détenir une facture indiquant le montant de la TVA perçue ( 10 ). Elle observe que, si l’on suivait le point de vue de l’autorité fiscale slovaque, l’assujetti aurait le droit de déduire la TVA sans disposer de facture et sans avoir versé aucune somme au Trésor public. Par ailleurs, même si l’assujetti avait revendiqué la déduction de la TVA, ce droit lui aurait été refusé en l’espèce.

41.

La Commission estime que, dans un cas de figure de régularisation tel que celui qui fait l’objet du litige au principal, la régularisation ouvre le droit à déduction de la TVA, qui est corrélé au paiement de la TVA. L’assujetti ne peut revendiquer une déduction de la TVA que si des biens lui ont été livrés et s’il est en possession de la facture correspondante.

42.

Pour ce qui est de la quatrième question préjudicielle, la Commission considère que Volkswagen n’a pas pu exercer son droit à déduction de la TVA pour des raisons objectives, puisque cette société n’a pris connaissance de l’existence d’une dette au titre de la TVA qu’au moment de l’établissement des factures. Dans ces circonstances, l’application d’un délai de forclusion de cinq ans à partir de la date de livraison des biens revient à rendre en pratique impossible l’exercice dudit droit.

43.

De plus, une telle situation porterait atteinte au principe de neutralité fiscale, car Volkswagen a dû s’acquitter de la TVA pour des périodes dépassant même cinq ans, sans pouvoir bénéficier de la déduction pour ces périodes. Pour les mêmes motifs, la Commission ajoute que le droit slovaque va au-delà de la marge d’appréciation dont dispose l’État membre.

44.

En ce qui concerne la cinquième question préjudicielle, la Commission estime qu’il n’est pas nécessaire d’y répondre dans la mesure où la conformité de la législation nationale au droit de l’Union peut être appréciée à la lumière de la directive 2006/112 ou d’autres dispositions du droit dérivé dans le domaine de la TVA.

V. Analyse

A.   Observation liminaire, approche de la problématique et reformulation

45.

Bien que, dans l’affaire au principal, l’assujetti demande aux autorités fiscales slovaques un remboursement de la TVA, ce dernier correspond en réalité à la simple différence, ou au solde, entre la TVA dont il est redevable et la TVA due ou acquittée par Volkswagen dans un État membre autre que celui dans lequel cette société est établie.

46.

Il convient donc de résoudre cette problématique en interprétant les règles régissant le droit à déduction, qui constitue le fondement d’un éventuel remboursement de la TVA. Le remboursement de la TVA est un instrument au moyen duquel un État membre restitue aux assujettis qui ne sont pas établis sur son territoire la TVA qu’ils ont acquittée en relation avec des biens ou des services qui leur ont été livrés ou fournis par d’autres assujettis dans cet État membre.

47.

Les dispositions de la directive 2008/9 sur le remboursement répondent à celles de l’article 170 de la directive 2006/112. L’interprétation de la directive 2008/9 doit donc être conforme aux dispositions de la directive 2006/112 sur le droit à déduction, cette dernière constituant le texte de base du régime de la TVA dans son ensemble.

48.

Par conséquent, il conviendra, en premier lieu, d’examiner les dispositions de la directive 2006/112 relatives au droit à déduction (notamment ses articles 167, 168 et 178). En second lieu, il pourrait être fait appel aux articles 14, 15 et 16 de la directive 2008/9, relatifs au remboursement, mais je ne crois pas que cela soit nécessaire pour répondre à la juridiction de renvoi. En tout cas, les principes de proportionnalité et de neutralité fiscale de la TVA devront nécessairement être pris en compte.

49.

Je partage l’opinion des autorités slovaques et, en partie, de la Commission sur le fait que les quatre premières questions préjudicielles sont étroitement liées et doivent faire l’objet d’un examen conjoint. J’estime en outre qu’il est opportun de reformuler celles-ci afin que la réponse de la Cour gagne en clarté.

50.

À mes yeux, ces quatre questions visent à déterminer, en résumé, si le droit de l’Union (en particulier les articles 167, 168 et 178 de la directive TVA ainsi que les principes de proportionnalité et de neutralité fiscale) permet de refuser à un assujetti la déduction de la TVA acquittée, au motif de la forclusion du délai d’exercice de ce droit, dans une situation dans laquelle : a) il a d’abord été considéré à tort que la livraison des biens n’était pas taxée ; b) avant qu’il soit, des années plus tard, procédé à la régularisation, l’assujetti ayant alors payé la TVA, puis demandé son remboursement.

51.

Pour sa part, la cinquième question fera l’objet d’un examen propre.

B.   Sur les quatre premières questions préjudicielles

52.

La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur les conditions matérielles et formelles du droit à déduction de la TVA.

53.

En ce qui concerne les conditions matérielles, l’accent a été mis sur les dispositions de la directive 2006/112 qui régissent la naissance et la portée de ce droit (articles 167 et suivants du chapitre 1 du titre X de ladite directive) ( 11 ). En vertu de celles-ci, le droit à déduction naît au moment où la taxe devient exigible, c’est-à-dire, dans le cas de la livraison de biens, lorsque le fournisseur transfère ceux-ci à l’assujetti ( 12 ). Ce qui importe aux fins de l’exigibilité de la TVA, c’est la réalité de l’opération de transfert de la possession des biens par une partie, habilitant ainsi l’autre partie à en disposer comme si elle était le propriétaire de ces biens ( 13 ).

54.

Les conditions formelles du droit à déduction « règlent, en revanche, les modalités et le contrôle de l’exercice de celui-ci ainsi que le bon fonctionnement du système de la TVA, telles que les obligations relatives à la comptabilité, à la facturation et à la déclaration» ( 14 ). Parmi ces conditions ( 15 ), celle relative à la facture est pertinente pour la présente affaire : en vertu de l’article 178, sous a), de la directive TVA, « [p]our pouvoir exercer le droit à déduction », l’assujetti doit « détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 » de ladite directive.

55.

Il ressort de l’ordonnance de renvoi, d’une part, que la livraison des biens à Volkswagen a bien été effectuée à l’époque, comme l’a ultérieurement fait apparaître la facture correspondante, et, d’autre part, que cette facture contenait toutes les informations requises par la directive 2006/112 (ou il n’est, à tout le moins, pas contesté que tel était le cas). Les exigences matérielles et formelles qui conditionnent tant la naissance que l’exercice du droit à déduction de la TVA sont donc remplies ( 16 ).

56.

Partant, sans préjudice des vérifications que la juridiction de renvoi pourrait effectuer, Volkswagen était en principe en droit d’exercer son droit à déduction. Preuve en est le fait que l’administration fiscale lui a reconnu ce droit, bien que pour une partie seulement des exercices fiscaux pour lesquels Volkswagen l’a fait valoir. Pour le reste, le gouvernement slovaque et la direction des finances soutiennent que l’écoulement du délai de cinq ans prive ledit droit de sa substance.

57.

La directive TVA ne fait pas référence de manière explicite au délai d’exercice du droit à déduction. Ce silence ne s’oppose pas à ce que les règles de droit national fixent un tel délai, pour des raisons liées à la sécurité juridique. La Cour a jugé « qu’un délai de forclusion dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent, qui a omis de réclamer la déduction de la TVA en amont, en lui faisant perdre le droit à déduction, ne saurait être considéré comme incompatible avec le régime établi par la sixième directive, pour autant, d’une part, que ce délai s’applique de la même manière aux droits analogues en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit communautaire (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’il ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction (principe d’effectivité)» ( 17 ).

58.

Or, la fixation du point de départ de ce délai ne saurait dépendre exclusivement de la date de livraison des biens, indépendamment de toute autre circonstance pertinente. Bien qu’en vertu de l’article 167 de la directive 2006/112, le droit à déduction prenne naissance au moment où la taxe devient exigible, l’exercice dudit droit n’est possible, conformément à l’article 178 de cette même directive, qu’à partir du moment où l’assujetti détient la facture faisant apparaître la livraison des biens.

59.

La dissociation entre la date de naissance du droit à déduction et celle de son exercice s’explique par le mode de fonctionnement de la TVA :

lorsqu’il acquiert les biens, l’assujetti verse (ou est à tout le moins tenu de verser) au fournisseur une TVA comprise dans le prix des produits qu’il utilisera lui-même, en général, pour ses opérations imposables ;

cependant, aux fins de la gestion de la taxe, il est possible de faire valoir la déduction de cette TVA déjà acquittée dans le cadre des liquidations ultérieures, qui devront être présentées aux autorités fiscales en s’appuyant sur les factures correspondantes ou en étant, le cas échéant, accompagnées de celles-ci ( 18 ), à titre de preuve indispensable pour pouvoir prétendre à la déduction (et, s’il y a lieu, au remboursement).

60.

Le droit à déduction met ainsi en relation deux versements de la TVA : a) la TVA dont l’assujetti s’acquitte dans le cadre de la livraison des biens acquis auprès du fournisseur, et b) la TVA payée par le client de l’assujetti lorsque ce dernier lui livre ses propres produits. Les factures ( 19 ) témoignent de la réalité des opérations en cause et du paiement du prix, qui doit comprendre le montant de la TVA résultant de l’application du taux de TVA adéquat ( 20 ).

61.

Or, ce montant de TVA appartient en réalité déjà à l’administration fiscale, ce qui justifie son exigibilité à partir du moment où il est versé ou aurait dû être versé. La TVA sera retenue par l’émetteur de la facture dans son rôle d’auxiliaire de l’administration fiscale, c’est-à-dire en exerçant la fonction de collecte de la TVA. Il semble logique que le droit à déduction naisse simultanément, puisque l’assujetti doit pouvoir invoquer ce paiement de la taxe lorsqu’il procède à la liquidation auprès de l’autorité fiscale.

62.

Pour reprendre les termes employés par la Cour, « le régime de déduction […] permet aux maillons intermédiaires de la chaîne de distribution de déduire de la base de leur propre imposition les sommes payées par chacun à son propre fournisseur au titre de la TVA sur l’opération correspondante et de restituer ainsi à l’administration fiscale la partie de la TVA qui correspond à la différence entre le prix auquel chacun a livré la marchandise à son acheteur et le prix qu’il a payé à son fournisseur» ( 21 ).

63.

Ce régime reflète le principe de neutralité fiscale, qui est garanti par le système commun de TVA en ce qui concerne la charge fiscale supportée par l’ensemble des activités économiques, quels qu’en soient les buts ou les résultats, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises, en principe, à la TVA. Dans ce système, le régime des déductions vise à libérer complètement l’entrepreneur de la charge de la TVA due ou acquittée.

64.

Le paiement de la taxe au fournisseur par l’assujetti se trouve donc au cœur du droit à déduction. La déduction est indissociable du paiement de la taxe : si l’assujetti n’a pas payé la TVA, qui doit normalement figurer dans la facture, il ne dispose d’aucun fondement, juridique ou économique, pour l’exercice du droit à déduction.

65.

Dans la directive 2006/112, et notamment son article 167, le législateur de l’Union vise le cas de figure normal, dans lequel la livraison des biens, le paiement de ceux-ci et la délivrance de la facture mentionnant le montant de la TVA se produisent de manière presque simultanée. Dans ce cas, il est logique que l’exigibilité de la taxe et le droit de déduction naissent en même temps ( 22 ).

66.

En revanche, une situation telle que celle de l’affaire au principal peut être qualifiée d’exceptionnelle ou d’inhabituelle, du point de vue de la TVA exigible, puisque, d’une part, Volkswagen n’a versé aucune somme au titre de la TVA à l’occasion de la réception des biens livrés par son fournisseur, les deux parties ayant considéré que l’opération n’était pas soumise à cette taxe, et que, d’autre part, Volkswagen n’a, en conséquence, reçu aucune facture comprenant la TVA et l’autorisant à faire valoir son droit à déduction.

67.

Dans ces conditions, l’assujetti ne pouvait pas, en toute logique, revendiquer un droit à déduction d’un montant de TVA qu’il n’avait pas payé antérieurement.

68.

La situation a significativement changé lorsque, en 2010, les fournisseurs Hella ont régularisé les opérations qui avaient été considérées à tort comme non soumises à la TVA et ont donc recouvré le montant dû par Volkswagen et versé celui-ci au Trésor public. À partir de ce moment, l’exigibilité et le droit à déduction en découlant auraient dû être mis en relation avec le paiement effectif de la taxe.

69.

Autrement dit, nous sommes en réalité en présence d’un cas caractéristique d’acquittement tardif de la TVA ( 23 ). C’est avec la régularisation des opérations que les conditions matérielles et formelles ouvrant le droit à déduction ont véritablement été réunies. C’est à ce moment que devait commencer le calcul du délai d’exercice de ce droit : des biens réels ont été livrés, un montant dû au titre de la TVA a été versé au budget de l’État, et une facture correspondante, remplissant les conditions de l’article 226 de la directive TVA, a été établie.

70.

Les autorités fiscales slovaques appliquent en revanche les règles de droit national en matière fiscale (concrètement, l’article 45 du CPF) en faisant rétroagir l’exercice du droit à déduction de la TVA au moment physique de la livraison initiale des biens (années 2004 à 2010). Elles font ensuite application du délai quinquennal de forclusion et, aux fins de son calcul, prennent ce moment en compte à titre de date d’ouverture dudit délai. Elles en déduisent que le droit à déduction ne peut s’appliquer en ce qui concerne les exercices fiscaux prescrits (à savoir les années 2004, 2005 et partiellement 2006, puisque la demande de remboursement a été introduite le 1er juillet 2011).

71.

Je ne crois pas que cette manière de procéder soit adéquate. En premier lieu, il convient d’observer que l’administration fiscale slovaque applique le délai de cinq ans en défaveur de Volkswagen, alors que, selon l’article 45 du CFP ( 24 ), ce délai s’applique également à la collecte de la taxe et donc en faveur de cette entreprise, puisque ces dispositions interdisent à l’administration de recouvrer des taxes dues, mais non acquittées, si ledit délai s’est écoulé ( 25 ).

72.

Si l’administration fiscale n’a pas vu d’inconvénient à recevoir, après l’écoulement de plus de cinq ans, les sommes dues par Volkswagen au titre de la TVA afférente, par exemple, à 2004, elle devrait symétriquement reconnaître à cet assujetti le droit à déduire la TVA payée à ce même titre.

73.

En second lieu, l’article 167 de la directive 2006/112 peut être interprété de sorte à ne pas faire obstacle, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, à ce qu’un assujetti de bonne foi ( 26 ) ne soit pas entièrement privé de son droit à déduction de la TVA.

74.

L’interprétation de la législation nationale que les autorités fiscales slovaques adoptent avec leur pratique les conduit à dénier l’exercice de ce droit, en contradiction avec le principe de neutralité fiscale de la TVA. La Cour a mis l’accent sur l’importance de ce principe et sur le fait que le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité ( 27 ).

75.

Le principe de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les conditions de fond sont satisfaites, même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis ( 28 ). La Cour s’est prononcée de manière claire en faveur du plus grand respect possible du droit à déduction, par exemple en jugeant contraire aux articles 167, 178, sous a), 179 et 226, point 3, de la directive TVA une réglementation nationale en vertu de laquelle la rectification d’une facture visant une mention obligatoire ne produit pas d’effet rétroactif, ce qui limite les possibilités de déduction de la taxe acquittée à l’année au cours de laquelle cette facture a été rectifiée, en excluant l’année au cours de laquelle elle a été initialement établie ( 29 ).

76.

Or, si cette restriction a été jugée contraire à la directive 2006/112, la pratique slovaque qui élimine de fait la possibilité d’exercer le droit de déduction dans un cas de figure tel que celui de l’espèce doit, pour les mêmes raisons, être considérée comme contraire à cette directive. Il convient de prendre en compte le fait que l’exercice de ce droit n’est possible que lorsque son titulaire est conscient du fait que ses opérations sont soumises à la TVA, mais pas plus tôt, s’il a agi de bonne foi (ce qui, je le répète, n’est pas contesté en l’espèce).

77.

Enfin, l’approche contestée dans l’affaire au principal me semble disproportionnée. Il est vrai que l’article 273 de la directive 2006/112 permet aux États membres d’adopter des mesures pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude. Cependant, ces mesures – parmi lesquelles figure, pour des motifs de sécurité juridique, la fixation de délais pour l’exercice du droit à déduction – ne doivent ni aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs ni remettre en cause la neutralité de la TVA ( 30 ).

78.

Or, si l’on tient compte du fait que la bonne foi de l’assujetti est reconnue, que l’existence d’une fraude ou d’un avantage fiscal est exclue et que les opérations ont été régularisées, il apparaît disproportionné de priver ce contribuable de son droit à déduction au seul motif qu’il a considéré, à tort, que ces opérations n’étaient pas soumises à la TVA et que le temps écoulé jusqu’à leur régularisation dépasse les cinq ans.

79.

De fait, l’administration slovaque reconnaît le bien-fondé de la déduction, mais elle la limite aux exercices fiscaux qu’elle juge non prescrits. Or, comme je l’ai indiqué, si l’écoulement d’une période de plus cinq ans n’a pas fait obstacle à l’encaissement tardif de la TVA par le Trésor public, elle ne devrait pas non plus s’opposer à l’exercice symétrique du droit à déduction.

80.

En conséquence, je propose de répondre aux quatre premières questions préjudicielles que, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, dans lesquelles il a été considéré à tort, mais de bonne foi, qu’une livraison de biens n’était pas soumise à la TVA et où, des années plus tard, le paiement de cette taxe a fait l’objet d’une régularisation, l’assujetti a le droit de déduire le montant de la TVA acquittée dans le cadre de cette opération (ou, le cas échéant, d’en obtenir le remboursement).

C.   Sur la cinquième question préjudicielle

81.

La juridiction de renvoi souhaite savoir si les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ainsi que l’article 41 de la charte des droits fondamentaux s’opposent à l’interprétation des dispositions du droit national qu’effectuent les autorités fiscales slovaques.

82.

Plutôt que de déclarer cette question irrecevable dans son ensemble, comme le propose le gouvernement slovaque, je me rallie à la position de la Commission selon laquelle il n’y a plus lieu d’y répondre car, pour répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi, il suffit de se référer à l’interprétation de la directive 2006/112 par la Cour. Toutefois, j’exposerai à titre subsidiaire mon avis sur son contenu, pour le cas où la Cour déciderait d’examiner ce point.

83.

En premier lieu, pour ce qui est de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, qui est relatif au droit à une bonne administration, son invocation n’est pas pertinente dans le cadre du litige au principal, car il s’adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union ( 31 ). Le litige au principal portant sur les actes des autorités fiscales d’un État membre, cet article n’est pas applicable.

84.

En second lieu, une éventuelle violation du principe de protection de la confiance légitime implique que l’autorité administrative ait fait naître chez Volkswagen des espérances fondées, du fait d’assurances précises ( 32 ), quant au fait qu’elle accéderait à ses prétentions, de sorte que tout opérateur économique prudent et avisé aurait défini sa conduite en se reposant sur ces espérances ( 33 ).

85.

Il ne ressort toutefois pas de la décision de renvoi que de telles assurances aient été données. L’ordonnance de renvoi décrit plutôt une pratique administrative quant à l’interprétation du droit national en ce qui concerne le délai pour solliciter le remboursement de la TVA. Elle ne contient aucune référence à des assurances spécifiques, dont l’existence aurait pu faire naître chez Volkswagen des espérances quant au succès de ses demandes.

86.

Par conséquent, en l’absence d’informations plus précises sur ces hypothétiques assurances, la Cour ne dispose pas des éléments de fait nécessaires pour répondre de façon utile à la cinquième question ( 34 ).

87.

Enfin, en troisième lieu, la Cour a jugé que le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître sans ambiguïté l’étendue de leurs droits et de leurs obligations, afin qu’ils soient en mesure de prendre leurs dispositions en connaissance de cause ( 35 ).

88.

Comme je l’ai déjà indiqué ( 36 ), la Cour a confirmé que, dans certaines circonstances, les États membres peuvent prévoir un « délai de forclusion » pour l’exercice du droit à déduction de la TVA, pour autant qu’il n’aboutisse pas à la suppression de celui-ci, en pratique ou en droit ( 37 ).

89.

Il pourrait être porté atteinte à la sécurité juridique, telle que définie précédemment dans les présentes conclusions, si l’interprétation des règles de droit national régissant ces délais était aléatoire ou inconséquente, ou si elle changeait d’une autorité fiscale à l’autre. Toutefois, il n’apparaît pas que tel soit le cas en l’espèce, puisqu’il semble que le droit à déduction a été refusé à d’autres assujettis se trouvant dans la même situation que Volkswagen ( 38 ).

90.

La conformité au droit de l’Union de cette interprétation, même uniforme à l’échelle nationale, constitue une problématique distincte. Si, comme je l’ai suggéré à l’issue de l’examen des quatre premières questions préjudicielles, ladite interprétation n’est pas conforme au droit de l’Union, la constatation de son caractère contraire à la directive 2006/112 suffit pour apporter une réponse au renvoi préjudiciel dans son ensemble.

VI. Conclusion

91.

Eu égard aux raisonnements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) de la manière suivante :

« Les articles 167, 168 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité s’opposent à ce qu’un assujetti de bonne foi se voie refuser le droit à déduction de la TVA dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, dans lesquelles la livraison de biens a été considérée, à tort, comme n’étant pas soumise à la TVA, laquelle a, des années plus tard, été régularisée et payée. »


( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée (ci-après la « directive 2006/112 »).

( 3 ) C’est-à-dire les articles 219 bis à 240 de la directive TVA.

( 4 ) Directive du Conseil du 12 février 2008 définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre (JO 2008, L 44, p. 23). L’article 171 de la directive TVA renvoie, aux fins du remboursement de cette taxe, aux règles d’exécution actuellement prévues par la directive 2008/9.

( 5 ) Ci-après la « loi sur la TVA ».

( 6 ) Il n’est pas contesté que ces biens ont été utilisés pour les besoins des opérations taxées de Volkswagen.

( 7 ) À cet égard, le gouvernement slovaque cite l’arrêt du 28 juillet 2016, Astone (C-332/15, EU:C:2016:614, point 30).

( 8 ) Il renvoie, à cet égard, à l’arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport (C-284/11, EU:C:2012:458, point 46).

( 9 ) Il renvoie à l’arrêt du 8 mai 2008, Ecotrade (C-95/07 et C-96/07, EU:C:2008:267, points 45 et 46).

( 10 ) Dans ce contexte, elle renvoie à l’arrêt du 29 avril 2004, Terra Baubedarf-Handel (C-152/02, EU:C:2004:268, point 35).

( 11 ) Arrêt du 11 décembre 2014, Idexx Laboratories Italia (C-590/13, EU:C:2014:2429, point 41). Cet arrêt portait essentiellement sur les articles 17, 18 et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (JO 1991, L 376, p. 1) (ci-après la « sixième directive »), mais ces dispositions ont été reprises, parfois même littéralement, par la directive 2006/112 ; voir arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 5 à 11).

( 12 ) Article 63 de la directive 2006/112.

( 13 ) Arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 44 et jurisprudence citée).

( 14 ) Arrêt du 11 décembre 2014, Idexx Laboratories Italia (C-590/13, EU:C:2014:2429, point 42).

( 15 ) Articles 178 et suivants de la directive 2006/112.

( 16 ) Arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 44).

( 17 ) Arrêt du 8 mai 2008, Ecotrade (C-95/07 et C-96/07, EU:C:2008:267, point 46).

( 18 ) En vertu de l’article 218 de la directive 2006/112, « tous les documents ou messages sur papier ou sous format électronique qui remplissent les conditions déterminées par [le chapitre 3] » sont acceptés comme factures.

( 19 ) Si, en tant que telle, la facture constitue en règle générale un document requis pour prétendre au droit à déduction, dans certaines circonstances, son absence ne fait pas obstacle à l’exercice de ce droit. En ce sens, voir arrêt du 1er avril 2004, Bockemühl (C-90/02, EU:C:2004:206, point 47).

( 20 ) Voir article 226, points 9 et 10, de la directive 2006/112.

( 21 ) Arrêt du 29 avril 2004, Terra Baubedarf-Handel (C-152/02, EU:C:2004:268, point 36).

( 22 ) Dans l’arrêt du 29 avril 2004, Terra Baubedarf-Handel (C-152/02, EU:C:2004:268, point 35), la Cour a jugé que « [l]’exercice de ce droit à déduction suppose que, en principe, les assujettis n’effectuent pas de paiement et ne s’acquittent donc pas de la TVA en amont avant d’avoir reçu une facture, ou un autre document qui peut être considéré comme en tenant lieu, et que la TVA ne saurait être considérée comme grevant une opération donnée avant d’avoir été acquittée ».

( 23 ) Dans l’arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport (C-284/11, EU:C:2012:458, point 74 et dispositif), la Cour a jugé qu’« un acquittement tardif de la TVA ne saurait être, per se, assimilé à une fraude, laquelle suppose, d’une part, que l’opération en cause […] ait pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par [les dispositions régissant la TVA] » et que « [l]e principe de neutralité fiscale s’oppose à une sanction consistant à refuser le droit à déduction en cas d’acquittement tardif de la taxe sur la valeur ajoutée ».

( 24 ) Je rappelle qu’en vertu de cette disposition, le délai de forclusion de cinq ans s’applique tant à l’administration qu’aux contribuables : l’administration ne peut pas prélever une taxe ou une différence de taxe une fois ces cinq années écoulées et les contribuables ne peuvent pas demander le remboursement de taxes déjà payées après l’écoulement dudit délai.

( 25 ) En droit de l’Union, les délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique protègent à la fois le contribuable et l’administration (arrêt du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C-38/16, EU:C:2017:454, point 42).

( 26 ) Il est constant, entre les parties au litige au principal, que ni les fournisseurs Hella ni Volkswagen n’ont agi de manière frauduleuse ou en connaissance de l’irrégularité que constituait le fait de considérer les livraisons de biens comme des opérations non soumises à la TVA.

( 27 ) Arrêt du 28 juillet 2016, Astone (C-332/15, EU:C:2016:614, point 30).

( 28 ) Arrêt du 15 septembre 2016, Senatex (C-518/14, EU:C:2016:691, point 38).

( 29 ) Arrêt du 15 septembre 2016, Senatex (C-518/14, EU:C:2016:691, point 43).

( 30 ) En ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C-183/14, EU:C:2015:454, point 62).

( 31 ) Arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832, point 83 et jurisprudence citée).

( 32 ) Arrêt du 14 juin 2017, Santogal M-Comércio e Reparação de Automóveis (C-26/16, EU:C:2017:453, point 76 et jurisprudence citée).

( 33 ) Arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C-183/14, EU:C:2015:454, point 45 et jurisprudence citée).

( 34 ) Voir, notamment, arrêt du 14 juin 2017, Santogal M-Comércio e Reparação de Automóveis (C-26/16, EU:C:2017:453, point 31 et jurisprudence citée).

( 35 ) Arrêt du 7 mars 2017, RPO (C-390/15, EU:C:2017:174, point 59).

( 36 ) Points 57 et 77 des présentes conclusions.

( 37 ) Arrêt du 9 juin 2016, Wolfgang und Wilfried Rey Grundstücksgemeinschaft GbR (C-332/14, EU:C:2016:417, points 58 à 61).

( 38 ) L’ordonnance de renvoi indique que d’autres entreprises se trouvent dans des situations similaires.