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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 2 mai 2019 (1)

Affaire C-42/18

Finanzamt Trier

contre

Cardpoint GmbH, successeur en droit de Moneybox Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Exonérations – Article 13, B, sous d), point 3 – Paiements – Opérations concernant les paiements – Notions – Retrait d’argent à un distributeur automatique de billets – Service fourni par une société à une banque dans le cadre de l’externalisation de l’exploitation de distributeurs automatiques de billets »






I.      Introduction

1.        Né du refus du Finanzamt Trier (centre des impôts de Trèves, Allemagne) (2) d’accorder à Cardpoint GmbH (3) une exonération fiscale pour une prestation de services fournie à une banque dans le cadre de l’exploitation de distributeurs automatiques de billets, le présent renvoi préjudiciel du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) invite la Cour à se prononcer sur l’interprétation de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive 77/388/CEE (4).

2.        En vertu de cette disposition, les opérations concernant notamment les paiements et les virements sont exonérées de TVA.

3.        Si la Cour a déjà eu l’occasion d’interpréter ladite disposition, elle est ici invitée à le faire dans un contexte spécifique. En effet, elle doit déterminer si la prestation de services relative à l’exploitation des distributeurs automatiques de billets fournie aux banques exploitant ces distributeurs peut être exonérée de TVA en tant qu’opérations concernant les paiements. Dans un contexte d’externalisation croissante par les banques de l’exploitation des distributeurs automatiques de billets, l’interprétation fournie par la Cour est susceptible d’avoir des répercussions importantes pour les prestataires de tels services.

4.        Dans les présentes conclusions, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous estimons que, dans le cadre de l’externalisation par une banque à une entreprise tierce, les activités relatives à l’exploitation de distributeurs automatiques de billets effectuées par l’entreprise tierce, consistant à rendre et à maintenir opérationnels les distributeurs de billets, à approvisionner ces derniers, à y installer du matériel informatique ainsi que des logiciels afin de lire les données des cartes bancaires, à transmettre une demande d’autorisation d’effectuer un retrait à la banque émettrice de la carte bancaire utilisée et à enregistrer les opérations de retrait, ne relèvent pas de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive.

II.     Le cadre juridique

A.      La sixième directive

5.        En vertu de l’article 2 de la sixième directive :

« Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée :

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

6.        Le titre X de cette directive prévoit des exonérations de TVA qui doivent être accordées par les États membres. Dans ce cadre, l’article 13, B, sous d), points 3 et 4, de ladite directive est rédigé comme suit :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :

[...]

d)      les opérations suivantes :

[...]

3.      les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances ;

4.      les opérations, y compris la négociation, portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux, à l’exception des monnaies et billets de collection ; sont considérés comme de collection les pièces en or, en argent ou en autre métal, ainsi que les billets, qui ne sont pas normalement utilisés dans leur fonction comme moyen de paiement légal ou qui présentent un intérêt numismatique. »

B.      Le droit allemand

7.        Aux termes de l’article 4, point 8, sous d), de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires) sont exonérées de TVA, « les opérations, et la négociation des opérations, concernant les dépôts de fonds, les comptes courants, les paiements et les virements, et le recouvrement d’effets de commerce ».

III.  Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

8.        En vertu de ses obligations contractuelles avec une banque, Cardpoint fournissait une prestation de services pour l’exploitation de distributeurs automatiques de billets. Plus précisément, Cardpoint plaçait aux endroits prévus des distributeurs automatiques de billets en état opérationnel, avec logiciels et matériel informatiques, pourvus du logo de la banque exploitant ces distributeurs et était responsable de leur bon fonctionnement. Pour ce faire, tout d’abord, elle était en charge du transport de billets, mis à disposition par cette banque, et de l’approvisionnement des distributeurs. Ensuite, il lui incombait d’installer du matériel informatique dans les distributeurs concernés ainsi que certains logiciels nécessaires au bon fonctionnement de ceux-ci. Enfin, elle donnait des conseils quant au fonctionnement courant des distributeurs.

9.        En ce qui concerne les opérations de retrait d’argent, au moment de l’utilisation des distributeurs à de telles fins, dès l’introduction de la carte bancaire dans le distributeur, un logiciel spécial lisait des données déterminées de cette carte. Tout d’abord, Cardpoint contrôlait ces données et transmettait par voie électronique, à Bank-Verlag GmbH (5), une demande d’autorisation de l’opération souhaitée par le détenteur de la carte. Ensuite, Bank-Verlag adressait la demande au réseau interbancaire, qui la transmettait, à son tour, à la banque émettrice de la carte bancaire concernée. Cette dernière contrôlait la couverture du compte du titulaire et renvoyait, par la même chaîne de transmission, l’approbation ou le refus du retrait souhaité. Une fois la réponse reçue, Cardpoint générait un enregistrement sur le retrait d’argent et, en cas d’acceptation, exécutait l’opération souhaitée et générait un enregistrement du retrait. Enfin, cet enregistrement était transmis en tant qu’instruction comptable à son cocontractant, c’est-à-dire la banque qui exploitait le distributeur en question. Celle-ci introduisait les enregistrements sans modification dans le système de la Deutsche Bundesbank (Banque fédérale d’Allemagne) (6). Cardpoint générait également une liste journalière non modifiable comportant toutes les opérations du jour, qui était également remise à la BBK.

10.      Dans la mesure où seules les banques peuvent être titulaires de comptes de règlement auprès de la BBK, elles effectuaient l’enregistrement dans le système de cette dernière. Cet enregistrement permettait d’établir avec effet obligatoire le droit de créance de la banque qui exploitait le distributeur en question à l’égard de la banque du titulaire du compte concerné par l’opération, ainsi que les frais encourus de ce fait. En outre, par l’enregistrement des données, le règlement, entre la banque exploitant le distributeur et la banque émettrice de la carte du client, du montant versé majoré des frais éventuels d’utilisation du distributeur était immédiatement comptabilisé.

11.      Le 7 février 2007, estimant que les prestations fournies devaient être exonérées de TVA, Cardpoint a introduit une déclaration modifiée de la TVA pour l’année 2005 et a demandé une modification de l’avis d’imposition existant.

12.      Cette demande a été rejetée par les autorités fiscales, mais le Finanzgericht Rheinland-Pfalz (tribunal des finances de Rhénanie-Palatinat, Allemagne) a fait droit au recours de Cardpoint contre ce rejet.

13.      Les autorités fiscales ont introduit un recours devant le juge de renvoi dans le cadre d’une procédure en Revision, cette procédure a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt Bookit.

14.      Ayant pris note du fait que, selon cet arrêt, l’exonération pour les opérations concernant les paiements et les virements ne s’applique pas à un service dit « de traitement du paiement par carte de débit ou par carte de crédit » effectué par un assujetti, prestataire de ce service, lorsqu’une personne achète, par l’intermédiaire de ce prestataire, un billet de cinéma qu’il vend au nom et pour le compte d’une autre entité, que cette personne paye par carte de débit ou par carte de crédit, le juge de renvoi se demande s’il en est de même pour les prestations fournies par Cardpoint.

15.      Selon le juge de renvoi, les prestations fournies par Cardpoint sont des prestations techniques et administratives permettant le retrait d’espèces depuis les distributeurs automatiques de billets, dès lors qu’elles constituent des prestations d’assistance similaires à celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bookit et que Cardpoint se limite à appliquer techniquement les instructions contenues dans un code d’autorisation.

16.      À cet égard, le juge de renvoi souligne les similitudes entre la situation en cause au principal et celle ayant donné lieu à l’arrêt Bookit. Ainsi, Cardpoint obtiendrait les données relatives à la carte bancaire du titulaire du compte concerné et procéderait à la transmission de ces données à la banque émettrice de la carte. En outre, Cardpoint ne serait pas responsable du contrôle et de l’approbation des ordres individuels, dès lors qu’elle ne réaliserait l’opération de retrait souhaitée qu’après avoir reçu l’autorisation de la banque émettrice de la carte.

17.      Le juge de renvoi note, néanmoins, que l’arrêt Bookit avait trait à des opérations d’achat et de vente, alors que, en l’espèce, il s’agirait de prestations visant les versements en espèces par des distributeurs automatiques de billets sans qu’une telle différence ne justifie en matière de TVA de traiter différemment les prestations fournies par Cardpoint, car, dans les deux cas, la prestation consisterait, en substance, en un échange d’informations et en une assistance d’ordres technique et administratif.

18.      Le juge de renvoi s’interroge alors sur l’importance du fait que, dans l’arrêt Bookit, un contrat distinct de vente de billets de cinéma était en jeu, contrat faisant défaut en l’espèce.

19.      Le juge de renvoi mentionne, enfin, deux circonstances militant, selon lui, contre une exonération. Ainsi, comme dans l’arrêt Bookit, la contrepartie de la prestation serait facile à déterminer. En outre, les prestations de Cardpoint pourraient être qualifiées de prestations d’assistance d’ordre technique, dès lors que les activités de Cardpoint constituent un simple échange d’informations accompagné de l’exécution d’une décision d’autorisation adoptée par la banque. En effet, Cardpoint se limite à générer des enregistrements qu’elle transfère dans le système bancaire en tant qu’instruction comptable.

20.      Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les prestations techniques et administratives qu’un prestataire de services effectue pour une banque exploitant un distributeur automatique de billets et pour les versements en espèces de cette banque au moyen du distributeur automatique sont-elles exonérées de la [TVA] au titre de l’article 13, B, sous d), point 3, de la [sixième directive], bien que, selon l’arrêt [Bookit], en application de cette disposition, les prestations techniques et administratives similaires qu’un prestataire de services effectue pour les paiements par carte dans le cadre de la vente de billets de cinéma ne le soient pas ? »

IV.    Notre analyse

21.      Le juge de renvoi invite, en substance, la Cour à déterminer si les activités de Cardpoint, consistant à rendre et à maintenir opérationnels des distributeurs automatiques de billets, à les approvisionner, à y installer du matériel informatique ainsi que des logiciels, à transmettre une demande d’autorisation d’effectuer un retrait à la banque émettrice de la carte bancaire utilisée, à procéder à la distribution de l’argent et à enregistrer les opérations de retrait, relèvent de la notion d’« opération concernant les paiements » exonérée de TVA en vertu de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive.

22.      Il ressort du libellé de la question préjudicielle et de la décision de renvoi que le juge saisi du litige au principal s’interroge sur l’applicabilité en l’espèce de l’interprétation délivrée par la Cour dans l’arrêt Bookit, dans lequel elle a estimé que l’exonération pour les opérations concernant les paiements et les virements ne s’applique pas à un service dit « de traitement du paiement par carte de débit ou par carte de crédit », effectué par un assujetti, prestataire de ce service, lorsqu’une personne achète, par l’intermédiaire de ce prestataire, un billet de cinéma qu’il vend au nom et pour le compte d’une autre entité, que cette personne paye par carte de débit ou par carte de crédit.

23.      Avant de déterminer si la solution issue de l’arrêt Bookit est transposable à la prestation de services fournie par Cardpoint aux banques exploitant des distributeurs automatiques de billets, plusieurs considérations liminaires doivent être formulées.

24.      Premièrement, nous soulignons que les services permettant de retirer des espèces d’un compte de paiement constituent des services de paiement au sens du droit de l’Union (7) et que, dès lors, un retrait à un distributeur automatique de billets est un paiement.

25.      Deuxièmement, nous rappelons qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, que les considérations applicables à la notion d’« opérations concernant les virements » sont valables également pour la notion d’« opérations concernant les paiements » (8), de sorte qu’elles font l’objet d’un même traitement aux fins de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive (9).

26.      Troisièmement, nous relevons que, en vertu d’une jurisprudence bien établie, les exonérations de TVA prévues à l’article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit de l’Union ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de TVA d’un État membre à l’autre (10) et que les termes employés pour désigner ces exonérations sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (11).

27.      S’agissant de la transposabilité de la solution issue de l’arrêt Bookit aux activités de Cardpoint en cause au principal, il y a lieu de mettre en évidence le critère appliqué par la Cour dans cet arrêt aux fins de différencier les prestations exonérées de TVA des prestations non exonérées.

28.      À cet égard, nous estimons, à l’instar de Cardpoint, que, dans ledit arrêt, la Cour ne s’est pas écartée de sa jurisprudence antérieure.

29.      La Cour a constaté que le service de traitement du paiement par carte en cause dans cette affaire ne pouvait être exonéré, dès lors que les prestations effectuées ne pouvaient, seules ou prises ensemble, être considérées comme réalisant une fonction spécifique et essentielle d’une opération de paiement ou de virement au sens du droit de l’Union (12).

30.      À cette fin, la Cour a, en particulier, relevé que le prestataire de ce service ne débitait ni ne créditait lui-même directement les comptes concernés, qu’il n’intervenait pas dans ceux-ci par voie d’écritures et qu’il n’ordonnait pas un tel débit ou crédit. La Cour a également estimé que le prestataire de ce service n’assumait pas de responsabilité s’agissant de la réalisation des transformations juridiques et financières caractérisant l’existence d’une opération de virement ou de paiement exonérée (13).

31.      Nous notons également que, dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour a confirmé cette approche.

32.      Dans l’arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592), la Cour a rappelé que les aspects fonctionnels sont décisifs pour déterminer si une opération relève de l’exonération pour les opérations concernant les virements ou les paiements. Ainsi, une prestation de services pourra être qualifiée d’« opération concernant les virements » ou d’« opération concernant les paiements » uniquement dans l’hypothèse où elle remplit les fonctions spécifiques et essentielles de tels virements ou paiements en ce qu’elle a pour effet de transférer des fonds et d’entraîner des modifications juridiques et financières matérialisant ce transfert. Par conséquent, aux fins d’être exonérée, une prestation de services doit avoir pour effet d’opérer les modifications juridiques et financières caractérisant le transfert d’une somme d’argent (14).

33.      En outre, la Cour a rappelé que, pour distinguer les prestations exonérées au sens de la directive TVA de la fourniture de simples prestations matérielles, techniques ou administratives, il est pertinent d’examiner, en particulier, l’étendue de la responsabilité du prestataire de services en cause et, notamment, la question de savoir si cette responsabilité est limitée aux aspects techniques ou si elle s’étend aux fonctions spécifiques et essentielles caractérisant les opérations (15).

34.      Concrètement, aux fins de caractériser les prestations exonérées de TVA en tant qu’opérations concernant les virements ou les paiements, la Cour s’attache, avant toute chose, à la nature de la prestation fournie, au sens où une prestation doit relever du domaine des opérations financières pour être exonérée (16). Ainsi, la prestation doit être appréciée à l’aune d’un critère fonctionnel afin de déterminer si elle remplit les fonctions spécifiques et essentielles de tels virements ou paiements en ce qu’elle a pour effet de transférer des fonds et d’entraîner des modifications juridiques et financières matérialisant ce transfert. Parmi les autres éléments pris en compte, la Cour peut également examiner l’étendue de la responsabilité endossée par le prestataire de services.

35.      Or, à la lumière de la jurisprudence antérieure, nous estimons que rien ne justifie que la Cour s’écarte de la solution retenue dans l’arrêt Bookit quant à la prestation de services fournie par Cardpoint (17).

36.      S’agissant du critère fonctionnel, nous relevons d’emblée que Cardpoint a elle-même reconnu dans ses observations que, conformément à l’arrêt Bookit, la saisie des données de la carte bancaire de l’utilisateur du distributeur automatique de billets, leur transmission et leur contrôle ainsi que l’exécution de l’opération souhaitée par le titulaire de la carte après réception du message d’autorisation de la banque émettrice de la carte ne peuvent relever de l’exonération.

37.      Nous partageons ce point de vue. En effet, toutes ces activités, au même titre que le transport de l’argent, l’approvisionnement des distributeurs automatiques de billets, l’installation et la maintenance des logiciels nécessaires aux distributeurs ainsi que les conseils fournis par Cardpoint quant à l’exploitation de ces distributeurs n’ont manifestement pas pour effet de transférer une somme d’argent et d’entraîner des modifications juridiques et financières matérialisant ou caractérisant ce transfert.

38.      Plus largement, nous estimons qu’une telle analyse s’impose s’agissant de toutes les activités de Cardpoint, seules ou prises ensemble, dans le cadre de l’exploitation d’un distributeur automatique de billets, dès lors qu’elles doivent être qualifiées de « prestations matérielles, techniques ou administratives ».

39.      Ainsi, il ressort des éléments fournis par le juge de renvoi rappelés aux points 8 à 10 des présentes conclusions que, comme l’a mis en exergue le gouvernement allemand, le service fourni par Cardpoint ne comporte pas directement le fait de débiter ou de créditer lui-même un compte, ou encore d’intervenir par voie d’écritures dans les comptes du titulaire de la carte bancaire utilisée aux fins du retrait (18). En effet, Cardpoint transmet les données relatives à la carte de l’utilisateur ainsi que la demande d’autorisation du retrait souhaité par celui-ci, mais exécute l’opération, au sens où elle procède à la remise physique des billets, uniquement en cas d’acceptation de la demande.

40.      En outre, seule la banque exploitant le distributeur automatique de billets introduit les enregistrements dans le système de la BBK. Quant au fichier de données journalier, non modifiable et comportant toutes les opérations du jour concerné généré par Cardpoint et transmis à la BKK, il a pour objet d’informer la BKK des opérations autorisées effectuées et, partant, ne peut être considéré comme ayant pour effet de remplir les fonctions spécifiques et essentielles d’un paiement.

41.      Au regard de ces considérations, nous pensons que le service fourni par Cardpoint constitue non pas une opération ayant pour effet de transférer des fonds et d’entraîner des modifications juridiques et financières, mais une prestation matérielle, technique ou administrative, dès lors que cette prestation n’a pas pour effet de transférer, de manière effective ou potentielle, la propriété des fonds en cause, ou de remplir les fonctions spécifiques et essentielles d’un tel transfert.

42.      Les arguments tirés de la spécificité des activités de Cardpoint ne remettent pas en cause cette appréciation.

43.      Il en va ainsi de l’argument fondé sur le fait que Cardpoint procède à la distribution physique des billets et à leur remise à l’utilisateur du distributeur automatique.

44.      En effet, comme l’a souligné le gouvernement allemand, la propriété de l’argent est transférée de la banque, et non de Cardpoint, à l’utilisateur du distributeur automatique de billets.

45.      À l’instar du gouvernement allemand, nous sommes d’avis que seule la propriété juridique et non physique de l’argent doit être prise en considération. S’il ne peut être contesté que la prestation fournie par Cardpoint a pour effet de transférer physiquement les billets, le transfert de la propriété juridique de l’argent est, néanmoins, subordonné à l’autorisation de la banque émettrice de la carte, puis à l’inscription comptable de l’opération. Or, force est de constater que, sur ce point, la prestation de Cardpoint est limitée à la transmission de la demande de versement du client et à la mise en œuvre technique du versement.

46.      La circonstance que les activités de Cardpoint dans le cadre de l’exploitation, pour les banques, des distributeurs automatiques de billets soient envisagées dans leur ensemble est sans incidence à cet égard. Il est vrai que les banques exploitant les distributeurs de billets ont procédé à une externalisation importante et que Cardpoint fournit un service particulièrement étendu.

47.      Néanmoins, à nos yeux, la ratio legis de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive impose non pas une approche quantitative, mais une approche fonctionnelle et qualitative, fondée sur la nature des prestations. En d’autres termes, le fait que Cardpoint propose son service sous forme de pack est dénué de pertinence si aucune des activités fournies dans ce pack n’a pour effet de transférer des fonds et d’entraîner des modifications juridiques et financières matérialisant ou caractérisant ce transfert.

48.      À cet égard, si nous convenons avec Cardpoint que certaines de ses activités sont indispensables aux opérations de paiement en cause au principal (19), cette caractéristique n’est pas suffisante pour que le service qu’elle fournit soit exonéré de TVA.

49.      En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, compte tenu de l’interprétation stricte des exonérations de TVA, le seul fait qu’un service soit indispensable pour réaliser une opération exonérée ne permet pas de conclure à l’exonération de celui-ci (20).

50.      La circonstance que Cardpoint intervient dans le cadre de l’externalisation, par une banque, de l’exploitation de distributeurs automatiques de billets n’est, par ailleurs, pas suffisante pour justifier que la Cour raisonne par analogie avec la jurisprudence relative à l’article 148 de la directive TVA, par laquelle la Cour s’est prononcée en faveur de la possibilité d’appliquer l’exonération prévue à cet article aux prestations fournies par des intermédiaires agissant en leur nom propre ou par des sous-traitants (21).

51.      En effet, les spécificités et finalités propres à chaque exonération de TVA ne permettent pas, à nos yeux, de procéder à une analogie au seul motif que Cardpoint fournit un service dans le cadre de l’externalisation de l’exploitation des distributeurs automatiques de billets.

52.      L’argument de Cardpoint, fondé sur la circonstance qu’elle est responsable de l’état opérationnel des distributeurs automatiques et doit, à ce titre, répondre de tous les dérèglements possibles, comme les versements insuffisants ou trop élevés, les dommages causés par des activités criminelles de tiers, le mauvais montage des distributeurs ou les instructions comptables erronées, n’emporte pas davantage notre conviction.

53.      À cet égard, nous rappelons qu’il y a lieu d’apprécier l’étendue de la responsabilité du prestataire de services et notamment la question de savoir si cette responsabilité est limitée aux aspects techniques ou si elle s’étend aux fonctions spécifiques et essentielles des opérations (22).

54.      Or, si les éléments avancés par Cardpoint attestent de sa responsabilité envers la banque exploitant le distributeur automatique de billets en raison des dysfonctionnements de celui-ci, ils démontrent surtout que Cardpoint n’assume aucune responsabilité liée aux modifications juridiques et financières impliquées par une opération de paiement.

55.      En particulier, la remise des fonds à l’utilisateur d’un tel distributeur n’étant pas une fonction essentielle et spécifique d’un paiement, la circonstance que Cardpoint est responsable envers la banque exploitant ledit distributeur en cas de versements insuffisants ou trop élevés ne saurait avoir pour effet d’étendre sa responsabilité aux fonctions spécifiques et essentielles de l’opération de paiement.

56.      En somme, Cardpoint se limitant à fournir une prestation de services techniques et administratifs, cette prestation ne peut être exonérée de TVA en vertu de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive.

57.      Enfin, nous soulignons que les finalités de l’exonération prévue par cette disposition, à savoir pallier les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition ainsi que du montant de la TVA déductible et éviter une augmentation du coût du crédit à la consommation (23), n’infirment pas notre analyse.

58.      La base imposable de la prestation de services fournie par Cardpoint étant aisée à déterminer au regard, notamment, de la facturation de cette prestation, la première finalité ne peut justifier qu’elle soit exonérée de TVA.

59.      La seconde finalité n’étant pas pertinente en l’espèce, elle ne peut pas davantage fonder l’exonération de la prestation de services fournie par Cardpoint. À cet égard, celle-ci est d’avis que, en cas de prélèvement à découvert du compte du titulaire de la carte, le retrait génère immédiatement une relation de crédit entre ce dernier et la banque émettrice de la carte, et ce crédit à la consommation ne peut justement pas être soumis à la TVA.

60.      Il est vrai que, dans l’hypothèse où une banque autorise un retrait en dépit de l’absence de fonds suffisants sur le compte bancaire concerné, le titulaire de ce compte doit, de facto, de l’argent à la banque. Pour autant, cette situation ne constitue pas un crédit à la consommation, mais une autorisation de découvert de courte durée (24).

61.      Au vu de l’ensemble de ces considérations, nous estimons que l’exonération pour les opérations concernant les paiements et les virements prévue à l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive ne s’applique pas à des prestations de services telles que celles fournies par Cardpoint dans le cadre de l’externalisation, par des banques, de l’exploitation des distributeurs automatiques de billets.

V.      Conclusion

62.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) de la manière suivante :

L’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée qui y est prévue pour les opérations concernant les paiements et les virements ne s’applique pas à des prestations de services, telles que celles en cause au principal, consistant à rendre et à maintenir opérationnels des distributeurs automatiques de billets, à les approvisionner, à y installer du matériel informatique ainsi que des logiciels, à transmettre une demande d’autorisation d’effectuer un retrait à la banque émettrice de la carte bancaire utilisée, à procéder à la distribution de l’argent et à enregistrer les opérations de retrait, fournies par un prestataire de services à une banque exploitant un distributeur automatique de billets.


1      Langue originale : le français.


2      Ci-après les « autorités fiscales ».


3      En tant qu’ayant droit de Moneybox Deutschland GmbH.


4      Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »). Nous relevons d’emblée que l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive a été remplacé par l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), en vertu duquel les États membres exonèrent les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances, et que l’article 135, paragraphe 1, sous b) à g), de la directive TVA reprend, sans en modifier la substance, les exonérations qui étaient auparavant prévues à l’article 13, B, sous d), respectivement points 1 à 6, de la sixième directive. Dans ces conditions, nous estimons que la jurisprudence relative à cette première disposition est pertinente pour interpréter les dispositions équivalentes de la sixième directive (pour la démarche inverse, voir arrêt du 26 mai 2016, Bookit, C-607/14, ci-après l’« arrêt Bookit », EU:C:2016:355, point 32, ainsi que nos conclusions dans l’affaire A (C-33/16, EU:C:2016:929, point 30).


5      Bank-Verlag étant, dans ces circonstances, un intermédiaire entre la banque exploitant le distributeur automatique de billets et la banque émettrice de la carte bancaire utilisée aux fins du retrait d’argent.


6      Ci-après la « BBK ».


7      Conformément aux définitions posées par le législateur de l’Union à l’annexe 1 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE (JO 2015, L 337, p. 35). Nous ne voyons aucune raison justifiant que la notion de « service de paiement » soit appréhendée différemment en matière de TVA et cette positon est, vraisemblablement, partagée par le gouvernement allemand selon lequel les opérations concernant les paiements « se caractérisent par le transfert de moyens de paiement ».


8      Voir arrêt du 5 juin 1997, SDC (C-2/95, EU:C:1997:278, point 50).


9      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 37).


10      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 28 et jurisprudence citée).


11      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 29 et jurisprudence citée).


12      Voir arrêt Bookit (point 46).


13      Voir arrêt Bookit (points 44 à 51).


14      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, points 33, 34 et 38 ainsi que jurisprudence citée).


15      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 36 et jurisprudence citée).


16      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 31 et jurisprudence citée). Par conséquent, la Cour n’exige pas que les prestations soient effectuées par un certain type d’établissement ou de personne morale.


17      Nous indiquons, dès à présent, que, même si, comme l’a souligné le juge de renvoi, il y avait, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bookit, un contrat distinct de vente de billets de cinéma, l’absence d’un tel contrat distinct en l’espèce est dénué de pertinence, dès lors que, dans cet arrêt, la Cour n’a pas pris en considération cette circonstance factuelle dans son appréciation.


18      Certes, au point 42 de l’arrêt Bookit, la Cour a indiqué qu’une telle circonstance ne saurait exclure d’emblée qu’il puisse relever de l’exonération en cause. Toutefois, il résulte également de ce point de l’arrêt Bookitque le fait, pour le prestataire de services concerné, de directement débiter et/ou créditer lui-même un compte, ou encore d’intervenir par voie d’écritures dans les comptes d’un même titulaire, permet, en principe, de considérer que cette condition est satisfaite et de conclure au caractère exonéré du service considéré.


19      La saisie des données par Cardpoint et leur transmission, de même que l’établissement des enregistrements, sont des étapes préalables et indispensables à la prestation exonérée, car elles conduisent à un retrait d’espèces d’un compte de paiement.


20      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 43 et jurisprudence citée).


21      Arrêts du 3 septembre 2015, Fast Bunkering Klaipėda (C-526/13, EU:C:2015:536), et du 4 mai 2017, A (C-33/16, EU:C:2017:339).


22      Voir arrêt du 25 juillet 2018, DPAS (C-5/17, EU:C:2018:592, point 36 et jurisprudence citée).


23      Voir arrêt Bookit (point 55 et jurisprudence citée).


24      À cet égard, nous relevons que, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous e), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66), cette directive ne s’applique pas aux contrats de crédit accordés sous la forme d’une facilité de découvert, remboursable dans un délai d’un mois.