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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 19 mars 2019 (1)

Affaire C-71/18

Skatteministeriet

contre

KPC Herning

[demande de décision préjudicielle formée par le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest, Danemark)]

« Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Livraison d’un terrain occupé par un bâtiment devant être partiellement démoli et à l’emplacement duquel doit être érigée une nouvelle construction – Article 12 de la directive 2006/112/CE – Article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive 2006/112 – Exonération de TVA – Intention des parties – Appréciation objective – Notion de “bâtiment” »






1.        La cession d’un bien immeuble supportant un bâtiment constitue-t-elle une opération exonérée de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) conformément à l’article 12 et à l’article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive TVA (2) lorsque l’intention claire des parties était, dès le moment de la cession, que l’acheteur ou un acquéreur ultérieur du bien démolisse le bâtiment existant afin de construire un nouveau bâtiment ?

2.        Telle est, en résumé, la question dont la Cour a été saisie par le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest, Danemark). La question de principe plus générale soulevée par la présente affaire est celle du rôle de l’intention des parties dans le cadre de la qualification d’une opération aux fins de la directive TVA.

I.       Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

3.        L’article 12 de la directive TVA dispose :

« 1. Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes :

a)      la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation ;

b)      la livraison d’un terrain à bâtir.

2. Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme “bâtiment” toute construction incorporée au sol.

[…]

3. Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme “terrains à bâtir” les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres. »

4.        L’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[…]

j)      les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, point a) ;

k)      les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b) ;

[…] »

B.      Le droit national

5.        L’article 13, paragraphe 1, point 9, et paragraphe 3, du lovbekendtgørelse nr. 760 af 21. juni 2016 om merværdiafgift (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée publiée, dans sa version codifiée, sous le no 760 le 21 juin 2016, ci-après la « loi sur la TVA ») dispose :

« 1. Les biens et services suivants sont exonérés de la taxe :

[…]

9) la livraison d’un bien immeuble. Sont toutefois exclues de l’exonération :

a)      la livraison d’un nouveau bâtiment ou d’un nouveau bâtiment et du sol y attenant ;

b)      la livraison d’un terrain à bâtir, qu’il soit aménagé ou non, et, en particulier, la livraison d’un terrain bâti.

[…]

3. Le ministre des Impôts peut établir des règles détaillées relatives à la délimitation de la notion de bien immeuble au sens du paragraphe 1, point 9. »

6.        L’article 54, paragraphe 1, du bekendtgørelse nr. 808 af 30. juni 2015 om merværdiafgift (règlement no 808, du 30 juin 2015, relatif à la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après le « règlement sur la TVA ») prévoit :

« La notion de bâtiment visée à l’article 13, paragraphe 1, point 9, sous a), de la loi sur la TVA s’entend des constructions incorporées au sol qui sont achevées pour l’usage auquel elles sont destinées. La livraison de parties d’un tel bâtiment est également réputée être une livraison d’un bâtiment. »

7.        L’article 56, paragraphe 1, du règlement sur la TVA prévoit :

« La notion de terrain à bâtir visée à l’article 13, paragraphe 1, point 9, sous b), de la loi sur la TVA s’entend d’un terrain non bâti, qui est affecté, en vertu de la loi sur l’aménagement du territoire ou de dispositions adoptées conformément à celle-ci, à des usages qui permettent la construction de bâtiments au sens de l’article 54 du présent règlement. »

8.        La section 2.2 du Skatteministeriets vejledning om moms på salg af nye bygninger og byggegrunde (instruction du ministère des Impôts relative à la TVA sur la vente de nouveaux bâtiments et de terrains à bâtir) énonce :

« La livraison de bâtiments et du terrain y attenant n’est pas soumise à la TVA lorsqu’il ne s’agit pas de nouveaux bâtiments.

Si la livraison est effectuée en vue de la construction d’un nouveau bâtiment, la livraison doit cependant être considérée comme la livraison d’un terrain à bâtir.

[...]

S’il est convenu que le bâtiment sera démoli par le vendeur ou s’il ressort du contrat de vente que les bâtiments sont acquis en vue de leur démolition par l’acheteur, il s’agit de la vente d’un terrain à bâtir.

Dans les autres cas, l’intention de l’acheteur ne saurait revêtir une importance décisive aux fins de l’appréciation du point de savoir s’il y a livraison d’un terrain à bâtir.

Les critères qui peuvent être pris en considération, à titre isolé ou combiné, pour trancher le point de savoir si l’on se trouve en présence de la livraison d’un terrain à bâtir peuvent être, par exemple, le prix fixé dans le contrat de vente en comparaison avec la valeur normale de biens similaires, la nature de la construction (“remise”), le non-raccordement aux services publics/commerciaux, l’utilisation antérieure du bien et la nature de la construction (par exemple “grange” pour le stockage et qui ne remplit pas des conditions tout à fait fondamentales de l’utilisation future).

S’il y a lieu de conclure que la livraison a été effectuée en vue de de la construction d’un nouveau bâtiment, la livraison doit être considérée comme la livraison d’un terrain à bâtir.

[...] »

II.     Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

9.        En avril 2012, le conseil municipal d’Odense (Danemark) a adopté un plan local d’urbanisme afférent à un secteur du port qui comprend notamment le bien immeuble appelé Finlandkaj 12 (ci-après le « bien en cause »). Il ressortait notamment du plan d’urbanisme que l’entrepôt situé sur le bien en cause devait être conservé dans la mesure du possible.

10.      À partir du mois de mai 2013, KPC Herning A/S (une entreprise danoise de promotion immobilière et de construction, ci-après « KPC ») et Boligforeningen Kristiansdal (un organisme danois d’habitations à loyer modéré) ont travaillé ensemble sur un projet de réalisation de logements pour jeunes dans le port d’Odense. Le projet a été développé en collaboration avec la municipalité d’Odense et le Port d’Odense.

11.      En juillet 2013, une proposition d’addendum au plan d’urbanisme a été élaborée afin d’autoriser la réalisation de logements à l’intérieur du périmètre de l’entrepôt existant sur le bien en cause. Selon cet addendum, qui a été adopté par le conseil municipal d’Odense le 4 décembre 2013, la partie médiane du pignon est de l’entrepôt devait être conservée.

12.      En novembre 2013 – après la diffusion pour consultation de la proposition d’addendum au plan d’urbanisme, mais avant son adoption formelle – KPC a acheté le bien en cause au Port d’Odense sous réserve de certaines conditions (ci-après la « première vente du bien en cause »). Les parties ont supposé que l’opération n’était pas soumise à la TVA mais, s’il devait s’avérer que l’opération était imposable, la TVA éventuelle devait, selon le contrat, être acquittée par KPC. Le contrat de vente était notamment subordonné à la condition que KPC conclue un contrat avec un organisme d’habitations à loyer modéré en vue de la réalisation sur le bien d’un projet de construction de logements pour jeunes et à la condition que la municipalité d’Odense adopte un plan d’urbanisme final autorisant le projet en question.

13.      Le 5 décembre 2013, KPC a conclu trois contrats avec Boligforeningen Kristiansdal. Il s’agissait i) d’un contrat-cadre conditionnel relatif à la vente du bien, l’entrepôt existant compris, (ci-après la « revente du bien en cause ») et à la transformation ultérieure de celui-ci en logements sociaux pour jeunes, ii) d’un contrat de vente conditionnel relatif à la vente du bien en cause et iii) d’un contrat clé en main lié à la transformation du bien en cause.

14.      Le contrat-cadre conditionnel prévoyait qu’il constituait, ensemble avec les deux autres contrats, un cadre contractuel global formant un tout d’un point de vue contractuel. Le contrat-cadre indiquait, d’une part, que Boligforeningen Kristiansdal se proposait d’acquérir le bien pour le transformer, en qualité de maître d’ouvrage et d’exploitant, en logements sociaux qu’il louerait et gérerait par la suite et, d’autre part, que KPC se réservait le droit, à titre de condition de la vente du bien, d’assurer, en qualité d’entrepreneur, la conception et la transformation du bien en logements sociaux. Le contrat-cadre était notamment subordonné à la condition que KPC achète finalement le bien au Port d’Odense.

15.      Le contrat de vente conditionnel stipulait que le prix de vente était considéré comme exonéré de TVA, étant donné que la cession portait sur un bien bâti. Aux termes du contrat, KPC supportait le risque que, contrairement aux prévisions des parties, la cession s’avère être soumise à la TVA. Le contrat de vente était subordonné aux mêmes conditions que le contrat-cadre. Le contrat conditionnel clé en main prévoyait que KPC exécute tous les travaux nécessaires pour livrer le bâtiment en l’état de complet achèvement, même si Boligforeningen Kristiansdal devait veiller lui-même à la démolition de l’entrepôt se trouvant encore sur le bien. Le coût en était estimé à 625 000 de couronnes danoises (DKK), TVA comprise.

16.      Le 7 mars 2014, Boligforeningen Kristiansdal a conclu avec une autre société un contrat relatif au démantèlement de l’entrepôt (à l’exception de la partie médiane du pignon est qui devait être conservée). KPC n’a pas pris part à la démolition de l’entrepôt, qui a été organisée par Boligforeningen Kristiansdal à ses propres frais et risques.

17.      Le 15 août 2015, les logements réalisés sur le bien étaient prêts à être occupés.

18.      Selon la juridiction de renvoi, l’entrepôt avait été loué par le Port d’Odense avant sa vente à KPC et il avait été évalué, à des fins fiscales, à 814 000 de DKK. À la date de sa vente et de sa revente ultérieure, l’entrepôt était pleinement opérationnel et il aurait pu être affecté à des activités culturelles ou sportives, par exemple. En revanche, l’entrepôt n’était pas adapté à un usage résidentiel. Il est constant qu’à la date des opérations en cause, le Port d’Odense, Boligforeningen Kristiansdal et KPC étaient d’accord pour considérer que l’entrepôt devait être démoli, mis à part une partie du pignon est, afin que le projet de logements puisse être mené à bien.

19.      Le 10 décembre 2013, KPC a demandé au Skatterådet (Conseil national des Impôts, Danemark) de lui fournir une réponse contraignante sur le point de savoir si la première vente du bien en cause par le Port d’Odense et la revente du bien en cause à Boligforeningen Kristiansdal étaient exonérées de TVA. Dans la réponse contraignante qu’il a fournie par lettre du 24 juin 2014, le Conseil national des Impôts a répondu par la négative aux deux branches de la question.

20.      KPC a introduit une réclamation contre la décision du Conseil national des Impôts devant le Landsskatteretten (Commission fiscale nationale, Danemark), qui a jugé, dans sa décision du 9 décembre 2015, qu’il n’y avait pas lieu de qualifier le bien de terrain à bâtir, étant donné qu’un bâtiment se trouvait sur le bien lors des deux ventes et que KPC n’interviendrait pas dans le cadre des travaux de démolition ultérieurs, lesquels devaient être organisés par l’organisme d’habitations à loyer modéré à ses propres frais et risques.

21.      Par requête du 9 mars 2016, le Skatteministeriet (ministère des Impôts danois) a formé un recours contre la décision du Landsskatteretten (Commission fiscale nationale) devant le Retten i Herning (tribunal municipal de Herning, Danemark), lequel a renvoyé l’affaire devant le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest). Toutefois, nourrissant des doutes quant à l’interprétation de certaines dispositions de la directive TVA, cette dernière juridiction a décidé, par ordonnance du 15 mai 2017, de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Est-il conforme aux dispositions combinées de l’article 135, paragraphe 1, sous j), et de l’article 12, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, d’une part, ainsi que de l’article 135, paragraphe 1, sous k), et de l’article 12, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, d’autre part, de la directive 2006/112/CE, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un État membre considère la livraison d’un bien immeuble supportant un bâtiment à la date de la livraison comme la vente imposable d’un terrain à bâtir lorsque l’intention des parties était que le bâtiment soit totalement ou partiellement démoli pour faire place à un nouveau bâtiment ? »

22.      KPC, le gouvernement danois et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Ces parties ont également été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience du 30 janvier 2019.

III.  Analyse

23.      Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si une réglementation nationale en vertu de laquelle la livraison d’un bien immeuble supportant un bâtiment constitue une vente imposable d’un terrain à bâtir si l’intention des parties est que le bâtiment soit démoli afin qu’un nouveau bâtiment puisse être construit est compatible avec l’article 12 et l’article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive TVA.

24.      Les parties qui ont déposé des observations dans le cadre de la présente procédure ont des points de vue différents à cet égard.

25.      KPC propose de répondre à cette question par la négative. Elle fait valoir en particulier que les deux opérations en cause au principal (la première vente et la revente du bien en cause) sont exonérées de TVA dans la mesure où elles constituent des « livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant » au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA. La Commission, pour sa part, est du même avis que KPC en ce qui concerne la première opération, mais considère que l’ensemble des opérations ultérieures liant KPC et Boligforeningen Kristiansdal (qui doivent, selon elle, être examinées conjointement) constituent la livraison « d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation ». Par conséquent, celles-ci seraient soumises à la TVA en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. Le gouvernement danois propose quant à lui de répondre par l’affirmative à la question posée. Selon lui, les États membres sont en droit, en vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive TVA, de considérer une parcelle de terrain telle que celle dont il est question comme un « terrain à bâtir ». La vente d’une telle parcelle de terrain serait alors soumise à la TVA conformément à l’article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA.

26.      J’estime qu’il convient, en principe, de répondre par la négative à la question posée. L’évaluation de la livraison potentielle d’un terrain à bâtir au regard de la directive TVA doit suivre la même logique que l’appréciation de toute autre opération en vertu de la directive : il convient d’apprécier la nature objective de l’opération au moment de la livraison. Dans ce cadre, l’intention subjective des parties en ce qui concerne l’usage futur du bien présente assurément une certaine pertinence. Toutefois, elle ne saurait, à elle seule, être suffisamment déterminante pour l’emporter sur un autre facteur, voire sur tous les autres facteurs objectifs relatifs à la livraison.

27.      Dans les développements qui suivent, j’examinerai principalement la réglementation nationale et son application en ce qui concerne la qualification de certaines opérations. La solution du cas particulier reste de la compétence de la juridiction nationale. Toutefois, une clarification préliminaire s’impose d’emblée : quelles sont, en fait, les opérations qui doivent être évaluées ?

A.      De quelle(s) opération(s) s’agit-il ?

28.      Dans la décision de renvoi, ainsi que dans certaines observations des parties, les deux opérations constituées, respectivement, par la première vente du bien en cause (du Port d’Odense à KPC) et par la revente du bien en cause (de KPC à Boligforeningen Kristiansdal) sont examinées en bloc, sans qu’une distinction soit établie entre elles. À ces deux opérations de vente s’ajoute le réseau de contrats ultérieurs conclus entre KPC et Boligforeningen Kristiansdal, qui a été évoqué au point 13 des présentes conclusions. L’idée semble être que ces opérations et, en particulier, les deux opérations de vente doivent, si elles ne sont pas appréciées conjointement, pour le moins connaître le même sort en ce qui concerne leur traitement au regard des règles en matière de TVA.

29.      Il est indéniable que les deux opérations de vente sont liées. La première vente du bien en cause était subordonnée à la condition que KPC conclue un contrat avec un organisme d’habitations à loyer modéré en vue de la réalisation sur le bien d’un projet immobilier composé de logements pour jeunes. La revente du bien en cause était elle-même subordonnée à la condition que KPC achète ce bien au Port d’Odense.

30.      La Cour a déjà jugé que, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être effectuées séparément, doivent être considérées comme une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes. C’est notamment le cas lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la division revêtirait un caractère artificiel. Tel est également le cas lorsqu’une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. Notamment, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire(3).

31.      Toutefois, j’éprouve quelques difficultés à voir comment ce raisonnement, qui s’applique normalement à un faisceau ou réseau de contrats entre les mêmes parties, pourrait être applicable aux opérations en question. En premier lieu, ces opérations ont été conclues à des dates différentes par des parties différentes (le Port d’Odense et KPC d’une part, et KPC et Boligforeningen Kristiansdal d’autre part) (4). En second lieu, ces opérations et, en particulier, les deux opérations de vente successives, ne sauraient être considérées comme accessoires l’une par rapport à l’autre. Compte tenu de sa finalité commerciale et de sa logique économique, la première vente du bien en cause est, en elle-même, une opération « principale » ; il en est de même en ce qui concerne la revente de ce bien. Bien qu’elles soient liées, ces deux opérations ne peuvent pas réellement être considérées comme relevant d’un seul et même ensemble.

32.      Par conséquent, chacune de ces opérations de vente doit, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive TVA, être considérée comme distincte et indépendante (5). Chacune d’entre elles doit donc être évaluée, aux fins de l’application des règles en matière de TVA, compte tenu de ses propres termes et de ses caractéristiques spécifiques.

33.      Néanmoins, le fait que les deux opérations de vente ne puissent pas être considérées comme un tout ne fait pas obstacle à ce que leur traitement au regard des règles en matière de TVA soit finalement le même, suite à l’application successive des mêmes critères. Après tout, la teneur des deux opérations et les circonstances dans lesquelles elles ont été conclues sont largement similaires. Toutefois, le point de savoir si tel est le cas et, en particulier, s’il convient, aux fins de la TVA, de considérer comme une opération unique les trois contrats conclus entre KPC et Boligforeningen Kristiansdal le 5 décembre 2013 (6) devra être tranché par la juridiction de renvoi (7).

B.      La réglementation nationale en cause au principal

34.      J’aimerais relever d’emblée deux éléments essentiels aux fins de l’appréciation des opérations au regard de la directive TVA : la date qu’il faut prendre en considération pour effectuer cette appréciation et la nature de cette appréciation.

35.      Premièrement, conformément à l’article 63 de la directive TVA, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient a priori exigible « au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée ». Pour déterminer si une opération est imposable, le moment auquel l’opération doit être évaluée est, en principe, le moment où la livraison de biens ou la prestation de services en question est effectuée. À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA, « est considéré comme “livraison de biens” le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ».

36.      Deuxièmement, s’agissant des modalités de cette appréciation, il y a lieu de souligner sa nature objective. Le but de cet exercice est de déterminer la réalité économique et commerciale de l’opération en question (8) en examinant tous les éléments pertinents (9). Il faut adopter la perspective d’un observateur indépendant qui cherche à déterminer la véritable nature et la finalité d’une opération en tenant compte de l’ensemble du contexte objectif (10).

37.      Ce contexte inclut, en particulier, les caractéristiques spécifiques du produit ou du service fourni, les modalités de la fourniture et, plus généralement, les circonstances entourant l’opération. À cet égard, l’intention des parties peut également être un élément pertinent. La Cour a itérativement jugé que « l’intention déclarée des parties concernant l’assujettissement à la TVA d’une opération doit être prise en considération, lors d’une appréciation globale des circonstances d’une telle opération, à condition qu’elle soit étayée par des éléments objectifs » (11).

38.      La règle par défaut qu’il convient d’appliquer dans le cadre de l’appréciation d’une opération est donc l’évaluation de tous les éléments objectifs au moment de l’opération.

39.      Compte tenu de ce qui précède, la compatibilité d’une réglementation nationale telle que (une partie de) la section 2.2 de l’instruction du ministère des Impôts relative à la TVA sur la vente de nouveaux bâtiments et de terrains à bâtir (ci-après la « section 2.2 ») paraît problématique.

40.      De manière générale, la règle établie à la section 2.2 semble refléter l’approche décrite ci-dessus : par défaut, « [l]a livraison de bâtiments et du terrain y attenant n’est pas soumise à la TVA lorsqu’il ne s’agit pas de nouveaux bâtiments ». De plus, la règle prévoit par ailleurs que, dans des cas généraux (autres), « l’intention de l’acheteur ne saurait revêtir une importance décisive aux fins de l’appréciation du point de savoir s’il y a livraison d’un terrain à bâtir », un certain nombre de critères (objectifs) devant être pris en considération dans le cadre de cette appréciation.

41.      Toutefois, une catégorie spécifique a également été insérée à la section 2.2, qui précise que « [s]’il est convenu que le bâtiment sera démoli par le vendeur ou s’il ressort du contrat de vente que les bâtiments sont acquis en vue de leur démolition par l’acheteur, il s’agit de la vente d’un terrain à bâtir ».

42.      Cette règle nationale spécifique (ou, plus précisément, cette exception spécifique à la règle nationale générale) semble s’écarter des principes du droit de la TVA qui ont été illustrés ci-dessus à deux égards importants. En premier lieu, le point de savoir si une opération est soumise à la TVA ne dépend pas, selon la section 2.2, de la situation au moment où l’opération est effectuée, mais d’événements qui sont censés se produire dans le futur (l’élément temporel). En second lieu, l’intention des parties, déclarée dans le contrat, devient l’élément décisif dans le cadre de l’appréciation, tandis qu’aucune des caractéristiques objectives de l’opération en cause ne sera prise en compte (la nature de l’appréciation).

43.      À mon sens, l’application d’une réglementation nationale telle que cette partie de la section 2.2 est susceptible de déboucher sur des appréciations erronées en ce qui concerne des opérations telles que celles qui sont en cause au principal. Une analyse plus approfondie des opérations en cause au principal illustrera peut-être plus clairement pourquoi il convient, selon moi, de répondre par la négative à la question posée.

C.      La première vente du bien en cause

44.      Par la première opération, KPC a acheté au Port d’Odense le bien en cause, consistant en une parcelle de terrain qui était presque entièrement occupée par un entrepôt. Au moment de la vente, cet entrepôt était intact, pleinement opérationnel et, selon l’administration fiscale danoise, évalué à 814 000 DKK.

45.      Par conséquent, lorsqu’elle est examinée en fonction de ses caractéristiques objectives, cette opération semble relever parfaitement de la catégorie visée à l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA : « les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant ».

46.      Toutefois, le gouvernement danois fait valoir qu’une telle conclusion méconnaîtrait, à tort, la véritable finalité de l’opération. L’intention des parties – exprimée dans le contrat – était indéniablement de transférer la propriété d’une parcelle de terrain sur laquelle un nouveau bâtiment devait être construit à une date ultérieure. Il est constant entre les parties qu’une construction ne pouvait pas être érigée sans démolir préalablement l’entrepôt. Selon les plans approuvés par la municipalité d’Odense, seule une portion très limitée de ce bâtiment (une partie du pignon est) devait être incorporée dans le nouveau bâtiment.

47.      À l’appui de son argument, le gouvernement danois se réfère à l’arrêt Don Bosco, dans lequel la Cour a jugé que ne relève pas de l’exonération de la TVA prévue pour les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir « la livraison d’un terrain sur lequel est encore implanté un bâtiment vétuste qui doit être démoli, afin que soit érigée à son emplacement une nouvelle construction, et dont la démolition à cette fin, assumée par le vendeur, a déjà commencé avant cette livraison » (12).

48.      L’argument avancé par le gouvernement danois ne me convainc pas. Cet argument repose sur une importance excessive accordée à l’intention des parties aux fins de déterminer, dans le cadre de l’application des règles en matière de TVA, la véritable nature et le but d’une opération donnée. De plus, il pousse à l’extrême les constatations de la Cour dans l’arrêt Don Bosco, en sortant du cadre de cette affaire.

49.      Comme je l’ai exposé aux points 36 à 38 des présentes conclusions, une opération économique doit avant tout être analysée à la lumière de ses caractéristiques objectives. L’intention des parties en ce qui concerne le produit livré peut également être un élément pertinent dans ce contexte, étant donné qu’elle permet de mieux saisir la logique sous-jacente de l’opération.

50.      Toutefois, il en est uniquement ainsi dans la mesure où l’intention des parties est exprimée ou soulignée par les caractéristiques de l’opération elle-même. De simples déclarations des parties qui ne sont pas corroborées par des éléments concrets ne sauraient jouer un rôle. Qui plus est, l’intention des parties est uniquement pertinente lorsqu’elle concerne le but poursuivi par celles-ci au moyen de l’opération en question. Inversement, la pertinence de l’intention des parties est faible, voire inexistante, lorsque – comme en l’espèce – elle porte sur ce qui adviendra en principe du produit après sa livraison, du fait de l’intervention de tiers, à un moment donné dans le futur.

51.      En d’autres termes, l’intention et les plans des parties peuvent illustrer ou confirmer une certaine lecture de la réalité. Toutefois, à moins que les appréciations relevant du droit fiscal ne deviennent l’expression d’un volontarisme métaphysique dans le cadre duquel, pour paraphraser Schopenhauer, l’opération n’est que volonté et représentation (13), l’intention des parties peut difficilement l’emporter sur la réalité.

52.      En outre, la position défendue par le gouvernement danois n’est pas corroborée par la jurisprudence. Dans son arrêt Teleos par exemple, la Cour a relevé que, contrairement à l’argumentation des parties selon laquelle l’intention du fournisseur et de l’acquéreur d’effectuer une opération donnée est suffisante pour sa qualification en tant que telle, « il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti serait contraire aux objectifs du système commun de la TVA d’assurer la sécurité juridique et de faciliter les actes inhérents à l’application de la TVA par la prise en considération, sauf dans des cas exceptionnels, de la nature objective de l’opération concernée ». La Cour a poursuivi en soulignant qu’il était nécessaire que la qualification d’une opération soit effectuée « sur la base d’éléments objectifs » (14).

53.      Ce qui précède explique pourquoi la présente affaire est différente de l’affaire Don Bosco. Dans son arrêt Don Bosco, la Cour s’est attachée à la réalité de l’opération économique en question. L’acheteur avait l’intention de construire du neuf sur la parcelle de terrain acquise, en remplacement de ce qui était en train d’être démoli par le vendeur lui-même au moment précis de la conclusion de l’opération. En pratique, l’acheteur acquérait une parcelle de terrain qui était quasiment prête à accueillir une nouvelle construction. Il importait peu, par conséquent, que cette situation ne se matérialiserait que quelque temps après la date du transfert de la propriété sur le bien.

54.      Le point 39 de l’arrêt Don Bosco est révélateur à cet égard. Ainsi que la Cour l’a mentionné, les actes accomplis par le vendeur (fourniture du terrain et achèvement des travaux de démolition) avaient pour objet économique « la fourniture d’un terrain prêt à être bâti » (15). La Cour a également relevé que l’ancien bâtiment ne présentait aucune utilité aux fins de l’activité économique de l’acheteur et que la parcelle de terrain n’aurait une telle utilité pour lui qu’après l’achèvement des travaux de démolition (16), qui avaient été organisés et payés par le vendeur (17).

55.      Tout ce qui précède contraste avec la présente affaire, dans laquelle, au moment de la première vente du bien en cause, l’entrepôt était toujours intact et les travaux de démolition n’avaient pas encore commencé. La date de la démolition n’était même pas encore connue avec certitude et le processus devait être enclenché par un acquéreur ultérieur du terrain, non par KPC.

56.      Cette lecture de l’arrêt Don Bosco est également corroborée par les décisions de la Cour dans lesquelles il a été jugé qu’était exonérée de la TVA une opération de livraison d’un bien immeuble composé d’un terrain et d’un bâtiment ancien en cours de transformation en un bâtiment nouveau, dès lors que, « au moment de cette livraison, le bâtiment ancien n’avait subi que des travaux de démolition partielle et était, à tout le moins en partie, encore utilisé en tant que tel » (18).

57.      Dans la présente affaire, la situation objective au moment de l’opération était qu’une modification du projet en ce qui concerne le sort de l’entrepôt ne pouvait pas être complètement exclue – aussi improbable qu’elle ait pu être de l’avis des parties. En principe, un retard accusé par les travaux, un litige relatif à la démolition de l’ancien bâtiment ou à la construction du nouveau bâtiment ou encore de simples modifications apportées au plan d’urbanisme (en raison, par exemple, de problèmes apparaissant au stade de la démolition de l’entrepôt) auraient pu avoir une incidence sur l’usage de l’entrepôt existant.

58.      Ce dernier cas de figure n’est aucunement un scénario purement hypothétique. En fait, le plan local d’urbanisme adopté initialement par le conseil municipal d’Odense indiquait que l’entrepôt en question devait être préservé « dans la mesure du possible ». Ce n’est qu’ultérieurement que le plan d’urbanisme a été modifié en ce sens que la partie médiane du pignon est de l’entrepôt était le seul élément architectural de l’ancien bâtiment qui devait être conservé. Bien qu’elle ait été envisagée avant la signature du contrat de vente, cette modification a été adoptée effectivement après cette signature (19).

59.      Je ne suis pas non plus convaincu par un second argument avancé par le gouvernement danois, selon lequel il était en droit de qualifier la parcelle de terrain en question de « terrain à bâtir » étant donné que, en vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive TVA, la définition de cette notion a été laissée à la charge des États membres (20). Comme la Commission l’a relevé à juste titre, la latitude dont jouissent les États membres dans la définition de ce qui constitue un « terrain à bâtir » ne saurait leur permettre d’empiéter sur la notion de « bâtiment » qui est, à l’inverse, une notion communautaire (21). De surcroît, cette dernière notion est définie de manière très large à l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA : « toute construction incorporée au sol » (22).

60.      Dans ce contexte, j’ajouterai seulement que, dans le cadre de la présente analyse, le fait qu’une partie du pignon de l’ancien bâtiment soit conservée dans le nouveau bâtiment est dépourvu de pertinence. À ma connaissance, cette partie du bâtiment a tout d’abord été retirée afin d’être intégrée par la suite dans le nouveau bâtiment. Selon moi, aucune interprétation raisonnable de la notion de « bâtiment » au sens de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA ne permet d’étendre cette notion à un élément de l’ancien bâtiment qui a simplement été intégré dans le nouveau bâtiment par la suite ou utilisé aux fins de la construction de ce dernier, sans même avoir été incorporé au sol à un moment quelconque. Par conséquent, bien que les contours de cette notion aient été débattus entre les parties, il ne me semble pas utile de s’attarder sur cette question, étant donné qu’elle importe peu aux fins du présent litige.

61.      Enfin, la conclusion selon laquelle la première vente du bien en cause pouvait difficilement être considérée comme la vente d’un terrain à bâtir aux fins de l’application des règles en matière de TVA est corroborée par deux considérations supplémentaires.

62.      En premier lieu, la Cour a déjà jugé que la ratio legis de l’article 12, paragraphe 1, sous a), et de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA est l’absence relative de valeur ajoutée générée par la vente d’un bâtiment ancien. La Cour a relevé que « la vente d’un bâtiment consécutive à sa première livraison à un consommateur final, qui marque la fin du processus de production, ne génère pas une valeur ajoutée significative et doit dès lors, en principe, être exonérée » (23).

63.      De ce point de vue, l’opération en cause pouvait difficilement justifier l’application de la TVA : aucune activité susceptible d’augmenter la valeur économique du bien pour KPC n’avait été exercée sur le bien. En fait, l’entrepôt devait être démoli pour que le bien puisse réintégrer la chaîne de production de valeur ajoutée (24).

64.      En second lieu, la Cour a récemment déclaré que les dispositions de l’article 12, paragraphe 1, sous a), et de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA, « lues ensemble, opèrent une distinction entre le caractère ancien et le caractère nouveau d’un bâtiment, la vente d’un bien immeuble ancien n’étant, en principe, pas soumise à la TVA » (25). À cet égard, je me demande si, dans l’hypothèse où une parcelle de terrain supportant un bâtiment ancien qui peut être exploité économiquement immédiatement était qualifiée de vente d’un terrain à bâtir, cela ne poserait pas problème au regard du principe de la neutralité fiscale. En effet, il en résulterait que des opérations analogues seraient soumises à la TVA ou exonérées de cette taxe en fonction de la seule intention déclarée des parties pour ce qui est du destin du bâtiment, indépendamment de l’apparence physique de celui-ci.

65.      En dissociant l’application des règles de la réalité objective, cette approche pourrait également avoir pour effet qu’il serait relativement simple de contourner la réglementation. De fait, il ne serait que trop facile pour les parties d’inclure dans le contrat une déclaration relative à l’avenir d’un bâtiment afin d’obtenir le résultat souhaité en matière de régime TVA. J’estime qu’il n’est pas acceptable qu’il incombe ensuite aux autorités fiscales de vérifier, à un stade ultérieur, si et dans quelle mesure l’intention déclarée des parties s’est effectivement matérialisée.

D.      La revente du bien en cause

66.      Il me semble que les considérations qui ont été développées ci-dessus en ce qui concerne la vente du bien en cause pourraient également s’appliquer à la revente ultérieure de ce bien.

67.      Cette dernière operation – liant KPC et Boligforeningen Kristiansdal – concernait, à ma connaissance, le même bien que celui qui avait fait l’objet de la première vente. Par conséquent, l’opération ultérieure concernait également la vente d’une parcelle de terrain supportant un entrepôt qui était intact, pleinement opérationnel et avait une certaine valeur (non négligeable). Comme je l’ai relevé en ce qui concerne la première opération, les travaux de démolition n’avaient pas commencé au moment où le vendeur semble avoir transféré la propriété du bien à l’acquéreur.

68.      Toutefois, la Commission a indiqué à l’audience que la revente du bien en cause ne devait pas être examinée à titre isolé, mais devait être considérée comme une partie d’un ensemble d’opérations qui, aux termes mêmes des contrats en question, devaient faire l’objet d’une appréciation globale. De l’avis de la Commission, une telle approche implique que les opérations liant KPC et Boligforeningen Kristiansdal, prises conjointement, devaient être considérées comme se traduisant par la « livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation » au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

69.      À mon avis, le dossier ne comporte pas suffisamment d’éléments pour permettre à la Cour de prendre position de manière définitive sur cette question. En outre, il incombe généralement au juge national de déterminer, à la lumière des principes dégagés par la Cour (26), si des opérations formellement distinctes sont si étroitement liées qu’elles forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (27).

70.      J’ajouterai également, dans ce contexte, que la question posée par la juridiction nationale a été formulée en termes abstraits et est centrée sur l’importance de l’intention des parties dans le cadre de l’appréciation, aux fins de la TVA, du transfert d’un terrain comportant un bâtiment existant. La juridiction de renvoi n’a pas demandé à la Cour de l’éclairer sur le problème spécifique soulevé par la Commission. Les brèves observations finales qui suivent peuvent dès lors être proposées à titre d’éléments utiles, le cas échéant, à la juridiction nationale.

71.      Le contrat-cadre semble indiquer clairement que c’est Boligforeningen Kristiansdal qui a acquis le bien afin d’agir ensuite en qualité de maître d’ouvrage et d’exploitant. KPC, pour sa part, était uniquement qualifiée d’entrepreneur chargé de la conception et de la transformation du bien en logements sociaux. En outre, Boligforeningen Kristiansdal devait, avant le début des travaux de construction par KPC, organiser et payer la démolition de l’entrepôt existant. Boligforeningen Kristiansdal devait également supporter la responsabilité pouvant résulter des travaux de démolition.

72.      Dans ces circonstances, il semble que, avant la construction des logements, Boligforeningen Kristiansdal avait la qualité de propriétaire du bien en cause, ce qui constitue un fait générateur en vertu des articles 14 et 63 de la directive TVA (28). À cet égard, la Cour a précisé qu’est considéré « comme “livraison d’un bien” le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire, même s’il n’y a pas transfert de la propriété juridique du bien »(29).

73.      De plus, tout comme dans le cas de la première opération, il ne semble pas que, avant la revente, le bien ait fait l’objet de travaux qui ont augmenté sa valeur, ce qui aurait justifié la perception de la TVA.

74.      Il appartient cependant à la juridiction nationale de déterminer si ces éléments, évalués conjointement à tous les autres facteurs pertinents, sont ou non susceptibles d’indiquer que, aux fins de l’application des règles en matière de TVA, la revente du bien en cause relève des « livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant » au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA.

75.      En tout état de cause, quelle que soit la qualification finalement attribuée à la seconde opération, il découle des considérations qui précèdent qu’une réglementation nationale, telle qu’une partie de la section 2.2, en vertu de laquelle la livraison d’un bien immeuble supportant un bâtiment constitue automatiquement une vente imposable d’un terrain à bâtir si l’intention des parties est que le bâtiment soit démoli afin qu’un nouveau bâtiment puisse être construit n’est pas compatible avec les dispositions de la directive TVA.

IV.     Conclusion

76.      En conclusion, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question posée à titre préjudiciel par le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest, Danemark) :

–        Une réglementation nationale, telle que celle qui est en cause au principal, en vertu de laquelle la livraison d’un bien immeuble supportant un bâtiment constitue une vente imposable d’un terrain à bâtir si l’intention des parties est que le bâtiment soit démoli afin qu’un nouveau bâtiment puisse être construit n’est pas compatible avec l’article 12 et l’article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).


3      Voir, entre autres, arrêt du 19 décembre 2018, Mailat (C-17/18, EU:C:2018:1038, points 32 à 34 et jurisprudence citée).


4      En ce qui concerne l’importance de ce dernier élément, voir par exemple arrêts du 8 juillet 1986, Kerrutt (73/85, EU:C:1986:295, point 15), et du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN (C-111/05, EU:C:2007:195, point 25).


5      Voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Volkswagen Financial Services (UK) (C-153/17, EU:C:2018:845, point 30 et jurisprudence citée).


6      Voir ci-dessus, points 13 à 15 des présentes conclusions.


7      J’aborderai cette question ci-dessous, aux points 66 à 73 des présentes conclusions.


8      Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2018, T-2 (C-396/16, EU:C:2018:109, point 43 et jurisprudence citée).


9      Voir également point 82 de mes conclusions dans l’affaire E LATS (C-154/17, EU:C:2018:226).


10      Point 77 de mes conclusions dans l’affaire E LATS (C-154/17, EU:C:2018:226).


11      Voir arrêt du 12 juillet 2012, J.J. Komen en Zonen Beheer Heerhugowaard (C-326/11, EU:C:2012:461, point 33 et jurisprudence citée).


12      Arrêt du 19 novembre 2009, Don Bosco Onroerend Goed (C-461/08, EU:C:2009:722) (ci-après l’« arrêt Don Bosco »).


13      Schopenhauer, A., Die Welt als Wille und Vorstellung (F.A. Brockhaus, 1e éd., Leipzig, 1819).


14      Arrêt du 27 septembre 2007, Teleos e.a. (C-409/04, EU:C:2007:548, points 39 et 40). Mise en italique par mes soins.


15      Arrêt Don Bosco (point 39). Mise en italique par mes soins.


16      Arrêt Don Bosco (point 39).


17      Arrêt Don Bosco, point 32.


18      Voir arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection (C-308/16, EU:C:2017:869, point 53 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.


19      Voir points 11 et 12 des présentes conclusions.


20      Voir également arrêt du 28 mars 1996, Gemeente Emmen (C-468/93, EU:C:1996:139, points 25 et 26).


21      Voir arrêt du 28 mars 1996, Gemeente Emmen (C-468/93, EU:C:1996:139, point 25 et jurisprudence citée). De même, la Cour a également jugé que la notion de « livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant » ne pouvait pas être déterminée par référence au droit national, mais devait être interprétée de manière uniforme (voir, notamment, arrêt du 11 juin 2009, RLRE Tellmer Property, C-572/07, EU:C:2009:365, point 15).


22      Mise en italique par mes soins.


23      Voir arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection (C-308/16, EU:C:2017:869, point 31 et jurisprudence citée).


24      Sur cette question, voir, plus généralement, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Blasi (C-346/95, EU:C:1997:432, point 15).


25      Arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection (C-308/16, EU:C:2017:869, points 29 et 30). Mise en italique par mes soins.


26      Voir point 33 des présentes conclusions.


27      Voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2008, Part Service (C-425/06, EU:C:2008:108, points 51 à 54), et du 18 octobre 2018, Volkswagen Financial Services (UK) (C-153/17, EU:C:2018:845, points 32 et 33).


28      Voir point 35 des présentes conclusions.


29      Voir, par exemple, arrêt du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C-320/88, EU:C:1990:61, point 9).