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 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 26 mars 2020 ( 1 )

Affaire C-835/18

SC Terracult SRL

contre

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Timişoara – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Arad – Serviciul Inspecţie Fiscală Persoane Juridice 5,

Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Timişoara – Serviciul de Soluţionare a Contestaţiilor

[demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Timişoara (cour d’appel de Timişoara, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Directive 2006/112/CE – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Régime de remboursement – Rectification de la taxe indûment facturée – Remboursement de la taxe indûment versée – Transactions afférentes à une période imposable ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal – Principe d’effectivité – Neutralité fiscale – Bonne foi – Abus de droit – Fraude fiscale – Sécurité juridique »

I. Introduction

1.

Un assujetti a subi un contrôle fiscal. Ayant décelé des erreurs afférentes à une opération donnée dans laquelle l’assujetti avait agi comme fournisseur, les autorités fiscales ont émis un avis d’imposition mettant à la charge de l’assujetti un supplément de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). L’assujetti n’a pas contesté l’avis d’imposition et a versé le supplément de TVA réclamé.

2.

Par la suite, toutefois, de nouveaux faits sont apparus emportant un régime fiscal différent (le régime de l’autoliquidation) applicable à l’opération en cause. Dans ces circonstances, les autorités fiscales nationales peuvent-elles refuser de permettre à l’assujetti de rectifier les factures en cause, et par conséquent le droit à une rectification fiscale, parce que les factures sont afférentes à des opérations réalisées durant une période qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal, et que l’avis d’imposition auquel il a donné lieu n’a pas été contesté à l’époque par l’assujetti ?

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3.

L’article 193 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ), telle que modifiée par la directive 2013/43/UE ( 3 ) (ci-après la « directive TVA »), disposait :

« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202. »

4.

L’article 199 bis de la directive TVA disposait :

« 1.   Jusqu’au 31 décembre 2018 et pour une période minimale de deux ans, les États membres peuvent prévoir que le redevable de la TVA est l’assujetti destinataire des livraisons suivantes :

[…]

i) les livraisons de céréales et de plantes industrielles, y compris les oléagineux et les betteraves sucrières, qui ne sont, en principe, pas destinés en l’état aux consommateurs finaux ;

[…] »

5.

En vertu de la décision d’exécution 2011/363/UE, la Roumanie a été autorisée à appliquer le régime de l’autoliquidation pour certaines céréales, y compris le colza ( 4 ). Le 20 février 2014, la Roumanie a indiqué à la Commission que, conformément à la directive 2013/43, elle continuerait à appliquer ce régime pour certaines céréales jusqu’au 18 décembre 2018.

B.   Le droit roumain

6.

Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, de l’ordonanta Guvernului no 92/2003 privind Codul de procedura fiscala, republicata (arrêté du gouvernement no 92/2003 sur le code de procédure fiscale), « l’autorité fiscale est habilitée à examiner d’office la situation de fait, à obtenir et à utiliser toutes les informations et [tous les] documents nécessaires pour établir correctement la situation fiscale du contribuable. Dans le cadre de son analyse, l’autorité fiscale recense et prend en compte toutes les circonstances pertinentes de l’affaire ».

7.

Conformément à l’article 205, paragraphe 1, et à l’article 207, paragraphe 1, du code de procédure fiscale, une réclamation peut être formée contre tout acte de l’administration fiscale dans les trente jours de sa notification, sous peine de déchéance. La procédure de réclamation ne prive pas l’assujetti du droit à un recours contentieux dans les conditions définies par la loi.

8.

L’article 213, paragraphe 1, du code de procédure fiscale dispose :

« L’autorité compétente, statuant sur la réclamation, contrôle les motifs de fait et de droit sur lesquels se fonde l’acte administratif fiscal. L’analyse de la réclamation tient compte des arguments des parties, des dispositions légales invoquées par celles-ci et des documents versés au dossier de l’affaire. La réclamation est traitée dans les limites de la saisine. »

9.

L’article 159 de la Legea no 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003 établissant le code fiscal), telle que modifiée et complétée par la Lega no 343/2006 (loi no 343/2006) transposant en son titre VI, notamment, la directive TVA, dispose :

« (1)   La correction des informations inscrites sur les factures ou sur d’autres documents tenant lieu de factures s’effectue comme suit :

[…]

(b)

dans le cas où le document a été transmis au bénéficiaire, soit un nouveau document est établi, contenant, d’une part, les informations figurant dans le document initial, le numéro et la date du document corrigé, les valeurs avec le signe moins (“–”), et, d’autre part, les informations et valeurs correctes, soit un nouveau document est établi contenant les informations et les valeurs correctes et, en parallèle, un document contenant les valeurs avec le signe moins est établi, sur lequel figurent le numéro et la date du document corrigé.

[…]

(3)   Les assujettis qui ont fait l’objet d’un contrôle fiscal à l’occasion duquel des erreurs dans le calcul de la taxe perçue ont été constatées, et qui sont tenus de payer ces sommes en vertu de l’acte administratif établi par l’autorité fiscale compétente, peuvent établir des factures correctives destinées aux bénéficiaires, conformément au paragraphe 1, sous b). Sur les factures établies, il sera mentionné qu’elles ont été établies après contrôle, et ces factures seront inscrites dans une rubrique séparée de la déclaration de TVA. Les bénéficiaires ont le droit de déduire la taxe inscrite sur ces factures dans les limites et conditions établies aux articles 145 à 147 2. »

III. Les faits à l’origine du litige et la question préjudicielle

10.

Donauland SRL, une société qui sera absorbée par Terracult SRL (ci-après « Terracult »), a fait l’objet d’un contrôle fiscal des autorités fiscales roumaines, qui s’est clos au mois de mars 2014. Le contrôle a constaté que Donauland avait livré du colza à Almos Alfons Mosel Handels GmbH (Allemagne) (ci-après « Almos ») entre les 10 et 14 octobre 2013. Donauland étant incapable de produire les documents attestant que les biens avaient quitté le territoire de la Roumanie, les autorités fiscales ont considéré qu’elle ne pouvait pas prétendre pour ces livraisons à l’exonération de la TVA sur les livraisons intracommunautaires de biens.

11.

Le 4 mars 2014, les autorités ont émis un avis d’imposition (ci-après le « premier avis d’imposition ») au titre du contrôle concluant à des dettes fiscales supplémentaires de Donauland, et notamment de TVA à concurrence de 440241 lei roumains (RON) pour les livraisons de colza faites à Almos au mois d’octobre 2013, qualifiées de livraisons intérieures soumises au taux normal de 24 %.

12.

Donauland n’a pas contesté le premier avis d’imposition.

13.

Le 28 mars 2014, Almos a indiqué à Donauland avoir pris bonne note de ce que les factures émises par Donauland comportaient le numéro d’identification fiscale allemand. Almos a indiqué à Donauland que le colza n’avait pas quitté le territoire roumain et sollicité de rectifier la facturation en reprenant les données d’identification fiscale du représentant d’Almos en Roumanie.

14.

Sur la base des documents produits par Almos, Donauland a comptabilisé 180 factures correctives conformément à l’article 159, paragraphe 3, de la loi no 571/2003 établissant le code fiscal. Les factures correctives ont été libellées au nom d’Almos (adressées à Almos en Allemagne et à son représentant en Roumanie), attestant les opérations suivantes : 1) l’annulation des livraisons intracommunautaires faites et leur requalification en livraisons nationales, appliquant le taux normal de TVA de 24 %, et 2) l’annulation des livraisons nationales auxquelles le taux ordinaire de TVA avait été appliqué et l’inclusion de ces livraisons dans la catégorie des livraisons de biens soumises au régime de l’autoliquidation du fait qu’une identification erronée de l’acheteur avait été détectée à la suite de la communication du 28 mars 2014.

15.

Les factures correctives émises par Donauland ont été reprises dans la demande de remboursement de la TVA du mois de mars 2014. Donauland a déduit la TVA afférente à ces factures de la TVA due pour cette période.

16.

À la suite d’une demande de remboursement de la TVA, un nouveau contrôle fiscal a été réalisé du mois de novembre 2016 au mois de février 2017, au terme duquel l’avis d’imposition du 10 février 2017 (ci-après le « second avis d’imposition ») a été émis. Cet avis impose à Terracult de payer un supplément de TVA d’un montant de 440241 RON.

17.

Terracult a introduit une réclamation administrative contre le second avis d’imposition qui a été rejetée par la Directia Generala Regionala a Finantelor Publice Timișoara (direction générale régionale des finances publiques de Timișoara, Roumanie) le 14 juillet 2017.

18.

Le 2 février 2018, Terracult a saisi le Tribunalul Arad (tribunal de grande instance d’Arad, Roumanie) d’un recours tendant, notamment, à l’annulation partielle du second avis d’imposition et au remboursement du montant payé par cette société au titre du premier avis d’imposition. Le tribunal a rejeté ce recours.

19.

Le 29 juin 2018, Terracult a fait appel de ce jugement devant la Curtea de Appel Timișoara (cour d’appel de Timișoara, Roumanie). Cette cour, nourrissant des doutes sur la conformité de la législation nationale en cause au droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité s’opposent-ils, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à une pratique administrative et/ou interprétation des dispositions du droit national qui ne permet pas la correction de factures et, par conséquent, l’inclusion des factures corrigées dans la déclaration de TVA relative à la période durant laquelle la correction a été faite, au titre d’opérations effectuées pendant une période qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal à la suite duquel les autorités fiscales ont émis un avis d’imposition devenu définitif, lorsque des données et informations supplémentaires imposant l’application d’un régime fiscal différent ont été découvertes après l’émission de l’avis d’imposition ? »

20.

Des observations écrites ont été présentées par Terracult, le gouvernement roumain et la Commission. Ces parties ont également présenté des observations orales à l’audience de plaidoiries du 5 février 2020.

IV. Analyse

21.

Par sa question, la juridiction de renvoi demande si les dispositions de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité s’opposent à une disposition ou à une pratique administrative d’un État membre qui ne permet pas la rectification de factures au titre d’opérations effectuées pendant une période qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal à la suite duquel les autorités fiscales ont émis un avis d’imposition devenu définitif, lorsque des informations supplémentaires sont apparues après l’émission de l’avis d’imposition qui donneraient lieu à l’application du régime de l’autoliquidation.

22.

À mon sens, pareille pratique n’est pas conforme au droit de l’Union. Pour expliquer cette conclusion, il faut tout d’abord déterminer l’assujetti qui est redevable de la TVA afférente à l’opération en cause (A). Ensuite, je soulignerai l’importance du droit à la correction en matière fiscale et d’obtenir le remboursement des taxes indûment versées (B). Enfin, j’examinerai les motifs que les autorités roumaines ont invoqués pour s’opposer à la correction fiscale et au remboursement de la taxe indûment payée en l’espèce (C).

A.   Assujetti redevable

23.

Aux termes de l’article 193 de la directive TVA, « la TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199ter et de l’article 202 » ( 5 ).

24.

La décision d’exécution 2011/363 a autorisé la Roumanie à appliquer, durant la période pertinente, le régime de l’autoliquidation à la vente de colza. Conformément à l’article 199 bis, paragraphe 1, de la directive TVA, dans ce cas, « le redevable de la TVA est l’assujetti destinataire des livraisons » ( 6 ).

25.

À cet égard, la Cour a confirmé que, « en application du régime de l’autoliquidation, aucun paiement de la TVA n’a lieu entre le prestataire et le bénéficiaire de services, ce dernier étant redevable, pour les opérations effectuées, de la TVA en amont, tout en pouvant, en principe, déduire cette même taxe de telle sorte qu’aucun montant n’est dû à l’administration fiscale » ( 7 ).

26.

Étant (à présent) constant entre les parties que le régime de l’autoliquidation s’applique à l’égard des opérations en cause, c’est le destinataire et non pas le fournisseur qui était redevable de la TVA. Le fait que le fournisseur a payé la TVA en supposant erronément que le régime de l’autoliquidation ne s’appliquait pas ne peut pas permettre aux autorités fiscales de déroger au régime de l’autoliquidation, en estimant que le redevable de la TVA n’est pas le destinataire mais le fournisseur ( 8 ).

27.

La question qu’il faut alors examiner est de savoir si le fournisseur est en principe fondé à régulariser la taxe indûment facturée et à obtenir un remboursement de la taxe indûment versée.

B.   Le droit de régulariser la taxe indûment facturée et d’obtenir un remboursement de la taxe indûment versée

28.

Selon une jurisprudence constante, « pour assurer la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leur ordre juridique interne, la possibilité de régularisation de toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi » ( 9 ).

29.

Selon une jurisprudence constante également, le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues dans un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union telles qu’elles ont été interprétées par la Cour. Les États membres sont donc tenus, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire ( 10 ).

30.

En l’absence de règles de droit de l’Union régissant les procédures de régularisation par l’émetteur de la facture de la TVA indûment facturée ( 11 ), et le remboursement de taxes ( 12 ), il appartient à chaque État membre de préciser dans son ordre juridique interne les règles de procédure conformément au principe de l’autonomie procédurale. Ces règles nationales doivent cependant respecter les principes d’équivalence et d’efficacité : elles ne doivent pas être moins favorables que celles propres à des demandes similaires engagées au titre de dispositions de droit interne, ni conçues de telle sorte qu’elles rendent virtuellement impossible ou excessivement difficile l’exercice de droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.

31.

Il s’ensuit qu’un assujetti qui a indûment facturé la TVA devrait être autorisé à faire une régularisation et, le cas échéant, à solliciter un remboursement. Les procédures que l’assujetti doit suivre pour la régularisation et pour la demande de remboursement sont celles prévues en droit interne.

32.

En l’occurrence, il n’est pas allégué que les procédures nationales ne sont pas conformes au principe d’équivalence. Terracult soutient, cependant, que ces procédures méconnaissent notamment le principe d’efficacité en ce qu’il lui est impossible de procéder à une régularisation et à une demande de remboursement.

33.

Cette position est critiquée par le gouvernement roumain. Celui-ci prétend que, en l’espèce, les autorités pouvaient légalement empêcher le fournisseur de procéder à une régularisation et de solliciter un remboursement. Il avance deux raisons à cet égard. Premièrement, le fournisseur n’a pas contesté le premier avis d’imposition dans le délai requis. Deuxièmement, le gouvernement roumain semble insinuer que le fournisseur n’a pas agi de bonne foi ou a commis un abus de droit. J’examinerai ces deux arguments dans cet ordre.

C.   Les autorités pouvaient-elles s’opposer à la régularisation et au remboursement ?

1. Délais

34.

Le gouvernement roumain relève que Terracult n’a pas contesté le premier avis d’imposition dans le délai requis. Il est dès lors devenu définitif et ne pouvait plus être remis en cause.

35.

À mon sens, l’argument avancé par le gouvernement roumain mêle deux situations. D’une part, il y a le scénario dans lequel certains faits ou leur appréciation juridique ont fait l’objet d’un contrôle par une autorité administrative. Pour employer une métaphore, une boîte contenant certains éléments a été ouverte, inspectée et refermée. D’autre part, il y a le scénario quelque peu différent dans lequel ont émergé ultérieurement de nouveaux faits qui n’étaient pas encore comme tels dans la boîte au moment du contrôle. Dans ce cas, ces éléments spécifiques n’ont jamais pu être vérifiés pour la simple raison qu’ils n’existaient pas au moment considéré.

36.

En ce qui concerne le premier scénario, je serais enclin à admettre que, si l’avis d’imposition était erroné au moment de son émission, il aurait indubitablement appartenu à Terracult de l’attaquer dans le délai imparti par la législation nationale. L’absence de contestation en temps utile pourrait conférer un caractère définitif à l’avis qui, indépendamment de son exactitude ou de sa légalité, n’est plus susceptible de contestation par l’assujetti.

37.

La Cour a itérativement jugé que la fixation de délais raisonnables de recours dans l’intérêt de la sécurité juridique, qui protège à la fois le particulier et l’administration concernés, est compatible avec le droit de l’Union. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, d’une action intentée ( 13 ).

38.

Par application de ce principe, la Cour a jugé, dans le contexte de l’autoliquidation, qu’un délai de forclusion dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent, qui a omis de réclamer la déduction de la TVA en amont, en lui faisant perdre le droit à déduction, ne saurait être considéré comme incompatible avec le régime établi par la directive TVA ( 14 ). En outre, la possibilité d’exercer le droit à déduction sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de la sécurité juridique, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et obligations vis-à-vis de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause ( 15 ).

39.

La présente affaire semble néanmoins être d’une nature différente. Elle semble relever du second des deux scénarios décrits plus haut. En l’espèce, pour autant que l’on puisse en juger au vu du dossier, l’avis d’imposition n’était pas erroné au moment où il a été émis par les autorités fiscales. L’avis était conforme aux données attestées par les factures et par les résultats du contrôle réalisé par les autorités fiscales. Ce n’est qu’ultérieurement, à la suite de la demande faite par Almos à Donauland, que les données de base ont changé.

40.

Il s’ensuit que la situation n’a changé qu’après que l’avis d’imposition a été émis et que Terracult s’y est conformé ( 16 ). La demande faite par le destinataire d’utiliser son numéro roumain d’identification TVA a opéré un changement du régime juridique. Dans ces circonstances, on peut difficilement reprocher à Terracult d’avoir décidé de faire usage du régime le plus évident de régularisation de la TVA indûment facturée, et non pas de contester la légalité de l’avis d’imposition.

41.

Je comprends que Terracult aurait probablement pu contester le premier avis d’imposition en droit interne, alors même qu’il n’était pas entaché d’illégalité, en invoquant les nouveaux faits survenus après l’émission de l’avis d’imposition ( 17 ). Il reste néanmoins que, au regard des règles de droit de l’Union et de droit interne, cela aurait été pour Terracult une voie quelque peu étrange à emprunter.

42.

En effet, la législation interne prévoit expressément à l’article 159 de la loi no 571/2003 établissant le code fiscal un dispositif spécifique pour rectifier une situation comme celle en cause dans la procédure au principal. Ce type de dispositif, il convient de le souligner, est requis par le droit de l’Union. La Cour a déjà précisé que le principe de neutralité ainsi que le principe d’effectivité peuvent exiger que les États membres prévoient les instruments et les modalités procédurales nécessaires pour permettre à l’assujetti de régulariser toute taxe indûment facturée et qu’il ait le droit au remboursement de contributions prélevées au mépris de règles du droit de l’Union ( 18 ).

43.

Les arguments avancés par le gouvernement roumain pour dénier à Terracult la possibilité d’user de cette voie ne sont pas convaincants. Il suggère que la présente affaire risque de créer un divorce entre, d’une part, le principe de sécurité juridique (tiré de la nécessité de préserver la validité d’actes non attaqués dans le délai requis) et, d’autre part, le principe de neutralité fiscale (procédant de la nécessité de garantir qu’un assujetti ne supporte pas une taxe dont il n’était pas redevable), et qu’il pourrait légitimement privilégier le premier principe.

44.

Ce n’est pas, à mon sens, une façon correcte de synthétiser la présente affaire. Ainsi que je l’ai déjà relevé au point 35 des présentes conclusions, je soulignerais une nouvelle fois que la présente affaire ne concerne pas un avis d’imposition prétendument erroné ou entaché d’illégalité qui n’a pas été attaqué dans le délai requis. Elle concerne une opération qui, à la suite de nouveaux faits qui sont apparus, a été requalifiée après l’émission d’un avis d’imposition. Exiger de l’assujetti qu’il attaque un avis d’imposition (présumé légal et valable) dans ces circonstances est non seulement contraire au bon sens, mais suscite également un certain nombre de doutes au regard de la neutralité fiscale, de l’équité et du droit à un recours effectif.

45.

Premièrement, dans cette interprétation, le droit interne traiterait de manière très différente des assujettis qui sont, selon moi, dans une situation comparable. La longueur du délai dans lequel un assujetti est autorisé à rectifier des informations reprises sur des factures et à procéder à une régularisation dépendrait de ce que les autorités fiscales ont ou non réalisé un contrôle et émis un avis d’imposition. Les assujettis qui ont fait l’objet d’un contrôle n’auraient que trente jours pour rectifier les factures en attaquant la légalité du contrôle fiscal. Ceux qui n’auront pas été contrôlés auraient le délai normal de cinq ans. L’émission d’un avis d’imposition emporterait donc réduction à trente jours du délai ordinaire de cinq ans.

46.

Cette différence semble impossible à justifier dès lors que, au regard de faits nouveaux apparaissant ultérieurement, les deux assujettis pourraient être exactement dans la même situation. Je rappellerais à cet égard que, conformément à une jurisprudence constante, « le principe d’égalité de traitement, dont le principe de neutralité fiscale constitue la traduction en matière de TVA, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée » ( 19 ).

47.

Deuxièmement, obliger un assujetti à attaquer un avis d’imposition dans les trente jours, même si les éléments susceptibles d’appeler une régularisation apparaissent après l’émission de cet avis, risque de vider de son sens le droit à un recours effectif : en fonction du moment auquel ces éléments sont découverts, l’assujetti peut avoir un délai très court pour attaquer l’avis d’imposition ou peut même être forclos. Par exemple, en l’espèce, Terracult n’aurait eu que quelques jours pour contester le premier avis d’imposition (émis le 4 mars 2014) après que les nouveaux faits sont apparus (le 28 mars 2014). En l’absence de contrôle et d’avis d’imposition, Terracult aurait pu rectifier les factures et régulariser la taxe dans le délai plus long de cinq années.

48.

Troisièmement, et pour terminer, ces conséquences plutôt étranges soulignent le caractère problématique du point de départ. Je devrais souligner que, en général, une règle nationale énonçant que l’on ne peut pas revenir sur ce qui a déjà été vérifié (administrativement ou judiciairement) est bonne et convenable. Cependant, ce principe ne peut logiquement s’appliquer qu’aux questions de fait ou de droit qui ont bel et bien fait l’objet d’un contrôle. En revanche, la forclusion ne peut être étendue à de nouveaux éléments qui n’ont pas fait, et n’ont pas pu faire, l’objet d’un tel contrôle parce qu’ils n’existaient pas à l’époque en cause ( 20 ).

49.

Eu égard à ce qui précède, je conclus que les dispositions de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité s’opposent à une disposition ou pratique d’un État membre qui ne permet pas la rectification de factures au titre d’opérations effectuées pendant une période qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal, à la suite duquel les autorités fiscales ont émis un avis d’imposition devenu définitif, lorsque des informations supplémentaires sont apparues après l’émission de l’avis d’imposition qui donneraient lieu à l’application d’un régime fiscal différent (le régime de l’autoliquidation).

2. Bonne foi, abus de droit et fraude

50.

Le gouvernement roumain soutient en outre que les droits de régulariser et de solliciter un remboursement, normalement prévus dans la législation interne, peuvent être limités dans des circonstances telles que celles qui se présentent dans la procédure au principal, parce que le fournisseur n’a pas agi de bonne foi ou a, dans une certaine mesure, abusé de ses droits. À cet égard, le gouvernement roumain souligne que la rectification des factures neutralise les résultats du premier avis d’imposition. De surcroît, le gouvernement souligne que les biens vendus par Terracult à Almos ont fait l’objet, après la vente, d’opérations quelque peu suspectes entre Almos et un tiers.

a) Bonne foi

51.

On gardera d’emblée à l’esprit que, bien que le droit de régulariser des taxes indûment facturées doive être accordé lorsqu’un assujetti a agi de bonne foi, la bonne foi n’est pas une condition nécessaire du droit à la régularisation. La Cour a en effet jugé que, lorsque l’émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de neutralité de la TVA exige que cette taxe indûment facturée puisse être corrigée sans qu’une telle régularisation puisse être subordonnée par les États membres à la bonne foi de l’émetteur de cette facture. Cette régularisation ne saurait dépendre du pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’administration fiscale ( 21 ).

52.

À cet égard, je dois relever que, en réponse aux questions de la Cour, la juridiction de renvoi a indiqué qu’il ressort du dossier que les autorités fiscales n’ont jamais réclamé au destinataire (Almos) le paiement de la taxe due. On n’aperçoit pas clairement pourquoi les autorités fiscales n’ont jamais tenté de vérifier si la taxe pouvait être payée par le destinataire, en sorte que le montant indûment payé par le fournisseur (Terracult) pouvait être remboursé sans aucune perte pour le trésor public. Interrogé sur ce point à l’audience de plaidoiries, le gouvernement roumain a été incapable de donner une explication.

53.

Indépendamment de cet aspect, et ce qui est plus important, je ne suis pas convaincu par les éléments invoqués par le gouvernement roumain dans le contexte de la présente procédure pour supposer que Terracult n’a pas agi de bonne foi.

54.

En particulier, je ne parviens pas à apercevoir la logique présidant à l’argument selon lequel le fait que la rectification des factures a pour effet d’invalider les conclusions de l’avis d’imposition résultant du contrôle fiscal montre en lui-même que l’assujetti n’a pas agi de bonne foi.

55.

Le but même d’une rectification des factures est de modifier une situation antérieure considérée inexacte sur la base d’éléments apparus ultérieurement. En conséquence, le seul fait que les factures rectifiées ont neutralisé les effets du premier avis d’imposition n’est pas de nature, et ne suffit pas, à prouver une absence de bonne foi de la part de l’assujetti. Quelque chose de plus est requis à cette fin. On rappellera, à cet égard, que la notion de « bonne foi » implique que l’assujetti déploie toute la diligence d’un opérateur avisé ( 22 ).

56.

Il s’ensuit que les autorités fiscales ne peuvent invoquer une absence de bonne foi que si elles allèguent expressément une négligence de la part de l’assujetti, expliquent les motifs de droit et de fait étayant ce constat et, le cas échéant, produisent des preuves corroborant ces allégations ( 23 ). En l’espèce, et certainement au regard des faits et des observations présentées à la Cour, il ne semble pas y avoir d’allégation claire et prouvée sur ce point.

57.

On rappellera qu’il est sans importance que la neutralisation du premier avis d’imposition se soit produite après un contrôle fiscal. En effet, dans l’arrêt Zabrus Siret ( 24 ), une affaire récente qui concernait également la législation interne en cause dans la procédure au principal, la Cour a indiqué sans équivoque que : « les [dispositions] de la directive TVA ainsi que les principes d’effectivité, de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, par dérogation au délai de prescription de cinq ans instauré par le droit national pour la rectification des déclarations de TVA, empêche, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, un assujetti de procéder à une telle rectification afin de faire valoir son droit à déduction au seul motif que cette rectification concerne une période qui a déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal » ( 25 ).

58.

La juridiction de renvoi fait référence, en fait, à cet arrêt dans sa décision de renvoi, estimant que les principes découlant de celui-ci devraient être applicables à l’affaire en cause dans la procédure au principal.

59.

Je suis d’accord. Au regard des arguments avancés par le gouvernement roumain dans ses observations écrites et orales, il semblerait que le problème principal en l’espèce est que les autorités fiscales ont déjà contrôlé l’opération en cause et, par conséquent, n’admettent pas que l’assujetti puisse invalider ultérieurement les résultats de leur évaluation sans passer par les « voies ordinaires » : réclamation administrative suivie, le cas échéant, d’un recours juridictionnel. Cependant, aux points 34 à 49 des présentes conclusions, j’ai expliqué en quoi cette position était intenable en l’espèce.

b) Abus de droit

60.

Les mêmes considérations valent en ce qui concerne l’allégation, par le gouvernement roumain, d’un abus de droit commis par Terracult.

61.

On peut rappeler, dans ce contexte, que deux conditions doivent être remplies pour conclure à un abus. D’une part, il faut que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la directive TVA et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions. D’autre part, il doit également résulter d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause est l’obtention d’un avantage fiscal ( 26 ).

62.

Cependant, les éléments du dossier ne me permettent pas de voir que les autorités fiscales ont établi l’existence d’un quelconque abus.

63.

Premièrement, on n’aperçoit pas clairement l’« avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions [TVA] » que Terracult pourrait chercher à obtenir par son comportement. Ainsi que je l’ai signalé aux points 23 à 26 des présentes conclusions, Terracult n’est pas redevable de la taxe qu’elle a payée. Cependant, à la suite du premier contrôle fiscal, elle a dûment payé cette taxe. Par la suite, ainsi que Terracult l’a observé à l’audience, elle est « tombée entre deux chaises » : d’une part, elle avait payé à l’État la TVA qui, bien que non due, ne peut pas être remboursée ; d’autre part, le destinataire refuse de rembourser ladite taxe à Terracult dès lors que l’opération en cause n’est pas soumise au régime fiscal ordinaire mais au régime de l’autoliquidation. En substance, Terracult finit par devoir supporter une taxe dont elle n’était pas redevable.

64.

Sur cette base, il me semblerait que Terracult ne cherche pas à obtenir un avantage injustifié. Elle cherche tout simplement à rétablir la neutralité à l’égard de l’opération en cause.

65.

Deuxièmement, on rappellera que, pour établir un abus, les autorités fiscales doivent établir des éléments concrets leur permettant de considérer que les parties ont recouru à un montage artificiel en vue de contourner l’application des règles applicables de la TVA pour obtenir un avantage indu ( 27 ). En l’espèce, rien dans le dossier, et certainement rien dans la décision de renvoi, ne permet de douter de l’authenticité des rectifications apportées aux factures afférentes à l’opération en cause. Le simple fait que la seconde rectification des factures a eu pour effet d’invalider les résultats du contrôle fiscal antérieur ne peut pas constituer, on l’a dit, la preuve d’une opération fictive.

66.

Au vu de ces considérations, ce qui compte vraiment, dans une situation telle que celle en cause dans la procédure au principal, est de savoir si la rectification des factures est justifiée par les nouveaux éléments invoqués par Terracult ou si, à l’inverse, elle a été faite à des fins frauduleuses. Cela m’amène à l’élément suivant visé par le gouvernement roumain dans ce contexte.

c) Fraude

67.

Dans ses observations, le gouvernement roumain vise le fait que le colza vendu par Terracult à Almos a fait l’objet, après cette vente, de certaines opérations suspectes entre Almos et un tiers.

68.

À cet égard, je rappellerais que, conformément à une jurisprudence constante, l’assujetti perd le droit à déduction lorsqu’il savait ou aurait dû savoir que, par son fait, il a pris part à une opération participant d’une fraude à la TVA. Il incombe en effet aux autorités fiscales elles-mêmes, ayant constaté des fraudes ou des irrégularités commises par un opérateur, d’établir sur la base d’éléments objectifs et sans exiger de l’autre opérateur des vérifications qui ne lui incombent pas que ce dernier savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude à la TVA ( 28 ).

69.

En revanche, lorsque les conditions matérielles et formelles pour la naissance et l’exercice du droit à déduction sont réunies, il n’est pas compatible avec la directive TVA de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée, impliquée dans une fraude commise par son cocontractant ou par un autre opérateur faisant partie de la chaîne de livraison, antérieure ou postérieure, était entachée de fraude ( 29 ).

70.

Cela étant posé, pour que les faits invoqués par le gouvernement roumain soient pertinents à l’égard de Terracult, les autorités fiscales auraient dû établir que Terracult faisait partie d’un plan frauduleux ou à tout le moins qu’elle le connaissait ou aurait dû le connaître. À tout le moins dans le contexte de la présente procédure, le gouvernement roumain n’a pas été jusqu’à prétendre qu’il y avait fraude ou tout autre comportement illicite. De surcroît, il n’a produit aucun élément à l’appui de l’idée insinuée que Terracult connaissait ou aurait dû connaître les opérations suspectes réalisées avec les biens en question après la vente faite à Almos.

71.

À l’audience, le gouvernement roumain a été invité à expliquer plus clairement pourquoi, selon lui, Terracult n’avait pas agi avec la diligence voulue dans ces opérations, et au titre de quelles dispositions de droit national ou de droit de l’Union on pourrait exiger un degré plus élevé de diligence de cette société. Cependant, le gouvernement roumain a eu des difficultés à donner une réponse claire à cette question. Il s’est contenté d’évoquer l’inertie de Terracult dans la recherche des documents concernant le lieu de livraison des biens vendus à Almos et, plus généralement, des insuffisances (non précisées) dans sa comptabilité.

72.

J’ai trouvé cette réponse étonnante, surtout quand on sait que Terracult (puis Almos) a marqué son accord sur les conclusions des inspecteurs fiscaux quant à la requalification de la vente en livraison nationale, et aucune allusion à des insuffisances dans la comptabilité de Terracult n’avait été faite avant l’audience. En tout état de cause, je ne suis pas convaincu que pareille insuffisance, mineure et de pure forme, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, puisse justifier la perte complète des droits de rectification et l’impossibilité d’obtenir pour Terracult un remboursement.

73.

Conformément à une jurisprudence bien établie, les États membres ont la faculté d’adopter des mesures afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude. Cependant, ces mesures ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs ainsi poursuivis et ne peuvent, dès lors, être utilisées d’une manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA ( 30 ). La Cour a indiqué, en particulier, qu’une sanction consistant à dénier absolument le droit à déduction est disproportionnée au cas où aucune fraude ni aucune atteinte au budget de l’État ne serait établie ( 31 ). Un principe similaire doit prévaloir sans aucun doute à l’égard d’un refus absolu de permettre à un assujetti de régulariser une taxe indûment facturée et d’obtenir le remboursement de la taxe indûment payée.

74.

Un État membre ne peut dès lors refuser la régularisation et le remboursement sollicité par un assujetti que lorsque les autorités fiscales peuvent, sur la base d’éléments objectifs, établir à suffisance de droit que la rectification des factures donnant lieu à l’application du régime de l’autoliquidation a été faite de mauvaise foi, était constitutive d’un abus de droit, ou était liée à une fraude à la taxe que le fournisseur connaissait ou aurait dû connaître.

75.

Il appartient à l’évidence à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal.

V. Conclusion

76.

Je propose par conséquent à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle de la Curtea de Apel Timișoara (cour d’appel de Timișoara, Roumanie) :

La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité s’opposent à une disposition ou pratique d’un État membre qui ne permet pas la rectification de factures au titre d’opérations effectuées pendant une période qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal, à la suite duquel les autorités fiscales ont émis un avis d’imposition devenu définitif, lorsque des informations supplémentaires sont apparues après l’émission de l’avis d’imposition qui pourraient donner lieu à l’application du régime de l’autoliquidation.

Un État membre ne peut refuser la régularisation et le remboursement de la taxe indûment payée par le fournisseur que lorsque les autorités fiscales peuvent, sur la base d’éléments objectifs, établir à suffisance de droit que la rectification des factures donnant lieu à l’application du régime de l’autoliquidation a été faite de mauvaise foi, était constitutive d’un abus de droit, ou était liée à une fraude à la taxe que le fournisseur connaissait ou aurait dû connaître. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 (JO 2006, L 347, p. 1).

( 3 ) Directive du Conseil du 22 juillet 2013 modifiant la directive 2006/112 (JO 2013, L 201, p. 4).

( 4 ) Décision d’exécution du Conseil du 20 juin 2011 autorisant la Roumanie à appliquer une mesure particulière dérogatoire à l’article 193 de la directive 2006/112 (JO 2011, L 163, p. 26).

( 5 ) Mise en italique par mes soins.

( 6 ) Mise en italique par mes soins.

( 7 ) Voir, à cet effet, arrêts du 13 juin 2013, Promociones y Construcciones BJ 200 (C-125/12, EU:C:2013:392, point 23) ; du 26 avril 2017, Farkas (C-564/15, EU:C:2017:302, point 41), et du 11 avril 2019, PORR Épitési Kft. (C-691/17, EU:C:2019:327, point 30).

( 8 ) Voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2015, GST – Saviz Germania (C-111/14, EU:C:2015:267, point 29).

( 9 ) Voir arrêt du 11 avril 2013, Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233, point 26 et jurisprudence citée) (mise en italique par mes soins).

( 10 ) Voir, notamment, arrêt du 16 mai 2013, Alakor Gabonatermelo es Forgalmazo (C-191/12, EU:C:2013:315, point 22 et jurisprudence citée).

( 11 ) Voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, points 48 et 49).

( 12 ) Voir, notamment, arrêt du 11 avril 2019, PORR Epitesi Kft (C-691/17, EU:C:2019:327, point 39 et jurisprudence citée).

( 13 ) Voir, notamment, arrêt du 14 février 2019, Nestrade (C-562/17, EU:C:2019:115, point 41 et jurisprudence citée).

( 14 ) Voir, à cet effet, arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport (C-284/11, EU:C:2012:458, point 49 et jurisprudence citée).

( 15 ) Voir arrêt du 14 février 2019, Nestrade (C-562/17, EU:C:2019:115, point 41 et jurisprudence citée).

( 16 ) Terracult peut donc difficilement être réputée avoir agi sans faire preuve de diligence lorsque, pour se conformer à l’avis d’imposition, elle a payé la taxe réclamée. Indépendamment du contexte, elle était tenue de le faire au titre de l’article 203 de la directive TVA aux termes duquel « la TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture ».

( 17 ) Le gouvernement roumain a soutenu que cela était en effet possible et cette analyse semble être confirmée par les réponses que la juridiction de renvoi a données aux questions posées par la Cour. Je relève néanmoins que Terracult n’a pas partagé cette analyse, en prétendant que la question n’est pas tranchée en droit interne.

( 18 ) Voir, à cet effet, arrêt du 11 avril 2013, Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233, point 30 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir, notamment, arrêt du 13 mars 2014, Jetair et BTWE Travel4you (C-599/12, EU:C:2014:144, point 53).

( 20 ) Une comparaison plus large peut être faite avec l’application de la même logique dans le contexte d’un réexamen par une cour ou un tribunal. Dans ce contexte, il y a même un impératif encore plus grand de stabilité et de pérennité des relations juridiques qui ont été créées par la décision définitive d’une juridiction, qui est certainement plus fort que dans le cas de décisions administratives ou fiscales. Cependant, même dans ce contexte, le fait qu’une affaire a fait l’objet d’un recours ou même d’un second recours n’exclut pas de rouvrir l’affaire si de nouveaux faits apparaissent ultérieurement justifiant une mesure aussi extraordinaire. Ce sont simplement des questions différentes et des recours différents. Une logique similaire doit donc s’appliquer a fortiori au système de la TVA, qui prévoit déjà et admet un degré plus grand de flexibilité a posteriori et la possibilité de procéder à une régularisation au nom de la neutralité fiscale.

( 21 ) Voir, à cet effet, arrêts du 19 septembre 2000, Schmeind & Cofreth et Strobel (C-454/98, EU:C:2000:469, points 58 et 68) ; du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, EU:C:2009:380, points 37 et 38), et du 11 avril 2013, Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233, point 27).

( 22 ) Arrêt du 21 décembre 2011, Vlaamse Oliemaatschappij (C-499/10, EU:C:2011:871, point 26).

( 23 ) Pour approfondir cette question, voir mes conclusions dans l’affaire Altic (C-329/18, EU:C:2019:442, spécialement les points 33 à 36).

( 24 ) Arrêt du 26 avril 2018 (C-81/17, EU:C:2018:283).

( 25 ) Arrêt du 26 avril 2018, Zabrus Siret (C-81/17, EU:C:2018:283, point 56 et dispositif).

( 26 ) Voir, à cet effet, arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a. (C-255/02, EU:C:2006:121, points 74 et 75), et du 22 mars 2012, Klub (C-153/11, EU:C:2012:163, point 49).

( 27 ) Pour approfondir cette question, voir mes conclusions dans l’affaire Cussens e.a. (C-251/16, EU:C:2017:648, points 23 à 31 et 58 à 107).

( 28 ) Voir, à cet effet, arrêts du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, points 48 et 50), et du 3 octobre 2019, Altic (C-329/18, EU:C:2019:831, points 30 et 31).

( 29 ) Voir, à cet effet, arrêts du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, points 45 et 46), et du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp (C-277/14, EU:C:2015:719, point 49).

( 30 ) Voir, à cet effet, arrêt du 11 avril 2013, Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233, points 28 et 29).

( 31 ) Voir, à cet effet, arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport (C-284/11, EU:C:2012:458, points 68 et 70).